1815

LIVRE II. — LIGNY ET LES QUATRE-BRAS

 

CHAPITRE II. — LA BATAILLE DE LIGNY.

 

 

I

Face à la colline de Fleurus, s'élève en pente douce, au-delà d'une plaine ondulée, une ligne de hauteurs d'un très faible relief où sont situés, à l'ouest, le village de Brye, à l'est le village de Tongrinne, au centre et un peu en recul, le bourg de Sombreffe. Ces positions sont en elles-mêmes d'un accès facile. Mais à leur pied serpente dans des bas-fonds le ruisseau de la Ligne[1], large de quatre à cinq mètres, encaissé dans des berges verticales de trois à quatre pieds, bordé de saules, d'aulnes, de buissons de ronces. Ce ruisseau et le terrain raviné par où l'on y descend forment une profonde tranchée que flanquent à la droite les villages de Wagnelée, les hameaux de la Haye et du Petit-Saint-Amand et le village de Saint-Amand ; à la gauche, le hameau de Potriaux et de Tongrinelle, et les villages de Tongrinne, de Boignée et de Balâtre. Au centre, il y a le village de Ligny avec ses deux grandes fermes, son vieux château[2] et son église entourée d'un cimetière en contre-haut et clos de murs. Le front de la position se trouve ainsi constitué par un fossé continu et dix bastions, les uns en avant de ce fossé comme le Petit-Saint-Amand, la Haye, le Grand-Saint-Amand, Tongrinelle, Boignée, Balâtre, les autres en arrière comme Potriaux et Tongrinne. Le neuvième et le plus important, Ligny, est traversé dans toute sa longueur par le ruisseau.

Du moulin de Fleurus, observatoire de Napoléon, les positions prussiennes paraissaient moins fortes qu'elles ne l'étaient en réalité. L'empereur ne pouvait se rendre exactement compte du vallonnement. Les fonds ravinés où court le ruisseau de la Ligne échappaient à sa vue. Il lui semblait avoir devant lui une vaste plaine couverte de blés, légèrement déclive au centre et se relevant en pente douce jusqu'à l'extrême horizon, — un vrai paysage de Beauce. Il fit chercher le géomètre du bourg, un certain Simon, qui le renseigna du mieux qu'il put[3].

A midi, les quatre divisions de Zieten étaient encore seules en ligne avec la cavalerie de Rôder; les corps de Pirch Ier et de Thielmann commençaient à peine de se masser derrière Sombreffe et Tongrinne[4]. L'empereur estima justement qu'il n'avait en face de lui qu'un corps d'armée[5]. Il ne se méprit pas pour cela sur les intentions de Blücher. — Le vieux renard ne débuche pas, dit-il. Il conjectura que le feld-maréchal avait pris une position d'attente où il espérait imposer assez longtemps aux Français pour donner à ses autres corps d'armée et, selon toute prévision, à l'armée de Wellington, le temps de le rejoindre[6]. Si Blücher, en effet, avait eu pour objectif de défendre avec ses seules forces ses lignes de communication, il eût pris position perpendiculairement à la route de Fleurus. L'extension de sa droite vers Wagnelée révélait un plan de réunion avec l'armée anglaise en marche de Bruxelles.

Résolu à attaquer sur-le-champ, l'empereur fut très déconcerté d'apprendre que le corps de Gérard n'était point même en vue[7]. Il attendit. Sans doute, il croyait alors qu'un seul corps ennemi lui était opposé, et il avait dans la main le corps de Vandamme, les 1er et 2e corps de cavalerie, et, en seconde ligne, derrière Fleurus, la garde impériale. Mais il appréhendait, non sans raison, que ne survint, au cours de l'action, la masse de l'armée prussienne qui, très vraisemblablement, devait être en marche vers Sombreffe.

Un peu après midi, Gérard, qui avait devancé son corps d'armée, arriva sur la ligne des avant-postes avec une petite escorte. En cherchant l'empereur, il s'approcha à portée de carabine d'un poste de cavalerie ennemie. Les Prussiens chargèrent. Gérard, jeté à bas de son cheval, se trouva en grand danger d'être fait prisonnier ; il fut sauvé par l'un de ses aides de camp. Ayant rejoint l'empereur au moulin, il crut devoir dire quelques mots sur la désertion de Bourmont, qui n'avait obtenu un commandement qu'à ses pressantes sollicitations. Napoléon l'interrompit : — Je vous l'avais bien dit, général, qui est bleu est bleu et qui est blanc est toujours blanc ![8]

A une heure seulement, déboucha la tête de colonne de Gérard[9]. L'ordre de mouvement avait été envoyé avant huit heures ; et du Châtelet à Fleurus il y a dix kilomètres. Mais par suite de la non-exécution, dans l'après-midi de la veille, des instructions de l'empereur prescrivant d'établir le 4e corps sur la rive gauche de la Sambre, Gérard avait eu le matin à faire passer cette rivière sur un seul pont à la plus grosse fraction de ses troupes. De là, ce long retard dans la marche du 4e corps[10].

Il semble que l'empereur avait pensé d'abord à attaquer par Wagnelée et Saint-Amand afin de rejeter les Prussiens sur Sombreffe[11]. Mais la position en l'air de leur droite lui suggéra l'idée de les envelopper au lieu de les refouler. Pour cela, il modifia ses ordres antérieurs à Ney. D'après les instructions envoyées le matin, le maréchal devait s'établir aux Quatre-Bras et au delà, en attendant l'ordre de marcher sur Bruxelles[12]. A deux heures, il lui fit écrire par Soult : L'empereur me charge de vous prévenir que l'ennemi a réuni un corps de troupes entre Sombreffe et Brye, et qu'à deux heures et demie le maréchal Grouchy avec les 3e et 4e corps l'attaquera. L'intention de Sa Majesté est que vous attaquiez aussi ce qui est devant vous et qu'après l'avoir vigoureusement pressé vous rabattiez sur nous pour Concourir à envelopper le corps dont je viens de vous parler[13].

Le corps de Vandamme, celui de Gérard et la cavalerie de Grouchy étaient déployés en avant de Fleurus, perpendiculairement à la route. L'empereur ordonna un changement de front la droite en avant. Par cette manœuvre, Vandamme se rapprocha de Saint-Amand, Gérard s'avança à environ 1.000 mètres de Ligny, parallèlement à la route, Grouchy se posta en potence face à Boignée. La garde et les cuirassiers de Milhaud, laissés jusqu'à deux heures derrière Fleurus, vinrent se former en seconde ligne[14].

Du moulin de Bussy où il se trouvait encore à deux heures avec Wellington, Blücher avait fort bien vu le mouvement se dessiner. Il s'empressa de compléter son ordre de bataille. Le corps de Zieten, dont seuls quelques détachements occupaient jusqu'alors le front de défense, prit ainsi position : quatre bataillons de la division Steinmetz à La Haye et au Hameau (ou Petit-Saint-Amand), les six autres en soutien ; trois bataillons de la division Jagow à Saint-Amand, les sept autres sous le moulin de Bussy ; la division Henckel à Ligny, avec deux bataillons un peu en arrière; la division Pirch II échelonnée entre Brye et le moulin de Bussy. La cavalerie de Rôder se massa dans un pli de terrain, au nord du chemin de Ligny à Sombreffe, sauf le lei hussards de Silésie qui fut détaché avec une batterie légère à l'extrême droite, sur la Voie romaine, pour éclairer le flanc de l'armée. L'artillerie s'établit entre les villages, sur les pentes inférieures des coteaux. Saint-Amand, La Haye, Ligny avaient été fortifiés à la hâte ; mais on n'avait coupé aucun des ponts de la Ligne, Blücher voulant conserver ces débouchés pour le cas où il passerait à l'offensive.

Derrière cette première ligne, le corps de Pirch Ier — divisions Tippelskirch, Krafft, Brause et Langen et cavalerie de Jürgass — se tenait en réserve au nord de Brye, le long de la route de Nivelles. Le corps de Thielmann, qui formait la gauche prussienne, avait les divisions Luck et Kempher Potriaux, à Tongrinne, à Tongrinelle et à Balâtre, les divisions Borcke et Stülpnagel et la cavalerie de Hobe en réserve à Sombreffe et derrière Tongrinne[15].

Ce vaste déploiement n'échappa point non plus au regard vigilant de Napoléon. Jusque passé deux heures, tant que ses propres manœuvres n'avaient pas encore obligé Blücher à démasquer la totalité de ses forces, l'empereur avait cru n'avoir à combattre qu'une trentaine de mille hommes. L'extension du front ennemi, les masses qu'il voit en mouvement lui révèlent maintenant la présence d'une armée. Heureuse fortune! L'affaire sera rude, mais il va en finir en une seule journée avec Blücher. Il le tient ! car, dans quelques heures, Ney, prenant à revers la position de Brye, sonnera à coups de canon le glas de l'armée prussienne. — Il se peut que, dans trois heures, le sort de la guerre soit décidé, dit l'empereur à Gérard. Si Ney exécute bien ses ordres, il n'échappera pas un canon de celte armée ![16] A trois heures un quart, un second ordre plus pressant, plus impératif que le précédent fut envoyé à Ney : Je vous ai écrit il y a une heure, disait Soult, que l'empereur devait attaquer l'ennemi dans la position qu'il a prise entre les villages de Saint-Amand et Brye. En ce moment, l'engagement est très prononcé. Sa Majesté me charge de vous dire que vous devez manœuvrer sur-le-champ de manière à envelopper la droite de l'ennemi et à tomber à bras raccourcis sur ses derrières. Cette armée est perdue si vous agissez vigoureusement. Le sort de la France est dans vos mains. Ainsi, n'hésitez pas un instant pour faire le mouvement que l'empereur vous ordonne, et dirigez-vous sur les hauteurs de Saint-Amand et de Brye[17].

Au moment où Soult expédiait cet ordre, Napoléon reçut une lettre de Lobau, l'informant que d'après le rapport du colonel Janin, Ney avait aux Quatre-Bras environ 20.000 ennemis devant lui[18]. L'empereur réfléchit que ces 20.000 hommes pourraient faire une défense assez tenace pour empêcher le prince de la Moskowa d'opérer à temps le mouvement contre l'armée prussienne. Sa belle combinaison tactique risquait d'avorter. Il ne se flattait pas, comme on l'en a blâmé à tort, de gagner deux batailles le même jour. L'important pour lui, ce n'était point de remporter une demi-victoire sur Blücher et une demi-victoire sur Wellington ; c'était de contenir les Anglais et d'exterminer les Prussiens. L'empereur pensa que pour contenir les Anglais il suffirait à Ney du seul corps de Reille, et que pour tourner la droite de Blücher il suffirait du seul corps de d'Erlon. Il résolut de faire exécuter par ce général le mouvement précédemment prescrit à Ney et dont il attendait de si grands résultats. Il n'y avait point un instant à perdre. 11 envoya directement au comte d'Erlon l'ordre de se porter avec son corps d'armée en arrière de la droite de l'armée prussienne. Le colonel de Forbin-Janson, chargé de lui transmettre cet ordre, devait aussi le communiquer au maréchal Ney[19].

En même temps, l'empereur, voulant avoir toutes ses forces dans la main, fit écrire à Lobau, maintenu provisoirement à Charleroi, de marcher sur Fleurus[20].

 

II

La bataille était engagée. Vers trois heures, trois coups de canon tirés à intervalles égaux par une batterie de la garde ont donné le signal de l'attaque[21]. Sans daigner préparer l'assaut par son artillerie, Vandamme lance contre Saint-Amand la division Lefol. Sur l'air : La Victoire en chantant, joué par la musique du 23e, la division s'avance, formée en trois colonnes, précédées chacune d'un essaim de tirailleurs. Devant le front ennemi, le terrain, dépourvu de tout arbre, de toute haie, forme une nappe de blés mûrissants, hauts déjà de quatre à cinq pieds. La marche y est lente et pénible, et si les épis cachent à peu près les tirailleurs, les colonnes sont parfaitement visibles. C'est sur elles que les batteries dirigent leur tir; des boulets enlèvent des files de huit hommes. Les Prussiens, eux, sont à couvert, embusqués dans les maisons et derrière les remblais de terre et les haies vives qui enclosent les vergers. A cinquante mètres du village, les soldats de Lefol bondissent jusqu'aux premières clôtures. Les décharges à bout portant n'arrêtent point leur élan ; en moins d'un quart d'heure de furieux combat, l'ennemi est chassé des vergers, des maisons, du cimetière, de l'église. Mais les Prussiens de Jagow se rallient sur la rive gauche du ruisseau, et bientôt, soutenus par quatre bataillons de Steinmetz, ils se disposent à une contre-attaque. La batterie divisionnaire de Steinmetz tourne son feu contre Saint-Amand, où commencent plusieurs incendies, et le 24e régiment passe le ruisseau à La Haye pour prendre les Français en flanc. Vandamme fait déployer la division Berthezène à la gauche de Lefol, et, d'après les instructions antérieures de l'empereur il donne l'ordre à la division Girard, en position au nord de Wangenies, d'attaquer le Hameau et La Haye[22].

Pendant que Lefol a abordé Saint-Amand, la division Pédieux, du corps de Gérard, s'est portée contre Ligny en trois colonnes d'attaque, sous le feu des batteries prussiennes. La colonne de gauche et la colonne du centre enlèvent les haies et les clôtures des abords du village, puis elles se replient, décimées par la mousqueterie très drue et très rapide qui part du vieux château et des premières maisons. Le 30e de ligne, colonne de droite, pousse plus avant. Il s'engage dans le chemin creux que couronne la ferme de la Tour, bâtiment à murailles de forteresse d'où grêlent les balles ; il pénètre jusque sur la place de l'église. Là, le régiment, littéralement entouré d'ennemis embusqués dans les maisons, dans le cimetière, derrière les haies de saules du ruisseau, se trouve au centre d'un quadrilatère de feux. En un instant, toute la tête de colonne est foudroyée ; vingt officiers et près de cinq cents hommes tombent tués ou blessés. Les survivants se retirent en désordre et vont se rallier dans leur position primitive[23].

Deux nouvelles attaques ne réussissent pas mieux. Des batteries de 12 de la garde viennent renforcer l'artillerie de Gérard, qui n'a fait jusqu'alors que contrebattre l'artillerie ennemie. Elles ouvrent le feu sur Ligny. Les boulets effondrent les maisons, ricochent dans les rues ; les toitures de chaumes s'enflamment et croulent, allumant l'incendie sur dix points différents. Pour la quatrième fois, la division Pécheux, maintenant secondée par une brigade de la division Vichery, marche aux Prussiens. Dans un ardent combat, succession d'assauts contre chaque maison, les Français s'emparent de presque toute la partie haute du village[24].

Ligny se compose de deux rues parallèles à la Ligne et séparées par ce ruisseau : la rue d'En-Haut au sud, la rue d'En-Bas au nord. Entre les deux rues se trouvent quelques chaumières éparses, la place de l'église et une vaste prairie communale qui descend en glacis jusqu'à la Ligne. Débusqués de la ferme de la Tour et de la rue d'En-Haut, les Prussiens reprennent position dans le cimetière, dans l'église, dans les maisons de la place. Les soldats de Pédieux s'avancent vaillamment sous les feux croisés. Les uns se ruent dans les maisons, les autres escaladent les talus du cimetière. A ce moment, un gros d'ennemis qui s'est rallié à l'abri de l'église charge les Français désunis par ces assauts multiples. C'est sur la petite place, trop étroite pour le nombre des combattants, une poussée terrible, un corps-à-corps sans quartier, un abominable carnage. On se fusille à bout portant, on frappe à coups de baïonnette, à coups de crosse, à coups de poing. Les hommes s'égorgeaient, dit un officier prussien, comme s'ils avaient été animés d'une haine personnelle. Il semblait que chacun vît dans celui qui lui était opposé un mortel ennemi, et qu'il se réjouît de trouver l'occasion de se venger. Personne ne songeait à fuir ni à demander quartier[25].

Les Prussiens finissent par plier. Ils abandonnent les maisons, l'église, le cimetière et se retirent en mauvais arroi par les deux ponts de la Ligne. On les poursuit la baïonnette aux reins. Plus d'un est précipité dans le lit bourbeux du ruisseau. Sur la rive gauche, cependant, l'ennemi, renforcé par les deux derniers bataillons de la division Henckel, se reforme et fait tête. Des Prussiens tirent des haies et des touffes de saules qui bordent le ruisseau, tandis que d'autres tirent, par-dessus leurs camarades, des maisons de la rue d'En-Bas et des meurtrières pratiquées dans les murs de la grosse ferme de la rive gauche. Malgré ce terrible feu en étages, des soldats du 30e et du 93e franchissent les ponts et repoussant les tirailleurs contre les maisons. Mais Jagow amène quatre bataillons au secours de Henckel. Les Prussiens rejettent les assaillants sur la rive droite ; ils tentent même de repasser les deux ponts. C'est au tour des Français de défendre le ruisseau. On se fusille d'un bord à l'autre, à quatre mètres, à travers la fumée. Il fait un temps d'orage dont la chaleur suffocante ajoute encore à celle des coups de feu et des incendies allumés par les obus. Ligny est une fournaise. Dans les bruits du combat, on entend les cris horribles de blessés qui brûlent vifs sous les décombres en flammes[26].

Grouchy, de son côté, a commencé son attaque contre la gauche prussienne. Sa cavalerie a chassé de Boignée les postes ennemis, et la division Hulot, du corps de Gérard, passée sous son commandement immédiat, menace Tongrinelle et tiraille devant Potriaux avec les Prussiens de Luck[27].

Sur tous les points, de nouvelles batteries entrent en action, la fusillade se précipite. Depuis La Haye jusqu'à Tongrinelle, on combat sur les deux rives de la Ligne d'où s'élève, comme d'un fleuve infernal, un rideau de feu et de fumée.

 

III

Sur les quatre heures, l'action s'est encore étendue à l'ouest. Girard a lancé sa division contre le Hameau et La Haye. L'assaut est si prompt, si résolu, si ardent, que les Prussiens terrifiés lâchent pied presque sans coup férir[28]. Blücher, solide à son centre, intact à sa gauche, voit sa droite débordée. Il veut la dégager par une vigoureuse contre-attaque. Il lui faut à tout prix se donner de l'air de ce côté, car c'est par là qu'il compte déboucher plus tard avec les Anglais, dont il attend toujours le concours. Le feld-maréchal n'hésite point à dégarnir sa réserve. La division Pirch II, la seule du corps de Zieten qui ne soit pas encore au feu, marchera de Brye contre La Haye et Saint-Amand, tandis que la cavalerie de Jürgass, du corps de Pirch Ier, et la division Tippelskirch, du même corps, en tout 47 escadrons[29] et 9 bataillons, se porteront sur Wagnelée, d'où elles fondront sur le flanc des Français[30].

Formée en colonnes de bataillon, l'infanterie de Pirch II aborde à la baïonnette les soldats de Girard qui sont déjà sortis de La Haye pour tourner Saint-Amand, où les Prussiens de Steinmetz sont rentrés en forces et réoccupent plusieurs points. La division Girard plie sous l'attaque de ces troupes fraîches, se retire dans La Haye, et, après une lutte opiniâtre, abandonne la moitié de ce hameau. Avec un chef comme Girard, ce n'est pas pour longtemps. Il reforme dans la rue que balayent balles et boulets ses bataillons décimés et les précipite de nouveau contre l'ennemi. Lui-même les conduit, l'épée au clair. Il tombe blessé à mort, mais il voit ses soldats rejeter pour la seconde fois les Prussiens hors de La Haye, sur la rive gauche du ruisseau[31].

Le mouvement de flanc tenté par Jagow et Tippelskirch réussit moins encore que la contre-attaque de Pirch II. La division Habert et la cavalerie de Domon, que Vandamme avait jusqu'alors tenues en réserve, s'étaient déployées face à Wagnelée avec deux bataillons en tirailleurs dans les blés. La tète de colonne de Tippelskirch, avançant en ordre de marche, sans s'éclairer, fut surprise par la fusillade très nourrie et bien ajustée qui partit des blés. Elle se replia en désarroi, jetant la confusion parmi les bataillons qu'elle précédait et où se trouvaient beaucoup de recrues. Sans hésiter, Habert fit charger à la baïonnette ces troupes désunies et les refoula dans Wagnelée. Disséminée maladroitement et intimidée par les évolutions des chasseurs à cheval du général Doillon, la cavalerie de Jürgass prit à peine part à l'action[32].

Pendant ces combats, Blücher était descendu du moulin de Bussy pour diriger lui-même la suite de la manœuvre dont il se promettait un si beau résultat. Il arriva à petite portée de canon de La Haye, juste au moment où la division Pirch II en était chassée par l'effort mortel de l'intrépide Girard. Sans même laisser aux hommes le temps de reprendre haleine, Blücher ordonne à Pirch II de les ramener au feu et de réoccuper La Haye coûte que coûte. Ranimés par la présence du vieux Vorwärtz, les soldats poussent des hourrahs ! franchissent le ruisseau, pénètrent dans La Haye, baïonnettes croisées[33]. La division Girard, réduite de 5.000 à 2.500 hommes, son chef blessé à mort, ses deux brigadiers hors de combat (c'est le colonel Matis, du 82e de ligne, qui a pris le commandement), résiste désespérément. Forcée de céder au nombre, elle se retire de maison en maison, de verger en verger, de haie en haie jusqu'au Hameau où elle se masse et attend l'assaut. L'ennemi va lui laisser quelque répit, car les Français ont rejeté Tippelskirch dans Wagnelée, ils tiennent ferme à Saint-Amand, et ils occupent la moitié de Ligny. Blücher doit relever devant Saint-Amand la division Steinmetz qui a perdu la moitié de son effectif, envoyer des renforts à Henckel dans Ligny, donner le temps à Tippelskirch de se rallier à Wagnelée, et, en vue de la nouvelle manœuvre qu'il médite, porter au sud de Brye le corps de Pirch Ier[34].

L'empereur lui aussi prend ses dispositions pour le grand mouvement qui est son objectif depuis le début de la bataille. Il est cinq heures et demie ; il a écrit à Ney à deux heures : à six, il entendra le canon du maréchal tonner sur les derrières de l'armée prussienne. Alors, il lancera ses réserves, encore intactes, contre le centre ennemi, l'enfoncera, lui coupera la retraite vers Sombreffe, et le poussera l'épée dans les reins sous le fer et le feu de Vandamme et de Ney. Des soixante mille Prussiens de Zieten et de Pirch, pas un n'échappera[35].

La garde à pied et à cheval et les cuirassiers de Milhaud commencent déjà à se former pour l'attaque quand arrive un aide de camp de Vandamme, porteur d'une grave nouvelle. On signale à une lieue sur la gauche une colonne ennemie de vingt à trente mille hommes, paraissant se diriger vers Fleurus dans l'intention de tourner l'armée. Vandamme ajoute que les troupes de Girard, ayant reconnu ce corps comme ennemi, ont abandonné La Haye, et que lui-même va être contraint d'évacuer Saint-Amand et de battre en retraite, si la réserve n'arrive pas pour arrêter cette colonne[36].

Napoléon est troublé. Il a d'abord l'idée, comme Vandamme l'a eue aussi un instant, que la colonne est la division française qui, d'après ses ordres de huit heures du matin, a dû être portée par Ney à Marbais. Mais une division n'a pas vingt ou trente mille hommes, et des troupes qui se montrent au sud de Villers-Perwin ne peuvent déboucher de Marbais[37]. Est-ce donc Ney qui survient avec toutes ses forces, selon les nouvelles instructions envoyées à deux heures et renouvelées à trois ? ou est-ce d'Erlon qui arrive avec le ter corps, conformément à la dépêche expédiée à trois heures et demie ? Mais d'Erlon a comme Ney l'ordre de se rabattre par les hauteurs de Saint-Amand sur les derrières de l'ennemi et non de venir à Fleurus. Marcher sur Fleurus, c'est faire échouer le plan de l'empereur. Ni le maréchal Ney ni le comte d'Erlon n'ont pu tomber dans une pareille méprise D'ailleurs, Vandamme dit positivement que la colonne a été reconnue comme ennemie[38]. On est donc en présence d'un corps anglais qui aura passé à la droite de Ney, ou d'un corps prussien qui vient d'opérer par la Voie romaine et Villers-Perwin un vaste mouvement tournant[39]. L'empereur s'empresse d'envoyer un de ses aides de camp pour reconnaître la force et les intentions de la colonne ennemie. En attendant, il suspend le mouvement de la garde contre Ligny et lui fait reprendre sa première position devant le moulin de Fleurus, par régiments déployés. La division de jeune garde, de Duhesme, et les 2e, 3e et 40 chasseurs à pied de la garde, détachés de cette réserve, se portent au pas accéléré au soutien de Vandamme[40].

Il est grand temps qu'arrivent ces renforts. A peine remis d'une panique causée par l'approche de la colonne ennemie, sauve-qui-peut que le général Lefol n'a pu arrêter qu'en tournant ses propres canons contre les fuyards[41], le corps de Vandamme va avoir à subir une attaque d'ensemble de presque toute la droite prussienne. Un peu avant six heures, les batteries de réserve entrent en ligne et préparent l'assaut. Tippelskirch débouche de Wagnelée sur le hameau, sa droite appuyée par les nombreux escadrons de Jürgass. Les tirailleurs du 1er poméranien font un feu si vif et si nourri qu'en quelques instants ils épuisent leurs gibernes les hussards qui les flanquent leur apportent leurs propres cartouches. La division Pirch II, que secondent les troupes fraîches de la division Brause et d'une fraction de la division Krafft, assaillent Saint-Amand sur trois points. Les Français plient. Les débris de la division Girard abandonnent le Hameau ; Lefol et Berthezène cèdent tout le nord de Saint-Amand ; Habert recule jusqu'à sa première position, à la gauche de ce village. Du moulin de Bussy où il est retourné, Blücher voit le succès de ses troupes. Il peut se croire déjà maître du chemin de Fleurus et bientôt libre d'aller attaquer de flanc la réserve française, manœuvre qu'il médite depuis longtemps[42].

Mais la jeune garde de Duhesme s'avance au pas de charge. Elle dépasse la division Habert et aborde avec un entrain superbe les Prussiens de Tippelskirch. Ceux-ci, fort maltraités, se retirent partie dans Wagnelée, partie dans le Hameau. Contenue par les chasseurs de Domon et les lanciers d'Alphonse de Colbert, que l'empereur vient de porter de la droite à la gauche du champ de bataille, la cavalerie de Jürgass, peut seulement protéger la retraite de Tippelskirch sans rien tenter contre la jeune garde. L'inlassable division Girard, dont les quatre intrépides régiments, les 11e et 12e léger et 4e et 82e de ligne méritent bien d'être cités, Und encore sur le Hameau, d'où elle chasse les Prussiens pour la troisième fois. Lefol et Berthezène refoulent Pirch II hors de Saint-Amand. Les Français sont de nouveau maîtres de tout le terrain jusqu'aux premières maisons de La Haye[43]. Quels soldats ! écrit un royaliste émigré, présent à la bataille. Ce n'étaient plus les faibles débris d'Arcis-sur-Aube. C'était, selon le point de vue, une légion de héros ou de démons[44].

A l'aile droite, la cavalerie de Grouchy occupe Tongrinelle, et l'infanterie de Hulot attaque vigoureusement Potriaux[45]. Dans la fournaise de Ligny, les bataillons de braves fondent comme l'or au creuset. Gérard s'y est jeté avec sa dernière réserve, la deuxième brigade de Vichery. Blücher y a fait relever la division Henckel par la plus grosse fraction de la division Krafft. On combat toujours avec la même rage, Prussiens et Français passant et repassant tour à tour le ruisseau, pour la possession de l'église, du cimetière, de la ferme d'En-Bas et du château des comtes de Looz, où malgré l'incendie qui les gagne tiennent intrépidement deux compagnies de tirailleurs silésiens. Des soldats tombent d'épuisement. Krafft n'a plus l'espoir de résister longtemps. Il fait dire à Gneisenau que lui et Jagow vont être cernés dans Ligny. — Tenez encore une demi-heure, répond Gneisenau, l'armée anglaise approche[46]. Illusion ou mensonge ! car Blücher va recevoir ou a déjà reçu une dépêche de Müffling, l'informant que Wellington, aux prises avec tout un corps d'armée, ne pourra pas même lui envoyer un seul escadron[47].

Rien n'abat l'âme intrépide de Blücher. Si la lettre de Müffling contient une nouvelle désagréable, selon l'expression modérée de Grolemann, elle lui apprend du moins que Napoléon n'a pas toute son armée avec lui, comme il le croyait, et lui donne l'assurance de n'être point pris à revers, puisque Wellington contient le corps français détaché sur la route de Bruxelles. Il reçoit simultanément un avis de Pirch II et un avis de Thielmann, annonçant que l'attaque des Français semble mollir vers La Haye et vers Potriaux. Après s'être porté en avant, la vieille garde a repris sa première position. Cette contre-marche, qui a été vue du moulin de Bussy, semble indiquer au moins de l'hésitation chez l'empereur. C'est le moment d'agir si l'on ne veut laisser échapper la victoire. Blücher y a encore foi. Il se cramponne à l'idée de gagner la bataille à lui tout seul, en rejetant la gauche française sur le centre. Pour cela, il suffit que ses lieutenants conservent Ligny. Lui se chargera du reste. Il fait avancer ses dernières réserves, sauf deux bataillons qu'il poste à Brye et près du moulin. Il envoie à Ligny, pour renforcer Jagow et Krafft, une fraction de la division Langen, et mande à Thielmann d'y porter aussi la division Stülpnagel. Puis, prenant avec soi les derniers bataillons de Langen et les débris de la division Steinmetz, qui s'est retirée en seconde ligne vers cinq heures du soir, l'ardent vieillard (il avait soixante-treize ans) les conduit vers Saint-Amand[48].

Chemin faisant, il rallie tout ce qu'il rencontre de troupes qui quittent le feu : là une compagnie, ici une section, plus loin un groupe de fuyards. Avec ces sept ou huit bataillons, il rejoint les divisions épuisées de Brause, de Pirch II et de Tippelskirch, et ordonne une nouvelle attaque. — Mes hommes ont brûlé toutes leurs cartouches et vidé les gibernes des morts, lui dit Pirch ; ils n'ont plus un seul coup à tirer. — A la baïonnette ! lui crie Blücher. Et brandissant son sabre, poussant en avant son magnifique cheval blanc, don du Prince Régent d'Angleterre, il entraîne ses soldats électrisés. Suprême effort de braves à bout de forces ! Ils reprennent le Hameau, mais leur flot se brise contre la digue d'acier des 2e, 3e et 4e chasseurs de la garde, déployés par régiments à la gauche de Saint-Amand[49].

Les Prussiens sont rentrés en désarroi dans La Haye. Blücher espère du moins coucher sur ses positions. Il croit la bataille finie, car la nuit vient[50]. Ce n'est pas la nuit. A sept heures et demie, au solstice de juin, le soleil brille encore à l'horizon. C'est l'orage. De grands nuages noirs courent et s'amoncellent dans le ciel, couvrant d'une voûte d'ombre tout le champ de bataille. La pluie commence à tomber à grosses gouttes. Il tonne coup sur coup, avec violence, mais les grondements du tonnerre sont bientôt dominés par le fracas de l'effroyable canonnade qui retentit soudain vers Ligny[51].

 

IV

Vers six heures et demie[52], l'aide de camp envoyé pour reconnaître la force de la colonne ennemie qui débouchait des bois de Villers-Perwin sur le flanc de Vandamme, avait rapporté à l'empereur que cette colonne prétendue anglaise était le corps du comte d'Erlon[53]. Napoléon aurait pu s'en douter. Une fausse manœuvre, une confusion dans les ordres, une marche de travers ne sont point choses si rares à la guerre qu'il ne dût en admettre l'hypothèse. Déconcerté jusqu'au trouble par la direction menaçante de cette colonne, il n'avait point pensé au corps de d'Erlon, que lui-même, cependant, venait d'appeler sur le champ de bataille. Si sa présence d'esprit habituelle ne lui eût fait défaut, le mouvement manqué était encore exécutable. Il suffisait d'envoyer par l'aide de camp chargé de reconnaître la colonne l'ordre pressant à d'Erlon de manœuvrer pour tourner la droite prussienne. Napoléon n'y avait point songé. Et quand l'aide de camp revint près de lui, il jugea avec raison que le mouvement serait désormais trop tardif. Pour opérer cette marche enveloppante, il aurait fallu deux heures[54]. L'empereur, au reste, savait vraisemblablement par l'aide de camp que le 1er corps s'éloignait[55]. Ney, en péril, l'avait-il rappelé, ou d'Erlon, ayant reconnu qu'il avait pris une fausse direction, se portait-il à l'ouest de Wagnelée pour manœuvrer, selon l'ordre porté par Forbin-Janson, en arrière des lignes prussiennes ?

L'empereur prit vite son parti. Si par suite d'ordres mal compris ou mal exécutés, il lui semblait bien ne devoir plus compter sur la coopération d'une fraction de son aile gauche, du moins il était délivré de l'inquiétude où l'avait mis la présence sur son flanc de la colonne prétendue ennemie. Il redevenait libre d'agir. La victoire décisive qu'il rêvait depuis l'après-midi lui échappait, mais il pouvait tout de même gagner la bataille et rejeter Blücher loin de Wellington. Il donna ses ordres pour le dernier assaut[56].

Les batteries de réserve ouvrent le feu contre les coteaux qui dominent Ligny, la vieille garde se ploie en colonnes par division, les escadrons de service, la 2e division de cavalerie de la garde et les cuirassiers de Milhaud se forment pour l'attaque, le corps de Lobau débouche de Fleurus. La canonnade s'arrête, la charge bat, toute cette masse s'ébranle sous la chaude pluie d'orage aux cris de Vive l'Empereur ! La première colonne de la garde (2e, 3e et 4e grenadiers) pénètre à l'ouest de Ligny ; la deuxième (1er chasseurs et ter grenadiers) aborde ce village à l'est. Entraînés par Gérard, les soldats de Pédieux et de Vichery franchissent le ruisseau de la Ligne et arrachent enfin aux Prussiens la ferme d'En-Bas et toutes les maisons de la rive gauche. Les débris des divisions Jagow et Kraft et les bataillons de Langen tentent de se reformer sur les premières pentes, au-dessus du ravin. Mais Pécheux s'élance du milieu de Ligny suivi par Vichery et la première colonne de la garde; de la droite du village, débouchent le 1er grenadiers et le lei chasseurs, suivis par les cuirassiers de Milhaud ; de la gauche, avec l'empereur, s'avancent les escadrons de service et la grosse cavalerie de la garde. Les Prussiens lâchent pied sur tous les points. Pour marquer la rapidité et l'impression de cette irrésistible attaque, Soult écrivit à Davout : Cela a été comme un effet de théâtre[57].

Blücher arrive de La Haye au grand galop. La pluie a cessé, le vent chasse le reste des nuages[58]. Aux derniers rayons du soleil qui reparaît un instant au-dessus des coteaux de Brye, il voit ses troupes en pleine retraite, et, sur la large brèche faite à son front de bataille, les bonnets à poils de la vieille garde, les grenadiers à cheval hauts comme des tours, les dragons évoluant pour charger et, dans un étincellement, les trois mille cuirassiers de Milhaud.

Le vieux Blücher, selon le mot du major de Groleman, ne se regarde jamais comme vaincu tant qu'il peut continuer le combat. Pour arrêter les Français, il compte sur la cavalerie de Rôder, en réserve entre Brye et Sombreffe, sur les débris de la division Henckel qui, à six heures, a été relevée dans Ligny, et sur les divisions Stülpnagel et Borcke que Thielmann a dû détacher de son corps d'armée. Mais, en raison d'ordres mal interprétés, Henckel se trouve déjà près de Sombreffe et Stülpnagel est encore loin de Ligny. Quant aux troupes de Borcke, Thielmann ne peut se dégarnir de cette dernière réserve ; il est trop vivement pressé sur son front par Grouchy: la division Hulot a enlevé Potriaux et menace Sombreffe, les dragons d'Exelmans (brigade Burthe) ont culbuté la cavalerie de Lottum, lui ont pris ses canons et s'avancent vers la route de Namur[59]. Il ne reste plus de disponibles que les 32 escadrons de Röder. Blücher court à eux et commande de charger. Lutzow, le célèbre chef de partisans de la guerre de 1813, fonce avec le 6e uhlans sur un carré qu'il croit formé de gardes nationaux mobilisés, à cause de la disparité des uniformes[60]. C'est le 4e grenadiers de la garde. Les uhlans reçoivent un feu de file à petite portée qui couche par terre 83 hommes. Lutzow, renversé avec son cheval, est fait prisonnier. Une charge du 1er dragons et du 2e landwehr de la Courmache, une autre des uhlans de Brandebourg et des dragons de la Reine, une quatrième de tous les escadrons ensemble, ne réussissent pas mieux. Les unes sont repoussées par la vieille garde qui a relevé en première ligne les divisions de Gérard, les autres sont sévèrement ramenées par les dragons de la garde et les cuirassiers de Milhaud[61]. Jusqu'à la nuit close, escadrons prussiens et escadrons français tourbillonnent et s'entrechoquent sur les pentes des coteaux, devant les carrés de la garde qui avancent lentement mais sûrement vers le moulin de Bussy.

Atteint d'un coup de feu, le cheval de Blücher s'abat sur son cavalier. L'aide de camp Nostiz, qui charge aux côtés du feld-maréchal, le voit tomber et met pied à terre pour le secourir. Ils se trouvent au milieu des cuirassiers du 9e régiment qui culbutent les Prussiens et qui, dans l'obscurité, passent sans distinguer ces deux officiers. Peu d'instants après, les cuirassiers ramenés à leur tour repassent près d'eux, presque sur eux, sans les apercevoir davantage. Nostiz hèle des dragons prussiens. On dégage Blücher, tout meurtri et à demi-évanoui, de dessous son cheval, on le place sur un cheval de sous-officier, on l'emmène loin du champ de bataille dans le torrent des fuyards[62]. Ils sont innombrables. Le lendemain, on arrêta 8.000 d'entre eux à Liège et à Aix-la-Chapelle[63].

Le centre prussien était enfoncé et rompu. Hormis quelques bataillons qui se replièrent en ordre et résistèrent intrépidement aux cuirassiers de Delort, non soutenus malheureusement par la deuxième division du corps de Milhaud[64], toute l'infanterie fuyait en débandade. C'est grâce aux charges désespérées de la cavalerie de Röder, qui ralentirent la marche des Français, que Krafft, Langen et Jagow sauvèrent une partie de leur artillerie[65] et purent rallier les débris de leurs divisions entre Sombreffe et la Voie romaine. Mais, s'il y avait trouée au centre, l'ennemi conservait ses positions aux deux ailes. Zieten et Thielmann ne commencèrent à battre en retraite que lorsqu'ils eurent appris l'abandon de Ligny. Les Prussiens, massés autour de La Haye, gagnèrent à pas comptés les derniers sommets des coteaux, arrêtant par des retours offensifs l'infanterie de Vandamme quand elle les serrait de trop près ; leur arrière-garde se maintint à Brye jusqu'au lever du jour. Thielmann replia son corps en arrière de Sombreffe qu'il continua d'occuper pendant la nuit par un fort détachement. A neuf heures et demie, on tiraillait encore sur la ligne Brye-Sombreffe[66].

L'empereur rentra vers onze heures à Fleurus, où les 2e, 3e et 4e chasseurs de la garde furent rappelés de Saint-Amand[67]. Sauf ces trois régiments et les batteries de réserve, toute l'armée bivouaqua sur la rive gauche du ruisseau : le corps de Lobau, qui n'avait pas pris part à l'action, en première ligne, près du moulin de Bussy ; le corps de Vandamme en avant de La Haye ; le corps de Gérard, la vieille garde et la cavalerie de la garde, devant Ligny ; les cuirassiers de Milhaud à la droite de ce village ; la division Hulot et la cavalerie de Grouchy entre Tongrinne, Potriaux et Sombreffe. Face à Brye et face à Sombreffe, les grand'gardes françaises se trouvaient à petite portée de fusil des grand'gardes prussiennes. On se sentait si près de l'ennemi que, bien qu'en seconde ligne, les grenadiers de la garde bivouaquèrent sans feu, par bataillons en carrés[68].

Pendant la nuit, on commença à relever les blessés, mais les ambulances, trop peu nombreuses et mal organisées, ne pouvaient suffire à la tâche[69]. 12.000 Prussiens[70] et 8.500 Français[71] gisaient blessés ou morts dans la plaine et dans les villages transformés en charniers.

 

 

 



[1] De Wagnelée à Saint-Amand où il reçoit deux petits affluents, ce ruisseau est nommé le Grand-Ry ; de Saint-Amand au-delà de Tongrinne, on l'appelle la Ligne ou le Ligny.

[2] Le château des comtes de Looz, démoli aujourd'hui, était déjà à moitié en ruines en 1815.

[3] Traditions locales. — L'empereur reconnut alors que la position était très forte. (Gourgaud, 55.)

[4] Wagner, IV, 21. Damitz, I, 85, 90. Von Ollech, 120.

[5] L'empereur me charge de vous prévenir que l'ennemi a réuni un corps de troupes entre Sombreffe et Brye et qu'à 2 heures et demie le maréchal Grouchy avec les 3e et 4e corps l'attaquera. L'intention de S. M. est que vous attaquiez aussi ce qui est devant vous et qu'après l'avoir vigoureusement pressé vous rabattiez sur nous pour concourir à envelopper le corps dont je viens de vous parler. Soult à Ney, en avant de Fleurus, 16 juin, 2 heures. (Registre du major-général.)

Cette lettre, datée de 2 heures, dut avoir été dictée en substance par l'empereur un peu auparavant. Or, à ce moment-là, Napoléon avait toute raison de n'estimer encore les forces prussiennes qu'à un corps d'armée, car les IIe et IIIe corps quittèrent seulement vers 2 heures Sombreffe et Tongrinne pour se porter sur leurs positions. (Damitz, I, 100-101.)

Dans les récits de Sainte-Hélène (Gourgaud, 55, Napoléon, 90), il est dit à tort que Napoléon évalua les Prussiens à 80.000 hommes. Ces récits, très rapides, passent bien des détails et ne tiennent nul compte des heures. Oui, l'empereur évalua les Prussiens à 80.000 hommes, mais à 3 heures seulement, quand les IIe et IIIe corps furent entrés en ligne. Aussi lit-on dans une lettre subséquente de Soult à Ney, celle-ci datée de 3 heures un quart : Sa Majesté me charge de vous dire que vous devez manœuvrer sur-le-champ de manière à envelopper la droite de l'ennemi et à tomber à bras raccourcis sur ses derrières. Cette armée est perdue, si vous agissez vigoureusement... Là, il n'est plus question d'un corps de troupes, il est question d'une armée.

[6] Cf. Gourgaud, 55. Damitz, I, 98. Napoléon, Mém., 91. — Napoléon va jusqu'à dire : Il est évident que Blücher ne s'attendait pas à être attaqué ce jour-là !

[7] Grouchy, Observations, 43. Relation succincte, 15. Déclaration du colonel de Blocqueville. (Arch. Guerre, à la date du 18 juin.)

[8] Déclaration du colonel de Blocqueville. — Gourgaud (Campagne de 1815, 41) rapporte que ces paroles furent dites le 15 juin, à Charleroi, au maréchal Ney, autre protecteur de Bourmont. Il est très possible que Napoléon ait dit ce mot à Ney et qu'il l'ait répété à Gérard.

[9] Gérard, Quelques Observations, 48. Déclaration du colonel de Blocqueville.

[10] D'après le premier ordre de marche du 14 juin, Gérard devait se porter de Philippeville sur Charleroi, mais le 15, à 3 heures et demie, Soult lui avait écrit de passer la Sambre à Châtelet et de se porter en avant dans la direction de Lambusart. (Registre du major-général.) Au lieu de faire passer la Sambre à son corps d'armée tout entier, Gérard porta la seule division Hulot à Chatelineau et établit les trois autres sur la rive droite de la Sambre. (Gérard à Soult, Châtelet, 15 juin, au soir. Arch. Guerre.)

Gérard (Quelques Observations, 48) prétend que l'ordre de Soult, du 16juin, ne lui arriva qu'à 9 heures et demie, ce qui parait au moins singulier, puisque cet ordre fut écrit au plus tard entre 7 et 8 heures, et qu'il n'y a que 6 kilomètres de Charleroi à Châtelet. Il ajoute que, très impatient de marcher en avant ce matin-là, il dit à Exelmans, dont les troupes étaient cantonnées auprès des siennes et qui était venu causer avec lui, qu'il augurait mal de tous ces retards.

Comment Exelmans, qui était avec ses dragons à Lambusart, à 2 lieues de Châtelet, et en présence de l'ennemi, était-il venu faire un bout de causette avec Gérard ?

Comment Gérard, si pressé d'agir, n'avait-il pas, dès 5 heures du matin, exécuté les ordres de l'empereur qu'il avait, pour une cause ou pour une autre, négligé d'exécuter la veille ? Pourquoi n'avait-il pas fait passer la Sambre à ses trois divisions et ne les avait-il pas réunies à Chatelineau à la division Hulot ? Là, dix minutes après en avoir reçu l'ordre, il aurait pu mettre tout son monde en marche.

[11] Le premier ordre de bataille des troupes françaises, perpendiculaire à la route de Fleurus en est une forte présomption. Voir à ce sujet Damitz, I, 99-100.

[12] Lettres de Napoléon et de Soult, précitées au chapitre précédent.

[13] Soult à Ney, 16 juin, 2 heures. (Registre du major-général.)

Napoléon, qui continue dans ses Mémoires à confondre les ordres et les heures, parle de cette lettre comme envoyée à 10 heures et demie (avant, par conséquent, qu'il ne fût arrivé à Fleurus !) et comme prescrivant à Ney de porter sur Brye non point toutes ses troupes, mais un détachement. Napoléon raconte aussi (90-91) qu'il reçut un officier de la gauche qui lui dit que Ney hésitait à marcher dans la crainte d'être tourné par les Anglo-Prussiens dont la jonction, assurait-on, s'était déjà opérée à Fleurus. C'est une confusion avec le rapport de l'officier de lanciers envoyé par Reille dont j'ai parlé précédemment. Gourgaud (56-57) n'est pas moins inexact.

[14] Gourgaud, 54, 56. Napoléon, Mém., 93.

[15] Rapport de Gneisenau. Damitz, I, 90, 95-96, 100-101. Wagner, IV, 23-25. Von Ollech, 143-145. Notes du colonel Simon-Lorière. (Arch. Guerre.)

[16] Napoléon, Mémoires, 93-94. Cf. Gourgaud, 57.

[17] Soult à Ney, en avant de Fleurus, 16 juin, 3 heures un quart. (Registre du major-général. Biblioth. Nationale, Mss., F. Fr. 4365.)

[18] Lobau à Napoléon, en avant de Charleroi, 16 juin. (Arch. Guerre Armée du Nord.) — Cette lettre n'a pas d'indication horaire ; mais, d'après ce qui y est rapporté de l'état des affaires au moment où Janin quitta Frasnes, celui-ci dut en partir vers midi et demi. Au train moyen de 10 kilomètres à l'heure, il dut être de retour à Charleroi (à la fourche des routes de Bruxelles et de Fleurus) vers 2 heures. C'est donc vers 2 heures que Lobau envoya sa lettre à l'empereur, laquelle dut arriver à Fleurus, entre 3 heures et quart et 3 heures et demie.

Sur la mission de Janin, voir 1815, II, 140. — Quand Janin quitta Frasnes, il n'y avait pas 20.000 ennemis aux Quatre-Bras. Il y en avait 7.000 à peine. Mais la grande extension du front des Hollandais avait trompé cet officier.

[19] ... Le colonel de Forbin-Janson avait reçu l'importante mission de porter l'ordre qui devait faire marcher le 1er corps en arrière de la droite de l'armée prussienne... Au moment où l'affaire était fortement engagée sur toute la ligne, l'empereur demanda au maréchal Soult un officier éprouvé pour porter au maréchal Ney le duplicata de l'ordre concernant le comte d'Erlon. Le major-général m'ayant fait appeler, l'empereur me dit : J'ai envoyé au comte d'Erlon l'ordre de se diriger avec tout son corps d'armée en arrière de la droite de l'armée prussienne. Vous allez porter à Ney le duplicata de cet ordre, qui a dû lui être communiqué. Vous lui direz que, quelle que soit la situation où il se trouve, il faut absolument que cet ordre soit exécuté, que je n'attache pas une grande importance à ce qui se passera aujourd'hui de son côté ; que l'affaire est toute où je suis, car je veux en finir avec l'armée prussienne. Quant à lui, il doit, s'il ne peut faire mieux, se borner à contenir l'armée anglaise. (Notes manuscrites du colonel Baudus, communiquées par M. de Montenon, son petit-fils. — Ces notes n'ont été reproduites que partiellement, dans les Etudes sur Napoléon du colonel Baudus.)

L'existence de cet ordre, implicitement nié par Napoléon, mais que la lettre de Soult à Ney du 17 juin suffirait seule à prouver, est affirmée par l'unanimité des témoignages. On les trouvera cités plus loin où j'étudie cette question si controversée.

[20] Soult à Lobau, en avant de Fleurus, 16 juin, 3 heures et quart. (Registre du major-général.)

[21] Pontécoulant, Souvenirs militaires, 92. — Gneisenau, Wagner, Napoléon, Gourgaud disent également : 3 heures.

[22] Lefol, Souvenirs, 61-62. Rapport de Gneisenau. Damitz, I, 102-104. Wagner, IV, 28-20. Gourgaud, 58. Napoléon, Mém., 95. Von Ollech, 148-149.

La division Girard, détachée la veille au soir du corps de Ney, se trouvait former l'extrême gauche de l'armée combattant à Ligny.

[23] Journal du capitaine François, du 30e de ligne. (Revue Armoricaine, 1828.) Cf. Damitz, 110. Wagner, IV, 36. — A trois heures et quart, le 4e corps aborda le village de Ligny. Napoléon, Mém., 91.

[24] Journal du capitaine François. Rapport de Gneisenau. Damitz, 110-111. Wagner, IV, 36-37. Gourgaud, 58. Gérard, Quelques Observations, 54. Relation de Simon-Lorière. (Arch. Guerre, Armée du Nord.)

[25] Damitz, I, 112-113. Lettre du général Romme à Gourgaud, Paris, 27 mai 1823. (Papiers du général G.) Lettre du quartier-impérial de Fleurus, 17 juin. (Arch. Aff. étrangères, 1802.)

[26] Lettre précitée du général Romme à Gourgaud. Damitz, I, 112-113. Wagner, 37-38. Relation de la dernière campagne de Bonaparte, 51. Lefol, Souvenirs, 68. Cf. le Rapport officiel de Gneisenau : Ce combat peut être considéré comme un des plus acharnés dont l'histoire fasse mention.

[27] Ordre de Napoléon à Grouchy, 16 juin. (Arch. Guerre, Armée du Nord.) Rapport du général Hulot. Grouchy, Relat. succincte, 16. — Wagner (IV, 41) dit que l'action ne commença qu'à 6 heures à Sombreffe et à Balâtre ; c'est vrai, mais elle commença beaucoup plus tôt à Boignée, Tongrinelle et à Potriaux.

[28] Damitz, I, 104-105. Cf. Wagner, IV, 29.

[29] Les brigades Thuemen, Schulenburg et Sohr, du corps de Pirch, et la brigade Marwitz, détachée du corps de Thielmann.

[30] Wagner, IV, 29-30. Von Ollech, 154. Damitz, I, 104-105. Cf. le rapport de Gneisenau.

[31] Damitz, I, 101-105. Wagner, IV, 30. Napoléon, Mém., 95. Relation de l'Ambigu, de Londres, tome LIII.

[32] Damitz, I, 106-107. Wagner, IV, 32.

[33] Rapport de Gneisenau. Damitz, I, 106-107. Wagner, 31, 33.

[34] Damitz, I, 108. Cf. 116 et 120. Wagner, IV, 33.

[35] Napoléon, Mémoires, 96. Gourgaud, 59. Cf. Soult à Ney, Fleurus, 17 juin. (Registre du major-général.)

[36] Napoléon, Mémoires, 96. Gourgaud, 59. Cf. Lefol, Souvenirs, 63 : Il y eut une espèce de panique occasionnée par la fausse nouvelle qu'une colonne ennemie venait de surprendre notre gauche. Souvenirs d'un ex-officier (du 45e, corps d'Erlon), 266: Nous arrivâmes en vue de Saint-Amand vers les cinq ou six heures.

[37] Napoléon, Mémoires, 96.

[38] Napoléon, Mémoires, 96. — D'après une tradition rapportée par Piérart (le Drame de Waterloo, 134), l'alerte de Vandamme est imputable à la pusillanimité de l'aide de camp envoyé par lui pour reconnaître la colonne. Cet officier craignit de s'en approcher à portée des balles et, sans remplir sa mission, revint dire que c'était l'ennemi.

[39] Napoléon, Mémoires, 96.

[40] Napoléon, Mémoires, 96-97. Gourgaud, 59. Relation du général Petit. (Collection Morrisson, de Londres.)

[41] Lefol, Souvenirs, 63-64.

[42] Wagner, IV, 33-34. Cf. Rapport de Gneisenau. Damitz, I, 117-121.

[43] Damitz, I, 119-120. Wagner, IV, 33.

[44] Souvenirs de 1815, les Cent Jours en Belgique. (Bibliothèque universelle de Genève, juillet 1887.) — L'auteur de ces souvenirs ajoute : Revenus des déserts de la Russie ou des pontons de l'Angleterre, animés par le souvenir de leurs anciens triomphes, la colère de leurs défaites récentes, jaloux surtout de cacher sous beaucoup de gloire leur défection au gouvernement roui, les soldats français s'élevaient au-dessus d'eux-mêmes.

[45] Relation du général Hulot. Cf. Damitz, I, 124.

[46] Rapport de Gneisenau. Von Ollech, 131-152. Gourgaud, 58-59. Damitz, I, 122, 129, 131. Cf. 111-112. Wagner, IV, 38-39.

[47] Müffling, Aus meinem Leben, 206. Damitz, I, 126.

[48] Wagner, IV, 39. Damitz, I, 126-127.

[49] Von Ollech, 154. Damitz, I, 127. (Cf. 131 et 141.) Wagner, IV, 33-34.

[50] Damitz, 132. Rapport officiel de Gneisenau. Cf. Wagner, 43.

[51] Damitz, I, 132 et note. Wagner, IV, 43. Cf. von Ollech, 154, et Mauduit, II, 86-87.

[52] Gourgaud, 59. Napoléon, Mémoires, 97.

[53] Napoléon, Mémoires, 97. Gourgaud, 59.

[54] Le 1er corps aurait dû remonter droit au nord, en passant à 2 kilomètres à l'ouest de Wagnelée, pendant l'espace de 3.500 mètres, et tourner ensuite à l'est pour se rabattre sur Brye. Ce trajet de 6 kilomètres à travers champs demandait près d'une heure et demie; il fallait en outre une demi-heure pour que l'ordre d'opérer le mouvement parvînt de Fleurus au point où se trouvait le comte d'Erlon. — Clausewitz, plus judicieux et plus juste que Charras, reconnaît qu'il était alors trop tard pour ordonner une marche tournante sur Brye. (Der Krieg von 1815, 84.)

[55] Napoléon n'en a rien dit (il a laissé à dessein dans le mystère tout ce qui concerne le mouvement de d'Erlon) ; mais c'est très vraisemblable, car, ainsi qu'on le verra plus loin, Delcambre, envoyé par Ney, et l'aide de camp de l'empereur arrivèrent presque en même temps près du comte d'Erlon.

[56] Napoléon, Mémoires, 97. Gourgaud, 59.

[57] Lettre du quartier-impérial de Fleurus, 17 juin. (Arch. Aff. étrangères, 1802.) Relation précitée du général Petit. Relation du commandant Duuring, du 1er régiment de chasseurs. (Comm. par M. de Stuers.) Rapport de Gneisenau au roi de Prusse, Wavre, 17 juin. (Cité par von Ollech, 162-165.) Rapport officiel de Gneisenau. Wagner, IV, 30-40, 43. Soult à Joseph, en avant de Fleurus, 16 juin, 8 heures et demie du soir, et à Davout, Fleurus, 17 juin. (Registre du major-général.)

[58] Damitz parle à deux reprises (I, 132-133) de la clarté succédant pour quelques instants à l'obscurité quasi complète causée par l'orage.

[59] Damitz, I, 128-129, 133-134. Rapport du général Hulot. (Communiqué par le baron Hulot.) Wagner, IV, 42.

[60] Relation précitée du commandant Duuring. — Le 4e grenadiers, de nouvelle formation, avait été habillé tant bien que mal. Beaucoup d'hommes avaient des shakos au lieu de bonnets à poils.

[61] Rapport de Gneisenau, Wavre, 17 juin (cité par von Ollech, 163-164). Relations du général Petit et de Duuring. Damitz, I, 133-135. Rapport de Kimann, capitaine aux dragons de la garde, 17 juin. (Papiers du général G.) Wagner, IV, 44.

[62] Blücher à sa femme. Wavre, 17 juin. (Blücher in Briefen, 146.) Rapport officiel de Gneisenau. Damitz, I, 134-135. Wagner, IV, 44. Relation du général Delort. (Papiers du général G.) Cf. von Ollech, 155, 157.

[63] Damitz, II, 211. — Cet aveu de Damitz dément l'assertion du rapport officiel de Gneisenau et les récits de la plupart des historiens allemands, de Damitz lui-même, que la retraite s'opéra sur tous les points dans un ordre parfait. 8.000 ou 10.000 fuyards sur un champ de bataille indiquent, il me semble, une certaine confusion. L'officier émigré, dont la Bibliothèque universelle de Genève a publié, en juillet 1857, les Souvenirs de 1815, témoigne aussi que la majeure partie des Prussiens étaient en très grand désordre, et qu'il y avait partout des masses de fuyards. — La vérité, c'est qu'il y eut sauve-qui-peut au centre, grande confusion à la gauche et très fière retraite à l'aile droite. Gneisenau, d'ailleurs, dans son rapport confidentiel (Wavre, 17 juin), et von Ollech, 157, ne cachent pas qu'il se produisit un grand désordre à la fin de la bataille.

[64] Relation du général Delort. (Papiers du général G.) — L'assertion de Delort est confirmée par une lettre adressée du quartier-impérial de Fleurus, 17 juin, 9 heures du matin (Arch. Aff. étrangères, 1802) : ... Si Delort avait été un peu soutenu, il prenait en un quart d'heure 50 pièces de canon.

[65] Selon Soult (lettre à Davout, 17 juin. Registre du major-général), les Français prirent 40 canons et firent plusieurs milliers de prisonniers. D'après Gneisenau (rapport du 17 juin, cité par von Ollech), l'armée prussienne perdit seulement 10 pièces et, sauf les blessés, laissa très peu de prisonniers. Grouchy (Relation succincte, 17) dit de même : une quinzaine de canons, quelques drapeaux et un petit nombre de prisonniers. Wagner (IV, 44) avoue 27 canons perdus, ce qui parait le chiffre exact.

[66] Rapport de Gneisenau, Wavre, 17 juin. (Cité par von Ollech, 163-164.) Rapport officiel de Gneisenau. Damitz, I, 139-142, 146. Wagner, IV, 35, 47.

Voici comment, d'après la comparaison des documents allemands et français, peut être fixé l'horaire de la bataille :

De 1 heure à 3 heures : concentration, mouvements préparatoires, combats d'avant-postes.

De 3 heures à 4 heures : Prise de Saint-Amand par la division Lefol. Attaques infructueuses de la division Pécheux sur Ligny. — Démonstrations de Grouchy sur Tongrinelle et Boignée.

De 4 à 5 heures : La division Girard s'empare du Hameau et de La Haye. — Contre-attaque des Prussiens sur ces positions. — Girard est tué en reprenant La Haye. — Attaque de Tippelskirch repoussée par Habert. — La division Pécheux, soutenue par deux régiments de Vichery, occupe la partie haute de Ligny.

De 5 heures à 6 heures : Reprise de La Haye par Pirch II. — Napoléon prépare l'assaut final. — La colonne prétendue ennemie (corps de d'Erlon) est signalée. — Napoléon arrête son mouvement et envoie la jeune garde avec trois régiments de chasseurs de la vieille garde pour renforcer Vandamme. — Gérard jette sa dernière réserve dans Ligny.

De 6 heures à 7 heures et demie : Reprise du Hameau par l'ennemi. Recul des troupes de Vandamme. — Entrée en ligne de la jeune garde. Reprise du Hameau par les débris de la division Girard. — Grouchy occupe Tongrinelle et attaque Potriaux. — Dernière contre-attaque de Blücher sur Saint-Amand. — Les Prussiens sont repoussés par les chasseurs à pied de la garde et les troupes de Vandamme. — Le combat continue dans Ligny en flammes. — Grouchy s'empare de Potriaux et refoule la cavalerie de Lottum. — Napoléon prépare de nouveau l'assaut contre le centre ennemi.

De 7 heures et demie à 9 heures et demie : Prise de Ligny. — Combats au nord de Ligny. — Retraite des, Prussiens.

[67] Soult à Davout, Fleurus, 17 juin. (Registre du major-général.) Notes du capitaine de Stuers du 2e chasseurs à pied (comm. par M. de Stuers). — Le quartier-impérial fut établi au château du baron de Zualart, tout près du moulin qui avait servi d'observatoire à l'empereur.

[68] Relation du général Petit. (Collection Morrisson, de Londres.) Lettre précitée de Kimann, des dragons de la garde. Lefol, Souvenirs, 66-67. Relation de Hulot.

[69] Soult à Davout, Fleurus, 17 juin. (Registre du major-général.) Lefol, Souvenirs, 69.

[70] Wagner, IV, 47 : 11.706 soldats et 372 officiers. — Gneisenau dans son rapport au roi de Prusse. Wavre, 17 juin (cité par von Ollech 163-164) dit : 15.000 hommes, mais il doit compter les prisonniers.

[71] Gourgaud (170) donne par corps d'armée le chiffre des tués et blessés, et le total ne s'en élève qu'à 6.800. Mais il y a manifestement des inexactitudes dans ce tableau. Ainsi, les pertes pour le corps de Gérard ne sont portées qu'à 2.170 hommes, et un état cité par Gérard dans une lettre à Simon-Lorière (23 février 1820, Arch. Guerre) les élève à 3.686. C'est déjà une différence de 1.516 hommes. La garde et la jeune garde, qui furent engagées sérieusement toutes deux, n'auraient eu, selon Gourgaud, que 100 hommes hors de combat. Il faut évaluer leurs pertes au moins au triple.