1815

LIVRE II. — LIGNY ET LES QUATRE-BRAS

 

CHAPITRE III. — LA BATAILLE DES QUATRE-BRAS.

 

 

I

Au cours de cette journée, l'empereur avait envoyé neuf dépêches au maréchal Ney[1]. Mais, comme il l'a dit à Sainte-Hélène, Ney n'était plus le même homme[2]. Le plus ardent des lieutenants de Napoléon, celui qui dans tant de batailles, nommément à Iéna et à Craonne, avait abordé l'ennemi avant l'heure fixée, était devenu circonspect et temporisateur jusqu'à l'inertie.

La veille, pris de scrupules stratégiques, le maréchal n'avait dirigé vers les Quatre-Bras qu'un détachement trop faible pour enlever cette position. Le matin du 16 juin, il ne fit rien qui pût regagner le temps perdu. En admettant que pour attaquer il crût devoir attendre de nouvelles instructions de l'empereur[3], au moins aurait-il dû se disposer à agir au premier ordre. Ses troupes étaient échelonnées de Frasnes à Thuin sur une ligne de sept lieues. Au point du jour, il aurait dû masser à Frasnes les divisions Bachelu, Jérôme Bonaparte et Foy et toute la cavalerie, et appeler à Gosselies le corps de d'Erlon. Ce mouvement pouvait être achevé avant neuf heures du matin, sauf pour la division Allix qui n'aurait rejoint que deux heures plus tard. Ainsi, dès neuf heures, Ney se serait trouvé en mesure d'attaquer les Quatre-Bras, au premier ordre, avec 19.000 baïonnettes, 3.500 sabres, 64 bouches à feu et une réserve de 20.500 hommes. Mais le maréchal ne prit aucune disposition préparatoire. II laissa ses divisions éparpillées, ses soldats au bivouac, et attendit, inerte, les ordres de l'empereur.

Vers six heures et demie, le maréchal reçut une première lettre de Soult. Ce n'était pas, à la vérité, un ordre de marche, mais c'était un avertissement que ses troupes allaient avoir à marcher. Soult lui annonçait la prochaine arrivée à Gosselies des cuirassiers de Kellermann et lui demandait si le 1er corps avait opéré son mouvement dans cette direction[4] ? Il était donc toujours question pour Ney de pousser droit devant lui sur la route de Bruxelles. Si l'empereur avait voulu rappeler le maréchal à sa gauche, apparemment il ne lui aurait pas envoyé un renfort de huit régiments de grosse cavalerie. Ney, cependant, ne sort pas de son apathie. Il se contente d'adresser à Soult les renseignements demandés[5]. Puis, vers sept heures, il part pour Frasnes sans même prescrire à Reille de faire prendre les armes aux troupes[6]. Il se borne à lui dire : — S'il arrive en mon absence des ordres de l'empereur, vous les exécuterez sur-le-champ et les communiquerez au comte d'Erlon[7].

A Frasnes, Ney demeure inactif et insouciant comme à Gosselies. Il ne pense pas à examiner de près les positions ennemies, à pousser vers les Quatre-Bras une reconnaissance offensive qui contraigne l'adversaire à se démasquer. On dirait même qu'il néglige d'interroger ses généraux, ses commandants d'avant-postes, ou qu'il n'écoute point ce qu'on lui rapporte. Lefebvre-Desnoëttes, ou Colbert, lui rend certainement compte que les Néerlandais paraissent avoir reçu des renforts ; que depuis le matin ils ont étendu et avancé leur front ; qu'à six heures leurs tirailleurs ont replié les avant-postes français sur la lisière du bois de la Hutte[8]. Après cette escarmouche, il est vrai, le feu a dégénéré en tiraillerie, mais l'ensemble des dispositions de l'ennemi fait néanmoins présumer son intention de tenir aux Quatre-Bras. Ney n'en croit rien. Ce ne sont que vaines démonstrations pour imposer aux. Français et préparer une retraite. Tout au plus, on aura affaire à cette poignée d'Allemands qui ont été sabrés hier[9].

Le maréchal en est si convaincu que, vers onze heures, quand Flahaut lui apporte la lettre de l'empereur qui prescrit de prendre position aux Quatre-Bras et en avant des Quatre-Bras[10], il dicte sans hésiter cet ordre : Le 2e corps se mettra tout de suite en marche pour aller prendre position : la 5e division en arrière de Genappe sur les hauteurs ; le 9e division en seconde ligne, à droite et à gauche de Bauterlez ; les 6e et 7e divisions à l'embranchement des Quatre-Bras. Les trois premières divisions du comte d'Erlon prendront position à Frasnes. La division de droite s'établira à Marbais avec la 2e division de cavalerie. La 1re division de cavalerie couvrira notre marche et nous éclairera sur Bruxelles et sur nos flancs. Les deux divisions du comte de Valmy s'établiront à Frasnes et à Liberchies. La division de la cavalerie de la garde restera dans sa position actuelle de Frasnes[11]. Ce n'est pas là un dispositif de combat ; c'est un simple ordre de marche. La pensée de Ney s'y révèle clairement. Il compte occuper les Quatre-Bras sans coup férir, au pis-aller après une très courte résistance[12]. Ses instructions sont la transcription même des ordres de l'empereur[13]. Comme Napoléon, il s'imagine que la route de Bruxelles est libre. Mais lui est sur le terrain !

Pour comble, Ney, qui sert mal l'empereur, est mal servi par Reille. Il a enjoint à ce général d'exécuter sur-le-champ les ordres qu'il pourrait recevoir de Napoléon[14]. Or, quand Flahaut passe à dix heures à Gosselies et communique à Reille les instructions dont il est porteur, celui-ci, troublé par un rapport du général Girard, croit devoir attendre pour mettre ses troupes en marche un ordre positif de Ney. Le général Flahaut, écrit-il au maréchal, m'a fait part des ordres qu'il vous portait. J'aurais commencé mon mouvement sur Frasnes aussitôt que mes divisions auraient été sous les armes, mais d'après un rapport du général Girard, qui signale deux masses ennemies, de six bataillons chacune, venant par la route de Namur et dont la tête est à Saint-Amand, je tiendrai mes troupes prêtes à marcher en attendant vos ordres. Comme ils pourront me parvenir très vite, il n'y aura que très peu de temps de perdu[15].

Ce très peu de temps de perdu, c'était un retard de deux heures. Reille ne mit ses troupes en marche qu'à la réception de l'ordre de Ney, c'est-à-dire au plus tôt vers midi. Sa tête de colonne n'arriva guère à Frasnes avant une heure et demie[16]. En vain, dans l'intervalle, Ney avait reçu une nouvelle lettre du major-général réitérant les premières instructions[17]. Avec un seul bataillon et les lanciers et chasseurs à cheval de la garde, il était contraint d'attendre l'infanterie de Reille pour commencer l'attaque. D'ailleurs, il pensait avoir tout le temps de s'établir aux Quatre-Bras, car il continuait de croire que l'ennemi peu nombreux n'y ferait pas grande résistance[18].

Le prince d'Orange, il est vrai, n'avait encore que la division Perponcher : 7.800 baïonnettes et 14 bouches à feu[19]. Mais pénétré de l'importance stratégique des Quatre-Bras, il était déterminé à tenir coûte que coûte jusqu'à l'arrivée de l'armée anglaise.

La position était favorable à la défense. Le hameau des Quatre-Bras, groupe de trois grosses fermes et de deux maisons situées au croisement des routes de Charleroi à Bruxelles et de Namur à Nivelles, domine alentour les ondulations multiples du terrain. A l'est, la route de Namur, en remblai, forme un retranchement naturel en avant duquel s'élève, comme une redoute, la ferme de Piraumont. Au sud-ouest, l'accès des Quatre-Bras est protégé par la ferme de Pierrepont et le bois-taillis de Bossu qui s'étend, l'espace de 2.000 mètres, à la gauche de la route de Charleroi[20]. Enfin, dans un fond, à une demi-lieue au sud du hameau, la grosse ferme de Gémioncourt, construite tout près de la route, constitue un autre ouvrage avancé.

Bien qu'une division de moins de 8.000 hommes fût insuffisante pour garnir ce front de plus de trois kilomètres et en occuper solidement toutes les positions, Perponcher, afin d'imposer aux Français et de retarder d'autant l'attaque même des Quatre-Bras, ne craignit pas de disséminer son monde. Deux bataillons avec trois pièces de canon restèrent en réserve aux Quatre-Bras et sur la route de Namur ; les autres furent répartis ainsi : à la gauche, un bataillon avec cinq pièces en avant de Gémioncourt et un autre occupant cette ferme ; à la droite, quatre bataillons et la batterie à cheval sur la lisière orientale du bois de Bossu et en avant de Pierrepont[21].

 

II

Vers une heure et demie, Reille, qui marchait avec la tête de colonne de la division Bachelu, rejoignit Ney. — Il n'y a presque personne dans le bois de Bossu, dit le maréchal, il faut enlever ça tout de suite. Reille était ce jour-là d'humeur peu entreprenante ; il répondit : — Ce pourrait bien être une bataille d'Espagne, où les Anglais se montreront seulement quand il sera temps. Il est prudent d'attendre pour attaquer que toutes nos troupes soient massées ici. Ney impatienté répliqua : — Allons donc ! Il suffira des seules compagnies de voltigeurs ! Néanmoins la remarque de Reille l'avait fait réfléchir ; il différa l'attaque jusqu'à l'arrivée de la seconde brigade de Bachelu et de la division Foy[22].

A deux heures, ces troupes débouchant de Frasnes se formèrent en colonnes par bataillon, Bachelu à la droite de la route, Foy sur la route et à la gauche de la route ; les chasseurs de Piré flanquaient la droite de la division Bachelu, les lanciers se tenaient en arrière de l'intervalle des deux divisions. En seconde ligne, étaient la cavalerie de la garde, en colonne sur la chaussée, et la 1re brigade des cuirassiers de Kellermann, déployée à la gauche. La division Jérôme Bonaparte cheminait encore entre Gosselies et Frasnes, et les trois autres brigades de Kellermann avaient pris position à Liberchies selon les ordres de Ney[23].

Le maréchal ne voulut pas retarder davantage son attaque ; mais, troublé par les paroles de Reille, il jugea que les troupes qu'il avait sous la main seraient insuffisantes pour aborder la position de front. Il résolut de porter son effort contre la gauche ennemie [24]. — Il pouvait espérer que les défenseurs de Pierrepont et du bois de Bossu se replieraient dès qu'ils se verraient débordés, mais le prince Bernard, ayant une ligne de retraite sur Houtain-le-Val, n'avait pas à craindre d'être coupé des Quatre-Bras. — Après une courte canonnade, le maréchal lança dans la direction de Piraumont la division Bachelu, la cavalerie de Piré et la brigade Jamin de la division Foy. La seconde brigade de Foy (général Gauthier) resta provisoirement en réserve. La division Bachelu et la cavalerie de Piré s'avancèrent entre le bois de la, Hutte et la chaussée vers Piraumont. Les Néerlandais postés en première ligne n'étaient pas en nombre pour soutenir cette attaque. Bachelu refoula sans peine le 27e chasseurs jusqu'à Piraumont. Parvenu à la hauteur de la ferme Lairalle, la brigade Jamin, conduite par Foy, fit tête de colonne à gauche, refoula le 2e bataillon de Nassau, et débusqua de Gémioncourt le 5e bataillon de milice dont les débris se reformèrent à l'ouest de la route et se mirent en retraite vers le bois de Bossu. Ney les fit alors charger par les lanciers de Piré qui les culbutèrent. Le prince d'Orange, serré de près, ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval ; un de ses aides de camp fut blessé et fait prisonnier. Sauf à la droite, où les quatre bataillons du prince Bernard de Saxe-Weimar n'avaient pas encore été inquiétés, on était maître des positions avancées de l'ennemi[25].

Il était environ trois heures. Wellington, revenu du moulin de Bussy[26], jugea la situation critique, presque désespérée[27]. Quelques instants encore, on allait être forcé aux Quatre-Bras par Foy, déjà en marche pour attaquer ce hameau au sud, et par Bachelu, bientôt en situation de l'attaquer à l'est. Des renforts arrivèrent : la brigade van Merlen (hussards hollandais et dragons belges) par la route de Nivelles ; la division Picton (huit bataillons anglais et quatre hanovriens) par la route de Bruxelles[28]. Wellington était surtout inquiet pour la gauche de sa ligne, à peu près dégarnie et que menaçait Bachelu, maître de la ferme de Piraumont et de ses dépendances. La division Picton, par un prompt mouvement vers la gauche, en avant en bataille, se porta sur la route de Namur ; les brigades Kempt et Pack, en première ligne, à genou dans les blés, la brigade hanovrienne en seconde ligne, abritée par le talus de la route[29].

Pendant le déploiement des Anglais, le prince d'Orange lança successivement ses hussards et ses dragons contre la colonne de Foy dont les tirailleurs approchaient des Quatre-Bras. Avant d'avoir pu aborder cette infanterie, les escadrons ennemis furent rompus tour à tour par les lanciers de Piré qui les ramenèrent à vive allure au-delà du carrefour. Wellington fut bousculé et entraîné dans la déroute jusque sur la chaussée de Bruxelles. En se rabattant par leur droite vers Gémioncourt, les lanciers de Piré culbutèrent encore un bataillon de milice et prirent huit canons[30].

L'action s'engageait aussi au sud du bois de Bossu. A trois heures, la division du prince Jérôme avait débouché de Frasnes, et Ney l'avait aussitôt portée contre la ferme de Pierrepont, tandis que la brigade Gauthier rejoignait le général Foy. Délogé de Pierrepont, l'ennemi se replia dans le bois où les tirailleurs pénétrèrent à sa suite. Ils y avancèrent très lentement ; outre que ce bois était bien défendu, le taillis en était si dru qu'il fallait dans certains fourrés se frayer passage à coups de sabre[31].

A ce moment du combat, un peu avant quatre heures, le maréchal reçut la lettre de Soult, de deux heures, lui ordonnant de pousser vigoureusement l'ennemi et de se rabattre sur le corps prussien en position à Brye de façon à l'envelopper[32]. Eclairé désormais sur les projets de l'empereur et sur l'importance de l'occupation des Quatre-Bras, Ney fit un mouvement général en avant. Bachelu se porta de Piraumont vers l'aile gauche ennemie, Foy marcha des fonds de Gémioncourt vers les Quatre-Bras, une colonne sur la route, une autre à la droite de la route ; Jérôme jeta la brigade Soye dans le bois de Bossu et s'avança avec la brigade Bauduin entre la route et le bois, à la rencontre du corps de Brunswick, nouveau renfort arrivé à Wellington. Sous cette attaque d'ensemble très vivement menée, les Alliés plièrent à leur droite et au centre. La brigade Soye s'empara de presque tout le bois de Bossu et en rejeta les défenseurs sur Houtain-le-Val, sauf un bataillon qui se maintint à la corne nord, près des Quatre-Bras. La division Foy et la brigade Bauduin, qui marchait à sa gauche, refoulèrent les bataillons noirs de Brunswick. Une charge de la cavalerie brunswickoise, conduite par le duc en personne, se brisa sur les baïonnettes du 1er léger. Frédéric-Guillaume reçut une balle en plein ventre ; transporté dans une maison des Quatre-Bras, il y mourut le soir[33]. Son père, l'auteur du manifeste de 1792, avait été blessé mortellement à Auerstædt. C'étaient deux ardents ennemis de la France.

A la droite, la colonne de Bachelu avait traversé le petit vallon qui sépare les hauteurs de Gémioncourt de celles que couronne la route de Namur ; elle gravissait cette pente quand elle subit, presque à bout portant, le feu de la première ligne de Picton, embusquée dans les blés. La colonne s'arrêta, oscilla. Picton voyant l'hésitation des Français les fit charger à la baïonnette par la brigade Kempt qui les repoussa sans reprendre haleine jusque près de Piraumont. Là, cependant, mitraillés par les batteries de Bachelu et fusillés par le 108e de ligne resté en réserve, les bataillons anglais durent s'arrêter à leur tour et regagner au plus vite leurs premières positions. Dans leur retraite, ils soutinrent les charges des 1er et 6e chasseurs (division Piré). Les tirailleurs furent sabrés, mais les bataillons, rapidement ployés en carrés, ne se laissèrent point entamer. Le carré du 28e, abordé sur deux faces, semblait près de se rompre. Picton ranima ses soldats en criant : — 28e, rappelez-vous l'Egypte ![34]

Les 42e (highlanders) et 44e, qui formaient la droite de Pack, furent moins heureux. Les lanciers de Piré, galopant à la poursuite des Brunswickois, aperçurent les habits rouges en bataille à l'angle des deux routes ; ils piquèrent droit sur eux et les rompirent sans toutefois les culbuter. Baïonnettes contre lances, une furieuse mêlée s'engagea ; le drapeau du 44e fut pris et repris. Le colonel de Galbois avec le 6e lanciers perça jusqu'à la route de Namur, où il mit en pièces un bataillon hanovrien[35].

 

III

Pour seconder son attaque, Ney comptait sur les 20.000 hommes du comte d'Erlon qui ne pouvaient tarder à déboucher de Frasnes. Mais par un enchaînement de fatalités ou plutôt par la conséquence logique de retards dans les dispositions préparatoires, d'ordres mal compris et mal exécutés, de contre-ordres inopportuns, ce corps d'armée tout entier allait lui manquer comme il avait manqué à Napoléon.

Le matin, d'Erlon avait concentré ses cinq divisions à Jumet (une demi-lieue en arrière de Gosselies) où il était de sa personne depuis la soirée de la veille avec les divisions Durutte et Donzelot[36]. Le corps de Reille sur lequel il devait serrer ne bougeant pas de Gosselies, il attendit des instructions. Un peu avant onze heures, il reçut l'avis de Reille de se préparer à suivre le mouvement du 2e corps ; Reille l'informait d'ailleurs que lui-même resterait dans sa position jusqu'à nouvel ordre[37]. D'Erlon ne pouvait qu'en faire autant. Vers midi et quart, l'ordre de Ney de se porter à Frasnes lui fut transmis, soit directement, soit par l'intermédiaire de Reille[38] ; mais pour se mettre en marche, il dut attendre l'écoulement de tout le 2e corps qui précédait le sien. La division Jérôme n'ayant guère quitté ses bivouacs, au sud du bois de Lombuc, avant une heure[39], la tête de colonne du 1er corps ne put arriver à Gosselies qu'entre une heure et demie et deux heures. Là, d'Erlon arrêta ses troupes jusqu'au retour d'une forte reconnaissance qu'il avait envoyée de Jumet sur Chapelle-Herlaymont où la présence d'un corps anglo-belge, menaçant sa gauche, lui était faussement signalée par des paysans[40]. Malgré l'ordre de Ney, de onze heures, rédigé d'après les instructions de l'empereur, de huit heures, il négligea ou différa de porter à Marbais une de ses divisions. Il comptait probablement détacher cette division vers ce village dès qu'il aurait atteint Frasnes[41]. On ne se remit en marche que sur les trois heures.

Entre quatre heures et quatre heures et quart, la moitié de la colonne avait dépassé la Voie romaine quand d'Erlon fut rejoint par le colonel de Forbin-Janson, de l'état-major impérial[42]. Forbin-Janson était parti de Fleurus un quart d'heure après l'officier chargé de la dépêche de Soult, mais en prenant la traverse de Mellet il avait gagné près d'une heure sur celui-ci[43]. Il portait un ordre de l'empereur prescrivant au comte d'Erlon de diriger le 1er corps sur les hauteurs de Saint-Amand pour fondre sur Ligny[44].

Ardent à seconder les vues de l'empereur, le général d'Erlon ordonna aussitôt de faire tête de colonne à droite[45]. Malheureusement, il avait mal lu cet ordre, griffonné au crayon et que Forbin-Janson, officier de faveur, sans aucune idée des combinaisons de la guerre, ne put lui expliquer[46]. L'ordre portait : sur la hauteur de Saint-Amand ; d'Erlon avait lu ou compris : à la hauteur de Saint-Amand. En conséquence, au lieu de prendre la direction Brye-Ligny pour attaquer les Prussiens à revers, il prit la direction Saint-Amand-Fleurus[47] de façon à prolonger la gauche de l'empereur. Ce mouvement allait précisément à l'encontre des instructions de Napoléon. Aussi peut-on s'expliquer en une certaine mesure que l'empereur, informé qu'une colonne s'avançait, menaçant son flanc gauche, n'ait pas pensé à d'Erlon, qu'il n'attendait nullement sur ce point, et qu'il ait pris cette colonne, comme Vandamme l'avait fait lui-même, pour un corps anglais ou prussien.

C'était une inconséquence de l'empereur d'avoir confié un ordre d'une telle importance à un officier d'état-major aussi inexpérimenté que le comte de Forbin-Janson. Jusqu'à l'année 1814, où il leva dans la Nièvre un corps de partisans qui fut à peine engagé en de petites escarmouches, Forbin-Janson n'avait point servi. En 1815, l'empereur l'introduisit dans l'armée avec le grade de colonel et l'attacha à son état-major. Il n'avait nulle connaissance du service d'aide de camp. Non, seulement il ne sut donner aucune explication à d'Erlon sur le mouvement prescrit, mais quand il lui eut transmis l'ordre, soit qu'il eût mal compris ou oublié la recommandation subsidiaire de l'empereur, soit pour toute autre cause, au lieu d'aller communiquer cet ordre au maréchal Ney, il rejoignit à vive allure, comme il avait eu du moins le mérite de venir, l'état-major impérial[48].

Le prince de la Moskowa n'apprit le mouvement de d'Erlon que par le général Delcambre, chef d'état-major du 1er corps. Tandis qu'il cheminait sur la Voie romaine avec ses troupes, d'Erlon, pris de scrupules, avait dépêché cet officier au maréchal pour l'informer de sa marche vers l'autre champ de bataille[49]. Ney s'emporta[50]. Sa colère s'accrut encore, quand peu d'instants après arriva l'officier porteur de l'ordre de Soult, daté de trois heures et quart : Vous devez manœuvrer sur-le-champ de manière à, envelopper la droite de l'ennemi et à tomber à bras raccourcis sur ses derrières. Cette armée est perdue si vous agissez vigoureusement. Le sort de la France est dans vos mains. Ainsi n'hésitez pas un instant pour faire le mouvement que l'empereur vous ordonne et dirigez-vous sur les hauteurs de Saint-Amand et de Brye[51]. Voyant grossir les masses ennemies — la tête de colonne de la division Alten débouchait des Quatre-Bras[52] —, Ney comprenait de plus en plus qu'il lui faudrait leur opposer toutes ses forces. En outre, au moment même où la lettre de l'empereur lui suggérait la belle manœuvre par laquelle l'armée prussienne pouvait être exterminée, il reconnaissait l'impossibilité de l'opérer. Ney se trouvait sous le feu d'une batterie ; les projectiles battaient la terre et ricochaient autour de lui. On l'entendit s'écrier : — Ah ! ces boulets anglais, je voudrais qu'ils m'entrassent tous dans le ventre ![53]

Exaspéré, aveuglé par la colère, Ney ne réfléchit pas que le 1er corps ne pourrait plus arriver en temps utile à Frasnes, et que l'y rappeler c'était traverser les plans de Napoléon et contrevenir de la façon la plus grave à sa volonté[54]. Il renvoya le général Delcambre avec l'ordre impératif pour d'Erlon de ramener les troupes à l'aile gauche[55].

 

IV

Et cependant ces mots de la lettre de Napoléon : Le sort de la France est dans vos mains, troublaient et fascinaient le maréchal. Ce mouvement, qu'il prescrivait à d'Erlon d'interrompre, il n'abandonnait pas tout à fait l'idée de l'exécuter lui-même. Peut-être par un effort désespéré pourrait-il encore, malgré la disproportion des forces, rejeter les Anglais au-delà des Quatre-Bras, et, une fois maître de ce point, opérer contre l'armée prussienne avec l'aide de d'Erlon, revenu sur ses pas, la manœuvre décisive qu'attendait l'empereur ? Toutes les troupes avaient été engagées, sauf les cuirassiers de Kellermann et la cavalerie de la garde. Il fit appeler Kellermann :

Mon cher général, lui dit-il d'une voix précipitée, il s'agit du salut de la France ! Il faut un effort extraordinaire. Prenez votre cavalerie, jetez-vous au milieu des Anglais. Ecrasez-les, passez-leur sur le ventre !

L'intrépide Kellermann n'avait jamais discuté un ordre de charger. Il crut cependant devoir représenter à Ney qu'on pouvait évaluer les Anglo-hollandais à plus de 25.000 hommes, et qu'il n'avait avec lui qu'une seule brigade de cuirassiers, ses trois autres brigades étant restées en arrière, d'après les ordres mêmes du maréchal.

Qu'importe ! s'écria Ney. Chargez avec ce que vous avez. Passez-leur sur le ventre. Je vous fais suivre par toute la cavalerie ici présente... Partez !... Mais partez donc ![56]

Kellermann n'avait plus qu'à obéir. Il rejoignit la brigade Guiton (8e et 11e cuirassiers), la forma en colonne par escadron, chaque escadron à distance double de son front, et l'amena au grand trot jusqu'au sommet du rideau qui s'élève entre Gémioncourt et les Quatre-Bras. Là, il cria le commandement, aussitôt répété de la tête à la queue de la colonne : Pour charger... au galop !En avant... Marche ! Je me hâtai, dit-il dans son rapport à Ney, afin de ne pas donner à mes hommes le temps de se reconnaître ni d'envisager toute l'étendue du danger.

Les trompettes sonnent la charge. Dans une irradiation d'acier et un jaillissement de mottes de terre que font sauter les sabots des chevaux, les cuirassiers dévalent en avalanche. A chaque foulée, l'allure s'accélère. Le sol tremble et poudroie. Les hommes du premier rang, penchés sur l'encolure, tiennent la pointe tendue, les autres brandissent leurs lattes étincelantes. Kellermann, l'épée au clair, charge à vingt pas en avant de l'escadron de tête.

Dans le vallon, les quatre bataillons de la brigade fraîche de Colin Halkett sont rangés en bataille ou formés en carrés. Immobiles, résolus, effrayants de calme, les Anglais attendent, réservant leur feu. Le 69e régiment, posté en première ligne, entre le bois de Bossu et la route, tire seulement à trente pas. Les cuirassiers passent à travers les balles et la fumée comme l'éclair dans la nuée. Ils abordent le 69e, l'enfoncent et l'écrasent et prennent son drapeau. Ils chargent ensuite le carré du 30e, culbutent le 33e. Puis, sans laisser souffler leurs chevaux, ils gravissent la contre-pente, sabrent en passant les canonniers d'une batterie, rompent un carré de Brunswick et pénètrent jusqu'aux Quatre-Bras[57].

La première et la seconde lignes de l'ennemi sont percées, une brèche sanglante y est ouverte. Malheureusement, les cuirassiers ne sont pas soutenus. Brusqué par Ney qui a semblé douter de sa résolution, Kellermann a fourni sa charge trop tôt. L'esprit toujours troublé par sa colère contre d'Erlon, le maréchal a mal coordonné cette suprême attaque, il a tardé à envoyer des ordres, il a oublié la cavalerie de la garde en réserve près de Frasnes[58]. Les colonnes d'infanterie, les lanciers et les chasseurs de Piré commencent seulement à s'ébranler[59], tandis que les deux régiments de cuirassiers, réduits à 500 hommes, désunis par l'impétuosité même de la charge, et leurs chevaux hors d'haleine, se trouvent seuls au milieu de l'armée de Wellington. Ils sont au sommet d'un triangle de feux, fusillés du bois de Bossu par les Hollandais, des remblais de la route de Namur par les Anglais, des maisons des Quatre-Bras par les tirailleurs de Brunswick, et mitraillés de la route de Bruxelles par les batteries du major Kulmann. Le comte de Valmy culbute sous son cheval tué[60]. C'est le signal de la débandade. En vain il se relève et veut reformer ses escadrons, les cuirassiers n'écoutent plus ses commandements. Ils tournent bride, enfoncent leurs éperons dans le ventre des chevaux, et, par petits groupes, en désordre, mais toujours la pointe menaçante, ils retraversent sous une grêle de balles les deux lignes ennemies, rapportant comme trophée le drapeau du 69e anglais[61].

Ces cavaliers, affolés et lancés à une allure vertigineuse, bousculent et entraînent dans leur fuite plusieurs bataillons de la division Foy et de la brigade Bauduin. Bachelu, qui s'avance de Piraumont, voit de loin la déroute et arrête aussi son mouvement. Seule, la cavalerie de Piré pousse encore à l'ennemi. En un temps de galop, elle est sur les bataillons de Kempt. Les carrés anglais lui opposent leurs baïonnettes et leurs feux flanquants. C'est sans effet que lanciers et chasseurs multiplient les charges[62].

A ce moment, le commandant Baudus, envoyé par l'empereur, rejoignit le maréchal Ney, qui, ayant eu deux chevaux tués, se tenait à pied au point le plus exposé. Baudus lui transmit les paroles de Napoléon : Il faut absolument que l'ordre donné au comte d'Erlon soit exécuté, quelle que soit la situation où se trouve le maréchal Ney. Je n'attache pas grande importance à ce qui se passera aujourd'hui de son côté. L'affaire est toute où je suis, car je veux en finir avec l'armée prussienne. Quant au prince de la Moskowa, il doit, s'il ne peut faire mieux, se borner à contenir l'armée anglaise[63]. Ney, fou de colère, la face pourpre, brandissait son épée comme un fou[64]. Il écouta à peine les paroles de Baudus, et s'écria qu'il venait d'envoyer à d'Erlon l'ordre de regagner Frasnes. Baudus s'efforça en vain de le faire revenir sur cette détermination. Le maréchal le quitta brusquement pour se jeter au milieu de son infanterie en déroute. Il la rallia vite et la mena contre la brigade Pack, qui s'avançait offensivement[65].

De six à sept heures, Wellington a reçu de nouveaux renforts : l'artillerie de Brunswick, les brigades de gardes anglaises Maitland et Byng, les Nassaviens de Kruse[66]. A son tour d'attaquer, d'attaquer à coup sûr, comme il l'aime faire. Maitland et Byng s'engagent dans le bois de Bossu ; Halkett et Pack, soutenus par les corps de Brunswick et de Nassau marchent à la droite et à la gauche de la route dans la direction de Gémioncourt ; les Anglais de Kempt et les Hanovriens de Kielmansegge convergent vers Piraumont. Les Français ne cèdent le terrain conquis que pied à pied et sous des attaques réitérées. Il faut plus d'une heure pour refouler Jérôme hors du bois de Bossu. Foy, repoussé de position en position jusqu'à Gémioncourt, tient longtemps encore autour de cette ferme. Bachelu n'abandonne Piraumont qu'après un vif combat. Passé huit heures, un bataillon de Maitland ayant débouché de la corne sud-ouest du bois pour reprendre Pierrepont, la batterie divisionnaire de Foy l'arrête par son feu, puis les infatigables lanciers de Piré le chargent, le mettent en désordre et le poursuivent jusqu'au ruisseau de Gémioncourt ; il échappe en rentrant sous bois. En même temps, les cuirassiers culbutent le 7e bataillon belge au nord-ouest de Pierrepont[67]. Partout les amas de morts et la foule des blessés témoignent de la fureur de la lutte : 4.300 Français[68] et 4.700 Anglo-néerlandais[69].

A neuf heures, la bataille perdue ou plutôt terminée sans résultat, car les deux armées avaient repris les positions qu'elles occupaient le matin[70], le 1er corps déboucha de Frasnes[71].

Rejoint vers six heures, à une grande portée de canon de Saint-Amand, par le général Delcambre[72], d'Erlon avait hésité entre les premières instructions de l'empereur et l'ordre impératif de Ney[73]. Malgré l'avis des généraux de Salle et Garbé, et au grand mécontentement des soldats qui voyaient les Prussiens et brillaient de les aborder[74], il s'était enfin déterminé à une contre-marche. Je jugeai, dit-il, que pour me rappeler malgré la volonté de Napoléon, le maréchal devait être dans un extrême péril[75]. Mais d'Erlon ne réfléchit point que, se trouvant à trois kilomètres de Fleurus et à trois lieues des Quatre-Bras, il était à même d'aider très efficacement l'empereur, tandis qu'il ne pourrait arriver à temps pour secourir Ney. En effet, quand il atteignit Frasnes, à la nuit tombante, avec ses troupes irritées et honteuses de n'avoir rien fait dans cette journée[76], le maréchal n'avait plus besoin d'elles.

Le comte d'Erlon ne ramenait que trois divisions. L'idée lui étant venue au début de la contre-marche qu'il fallait combler le vide entre l'aile droite et l'aile gauche, il avait laissé Durutte en vue de Wagnelée avec la 4e division d'infanterie et la cavalerie de Jacquinot. Durutte n'ayant pu obtenir d'ordres précis de d'Erlon, sauf la recommandation d'être prudent, se porta lentement entre Villers-Perwin et Wagnelée. Au nord-ouest de ce dernier point, Jacquinot escarmoucha vers huit heures avec la cavalerie du général de Marwitz, qui couvrait la droite de Blücher. Un peu plus tard, Durutte se rabattit sur Wagnelée qu'il occupa après en avoir débusqué une faible arrière-garde. Ces pointes contre le flanc des Prussiens ne furent poussées ni assez à temps ni assez à fond pour contrarier en quoi que ce fût la retraite de l'armée vaincue[77]. A Wagnelée, cependant, Durutte avait très bien vu les Prussiens se replier du Hameau et de la Haye sur les hauteurs de Brye. Impassible, il les laissa défiler à portée de son canon. Il était paralysé par les instructions de d'Erlon, qui lui avait recommandé la prudence. Un des brigadiers de Durutte, le général Brue, irrité de cette inaction, s'écria : — Il est inouï que l'on assiste j'arme au bras à la retraite d'une armée battue, quand tout indique qu'il ne faudrait que l'attaquer pour la détruire. — Il est fort heureux, répondit Durutte, que vous ne soyez pas responsable. — Plût à Dieu que je le fusse ! répliqua Brue. Nous serions déjà aux prises[78].

 

 

 



[1] 1° Lettre de Soult, 5 heures ; — 2° du même, 7 ou 8 heures ; — 3° de Napoléon, 8 heures et demie ; — 4° de Soult, 10 heures ; — 5° du même, 2 heures ; — 6° du même, 3 heures un quart ; — 7° duplicata de cette dernière lettre, 3 heures et demie ; — 8° ordre porté par le colonel de Forbin-Janson, 3 heures et demie ; — 9° ordre verbal porté par le commandant Baudus, 5 heures.

[2] Gourgaud, 67-68. Napoléon, Mém., 180, 181. Cf. Relation du général Delort (Papiers du général G.) et relation du général Kellermann. (Arch. Guerre.)

[3] Grouchy, lui, avait pris ses dispositions, même sans nouveaux ordres, pour marcher de bon matin sur Sombreffe, selon les instructions que, la veille, il avait reçues de l'empereur. Ney aurait pu agir de même.

On a objecté que Ney avait revu l'empereur dans la nuit, au quartier-impérial de Charleroi, et que celui-ci lui avait sans doute prescrit d'attendre de nouveaux ordres.

Mais le colonel Heymès, dont le témoignage est suspect et dont la brochure fourmille d'erreurs, est seul parmi les contemporains à mentionner la visite du maréchal à Napoléon. D'autre part, cette excursion nocturne de Ney à Charleroi me parait au moins douteuse, pour plusieurs raisons :

1° Le maréchal ayant adressé un rapport à l'empereur vers t heures n'avait nul besoin d'aller, deux heures plus tard, lui faire verbalement un nouveau rapport ;

2° Dans la nuit et en présence de l'ennemi, Ney eût agi contre tous les règlements militaires, s'il eût quitté son corps d'armée pour aller se promener à 2 lieues en arrière ;

3° De Beaumont à Charleroi, de Charleroi au-delà de Frasnes et de Frasnes à Gosselin, Ney avait fait 13 lieues à cheval. Il est peu probable qu'il en ait fait encore 4 (aller et retour), en pleine nuit, sans aucune nécessité puisqu'il avait envoyé un rapport à l'empereur.

Autres questions : Pourquoi dans les lettres de l'empereur du 16 juin n'y a-t-il aucun blâme contre Ney de n'avoir pas occupé les Quatre-Bras le 15 ? Vraisemblablement parce que, dans son rapport, Ney avait allégué la nuit, la fatigue des troupes, etc., et avait ajouté qu'on pourrait s'emparer des Quatre-Bras d'un moment à l'autre, sans difficulté, cette position étant très faiblement occupée.

Pourquoi dès la nuit, au reçu du rapport, l'empereur n'écrivit-il pas à Ney de marcher sur les Quatre-Bras de bonne heure, au lieu d'attendre le lendemain pour lui en envoyer l'ordre ? Sans doute parce que, d'après le rapport même de Ney, il croyait celle position faiblement occupée ou déjà même évacuée par l'ennemi, et jugeait en conséquence que déjà on en était virtuellement maître. Dans les premiers ordres du 16 juin à Ney, l'occupation, et même l'occupation sans combat, des Quatre-Bras ne semble pas faire question pour Napoléon. Ney lui-même, comme on va le voir, crut toute la matinée ne rencontrer aux Quatre-Bras qu'une résistance insignifiante. A fortiori, il en avait jugé ainsi dans la nuit, et il avait rédigé son rapport en ce sens.

[4] Soult à Ney, Charleroi, 16 juin. (Registre du major-général.) — Cette lettre ne porte pas d'indication horaire, mais nous savons que Ney la reçut vers 6 heures et demie, puisque la réponse qu'il y fit est datée de 7 heures.

[5] Ney à Soult, Gosselies, 16 juin, 7 heures. (Papiers du général G.)

[6] Les troupes n'avaient pas encore pris les armes à. 10 heures du matin, puisque, dans sa lettre de 10 heures et quart à Ney (Arch. Guerre), Reille dit : ... J'aurais commencé mon mouvement sur Frasnes aussitôt que mes divisions auraient été sous les armes.

[7] Relation de Reille. (Arch. Guerre.)

[8] Rapport du prince d'Orange, 17 juin. (Papiers du général G.) Van Löben, 184-186.

[9] Colonel Répécaud, Napoléon à Ligny et Ney aux Quatre-Bras, 17.

Répécaud a entendu ces paroles de la bouche de Ney, non pas même à 10 ou 11 heures, mais, ce qui est plus surprenant encore, vers 2 heures au moment de l'attaque.

[10] Napoléon, Correspondance, 21058.

Nous savons par la lettre de Flahaut au duc d'Elchingen (Documents inédits, 63) qu'il partit de Charleroi à 9 heures au plus tard, et par la lettre de Reille à Ney (16 juin, 10 heures et quart, Arch. Guerre) qu'il arriva à Gosselies vers 10 heures. Or, Gosselies étant, à 300 mètres près, à mi-chemin de Charleroi (maison Puissant) à Frasnes, Flahaut dut arriver à Frasnes vers 11 heures, comme le dit d'ailleurs Heymès (12). — Remarquons en passant que Flahaut ne se pressait guère ; il faisait tranquillement sur un cheval frais ses deux petites lieues à l'heure !

[11] Ordre de Ney, Frasnes, 16 juin (entre 11 heures et 11 heures et demie. Arch. Guerre, Armée du Nord). — Dans cet ordre, Ney dispose de la 2e division (Girard), car il ignore encore que l'empereur va s'en servir à l'aile droite. Il fait confusion entre la 1re division de cavalerie et la 2e. C'est la 2e (Piré, du corps de Reille) qui évidemment doit éclairer Reille, et la 1re (Jacquinot, du corps de d'Erlon) qui doit marcher avec d'Erlon. D'ailleurs, c'est ainsi que les choses se passèrent.

[12] La conclusion qui ressort de la lecture de cet ordre est confirmée par le témoignage précité du colonel Répécaud. Répécaud dit plus loin : Le maréchal supposait que la position était faiblement occupée.

[13] ... Une division à 2 lieues en avant des Quatre-Chemins, s'il n'y a pas d'inconvénient ; 6 divisions autour des Quatre-Chemins ; 1 division à Marbais. Napoléon, Corresp., 22058. Cf. la lettre de Soult, à peu près identique (Registre du major-général) et que Ney dut recevoir quelques instants après celle de l'empereur.

[14] Relation de Reille. (Arch. Guerre.)

[15] Reille à Ney, Gosselies, 16 juin, 10 heures et quart. (Arch. Guerre, Armée du Nord.)

Jomini, tout en constatant (p. 274) que cet incident fut un malheur, dit (p. 283) : Reille obéit à un raisonnement logique fondé sur les lois de la grande tactique, car il devait supposer que l'aile gauche serait appelée là où se montrerait l'ennemi et que ce serait un malheur si, après les renseignements de Girard, il s'engageait sur la route de Genappe quand il faudrait se rabattre sur Brye. — Ce système de défense ne tient pas debout : 1° Si les généraux en sous-ordre obéissaient aux lois de la grande tactique au lieu d'obéir aux ordres qu'ils reçoivent, ce serait dans les armées une singulière confusion ; 2° En s'engageant sur la route de Genappe, Reille ne risquait qu'une chose, c'était précisément de se rapprocher de Brye ; 3° Dans sa lettre, Napoléon disait bien qu'il pourrait appeler à lui une division de l'aile gauche, mais cette division devait déboucher de Marbais et non de Gosselies. Or, à Frasnes, où Reille aurait dû se diriger tout de suite, il se serait trouvé plus près de Marbais qu'il n'en était à Gosselies. Il faut cependant lire attentivement les documents avant de porter un jugement !

Ce qui paralysa Reille, ce fut la crainte pour lui-même des masses prussiennes signalées par Girard comme débouchant de la route de Namur. Craintes chimériques et raisonnement mal fondé. Reille sachant par la lettre de l'empereur qui venait de lui être communiquée que celui-ci marchait sur Sombreffe par Fleurus, il était évident que les Prussiens avaient pour objectif non point lui, Reille, mais Napoléon.

[16] Il y a 2 lieues de Frasnes à Gosselies, et l'ordre de Ney fut envoyé à 11 heures et quart au plus tôt. — Reille dans sa Relation dit que ses divisions de tête commencèrent l'attaque vers 2 heures. Foy dans son rapport du 17 (Reg. de Corresp.) dit aussi que sa division fut formée en avant de Frasnes à 2 heures.

[17] Sur cette lettre, motivée par le rapport d'un officier de lanciers et envoyée par Soult vers 10 heures.

[18] Répécaud, 17. — Comme je l'ai déjà fait remarquer, cette assertion est absolument confirmée par l'ordre de marche de Ney précité.

[19] Brigades Bylandt et Saxe-Weimar. Situation du 12 juin, citée par van Löben, 69. — A midi, Perponcher n'avait même que 7.000 hommes, car le 7e bataillon de ligne n'arriva de Nivelles qu'entre 2 heures et 2 heures et demie. (Van Löben, 193.)

[20] Ce bois a été défriché ainsi que le bois de la Hutte qui s'étendait à 1.200 mètres à la droite de la route, entre Frasnes et Villers-Perwin.

[21] Van Löben, 185-188.

[22] Notes journalières de Foy, Frasnes, 17 juin (comm. par le comte Foy). Cf. Relat. de Reille (Arch. Guerre) et les paroles de Ney au colonel Répécaud, citées précédemment.

Reille faisait allusion à la tactique ordinaire des Anglais dans les guerres d'Espagne, où Wellington ne démasquait ses forces qu'au moment de l'attaque décisive de l'ennemi.

[23] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Rapport de Foy, Frasnes, 17 juin. (Registre de corresp. de Foy.) Cf. Siborne, I, 100 : Vers 2 heures, Ney prit ses dispositions d'attaque. Voir aussi l'ordre précité de Ney et la Relation de Kellermann (Arch. Guerre), lequel confond d'ailleurs Frasnes et Liberchies.

[24] Lettre de Foy à Guilleminot, 20 octobre 1815. (Registre de corresp. de Foy, communiqué par le comte Foy.)

[25] Relation de Reille. Rapport de Foy. (Registre de correspondance.) Van Löben, 190-106. Siborne, I, 101-102.

Ney aurait pu mieux répartir ses forces. La division Bachelu et la cavalerie de Piré eussent parfaitement suffi à attaquer Gémioncourt et Piraumont, laissant disponibles la première brigade de Foy pour marcher vers le bois, et la seconde pour former réserve.

[26] Une note du Supplément à la Correspondance de Wellington (X, 525) fixe le retour du duc à 3 heures. Müffling (C. de W., 11) dit également : Vers les 3 heures. Van Löben, Damitz, Siborne, Chesney s'accordent sur ce point.

[27] Müffling, Aus meinem Leben, 205. Cf. Wellington à lady Webster, Waterloo, 18 juin, 3 heures du matin. (Suppl. Dispatches, X, 501.)

[28] Le rapport de Wellington (Dispatches, XII, 478) dit que la division Picton déboucha à 2 heures et demie. C'est inexact, car nous savons que Wellington ne revint pas de Brye avant 3 heures, et, d'après le témoignage de Müffling, Aus meinem Leben, 205 (cf. C. de W., 11), on ne peut douter que le retour du duc n'ait précédé l'arrivée de Picton. Siborne (I, 104) dit de son côté : Wellington revint un peu avant l'arrivée de Picton. Quant à la brigade van Merlen, van Löben, qui a écrit d'après les Archives hollandaises, dit (196-197) qu'elle atteignit les Quatre-Bras en même temps que la division Picton.

[29] Lettres d'officiers des brigades Kempt et Pack. (Waterloo Letters, 353, -T5, 373, 377.) Siborne, I, 102.

[30] Siborne, I, 10f-105. Damitz, I, 197. Cf. Van Löben, 197-198, qui dit que ces pièces furent reprises plus tard.

[31] Relation de Reille. Rapport de Foy. Mém. du roi Jérôme, VII, 67. Lettre du prince de Saxe-Weimar, Waterloo, 19 juin. Van Löben, 204.

[32] Du moulin de Fleurus à la hauteur de Pierrepont (point où devait se trouver Ney sur la route de Bruxelles) par Ransart et Gosselies, il y a 20 kilomètres 500 mètres, sur un bon chemin dont les pentes sont douces. On peut donc admettre que, sans presser son cheval, l'officier porteur de l'ordre dut aller d'un train de 10 ou 11 kilomètres à l'heure. — Dans les Documents inédits (41), le duc d'Elchingen fixe à 4 heures l'arrivée de cette lettre.

[33] Van Löben, 203-204. Relation de Reille. Mémoires du roi Jérôme, VII, 69-75, Müffling, Aus meinem Leben, 10. Damitz, 198-199. Siborne, 109-117. — D'après une tradition rapportée dans les Mémoires de Jérôme, Brunswick aurait été blessé pendant qu'il haranguait la tête de colonne du 1er léger, pour l'engager à abandonner la cause de l'empereur. Le fait paraît peu probable, étant donnée surtout la haine que le duc de Brunswick avait vouée à tous les Français.

[34] Relation de Reille (Arch. Guerre.) Lettres d'officiers des brigades Kempt et Pack. (Waterloo Letters, 348, 353-354, 358, 373-374.) Siborne, I, 111-112.

Ces mots : Rappelez-vous l'Égypte ! étaient une allusion à la bataille de Ramanieh (21 mars 1801), où le 28e anglais résista aux charges désespérées de la cavalerie du général Roize.

[35] Lettres d'officiers de la brigade Pack. (Waterloo Letters, 376-370, 381.) Siborne, 117-122. Cf. Damitz, I, 197-198. — Le 42e eut en un instant son colonel tué et 284 hommes hors de combat. Galbois reçut une balle en pleine poitrine ; il resta à cheval et combattit le surlendemain à Waterloo.

[36] D'Erlon à Soult, Jumet, 15 juin. (Arch. Guerre.) Cf. l'ordre de Delcambre (Marchienne, 17 juin, 3 heures du matin) de mettre immédiatement en marche la division Marcognet, de façon qu'elle soit rendue à Gosselies au plus tard à 6 heures du matin. (Arch. Guerre.) — Des ordres analogues furent certainement envoyés à la division Allix, qui se trouvait encore à Thuin, et à la deuxième brigade de Jacquinot arrêtée à Sobray. Ainsi, il n'est pas douteux que tout le 1er corps fut concentré autour de Jumet dans la matinée du 16 juin.

[37] Reille à Ney, Gosselies, 16 juin, dix heures et quart. (Arch. Guerre.)

[38] D'Erlon au duc d'Elchingen, 9 février 1829. (Documents inédits, 64.)

[39] On a vu que la tête de colonne de Reille, mise en route vers midi, n'arriva à Frasnes que vers 1 heure et demie, et que la division Jérôme n'y arriva que vers 3 heures. Il y a 2 lieues de Gosselies à Frasnes.

[40] Lettre de d'Erlon à Soult, Gosselies, 16 juin [sans indication horaire, — entre 1 heure et 3 heures —]. (Papiers du général G.)

[41] Sur quel témoignage Thiers (XX, 123) nous conte-t-il que d'Erlon avait dirigé la division Durutte sur Marbais dès 11 heures du matin, mais qu'elle fut rappelée une heure après par Ney aux Quatre-Bras ? Il n'y a pas un mot de cela dans la Relation de Durutte ni nulle part ailleurs.

[42] Cf. Extrait des Souvenirs du général De Salle, commandant l'artillerie du 1er corps (Nouvelle Revue, 15 janvier 1895), les notes manuscrites du colonel Baudus, la relation de Durutte.

[43] De Fleurus au croisement de la route de Bruxelles et de la Voie romaine, il y a 15 kilomètres et demi par Ransart et Gosselies ; par la traverse de Mellet, il n'y a que 8 kilomètres.

L'officier porteur de l'ordre de Soult prit évidemment par Gosselies, car Gamot (Réfut., 16-17) dit que Ney ne reçut cet ordre qu'après avoir été informé du mouvement de d'Erlon, et Kellermann dit que cet ordre ne parvint pas au maréchal avant 5 heures et demie. Or Forbin-Janson, bien que parti une demi-heure après l'autre officier, mais ayant pris la traverse, arriva près de d'Erlon plus d'une heure avant que l'officier ne rejoignît Ney.

Une autre preuve, c'est que si Forbin-Janson avait suivi l'itinéraire Ransart-Gosselies, il aurait pu communiquer à d'Erlon l'ordre de l'empereur au plus tôt avant 4 heures trois quarts, auquel cas le 1er corps n'aurait pu être vu vers 5 heures, à une lieue à vol d'oiseau de Saint-Amand, par le général Vandamme.

[44] Souvenirs précités du général De Salle, commandant l'artillerie du 1er corps :

Pendant que nous serrions lentement sur le 2e corps, arriva, par un sous-officier de la garde, une lettre de l'empereur ainsi conçue :

Monsieur le comte d'Erlon, l'ennemi tombe tête baissée dans le piège que je lui ai tendu. Portez-vous sur-le-champ avec toutes vos forces à la hauteur de Ligny et fondez sur Saint-Amand. Monsieur le comte d'Erlon, vous allez sauver la France et vous couvrir de gloire.

Napoléon.

De Salle ajoute : N'ayant pas la carte de Belgique sous les yeux, il est possible que je transpose les noms des villages. Je crois même que c'était Saint-Amand pour tomber sur Ligny. A cela près, je suis certain de ne pas me tromper.

Ces derniers mots indiquent que De Salle a reconstitué cette lettre de mémoire. Est-ce donc bien le texte exact ? En tout cas, il y a confusion dans la phrase : Portez-vous à la hauteur de Ligny pour fondre sur Saint-Amand. L'empereur, dont le plan était de faire attaquer les Prussiens en arrière de leur droite (voir les lettres précitées de Soult à Ney), avait évidemment écrit non point : Portez-vous à la hauteur de Ligny, mais : Portez-vous sur la hauteur de Ligny, ou plutôt il avait écrit, comme l'a rectifié De Salle : Portez-vous sur la hauteur de Saint-Amand et fondez sur Ligny. (Voir la lettre de Soult à Ney.) Sauf cette confusion dans la citation de De Salle, — confusion que dut faire aussi d'Erlon et qui explique son faux mouvement, — si ce n'est pas le texte même de l'ordre, c'en est du moins le sens.

Le témoignage du général De Salle, que l'ordre de l'empereur fut adressé directement à d'Erlon, est confirmé par onze autres témoignages. Je les cite dans l'ordre de date :

1° Soult à Ney, Fleurus, 17 juin 1815 (Registre du major-général) : Si le comte d'Erlon avait exécuté le mouvement sur Saint-Amand que l'empereur a prescrit, l'armée prussienne était totalement détruite.

2° Soult à. Davout, Fleurus, 17 juin (Arch. Guerre) : Le comte d'Erlon a eu de fausses directions, car, s'il eût exécuté l'ordre de mouvement que l'empereur lui a donné, l'armée prussienne était entièrement perdue.

3° Cahier de notes journalières du général Foy (comm. par le comte Foy). Note datée de Genappe, 18 juin 1815, au matin : L'empereur a fait des reproches au comte d'Erlon, de ce que son corps ne s'est pas porté entier sur Marbais dans la journée du 16.

4° Lettre du maréchal Ney au duc d'Otrante. Paris, 26 juin 1815 (Journal de l'Empire, 29 juin) : J'allais faire avancer le 1er corps quand j'appris que l'empereur en avait disposé.

5° Notes du colonel Simon-Lorière, sous-chef d'état-major de Gérard (Arch. Guerre) : Des ordres furent donnés au 1e, corps, de se porter sur Brye.

6° Gamot, beau-frère de Ney, Réfutation en ce qui concerne le maréchal Ney (1819), p. 16 : Le maréchal savait déjà par le colonel Laurent (porteur de l'ordre au crayon) qu'il ne devait plus compter sur le comte d'Erlon ; p. 19 : Le mouvement du comte d'Erlon a eu lieu par la volonté positive de Napoléon. J'en ai le témoignage de celui qui l'a porté, le colonel Laurent.

7° Fleury de Chaboulon, présent à Ligny comme attaché au cabinet de l'empereur, Mémoires sur les Cent Jours (1820), II, 157 : L'empereur avait ordonné directement au comte d'Erlon de venir le rejoindre avec le 1er corps.

8° Colonel Baudus, de l'état-major de Soult (notes communiquées par son petit-fils, M. de Montenon) : ... Au moment où l'affaire était fortement engagée sur toute la ligne, l'empereur me dit : J'ai envoyé ordre au comte d'Erlon de se diriger, avec tout son corps d'armée, en arrière de la droite de l'armée prussienne. Vous allez porter au maréchal Ney le duplicata de cet ordre qui a dû lui être communiqué. Vous lui direz que, quelle que soit la situation où il se trouve, il faut absolument que cet ordre soit exécuté... J'arrivai près du maréchal. Il était fort exalté, car, lorsqu'il avait voulu faire avancer d'Erlon, ce général ayant reçu directement l'ordre de l'empereur s'était mis en marche pour s'y conformer.

9° Relation du général Durutte, divisionnaire de d'Erlon (écrite avant 1827, année de la mort du général, et publiée dans la Sentinelle de l'Armée, 8 mars 1838) : L'empereur fit donner l'ordre au comte d'Erlon d'attaquer la gauche (la droite) des Prussiens et de tâcher de s'emparer de Brye. Le 1er corps passa près de Villers-Perwin pour exécuter ce mouvement.

10° Colonel Heymès, aide de camp de Ney, Relation de la Camp. de 1815 (1829), p. 14 : Le colonel Laurent, envoyé du grand quartier-impérial, vint informer le maréchal Ney que le 1er corps, par un ordre de l'empereur qu'il avait transmis au général d'Erlon, se portait dans la direction de Saint-Amand.

11° Petiet, de l'état-major de Soult, Souvenirs militaires (1844), p. 199 : L'empereur envoie en toute hâte chercher le 1er corps, et le maréchal Ney ne l'apprend que lorsqu'il est en marche.

A la vérité, d'Erlon rapporte les choses un peu différemment. Dans sa lettre au duc d'Elchingen (Documents inédits, 64), il dit : Je pris l'avance sur ma colonne et arrivai à Frasnes. J'y fus rejoint par le général La Bédoyère, qui me fit voir une note au crayon qu'il portait au maréchal Ney et qui enjoignait à ce maréchal de diriger son corps d'armée sur Ligny. La Bédoyère me prévint qu'il avait déjà donné l'ordre pour ce mouvement en faisant changer de direction à ma colonne, et m'indiqua où je pourrais la rejoindre. Je pris aussitôt cette route.

Et dans sa Vie militaire (95) d'Erlon a écrit : L'empereur envoya un officier au maréchal Ney pour lui dire de diriger le 1er corps sur Ligny, afin de tourner l'aile droite prussienne. Cet officier rencontra la tête du 1er corps, et avant d'avoir transmis les ordres à Ney, fit prendre à cette colonne la direction de Ligny. Vers les quatre heures, m'étant porté en avant, sans aucune connaissance de la nouvelle direction que venait de prendre mon corps d'armée, et l'ayant ensuite appris indirectement, je m'empressai de le rejoindre.

On voit qu'entre ces deux récits de d'Erlon il y a contradiction flagrante dans les détails ; mais ils concordent sur deux points : le premier, que le 1er corps fut dirigé sur Ligny à l'insu de d'Erlon ; le second, que l'ordre de l'empereur était adressé à Ney et non à d'Erlon, et que c'est par un excès de zèle de l'officier chargé de le transmettre qu'il fut d'abord communiqué au 1er corps.

Tous les témoignages précités démentent ces deux assertions également intéressées. Il est visible que d'Erlon s'efforce de dégager sa responsabilité. Le mouvement qui paralysa si fatalement le 1er corps comprend une marche et une contre-marche. D'Erlon veut démontrer qu'il n'est pas responsable de la marche, puisque ses généraux se dirigèrent vers la droite sans lui en référer. Il plaide aussi non coupable pour avoir exécuté la contre-marche prescrite par Ney, puisque l'ordre ayant été adressé non à lui, d'Erlon, mais à Ney, l'empereur l'avait par cela même implicitement laissé sous le commandement du maréchal auquel il devait en conséquence continuer d'obéir. Là, il semble, est le double motif des témoignages embarrassés et inexacts du comte d'Erlon.

Reste à savoir pourquoi l'empereur a nié ou plutôt passé sous silence, dans les dictées de Sainte-Hélène, l'envoi de l'ordre à d'Erlon (ordre dont l'existence, on l'a vu, est prouvée, sans parler des dix autres témoignages, par deux lettres de Soult du 17 juin). Gourgaud, c'est-à-dire Napoléon, dit (p. 69) : Napoléon ne put se rendre raison d'un pareil mouvement ; et (p. 67) : Les mouvements du 1er corps sont difficiles à expliquer. — Comment ? difficiles à expliquer ! Mais le lendemain de la bataille, l'empereur ne put pas ne point en demander et en obtenir l'explication. Baudus, Ney, d'Erlon lui-même, étaient là pour le renseigner. Sans doute l'empereur n'a pas voulu reconnaitre qu'il avait manqué de coup d'œil et de réflexion sur le champ de bataille de Ligny, quand déconcerté jusqu'au trouble par la fausse direction du corps de d'Erlon, que lui-même venait d'appeler, il l'avait pris pour un corps ennemi.

[45] Relations précitées de De Salle et de Durutte. Cf. notes de Baudus.

[46] Notes de Baudus. — Gamot et Heymès disent que cet officier était le colonel Laurent ; — De Salle dit : un maréchal des logis de la garde ; — D'Erlon (première relation) : le général La Bédoyère (ce qui est impossible, car nous savons par Petiet (Souv. mil., 198) qu'à 5 heures La Bédoyère était près de l'empereur). Deuxième relation : un officier de l'état-major impérial.

Les notes de Baudus, si détaillées et si précises sur ce point, ne laissent aucun doute que c'était Forbin-Janson.

[47] Des relations de Durutte et de De Salle et de l'avis envoyé par Vandamme à Napoléon vers 5 heures et quart, qu'on voyait une colonne ennemie à une lieue sur la gauche, débouchant des bois et ayant l'air de se porter sur Fleurus, on doit inférer que la colonne de d'Erlon prit à travers champs entre Villers-Perwin et la Voie romaine, rejoignit la Voie romaine près du chemin qui longe le moulin de Chassart et s'engagea ensuite sur ce chemin dans la direction de Fleurus. De l'embranchement de ce chemin avec la Voie romaine, au point, devant Saint-Amand, où se trouvait Vandamme, il y a juste une lieue à vol d'oiseau. Les bois d'où la colonne semblait déboucher étaient les bois de Villers-Perwin, aujourd'hui défrichés.

[48] Notes manuscrites de Baudus (comm. par M. de Montenon).

[49] Notes manuscrites de Baudus. Lettre de d'Erlon au duc d'Elchingen (Docum. inéd.) et d'Erlon, Vie militaire, 295. Cf. La lettre de Ney au duc d'Otrante, 26 juin : J'appris que l'empereur avait disposé du Ier corps sans m'en prévenir. — On ne peut croire Gamot, très confus (16), et Heymès, presque toujours inexact (14), quand ils disent que Ney fut averti par le colonel Laurent de l'état-major impérial ; ou il faudrait admettre que Laurent était chargé d'un duplicata. Comme on l'a vu, la dépêche originale au crayon fut portée par Forbin-Janson, qui négligea de la transmettre à Ney.

[50] Une heure plus tard, dit Baudus (notes précitées), Ney était encore dans la plus violente exaspération.

[51] De la Réfutation de Gamot (16-117), il ressort que la dépêche de Soult de 3 heures et quart parvint à Ney, quand celui-ci savait déjà, le mouvement du 1er corps. Delcambre dut rejoindre Ney vers cinq heures et l'officier de Soult arriver quelques minutes plus tard.

Gamot fait d'ailleurs confusion en disant que la dépêche de Soult fut apportée par Forbin-Janson. Forbin-Janson était porteur, non de la dépêche de Soult, mais de l'ordre au crayon de l'empereur, et après avoir communiqué cet ordre à d'Erlon il était revenu directement à Fleurus. Ce qui explique la confusion de Gamot, c'est que l'on vit Forbin-Janson près de Ney, sur le champ de bataille des Quatre-Bras, mais bien après la charge des cuirassiers. De retour à Fleurus, vers 5 heures, il avait de nouveau été envoyé à Ney par l'empereur, peu satisfait de la façon dont il avait rempli sa mission, avec un duplicata ou plutôt un triplicata de l'ordre au crayon. L'empereur lui avait même fait donner un cheval frais, le sien étant à moitié fourbu par le premier trajet. Dans ses notes manuscrites, Baudus donne sur tous ces points les détails les plus précis.

[52] Lettres d'officiers de la brigade Halkett (Waterloo Letters, 320-323, 326, 333, 334), etc. Lettre d'Alten au duc de Cambridge, Bruxelles, 20 juin. (Papiers du général G.) — La brigade anglaise Colin Halkett s'avança en colonnes de compagnie dans la direction de Gémioncourt, tandis que la brigade hanovrienne de Kielmansegge vint prolonger la gauche de Picton, face à Piraumont.

[53] Pontécoulant, 121. Fleury de Chaboulon, II, 157. — Baudus (notes manuscrites) rapporte que, une heure plus tard, Ney s'écria plusieurs fois en sa présence : Comment, il n'y aura pas une balle ou un boulet pour moi !

[54] Jomini allègue pour la défense de Ney, sans pourtant l'excuser tout à fait, que n'ayant que le seul corps de Reille, le maréchal pouvait craindre de ne pouvoir couvrir jusqu'au soir la tête de la route de Charleroi, ligne de retraite de toute l'armée. C'est bien dit, mais puisque tout de même d'Erlon ne pouvait revenir à temps !

Le duc d'Elchingen (Docum. inéd., 66) a fait remarquer que d'Erlon, s'étant engagé dans une fausse direction, le mouvement ne pouvait avoir les grands résultats qu'en attendait l'empereur. Mais il est peu probable que Ney sût dès lors que le 1er corps faisait fausse route, et, s'il le savait, il devait faire indiquer à d'Erlon par Delcambre la vraie direction, au lieu de le rappeler à Frasnes.

[55] D'Erlon, lettre au duc d'Elchingen (Docum. inéd., 64), et Vie militaire, 95. Relations de Durutte et de De Salle.

Ney (dans sa Lettre au duc d'Otrante) et ses apologistes Heymès et Gamot se gardent bien de parler de cet ordre.

[56] Relation de Kellermann. (Arch. Guerre.) — Sur les trois brigades postées à Liberchies, voir l'ordre de Ney, Frasnes, 16 juin, 11 heures et quart ou 11 heures et demie. (Arch. Guerre.)

[57] Rapport de Kellermann à Ney, près Frasnes, 16 juin, 10 heures du soir. Relation de Kellermann. Kellermann à Grouchy, 16 juin (au soir). Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Woodberry, Journal, 310. Lettres d'officiers de la brigade Halkett. (Waterloo Letters, 318-319, 322-323, 324, 335, 337.) Cf. les Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 277, où il est dit que le lendemain de la bataille un des carrés restait visiblement tracé sur le sol par les cadavres.

La plupart des auteurs anglais nient que la charge ait été poussée jusqu'aux Quatre-Bras, mais le témoignage de Kellermann est confirmé par le capitaine d'artillerie Mercer. Il rapporte (Journal of the Waterloo Campaign, I, 263) qu'arrivé dans la nuit du 16 au 17 il vit des cadavres de cuirassiers juste en face la grande ferme des Quatre-Bras, sur la route qui borde cette ferme.

[58] Le duc d'Elchingen dit (Doc. inéd., 35) que Ney avait l'ordre de l'empereur de ne pas se servir de cette division. En admettant que l'ordre verbal du 15 fût tel (l'ordre écrit du 16 prescrit seulement de ménager la garde et d'employer de préférence la cavalerie de la ligne), Ney y avait absolument contrevenu. Le 15, c'est la cavalerie de Lefebvre-Desnoëttes de préférence à celle de Piré, qui était pourtant disponible, qu'il avait dirigée sur Frasnes et jetée, sans nul scrupule de la ménager, contre les bataillons de Nassau. — Il n'est même pas bien certain que cette division n'ait pas été engagée partiellement le 16 aux Quatre-Bras, au début du combat. Damitz (I, 197) lui attribue la charge de 3 heures contre le 5e bataillon de milice. A la vérité, Colbert (lettre communiquée par le général de Colbert) dit que la division de la garde est restée en réserve le 16, mais nous savons qu'il a été cependant blessé d'une balle ; et dans les notes (comm. par M. de Stuers), le chef d'escadrons de Stuers, des lanciers rouges, sans bien préciser le rôle de sa division pendant cette journée, rapporte qu'elle y a eu 50. hommes hors de combat. La question reste donc douteuse.

En tout cas, mieux valait employer cette division que de la placer dans une position où sans aucune utilité elle perdit 50 hommes. Il eût mieux valu encore l'envoyer dès midi à Liberchies et appeler à Frasnes les trois brigades de Kellermann.

[59] Kellermann le dit formellement, non seulement dans sa relation, mais dans son rapport à Ney, daté de 10 heures du soir. C'est donc une grave erreur de Charras et d'autres que de représenter comme simultanées la charge des cuirassiers et celle des lanciers et chasseurs.

[60] Le général Guiton et le colonel Garavaque furent également démontés. — Quand ils avaient affaire à la cavalerie cuirassée, les Anglais tiraient de préférence aux chevaux. Lettre du sergent Mac Eveen, du 42e higlanders. (Waterloo Letters, 378.)

[61] Rapport de Kellermann, 16 juin. Kellermann à Grouchy, 17 juin. Relation de Kellermann. Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Woodberry, Journal, 310. Siborne, I, 144. Lettres d'officiers des brigades Kempt et Pack. (Waterloo Letters, 359, 378. 380.)

[62] Mémoires du roi Jérôme, VII, 78-79. Siborne, I, 148-150. Lettres d'officiers de la brigade Kempt. (Waterloo Letters, 344, 354, 359.)

[63] Notes manuscrites du colonel Baudus (comm. par M. de Montenon). Ces notes, qui, comme nous l'avons dit, n'ont été reproduites que partiellement dans les Etudes sur Napoléon du colonel Baudus, sont tellement circonstanciées, tellement précises que, bien qu'elles soient en contradiction sur quelques points avec d'autres récits qui, d'ailleurs, sur les détails et sur les noms, sont loin de concorder entré eux, on ne peut douter de leur véracité. C'est à juste titre que Baudus a pu écrire : Personne ne connaît mieux que moi les circonstances qui firent que le 1er corps d'armée ne fut utile dans la journée du 15 ni au maréchal Ney ni à l'empereur.

[64] Notes de Baudus. Lettre du général F... (comm. par M. X...).

[65] Notes de Baudus. Cf. lettre du major du 92e higlanders. (Waterloo Letters, 387.) Siborne, I, 148-141

[66] Lettres d'officiers des brigades Maitland et Byng. (Waterloo Letters, 241, 252, 258.) Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington. (Nineteenth Century, mars 1803). Rapport d'Allen au duc de Cambridge, Bruxelles, 20 juin. (Papiers du général G.) Siborne, I, 152.

[67] Lettres d'officiers des brigades Maitland, Byng, Halkett et Pack. (Waterloo Letters, 241-242, 251, 270, 319, 387, 388, etc.) Siborne, I, 154-158. Mém. du roi Jérôme, 79. Relation de Reille (Arch. Guerre.) Souvenirs d'un vieux soldat belge, 83. Van Löben, 209.

[68] Relation de Reille. (Arch. Guerre.)

[69] Anglo-Hanovriens : 2.911. (Wellington, Dispatches, XII, 486.) — Brunswick, Kruse et van Merlen environ 1.100. (Etats cités par Charras, I, 252.) — Perponcher : 667. (Van Löben, 207.)

[70] A la différence pourtant que l'ennemi s'établit en forces sur les positions où il n'avait le matin que des détachements, et aussi que les Français conservèrent la ferme du Grand-Pierrepont prise aux Nassaviens au début du combat. Voir le plan de la bataille à 9 heures du soir dans les Letters of Waterloo.

[71] Relation de Reille (Arch. Guerre) et lettre de d'Erlon au duc d'Elchingen. (Documents inédits, 64.)

[72] Lettre de d'Erlon au duc d'Elchingen. Relation de Durutte. (Sentinelle de l'Armée, 1838.) Souvenirs du général De Salle. (Nouvelle Revue.)

Le 1er corps devait se trouver à environ 2.000 mètres à l'est de Saint-Amand et à 1.500 mètres au sud-ouest de Wagnelée. Ce point est bien dans la direction prise par d'Erlon, qui marchait, selon l'avis de Vandamme à l'empereur, des bois de Villers-Perwin sur Fleurus ; et la distance qui le séparait de Fleurus (3 kilomètres environ) peut expliquer comment l'officier envoyé par l'empereur mit une heure pour faire le trajet, reconnaitre la colonne, parler à d'Erlon ou au commandant de l'avant-garde et revenir près de Napoléon.

Nous savons en outre par Damitz (I, 139) que la cavalerie du 1er corps s'avança un peu plus tard entre Wagnelée et Mellet. Il semble donc qu'elle venait du point indiqué. Ce point est distant de Gémioncourt de 11 kilomètres. — Parti de Gémioncourt vers 5 heures et quart, Delcambre dut rejoindre d'Erlon vers 6 heures.

[73] De Salle, Souvenirs. Relation de Durutte. — Durutte parle d'instances de la droite qui embarrassèrent d'Erlon. Ces instances étaient-elles les conseils et les prières de l'officier qui, dépêché par l'empereur en reconnaissance et fort surpris d'ailleurs de rencontrer le 1er corps au lieu d'une colonne anglaise, pressait d'Erlon d'agir contre l'armée prussienne ? Cela est très vraisemblable. En tout cas, ce n'étaient pas de nouvelles instructions de l'empereur, car lui ne faisait pas d'instances : il donnait des ordres ; et si d'Erlon eût reçu alors un ordre de Napoléon, il y eût assurément obéi. Mais l'empereur ne lui en envoya pas, par la raison que la colonne s'approchant de son flanc lui était signalée comme ennemie et qu'il n'avait pas pensé que ce pût être le 1er corps.

[74] De Salle, Souvenirs. (Nouvelle Revue, 1895.) Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 277.

Durutte, dans des notes qui m'ont été communiquées par son petit-fils, le commandant Durutte, de l'armée belge, dit qu'il pouvait distinguer (à la lorgnette, sans doute), les numéros des sacs des Prussiens. La division Tippelskirch débouchait alors de Wagnelée pour se porter contre le Hameau et la Haye. Cela explique comment du point où se trouvait la tête de colonne de Durutte, à 390 ou 400 mètres au sud du moulin Chassait, on voyait les Prussiens de dos. Durutte, toutefois, fait erreur en parlant des numéros des sacs. Dans l'armée prussienne, les sacs n'étaient pas numérotés, mais la couleur en était différente pour les bataillons de chaque régiment, de façon que, même à une certaine distance, les chefs de corps pussent reconnaitre leurs bataillons. C'est donc de la couleur des sacs et non des numéros qu'a voulu parler Durutte.

[75] Lettre de d'Erlon au duc d'Elchingen. (Documents inédits, 64.)

[76] Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 277.

[77] Relation de Durutte. — Le récit de Durutte, un peu confus, est éclairé par le livre de Damitz, I, 141, 142. Wagner (IV, 35) confirme les renseignements de Damitz. Durutte prétend qu'il poussa deux bataillons sur Brye. C'est inexact. On verra plus loin que les Prussiens occupèrent Brye toute la nuit.

[78] Lettre du général Brue au capitaine Chapuis. Toulouse, 3 novembre 1837. (Citée dans le Journal des Sciences militaires, 2e trimestre de 1803.)