1814

LIVRE SIXIÈME

II. — LE CONSEIL DE GUERRE DE POUGY.

 

 

Si après la bataille d'Arcis-sur-Aube, Napoléon n'était point exactement fixé sur la direction qu'allait prendre Schwarzenberg, Schwarzenberg de sou côté — et la chose est moins explicable — ne savait rien de la direction qu'avait prise Napoléon. Le soir du 21 mars, tandis que l'on combattait encore dans Amis, le généralissime autrichien pensant que l'armée française se repliait vers Vitry avait ordonné pour le 22 un mouvement de concentration sur la rive droite de l'Aube, entre Donnement et Dampierre. Dans la nuit, il écrivit de Pougy à l'empereur d'Autriche afin de lui annoncer le succès de la journée et de l'informer des dispositions arrêtées pour le lendemain[1]. Mais, dans cette même nuit, Schwarzenberg reçut un billet du prince de Wurtemberg, portant que d'après des renseignements certains Napoléon se retirait sur Châlons[2]. Les ordres furent modifiés. Au lieu de s'échelonner entre Donnement et Dampierre, de façon à marcher sur Vitry, les troupes durent se déployer entre Corbeil et Herbisse, de façon à marcher sur Châlons[3]. Le passage de l'Aube souffrit de grands retards. Les trois corps de Macdonald, postés sur la rive droite depuis Chêne jusqu'au delà d'Ormes, défendaient tous les abords, canonnant et fusillant les Austro-Russes dès qu'ils se montraient à portée. Embusqués dans les maisons du faubourg d'Arcis, les tirailleurs de la brigade Maulmont empêchaient par un feu nourri et bien dirigé les travailleurs ennemis de rétablir le pont. Le prince de Wurtemberg ; voyant qu'il ne pouvait franchir l'Aube à Arcis, — passage très périlleux et très difficile, écrivait-il, — se résolut à traverser la rivière à trois lieues en amont, par le pont de Ramerupt. Ce mouvement achevé dans l'après-midi du 2 mars, il prit position avec les Ive et VIe corps entre Ramerupt et Dampierre, l'avant-garde à Lhuitre. Le Ve corps (Wrède) occupa Corbeil et Brébant, l'avant-garde à Métiercelin Les gardes et réserves s'établirent entre Donnement et Vaucogne ; seul le IIIe corps (Gyulai) resta sur la rive gauche de l'Aube, en observation devant Arcis[4].

Quand on regarde sur la carte les positions occupées par les Alliés et que l'on compare les effectifs des troupes en présence, on admire que la petite armée de Macdonald ait échappé à la destruction. Le 22 mars, cette armée réduite à vingt mille combattants[5], qui étaient échelonnés entre Chêne, Ormes et Mailly, se trouvait menacée sur son front par le corps de Gyulai et débordée de plus de quatre lieues sur son flanc gauche par le gros des Austro-Russes, soit par quatre-vingt mille hommes. Dans la nuit, les hussards et les uhlans du comte Pahlen traversèrent même la ligne de retraite des Français en se portant, par Poivre, de Lhuitre sur Sommesous[6]. Comment avec leur innombrable cavalerie légère, les généraux alliés ne furent-ils pas informés de la route suivie par l'empereur et de la situation critique où se trouvait Macdonald, obligé à une marche de flanc devant leurs têtes de colonnes ? Et avaient-ils même besoin des renseignements de leurs reconnaissances ? Ne voyaient-ils pas la position de l'arrière-garde française ? N'étaient-ils pas en contact avec elle ? Pourquoi ne tentèrent-ils pas quelque attaque vigoureuse où leur écrasante supériorité numérique leur eût assuré le succès ? Mais d'après les dispositions de Schwarzenberg, trop bien obéi par ses lieutenants, il semblait que pour agir on dût se régler sur la marche de Macdonald. C'était laisser le maréchal libre de ses mouvements, quand au contraire il fallait les paralyser.

On restait sans nouvelles certaines de la direction prise par Napoléon. L'3 22 dans la soirée, Schwarzenberg reçut une lettre du général Oscharowsky, portant : L'empereur marche sur Vitry... et une lettre du général de Wrède, disant : Il est impossible que Napoléon se retire sur Vitry. Selon d'autres rapports, les Français se repliaient sur Châlons, sur Sézanne, sur Montmirail[7]. Plus irrésolu que jamais, le prince de Schwarzenberg écrivit ce soir-là à l'empereur d'Autriche : Jusqu'à présent les rapports précis me manquent sur la vraie direction de l'ennemi. Je les attends à chaque instant. Dès que je les aurai, je me mettrai en marche sur-le-champ[8]. Schwarzenberg venait déjà d'écrire à Blücher : D'après toutes les nouvelles, l'empereur doit se diriger sur Châlons, mais j'en doute encore. Sitôt que j'aurai des nouvelles exactes, je suivrai l'ennemi avec toute l'armée. Le meilleur moyen d'avoir des nouvelles, c'était de presser vivement les Français dans leur retraite. Mais Schwarzenberg, apparemment, ne s'en avisa point. Afin d'occuper les loisirs que lui faisait son incertitude, il passa la soirée du 22 mars à rédiger trois dispositions différentes pour le lendemain, suivant les trois éventualités qui pouvaient se présenter : la marche de Napoléon sur Châlons, sur Vitry ou sur Montmirail. Dans les trois cas d'ailleurs, on aurait à suivre l'armée française ; les ordres variaient seulement dans les détails itinéraires[9].

Pendant que Schwarzenberg écrivait, Macdonald agissait. Au mépris de tous les dangers, il avait exécuté l'ordre de l'empereur lui enjoignant de se maintenir derrière l'Aube durant la journée entière[10]. La nuit venue, il prit ses dispositions de retraite. À onze heures du soir, les troupes se concentrèrent entre Chêne et Dosnon, et le 23 mars à là pointe du jour l'armée se mit en marche vers Vitry, par Trouan et Sommepuis[11]. Avertis par les grand'gardes du mouvement de Macdonald, le prince de Wurtemberg fit aussitôt avancer les IVe et VIe corps dans la direction de Grand-Trouan ; il continuait d'ailleurs à croire que les Français se repliaient sur Châlons. De son côté, le comte de Wrède fut informé à sept heures du matin, par un rapport d'Oscharowsky, que décidément Napoléon avait pris Vitry pour point de retraite. À ces nouvelles, Wrède se conformant aux instructions de Schwarzenberg choisit la disposition n° 2 et dirigea le Ve corps sur Vitry par les hauteurs de Perthes[12].

De Grand-Trouan, où son arrière-garde fut atteinte par la cavalerie du prince de Wurtemberg, à Courdemanges, où le corps de Wrède tenta de lui couper la retraite, Macdonald marcha sans cesse parallèlement à l'ennemi et trop souvent en contact avec lui. Il eut à soutenir plusieurs attaques y perdant de ses bagages et de son artillerie. J'ai été pour ainsi dire enveloppé tout le jour, écrivit-il le 24 mars, à Berthier, et forcé de combattre jusqu'à onze heures du soir. Votre Altesse peut comprendre le désordre de mes troupes, harassées de fatigues, marchant dans une plaine aride, par une nuit obscure. Enfin, grâce au concours de Ney qui avait fait occuper par la division Lefol les hauteurs de Courdemanges, de façon à protéger les gués, les trois corps du duc de Tarente purent franchir la Marne pour ainsi dire pêle-mêle, dit Macdonald, et s'établir sur la rive droite[13].

Les combats avaient même commencé plus tôt que ne le croyait Macdonald. Entre huit et neuf heures du matin, comme Gérard, dont le corps tenait la tête de la colonne, avait déjà dépassé de sa personne la ferme du Fénu (route de Grand-Trouan à Sommepuis), il entendit une furieuse canonnade dans la direction de ce dernier village et s'y porta aussitôt. Le grand parc de l'armée était aux prises avec la cavalerie d'Oscharowsky. D'après les instructions de Macdonald, qui craignait que pièces et voitures ne pussent traverser les marais de Saint-Saturnin, le parc était remonté jusqu'à Pleurs d'où il avait gagné Salon et Sommepuis. Malheureusement, par suite d'ordres mal interprétés, la division Amey, qui devait escorter le convoi, avait rebroussé chemin vers Sézanne. Ainsi le parc était bien arrivé le 23 au matin, près de Sommepuis, mais il y était arrivé seul, ayant pour toute escorte dix gendarmes à cheval ralliés sur la route[14]. C'était une riche proie et une proie facile pour les dix-sept cents dragons, hussards et lanciers de la garde du général Oscharowsky[15]. Sans trop s'intimider, le commandant du convoi disposa son parc en carré, les caissons et les voitures au centre, et avec les quatre ou cinq cents conducteurs, sapeurs et canonniers qu'il avait sous ses ordres, il s'efforça de repousser à coups de mitraille les charges des escadrons ennemis. On y réussit d'abord, et les gendarmes, renforcés d'une quinzaine de sous-officiers et de canonniers à cheval, sortirent même du carré et sabrèrent avec les Russes. Mais Oscharowsky ayant fait ouvrir le feu à son artillerie légère, des obus tombèrent sur les caissons. Quelques-uns sautèrent ; le désordre se mit dans le carré où pénétra la cavalerie ennemie. À ce moment, les têtes de colonnes de Gérard arrivèrent sur le champ de bataille. L'infanterie dégagea le parc et repoussa les Russes jusque près d'Humbauville. On ne put néanmoins leur reprendre deux au trois cents prisonniers et quatorze canons, trophées de ce combat. Un plus grand nombre de pièces avaient été enclouées[16].

Pendant l'affaire, un courrier, porteur d'une lettre de Berthier à Macdonald, tomba entre les mains de l'ennemi. Cette lettre, datée du château du Plessis, 3 heures du matin, enjoignait au duc de Tarente de presser sa marche pour passer la Marne et l'informait que l'empereur se trouvait entre Vitry et Saint-Dizier, sur les derrières de la grande armée, et que déjà la cavalerie s'approchait de Joinville après avoir fait beaucoup de prises[17]. Oscharowsky envoya aussitôt cette dépêche si importante à son chef hiérarchique, Barclay de Tolly. Celui-ci, jugeant que ces nouvelles obligeaient à prendre un parti sur l'heure, dépêcha Diebitsch, son quartier-maitre général, au prince de Schwarzenberg. Le prince avait quitté Pougy pour aller inspecter les positions ; Diebitsch le rejoignit à Dommartin. Il lui annonça devant tout l'état-major le succès remporté le matin par la cavalerie légère de la garde, puis il le pria d'entrer dans une maison avec le chef d'état-major général Radetzky, pour une communication secrète. Diebitsch remit alors la lettre saisie, et s'efforça de faire sentir au généralissime la gravité des circonstances et la nécessité d'une résolution énergique. La conférence dura .une demi-heure ; après quoi Schwarzenberg, sans avoir encore rien décidé, revint au galop à Pougy pour réunir en conseil de guerre le czar, le roi de Prusse et les principaux généraux de l'état-major allié[18].

De nouveaux renseignements étaient parvenus au quartier général. L'armée de Silésie s'avançait de Reims sur Châlons, et déjà sa cavalerie légère battait l'estrade au sud de cette ville, donnant la main aux coureurs du comte Pahlen qui rayonnaient autour de Poivre. Enfin des Cosaques de Tettenborn avaient pris dans la nuit sur un courrier une lettre de Napoléon à l'impératrice Marie-Louise. Dans ce billet, dont Blücher envoyait la copie à Schwarzenberg, l'empereur écrivait qu'il avait passé la Marne afin d'attirer l'ennemi loin de Paris et de se rapprocher de ses places[19].

Cette lettre venait confirmer celle de Berthier à Macdonald, saisie dans la matinée. Il était désormais certain que l'empereur manœuvrait pour se jeter sur la ligne d'opérations des Alliés. Sans doute Schwarzenberg n'était pas surpris du mouvement de Napoléon sur Vitry, puisque dès le 21 au soir il avait pensé que l'empereur marcherait vers cette ville et puisqu'au milieu des incertitudes où il était resté toute la journée du 22, il avait néanmoins donné des ordres dans cette prévision[20]. Malgré cela, le généralissime n'en était pas moins effrayé de la rapidité de la marche de Napoléon, qui se trouvait déjà à Saint-Dizier, menaçait Chaumont et pouvait tomber par Brienne sur le flanc droit de la grande armée.

Le conseil de guerre se réunit à trois heures sous l'émotion de ces graves nouvelles. À en juger par la proposition qui fut émise la première, plusieurs généraux avaient perdu l'esprit. Napoléon, dirent-ils, se trouve déjà sur notre ligne d'opérations ; il a sur nous deux jours d'avance, il menace Chaumont. Conséquemment, il nous faut recouvrer nos communications avec la Suisse au moyen d'une marche parallèle, à grandes journées, par Vandeuvre, Bar-sur-Seine et Châtillon. De là, nous nous porterons soit sur Langres, soit sur Dijon et Vesoul'[21]. Ce mouvement n'était rien moins qu'une retraite, et c'était la retraite la plus funeste au point de vue moral comme la plus dangereuse au point de vue militaire. De l'aveu de tous les historiens allemands, anglais, russes, quelles conséquences eût entraînées une pareille manœuvre !

La retraite jusqu'au Rhin — et même au delà, comme dit Diebitsch — les résultats de dix batailles, de deux mois de campagne sacrifiés, perdus, la démoralisation gagnant l'armée de Bohême, l'effroi paralysant l'armée de Silésie laissée seule sur le territoire ennemi, l'enthousiasme relevant la France, les convois et les magasins pillés, les parcs enlevés, les troupes poursuivies et coupées par les soldats de Napoléon, harcelées par les paysans en armes, la débandade, la déroute, tous les désastres ! Ah ! le mouvement génial de Napoléon sur Saint-Dizier, admirable dans la conception, est justifié dans la pratique par cela seul qu'il a inspiré un instant aux Alliés l'idée d'une retraite immédiate vers le Rhin.

Malheureusement, les extrêmes dangers de cette retraite, qui nous frappent si vivement à un demi-siècle de distance, frappèrent de même la majorité du conseil. Un autre plan de campagne que suggérait l'approche de l'armée de Silésie par Châlons fut mis en délibération. Il s'agissait d'abandonner résolument les lignes de communications avec la Suisse et de s'en ouvrir de nouvelles avec les Pays-Bas par Châlons, Reims et Mons. Il ne fallait pour cela que se réunir à l'armée de Blücher. Cette jonction opérée et la nouvelle ligne ainsi ouverte, les deux armées marcheraient de concert contre Napoléon pour lui livrer bataille entre Vitry et Metz[22]. Après une courte discussion, le conseil décida ce mouvement. Mais il semble que Schwarzenberg ne s'y résolut qu'avec peine, sous la pression des circonstances. Il s'en excusa presque auprès de l'empereur d'Autriche : Ce que cette manœuvre, lui écrivit-il, va m'enlever en ressources, j'espère le regagner par la supériorité des forces. L'empereur de Russie et le roi de Prusse sont tout à fait d'accord avec moi e ne considèrent aucun autre mouvement comme possible. Dans cette décision importante et hardie, leur avis conforme me donne une véritable satisfaction[23].

Le prince de Schwarzenberg qualifia la marche sur Chalons de hardie. L'épithète est impropre. À la vérité, cette opération était bien combinée, mais elle marquait de la part des Alliés moins de hardiesse que de prudence. Les Austro-Russes avaient refoulé la petite armée impériale au delà de l'Aube ; cette armée échelonnée sur une étendue de quinze lieues exécutait à cette heure même une marche de flanc devant les tètes de colonnes du prince de Wurtemberg et du comte de Wrède ; elle était harassée de fatigues. Et au lier de porter incontinent leurs masses sur Saint-Dizier, les Alliés perdaient deux jours dans un mouvement sur Châlons, abandonnant sans résistance leurs lignes de communications, livrant à la cavalerie française leurs postes, leurs détachements, leurs convois, leurs magasins. Avant d'oser attaquer l'empereur, qui n'avait plus que quarante-quatre mille hommes, il leur fallait, à eux qui étaient près de cent mille, se réunir aux quatre-vingt mille soldats de Blücher. Pour combattre, il ne suffisait pas à l'ennemi d'être deux contre un, il voulait être quatre contre un. En vérité, quelle terreur superstitieuse inspirait encore Napoléon !

A l'issue du conseil, l'ordre fut expédié aux colonnes en marche sur Vitry d'arrêter leur mouvement pour prendre la direction de Châlons. Les immenses convois de vivres et de munitions massés à Brienne durent doubler l'étape pour rejoindre l'armée par Brébant. Il fut prescrit au prince Moritz Lichtenstein d'évacuer Troyes et de se replier sur Dijon, aux commandants des garnisons, postes, dépôts et magasins de Chaumont et des environs de rétrograder sur Langres et au besoin sur Vesoul[24].

L'empereur d'Autriche, resté sur les derrières de l'armée, se trouvait alors à Bar-sur-Aube, où il s'était arrêté quelques jours auparavant, en venant de Chaumont. Il se croyait à Bar en pleine sécurité, tandis que la marche du gros des Austro-Russes vers Châlons et la retraite de leurs arrière-gardes sur Langres et Dijon allaient le mettre à la merci d'un hurrah de cavalerie française. Par malheur, le prince de Schwarzenberg s'avisa des dangers qui menaçaient son souverain. Il lui fit tenir le respectueux mais pressant avis de quitter au plus tôt Bar où il risque d'être enlevé. Je ne crois pas, ajoutait Schwarzenberg, que Votre Majesté puisse gagner Arcis assez tôt pour prendre part à notre marche. Mon opinion serait donc que Votre Majesté se rendît par la route la plus sûre à son armée de Lyon, par Châtillon, Dijon, etc. De cette manière Votre Majesté restera, en tout cas, en communication avec ses États par la Suisse[25]. Ce en tout casauf jeden Fall — indique que Schwarzenberg n'était point assuré du succès du mouvement sur Châlons.

C'était cependant s'exagérer les périls que de conseiller à l'empereur d'Autriche d'aller d'une seule traite jusqu'à Lyon. En dissuadant son souverain de rejoindre l'armée par Arcis, Schwarzenberg ne se fit-il pas le complice du czar et des partisans de la guerre à outrance ? La rupture du congrès de Châtillon et la Déclaration manifestement antidynastique par quoi les plénipotentiaires alliés l'avaient clôturé, devaient rassurer les états-majors russes et prussiens contre toute tentative d'accommodement. D'ailleurs la conduite de François Ier n'avait, en réalité, prêté à aucune équivoque depuis la conclusion de la quadruple alliance. Néanmoins, dans l'entourage du czar, on ne laissait pas d'appréhender quelque appel in extremis de Napoléon à l'empereur d'Autriche, et on était fort satisfait de voir ce souverain loin de l'armée. La marche sur Châlons était une occasion favorable pour éloigner définitivement François Ier. Volontairement lu inconsciemment, Schwarzenberg servit les desseins ces deux souverains du Nord en conseillant à l'empereur d'Autriche de gagner Lyon. Au reste, le prince fut bien inspiré de pousser l'empereur à quitter Bar, et celui-ci fut bien inspiré de suivre incontinent cet avis — il partit le 24 mars à six heures du matin[26] —, car s'il eût tardé d'un jour, il fût tombé entre les mains des cuirassiers du général Saint-Germain[27]. Le beau-père prisonnier du gendre, quelle revanche de Prague pour Napoléon, quelle ridicule aventure pour la Coalition, quel dénouement de comédie à cette épopée tragique !

 

 

 



[1] Disposition de Schwarzenberg pour le 22 mars, Ménil, 21 mars, 6 heures du soir, cité par Schels, Die Operaz. der verbünd. Heere gegen Paris, I, 394.

[2] Lettre de Wurtemberg à Schwarzenberg (devant Arcis, nuit du 21 au 22 mars), citée par Schels, I, 395.

[3] Disposition de Schwarzenberg, Pougy, 22 mars, 10 heures du matin, citée par Schels, I, 399-400.

[4] Macdonald à Berthier, Ormes, 22 mars, et Villotte, 24 mars. Journal de la division Leval. Arch. de la guerre. Lettre de Wurtemberg à Schwarzenberg (devant Arcis, 22 mars au matin) citée par Schels, I, 401. Barclay de Tolly à commandant de Vitry, 22 mars. Arch. nat., AF., IV, 1668.

[5] On a vu que le 17 mars les trois corps de Macdonald comptaient environ 30.000 hommes. Mais le 22 mars la division Leval avait perdu 1.100 hommes dans le combat de la veille ; les 2e et 5e corps de cavalerie, ensemble 5.000 hommes, étaient avec l'empereur au delà de la Marne ; enfin, par suite de retards dans la marche, les divisions Pacthod et Amey et le grand parc n'avaient point rejoint le gros de l'armée. Macdonald n'avait donc plus que 18.000 hommes, au maximum, auxquels il faut ajouter les 1re et 2e divisions de la garde à cheval sous Sébastiani (réduites à moins de 2.200 sabres) que Napoléon avait laissées au duc de Tarente pour couvrir sa retraite.

[6] Schels, I, 411. Cf. 426 et Bogdanowitsch, II, 109.

[7] Lettres de Wrède et d'Oscharowsky, 22 mars, citées par Schels, I, p. 409 ; Relation de Diebitsch, Mohilew, 9 mars 1817. Arch. de la guerre (à la date du 24 mars 1814).

[8] Lettres de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche, Pougy, 21 mars, 9 heures du soir ; à Blücher, Pougy, 22 mars (dans l'après-midi), citées par Schels, I, 404. — Barclay de Tolly écrivait de son côté (22 mars) au commandant de Vitry : Quoiqu'il ne soit pas vraisemblable que l'ennemi se retire du côté de Vitry, j'exige que dans le cas où il se présenterait, vous vous défendiez à la dernière des extrémités. Les armées alliées suivent l'ennemi pas à pas... Cette lettre prise par nos coureurs se trouve aux Archives nationales, AF., IV, 1668.

[9] Dispositions de Schwarzenberg pour le 23 mars, Pougy, 21 mars, 10 heures du soir, citées par Plotho, III, 337-339. Cf. Lettre de Schwarzenberg à Wrède, Pougy, 22 mars (dans la nuit) citée par Schels, I, 405.

[10] Registre de Berthier (à Macdonald, château du Plessis, 22 mars, 1 heure du matin). Arch. de la guerre.

[11] Ordres de Gressot, Dosnon, 22 mars, 11 heures du soir. Rapport de Macdonald, Villotte, 24 mars. Journal de Leval. Arch. de la guerre.

[12] Lettre de Wurtemberg à Schwarzenberg, Dampierre, 23 mars, citée par Schels, I, 411. Bogdanowitsch, II, 105406 ; Schels, I, 409, 110, 419, — Oscharowsky avait eu dans la soirée du 22 un engagement près de Frignicourt avec m parti de troupes françaises.

[13] Macdonald à Berthier, Villotte, 24 mars, 4 heures du matin. Journal de a division Levai. Arch. de la guerre. Cf. Schels, II, 422-423. — Le passage de la Marne, qui avait commence pour les troupes de Macdonald le 23 à 5 heures du soir, ne fut complètement achevé que le 24 à 6 heures du matin. Ney à Berthier, Frignicourt, 23 mars, 4 heures et demie du soir, et Saint-Dizier. 21 mars, 1 heure après-midi. Arch. de la guerre.

[14] Rapports de Macdonald à Berthier, Villotte, 24 mars, quatre heures du matin et Valcourt, 28 mars, 1 heure et demie après-midi. Arch. de la guerre. Rapport de Logeret, maréchal des logis de gendarmerie, Doulevent, 23 mars, Arch. nat., AF. IV, 1667. — Macdonald explique ainsi la fatale erreur du général Amey. ... Amey, qui le 21 au soir était à Saint-Saturnin, avait l'ordre d'escorter les parcs (ce dont j'ai l'accusé de réception). Il devait se diriger directement sur Cauroy, Gourganson ou Semoine, selon que les parcs seraient à cette hauteur. Mes derrières se trouvant fort compromis, j'envoyai dans la nuit plusieurs officiers d'état-major sur Nogent et Villenoxe, afin que tout ce qui n'aurait pas passé les gués rétrogradât vers Sézanne. Cet ordre ne concernait nullement le général Amey, puisqu'il était de ce côté des gués, mais l'un de mes officiers ayant passé par Saint-Saturnin, Amey voulut voir l'ordre général, qui ne le concernait pas, et le prenant néanmoins pour lui, il se dirigea sur Sézanne...

[15] 18 escadrons formant un effectif total de 1 776 sabres et lances et une demi-batterie d'artillerie légère. Tableau de la composition de la grande armée alliée en 1814. Arch. top. de Saint-Pétersbourg, 22854.

[16] Cf. Macdonald à Berthier, 24 mars, et 28 mars. Arch. de la guerre. Rapport de Logeret, Doulevent, 25 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670. Rapport d'Oscharowsky, Métiercelin, 23 mars, cité par Bogdanowitsch, II, 106.

[17] Relation de Diebitsch. Arch. de la guerre, à la date du 24 mars. Lettre de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche, Pougy, 23 mars, 5 heures du soir cité par Schels, I, 429. Cf. Danilewsky, II, 78.

La copie de cette lettre, ou plutôt de ces deux lettres, car Diebitsch dit : Deux lettres ne figure pas dans le registre de Berthier. Mais il ne s'ensuit pas de cela qu'elles n'aient pas été écrites. D'une part, nombre de lettres da major général dont nous avons vu les originaux aux. Archives nationales et aux Archives de la guerre ne sont pas transcrites dans le registre. D'autre part, si l'original et la copie de cette lettre manquent, nous en retrouvons les traces. En effet, nous lisons dans la Correspondance de Napoléon (21 533) : Château du Plessis, 23 mars (3 heures du matin), Mon cousin, écrivez au duc de Tarente pour loi faire connaître que nous avons pris un équipage de pont, etc., etc., entre Saint-Dizier et Joinville... Or, comment Berthier, qui ne manquait jamais de transmettre sur l'heure les ordres et les informations données par l'empereur, l'eût-il omis cette fois en si grave occurrence. Mais il n'y manqua pas. Nous en avons la preuve dans sa lettre à Macdonald du 24 mars, 3 heures et demie du matin : ... Je n'ai pas de vos nouvelles. Je vous ai envoyé des ordres par triplicata. Or ces ordres envoyés pu triplicata ne sont point évidemment ceux contenus dans la lettre de la veille, 23 mars, 11 heures et demie du soir. Ce sont bien ceux qui faisaient l'objet de la lettre (interceptée) 23 mars, 3 heures du matin. Voici sans doute la raison pourquoi cette lettre ne fut pas transcrite sur le registre. Les lettres sont toujours copiées entièrement sauf celles qui reproduisent le même texte, à quelques variantes près. Dans ce cas, le copiste met entre deux barres : Même lettre à N... Même lettre à N..., etc. Or la lettre annonçant la marche sur Saint-Dizier fut écrite par Berthier, non seulement à Macdonald, mais à Marmont, à Mortier et à Sébastiani, nous le voyons sur le registre. Le copiste a transcrit entièrement la lettre à Marmont, puis, pour celles à Sébastiani et à Mortier, il s'est contenté de mettre : Même lettre au général Sébastiani, même lettre au duc de Trévise. Enfin, au lieu de porter : Même lettre au duc de Tarente, comme les mots même lettre au duc de Trévise tombaient en bas de page recto, il a omis d'inscrire cette mention en commençant la page verso.

[18] Relation de Diebitsch. Arch. de la guerre, à la date du 24 mars. Lettre de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche, Pougy, 23 mars, 5 heures après-midi, cité par Schels, I, 429-130.

Selon Diebitsch qui veut s'attribuer l'honneur d'avoir seul décidé Schwarzenberg à abandonner sa ligne d'opérations, cette résolution fut prise à Dommartin même par Schwarzenberg et Radetzky d'après les conseils de Diebitsch. Mais outre que la lettre de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche, et tous les historiens étrangers (Plotho, III, 343-341, Schels, I, 427-428, Bogdanowitsch, II, 109-110, etc., etc.) témoignent que la décision de marcher à la rencontre de Blücher fut prise, et non sans discussions, dans le conseil de guerre tenu à Pougy le 23 mars à 3 heures de l'après-midi, il est bien évident que, en raison de son caractère hésitant, Schwarzenberg n'était pas homme à prendre une pareille résolution sans en référer au czar. Que Diebitsch ait, à Dommartin, préparé par ses arguments le généralissime à adopter ce parti, cela est possible ; mais rien ne fut définitivement arrêté qu'en conseil de guerre.

[19] Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche (Vitry, 24 mars, cité par Schels, II, 32 ; Müffling, II, 124. Mémoires de Langeron, Arch. des Aff. étrangères. Cf. Schels, I, 412, 426 ; Mémoires de Rovigo, VI, 368-369 ; Méneval, II, 37-38 ; Clarke à Napoléon, 25 mars, Arch. de la guerre.

L'original de cette lettre fut, comme on verra plus loin, remis par les soins de Blücher aux avant-postes français de Meaux pour être donné à l'impératrice. Les historiens français ne citent pas cette lettre, sauf Vaudoncourt, qui la déclare apocryphe, et elle ne figure pas dans la Correspondance. Que le texte même de ce billet, que nous ne connaissons d'ailleurs que dans la traduction allemande, ne soit pas exact, cela est possible, mais ce qui est hors de doute c'est qu'une lettre de Napoléon à Marie-Louise, celle-ci ou une autre analogue, fut saisie par les coureurs de Blücher, le 22 mars dans la soirée et envoyée à Schwarzenberg le 23 dans l'après-midi. À titre de curiosité, nous donnons cette lettre qui eut une si grande influence sur les événements : Mon amie, j'ai été tous ces jours-ci à cheval. Le 20 j'ai pris Arcis-sur-Aube. L'ennemi m'y a attaqué à huit heures du soir. Je l'ai battu, lui ai tué 4.000 hommes et pris 4 pièces de canon. Le 21, l'ennemi s'est mis en bataille pour protéger la marche de ses colonnes sur Brienne et Bar-sur-Aube. J'ai résolu de me porter sur la Marne afin d'éloigner l'ennemi de Paris et de me rapprocher de mes places. Je serai ce soir à Saint-Dizier. Adieu, mon amie, embrasse mon fils. — D'après Roviguo les derniers mots auraient été : Ce mouvement me sauve ou me perd.

[20] Dispositions de Schwarzenberg des 21 et 22 mars, citées par Schels, I, 394-393.

[21] Plotho, III, 343-344 : Schels, I, 427. Cf. Clausewitz, 448 et la relation de Diebitsch. Arch. de la guerre : ... Il y eut à se féliciter qu'après une délibération d'une demi-heure, on ne donnât pas l'ordre de courir sur Chaumont et de louvoyer sur Dijon.

[22] Lettre de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche, Pougy, 23 mars, 5 heures après-midi, citée par Schels, I, 429-430. Cf. Relation de Diebitsch, Arch. de la guerre (24 mars) ; Plotho, III, 343-344.

[23] Lettre précitée de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche.

[24] Dispositions de Schwarzenberg, Pougy, 23 mars, 4 heures après-midi, citées par Plotho, II, 346-347. Journal des opérations de Barclay de Tolly. Arch. top. de Saint-Pétersbourg, 29188.

[25] Lettre précitée de Schwarzenberg à l'empereur d'Autriche, 23 mars.

[26] Piré à Berthier, Doulevent, 24 mars, 10 heures du matin, et Daillencourt, 7 heures du soir. Arch. de la guerre. Cf. Mémoires de Metternich, I, 103.

[27] Registre de Berthier (ordres à Saint-Germain, Doulevent, 25 mars, 2 heures et demie du matin). Arch. de la guerre. Lanezan, officier d'ordonnance, à Napoléon, Bar-sur-Aube, 25 mars, 8 heures et demie du matin. Arch. nat., AF., IV, 1670.