1815

LIVRE II. — LE VOL DE L'AIGLE

 

CHAPITRE III. — LA CONSPIRATION MILITAIRE DU NORD.

 

 

I

Le retour de Napoléon commençait à agiter toute la France. Pendant deux jours, le gouvernement avait tenu la nouvelle secrète, et c'était seulement le 7 mars que la publication dans le Moniteur des ordonnances du roi l'avait annoncée officiellement[1]. Mais dès le 6 mars, on connaissait l'événement dans les cercles politiques et dans le monde des affaires[2]. Ce jour-là, la rente tomba de 78,75 à 75,50 ; le lendemain, il y eut une baisse de quatre francs[3].

M. de Blacas n'en écrivit pas moins le 8 mars au comte d'Artois : Je me félicite d'avoir à vous instruire des excellentes dispositions de Paris et de la sensation favorable qu'y a produite la nouvelle du débarquement de Buonaparte. Tous les cœurs sont au roi et tous les bras se lèveront pour le défendre[4]. Cette lettre, lui semble paradoxale, contenait pourtant une grande part de vérité. Le débarquement au golfe Jouan qui trouva peu d'incrédules, tant on était persuadé que Napoléon ne terminerait pas sa vie dans l'île de Sancho Pança, provoqua la stupeur et la colère parmi les classes moyennes et eut pour effet immédiat une réaction en faveur du roi. Depuis six mois, la bourgeoisie, libérale et frondeuse, .ne cessait de censurer tous les actes des ministres, de crier à l'arbitraire et aux idées gothiques, de railler le comte d'Artois sur son confesseur, le duc de Berry sur ses maîtresses, le roi sur son gros ventre et son grand appétit, et elle attendait avec impatience la réunion des Chambres dans l'espoir que la session serait chaude[5]. Mais aux nouvelles du Midi, elle vit apparaître derrière Napoléon le spectre de la guerre et se reprit soudain d'une amour passionnée pour les Bourbons dont le gouvernement sans gloire et sans honneur lui assurait du moins le repos[6]. La garde nationale, oubliant l'offense que lui avaient faite les gardes du corps, cria d'une seule voix et d'un seul cœur : Vive le roi ! à la revue du 9 mars[7]. Un individu ayant risqué un Vive l'empereur ! dans le jardin des Tuileries fut assommé à coups de parapluies et laissé mort sur la place[8]. De bons bourgeois, comparant, en des heures de colère patriotique, l'humiliation de la France à sa gloire passée, avaient été jusqu'à souhaiter le retour de l'empereur. Maintenant ils voyaient avec effroi se réaliser pour eux la fable de la Mort et du Bûcheron. Ils regrettaient leurs vœux imprudents, maudissaient leur idole et étaient les premiers à approuver ces catilinaires des journaux[9] : L'homme dont le nom rappelle aux Français douze années de la tyrannie la plus dure et la plus humiliante a osé rompre son ban et remettre le pied sur le sol de notre patrie dans une entreprise de flibustier. Il ne peut manquer d'y trouver bientôt le supplice des traîtres et des rebelles. — Ce Teutatès peut-il donc espérer en cette armée dont il se disait le père et qui le nommait son bourreau, et qu'il laissait périr pour se débarrasser de ses murmures ! — ... S'il a préféré, il y a un an, aux dangers d'une mort glorieuse l'ignominie de l'exil, c'était pour revenir rallumer le flambeau de la guerre civile avec mille bandits... Mais les paysans assomment de toute part les brigands qui l'accompagnent. Il ne lui reste d'autre ressource que la fuite. Puisse la Providence, lassée de ses crimes, tromper les vils calculs de sa lâcheté et l'abandonner à la vengeance des lois ![10]

Elus au suffrage à deux degrés, les députés représentaient l'opinion de la bourgeoisie. Comme elles, ils s'étaient montrés hostiles pendant la précédente session aux tendances réactionnaires du cabinet ; comme elle, ils épousèrent la cause des Bourbons à la nouvelle du débarquement de Napoléon. Les libéraux des deux Chambres, des journaux, des salons politiques de Mme de Staël et de Mme de Rumford oubliaient les fautes du passé et les craintes de l'avenir pour ne voir que le danger présent[11]. D'ailleurs, la convocation anticipée du parlement leur semblait le gage d'une nouvelle politique. Par cette mesure habile, que Jaucourt, Louis, Vitrolles, Montesquiou n'avaient pas sans peine obtenue du roi, le gouvernement se rallia les plus défiants[12]. Pendant la courte session de mars, ni Dumolard, ni Durbach, ni Bédoch ne prononcèrent une parole propre à amener la désunion. La Fayette vint de La Grange pour défendre la charte et le roi, parut aux Tuileries avec la cocarde blanche au chapeau, et se tint prêt à accepter le commandement de la garde nationale ; du reste on ne le lui offrir point, Louis XVIII y avait trop de répugnance[13]. Benjamin Constant publia dans le Journal de Paris un appel à tous les Français, prêts à courir aux armes pour défendre leur roi, leur constitution et leur patrie[14]. Saint-Simon, qui s'occupait de former une ligue pour la défense des propriétaires de domaines nationaux, brocha une Profession de foi au sujet de l'invasion de Napoléon Bonaparte dont la conclusion était : Napoléon ne sera jamais qu'un tyran, et l'on veut nous ravir un roi avec lequel notre liberté est venue et dont notre liberté a besoin. Comte, l'adversaire déclaré de la politique des Bourbons, l'avocat d'Exelmans, le rédacteur du tant redouté Censeur, Comte, que le Journal des Débats déclarait digne d'être déporté à Botany-Bay[15], écrivit à la hâte une brochure qui parut le 15 mars sous ce titre : De l'impossibilité d'établir un gouvernement constitutionnel sous un chef militaire et particulièrement sous Napoléon[16].

Les patriotes — c'est ainsi qu'on appelait le parti des anciens terroristes — ne se retournèrent pas vers les Bourbons à l'exemple des constitutionnels, mais leur mécontentement ou plutôt leur dépit fut extrême. Ils rêvaient, et quelques-uns même fomentaient une révolution qui les eût portés au pouvoir en déférant une souveraineté purement nominale soit à Marie-Louise, soit au duc d'Orléans, soit, au pis-aller, à Napoléon, contre lequel ils eussent pris des sûretés. Le retour imprévu de l'empereur traversait ces plans, d'ailleurs fort chimériques, et ne laissait aux patriotes que la perspective de l'affermissement de la royauté ou de la restauration de l'empire, restauration accomplie sans leur aide et par la seule magie du nom de Napoléon[17].

Même les bonapartistes de sentiment ou d'intérêt, les anciens ministres, les ex-fonctionnaires, les familiers de la cour impériale, les confidents de l'empereur n'étaient point satisfaits. Ils auguraient mal de ce coup de tête, ils craignaient que l'entreprise n'avortât tragiquement en perdant à jamais leur cause et en les compromettant de la plus terrible façon. Les gazettes les dénonçaient comme complices de cette tentative criminelle, le public réclamait leur arrestation. Ils tremblaient pour l'empereur et un peu aussi pour eux-mêmes. — Quelle extravagance ! dit Caulaincourt à Lavallette. Quoi ! débarquer sans troupes !... Il sera pris. Il ne fera pas deux lieues en France. Il est perdu ![18]

Les maréchaux de France, fort amis d'un repos glorieusement gagné, et presque tous les officiers généraux en activité étaient exaspérés. Ils en voulaient à Napoléon de les mettre dans l'alternative de lui faire tirer des coups de fusil ou de trahir leurs nouveaux serments. Comme pour s'exalter eux-mêmes au devoir, ils adressaient au roi des protestations enflammées et à leurs soldats des ordres du jour furibonds. Par son entreprise ridicule, disait Jourdan, Buonaparte est un ennemi public. — Buonaparte n'est plus qu'un aventurier, disait Soult, et son dernier acte de démence achève de le faire connaître. — Buonaparte, disait Maison, à perdu les provinces que la valeur française avait conquises avant qu'il ne fût connu dans nos rangs ; il a ouvert la France et la capitale même à l'étranger. Il n'est aucun de nous qui ne se sente animé contre lui de la plus profonde indignation. — Soldats, disait Quiot, Buonaparte, altéré de votre sang, vient rallumer le flambeau de la guerre civile. — Buonaparte, disait Pacthod, a conçu un projet criminel et insensé qui le rend odieux à tout être doué de raison. — Buonaparte, disait Rey, n'a pas su mourir en soldat... C'est un brigand insensé. — Buonaparte ! disait Curto, si je me trouvais en face de lui, je lui percerais le cœur de mon épée[19].

Le maréchal Ney, bien que boudant la cour depuis quatre ou cinq mois, étonna et charma les royalistes par son langage véhément. Il se trouvait dans sa terre des Coudreaux lorsqu'un ordre de Soult l'appela à Besançon. — On avait décidé en conseil de lui donner le commandement de l'aile gauche de l'armée royale[20]. — Il passa par Paris où il apprit les nouvelles, de la bouche de son notaire. — Quel malheur ! s'écria-t-il, en s'appuyant la tête sur le marbre d'une cheminée. Quelle chose affreuse ! Que va-t-on faire ? qui opposer à cet homme là ?[21] Le 7 mars, il se présenta aux Tuileries. Troublé par les événements, ému de l'accueil de Louis XVIII, qui avait, quand il le voulait, une séduction sans pareille, emporté par la fougue de son caractère, tout de premier mouvement, l'infortuné maréchal baisa la main du roi et lui dit : — Sire, j'espère bien venir à bout de le ramener dans une cage de fer[22].

Le peuple et la garnison de Paris semblaient hésiter encore à se déclarer. L'opinion des faubourgs, où l'on continuait à travailler sans paraître s'inquiéter des événements, était impénétrable. Les soldats, sombres et silencieux, restaient sourds aux flatteries et aux vivats des royalistes comme aux insinuations des partisans de Napoléon. Sauf le 1er de ligne, caserné à l'Ecole militaire, qui dans la nuit du 8 au 9 mars avait crié : Vive l'empereur ! en faisant sauter ses paillasses en l'air, les troupes n'étaient l'objet d'aucune plainte[23]. Depuis le retour des Bourbons, elles n'avaient jamais été si tranquilles. A la revue du 9 mars, où chaque homme reçut cinq francs de gratification, on entendit même quelques Vive le roi ![24] Seuls les officiers à la demi-solde montraient de la joie. Ils se serraient les mains, s'embrassaient, péroraient sur les promenades, haranguaient les soldats, couraient la ville avec le triomphe dans le regard et dans le sourire[25].

Tels étaient les sentiments de Paris. Il y avait pourtant, à peu près dans toutes les classes, bien des dissidences à l'opinion générale. Des rapports de police signalaient une grande irritation contre Bonaparte chez les ébénistes du faubourg Saint-Antoine, mais, d'après d'autres rapports, les maçons du quai de Gèvres assuraient qu'ils feraient leur affaire aux gardes nationaux qui prendraient les armes pour le roi. Des affiches de l'ordonnance royale furent lacérées. Rue du Lycée, un rassemblement d'ouvriers et de soldats cria : Vive l'empereur ! Des gens à mine sinistre avaient acheté des fusils chez les revendeurs du Temple. La ville était agitée. Des attroupements se formaient sur les quais, sur les places, où les exaltés des deux partis exposaient leur opinion avec une égale exagération. Les uns disaient : Buonaparte est pris ou tué... C'est la Providence qui l'a livré. On n'entendra plus parler de lui. Les autres ripostaient : L'empereur est à Grenoble. Il est à Lyon... Comment douter de son succès ? Tout est combiné d'avance. Il a l'armée, il a le peuple, il a l'assentiment du congrès. Autrement son entreprise serait une folie... Vous allez voir M. de Talleyrand ramener l'impératrice et le roi de Rome. Les portraits de l'empereur et de son fils foisonnaient aux étalages. Les crieurs de journaux annonçaient malicieusement : L'ordonnance de Louis XVIII contre l'empereur Napoléon... L'insurrection à Lyon... Les progrès de Bonaparte. Les rubans du Lys disparaissaient peu à peu des redingotes et des uniformes ; nombre d'officiers ne portaient plus que la Légion d'honneur. Le colonel du 4e léger déclarait que nonobstant ses serments il ferait présenter les armes quand il apercevrait la redingote grise. Avant même de connaître l'entrée à Grenoble, sept généraux quittèrent Paris pour rejoindre Napoléon. Jusque dans les compagnies rouges, il y avait des gens pour prendre sans regret leur parsi de l'événement. Le 8 mars, une dizaine de mousquetaires décommandèrent leurs uniformes en disant gaiement au tailleur Sandoz : — Bientôt nous en ferons faire d'autres[26].

Les hommes politiques et les beaux esprits n'étaient point non plus tout à fait unanimes à condamner l'entreprise de l'empereur. Si le duc de Vicence tremblait, Lavallette et Rovigo se réjouissaient, et la reine Hortense pleurait de joie[27]. La rédaction du Censeur s'indignait, mais on riait tout bas au Nain jaune[28]. Fouché éprouvait un violent dépit mais Merlin faisait des vœux pour le triomphe de Napoléon. Tout en déclarant que Louis XVIII Pou-rait encore sauver la royauté s'il prenait un ministère franchement constitutionnel, Carnot sentait battre son cœur de soldat et de patriote à la nouvelle que les trois couleurs brillaient à Lyon[29]. Barras converti au royalisme, Barras, le haineux contempteur de l'empereur corse, avoue son émotion en voyant s'avancer sans obstacle, devant la France stupéfaite d'admiration, le soldat de Toulon et de vendémiaire, le général en chef des armées de la République[30]. Dans son vivant tableau d'une soirée chez madame de Rumford, à ces jours de trouble, Villemain montre Sismondi et François Arago réagissant contre le pessimisme de La Fayette, de Benjamin Constant, de Lemercier, de Lameth, de Maine de Biran, et proclamant que le despotisme militaire avec l'indépendance de la patrie est encore préférable au protectorat étranger[31].

La province s'était émue plus que Paris des prétendus projets de restitution des biens nationaux, et elle subissait depuis dix mois la morgue des royalistes et l'ingérence des prêtres[32], dont on se moquait rue Saint-Denis. Aussi n'y eut-il pas dans les départements le revirement d'opinion pour la royauté qui se manifesta avec tant de force chez la majorité de la population parisienne. La moitié de la France était pour l'empereur. On connaît l'élan du Dauphiné et du Lyonnais, où les royalistes sentant leur faiblesse n'osèrent pas bouger. Le Bourbonnais, le Limousin, la Saintonge, l'Aunis, la Franche-Comté orientale, le Nivernais, la Bourgogne, l'Orléanais, la Champagne, l'Ile-de-France, la Lorraine, le quart de la Normandie, la moitié de la Bretagne et les deux tiers de l'Alsace auraient fait le même accueil au glorieux évadé de l'île d'Elbe[33]. Presque partout, sans doute, les gens riches réprouvaient son entreprise, car outre qu'il était de bon ton d'être royaliste constitutionnel, le retour de l'empereur semblait devoir provoquer la guerre. Néanmoins, la bourgeoisie provinciale n'eut pas pour les Bourbons le regain d'enthousiasme des Parisiens, car elle gardait au cœur les blessures de sa vanité froissée par le nouvel ordre de choses. Sous l'empire, elle occupait le premier rang ; sous la Restauration, elle se croyait tombée au second[34]. Pour la grande masse du peuple, — ces travailleurs de la glèbe et des ateliers que le baron de Vitrolles appelait la lie de la population parce qu'ils n'étaient pas royalistes, — elle saluait dans le drapeau tricolore le signe d'un second affranchissement. La joie eût été absolue chez les paysans s'il ne s'y fût mêlé la crainte d'une seconde invasion. Ainsi, dans l'Aube, on vendit les bestiaux à vil prix et l'on enfouit l'argent. Mais la haine de l'ancien régime, le contentement de relever la tête, le plaisir envieux de voir les vaines colères et la mine déconfite des seigneurs de village l'emportaient sur toutes les appréhensions[35]. Même dans les contrées où dominait le royalisme : la Provence, le Languedoc, la Guyenne, l'Anjou, la Touraine, la Normandie, le Maine, la Picardie, les Flandres, il y avait un parti bonapartiste nombreux et ardent. A Boulogne, on criait : Vive l'empereur ! sur le port. Les honnêtes gens frémissent, ceux qui n'ont rien à perdre se réjouissent, écrivait le préfet du Haut-Rhin. La basse classe a très mauvais esprit, écrivait le préfet de Rouen. Je crains la guerre civile, vu l'exaltation des deux partis, écrivait le préfet de l'Hérault. A Nîmes, où la question politique se compliquait de la question religieuse, les protestants étaient contre le roi. A Toulouse, on affichait des placards bonapartistes dans les églises et l'on sifflait au théâtre l'air de Vive Henri IV ! Dans le Maine-et-Loire, les jacobins s'agitaient. A Caen, le duc d'Anmont irrité du cri populaire : Napoléon abattra la fierté de l'avilissante noblesse ! s'en prit aux commissaires de police et en révoqua quatre le même jour[36].

Partout dans les départements, les opinions avaient un caractère d'exaltation inconnu à Paris. Les Parisiens se bornaient à exprimer leurs vœux et à discuter. En province, c'étaient des attroupements séditieux, des vociférations, des injures, des menaces, des actes de fanatisme et de rébellion. A Montauban, on brûle solennellement le buste de Napoléon dans un feu de joie[37]. A Versailles, on affiche ce placard : Eglise à vendre, Louis XVIII à pendre et à dégraisser pour en faire des lampions pour l'arrivée de Napoléon[38]. Tandis que les portefaix de Marseille demandent des armes pour assommer la bête féroce, cinq mille ouvriers de Saint-Etienne s'ameutent devant l'hôtel du préfet en vociférant : Vive l'empereur !, et la manufacture de Charleville retentit des mêmes clameurs[39]. Les notables de Blois ouvrent une souscription publique pour l'assassinat de Bonaparte. M. de M. s'inscrit pour 25.000 francs, M. S.-G. pour 10.000, M. C. pour 6.000[40]. Mais à Provins, à Brest, à, Saint-Brieuc, on lacère les ordonnances royales aux cris de : Vive l'Empereur ! A Metz, ce mot est charbonné sur toutes les murailles[41], et à Nancy, Mme Azaïs, bonapartiste plus exaltée encore que son mari, compose ces stances dont les copies courent dans la ville dès le 11 mars[42] :

Reviens ! Reviens ! C'est le cri de la France,

Pour terminer sa honte et sa souffrance.

Dans un banquet royaliste donné à Rennes, le fils du premier président dit à haute voix : — Je voudrais voir le roi et tous ses chouans f...[43] A Lille, on insulte les officiers, on crie : A bas les revenants de Moscou ! On parle d'appeler dans la ville les troupes anglaises cantonnées sur la frontière[44]. A Dijon, le 41 mars, jour de l'arrivée du Se de chasseurs, en marche vers Lyon, six hommes, la cocarde tricolore au chapeau, se postent sur la place Saint-Etienne, adossés à la palissade d'un théâtre en construction. L'un de ces hommes, fils d'un forgeron et grand-prix de Rome, s'appelait François Rude. Quand le premier peloton passa, les frôlant presque dans son mouvement de conversion, ils crièrent : Vive l'empereur ! Les chasseurs restèrent impassibles. Quand le deuxième peloton passa, ils crièrent : Vive l'empereur ! Les chasseurs continuèrent silencieusement leur marche. Le troisième peloton s'avançant, ils crièrent encore : Vive l'empereur ! Alors les cavaliers lancèrent le même cri qui se répercuta du centre à la tête et à la queue de la colonne comme l'écho du tonnerre dans les montagnes[45].

Le 11 mars, un convoi d'artillerie dirigé d'Auxonne sur Lyon d'après les ordres du comte d'Artois[46] prend gîte à Chalon-sur-Saône. Les habitants, qui ignorent encore que Lyon est au pouvoir de Napoléon, s'assemblent le lendemain matin autour du parc et décident qu'il ne faut pas que ces canons aillent tirer sur l'empereur. On s'oppose au départ de l'artillerie, le rappel bat, la garde nationale sort en armes pour prêter main forte à la foule. Comme on pense, les conducteurs et les canonniers ne résistent pas ; ils s'empressent de remettre les chevaux au piquet. Sur ces entrefaites arrive le général Rouelle. Il veut ramener les pièces à Auxonne puisque l'insurrection a éclaté à Lyon, et il parvient à les faire ratteler, malgré l'opposition des Châlonnais qui veulent maintenant conserver les canons pour l'empereur. Le convoi se met en marche, mais à cinq cents mètres de Chalon, la foule furieuse le rejoint et force les conducteurs à rentrer dans la ville où elle dételle les chevaux et détache les avant-trains. En même temps, le drapeau blanc de l'hôpital est abattu et remplacé par le drapeau tricolore, aux cris : Les royalistes à la lanterne ! Je n'ai eu qu'à me sauver, dit le général Rouelle en terminant son rapport[47]. Le 13 mars, Villefranche, Bourg, Autun, Tournus, Roanne, Dijon sont en pleine insurrection[48].

Soit que l'opposition ardente du peuple des provinces influât sur les troupes, soit parce que les officiers et les soldats, qui se sentent isolés, sans cohésion et sans force dans les grandes cités, parlent en maîtres et prennent le haut du pavé dans les petites villes, les garnisons des départements donnaient beaucoup plus d'inquiétude que celle de Paris. En dépit des premiers rapports des généraux et des chefs de corps, dont l'optimisme alla bientôt diminuant, l'esprit des troupes était moins que douteux. Dans les casernes de Besançon, de Mézières, de Sarreguemines, d'Amiens, du Havre, de Saint-Brieuc, de Brest, de Fontainebleau, d'Auch, la nouvelle du débarquement est saluée par des Vive l'empereur ! On arrache et on foule aux pieds les cocardes blanches[49]. La masse des régiments est calme, écrit de Rouen le maréchal Jourdan, mais je ne sais trop quelle conduite tiendraient les soldats si leur fidélité était mise à une épreuve sérieuse[50]. A Metz, les grenadiers de l'ex-garde, persévérant à donner l'exemple de la discipline, se défendent de toute manifestation, mais leur visage de plus en plus maussade et farouche, les grosses larmes qui roulent sur les moustaches grises à la nouvelle nue Napoléon a été tué font trembler le préfet, M. de Vaublanc. Il est de toute nécessité, écrit-il, le 10 mars, que le duc de Reggio reste ici. Autrement, malgré l'éloge qu'il a fait du bon esprit des grenadiers royaux, il y aurait de grandes craintes. Il faut la présence du maréchal pour les maintenir[51]. A Versailles, on redoute une sédition militaire ; à Périgueux, les soldats désertent ; à Nantes, un officier quitte son corps, en disant : — Il faut que j'arrive à temps pour avoir un morceau des Bourbons[52]. Du 10 au 13 mars, les 23e, 36e, 39e, 72e et 76e de ligne et le 3e de hussards se rebellent entre Moulins et Bourg et vont grossir l'armée impériale[53]. Il n'y a point à espérer la moindre résistance, écrit le 11 mars M. de Maupeou au préfet de Rouen, Stanislas de Girardin. Les chefs qui agiraient autrement seraient victimes. De son côté, le chargé d'affaires des Provinces-Unies mande le 12 mars à son gouvernement : Il parait certain que les régiments ne résisteront pas à la vue de Napoléon et qu'à cet égard on a été dans de grandes illusions[54].

 

II

Le roi et la cour persistaient dans ces illusions. Un incident qui venait de se produire dans le nord de la France avait atténué en une certaine mesure l'impression des événements de Grenoble et de Lyon.

On a vu que vers la fin de février, Fouché, Thibaudeau et plusieurs généraux avaient concerté un mouvement militaire sur Paris, conspiration qui, du moins dans l'idée de Fouché, n'était nullement destinée à rendre l'empire à Napoléon. Le débarquement au golfe Jouan dont le duc d'Otrante, qui avait des intelligences partout, apprit la nouvelle le dimanche 5 mars, quelques heures après Louis XVIII lui-même, le dépita au plus haut point. Mais il n'était pas homme à voir s'accomplir les événements sans chercher à en tirer parti. De Cannes à Paris, la distance est longue ; Fouché crut avoir le temps d'agir. En précipitant le mouvement, en établissant un gouvernement provisoire, en convoquant la Chambre des députés — mesure que le duc d'Otrante ignorait que Louis XVIII allait avoir l'à-propos de prendre —, en faisant appel aux gardes nationales et à tout le pays, il espérait pouvoir s'opposer à la rentrée de l'empereur dans Paris. Si, au contraire, l'opinion bonapartiste entraînant l'armée et le peuple, le complot tournait en faveur de Napoléon, Fouché paraîtrait avoir travaillé pour lui. Quoiqu'il arrivât, le duc d'Otrante serait avec les vainqueurs et profiterait de la situation[55].

Le 5 mars, dans la soirée, Fouché fit donc venir le général Lallemand qui se trouvait à Paris sans permission régulière[56], et tout en ne lui révélant rien du retour de l'empereur, il le persuada que la cour avait des soupçons et qu'il fallait exécuter le mouvement sur-le-champ afin de prévenir des mesures répressives. Lallemand partit dans la nuit même pour Lille, où l'un des principaux conjurés, Drouet d'Erlon, commandait les troupes sous les ordres supérieurs de Mortier, gouverneur de la 16e division militaire[57]. Le 7 mars, Drouet profitant de l'absence de Mortier expédia aux différents régiments stationnés dans la région l'ordre de se rendre incontinent à Paris[58]. Ces instructions étaient rédigées de façon à laisser croire aux chefs de corps non affiliés à la conspiration que le mouvement s'opérait en vertu d'un ordre régulier du ministre de la guerre. C'était 'seulement pendant les étapes que l'on devait les désabuser et entraîner les soldats à la rébellion[59]. Plusieurs régiments se mirent en marche le 8 et le 9 mars. Mais le retour soudain de Mortier déconcerta Drouet qui s'empressa, le 8 mars, de révoquer ses ordres de la veille et du matin. Les troupes qui n'avaient pas encore commencé leur mouvement restèrent dans les garnisons ; celles qui étaient déjà en route rétrogradèrent. On vit ainsi rentrer à Arras les cuirassiers royaux (ex-grenadiers à cheval) trois jours après leur départ[60].

Seuls les chasseurs royaux (ex-chasseurs à cheval de la garde) n'eurent pas avis du contre-ordre, leur ardent général Lefebvre-Desnoëttes n'ayant vraisemblablement pas voulu en tenir compte. Les chasseurs quittèrent Cambrai le 9 mars avec un détachement du 21e de ligne et vinrent coucher à La Fère[61]. Le plan était de s'emparer de l'arsenal. Dans la matinée du 10, Lefebvre-Desnoëttes, Lallemand, arrivé de Laon, et son frère, le général d'artillerie Dominique Lallemand, employé à La Fère à rendre les comptes de l'artillerie de la garde dont il avait été chef d'état-major pendant la campagne de France[62], tentèrent de gagner à leur projet le général d'Aboville, le major Pion des Loches et les officiers du 2e d'artillerie à pied. Ces ouvertures ayant été mal accueillies, ils voulurent du moins entraîner une partie des soldats et haranguèrent les quatre compagnies que le major avait postées à la Porte de Laon. Au commandement de Dominique Lallemand, les canonniers avaient déjà fait par le flanc droit, lorsque les représentations énergiques du chef de bataillon Bosquette les rappela au devoir. Un seul homme se joignit à la colonne qui s'éloigna en criant : Vive l'empereur ! et en jetant sur la route cocardes blanches et décorations du Lys. A quelque distance de la ville, les chasseurs rencontrèrent un convoi de dix bouches à feu qui se rendait de Vincennes à La Fère. Ils décidèrent sans peine ce détachement à marcher avec eux. Arrivés à Chauny dans l'après-midi, les soldats brisèrent les enseignes portant les armes royales et contraignirent les habitants de crier : Vive l'empereur ! mais les généraux ne parvinrent pas à ébranler la fidélité du 2e escadron des dragons royaux, en garnison dans cette ville. La colonne coucha le 40 mars à Noyon et en repartit le lendemain de grand matin[63].

Compiègne allait être le terme de cette aventureuse promenade militaire. Prévenu de l'approche des rebelles, le major Lainé, du 7e de chasseurs, fit sonner la générale. Comme les hommes bridaient leurs chevaux, plusieurs officiers envoyés en parlementaires par Lefebvre-Desnoëttes se présentèrent à l'entrée du quartier. Lainé les somma de se retirer, et l'un d'eux ayant voulu passer par la grille entr'ouverte, le major le repoussa en le frappant du poing et ferma la grille. — Le général Desnoëttes vous fera pendre ! s'écria l'officier furieux. — Dites à votre général, riposta Lainé, que s'il me fait son prisonnier je lui demande l'honneur d'être fusillé, car je le traiterai de même s'il tombe entre mes mains. Les officiers s'éloignèrent ; mais bien que pendant cette scène, les chasseurs du 7e n'eussent manifesté aucune disposition hostile, le colonel, M. de Talhouet, jugea prudent ne point attendre la troupe révoltée. Il emmena incontinent son régiment à Senlis[64]. Les chasseurs royaux entrèrent dans Compiègne sans résistance, et comme à Chauny, à Guise et à Noyon, ils brisèrent les enseignes décorées de fleurs de lys, maltraitèrent les habitants qui refusaient d'acclamer Napoléon et dirent qu'ils allaient coucher au Louvre[65].

L'attitude des canonniers de La gère et des dragons de Chauny et le brusque départ des chasseurs de Compiègne commençaient cependant à faire réfléchir les officiers. Au lieu d'agir de concert avec douze ou quinze mille hommes qui devaient rallier chemin faisant, comme l'avait annoncé Lefebvre-Desnoëttes, le régiment continuait à courir les grandes routes seul avec un escadron de dragons, un bataillon de ligne et une batterie d'artillerie. Le général Lion, major, et les chefs d'escadrons déclarèrent à Lefebvre-Desnoëttes qu'ils se refusaient désormais à le suivre et qu'ils n'avaient plus qu'à implorer la clémence du roi. Desnoëttes, désespérant aussi du mouvement sur Paris, proposa de se jeter en partisans vers Lyon. Sa proposition ayant été repoussée, il prit des vêtements civils et sortit de Compiègne dans la nuit ainsi que les frères Lallemand, le colonel Marin, ex-chef d'escadrons de l'artillerie de la garde, et quelques officiers. Le lendemain, les différents corps se mirent en route séparément pour regagner leurs garnisons[66]. Le général Lion, que Napoléon avait appelé jadis : Mon lion du 2e chasseurs[67], adressa de Ham un rapport au ministre ; il y présentait les choses sous l'aspect le moins défavorable pour lui et ses officiers et soldats, affirmant qu'ils avaient été abusés et protestant de leur fidélité au roi[68].

On était dans un moment à accepter sans y regarder de trop près les actes de repentir, fussent-ils tardifs ou suspects. Le général Lion fut nommé au commandement des chasseurs royaux en remplacement de Lefebvre-Desnoëttes, et sur la proposition du ministre de l'intérieur, la Chambre vota que les garnisons de Lille, de La Fère et de Cambrai avaient bien mérité du roi et de la patrie, et qu'il leur serait décerné une récompense nationale[69].

Les frères Lallemand, arrêtés dans leur fuite par la gendarmerie, furent conduits à la citadelle de Laon[70]. Le comte d'Erlon avait déjà été écroué à Lille en attendant l'instruction de son procès[71]. Lefebvre-Desnoëttes trouva asile chez le général Rigau, commandant la subdivision de Châlons[72]. Pour Fouché, qui avait prudemment attendu des nouvelles du mouvement avant de le seconder à Paris, il apprit dès le 10 mars qu'une seule fraction des garnisons du Nord s'était mise en marche. Il se désintéressa d'une tentative désormais condamnée, et afin de détourner les soupçons, il afficha un royalisme ardent qui lui valut bientôt d'être reçu par le comte d'Artois[73].

 

III

Cette pitoyable échauffourée, la conduite relativement bonne des troupes, dont les plus compromises n'avaient fait en somme qu'obéir à leurs chefs et étaient rentrées sans opposition dans les garnisons, rendirent quelque confiance. Les optimistes s'imaginèrent qu'après cette épreuve on pouvait compter sur l'armée. Quant aux régiments de Grenoble et de Lyon, on expliquait leur défection par la trahison de Soult qui avait choisi les corps les plus mal notés pour les envoyer d'avance sur le chemin que devait suivre Napoléon. On allait même jusqu'à prétendre que toutes ses mesures comme ministre, l'obligation de séjour imposée aux officiers à la demi-solde, le procès d'Exelmans, les grades prodigués aux émigrés et aux chouans, Soult les avait prises afin d'exaspérer l'armée[74]. Ces absurdités trouvèrent créance jusque dans le Conseil. Soult rappela à ses collègues qu'il avait rassemblé des troupes sur la frontière des Alpes d'après les ordres du roi, et que cette concentration, suggérée par M. de Talleyrand, avait pour but d'imposer à Murat et aux Italiens. Mais la Chambre, à qui le maréchal ne pouvait ni ne devait communiquer ce secret diplomatique, gardait ses suspicions. On parlait dans les bureaux de dénoncer publiquement la conduite du ministre de la guerre. Soult fut indigné. Le 14 mars, il entra brusquement chez le roi et lui dit : Sire, je remets entre les mains de Votre Majesté ma démission et mon épée, et je la prie de me donner des juges. — J'accepte votre démission, répondit Louis XVIII, mais gardez votre épée qui, j'en suis convaincu, ne sera jamais tirée que pour le service du roi. Soult sortit fièrement et en arrivant sur le palier du grand escalier, encombré de courtisans, il leva son chapeau et cria par trois fois : Vive le roi ! Vive le roi Vive le roi[75] !

Le général Clarke, duc de Feltre, qui s'était signalé à la Chambre des pairs par son fanatisme royaliste, fut nommé à la place de Soult. On crut faire un coup de maître en prenant, pour organiser la résistance contre Napoléon, son ancien ministre de la guerre. Depuis un an, les pamphlétaires et les journalistes déniaient si formellement à Buonaparte toute intelligence militaire qu'il n'était douteux pour personne que ce ne fût son ministre qui eût conçu jadis ses plans de campagne.

Clarke ne fit que poursuivre l'exécution des mesures prescrites par Soult. Toutes les garnisons furent mises en mouvement. Celles du midi reçurent l'ordre de se concentrer entre Nîmes et Marseille sous le commandement du duc d'Angoulême. Celles du centre se réunirent à Tours sous le commandement de Dupont. Celles de l'est devaient seconder les opérations du maréchal Ney en Franche-Comté et en Bourgogne.

Enfin, celles du nord et de l'ouest furent dirigées sur Melun où se formait une armée de réserve commandée par le duc de Berry. On commença d'établir dans cette ville des approvisionnements pour 60.000 hommes pendant deux mois, et l'on forma un équipage de campagne de 150 bouches à feu et de 400 voitures[76].

Comme si toute l'armée française à l'effectif de paix n'était pas assez nombreuse pour résister aux mille grognards de Napoléon, on appela les réserves. Par ordonnance royale du 9 mars, il fut enjoint à tous les officiers, sous-officiers et soldats en congé limité de rejoindre leurs corps sous trois jours, et à tous les hommes en congé illimité de se rendre dans le plus bref délai au chef-lieu de leur département pour y être organisés en bataillons, escadrons et batteries de réserve. Les officiers à la demi-solde qui ne pourraient trouver place dans les nouveaux cadres seraient réunis en bataillons ou compagnies sous la dé nomination de gardes du roi. Ce n'est pas tout. Une seconde ordonnance du même jour prescrivit l'organisation immédiate des trois millions (sic) de gardes nationales pour la garde des places et la sûreté intérieure ainsi que la levée, parmi ces gardes nationales, de bataillons et d'escadrons de volontaires destinés à combattre en ligne avec l'armée[77].

Les députés qui s'étaient réunis dès le 7 mars au Palais-Bourbon, au nombre de soixante-neuf, avaient ouvert officiellement la session le 10 mars par le vote d'une adresse au roi. Les paroles n'en étaient pas moins sincères que celles de l'adresse de la chambre des pairs votée dans la soirée de la veille[78]. Le parlement montrait un zèle ardent pour le roi qu'il identifiait maintenant avec la constitution[79]. Louis XVIII, il est vrai, ne publiait plus une ordonnance ou une proclamation sans y parler de la liberté de son peuple, et de la Charte, son ouvrage libre et personnel, la règle régulière de sa conduite depuis une année, la loi fixant à jamais les destinées des Français[80]. Afin d'avoir dans chaque département un foyer de résistance constitutionnelle, le roi, sur l'avis de Montesquiou, convoqua le 11 mars les conseils généraux en session extraordinaire. Par ordonnance du même jour, fut remise en vigueur la loi du 4 nivôse an IV, punissant de mort les embaucheurs et déclarant coupable d'embauchage tout individu qui aurait distribué quelque écrit des rebelles, et tout soldat ou citoyen qui, appelé à défendre la patrie, abandonnerait ses drapeaux ou ne les rejoindrait pas[81].

A l'exemple de Clarke et de Montesquiou, M. de Jaucourt, qui en l'absence de Talleyrand avait le portefeuille des Affaires étrangères, ne restait pas inactif. En recevant, le 7 mars, le corps diplomatique, Louis XVIII avait eu la dignité de ne faire aucune allusion à l'aide qu'il pourrait être forcé de demander aux puissances étrangères. Or, le même jour 7 mars, Jaucourt, oubliant qu'il était Français, adressa cette circulaire aux ministres accrédités à Paris. ... Le roi est persuadé que les puissances, naguères alliées non contre la France mais contre Bonaparte, s'empresseraient au besoin de joindre leurs forces aux siennes pour réprimer et pour venger toute atteinte aux principes de la légitimité et de la justice[82].

A Vienne, Talleyrand s'employa avec un égal patriotisme à former contre la France une septième coalition. Mais la circulaire de M. de Jaucourt et les démarches du prince de Talleyrand étaient, hélas ! superflues. Les souverains n'étaient que trop disposés à reprendre les armes. L'évasion de Napoléon provoqua en eux la crainte et la colère. Les nouvelles infortunes de leur bon frère Louis XVIII n'étaient pas leur seul souci : ils voyaient au delà, pensaient à l'épée d'Austerlitz et croyaient déjà sentir trembler leur propre trône. Alexandre, qui avait imposé sa volonté pour que l'île d'Elbe fût donnée à Napoléon et qui, pendant ces derniers trois mois, l'avait vraisemblablement protégé contre toute mesure arbitraire, se montrait le plus ardent. Il accusait sa magnanimité, se jugeait responsable devant l'Europe et jurait de faire tuer jusqu'à son dernier homme et de dépenser jusqu'à son dernier rouble dans cette guerre renaissante. L'autocrate, qui avait ses heures de mysticisme, en fit, dit-on, un serment solennel sur les Livres Saints[83]. Frédéric-Guillaume, toujours prêt à emboiter le pas au czar et qui épousait les passions gallophobes de Stein et de Guerres, l'empereur d'Autriche qui voulait assurer le repos au monde — et surtout à soi-même — le roi de Bavière, Wellington, Metternich étaient également animés et résolus. La première nouvelle de l'évasion, envoyée par le consul général d'Autriche à Gênes, arriva à Vienne dans la nuit du 6 au 7 mars. Dès le lendemain, les souverains s'étaient concertés, et des aides de camp couraient dans toutes les directions pour hâter la concentration des armées autrichiennes et pour porter aux différents corps russes et prussiens l'ordre de revenir sur leurs pas. Les ministres d'Alexandre et de Frédéric-Guillaume estimaient qu'en attendant que selon le mot de Pozzo di Borgo Napoléon fût branché à un arbre, il y avait avantage faire vivre leurs soldats sur l'Allemagne[84].

Au milieu de tous ces potentats émus et troublés, Talleyrand conserva d'abord son impassibilité coutumière. Il disait que cet événement pourrait avoir des résultats heureux si l'on savait en tirer parti ; qu'un coup de désespoir — et cette aventure en était un n'avait jamais réussi ; que Bonaparte finirait décidément par une farce. Il insinuait que sans l'inconcevable faiblesse de l'Europe, cet homme néfaste aurait été mis depuis longtemps dans l'impossibilité de nuire. Le calme de Talleyrand était d'ailleurs justifié par la croyance où il se complaisait que Napoléon se jetterait dans le nord de l'Italie. Toute entreprise de sa part sur la France, écrivait-il le 7 mars à Louis XVIII, serait celle d'un bandit. C'est ainsi qu'il devrait être traité, et toute mesure permise contre les brigands devrait être employée contre lui[85]. Or, le 9 mars, on apprit à Vienne que Napoléon avait débarqué au golfe Jouan. Talleyrand sortit de son rôle passif. Il fit rédiger incontinent par La Besnardière, son âme damnée, un projet de Déclaration que accord avec Metternich il soumit au congrès[86]. Je suis persuadé, écrivit-il à Jaucourt, que l'entreprise de Bonaparte n'aura aucune suite fâcheuse et qu'il ne sera pas nécessaire de recourir aux puissances étrangères. Mais il est toujours prudent de ne négliger aucune précaution. La proclamation aura d'ailleurs l'effet d'intimider les partisans de Bonaparte en leur ôtant tout espoir qu'il puisse réussir[87]. Les membres du congrès étaient tout disposés à accéder à la proposition de l'ambassadeur de France. Talleyrand crut néanmoins devoir attiser le feu par la communication d'un Mémoire secret, chef-d'œuvre de raisonnement et de sophisme, où le même La Besnardière avait récapitulé tous les bouleversements européens dus à Napoléon, montré son esprit vindicatif et tracé un effrayant tableau de sa puissance future[88].

La Déclaration fut signée le 13 mars par les plénipotentiaires des huit puissances. Ce manifeste ou plutôt cet arrêt de proscription, unique pour le fond et la forme entre tous les actes diplomatiques[89], portait : ... Quoique intimement persuadés que la France entière, se ralliant autour de son souverain légitime, fera rentrer dans le néant cette dernière tentative d'un délire criminel et impuissant, les souverains de l'Europe déclarent que si contre tout calcul, il pouvait résulter de cet événement un danger quelconque, ils seraient prêts à donner au roi de France et à la nation française les secours nécessaires pour rétablir la tranquillité... Les puissances déclarent qu'en rompant la convention qui l'avait établi à l'île d'Elbe, Napoléon Bonaparte a détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attaché, qu'en reparaissant en France il s'est place hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'est livré à la vindicte publique.

 

 

 



[1] Proclamation du roi convoquant les Chambres. Ordonnance royale sur les mesures de sûreté générale. Moniteur, 7 mars.

[2] Sesmaisons à Barante, 6 mars (Barante, Souvenirs, II, 99. Lavallette, Mémoires, II, 143. Rapport de police, 7 mars) (Arch. nat., F. 7. 3200 4).

[3] Cours du samedi 4 mars : 78,75 ; du lundi 6 mars : 75,50 ; du mardi 7 mars : 71,25. — Panique à la Bourse, dit un rapport de police ; personne ne veut acheter. (Arch. nat., F. 7, 3168.)

[4] Blacas au comte d'Artois, 8 mars. (Arch. Aff. étr., 646.)

[5] Analyse des rapports, 26 fév. (Arch. F., 7. 3147.)

[6] A. de Maupeou au Préfet de la Seine-Inférieure, Paris, 11 mars. Rougemont à Watteville, Paris, 10 mars. Ministre des Provinces-Unies à son gouvernement, Paris, 13 mars. (Arch. Aff. étr., 675.) Rapport de Maison à Clarke, 13 mars (Arch. Guerre). Rapports et notes de police, 7, 8, 9, 10, 13 mars. (Arch. nat. F. 7, 3168, F. 7, 3200 4.) Benoist à Barante, 12 mars. (Barante, Souvenirs, 103.)

[7] Rapports de police, 9 mars. (Arch. nat., F. 7, 3168, F. 7, 3200 4.) Rougemont à Watteville, Paris, 10 mars. (Arch. Aff. étr., 675.)

[8] Maison à Clarke, 13 mars (Arch. Guerre). Duc d'Orléans, Mon Journal, 34.

[9] Benjamin Constant, Lettres sur les Cent Jours, 86. Rapports de police, 9 mars (Arch. nat. F. 7, 3168 ; F. 7, 32004).

[10] Journal des Débats, Journal général, 8 et 9 mars. — La Quotidienne et le Journal royal parlent sur le même ton.

[11] Ministre des Provinces-Unies à son gouvernement, Paris, 15 mars (Arch. Aff. étr., 675). Benoist à Barante, 12 mars (Barante, Souvenirs, II, 103). Benjamin Constant, Lettres, I, 68-72. La Fayette, Mém., V, 356,365. Villemain, Souvenirs, II, 5-6, 10, 16. Vitrolles, Mém., II, 293, 303.

[12] Jaucourt à Talleyrand, 8 mars. (Arch. Aff. étr., 680.) Vitrolles, II, 294. Villemain, II, 6.

[13] La Fayette, Mémoires, V, 372-373. Villemain, Souvenirs, II, 8. Benjamin Constant, Lettres, I, 70.

[14] Journal de Paris, 11 mars.

[15] Journal des Débats, 10 mars. — La livraison du Censeur, très violent comme de coutume, avait paru le 5 mars, et le rédacteur des Débats en faisait la vive critique le 10 mars, sans connaitre encore le revirement politique qui s'était produit chez Comte.

[16] Une autre brochure : Le Cri de la France, portait ceci : Que nous veux-tu ? Si ce sont nos débats politiques qui ont pu te faire penser que l'opinion de la France était contraire à son gouvernement apprends que ces discussions sont inhérentes à tout gouvernement qui n'est pas despotique et qu'elles en font la force et la sûreté.

[17] Rovigo, Mémoires, VII, 369-370. Lavallette, Mémoires, V, 553-354, 360. Benjamin Constant, Lettres, I, 74-75. Mémoires de Fouché, II, 303-306. Lettres de Fouché à Mme de Custine, 9, 10, 12 mars. (Citées par Bardoux, Mme de Custine, 215-219.)

[18] Mollien, Mém., IV, 185. Lavallette, Mém., II, 144. Benjamin Constant, Lettres, I, 83-85. Rapports de police, 13 et 14 mars (Arch. nat., F. 7, 3168, et F. 7, 3200 4). — Sur les dénonciations contre les ex-fonctionnaires de l'empire, voir le Journal des Débats du 9 mars.

[19] Ordres du jour et lettres de Jourdan, Maison, Soult, Quiot, Pacthod, Rey, Curto, Dumonceau, Dessoles, Oudinot, Victor, Masséna, Decaen, etc., etc., du 7 au 18 mars (Arch. Guerre, plusieurs reproduits dans le Moniteur). Cf. Benjamin Constant, Lettres, I, 76-78, et Fagell au comte de Nagelt, Paris 13 mars (Arch. Aff. étr., 675.)

[20] Soult à Ney, 5 mars (Arch. Guerre). Interrogatoire de Ney. (Procès de Ney, II, 104.)

[21] Dépositions du notaire Batardy à l'instruction et devant les pairs. (Procès de Ney, II, 167-168. Cf. Dossier de Ney, Arch. Guerre.) Cf. Déposition de Ségur et interrogatoires de Ney (Dossier).

[22] Dépositions du duc de Duras et du prince de Poix à l'instruction et devant lei pairs (Procès de Ney, II, 112-114, et dossier de Ney, Arch. Guerre). — Ces deux personnages assistaient à l'audience du 7 mars.

Barante (Souvenirs, II, 105) conte que le roi, qui avait le sentiment des convenances, dit à mi-voix après le départ de Ney : — Je ne lui en demandais pas tant !

Au début de la séance du 4 décembre, Ney assura avoir dit qu'en hasardant une entreprise si folle, Napoléon mériterait d'être enferme dans une cage de fer, mais ne pas s'être chargé, lui, de l'exécution. — Dussé-je être passé par les armes et déchiré en lambeaux, reprit-il, je ne me rappelle pas l'avoir dit. Mais, au cours de cette séance, le duc de Duras et le prince de Poix ayant répété leurs déclarations, Ney se rétracta en ces termes : — Je croyais avoir dit que Bonaparte méritait d'être mis dans une cage de fer et non que je voulusse l'y mettre. Il se pourrait cependant que dans le trouble où j'étais, ce mot me fût échappé. Je n'ai aucune raison de mettre en défiance les assertions de M. le duc de Duras. (Procès de Ney, I, 113, et Dossier de Ney, Arch. Guerre.) — Ainsi, il ne saurait subsister de doutes sur ces paroles trop fameuses.

[23] Rapports de police, 8, 9, 10 et 14 mars. (Arch. nat. F. 7, 3161, et F 7, 3200 4.) Rapport de Maison, 13 mars (Arch. Guerre). Fagell au comte de Nagelt, 14 mars (Arch. Aff. étr., 675).

[24] Rougemont à Watteville, 10 mars. Blacas a Clarke, 12 mars. (Arch. Aff. étr., 675 et 646.)

[25] Rapports de police, 7, 8 et 9 mars (Arch. nat., F. 7, 3163, et F. 7, 3200 4).

[26] Rapports de police du 7 au 14 mars (Arch. nat., F. 7, 3168, F. 7, 3200 4, et F. 7, 3062 4). Rougemont à Watteville, Paris, 10 mars. Blacas à Clarke, 14 mars. (Arch. Aff. étr., 675 et 645.) Comte de Pradel à Clarke, Paris, 12 et 13 mars. Blacas aux commandants de compagnie des gardes du corps, 12 mars (Arch. Guerre).

[27] Lavallette, Mémoires, II, 144.

[28] Voir le Nain jaune, du 25 mars — L'article du 10 mars avait été imposé par la police.

[29] Carnot, Exposé de ma conduite politique, 18-21. Cf. Mém. sur Carnot, II, 401-404. — Dans ces Mémoires rédigés par le fils de Carnot, qui avait quatorze ans en 1815 et qui traduit bien la pensée de l'ex-conventionnel, il est dit : Je ne saurais mieux comparer l'attente anxieuse qui dominait les esprits qu'en la comparant au sentiment qu'on éprouve quand on suit de l'œil un chasseur sur un sentier bordé de précipices. Or, on ne suit pas de l'œil le chasseur avec l'espoir de le voir tomber.

[30] Mémoires manuscrits de Barras (communiqués par M. Georges Duruy).

[31] Villemain, Souvenirs, II, 2, 8, 10, 16, 13, 16.

[32] Le roi serait entouré de tous les Français sans l'acharnement du peuple contre une classe privilégiée. Général Fabre à Clarke, Saint-Brieuc, 16 mars (Arch. Guerre). — Ce qui fait le plus grand tort au gouvernement, c'est la prétention de certains nobles de rentrer dans leurs biens et l'annonce du retour des idées proscrites par la Révolution. Commissaire de police de Brest, 13 mars. (Arch. nat. F., 7, 3147.) — L'esprit n'est pas pour le roi. Les prêtres ont fait le plus grand mal en voulant rétablir la dîme et en prêchant la restitution des viens nationaux. Rapport au général Hulot, Metz, s. d. (18 mars) (Arch. Guerre). — Le mauvais esprit tient à l'imprudence des anciens nobles qui ont fait craindre au peuple le rétablissement des droits féodaux. Préfet du Puy-de-Dôme, 20 mars (Arch. nat. F. 7, 3774). — Cf. Lettres du préfet de la Vendée (28 janv.), du maire de Nîmes (11 fév.), du préfet de Nantes (17 fév.), du préfet de la Nièvre (22 fév.), du commissaire de police de Besançon (18 fév.), du préfet de l'Hérault (19 fév.), etc., etc. (Arch. nat., F. 7, 3147), qui toutes sont remplies des mêmes plaintes contre l'attitude imprudente de la noblesse et du clergé.

[33] Correspondance des préfets du 7 au 20 mars. (Arch. nat., F. 7, 3147, et F. 7, 3774). — Nous parlons, cela s'entend, d'une façon générale. Deux départements limitrophes étaient parfois d'opinion contraire. Par exemple, le Jura était tout bonapartiste et le Doubs tout royaliste. Dans un même département, tel arrondissement tenait pour le roi, tel autre pour l'empereur. Ainsi dans l'Aisne, les arrondissements de Laon et de Château-Thierry étaient beaucoup plus exaltés pour Napoléon que ceux de Soissons, de Vervins et surtout que celui de Saint-Quentin.

[34] Sur ce sentiment de la bourgeoisie provinciale, voir le rapport de Lynch, maire de Bordeaux. (Rollac, Exposé fidèle des faits, Appendice, 207.) Berryat Saint-Prix, Napoléon à Grenoble, 10 ; et la correspondance des préfets (Arch. nat. F. 7, 3774, et F. 7, 3147), notamment la lettre du sous-préfet de Brest du 15 mars : Si le peuple est enchanté, la bourgeoisie est assez contente, et la lettre du préfet de Tarbes, 10 mars : La classe aisée se réjouit.

[35] Correspondance des Préfets du 7 au 20 mars. (Arch. nat., F. 7, 3147, et F. 7, 3174.) Lettres des officiers généraux commandant les départements, et des officiers de gendarmerie, du 7 au 20 mars. (Arch. Guerre.) Benjamin Constant, Lettres, I, 86 : — Toutes les classes agissantes sont contre les Bourbons. A. de Maupeou à S. de Girardin, 10 mars : — On ne peut nier que Bonaparte ait un parti durable en France. Walterstoff à Schimmelmann, Paris, 13 mars : — Le peuple se déclare partout pour Bonaparte. Fagell à Nagelt, Paris, 16 mars (Arch. Aff. étr., 675).

[36] Correspondance des Préfets, du 7 au 19 mars. Rapport de Moncey, 18 mars. (Arch. nat., F. 7, 3147, et F. 7, 3737.) General Ambert à Soult, Montpellier, 6 mars. Clarke à d'André, 17 mars (Arch. Guerre).

[37] Préfet de Montauban à Montesquiou, 14 mars. (Arch. nat., F. 7, 3773.)

[38] Rapport de police, 9 mars (Arch. nat., F. 7, 3044 a).

[39] Lettres de Masséna, 7 mars ; de Rivière, 11 mars (Arch. Guerre) ; du préfet de la Loire, 15 mars ; du préfet des Ardennes, 19 mars (Arch. nat., F. 7, 3740, et F. 7, 3774).

[40] Copie de la pièce originale, s. d. (du 15 au 13 mars) (Arch. nat. F. 7, 3774).

[41] Lettre du sous-préfet de Provins, 11 mars ; du commissaire de police de Brest, 13 mars ; du préfet de Metz, 8 mars. (Arch. nat., F. 7, 3147.) Général Fabre à Clarke, Saint-Brieuc, 14 et 16 mars. (Arch. Guerre.)

[42] Azaïs, Napoléon et la France, Appendice, II, 1.

[43] Lettre du préfet de Rennes, 11 mars. (Arch. nat. F. 7, 3147.)

[44] Général Dufour à Clarke, Lille, 15 mars. (Arch. Guerre.)

[45] Rude, sa vie, ses œuvres (par le docteur Legrand), 19-21. Le docteur Legrand qui tenait cette anecdote de Rude, mais qui était naturellement peu renseigné sur les numéros des régiments. dit : Le 5e ou le 6e hussards. C'était le 8e chasseurs stationné à Gray et dont deux escadrons avaient été dirigés sur Lyon (Registre des mouvements, 1814-1815. Arch. Guerre). Il y a beaucoup d'autres erreurs dans les détails historiques dont Legrand accompagne cette anecdote.

[46] Duc d'Orléans, Extrait de mon Journal, 10.

[47] Rouelle à Heudelet, commandant à Dijon, Chalon, 12 mars, et Dijon, 13 mars. Heudelet à Clarke, 13 mars. (Arch. Guerre.)

[48] General Rouelle à Heudelet, Châlon, 12 mars. Général de Coëtlosquet à Clarke, Nevers, 14 mars. Général Heudelet à Clarke, Dijon, 13 mars (Arch. Guerre). Lettre de Ney, 12 mars. Dépositions du préfet de l'Ain et de Heudelet. (Procès de Ney, II, 146, 150, 189, 245.)

[49] Correspondance des préfets, du 8 au 13 mars (Arch. nat., F 7, 3147, F 7, 30442, et F. 7, 3773.) Blacas à Clarke, 17 mars (les faits cités se rapportent au 12). (Arch. Aff. étrang., 646.) Sous-préfet de Fontainebleau à général Borrel, 9 mars. (Arch. Guerre.)

[50] Jourdan à Soult, 11 mars (Arch. Guerre).

[51] Préfet de la Moselle à Dandré, Metz, 10 mars (Arch. Guerre) ; à Montesquiou, 13 mars (Arch. nat., F. 7, 3147).

[52] Général commandant la subdivision de Versailles à Maison, 10 mars. Colonel du 41e à Soult, Périgueux, 11 mars (Arch. Guerre). Préfet de Nantes à Montesquiou, 10 mars (Arch. nat., F. 7, 3147).

[53] Ordre de marche de Napoléon, Lyon, 12 mars (Correspondance de Napoléon, Arch. Guerre). Commandant des dépôts de la Nièvre à Clarke, 13 mars, Général Vialanes au même, 19 mars. Ney à Davout, 24 mars Colonel du 39e au même, 27 mars (Arch. Guerre). Déposition de Capelle, Préfet de Bourg (Procès de Ney, II, 146) (Les faits cites se rapportent aux 10, 11, 12 et 13 mars). Le colonel du 3e hussards, fils du maréchal Moncey, fut abandonné par son régiment ainsi que le colonel du 39e.

[54] Maupeou à Girardin, 11 mars. Fagell à Nagelt, 13 mars. (Arch. Aff. étr., 679.) — Dans une autre lettre (14 mars), Fagell écrivait encore : Les maréchaux et presque tous les généraux sont fidèles au roi, mais non les soldats qui aiment Bonaparte et dont les serments de fidélité s'évanouissent devant son prestige.... Les troupes manifestent le meilleur esprit jusqu'au moment où elles se trouvent en position d'agir, et alors elles refusent.

[55] Notes de Rovigo, citées dans le supplément de la Correspondance de Wellington, IX, 632-633. La Fayette, Mémoires, V, 354-355, 360. Thibaudeau, 235-236. Montholon, Récits, II, 187. 202, 363. Cf. Pasquier, III, 130, 154, 155.

[56] Colonel Rapatel à Maison, Laon, 11 mars (Arch. Guerre). — Lallemand avait quitté Laon, siège de son commandement, le 1er mars.

[57] Rovigo, Mémoires, VII, 371. Cf. Montholon, Récits, II, 187, 368, et Pion des Loches, Mes Campagnes, 425, 440.

[58] Clarke au roi, 13 mars (Arch. Guerre). Chef du bureau de la justice militaire à Clarke, 10 avril 1816. Rapporteur au 1er Conseil de guerre à Clarke, 4 juillet 1816. D'Espinois à Clarke, 10 avril 1816 (Dossier de Drouet, Arch. Guerre).

Nous savons que ces ordres furent envoyés le 7 mars, puisque le 8 mars Soult était informé de la trahison de Drouet et écrivait à Mortier : Je suis informé que le comte Drouet cherche à embaucher les soldats du roi au nom de l'infâme usurpateur Buonaparte. Je vous ordonne de prendre des mesures pour l'arrestation de Drouet. Dès que ce misérable sera arrêté, vous le ferez traduire devant un conseil de guerre et vous veillerez à ce qu'il soit fusillé dans les vingt-quatre heures. Paris, 8 mars. (Arch. Guerre.)

[59] Rapport du général Lion, Ham, 12 mars, lu le 13 mars à la Chambre des députés. Sous-préfet de Saint-Quentin à Clarke, 14 mars (Arch. Guerre). Préfet de l'Aisne à Montesquiou, 12 mars (Arch. nat., F. 7, 3146). — D'Erlon avait même donné les ordres au nom de Mortier.

[60] Rovigo, Mémoires, VII, 371. Cf. Duc d'Orléans, Mon Journal, 28-30. Pion des Loches, Mes Campagnes, 410. Benoist à Barante, Paris 12 mars (Barante, Soue., II, 104).

Le duc d'Orléans croit que Drouet n'était pas coupable et avait voulu envoyer à Paris des troupes au secours du roi (dès le 7 mars !), mais il ne donne à l'appui de cette opinion que des conjectures qui sont en contradiction avec les faits et avec tous les témoignages. Drouet, lors de son arrestation, prétendit aussi n'avoir agi que dans l'intérêt du roi et persuada même de son innocence le bon maréchal Mortier, (Clarke au roi, 13 mars. Arch. Guerre). Après les Cent Jours, il protesta encore contre les soupçons qui avaient motivé son arrestation (Drouet à Gouvion Saint-Cyr, 18 juillet. Dossier de Drouet). Il prétextait de l'ordre postérieur du ministre (ordre envoyé le 9 mars et reçu le 10) de diriger sur Paris un certain nombre de régiments, pour dire qu'il n'avait fait que devancer les instructions du gouvernement. Cette mauvaise défense ne saurait être prise au sérieux.

En 1816, Drouet fut condamné à mort par contumace pour avoir, de sa propre autorité, fait mouvoir des troupes hors de son commandement et avoir trahi le roi et attaqué la France à main armée. Mais aucune pièce ne fut produite à ce procès, non plus d'ailleurs qu'aux procès des frères Lallemand et de Lefebvre-Desnoëttes (sauf à celui-ci deux dépositions écrites que le général d'Aboville et le major Lainé donnèrent seulement en 1816). Une lettre du chef du bureau de la justice militaire à Clarke, du 19 avril 1816 (Arch. Guerre, dossier de Drouet) nous apprend que toutes les pièces relatives au complot de ces généraux, que l'on avait réunies avant le 20 mars pour leur procès, furent brûlées pendant les Cent Jours.

Si l'on réfléchit que Fouché avait été l'instigateur de cette tentative, qu'il fut ministre de la police au retour de Napoléon et qu'il pensait dès lors à être ministre de Louis XVIII, on s'explique la destruction de ces pièces.

[61] Rapport du général Lion, Ham, 12 mars, lu le 13 Mars à la Chambre des députés. Rapport des sous-préfets de St-Quentin et de Senlis, 11, 12 et 13 mars. (Arch. nat., F. 7, 3147.)

[62] Dossiers des généraux Lallemand (Arch. Guerre). Lainé, qui avait fait sa carrière dans la cavalerie, s'appelait François-Antoine.

[63] Déposition écrite du général d'Aboville (Procès de Lefebvre-Desnoëttes, 8-12, Pion des Loches, Mes Campagnes, 421-436). Rapport précité du général Lion. Rapport de Moncey, 11 mars. Chef d'escadrons Lepage à colonel Guichard, Chauny, 10 mars. Colonel Guichard à général de Saint-Alphonse, Soissons, 11 et 12 mars (Arch. Guerre).

[64] Déposition écrite du major Lainé (Procès de Lefebvre-Desnoëttes, 6-8). Rapport de Moncey, 11 mars (Arch. Guerre).

[65] Rapport de Moncey, 11 mars. Sous-préfet de Compiègne à Soult, 11 mars (Arch. Guerre).

[66] Rapport du général Lion, Ham, 12 mars, lu à la Chambre des députés le 13 mars. Sous-préfet de Compiègne à Maison, 12 mars. Colonel Guichard à Maison, Soissons, 12 mars. Sous-préfet de Saint-Quentin à Clarke, 14 mars (Arch. Guerre).

[67] Dupuy, Souvenirs militaires, 113.

[68] Rapport précité du général Lion. — Pour un fidèle soldat du roi, le général Lion avait singulièrement tardé à s'enquérir auprès de Lefebvre-Desnoëttes du but de ce mouvement et il avait toléré chez les chasseurs des cris, des violences et autres manifestations qui cadraient peu avec ses prétendus sentiments royalistes.

[69] Séance du 14 mars. — Le gouvernement n'ignorait pas que la garnison de Cambrai, ces chasseurs qui avaient crié : Vive l'empereur ! arraché les fleurs de lys de leurs sabretaches et brisé les écussons royaux aux devantures des boutiques étaient loin d'avoir bien mérité du roi, mais il tenait à le faire croire.

[70] Procès-verbal d'arrestation, Marolle 12 mars (Arch. Guerre). Ordre de Davout au préfet de Laon de mettre en liberté les généraux Lallemand, Paris, 21 mars (Dossiers des généraux Lallemand).

[71] Clarke à Louis XVIII, Paris, 13 mars. Ordre de Davout d'élargir Drouet et de lui rendre son commandement. Paris, 20 mars (Arch. Guerre).

[72] Rapport du commandant Viotti au Conseil de guerre (Procès de Lefebvre-Desnoëttes, 15). Dépositions diverses (Procès de Rigau, 6).

[73] Rovigo, Mémoires, VII, 373. — Comme on verra plus loin, Fouché eut cette audience le 15 mars, mais de graves soupçons pesaient sur lui ; un mandat d'arrêt fut lancé ce même jour et il n'y échappa qu'en se cachant.

De deux lettres dressées le 9 et le 10 mars à Mme de Custine, où Fouché manifeste des sentiments royalistes et exprime des doutes sur la réalité du débarquement. M. Bardoux (Mme de Custine, 215-217) croit pouvoir inférer que le duc d'Otrante n'était pour rien dans le mouvement militaire. Fouché, dit-il, ne ment pas à Mme de Custine.

Or, 1° Fouché n'était pas assez imprudent pour confier par écrit, même à Mme d. ; Custine, le secret d'une conspiration où il risquait sa tête ; 2° il est ces tain qu'en écrivant le 10 mars — le 10 mars, trois jours après la publication de l'ordonnance du roi convoquant les Chambres, trois jours après la prise de Grenoble, et quand tous les journaux étaient pleins de détails sur le débarquement ! — que rien ne prouve que Bonaparte ait réellement quitte l'ile d'Elbe, Fouché mentait bel et bien à Mme de Custine.

En outre, deux autres lettres de Fouché à Mme de Custine, des 16 et 18 mars (également citées par M. Bardoux, 226, 228), où il dit, à propos du mandat d'arrêt lancé contre lui : ... On me reproche d'avoir trouvé mon nom sur les listes de quelques misérables... Croiriez-vous que j'ai été présenté comme un homme qui voulait ouvrir les routes du trône à Bonaparte ! sont des preuves que le gouvernement regardait Fouché comme ayant trempé dans la conspiration de Drouet. — Nous avons déjà dit les raisons pourquoi les origines et les trames de cette conspiration resteront toujours un peu obscures.

[74] Rapports de police, 7, 8 et 13 mars (Arch. nat. F. 7, 3168, et F. 7, 3200 4) Ministre de Danemark à son gouvernement, Paris, 13 mars (Arch. étr., 475). Soult, Mémoires justificatif, 4-19. Benjamin Constant, Mém., I, 89-90.

[75] Exposé de la conduite de Soult (dossier de Soult, Arch. nat. F. 7, 6683). Soult, Mémoire justificatif, 18-20. Vitrolles, 314-318.

[76] Lettres et ordres de Soult, 7, 8, 9, 10 et 11 mars, de Clarke, 12 et 13 mars (Arch. Guerre). Rapport de Davout à Napoléon, 22 mars (Arch. nat., AF IV, 3940).

[77] Ordonnances du roi du 9 mars (Moniteur, 11 mars).

[78] Journal des Débats, 10 et 11 mars.

[79] La Fayette, Mémoires, V, 265-367. Vitrolles, Mémoires, II, 302-304.

[80] Ordonnances des 9 et 11 mars, réponse à l'adresse de la Chambre des députés, etc., etc.

[81] Ordonnance du 11 mars (Moniteur, 13 mars. Journal des Débats, 14 mars).

[82] Circulaire aux ministres étrangers, Paris, 7 mars (Arch. Aff. étr., 680).

[83] Méneval à Caulaincourt, Vienne, 8 avril. (Arch. Aff. étr., 1801.) Cf. Nesselrode à Butiakin, Vienne, 22 mars. (Correspondance de Talleyrand avec Louis XVIII, 335, note.) Nesselrode à Castlereagh, Vienne, 2 avril (Letters and Dispatchs of Castlereagh, II, 296-297) : ... C'est pour nous le cas de last shilling, last drop of blood.

Quoiqu'on en ait dit, il est peu probable que dans cette circonstance Pozzo ait influencé le czar. Pozzo, qui soutenait ardemment la cause des Bourbons, se trouvait en effet à Vienne, mais son rapport sur la Pologne, où il avait combattu sans ménagements des projets chers à Alexandre, lui avait fait perdre de son crédit. Le czar le tenait un peu à l'écart, et il semble qu'il entra dans la nouvelle coalition sans même le consulter.

[84] Metternich, Mémoires, I, 204-206. Talleyrand à Louis XVIII, 7 et 12 mars (Correspondance avec Louis XVIII). Wellington à Castlereagh, 12 mars (Dispatchs of Wellington, XII). Wellington à Wellesley, Vienne, 12 mars. Méneval à Caulaincourt, Vienne, 8 avril. Vaudreuil à Jaucourt, Berlin, 18 mars (Arch. Aff. étr., 680, i801, et Prusse, 253).

[85] Talleyrand à Louis XVIII, Vienne, 7 mars (Correspondance avec Louis XVIII, 219-321) ; à Jaucourt, 7 mars (Arch. Aff. étr., 680). Metternich, Mémoires, I, 205-206. Cf. Villemain, Souvenirs, II, 82-83, et Gazette d'Augsbourg, 22 mars 1815.

[86] Talleyrand à Louis XVIII, Vienne 12 mars (Correspondance précitée, 326-327) ; à Jaucourt, 12 mars et 14 mars (Arch. Aff. étr., 680). Cf. Wellington à Welesley, Vienne, 12 mars (copie aux Arch. Aff. étr., 1801).

[87] Talleyrand à Jaucourt, 12 mars (Arch. Aff. étr., 680).

[88] Note de Dubois, directeur des archives des Affaires étrangères, 12 juin 1838 (Arch. Aff. étr., 680).

[89] Dans sa lettre à Jaucourt, du 12 mars (Ach. Aff. étr., 680), Talleyrand lui fait remarquer avec satisfaction que cette Déclaration est très forte, que jamais il n'y a eu une pièce de cette force.