1815

LIVRE III. — LES CENT JOURS

 

CHAPITRE V. — LA GUERRE EN VENDÉE ET FOUCHÉ À PARIS.

 

 

I

Le duc de Bourbon ayant vainement tenté à la fin de mars d'insurger la Vendée et la population paraissant accepter de bon cœur le gouvernement impérial[1], Napoléon se croyait assuré de la tranquillité de l'Ouest. Les garnisons d'Angers, de Nantes, de Rennes, de Vannes reçurent l'ordre de rejoindre les armées d'observation. Il n'allait rester dans toute l'étendue des 12e, 13e et 22e divisions militaires que les dépôts et la gendarmerie[2]. Or la pacification de l'Ouest n'était qu'une expression du Moniteur. Depuis un an, les menées des nobles et les anathèmes des prêtres avaient réveillé, dans cette région, les haines anciennes contre les bleus. En avril et en juillet 1814, des milliers de paysans avaient pris les armes sous le prétexte de faire rendre gorge aux acquéreurs et dans le dessein de piller et d'exercer d'abominables représailles. Ces hommes, fanatiques ou bandits, étaient toujours disposés à entrer en campagne. S'ils n'avaient répondu qu'en très petit nombre à l'appel du duc de Bourbon, c'est qu'ils étaient terrorisés par le retour foudroyant de Napoléon. Dans leur imagination, ils revoyaient le tout puissant empereur de 1814, acclamé par la France et reconnu par l'Europe. D'Autichamp et plusieurs autres chefs des anciennes armées de l'Ouest avaient bien compris l'état d'esprit du pays ; c'est pourquoi ils avaient conseillé de retarder le soulèvement jusqu'au jour où une nouvelle marche des Alliés vers les frontières le rendrait à la fois plus facile et plus efficace.

Rentrés chez eux, ils s'occupèrent de préparer la prise d'armes. Pendant tout le mois d'avril, on tint des conférences au château de La Rochejaquelein, à Saint-Aubin de Baubigné, en présence du comte Auguste et de ses deux sœurs, mesdemoiselles Louise et Lucile. Puissamment secondés par le clergé des campagnes, d'Autichamp dans le Maine-et-Loire, Sapinaud et Sain t-Hubert dans les Deux-Sèvres, Suzannet dans la Vendée, Robert, les neveux de Charette, La Salmonière et l'ancien chauffeur Tandais dans la Loire-Inférieure, d'Andigné dans la Mayenne, d'Ambrugeac et Châtelain dit Tranquille dans la Sarthe, Piquet Du Boisguy dans l'Ille-et-Vilaine, Desol de Grisolles et Joseph Cadoudal dans le Morbihan fomentèrent l'insurrection. Les deux manifestes des puissances dont ils répandaient des copies annonçaient clairement la guerre ; le rappel des militaires en congé et la mobilisation des gardes nationales mécontentaient les paysans ; le départ des troupes les enhardissait. De jour en jour, ils se montraient plus disposés à écouler les meneurs. Puis chaque parti a son contingent de gueux et de scélérats, pêcheurs en eau trouble qui, selon l'expression bretonne, aiment mieux chercher leur pain que de le gagner. Ceux-ci furent les premiers à donner l'exemple en prenant le fusil[3].

Dès le 10 avril, des bandes parcourent les environs de Saint-Brieuc, de Vannes, de Rennes, de Vitré, de Fougères, de Bressuire, faisant le coup de feu avec la gendarmerie, maltraitant les acquéreurs, rançonnant et désarmant les habitants qui refusent de se joindre à eux. D'autres rassemblements se forment à Boispréau, à Chollet, à Machecoul, à Savenay, dans les forêts de La Guerche, de Teillay, de Loudéac. Le maire d'Ancenis demande des troupes pour défendre la ville. Aux Herbiers, quatre cents paysans armés de bâtons ferrés assaillent un détachement d'infanterie. La bande de Robert, dit le marquis de Carrabas[4], occupe Gallais. La tranquillité est menacée, écrit de Rennes, le 16 avril, le général Caffarelli ; elle sera compromise si l'on n'ajourne pas le départ des bataillons de guerre. Le 20, il écrit derechef à Davout : La révolte fera explosion si l'on retire les troupes. Alors il faudra une armée en Bretagne. De Nantes et d'Angers, les mêmes avis parviennent au ministère : Si l'on ne suspend le départ des troupes, dans un mois on sera forcé d'en envoyer le triple[5].

Mais une nouvelle guerre de Vendée ne paraissait encore à l'empereur qu'une conjecture plus ou moins fondée, une menace plus ou moins redoutable. Le danger était à la frontière. C'était là qu'il fallait concentrer toutes les forces de la France. Davout réitéra ses ordres de diriger malgré tout les bataillons de guerre sur l'armée. Quant aux populations de l'Ouest, on les contiendrait avec les dépôts, la gendarmerie augmentée de dix lieutenances mobiles, six cents canonniers de marine appelés de Brest et de Rochefort, les douaniers et les gardes forestiers organisés militairement et les gardes nationaux de bonne volonté des fédérations bretonne et angevine. Que puis-je faire, écrivit Charpentier, avec vingt forestiers par département, la plupart pactisant avec la population ; avec quelques centaines de douaniers qu'il vaudrait mieux employer à garder le dépôt des salines qui renferme plus de soixante millions de kilogrammes de sel et qui sera pillé ; avec la garde nationale qu'il est presque impossible de faire marcher hors des villes ! Pour assurer l'unité du commandement, le général Delaborde fut mis à la tête des 12e, 13e et 22e divisions militaires[6]. Davout l'avait désigné au choix de l'empereur comme ayant naguères commandé dans l'Ouest[7].

Cependant l'insurrection, jusqu'alors localisée sur quelques points, s'étendait dans tout le pays ; les bandes allaient devenir des armées. Dans l'Ille-et-Vilaine et le Morbihan, colonnes mobiles formées de 20 soldats, de 10 gendarmes, de 10 douaniers et forestiers et de 60 gardes nationaux n'imposaient pas aux rebelles. Dans le Maine-et-Loire, Delaborde, inquiet pour la sûreté des villes, retint les 15 et 26e de ligne nonobstant les ordres exprès de Davout. A Nantes, où se réfugiaient les paysans des environs et les acquéreurs de biens nationaux, on craignait un coup de main sur le château dont le pied du rempart était accessible et qui contenait 61 bouches à feu, 15.800 kilogrammes de poudre, 450.000 cartouches et 12.000 gargousses. Charpentier écrivait le 9 mai à Davout : Malgré les supplications des autorités, qui m'ont conjuré, au nom de la patrie, de suspendre le départ du bataillon du 65e, j'ai exécuté vos ordres. Aujourd'hui tout Nantes vocifère contre moi pour vous avoir obéi[8].

Le 11 mai, Suzannet, d'Autichamp et Auguste de La Rochejaquelein tinrent une sorte de conseil de guerre à la Chapelle-Basse-Mer. Les chefs vendéens comptaient attendre le commencement des hostilités sur la frontière avant de se mettre eux-mêmes en-campagne, mais une lettre du marquis de La Rochejaquelein, communiquée par son frère Auguste, vint précipiter les choses[9]. Louis de La Rochejaquelein s'était rendu de Gand à Londres, muni de lettres de Jaucourt[10], et malgré les déclarations publiques de lord Castlereagh et de lord Liverpool que l'Angleterre, tout en combattant Napoléon, s'abstiendrait de soutenir la cause des Bourbons, il avait obtenu l'envoi d'armes et de munitions aux royalistes de l'Ouest. Dès le 10 mai, la frégate the Astrée louvoyait en vue de Saint-Gilles. La Rochejaquelein était à bord, attendant que les insurgés vinssent aider au débarquement des fusils et des cartouches. La prise d'armes fut fixée au 15 mai. Ce jour-là, et la nuit qui suivit, le tocsin sonna dans toutes les paroisses. Le surlendemain, Suzannet avait cinq mille hommes à Légé, d'Autichamp cinq mille à Jallais, Auguste de La Rochejaquelein deux mille aux Aubiers et Sapinaud quatre mille aux Herbiers. Déjà quinze cents habitants du Marais et du Pays de Retz s'étaient levés à l'appel de Robert et du jeune Charette. Sur la rive droite de la Loire, d'And igné allait réunir un millier de royalistes à Cossé ; Desol de Grisolles commandait deux ou trois mille Morbihanais, et d'autres bandes tenaient la campagne dans l'Ille-et-Vilaine et les Côtes-du-Nord. Les insurgés étaient armés pour les deux tiers de fusils de chasse, de mousquetons et de vieux fusils de munition, pour l'autre tiers de fourches, de fléaux, de faux, de bâtons ferrés[11].

Secondé par les paysans du Marais, qui dispersent un corps de deux cents douaniers et gendarmes et repoussent une colonne mobile, le marquis de La Rochejaquelein débarque le 15 mai, à Saint-Gilles, ses 2.000 fusils et ses munitions et opère sa jonction à Soullans avec les divisions de Suzannet et de Sapinaud. D'Autichamp occupe Boispréau, Chemillé, Cholet, évacués par la troupe. Près des Eschaubroignes, Auguste de La Rochejaquelein attaque le 26e de ligne et le force à la retraite. Bressuire est pris, Ancenis, les Sables, Napoléon-Vendée sont menacés[12]. Aux dix-sept ou dix-huit mille insurgés de la Vendée et aux quatre ou cinq mille Angevins et Bretons en armes sur la rive droite de la Loire, le général Delaborde peut opposer tout au plus quatre mille hommes de troupe de ligne, la gendarmerie départementale et, avec les douaniers et forestiers, les gardes nationaux fédérés qui n'existent encore que sur le papier et deux ou trois cents volontaires organisés par Travot sous le nom de chasseurs de la Vendée[13].

La situation est grave, mais Delaborde, qui demande à être relevé de ses fonctions, ses forces physiques le trahissant, et ses lieutenants, Charpentier, Bigarré, Noireau, Dufresse, Travot, s'exagèrent le péril. A les entendre, les rebelles sont quarante mille, et dix mille Anglais s'apprêtent à débarquer. Laval, Nantes, Saumur, Niort vont être attaqués. Les gardes nationales ne veulent point se battre, les douaniers désertent, les gendarmes eux-mêmes ne sont pas sûrs. C'est la guerre civile comme en 93, écrit Charpentier, tout le Morbihan se lève à la voix du duc de Berry. — Rennes est en danger, écrit Bigarré, j'ai dix mille insurgés autour de moi. Bientôt il faudra six cents hommes pour porter une dépêche de Rennes à Angers[14]. L'énergique Travot prend malgré tout l'offensive, se jette avec mille hommes en plein pays insurgé et enlève aux blancs un convoi de munitions Mais lui-même ne peut s'empêcher de subir l'affolement général. Il parle de 30.000 fusils et de 4, millions de cartouches reçus par les royalistes. Si j'avais eu 1.200 hommes hier, écrit-il le 19 mai, j'aurais pu détruire toutes ces bandes encore mal armées. Je les aurai demain mais ce sera insuffisant. Un renfort de 10.000 soldats n'est pas une demande exagérée[15].

Ces appels désespérés commencent à émouvoir l'empereur qui le 15 mai encore disait : Toutes les troupes sont nécessaires aux frontières et une victoire dans le Nord fera plus pour le calme intérieur que des régiments laissés dans l'Ouest[16]. Il prend les mesures les plus promptes et les plus énergiques pour réduire l'insurrection. Il décide la formation d'une armée de la Loire que commandera le général Lamarque, avec de jeunes généraux sous ses ordres, en remplacement du général Delaborde qui est trop mou. 800 gendarmes à cheval, 2.000 gendarmes à pied, 2 régiments de la jeune garde, 25 bataillons de ligne, 8 escadrons de cavalerie, 3 batteries seront envoyés dans l'Ouest ; la jeune garde et les gendarmes partiront en poste. En attendant l'arrivée de Lamarque, Corbineau dépêché à Angers secondera le général Delaborde. On exilera de la Vendée et on placera en surveillance en Bourgogne tous les hommes réputés dangereux. Tous les ex-nobles qui se trouveront dans le pays sans y être domiciliés devront le quitter sous quinze jours, à peine d'être traités comme fauteurs de guerre civile La tête de La Rochejaquelein et des autres chefs de l'insurrection sera mise à prix, leurs maisons seront rasées, on prendra des otages dans leur famille. Une commission militaire sera instituée pour juger les individus arrêtés les armes à la main[17].

 

II

L'empereur ne s'abusait pas sur le dévouement de Fouché. Si, le 20 mars, il. l'avait fait ministre de la police ce n'était pas qu'il crût à sa fidélité. Mais il savait ce qu'il y avait à attendre et à craindre de lui et, tout bien pesé, il préférait encore, dans ces jours de crise, un sacripant de cette espèce, prêt à toutes *les trahisons mais fécond en ressources et souverainement habile, à un serviteur dévoué et maladroit comme le duc de Rovigo. C'est pourquoi Napoléon qui disait : Je n'apprends plus la vérité que par les traîtres[18], avait repris Fouché. C'est pourquoi il avait tenté de reprendre Talleyrand[19].

Du moins à l'occasion de la guerre de Vendée, Fouché justifia les calculs de Napoléon. Il ne lui déplaisait pas de seconder ce maître détesté, si en même temps il travaillait pour soi-même en paraissant servir les royalistes. Bien avant Davout, qui avait pourtant des informations aussi précises et aussi alarmantes, le duc d'Otrante avait prévu et annoncé un soulèvement dans l'Ouest[20]. Aux premières nouvelles de la prise d'armes, il demanda carte blanche à l'empereur pour arrêter l'insurrection en composant avec les chefs. Ce plan ayant agréé à Napoléon, qui redoutait par dessus tout d'affaiblir ses armées d'opérations, Fouché fit appeler le comte de Maladie. C'était Malartic, ancien chef d'état-major de l'armée du Maine et familier du comte d'Artois, qui avait amené le duc d'Otrante au prince dans la nuit du 15 mars. Ainsi que nombre d'autres agents royalistes, il était resté à Paris grâce à la protection du ministre de la police. Fouché lui dit : — Cette insurrection prématurée est nuisible à la cause même qu'elle veut servir, car elle va autoriser Bonaparte à prendre des mesures violentes. On ravagera l'Ouest, on armera la canaille, on mettra à la disposition de l'empereur des forces qui, après avoir réduit les vendéens, lui serviront à prolonger la résistance contre l'étranger. Comprenez bien que le rétablissement de la monarchie ne dépend pas d'une guerre dans l'Ouest. C'est dans le Nord que le sort de la France va se décider. Les hostilités ne commenceront que le 15 juin. D'ici là, la Vendée sera écrasée. Aidez-moi donc à arrêter l'inutile effusion du sang français. Que les chefs vendéens licencient leurs paysans et rentrent tranquillement chez eux. Je leur garantis toutes les sûretés... Acceptez la mission que je vous offre. C'est le seul moyen d'empêcher le départ des troupes et la mise hors la loi des départements insurgés[21].

Bien qu'il n'eût aucune foi dans le succès des vendéens et qu'il jugeât cette insurrection inopportune, Malartic montra des scrupules. A remplir une pareille mission, on risque trop le soupçon d'y avoir été déterminé par des raisons sonnantes. Après quelques hésitations, il consentit cependant à aller er Vendée, mais à la condition qu'il lui serait adjoint deux autres commissaires : MM. de Flavigny et de La Béraudière, anciens officiers des armées royales de l'Ouest. A trois, la responsabilité serait moins lourde. Les commissaires quittèrent Paris le 26 mai, munis de sauf-conduits et d'une lettre de Fouché pour les autorités civiles et militaires. Fidèle à ses engagements, le duc d'Otrante fit suspendre le départ des troupes et l'exécution des mesures de sûreté générale[22].

Les événements survenus depuis une dizaine de jours étaient de nature à faciliter la mission de Malartic. Au lieu des 14.000 fusils, des millions de cartouches, de l'argent, des pièces de campagne et des 300 canonniers anglais, promis par La Rochejaquelein et ses aides de camp[23], les vendéens n'avaient trouvé, à Saint-Gilles, que 2.000 fusils et un million de cartouches. Encore une partie de ces armes et munitions, dirigées vers le Bocage sous l'escorte d'un fort détachement, avaient-elles été enlevées le 19 mai, près de L'Aiguillon, par la colonne de Travot. Ayant appris, le lendemain, que les corps de Suzannet et de Sapinaud et la division de Charette se concentraient à Aizenay pour se porter sur Napoléon-Vendée, Travot s'était déterminé à les attaquer malgré sa très grande infériorité numérique. Il avait un millier d'hommes et les royalistes étaient sept ou huit mille. Mais l'ancien lieutenant de Hoche avait l'expérience de ces guerres ; il savait que les paysans se gardaient mal et étaient à peu près incapables de soutenir un combat de nuit. Il régla sa marche de façon à arriver à Aizenay le 20, vers onze heures du soir. L'armée royale n'avait ni grand'gardes ni petits postes. Les impériaux pénétrèrent jusqu'au milieu du bourg sans être signalés. Quelques coups de feu ayant alors donné l'alerte, les vendéens se précipitèrent hors des maisons et s'entassèrent dans les rues, pareils à des moutons chassés de l'étable par un incendie. Dans leur affolement, ils tiraient les uns sur les autres. Un beau-frère de La Rochejaquelein et le jeune Charette furent blessés à mort en s'efforçant de rallier leurs gars. Après deux heures de combat, les vendéens se réfugièrent dans les bois avoisinants et Travot resta maitre d'Aizenay[24].

A la suite de cette échauffourée, nombre de paysans regagnèrent les villages. La masse était découragée, les chefs étaient désunis. Le marquis de La Rochejaquelein s'était arrogé le commandement en chef en vertu d'un prétendu ordre du roi[25]. Il y avait là au moins de quoi étonner Sapinaud comme Suzannet, d'Andigné comme d'Autichamp. Vétérans des guerres de la Vendée, auxquelles Louis de La Rochejaquelein n'avait pas pris part, tous quatre étaient ses égaux ou ses supérieurs en grade. Puisque le roi le voulait, ils se résignèrent à obéir au colonel de ses grenadiers à cheval, mais ils le firent à contre-cœur. Ils discutèrent les plans du jeune général en chef, récriminèrent sur son inexpérience, et s'ils commencèrent par exécuter ses ordres, ce fut sans confiance et sans zèle.

C'est au milieu de ce désarroi que les envoyés de Fouché rejoignirent le 29 mai, à Mortagne-sur-Sèvres, le comte d'Autichamp. Celui-ci approuva l'idée d'un armistice[26], mais il fallait que les autres chefs y consentissent. Maladie se remit en route pour le centre de la Vendée. Déjà il avait écrit à Suzannet afin de lui exposer l'objet de sa mission. Suzannet communiqua la lettre à La Rochejaquelein et chercha à le convaincre de la nécessité d'un accommodement. Le générai en chef se récria[27]. Seul entre tous, ou à peu près, il croyait toujours au succès. Le surlendemain du combat d'Aizenay, où son armée de huit mille hommes s'était débandée devant les mille soldats de Travot, n'avait-il pas eu l'insolence d'écrire à celui-ci : Comme commandant en chef de la grande armée de Vendée, je vous ordonne de vous rendre auprès de moi afin de prendre mes ordres. Vous seriez puni comme traître et rebelle si vous persistiez dans votre défection[28]. Il comptait nourrir la guerre par les réquisitions. Il envoyait aux maires l'ordre de lever tous les hommes de vingt à cinquante ans et de subvenir aux besoins des femmes et des enfants, à peine de payer les frais de la guerre sur leurs propriétés[29]. Après une longue et assez vive discussion, Suzannet céda ou feignit de céder, et il fut arrêté que La Rochejaquelein, avec les quinze cents hommes de la division de son frère Auguste, partirait pour la côte où était signalé un second convoi anglais. Le corps de Suzannet et ceux de Sapinaud et du comte d'Autichamp, qui étaient à quelques marches, devaient suivre le mouvement et venir occuper le Marais en forces[30].

Le 2 juin, au matin, La Rochejaquelein surveillait, à bord du vaisseau anglais le Superb, le débarquement des fusils, des munitions et de six pièces de campagne[31], quand il reçut un arrêté de ses trois lieutenants, daté de Falleron, 31 mai. Cet arrêté portait que, vu le découragement des paysans et la prochaine arrivée de renforts aux troupes impériales, ils renonçaient au mouvement concerté et engageaient M. le marquis de La Rochejaquelein à revenir dans son pays pour y attendre que le commencement des hostilités sur les frontières permit de déployer toutes les forces de la Vendée. A cette pièce officielle était jointe une très longue lettre de Suzannet où il multipliait les raisons et les excuses et qu'il terminait en ces termes : Sont arrivés Malartic et La Béraudière. Ils sont chargés, comme tu l'as lu par leurs lettres, de faire connaître que le gouvernement désire traiter avec nous. Nous avons répondu que nous ne voulions traiter qu'avec tout le monde ; qu'il fallait traiter ensemble ou périr ensemble. Mais tous les officiers auraient envie d'accepter un accommodement... Adieu, mon cher Louis. Tout le monde est d'avis de faire une suspension d'armes qui n'engage à rien et qui pourrait être utile par la suite pour s'organiser et marcher[32]. On ne pouvait parler plus clairement. Sans doute, comme l'écrivait Suzannet, lui et les autres généraux vendéens ne voulaient traiter que d'un commun accord, mais cet accord existait entre eux. Il n'y manquait que le consentement de La Rochejaquelein. En n'exécutant pas les ordres du général en chef et en s'abstenant de le seconder, on se flattait de lui forcer la main. De là, l'arrêté de Falleron[33].

Indigné, La Rochejaquelein y répondit par un ordre du jour relevant de leur commandement Sapinaud, Suzannet et d'Autichamp pour avoir ajouté à l'infamie de la désobéissance celle de la plus noire trahison en prêtant l'oreille à un accommodement avec le tyran dévastateur de la France[34]. Puis, bien que sa situation fût devenue très périlleuse, il résolut de rester à la Croix-de-Vie jusqu'à l'achèvement du débarquement. Comme il l'avait prévu, il ne tarda pas à être attaqué. La colonne de Travot était passée au travers de l'armée royale en retraite, et le comte de Suzannet avait négligé de la combattre ou même, assure le général vendéen Du Chaffaut, s'y était refusé[35]. Le 2 juin, à trois heures de l'après-midi, l'avant-garde commandée par le général Grosbon prit position à Saint-Gilles et commença à fusiller avec les paysans établis sur la rive droite du Ligneron pour protéger le débarquement. Le lendemain, le combat de tirailleurs reprit au lever du jour. Le général Grosbon, qui s'était posté dans le clocher de Saint-Gilles afin de mieux voir les mouvements de l'ennemi, fut tué roide d'une balle à la tête. Un braconnier vendéen l'avait pris pour cible ; il finit par l'abattre. Vers le soir, La Rochejaquelein craignant de se laisser amuser par ces tirailleries, tandis que le gros de la colonne de Travot viendrait lui couper la retraite, se décida à interrompre le débarquement et à gagner le centre du Marais[36].

Le 3 juin, les vendéens avaient atteint Saint-Jean-des-Monts quand un paysan apporta la nouvelle que Travot, arrivé à Rié, venait de détacher à leur poursuite la brigade du général Estève. La Rochejaquelein envoya l'ordre aux paroisses du Marais de prendre les armes pour attaquer les bleus sur leur flanc pendant qu'il les combattrait avec la division de son frère. Les Maréchains ayant mis un peu de lenteur dans leur mouvement, il se trouva engagé seul, le 4 juin, contre la brigade d'Estève. Les débuts de l'action furent cependant favorables aux vendéens qui, abrités derrière les haies et les fossés, repoussèrent trois assauts. Estève feignit de battre en retraite afin d'attirer l'ennemi en terrain découvert. Les paysans électrisés abandonnèrent leurs abris et se jetèrent en avant, dans la direction de la ferme des Mathes, mais ils s'arrêtèrent bientôt, à la vue de l'infanterie qui avait fait volte-face et les attendait rangée en bon ordre. Une charge à la baïonnette les balaya. A ce moment même, le marquis de La Rochejaquelein entendait à sa gauche les cris et les premiers coups de fusil des gens du Marais. Il ordonna à son chef d'état-major, le général Canuel, de rallier les fuyards ; et voulant voir ce qu'allait produire la diversion qu'opéraient les Maréchains, il vint se placer sur une petite éminence, à portée de carabine des impériaux. Le lieutenant Lupin, des gendarmes de Paris, le reconnut, dit-on, et dirigea sur lui le feu de ses hommes. On vit La Rochejaquelein tomber de cheval puis se relever en chancelant. Il s'agenouilla, fit le signe de la croix et retomba la face contre terre[37].

La mort de La Rochejaquelein acheva de désorganiser l'insurrection. Les gars du Marais et les paysans des environs de Bressuire, qui venaient de combattre sous les ordres immédiats du marquis, bridaient de le venger, mais les vendéens ne demandaient pour la plupart qu'à rentrer chez eux. Cette guerre les laissait indifférents, car ils ne confondaient pas avec la sanglante dictature de la Convention le gouvernement impérial qui avait rétabli le culte catholique et qui, pendant douze ans, leur avait donné la paix intérieure. Ils s'étaient levés entraînés par les paroles, les menaces, les promesses des nobles, les uns pour obéir à une sorte de point d'honneur, les autres dans la crainte d'être chassés des fermes, ou dans l'espoir d'une haute solde et du pillage. Or, ils n'avaient reçu ni solde ni vivres ; les armes mêmes et les munitions promises manquaient ; on les fatiguait par des marches et des contre-marches inexplicables ; dans presque toutes les rencontres ils avaient été battus. Ils étaient découragés[38].

Les chefs ne l'étaient guère moins, bien qu'ils s'efforçassent de cacher leurs vrais sentiments. D'Autichamp, Suzannet et Sapinaud exprimèrent sincèrement leurs regrets du malentendu qui les avait empêchés de se porter dans le Marais et se déclarèrent prêts à continuer la guerre[39]. Pour se disculper de tout soupçon d'avoir écouté les émissaires de Fouché, ils rudoyèrent l'envoyé du général Lamarque qui leur apportait l'acceptation des conditions qu'eux-mêmes avaient posées[40], et pour assurer dans l'avenir l'unité de commandement, qui leur avait fait défaut, ils nommèrent Sapinaud général en chef[41]. Mais les mêmes sentiments, les mêmes retards, le même mauvais vouloir se reproduisirent[42]. Au fond, sauf Auguste de La Rochejaquelein, les commandants de l'armée royale voulaient attendre le résultat de la première bataille sur la frontière pour rendre leur épée ou la tirer une seconde fois du fourreau. Les paysans étaient licenciés. Les colonnes mobiles parcouraient librement presque toute la rive gauche de la Loire, rétablissant les drapeaux tricolores, ramassant une quantité de fusils et s'emparant de quatre canons anglais abandonnés dans le Marais[43]. Jusqu'au 46 juin, date d'une nouvelle prise d'armes à laquelle les généraux vendéens ne se prêtèrent qu'à contre-cœur et sous la pression d'Auguste de La Rochejaquelein, devenu major général[44], il y eut une sorte de trêve imposée autant par l'apathie des chefs que par la lassitude de leurs hommes.

Cette pacification temporaire, très favorable à Napoléon, était l'œuvre de Fouché. Sans son intervention, les corps de Sapinaud, de Suzannet et de d'Autichamp se fussent concentrés autour du Marais, dans des positions inexpugnables. Il aurait fallu une armée de vingt mille hommes pour en déloger La Rochejaquelein tandis qu'il avait suffi d'une colonne mobile. Quant aux royalistes, ils ne pouvaient accuser Fouché, car Fouché avait voulu sauver les vendéens d'un écrasement plus ou moins éloigné mais certain. Si l'on avait accédé à temps à ses ouvertures, le combat des Mathes n'aurait pas eu lieu, et le grand deuil où la mort du marquis de La Rochejaquelein mit la noblesse française lui eût été épargné.

 

III

Ce double jeu, ce rôle ambigu, Fouché le joua pendant toute la durée des Cent Jours. Le 20 mars, il n'avait pas demandé un ministère à l'empereur dans l'unique dessein de le trahir. Après tout, le portefeuille qu'il tenait était une réalité, et celui qu'il espérait obtenir de Louis XVIII, du duc d'Orléans ou de Marie-Louise régente n'était qu'une espérance. Sacrifier la proie pour l'ombre est une ligne de conduite que moins qu'aucun autre pouvais se proposer le duc d'Otrante. Le malheur pour Napoléon, c'est que Fouché avait peu de confiance dam la durée du nouvel empire et conséquemment dam celle de son portefeuille. Or, selon le mot de Barère. il était atteint de gouvernomanie. Que, l'empereur triomphât ou tombât, lui voulait rester au pouvoir. Il avait fallu une révolution pour l'y ramener. Fouché en appréhendait une seconde ; il ne fallait pas que celle-ci pût le renverser. Il ne fallait pas non plus que Napoléon régnât avec l'omnipotence de naguère. Le duc d'Otrante savait que l'empereur avait des raisons pour ne point l'aimer. Il craignait une destitution le jour où ce maître redoutable aurait recouvré la plénitude de son pouvoir. Dès le commencement d'avril, il écrivit même à Wellington pour lui exposer les dangers qu'il courait de la part de Napoléon et lui demander un asile en Angleterre dans le cas où il serait proscrit[45].

Dominé par la crainte de la chute de l'empire et par l'appréhension du despotisme de l'empereur, Fouché se prémunit contre la première alternative en faisant des ouvertures à l'étranger, contre la seconde en créant, à Napoléon toutes sortes de difficultés intérieures. Mais pour cela, il n'a garde de se dévouer au roi ni d'abandonner l'empereur. Il sert, trompe et trahit l'un et l'autre au grand profit et au plus grand dommage de tous les deux. Dans ses messages à Gand, il proteste de son zèle pour le roi légitime ; dans son cabinet, il dit aux royalistes : — Cet homme est revenu de l'île d'Elbe plus fou qu'il n'était parti. Son affaire est réglée, il n'en a pas pour trois mois ! Mais il fait rééditer à des milliers d'exemplaires et avec des adjonctions perfides le Mémoire de Carnot, ce réquisitoire contre les Bourbons, et il inonde Paris et les départements de caricatures où Louis XVIII est représenté emportant les sacs d'or de la Banque et les diamants de la couronne, commandant l'exercice dans une chaise à porteurs à une armée d'invalides, ou indiquant du doigt la frontière française à un peloton de Cosaques. Maitre de la police et d'une partie de la presse, il en use à la fois pour soutenir l'empereur et pour lui susciter une opposition très forte. Il fait proclamer que Napoléon est le seul souverain qui convienne à la France, mais il fait dire tantôt que l'empereur abdiquera au Champ de Mai, tantôt que toutes ses promesses pacifiques et libérales sont mensongères, que la guerre est proche et la tyrannie certaine. Aux familiers de l'empereur, à ses frères eux-mêmes, Lucien et Joseph, il persuade que l'Europe concéderait la régence, mais que dans son féroce égoïsme Napoléon préfère à une abdication au profit de son fils les chances douteuses d'une campagne et la menace du démembrement de la France. Pour obtenir des lois répressives, il lit à la Chambre un rapport effrayant sur la situation du pays, mais ce rapport est conçu en même temps pour donner espoir à I émigration et pour jeter l'alarme chez tous les Français. Il conseille à Davout de faire poursuivre par le ministère public les individus qui s'opposent à l'enrôlement, mais il ne les fait pas arrêter par ses propres agents. Il encourage les fédérations pour imposer aux royalistes et pour exalter l'esprit républicain, mais il modère ce mouvement national pour ne pas rendre l'empereur trop fort. Il dénonce comme une honte et un danger l'organisation de la canaille de Paris en bataillons de tirailleurs, il dissuade Napoléon de toute mesure énergique, il arrête son bras prêt à frapper, il élude ses ordres, il calme le zèle des lieutenants de police et des agents subalternes[46].

C'est surtout dans cette campagne contre le despotisme éventuel de Napoléon que Fouché nuisit à la cause impériale, en donnant l'exemple de la défiance, de la tiédeur et du laisser-faire. Vis-à-vis de Louis XVIII et des Alliés, ses intrigues se bornèrent à de bons offices rendus aux royalistes, au don de passeports et de permis de séjour, à une intercession en faveur de Vitrolles, à des pourparlers, à des correspondances secrètes, à. des ouvertures, à des promesses. Si Fouché s'offrait cyniquement, il n'avait garde de se livrer avant que, le sort des armes ayant prononcé, il pût le faire sans risquer de rien perdre. Un agent des Bourbons mandait à Gand : Tout fait penser que le plus grand coup de politique que pourrait faire le roi serait de traiter avec Fouché. Mais Pozzo, qui pénétrait mieux le personnage, écrivait à Nesselrode : On n'obtiendra de Fouché que des intrigues et des communications stériles qu'il rappellera plus tard comme des services réels. Sans doute, le duc d'Otrante facilita aux émissaires du roi et aux espions de Wellington le passage des frontières et le séjour à Paris ; il les reçut même dans son ca, binet et leur révéla l'état des armements en France et la date probable de l'ouverture des hostilités. Mais en même temps, il tira d'eux des renseignements c-tr les forces et les positions des armées coalisées et les révéla à l'empereur. S'il promit à Wellington de lui faire parvenir des indications sur le plan de campagne de Napoléon, voici comme il tint sa promesse : le jour du départ de l'empereur, il remit avec tous les sauf-conduits du monde une longue note chiffrée à une dame D..., mais la veille il avait envoyé à la frontière le signalement de cet émissaire enjuponné et l'ordre secret de le retenir, sous différents prétextes, jusqu'après la première bataille. Dans toutes ces manœuvres, Fouché n'était pas guidé par le seul intérêt personnel. Il aimait l'intrigue pour l'intrigue, en artiste. Il faut toujours, disait Napoléon, qu'il ait son vilain pied sali dans les souliers de tout le monde[47].

Dès le 19 mars, Fouché, qui visait alors au portefeuille des affaires étrangères, avait eu une entrevue avec Marschall et, devançant les intentions de l'empereur, il avait assuré le confident du prince régent que le nouveau gouvernement impérial serait tout à fait pacifique. Le surlendemain, Marschall étant retourné en Angleterre après avoir promis de s'employer au maintien de la paix, Fouché lui fit passer cette lettre à Londres : Les Bourbons ne peuvent convenir à la France. Napoléon peut seul garantir les grandes masses d'intérêts de la nation et toutes les existences, toutes les situations nées de la Révolution. Je suis autorisé à vous dire que l'empereur est disposé à recevoir du gouvernement anglais toute proposition propre à assurer une paix durable entre les deux pays. Vous pouvez donc agir avec confiance dans cette direction[48]. Un peu plus tard, quand toutes les lettres de l'empereur étaient interceptées, quand aucun de ses courriers ne pouvait passer les avant-postes prussiens et bavarois, quand Flahaut était arrêté à Stuttgard et le baron de Stassart emprisonné à Linz, ce fut le duc d'Otrante qui conseilla d'envoyer à Vienne des créatures à lui et à Talleyrand : Montrond, Saint-Léon, Bresson de Valensoles. Les frontières rigoureusement fermées aux serviteurs de Napoléon s'ouvrirent comme par enchantement devant les émissaires de Fouché[49].

Fouché imagina encore de détacher le czar de la coalition par l'influence de Laharpe, son ancien précepteur. Alexandre le traitait toujours amicalement et orientait quelquefois sa politique d'après ses conseils. Laharpe se trouvait à Zurich. On lui envoya son ami Ginguéné qui, devenu bonapartiste par haine des Bourbons, plaida ardemment la cause de l'empereur. Laharpe l'écouta sans trop le décourager et l'invita même à exposer la question dans un Mémoire qu'il promit de communiquer au czar[50]. Toutes ces négociations échouèrent, mais Napoléon n'en était pas moins redevable à Fouché d'avoir suggéré les unes et facilité les autres en perçant la Grande-Muraille que l'Europe avait élevée autour de la France.

Fouché s'employait avec d'autant plus de zèle à procurer son souverain les meilleurs émissaires qu'il s'en servait pour ses propres intrigues. Si Bresson et Montrond portèrent à Vienne les paroles de Napoléon, ils y portèrent du même coup les paroles du duc d'Otrante, et celles-ci n'auraient sans doute pas eu l'approbation de l'empereur. Saint-Léon remit à Metternich cette lettre de Fouché : On vous trompe. Non seulement l'armée mais le peuple ont rappelé Napoléon. De quel droit nous empêcher d'avoir le souverain qui nous convient ? Le peuple français veut la paix, mais il sera terrible dans la guerre. Avant peu, il y aura sous les armes un million d'hommes exaltés. Tous les trônes s'écrouleront au cri de : Liberté ! poussé par les armées françaises. Donc détournez la guerre de nous et de vous. Mais très vraisemblablement, en même temps que cette lettre, qui avait été soumise à l'empereur, Saint-Léon donna à Metternich une autre lettre de Fouché, conçue en termes fort différents[51].

Depuis le commencement d'avril, les deux ministres étaient en correspondance secrète. Tandis que Fouché chargeait les émissaires de Napoléon de messages occultes pour Metternich, celui-ci fit passer au duc d'Otrante, par un prétendu commis d'une banque de Vienne, un billet à l'encre sympathique, l'invitant à envoyer à Bâle une personne de confiance qui y trouverait à qui parler[52]. Fouché s'occupait sans doute à chercher cette personne de confiance lorsque la présence de l'agent de Metternich lut signalée à l'empereur par le banquier Perregaux fils chez qui il avait présenté une lettre de crédit. Arrêté et conduit à l'Elysée, cet homme avoua la mission qu'il avait remplie auprès de Fouché et indiqua même le signe de reconnaissance qui devait servir aux deux agents pour leur rencontre à Bâle. L'empereur, qui gardait encore des illusions sur son ministre de la police, le manda incontinent, espérant qu'il allait de lui-même donner le billet de Metternich. Le duc d'Otrante ne fit aucune confidence. Napoléon songea alors à faire arrêter Fouché et à faire saisir ses papiers, mais il réfléchit que le personnage était trop habile et trop prudent pour avoir rien conservé de compromettant. Le meilleur moyen de connaître la vérité serait d'envoyer au rendez-vous un homme sûr qui se présenterait comme mandataire du duc d'Otrante. Napoléon confia cette mission à Fleury de Chaboulon, dont le voyage à l'île d'Elbe lui avait fait apprécier la valeur et le dévouement et qui était devenu un de ses secrétaires[53].

Le 3 mai, Fleury descendit à l'hôtel des Trois-Rois, à Bâle. Il y trouva l'agent de Metternich, le baron d'Ottenfels, secrétaire aulique, qui avait pris pour la circonstance le nom de Henri Werner. Au début de l'entretien, ils restèrent l'un et l'autre sur la réserve, car Ottenfels attendait les ouvertures de l'affidé de Fouché, et Fleury, qui ignorait le texte du billet de Metternich, appréhendait de se trahir en parlant sans être un peu renseigné. Ottenfels finit par s'expliquer. L'Autriche et ses alliées, dit-il en substance, sont déterminées à faire une guerre à outrance à Napoléon, mais elles désireraient ne pas la faire à la France pour éviter l'effusion du sang. M. de Metternich a pensé que le duc d'Otrante pourrait seconder puissamment les vues de l'Europe. Les Alliés sont très partisans du rétablissement des Bourbons ; toutefois, ils donneront des garanties que Louis XVIII ne rentrera en France qu'en vertu d'un pacte nouveau ; que les émigrés n'auront aucune influence dans son gouvernement et qu'il prendra un ministère libéral dont pourraient faire partie le duc d'Otrante et Carnot. Si la France voulait le duc d'Orléans, au lieu de Louis XVIII, les puissances s'emploieraient pour obtenir l'abdication du roi ; si même la France voulait la régence, on ne s'y refuserait pas. Mais l'Autriche, la première, est loin de désirer la régence, pour des raisons de politique et de famille. C'étaient là d'ailleurs, insinua Ottenfels, des questions subsidiaires. Le point important était que la France et l'Europe fussent délivrées de Napoléon.

Très curieux d'apprendre de quelle façon Metternich entendait qu'on le délivrât de Napoléon, Fleury dit tout crûment : — Pour cela, il n'y a que deux moyens. Le premier est l'assassinat... Ottenfels l'ayant interrompu avec une indignation feinte ou réelle, il reprit : — Le second est un complot. L'Autrichien ne dissimula pas que complot ou révolution était ce que l'on attendait de Fouché. Fleury dit alors, et avec raison, que M. de Metternich s'exagérait singulièrement la puissance du duc d'Otrante s'il s'imaginait que tout ministre de la police qu'il était, il pourrait arrêter l'empereur comme un simple roi fainéant ou soulever contre lui le peuple de Paris. — D'ailleurs, ajouta-t-il, M. Fouché n'en aurait pas le désir. Il ne pense plus comme l'an dernier. Il est sincèrement rallié à l'empereur qui a pour lui les suffrages unanimes de la nation, qui n'est plus l'ambitieux et le conquérant d'autrefois et qui est le seul chef qui nous convienne. Cette déclaration avait d'autant plus de force qu'elle semblait faite par le mandataire de Fouché, c'est-à-dire par un confident de l'homme qui passait à Vienne pour un ennemi irréconciliable de Napoléon. Très déconcerté, Ottenfels manifesta sa surprise et laissa même voir son trouble. Fleury en profita pour insinuer que le prince de Metternich ferait œuvre de grand politique en amenant une pacification générale par un accord avec le gouvernement actuel de la France. Ottenfels se contenta de répondre qu'il informerait M. de Metternich de la nouvelle disposition d'esprit où était le duc d'Otrante ; puis les deux émissaires se séparèrent en convenant de se retrouver à Bâle sous huit jours[54].

Le soir même du départ de Fleury pour la Suisse[55], une scène violente avait eu lieu entre Napoléon et Fouché. Averti par les soins de Réal[56], qui, tout en le détestant, cherchait à s'assurer son appui, que l'empereur savait tout, le duc d'Otrante se rendit à l'Elysée avec le billet de Metternich. Au milieu de la conversation, il dit du ton d'un homme à qui quelque fait revient soudain à la mémoire : — Ah ! Sire, j'avais oublié de vous dire que j'ai reçu un billet de M. de Metternich. J'ai tant de choses plus importantes qui me préoccupent ! Puis son envoyé ne m'avait pas remis la poudre pour faire reparaître l'écriture, et je croyais à une mystification. Enfin, je vous l'apporte. L'empereur éclata. — Vous êtes un traître, Fouché, je devrais vous faire pendre ! Sire, répliqua le ministre, je ne suis pas de l'avis de Votre Majesté. Puis aussi tranquille que si Napoléon venait de lui adresser quelque compliment, il continua ses explications. L'empereur se calma. Peut-être, d'ailleurs, sa colère était-elle feinte et n'avait-il fait ces menaces que pour voir s'il pourrait troubler son imperturbable ministre. L'intérêt de Fouché n'est pas de me trahir, dit-il à Fleury de Chaboulon à son retour de Bâle. Il a toujours aimé à intriguer. Il faut le laisser faire. Contez-lui tout ce qui s'est passé avec M. Werner[57].

Fouché se prêta de bonne grâce à collaborer à la comédie de Bâle. Il remit à Fleury deux lettres pour Metternich, l'une destinée à être rendue publique, l'autre confidentielle. Toutes deux étaient rédigées de façon à convaincre le ministre autrichien que Napoléon était le seul souverain qui convint à la France. Quand Fleury revint à Bâle, il pouvait, cette fois, se donner sans imposture comme l'envoyé de Fouché. Ottenfels déclara que les résolutions des Alliés de ne jamais reconnaître Napoléon étaient irrévocables, mais qu'ils consentiraient à laisser régner son fils. — Mais que fera-t-on de l'empereur ? demanda Fleury. — Commencez par le déposer. Les Alliés, qui sont généreux et humains, prendront ensuite et selon les événements la détermination convenable. — Mais, enfin ?Je n'en sais pas davantage[58].

Ottenfels en disait assez. A supposer que la question de la régence eût été sérieusement discutée par les Alliés, ils l'avaient résolue négativement. Mais Metternich peinait que cette forme de gouvernement était celle dont les Français en général et Fouché en particulier s'accommoderaient le plus volontiers. Il en faisait la proposition dans l'espoir que Fouché s'emploierait activement, par la persuasion, la ruse ou la force, à obtenir l'abdication de l'empereur. La France désarmée de l'épée napoléonienne, les Alliés, qui ne voulaient donner aucune garantie, agiraient en maîtres. Selon les paroles d'Ottenfels, ils prendraient alors la détermination convenable non seulement sur le sort de Napoléon mais sur le gouvernement même de la France[59]. Napoléon ne s'était pas déterminé à sa grande aventure pour obéir, redevenu empereur, aux sommations de l'étranger avant de faire parler la poudre. Il n'était pas l'homme du sacrifice. Il n'avait nulle intention d'abdiquer. — Pas si bête ! dit-il à Lucien[60]. Et les propositions de Metternich n'étaient ni assez précises ni assez sûres pour l'y déterminer.

Les conférences de Bâle n'eurent pas de suite[61]. Fleury n'y perdit pourtant point toute sa peine, car il en rapporta la certitude que les négociations entre Metternich et Fouché se bornaient à de vagues pourparlers et qu'il n'y avait pas complot contre la vie de l'empereur, comme celui-ci l'avait d'abord soupçonné. Napoléon resta néanmoins en défiance : le duc d'Otrante avait trop tardé à lui parler du billet de Metternich. Ayant appris par une indiscrétion d'Ottenfels que Montrond et Bresson de Valensolles avaient été chargés, à Vienne, de messages secrets pour Fouché, l'empereur ordonna de mettre en surveillance ces deux agents. Mais déjà Bresson, que Fouché jugeait le plus compromis ou le moins discret, était parti pour Londres. Le ministre de la police lui avait fait confier par son collègue de la guerre la mission d'aller acheter 40.000 fusils que proposait un armateur anglais. L'empereur gronda très fort Davout, croyant qu'il était le complice de Fouché. Bien vraisemblablement, il était plutôt sa dupe[62].

A Sainte-Hélène, Napoléon dit plusieurs fois qu'il aurait dû faire fusiller Fouché. A Paris, il avait pensé du moins à le destituer[63]. S'il ne le fit pas, c'est qu'il avait ses raisons, et ces raisons-là il les avait oubliées dans son exil ou il ne voulait pas les dire. Au retour de l'île d'Elbe, il lui fallait compter avec le duc d'Otrante. C'était le chef du parti jacobin, et son opposition à toutes les mesures autoritaires de l'empereur lui avait gagné les libéraux. Sa disgrâce eût été regardée comme l'indice du retour à l'absolutisme. Carnot lui-même, qui haïssait et méprisait Fouché et qui, n'étant pas homme à se donner à demi, montra pendant les Cent Jours un entier dévouement à l'empereur, le déconseilla de destituer le duc d'Otrante. — Il y a un mois, dit-il, j'aurais approuvé le renvoi de Fouché. Mais aujourd'hui cela augmenterait les irrésolutions et les défiances déjà si grandes de l'opinion. Napoléon temporisa, attendant qu'une victoire lui donnât l'autorité nécessaire pour cette espèce de coup d'Etat[64].

 

 

 



[1] Les craintes d'une guerre civile dans l'Ouest ont complètement disparu. Rapports du lieutenant de police d'Angers, 31 mars (Arch. nat., F. 7, 3774). Dans le Maine-et-Loire, la Vendée, les Deux-Sèvres, les colonnes mobiles sont accueillies aux cris de : Vive l'empereur ! J'ai parcouru la Vendée avec trois gendarmes seulement. Partout la population était contente. Rapport de Morand. 7 avril (Arch. Guerre). — A la nouvelle de l'appel aux armes du duc de Bourbon, Morand avait été envoyé pour réprimer l'insurrection (Napoléon, Correspondance, 21.721). Mais quand il était arrivé, le 29 ou le 30 mars, tout l'Ouest était pacifié ou plutôt le paraissait.

[2] Napoléon, Correspondance, 21.841. Cf. Davout, Correspondance, 1621.

[3] Relation de Suzannet. Relation de d'Andigné. (Arch. Guerre, armée de l'Ouest.) Préfet de Maine-et-Loire à Davout, 19 avril. Chef d'escadrons de gendarmerie à Davout, Nantes. 19 et 30 avril. Eliot de Mélito à Davout, Napoléon-Vendée, 30 avril. (Arch. Guerre.) Note du général Charpentier (Portefeuille de Buonaparte, 11) Canuel, Mém. sur la guerre de Vendée, 23-24. Lettre de Suzannet à citée par Canuel, 401. D'Autichamp, Camp. de Vendée en 1815, 23-21. — Seul de tous les chefs royalistes, Piquet Du Boisguy fut arrêté par la gendarmerie.

[4] Correspondance générale, du 13 avril au 3 mai (Arch. Guerre).

[5] Caffarelli à Davout, Rennes, 16 et 20 avril. Schramm à Davout, Angers, 21 avril. Cf. Travot et Charpentier à Davout, Cholet, 20 avril, et Nantes, 22 avril.

[6] Davout à Caffarelli, à Charpentier, à Travot, à Delaborde, etc., 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29 avril. Charpentier à Davout, Nantes, 20 avril. Cf. Caffarelli à Davout, Rennes, 26 avril, et Delaborde à Davout, Angers, 8 mai. (Arch. Guerre.)

[7] Davout, Correspondance, 1648.

[8] Lettres à Davout : de Bigarré, Rennes, 7 mai (Cf. 31 mai) ; de Delaborde, Angers, 7 mai ; du général Saint-Sulpice, Tours, 7 mai ; de Charpentier, Nantes, 9 mai. Préfet de Nantes au général Brouard, 5 mai. (Arch. Guerre.)

[9] Relation de Suzannet. (Arch. Guerre, armée de l'Ouest.)

[10] Jaucourt à La Châtre, Gand, 8 et 14 avril, 13 mai (Arch. Aff. étr., 646).

[11] Relation de Suzannet et d'Andigné (Arch. Guerre). Canuel, Guerre de Vendée en 1815, 32, 36, 51, 55. D'Autichamp, Camp. de 1815 dans la Vendée en 1815, 34-36, 41. Lettres à Davout : de Delaburde et de Noireau, Angers, 16 et 17 mai ; de Charpentier, Nantes, 16 mai ; de Vabre, Quimper, 29 mai ; de Bigarré, Rennes, 31 mai (Arch. Guerre.)

[12] Relation de Suzannet. (Arch. Guerre.) D'Autichamp, Camp. de 1815 dans la Vendée, 36, 42-44. Canuel, Guerre de Vendée en 1815, 37-40, 55-58 Lettres à Davout : de Delaborde, 16 mai ; de Noireau, 17 et 30 mai ; de Saunier, 10 mai. Directeur des contributions de Beaupreau à Delaborde, 18 mai. Dufresse à d'Erlon, Niort, 21 mai. (Arch. Guerre.)

[13] Delaborde à Davout, 8 mai (Arch. Guerre).

[14] Lettres à Davout : de Delaborde, 16 et 19 mai ; de Noireau, 17 mai ; de Saulnier, 19 mai ; de Charpentier, 26 mai ; de Bigarré, 31 mai. Travot à Delaborde : 24 mai. Bigarré à Lamarque, 31 mai. (Arch. Guerre.)

[15] Travot à Delaborde, 21 et 25 mai. (Arch. Guerre.) Canuel, Guerre de Vendée, 59, 73.

[16] Rapports de Travot, 19 et 25 mai. (Arch. Guerre.)

[17] Napoléon à Fouché, 17 et 20 mai ; à Corbineau, 21 mai ; à Davout, 20, 22, 23 et 24 mai. (Correspondance, 21.921, 21.936, 21.944, 21.948, 21.953, 21.962, et Arch. nat., AF, IV, 907.) Davout, Correspondance, 1736, 1737, 1738. Davout à Delaborde, 21 mai ; à Napoléon, 23 mai ; à Clausel, 24 mai. (Arch. Guerre.)

[18] Villemain, Souvenirs contemporains, II, 227.

[19] Mollien, Mémoires, IV, 199-200.

[20] Fouché à Davout, 27 avril et 11 mai (Arch. Guerre).

[21] Relation de Malartic. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest, à la date du 26 juin 1815.)

[22] Relation de Malartic. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.)

[23] Relation de Suzannet (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest). D'Autichamp, Camp. de 1815 dans la Vendée, 30, 41.

[24] Rapport de Travot, 28 mai. Relation de Suzannet. (Arch. Guerre.) Canuel, Mém. sur la guerre de Vendée, 59-60, 73-76. — Travot n'avait avec lui que 530 hommes des 43e et 61e, 103 gendarmes à pied, 80 gendarmes à cheval, 142 canonniers et 246 chasseurs de la Vendée.

[25] Le roi m'a ordonné de prendre provisoirement le commandement en chef. Lettre de La Rochejaquelein à d'Autichamp, Cerisay, 23 mai (citée par d'Autichamp, Camp. de 1815 en Vendée, 52).

Louis XVIII avait si peu ordonné à La Rochejaquelein de prendre ce commandement que, le 11 juin, Clarke écrivait à celui-ci : Le roi ne peut approuver, monsieur le marquis, que vous ayez pris, même provisoirement, le titre de général en chef, parce que cela contribuera à réveiller les jalousies. (Lettre citée par d'Autichamp, 52, note.)

[26] Relation de Malartic (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest). — D'Autichamp (Camp. de 1815 en Vendée, 62, 63) prétend qu'il répondit qu'il ne voulait point entendre parler de ces propositions. Mais si l'on se rappelle que d'Autichamp avait souscrit, le 23 mars, à des propositions analogues du colonel Noireau, alors qu'une insurrection vendéenne se liant par La Rochelle et Bordeaux avec celles du Languedoc et de la Provence eût pu donner de grands résultats, on peut difficilement douter qu'il ait repoussé les ouvertures de Malartic alors que la guerre de Vendée ne pouvait aboutir qu'à l'écrasement des royalistes et à la ruine du pays.

[27] Canuel, 103-109. Cf. Relation de Suzannet. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.)

[28] La Rochejaquelein à Travot, Cerisay, 23 mai (Arch. Guerre).

Cette étrange missive fut remise à Travot par Bossard, commandant la cavalerie vendéenne. — Connaissez-vous le contenu de cette lettre ? lui dit Travot. — Non. — Vous êtes heureux. Je vous aurais fait fusiller tout à l'heure. Je ne réponds pas à cette lettre. M. de La Rochejaquelein ne connaît pas Travot. Déposition de Sapinaud. (Dossier de Travot. Arch. Guerre.)

[29] Travot à Delaborde, 26 mai. Colonel Bourgeois à Saulnier, Parthenay, 31 mai. Ordres et proclamations de La Rochejaquelein, 15, 21 et 27 mai. (Arch. Guerre.)

[30] Relation de Suzannet (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest). Canuel, 110-115.

[31] Cf. Canuel, 131-175. Lettre du capitaine Ekitoë, s. l. n. d., trouvée sur le cadavre de La Rochejaquelein, le 4 juin. (Arch. Aff. étr., 1802.)

Deux vaisseaux de 74 : le Superb, sur lequel l'amiral Hotham avait arboré son pavillon, et le Bellérophon, qui allait bientôt devenir si fameux, avaient convoyé les bâtiments de transport.

On attend à chaque instant de plus grands secours d'armes, écrivait Ekitoë, mais je crains qu'il n'y ait point encore de troupes. Ainsi il y avait projet d'un débarquement de troupes anglaises. Ekitoê ajoutait : J'espère que les coquins (les soldats français) seront anéantis.

[32] Arrêté, Falleron, 31 mai. Lettre de Suzannet, Falleron, 1er juin (cité par Canuel, 125-132).

[33] Suzannet (Relation, Arch. Guerre) et d'Autichamp (Camp. de 1815 dans la Vendée) nient que les ouvertures de Fouché aient eu la moindre influence sur leur décision ; ils l'attribuent uniquement à la répugnance des paysans à se porter dans le Marais. Mais la lettre de Suzannet, que nous citons plus haut, la relation de Malartic (Arch. Guerre) et les deux lettres de Suzannet y annexées : à Malartic, 31 mai, et aux trois commissaires, 1er juin ; la Relation de Gabriel Du Chaffaut et le Mémoire au roi, du général Lamarque, sans parler même de l'argumentation très serrée de Canuel (Mém., 133-440, et 397-407), réduisent à néant ces allégations.

De l'ensemble des témoignages il ressort clairement : 1° que sans s'engager avec Malartic, les trois généraux vendéens lui marquèrent les conditions qu'ils désiraient obtenir, et qu'en attendant une réponse de Paris, ils voulurent épargner à leurs hommes des fatigues et des pertes inutiles ; 2° que par leur inexécution des ordres de La Rochejaquelein, dont au reste ils supportaient l'autorité avec peine, ils espéraient, l'amener, faute d'être soutenu, à accepter, si eux-mêmes persistaient dans cette idée, les propositions de Fouché.

Les 2 et 3 juin, les généraux vendéen s se ravisèrent et se mirent en mesure  de marcher au secours de La Rochejaquelein, mais il était trop tard.

[34] Ordre du 2 juin (cité par Canuel, 346-349). Cf. Relation de Suzannet. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.)

[35] Du Chaffaut, Relation des événements, 11-13. Cf. Lettre de Suzannet à d'Autichamp (citée par d'Autichamp, 88-89) et Rapport de Lamarque à Davout, Nantes, 9 juin (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest). — Lamarque dit que Travot perça à Légé le centre de l'armée vendéenne. C'était une illusion de Travot. Le 1er juin, le corps de Sapinaud avait déjà évacué Légé, et Travot eut seulement affaire à la petite division (400 hommes) de Du Chaffaut qui, espérant entraîner les généraux vendéens à revenir sur leurs pas pour le soutenir, attaqua l'arrière-garde de la colonne impériale.

[36] Rapport de Lamarque, Nantes, 9 juin (Arch. Guerre). Canuel, Mém. sur la guerre de Vendée, 158-163.

[37] Rapport de Lamarque à Davout, Nantes, 9 juin. Rapport général de Lamarque, Clisson, 24 juin. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.) Canuel 164-168. Beauchamp, III, 185.

Quand ils eurent vu tomber La Rochejaquelein, les gendarmes s'avancèrent, prirent les papiers qui étaient sur lui et l'enterrèrent. Le lendemain, Canuel retrouva le cadavre, d'après les indications d'un paysan, et le fit inhumer dans le cimetière du Perrier.

[38] Beaucoup de paysans marchent par force, sans être animés de l'esprit de 93. Lamarque à Davout, Angers, 31 mai. — Les campagnards ne prennent les armes qu'avec répugnance. Bigarré à Davout. Rennes, 4 juin. — La moitié des gens marchent par force. La Riboisière à Napoléon, Nantes, 5 juin. — Marchent seulement jusqu'à présent les domestiques de ferme et les vagabonds à qui les nobles donnent jusqu'à dix francs par jour. Barouillard à Carnot, Bressuire, 6 juin. (Arch. Guerre.) Cf. Relations de Suzannet, de d'Andigne et de Malartic. Rapport du lieutenant de gendarmerie de Paimbœuf, 25 mai. Lettre à Davout, Nantes, 29 mai. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.) Rapport de Bésigny, Niort, 28 mai. (Portefeuille de Buonaparte, 107-108). D'Autichamp, Camp. de Vendée, 71. Du Chaffaut, Relation, 16. Cf. Pasquier, Mém., III, 189.

[39] D'Autichamp, Campagne de Vendée, 95-98. Relation de Suzannet. (Arch. Guerre. Armée de l'Ouest.)

[40] Lettre de Lamarque aux généraux vendéens, Nantes, 9 juin. Rapport de Lamarque à Davout, Nantes, 11 juin. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.) Canuel, Mém. sur la Guerre de Vendée, 207-209.

[41] Relation de Suzannet. (Arch. Guerre.) D'Autichamp, 99-105. Canuel, 205-207.

[42] Canuel, 209-212, 226-227, 232. Cf. D'Autichamp, 102-120, et la Relation de Suzannet (Arch. Guerre) : La plus grande division règne entre nous. On s'accuse mutuellement.

[43] Lamarque à Davout, Nantes, 9 juin. Travot à Lamarque, Challans, 14 juin. (Arch. Guerre, Armée de l'Ouest.) Canuel, 210-211. D'Autichamp, 102. (Ct. Lettre de Saint-Hubert, 17 juin, citée par le même, 109-120.) Relation de Suzannet. Cf. Rovigo à Davout, 20 juin. (Arch. Guerre.)

[44] Canuel, 214-232.

[45] Pozzo à Nesselrode, Bruxelles, 3 mai. (Correspondance, I, 103-104.) Il est fort probable que Fouché exagérait ses craintes et que cette demande d'un asile éventuel était un prétexte pour entrer en correspondance avec le généralissime de la coalition.

[46] Notes de Rousselin (Collection Bégis). Mémoires manuscrits de Barras (communiqués par M. Georges Duruy). Mémoires de M*** (communiqués par M. de ***). Notes de Lucien Bonaparte. (Arch. Aff. étr., 1815.) Carnot, Exposé de ma conduite politique, 4-7. Lucien Bonaparte, La vérité sur les Cent Jours, 32-36. Barère, Mém., IV, 210-211. Lavallette, Mém., II, 180-181, 183-184. Rovigo, Mém., VIII, 35, 45, 61-64. Mémoires de Fouché, II, 315, 318, 320-322, 326-327, 338. Mém. sur Carnot, II, 468-4.61. Villemain, Souv., II, 222-226. Esquisse historique sur les Cent Jours, introduction, 3-2. Fouché à Davout, 15 mai. Rapport d'un espion royaliste, 1er juin (Arch. Guerre). Las Cases, Mémorial, III, 53. Lamarque, Mém., I, 61-62. Rapport de Résigny à Napoléon, Angoulême, 2 juin. (Portefeuille de Buonaparte, 110.) Rapport du chevalier d'Artez, 19 avril. (Wellington, Dispatchs, Supplément, IX.)

[47] Pozzo, Correspondance, I, 102-104, 108-109, 112, 114, 157. Rapport d'un agent royaliste, 1er juin (Arch. Guerre). Notes de Rousselin (Collection Begis). Mémoires manuscrits de Barras, précités. Lamarque, Mém., I, 61-62. Damitz, Campagne de 1815 (traduct. française, 1I, 81-82). Mém. de Fouché, 323-335, 341-342. Lucien Bonaparte, La Vérité sur les Cent Jours, 32-34. Fleury Chaboulon, Mémoires, II, 27-29. Rovigo, Mém., VIII, 77, 138-139. Las Cases, Mémorial, III, 29.

[48] Note sur Fouché, Paris, 20 mars. Lettre de Fouché à Marschall, Paris, 21 mars. (Arch. Aff. étr., 1801.)

[49] Fouché à Caulaincourt, s. l. n. d. (Paris, avril) (Arch. Aff. étr., 1801).

[50] Fouché à Caulaincourt, 24 avril. Ginguéné à Laharpe, Zurich, 1er juin (Arch. Aff. étr., 1801, 1802).

Une copie du Mémoire de Ginguéné existe aux Arch. des Affaires étrangères : On ne trouve rien de pareil dans l'histoire au retour de l'île d'Elbe, dit Ginguéné. L'empereur a été reçu comme un libérateur par la France avilie, opprimée, humiliée par les Bourbons... Napoléon n'a pas changé, mais il a trop de jugement pour que les circonstances ne s'imposent pas à lui. Il lui faut des années pour se préparer à la guerre, et il sait que la France ne veut pas de la guerre. La seule chose qui pourrait le faire se livrer à sa manie conquérante serait que les Alliés l'attaquassent Les Alliés iraient donc contre leur but en lui déclarant la guerre... Ginguené expose ensuite les détails de la nouvelle constitution ; il s'écrie : Quel est le peuple qui jouit de pareilles institutions ! Sa conclusion est : Il n'est pas de l'intérêt de l'Europe d'attaquer la France. C'est injuste, c'est dangereux. Les Alliés pourront remporter un premier succès en raison de leurs masses, mais quand ils entreront en France ils auront contre eux la nation entière, à en juger du moins pas l'exaltation qui règne.

[51] Fouché à Caulaincourt, s. l. n. d. (avril). Fouché à Metternich, Paris, 23 avril. (Arch. Aff. étr., 1801 ) Cf. Fleury de Chaboulon, Mém., II, 42, 45. Chateaubriand, Mém., VI, 433-434.

[52] Les puissances ne veulent pas de Napoléon Bonaparte. Elles lui feront une guerre à outrance et désirent ne pas la faire à la France Elles désirent savoir ce que la France veut et ce que vous voulez. Envoyez une personne qui possède votre confiance exclusive au lieu que vous indiquera le porteur. Elle y trouvera à qui parler. Metternich à Fouché, 9 avril. (Metternich, Mémoires, II, 516.)

Pris de scrupules après coup, Metternich prétend (Mém., I, 207-208) que c'est Fouché qui avait sollicité cette entrevue par l'envoi d'un agent secret à Vienne. Mais du texte même de sa lettre précitée et de celui des instructions à Ottenfels (Metternich, Mém., II, 514-515) : ... M. d'Ottenfels se dira envoyé à Bâle pour s'aboucher avec la personne de confiance envoyée par M. le duc d'Otrante en vertu d'une invitation qui lui aurait été adressée directement à Paris, il semble bien ressortir que c'est Metternich et non Fouché qui provoqua cette entrevue. De plus, si Fouché avait envoyé un agent à Vienne pour la solliciter. Metternich aurait donne sa réponse à cet agent au lieu de la confier à un autre émissaire. C'eût été beaucoup plus simple et beaucoup plus sûr.

[53] Fleury de Chaboulon, Mém., II, 10-13. Metternich, Mém., I, 208. Lavallette, Mém., II, 182. Rovigo, Mém., VIII, 32-33. Las-Cases, Mémorial, III, 54-55. Napoléon, L'ile d'Elbe et les Cent Jours. (Correspondance, XXXI, 122-123.) — Le Viennois subit ensuite un autre interrogatoire de réal (Napoléon à Réal, 29 avril. Arch. nat. AF. IV, 907). Cf. Pasquier, Mém., III, 196, 199.

Le 28 avril, l'empereur donna ce sauf-conduit à Fleury : Le général Rapp, les généraux commandants à Huningue et nos agents civils et militaires à qui le même ordre sera communiqué accorderont pleine et entière confiance au chevalier Fleury, notre secrétaire, et lui faciliteront par tous les moyens les communications avec Bâle. (Arch. nat. AF. IV, 907.)

[54] Fleury de Chaboulon, Mém., II, 14-24. Instructions à Ottenfels. (Metternich, Mém., II, 514-516.) Cf. Napoléon, Œuvres de Sainte-Hélène (Correspondance, XXXI, 122-123).

[55] Le sauf-conduit donné par l'empereur à Fleury est du 28 avril, et une Lettre de l'empereur à Réal, ou il est question du demi-aveu de Fouché, est datée du 29 avril et porte : Fouché m'a parlé hier. (Arch. nat., AF. IV, 907.)

[56] On a vu que Napoléon avait pris Réal à la préfecture de police pour surveiller Fouché, Réal remplissait singulièrement l'attente de Napoléon : Partout la trahison !

[57] Lavallette, II, 181-182 Fleury de Chaboulon, II, 27 Napoléon à Réal, 29 avril. (Arch. nat., AF. IV, 907.) Cf. Mém. de Fouché, II, 331-332. Napoléon, Œuvres de Sainte-Hélène. (Correspondance, XXXI, 123.) Las Cases, Mémorial, III, 55-55. — D'après les Mémoires sur Carnot (II, 457), Napoléon aurait fait une pareille algarade à Fouché en plein conseil des ministres.

[58] Fleury de Chaboulon, II, 28-42. Cf. Napoléon, Correspondance, XXXI, 124.

[59] Cf. Metternich, Mémoires, I, 208. Las Cases, Mémorial, I, 23. Gentz, Dépêches, II, 17.

[60] Notes de Lucien Bonaparte (Arch. Aff. étr., 1815).

[61] Fleury retourna une troisième fois à Baie, le 29 mai, et y attendit vainement jusqu'au 13 juin le prétendu Henri Werner. Metternich, peut-être averti par Fouché, avait jugé inutile de continuer les pourparlers. Fleury de Chaboulon, Mém., II, 47-48, et lettre de Fleury à Napoléon, Bourg-Libre, 6 juin, (citée dans le Portefeuille de Buonaparte, 26-27.)

[62] Fleury de Chaboulon, Mém., II, 11, 45-46. Montholon, Récits, II, 150. Cf. Mémoires de Fouché, II, 333. — Au retour de sa mission à Vienne, Bresson avait remis à Davout un rapport très bien fait sur l'état des armées alliées et sur leur plan de campagne. (Arch. Guerre, Correspondance générale, à la date du 15 avril.)

L'empereur avait voulu faire arrêter un autre agent de Fouché, nommé Béronni, mais cet homme put gagner la frontière suisse. (Fleury, II, 46. Cf. Davout à Marulaz, 21 mai. Arch. Guerre.)

[63] Montholon, Récits, II, 149-201. Lavallette, Mémoires, II, 181. Cf. Mémoires de Fouché, II, 325, 329-330.

[64] Fleury de Chaboulon, Mémoires, II, 47. Rovigo, Mémoires, VIII, 65. Mémoires sur Carnot, II, 458.