1814

LIVRE CINQUIÈME

I. — RETOUR OFFENSIF DE NAPOLÉON SUR L'AUBE.

 

 

Quand Napoléon s'était mis en marche, le 27 février, à la suite de Blücher, le plan de toute la campagne était arrêté dans son esprit. Il écrasait l'armée de Silésie et en dispersait les débris au delà des sources de l'Oise, puis se portant vers les places fortes du Nord-Est, dont il ralliait les garnisons, il se rabattait avec dix mille sabres et quarante mille baïonnettes sur les derrières de la grande armée, engagée de front contre Macdonald et inquiétée sur son flanc gauche par Augereau[1]. Ce plan d'une si belle conception stratégique n'était pas impossible à exécuter pourvu qu'on eût un peu de bonheur. Mais tout avait tourné contre Napoléon. La capitulation de Soissons avait sauvé Blücher, et la tenace résistance de l'armée de Silésie à Craonne et à Laon, comme la retraite de Macdonald sur Provins et la retraite d'Augereau sur Lyon, rendaient désormais ce hardi mouvement plus que hasardeux. Avant que l'empereur ne fût arrivé près de ses places fortes et qu'il n'eût rallié des renforts, la grande armée refoulant le corps de Macdonald et l'armée (le Silésie refoulant, le corps de Mortier n'auraient-elles pas marché de concert sur Paris, et quand il eût commencé son mouvement offensif dans le dos des Austro-Russes, déjà Paris ne serait-il pas au pouvoir des Coalisés ? Napoléon connaissait la prudence de Schwarzenberg ; il était certain que ce timide guerrier n'oserait point, Blücher battu, s'aventurer seul sur la route de Paris[2]. Mais Blücher sinon vainqueur du moins invaincu, les choses en iraient différemment. Schwarzenberg, sachant Napoléon au delà de la Meuse, pouvait combiner un mouvement avec Blücher et marcher rapidement sur Paris, au risque même de livrer sa ligne de communication. L'empereur se vit donc dans la nécessité d'abandonner temporairement son plan. Il importait qu'il restât derrière l'Aisne, position où il contenait Blücher, où il imposait à Schwarzenberg et où il n'était éloigné de Paris que de deux fortes étapes. Le 10 mars, il écrivait au roi Joseph : ... Jusqu'à ce que j'aie pu engager l'armée de Silésie dans une affaire qui la compromette, il est difficile que je me porte ailleurs[3].

La reprise de Reims qui dans la pensée de l'empereur — et l'on sait combien ses prévisions furent justifiées — devait intimider et Blücher et Schwarzenberg[4], modifia ses idées et le fit penser de nouveau à son projet primitif. Ce plan redevenait praticable à condition de le modifier un peu. La grande armée menaçait Paris de trop près, les dépêches de Macdonald en avertissaient l'empereur, pour qu'il n'y eût point péril à laisser les ducs de Tarente et de Reggio aux prises avec ces masses jusqu'au jour où l'on aurait rallié les garnisons des places fortes. Mais ne pouvait-on pas surprendre Schwarzenberg dans ses opérations, battre séparément un ou deux de ses corps d'armée, et, les Austro-Russes en retraite, se porter alors sur la Lorraine[5] ? Dès la matinée du 14 mars, c'est-à-dire moins de huit heures après son entrée à Reims, l'empereur s'arrêta à l'idée d'un mouvement contre Schwarzenberg ; mais jusqu'au 17, il resta indécis sur le point où il l'attaquerait. Marcherait-il vers Provins ou vers Meaux, de façon à se réunir au corps de Macdonald et à combattre l'ennemi de front ; ou se dirigerait-il par Fère-Champenoise et Arcis-sur-Aube, sur Méry ou sur Troyes, afin de prendre les Austro-Russes de flanc ou à revers ? Dans l'opinion de l'empereur, le premier projet était le plus sûr. Napoléon choisit le second, comme étant le plus hardi[6].

Le maréchal Ney qui, le 15 mars, était entré presque sans coup férir à Châlons, où il avait trouvé des magasins ennemis considérables[7], reçut l'ordre de marcher sur Arcis. Il fut prescrit au général Berckheim, qui était à Fismes avec la division des escadrons réunis, de rallier l'armée à Fère-Champenoise. Enfin de nouvelles instructions furent envoyées à Marmont et à Mortier. Ils devaient, s'appuyant sur Reims et sur Soissons, faire tous leurs efforts pour contenir Blücher derrière l'Aisne ; s'ils n'y réussissaient point, ils se replieraient vers Paris en disputant le chemin de position en position. Les maréchaux avaient, à eux deux, plus de vingt mille hommes y compris les garnisons de Soissons et de Reims. Comme le plus ancien en grade, Mortier fut investi du commandement des deux corps d'armée, mais Berthier écrivit confidentiellement à Marmont : ... L'empereur a confiance dans vos talents ; dirigez les mouvements, mais ayez l'air de vous concerter avec le duc de Trévise plutôt que d'avoir la direction supérieure. C'est un objet de tact qui ne vous échappera point[8].

Rassuré, au moins pour quelques jours, sur les entreprises de Blücher, l'empereur quitta Reims le 17 mars avec sa vieille garde — citadelle mouvante toujours attachée à ses pas, — les deux divisions de cavalerie de la garde de Letort et d'Exelmans et la réserve d'artillerie. Cette poignée d'hommes allait d'ailleurs se grossir dans la route. L'empereur devait rallier à Épernay les lanciers et les chevau-légers de Colbert et à Fère-Champenoise les escadrons réunis de Berckheim. Ney marchait de Châlons vers l'Aube parallèlement à la garde, avec la brigade Rousseau, le régiment de la Vistule, la division de troupes fraîches de Janssens arrivée de Mézières et les gardes d'honneur de Defrance. Enfin le général Lefebvre-Desnoëttes amenait de Paris une assez forte colonne d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie[9]. Si ces différents détachements rejoignaient à point, les forces de l'empereur seraient portées à quinze mille baïonnettes et à huit mille sabres[10]. C'était avec vingt-trois mille combattants que Napoléon allait manœuvrer contre les cent mille soldats du prince de Schwarzenberg. Il faut remarquer cependant, car hardiesse n'est pas témérité, que les Austro-Russes étaient en ce moment aux prises avec les trente mille hommes de Macdonald[11], qui avait l'ordre de disputer le terrain pied à pied et qui, averti du mouvement de l'empereur, se disposait à reprendre l'offensive[12].

Le 17 mars, l'empereur coucha à Epernay. Les braves habitants de cette petite ville reçurent Napoléon comme ils l'eussent fait aux beaux jours de 1807. Leur enthousiasme ne se borna pas à des acclamations. Ils ouvrirent toutes grandes leurs caves, trésor que leur vaillance avait jusque-là sauvé du pillage[13], et, raconte le baron Fain, pendant quelques heures le vin de Champagne fit oublier aux soldats leurs fatigues et aux généraux leurs inquiétudes.

Le 18 mars, la garde se mit en marche au petit jour dans la direction de Fère-Champenoise, tandis que le corps du maréchal Ney, formant la colonne de gauche, s'avançait de Châlons sur Mailly. Dans l'après-midi la cavalerie de Sébastiani repoussa jusqu'au delà d'Herbisse les Cosaques de Kaizarow, qui couvraient le flanc de l'armée de Bohême, et les gardes d'honneur de Defrance chassèrent vers Arcis les uhlans du général Frimont. Le soir, là vieille garde et la division Berckheim cantonnèrent à Fère-Champenoise, la cavale rie de la garde occupa Semoine, Gourganson et Herbisse, le corps de Ney s'établit autour de Mailly[14].

A Fère, l'empereur apprit que le congrès de Châtillon était au moment de se rompre[15]. À l'heure où Rumigny lui remit la lettre de Caulaincourt, les négociations devaient même être regardées comme définitivement rompues. Le 13 mars, une nouvelle conférence avait eu lieu. Les ministres alliés se montrant de moins en moins accommodants, car ils savaient la victoire de Blücher, exigeaient impérieusement une réponse catégorique. Quelques-uns même demandaient que le congrès fût clos sur-le-champ ; puisque la réponse du duc de Vicence n'était point satisfaisante[16]. Caulaincourt obtint un délai de trente-six heures, mais il ne se dissimula pas que c'étaient des heures de grâce. Il rendit compte à l'empereur des deux séances de la journée et termina sa lettre par ces mots : On m'affirme que les ordres des cours alliées sont précis, que la déclaration pour rompre est toute prête et qu'elle me sera remise si je ne me décide pas à répondre... Je donnerai un contre-projet, mais ce sera toujours les bases de Francfort sous une autre forme... Si nous ne cédons pas, il faut renoncer à négocier[17]. Le délai si difficilement accordé étant expiré, et Caulaincourt n'ayant rien reçu du quartier impérial, sinon une dépêche de Bassano qui le trompait sur la gravité de la bataille de Laon[18], le plénipotentiaire français dut, le 15 mars, présenter un contreprojet rédigé dans l'esprit d'une Note de l'empereur du 2 mars, c'est-à-dire s'écartant fort peu des bases de Francfort[19]. Les Alliés écoutèrent cette lecture avec un silence glacial. Sans consentir à aucune discussion, ils déclarèrent qu'ils ne pouvaient, dans cette séance ; faire une réponse quelconque à la pièce qui venait de leur être lue, et qu'ils se réservaient de proposer au plénipotentiaire français une conférence ultérieure[20]. À l'attitude des ministres de la Coalition, Caulaincourt jugea qu'ils n'entreraient pas plus en discussion dans la prochaine séance que dans celle-ci, et qu'ils prendraient prétexte de son contre-projet pour déclarer les négociations terminées et leurs pouvoirs éteints. Le seul moyen d'empêcher la rupture, pensait Caulaincourt, serait d'accéder, pour ainsi dire les yeux fermés, à toutes les conditions des Alliés[21].

Le 17 mars, Napoléon, un peu ébranlé cependant par les adjurations de son plénipotentiaire, avait écrit de Reims qu'il l'autorisait à faire les concessions indispensables pour éviter la rupture des pourparlers. Ce court billet était accompagné d'une lettre plus détaillée de Bassano, où il était question de céder Anvers[22]. Le porteur de ces deux dépêches, l'auditeur Frochot, se vit refuser le passage à Nogent, malgré son caractère diplomatique. Allant de route en route, promené d'avant-postes en avant-postes, il ne rejoignit le duc de Vicence que le 21 mars, quand celui-ci quittait Châtillon où depuis deux jours tout était terminé[23]. Ce courrier fût-il arrivé plutôt, que sans doute les choses en eussent été de même. Les Alliés, il est vrai, étaient redevenus fort inquiets au point de vue militaire. Néanmoins ils n'auraient certainement pas consenti à modifier leur ultimatum. Caulaincourt eût-il pris sur lui de l'accepter ? c'est douteux. Ce n'était pas une carte blanche, cette lettre qui portait : Si le projet des Alliés est leur ultimatum, nous ne pourrons pas traiter[24].

Au reste, Caulaincourt ne reçut point le courrier en temps opportun, et le 18 mars il dut se présenter à la séance sans être armé de nouvelles instructions. Comme il le craignait, les ministres alliés ne daignèrent pas entrer en discussion sur le contre-projet. Ils donnèrent lecture d'une longue Déclaration dans laquelle ils proclamaient leur sincérité et leur ardent désir de la paix et où ils imputaient à Napoléon le résultat négatif des conférences. Les puissances alliées, concluaient-ils, regardent les négociations entamées à Châtillon comme terminées par le gouvernement français[25]. Sur le désir de Caulaincourt, qui jugeait de sa dignité de réfuter ces allégations, la séance fut suspendue jusqu'à neuf heures du soir pour la signature du protocole, puis ajournée au lendemain 19, à une heure de l'après-midi. Le duc de Vicence lut sa réponse, une assez longue discussion s'engagea sur le protocole, et on se sépara définitivement. La comédie était jouée, le congrès de Châtillon avait pris fin[26].

La dernière lettre du duc de Vicence à l'empereur lui faisait pressentir l'événement[27]. Napoléon reçut cet avis sans s'émouvoir[28] ; de même, la veille, il avait appris avec calme la nouvelle de la proclamation de Louis XVIII à Bordeaux[29]. Pour l'empereur, tout perdait de son importance devant la belle manœuvre dont il attendait de si grands résultats[30]. Qu'étaient les conspirations des royalistes et les ultimatums des diplomates, quand il allait enfoncer son épée dans le flanc de la grande armée ? Des abandons, des perfidies, des duplicités, des trahisons, de toutes les haineuses revanches des oubliés et des vaincus, il en appelait à la Victoire. Comme à Nogent, le 9 février, Napoléon se croyait en train de battre l'ennemi de l'œil.

Et le grand capitaine ne s'abusait pas. De nouveaux coups de foudre, de nouveaux miracles lui étaient encore possibles. Sa marche vers l'Aube avait porté la panique chez les Alliés. À Troyes, où se trouvait le quartier général des souverains, tout était en désarroi, tout annonçait une retraite. Officiers et soldats disaient qu'ils étaient cernés, obligés de faire une trouée pour regagner le Rhin, que dans les Vosges les paysans se levaient en masse, que les Suisses faisant cause commune avec la France s'avançaient sous le commandement de généraux de Napoléon. Les habitants de Troyes croyaient à une rapide délivrance[31]. Le czar lui-même, si confiant dans le succès final, si arrogant dans ses paroles, si inflexible dans ses instructions à ses plénipotentiaires, si acharné à la perte du violateur du Kremlin, fut littéralement bouleversé[32]. Il devait aller à Arcis pour suivre le mouvement de l'armée sur Villenoxe et Provins ; en apprenant l'occupation de Châlons par les Français, il ne voulut pas quitter Troyes. Le prince Wolkonsky écrivit au général Toll : Nous restons à Troyes pour ne pas être obligés d'y retourner de nouveau si Napoléon marche sur Arcis. Sa Majesté est d'avis qu'il vaut bien mieux aller directement de Troyes à Bar-sur-Aube que d'aller d'abord à Arcis pour retourner ensuite à Bar. En un moi, nous ne savons ce que nous avons à faire ni où nous devons aller. Je suis ici comme aux galères. Au nom du ciel, rassurez-nous[33].

Schwarzenberg n'était pas en état de rassurer le czar. Les ordres et contre-ordres du feld-maréchal dans les journées des 16, 17, 18 et 19 mars témoignent du désarroi où il se trouvait lui-même. Le 16 dans la soirée, comme on l'a vu, Schwarzenberg avait suspendu son mouvement offensif contre Macdonald, puis il avait donné pour le lendemain 17 la disposition suivante : Le Ve corps (Wrède) se concentrera à Arcis ; le VIe corps (Rajewsky) se repliera sur Méry ; le IVe corps (prince de Wurtemberg) se tiendra entre Nogent et Pont-sur-Seine ; le IIIe corps (Gyulai) occupera Troyes ; les gardes et réserves (Barclay de Tolly) resteront à Brienne[34]. C'était là une retraite bien marquée. Le 17 mars, nouvel ordre pour le 18 : Le Ve corps s'avancera de l'Aube vers la Marne et formera son front entre Ramerupt et Allibaudière ; le VIe corps marchera sur Charny ; le IVe et le IIIe corps s'échelonneront entre Pont-sur-Seine et Joigny ; les gardes et réserves occuperont Pougy, Lesmont, Donnemont et Dommartin. Le quartier général sera à Arcis[35]. Ce n'était plus là une concentration, c'était une véritable dislocation. Schwarzenberg voulait contenir Macdonald derrière la Seine par Joigny, Pont et Villenoxe, où était encore la cavalerie de Pahlen[36], et offrir en même temps le combat à Napoléon en avant de l'Aube, d'Allibaudière à Donnemont. Il disposait ses troupes en un immense demi-cercle dont le développement atteignait à vol d'oiseau cent trente kilomètres !

Occuper un front d'une pareille étendue, c'était donner l'occasion à Napoléon de renouveler les victoires de Champaubert, de Montmirail et de Vauchamps, en perçant la ligne ennemie et en frappant tour à tour plusieurs corps de la grande armée. L'empereur ne pouvait espérer que les Alliés prendraient une formation si favorable au succès de sa manœuvre et au triomphe de son génie stratégique. Malheureusement le czar, qui était déjà très inquiet de l'approche de Napoléon, le devint bien davantage quand il connut les singulières dispositions prises par le généralissime autrichien. Depuis le commencement de la campagne, Alexandre n'avait pas cessé de s'irriter contre la lenteur de Schwarzenberg à marcher en avant. Il lui était réservé de trembler à cause de sa lenteur à rétrograder. Temporisateur et irrésolu plutôt que timide, Schwarzenberg montrait la même hésitation, qu'il s'agît de battre en retraite ou de prendre l'offensive. Le pire, c'est que son excessif déploiement était vicieux. Le 17 mars, au moment où l'on croyait encore Napoléon à Reims et où conséquemment son attaque n'était point à redouter sur l'heure, le czar voyait avec crainte que la gauche de Schwarzenberg s'étendait au delà de Sens, alors que sa droite débordait l'Aube[37]. Le 18 mars, le péril devenait imminent. Conseillé par la peur sinon par la science stratégique Alexandre dépêcha un courrier à Schwarzenberg, l'invitant à venir lui parler dans la journée. Le feld-maréchal fort souffrant était alité. — Dans cette terrible campagne d'hiver, tous les chefs tombèrent malades, sauf Napoléon. — Il envoya au czar un de ses aides de camp, le général Haake. Peu satisfait, Alexandre partit en calèche pour Arcis. À six heures du soir, il descendit au quartier général. Rencontrant dans l'antichambre le général Toll, le czar l'interpella d'un ton irrité. — Que se passe-t-il ? Voulez-vous donc perdre l'armée ? Toll répondit : — Votre Majesté jugera elle-même de l'indécision des généraux. J'ai tout fait pour leur montrer le danger de notre position. C'est un grand bonheur que Votre Majesté ait daigné venir en personne. Elle pourra réparer toutes nos fautes. En discourant, l'empereur et son aide de camp général étaient entrés dans une autre pièce où se tenaient Radetzky, Langenau et les principaux officiers de l'état-major de Schwarzenberg. — Eh bien, messieurs, dit Alexandre, que comptez-vous faire dans cette situation critique ? Comme les médecins qui attendent pour donner leur diagnostic que le malade soit perdu, les généraux répondirent qu'il fallait d'abord avoir des nouvelles des avant-gardes qui dans le moment même étaient engagés contre les Français. Jugeant à bon droit la réponse insuffisante, Toll s'écria : — Chaque minute est précieuse. Il n'y a pas d'autre moyen d'échapper à un désastre que de concentrer toutes les troupes entre Troyes et Pougy, et de faire repasser l'Aube au corps du comte de Wrède qui défendra le pont d'Arcis. Le mouvement suggéré par Toll n'était pas seulement une concentration en arrière, devant amener une bataille dans une nouvelle position ; c'était bel et bien un commencement de retraite. Si le général Toll demandait que le corps de Wrède disputa le passage à Arcis, c'était pour permettre aux colonnes qui se replieraient de Nogent, de Pont et de Méry sur Troyes de n'être point prises de flanc par les Français. Le czar approuva les paroles de son aide de camp, qui répondaient à son désir d'une prompte retraite ; puis, fort d'un plan à proposer à Schwarzenberg, il passa dans la chambre où celui-ci était au lit. Alexandre démontra au feld-maréchal les dangers de sa formation étendue. Les deux interlocuteurs tombèrent d'accord sur la pressante nécessité d'une concentration[38]. La peur est quelquefois bonne conseillère.

Des ordres verbaux furent aussitôt envoyés aux commandants de corps d'armée, et dès huit heures du soir, Schwarzenberg dicta cette disposition pour le lendemain et le surlendemain : Le 19 mars, les VIe, IVe et IIIe corps marcheront sur Troyes ; le Ve corps se repliera sur la rive gauche de l'Aube ; les gardes et réserves se masseront derrière la Voire ; le quartier général restera à Pougy. — Le 20 mars, les VIe, IVe et Ille corps marcheront sur Vandeuvre ; le Ve corps marchera sur Brienne ; les réserves se concentreront à Trannes ; le quartier général sera à Bar-sur-Aube[39]. Le prudent Toll n'en avait pas tant demandé. Il avait indiqué Troyes comme premier point de concentration. Schwarzenberg marquait du coup sa retraite sur Bar. En un instant, Schwarzenberg était passé de la plus belle assurance à la dernière pusillanimité. À six heures encore, il prétendait contenir Macdonald derrière la-Seine et livrer bataille à Napoléon entre la Marne et l'Aube ; à huit heures, il ne pensait plus qu'à céder le terrain à ses deux adversaires et à reculer de dix lieues avec cent mille Allemands et Russes devant cinquante mille Français.

Napoléon s'attendait bien que la nouvelle de son mouvement troublerait Schwarzenberg et influerait sur les opérations de l'ennemi[40] ; il ne pouvait cependant admettre l'hypothèse d'une retraite si précipitée. Le 17 mars et toute la journée du 18, l'empereur croyait la grande armée presque tout entière sur la rive droite de la Seine et aux prises avec Macdonald entre Villenoxe, Nogent et Provins[41]. Il comptait en conséquence passer l'Aube à Arcis et se porter de là sur les derrières de Schwarzenberg[42]. En arrivant à quatre heures à Fère-Champenoise, il apprit que l'ennemi, averti de son approche, commençait à rétrograder et massait une partie de ses forces à Arcis et à Plancy[43]. Attaquer à Arcis, c'eût été perdre une journée et risquer de n'emporter point le passage. L'empereur se décida à tourner au plus court, de façon à franchir l'Aube à Boulages et la Seine à Méry. Par ce mouvement, il espérait, traversant les deux rivières sans coup férir, arriver assez à temps sur la rive gauche de la Seine pour atteindre dans sa retraite vers Troyes l'arrière-garde ennemie que formait le corps du prince de Wurtemberg. Au pis aller, c'est-à-dire si tout ce terrain était déjà abandonné, il opérerait sa jonction avec Macdonald[44].

Dans la matinée du 19 mars, l'empereur se mit en marche sur Boulage, précédé par la cavalerie de la garde et les escadrons réunis et suivi par la vieille garde et l'artillerie. D'après les ordres de la nuit, Ney, faisant tête de colonne à droite, se porta de Mailly sur Plancy par Villers et Champfleury. Macdonald leva ses bivouacs de Vullaines — un peu tardivement car il aurait dû prendre l'offensive dès la veille — et il dirigea ses troupes sur Léchelle, Sordun et Bray[45].

La cavalerie de Sébastiani ne tarda point à rencontrer les Cosaques de Kaizarow et les chassa devant elle jusqu'à l'Aube. Les Cosaques avaient établi leur artillerie légère sur la rive gauche ; ils tentèrent de disputer le passage en canonnant. Pendant que les sapeurs du génie, protégés par le feu d'un bataillon de la vieille garde et aidés par les habitants, rétablissaient le pont de Plancy, lanciers et dragons passèrent à gué sous la mitraillé, abordèrent les Cosaques qui tournèrent bride, et les menèrent battant jusqu'au village de Pouan. De son côté l'empereur, arrivé à Plancy vers trois heures, se porta au grand trot sur Méry avec la troisième division de cavalerie de la garde et les escadrons réunis. L'arrière-garde de Wurtemberg, qui marchait de Nogent sur Troyes, prit ses dispositions pour défendre le passage de Méry, mais il en fut là comme à Planey ; les cavaliers de Letort et de Curély passèrent la Seine à gué et vinrent sabrer les Wurtembergeois. Poursuivis à outrance sur la route de Troyes, ceux-ci abandonnèrent nombre de prisonniers et un équipage de ponts[46]. A sept heures du soir, les différents corps de la grande armée battaient en retraite sur tous les points. À la réserve des Cosaques de Kaizarow et de l'arrière-garde bavaroise du comte de Wrède, qui occupaient encore la rive droite de la Barbuisse et Arcis-sur-Aube, le pays était nettoyé. L'empereur revint coucher au village de Plancy autour duquel s'établirent tontes ses troupes, sauf les divisions Berckheim et Letort, qui restèrent à Méry[47]. Macdonald poussa jusqu'à Villenoxe d'où il écrivit au major général : La retraite de l'ennemi a été si précipitée que nous n'avons pu atteindre son arrière-garde[48]. La retraite des Autrichiens avait été en effet bien précipitée, mais la marche de Macdonald avait été bien tardive !

La faible défense de l'ennemi à Plancy et à Méry, la direction qu'il avait prise en se retirant, les rapports des commandants de corps et des chefs de reconnaissance, les renseignements des paysans, tout indique, tout confirme à l'empereur que la grande armée rétrograde à marches forcées par Troyes sur Brienne ou sur Bar-sur-Aube[49]. La retraite des Austro-Russes a été plus prompte que son attaque. Leur abandon subit de la ligne de la Seine a fait échouer en partie le premier mouvement de sa grande opération. Nais l'opération même, en ce qu'elle a de capital, est loin d'être compromise. Si la marche vers l'Aube, qui n'était qu'une manœuvre préparatoire, n'a pas été assez secrète ou assez rapide pour aboutir à une attaque à revers ou de flanc, par cette marche du moins, Napoléon a dégagé Paris, rejoint Macdonald, éloigné Schwarzenberg, imposé à Blücher. Le temps qui lui manquait, huit jours auparavant, pour se porter vers ses places et se rabattre sur les derrières de la grande armée, tout semble indiquer qu'il l'a désormais. Les alarmes de Schwarzenberg mêmes, encore qu'elles aient sauvé son armée d'une défaite partielle, sont de bon augure Si le généralissime s'émeut de telle façon à l'approche d'une poignée d'hommes manœuvrant sur son flanc, quelle sera son épouvante quand Napoléon, renforcé par les garnisons des places fortes, rallié par Macdonald et par Oudinot, par Marmont et par Mortier, se jettera sur ses derrières avec quatre-vingt-dix mille soldats[50] et la Lorraine, l'Argonne, la Bourgogne insurgées ?

La pensée de poursuivre l'ennemi sur Troyes vint sans doute à Napoléon, car aucune combinaison n'échappait à son puissant génie ; mais il ne s'y arrêta point[51]. Les Austro-Russes avaient achevé leur concentration, ils avaient en ligne des forces doubles des siennes. L'heure de les attaquer était passée et n'était pas encore revenue. L'empereur résolut de se porter sur ces places par Vitry. De Plancy, on pouvait aller à Vitry soit par Salon, Fère-Champenoise et Somme-sous, soit par les deux rives de l'Aube. Arcis-sur-Aube, Mailly et Sommepuis. Dans la circonstance, chacun de ces itinéraires, qui étaient tous deux de même longueur, présentait son avantage et son inconvénient. Le premier était le plus sûr, puisqu'en prenant par Salon, on s'éloignerait de l'ennemi dès le début de la marche ; mais la manœuvre, qui aurait l'apparence d'une retraite, pourrait rendre confiance à Schwarzenberg et l'amener de nouveau sur la route de Paris. Au contraire, en suivant jusqu'à Arcis les deux rives de l'Aube, on risquerait peut-être un combat avec l'arrière-garde ennemie, mais bien plus vraisemblablement on imposerait à Schwarzenberg qui, se croyant menacé à Troyes, s'y concentrerait et y resterait plusieurs jours immobile. Il est presque inutile de dire, puisqu'il s'agit de Napoléon, que ce stratégiste peu timide adopta le second itinéraire. D'ailleurs la cavalerie de Sébastiani était déjà devant Pouan, à mi-route d'Arcis par la rive gauche de l'Aube, en présence des Cosaques[52] ; si la garde à cheval rétrogradait sur Plancy, pour y passer la rivière, l'état-major autrichien en serait bientôt instruit, car avec ces canailles de Cosaques, selon l'expression du prince de Wagram et de Neuchâtel, on ne pouvait tenir secret aucun mouvement. Les ordres de marche furent donnés dans la matinée du 20 mars : ordres à Ney, à Sébastiani et à Letort de se rendre à Arcis par la rive gauche de l'Aube et de prendre position devant cette ville ; ordres à Defrance, à Friant, à Drouot et à Dulauloy de se porter vis-à-vis Arcis par la rive droite de l'Aube et de s'y tenir prêts à marcher sur Vitry dans l'après-midi et dans la nuit ; ordres à Macdonald de diriger ses trois corps d'armée sur Arcis, par la rive droite, sans trop fatiguer ses troupes ; enfin, ordres à Marmont et à Mortier de rejoindre l'empereur par Châlons[53].

Napoléon écrivit le 20 mars, dans la matinée au ministre de la Guerre : Mon mouvement a parfaitement réussi... Je négligerai Troyes et je me porterai en toute hâte sur mes places ; et au moment de monter à cheval ; il lui écrivit encore : Je pars pour me rendre sur Vitry[54]. Très détaillés, très clairs, très précis, les ordres du major général confirment la lettre de l'empereur. Aucun doute ne saurait subsister. Il est manifeste que Napoléon veut marcher sur Vitry et qu'il ne songe nullement à poursuivre l'ennemi[55]. Son mouvement, dit-il, ou plutôt la première partie de son mouvement a parfaitement réussi. Il sacrifie tout pour en assurer le succès complet. C'est ainsi qu'il ordonne à Marmont de découvrir la route de Paris. Certes Napoléon prévoyait que dans les circonstances, Blücher n'oserait pas s'y aventurer seul, — et sa sagacité habituelle n'était pas en défaut[56], — mais quelque parti que prît Blücher, les résolutions de l'empereur n'en seraient point modifiées. Après être resté insensible à la nouvelle de 12, prise de Bordeaux, Napoléon envisageait froidement l'éventualité de la prise de Paris, où tout était réglé pour le départ du gouvernement[57]. Il ne considérait plus ce malheur que comme un accident de guerre dont les conséquences seraient de peu de poids auprès de la destruction totale de la grande armée ennemie. Que Paris suive ses destinées. La capitale de l'empire est désormais le quartier impérial.

 

 

 



[1] Correspondance de Napoléon, 21 420, 21 426, 21427, 21 448, 21 449, 21 450, 21 457, 21 458 ; Registre de Berthier (à Macdonald et à Oudinot, 6 mars) ; Clarke à Augereau, 13, 18, 22 février Arch. de la guerre.

L'empereur avait combine ce plan dès le 15 février, après la victoire de Vauchamps, mais la marche menaçante de Schwarzenberg vers Paris lui en avait fait ajourner l'exécution. (Correspondance de Napoléon, 21 261.)

[2] Schwarzenberg parait craindre de se compromettre en passant la Seine. Correspondance de Napoléon, 21 460.

[3] Correspondance de Napoléon, 21 460.

[4] Correspondance de Napoléon, 21 502, 21 508. On a vu que les deux armées s'étaient subitement arrêtées à la nouvelle de la reprise de Reims.

[5] Correspondance de Napoléon, 21 506 ; Fain, 181-182 ; Mémoires de Marmont, VI, 319-320. — Afin d'ouvrir la route à l'armée et de la couvrir sur son flanc gauche, Colbert fut envoyé à Epernay et Ney à Châlons. En même temps l'empereur réitéra aux gouverneurs des places fortes l'ordre de prendre la campagne et de manœuvrer de façon à le rejoindre, taus la matinée du 15, Napoléon exposa son plan au duc de Raguse. Registre de Berthier (ordres à Ney, à Colbert, à Durutte, à Morand, à Merle, etc., 14 et 15 mars). Arch. de la guerre et Mémoires de Marmont, VI, 319-3220 : L'empereur me dit qu'il voulait après avoir combattu l'armée autrichienne se jeter sur les places, prendre presque toutes les garnisons avec lui et manœuvrer sur les derrières de l'ennemi. Pendant ce temps, Il me laisserait en avant de Paris et me chargerait de défendre la capitale. Je lui représentai que le rôle contraire me paraissait plus convenable. La défense de Paris exigeait le concours de pouvoirs civils dont lui seul pouvait faire usage. Sa présence à Paris et son action immédiate valaient une armée, tandis que moi je n'y comptais que par le nombre de mes soldats. Il devait donc prendre pour lui le rôle défensif et me laisser le rôle offensif. Excellents au point de vue politique, les arguments du duc de Raguse étaient fort discutables au point de vue militaire. Un mouvement sur les derrières de l'ennemi ne pouvait avoir d'action décisive que s'il était exécuté par Napoléon en personne. Tout habile manœuvrier qu'était Marmont, il n'avait ni la hardiesse nécessaire à une pareille opération ni surtout le prestige qu'il fallait pour la faire réussir en terrifiant l'ennemi. Sans doute la présence de Napoléon eût été fort utile à Paris ; mais comme l'empereur ne pouvait se dédoubler, il avait à se porter sur le point où il était indispensable.

[6] Correspondance de Napoléon, 21 506. — Cette très curieuse note, dictée au colonel Atthalin le 17 mars à Reims, témoigne de l'hésitation de l'empereur et indique que du 14 au matin, jour où il se décida à attaquer les Austro-Russes, jusqu'au 17, jour où il se mit en marche, il balançait sur le parti à prendre. Cette note a échappé aux historiens. Ils ne paraissent pas se douter que Napoléon a eu l'idée d'une marche sur Meaux, mouvement qui dans l'hypothèse probable d'une victoire de Schwarzenberg eût rejeté l'empereur sur Paris le 24 ou le 25 mars et eût par Conséquent complètement, et peut-être heureusement, modifié la dernière phase de la campagne de France, Napoléon dit expressément que le projet de se porter sur Meaux est le plus sûr parce qu'il mène à tire-d'aile sur Paris.

Fain (p. 177) dit, et les historiens répètent d'après lui, que la halte de trois jours à Reims était nécessitée par le repos qu'il fallait donner aux troupes. Les troupes, il est vrai, avaient besoin de repos. Cela n'empêcha pas que Ney, Marmont, Colbert et Defrance se mirent en marche dés l'après-midi du 14. Ce qui explique la halte à Reims, ce sont les hésitations bien naturelles de l'empereur. S'il eût pris une décision le 14, il eût assurément commencé le mouvement le 15, et il n'est pas douteux que les choses en fussent mieux allées. Comme on le verra plus loin, si Napoléon fût arrivé sur l'Aube deux jours plus tôt, c'est-à-dire le 18 en place du 20, il fût tombé sur l'armée de Bohème en pleine dislocation au lieu de se heurter à ses masses réunies.

[7] Ney à Berthier, Châlons, 11 mars, 8 heures du soir. Arch. de la guerre. État des denrées trouvées à Châlons, 18 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670. 80.000 rations de biscuit, 14.000 rations de pain, 687 quintaux de farine, 3.000 livres de viande sur pied, 80.000 bouteilles de vin, 27.000 bottes de foin, etc., etc.

C'est pendant son court séjour à Châlons, où il fut reçu avec enthousiasme, aux cris de : Vive l'empereur ! et à la clarté des illuminations, que Ney, sollicité par Berthier, de la part de Napoléon, de faire une proclamation aux Alsaciens et aux Lorrains pour leur annoncer la prochaine arrivée de l'empereur, répondit cette lettre au major général : Votre Altesse avant de me transmettre cet ordre aurait pu faire observer à Sa Majesté qu'une proclamation de cette importance et de laquelle elle attend les plus grands résultats ne doit être faite que par l'empereur lui-même. En effet, quelque élevé que soit le rang que j'occupe deus l'armée, que pourrait-on espérer d'un appel fait par moi à des peuples accoutumés depuis longtemps à ne répondre qui la voix de leur souverain ? Si l'avais sous mes ordres un corps assez considérable pour que l'empereur jugeât convenable de nie laisser seul et libre de mes actions, l'éloignement où je serais de Sa Majesté me forcerait peut-être à employer ce moyen pour prévenir de mon arrivée prochaine les habitants que je serais en mesure de délivrer de la présence de l'ennemi. Mais ce cas excepté, il me semble qu'il n'appartient qu'à l'empereur de prévenir de ses intentions les provinces qu'il vent secourir. 16 mars. Arch. de la guerre. Cf. Registre de Berthier (à Ney, 16 mars). — Cette lettre, qui est d'ailleurs pleine de sens et d'élévation, démontre que jamais Napoléon n'a eu l'intention d'envoyer Ney en partisan en Lorraine ; c'est Ney, au contraire, qui proposait très vaguement qu'on lui donnât ce rôle. Mais au quartier impérial, il n'était question que de lui faire écrire une proclamation.

[8] Registre de Berthier (à Marmont et à Mortier, Reims et Épernay, 17 mars). Arch. de la guerre.

Effectifs. Marmont : Divisions Aicard, Lagrange et Arrighi : 4.000 hommes ; cavalerie de Bordessoulle : 1.800. — Mortier : divisions Christiani, Charpentier et Curial (ces deux dernières divisions formées des débris des divisions Charpentier, Boyer de Rebeval, Curial et Meunier) : 8500 ; dragons de Roussel : 1.880 ; cavalerie légère de Grouvel : 600. — Garnison de Soissons, 2.800, garnison de Reims, 1.500. Total : 21.080 hommes, portés le 17 mars à 21.500 hommes par l'arrivée à Soissons du 7e de marche de cavalerie, qui ne put rejoindre la division des escadrons réunis et resta avec Belliard. Ct. Situations des 15 et 20 mars. Arch. de la guerre. Situation de Belliard, 14 er 15 mars. Arch. nat., AF., IV, 1667. Correspondance de Napoléon. 21475 Registre de Berthier (à Mortier, Soissons, 12 mars). Général Bongard à Clarke, 21 mars : Mortier à Berthier, 17 mars. Rapport du commandant Gérard à Clarke, Soissons, 20 mars. Arch. de la guerre.

[9] Registre de Berthier (à Colbert, à Ney, 14 mars, à Janssens, 15 mars, à Berckheim, à Ney, etc., 17 mars). Correspondance de Napoléon, 21 501, 21 523, 21482 ; Ney à Berthier, 15 mars et à Bechet, 17 mars. Janssens à Berthier, Vitry, 14 mars ; Clarke à Macdonald, 16 mars. Arch. de la guerre.

[10] La Vieille garde de Friant et réserve d'artillerie de la garde 6.800 hommes ; cavalerie de la garde de Sébastiani (divisions Colbert, Exelmans et Letort), 4200 ; cavalerie de Berckheim (brigade de cavalerie légère de Curély et brigade de cuirassiers de Mouriez) : 1800 ; Ney : brigade Rousseau (ancienne brigade Pierre Boyer, réduite à un millier de fusils et augmentée d'un bataillon du 122. et du régiment de la Vistule) : 2.250 hommes ; divisions Janssens : 2.900 hommes ; gardes d'honneur et 10e hussards : 800. Lefebvre-Desnoëttes : 4.500 hommes (dont 1 500 cavaliers). Total : 23 250 hommes. Situations des 15 et 16 mars. Arch. de la guerre et Arch. nat., AF. IV, 1670 ; Registre de Berthier (à Ney et à Mortier, Soissons, 12 mars). Curély à Berthier, Fismes, 15 mars ; Janssens à Berthier, Rethel, 10 mars et Châlons, 10 mars. Arch.de la guerre. Situations de Belliard, 14 et 15 mars. Arch. net., AF., IV, 1667.

Il faut toujours pour les effectifs prendre l'évaluation la plus basse. Ainsi nous ne portons qu'à 1.000 chevaux la brigade Curély (d'après sa lettre à Berthier, Fismes, 15 mars), tandis que dans ses Mémoires ce général la porte à 1.600. Nous ne donnons à Janssens que 2.900 hommes (d'après la lettre de Vitry, 14 mars), tandis qu'il dit : 3.250 hommes dans sa lettre de Châlons, 16 mars, et que Napoléon (Correspondance, 21483) dit : 4.000 hommes, etc.

[11] Les 2e corps, 7e corps et 11e corps, et les 2e, 5e et 6e corps de cavalerie avaient le 23 février un effectif de 42.600 hommes. Le départ de la brigade Pierre Boyer, les pertes subies à Bar-sur-Aube, la Ferté-sur-Aube, Laubressell, Troyes, etc., les maladies et les désertions avaient réduit cette armée le 10 mars à 32.250 hommes dont le total se décomposait ainsi : 2e corps (Gérard), 4.900 ; 7e corps (Oudinot), 11.200 ; 11e corps (Molitor), 7.700 ; 2e corps de cavalerie (Saint-Germain), 2.000 ; 5e corps (Milhaud), 3.250 ; 6e corps (Valmy), 3200. (Situations des 5, 7, 10 et 12 mars. Arch. de la guerre.) — En admettant 2.000 hommes de pertes du 10 au 17 mars, on trouve encore environ 30.000 hommes.

[12] Correspondance de Napoléon, 21 507, 21 508 ; Clarke à Macdonald, 16 et 17 mars ; Berthier à Tarente, Reims, 17 mars. Ordres et lettres de Macdonald, 17 et 18 mars. Arch. de la guerre.

[13] Le 11 février la garde nationale avait repoussé un parti de Cosaques ; les Misses étaient revenus plus nombreux le lendemain, sommant les habitants de se rendre. Ceux-ci dirent qu'ils étaient en forces et qu'ils se défendraient à outrance. Les Allies, intimidés, conclurent one sorte de convention, eu vertu de laquelle ils n'entreraient point en ville pourvu que les habitants satisfissent aux réquisitions. Cette convention avait été observée de part et d'autre jusqu'à l'arrivée du général Colbert, le 15 mars. Beauchamps, Campagne de 1814, II, 108-109. Quelques jours plus tard, le 21 mars, les citoyens d'Épernay, 51081, le maire, à leur tète, devaient encore vaillamment seconder le général Vincent dans la défense de la ville. Beaucoup combattirent avec des faux et des fourches. Vincent à Berthier, Epernay, 21 mars. Arch. de la guerre.

[14] Ordres de Ney, Châlons, 17 mars, et Ney à Berthier, Mailly, 18 mars, 7 heures du soir. Arch. de la guerre.

[15] Fain, 185. — Rumigny était porteur soit de la lettre de Caulaincourt du 13 mars, soit de celle du 17, toutes deux, d'ailleurs analogues. (Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.) À en juger par la distance à par courir de Châtillon à Fère, il semble que Rumigny dût remettre la dépêche du 17, mais on ne sait quels détours il eut à faire, quels retards il subit.

[16] Caulaincourt à Napoléon, Châtillon, 13 mars. 7 heures du soir ; et protocole de la séance du 13. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.

[17] Caulaincourt à Napoléon, 13 mars, 11 heures du soir.

[18] Bassano à Caulaincourt, Soissons, 11 mars. Arch. des affaires étrangères. — Bassano parle de la bataille comme d'une affaire sans importance. D'ailleurs, ajoute-t-il, il n'entrait pas dans les projets de Sa Majesté de porter plus loin son armée. En effet, il n'entrait pas dans les projets de l'empereur de dépasser Laon, mais il n'y entrait pas non plus de se faire refouler sur Soissons.

[19] Correspondance de Napoléon, 24 407. — Le contre-projet promis par l'empereur ne tilt jamais fait. Le 8 mars Bassano avait écrit à Caulaincourt : La Note de l'empereur, du 2 mars, renferme les matériaux du contreprojet. Caulaincourt s'inspira en effet de cette Note tout à fait insuffisante, comme contre-projet, pour rédiger la pièce lue dans la séance du 15 mars.

[20] Protocole da la séance du 15 mars. Caulaincourt à Napoléon, 15 mars.

[21] Caulaincourt à Napoléon, 15 et 17 mars. Arch. des aff. étrangères.

[22] Correspondance de Napoléon, 21 505. Bassano à Caulaincourt, Reims 17 mars. Arch. des aff. étrangères, 668.

[23] Caulaincourt à Metternich, Joigny, 21 mars. Arch. des aff. Etrangères. Note de Bassano, citée par Ernouf, Maret, duc de Bassano, 632-633.

[24] Lettre précitée de Bassano, Reims, 17 mars.

[25] Protocole de la séance du 17 mars. — Les ministres alliés ne devaient point se borner à cette déclaration perfide et mensongère. Ils allaient publier, sous le titre de Déclaration des puissances coalisées, un manifeste qui était un appel à la révolte : La France ne peut s'en prendre qu'à son gouvernement des maux quelle souffre. Par où les souverains pourront-ils juger que la France veut la paix aussi longtemps qu'ils verront que la même ambition qui a répandu tant de maux sur l'Europe est encore le seul mobile de gouvernement ? Sous de tels rapports, ou serait la garantie de l'avenir si un système aussi destructeur ne trouvait pas un terme dans la volonté générale de la nation ? Châtillon, 18 mars. Arch. des aff. Etrangères, fonds France, 668.

[26] Caulaincourt à Napoléon et à Hauterive, 18 mars. Protocole de la séance des 18 et 19 mars. Arch. des aff. étrangères, 668 et 670.

[27] Caulaincourt à Napoléon, 15 mars ou 17 mars.

[28] Fain, 185-186. — Remarquons d'ailleurs que Napoléon devait croire alors pie la dépêche confiée à Frochot était au moment d'arriver à Châtillon et qu'elle empêcherait sans doute la rupture du congrès. On a dit aussi que Bassano écrivit ou voulut écrire le lendemain 19 mars une nouvelle lettre au duc de Vicence, renouvelant les instructions du 17 mars. Mais il s'existe aux Archives des affaires étrangères aucune minute ou copie ou projet de cette lettre, ni aucune pièce qui y fasse allusion. On ne trouve À la date du 19 mars que la copie de la fameuse lettre apocryphe de Bassano qui fut produite au Parlement d'Angleterre comme preuve de la duplicité de Napoléon (Parliamentary debates, XXX, 978). Cette dépêche porte : Quand même l'empereur signerait la cession des places de guerre, son intention n'est cependant psi de les livrer. Bassano a toujours nié énergiquement avoir écrit cette lettre (Moniteur, 13 et 24 mai 1815) qui d'ailleurs se réfute d'elle-même. Elle contient des expressions étrangères ; le protocole final y manque ; enfin elle est datée de Paris, 19 mars, et le 19 mars le duc de Bassano était à Fère-Champenoise.

[29] Fain, 183-184. Cf. Correspondante de Napoléon, 21 504.

[30] Correspondance de Napoléon, 21 508 ; cf. 21 509, 21 523.

[31] Lettre écrite de Troyes, 19 mars au matin. Arch. de la guerre. Cf. Bernhardi, Denkwürdig. des Grafen von Toll, IV, 2e partie, 238-240.

[32] Bernhardi, IV, 240-241. — Wilson (De la Russie, 90) prétend même que le czar envoya une dépêche à Schwarzenberg portant qu'on devait faire partir immédiatement un courrier pour Chatillon. Il fallait, disait Alexandre, signer sans différer le traité de paix aux conditions demandées par le duc de Vicence. Cela est une légende qui a sa source dans la panique d'Alexandre, mais ce n'est qu'une légende. Tout effrayé qu'il était, le czar pensait à la retraite, non pas à la paix. D'ailleurs, s'il avait eu l'idée de voir immédiatement le traité conclu, ce n'est pas le Pont-sur-Seine, où était Schwarzenberg, que de Troyes, où il était lui-même, il eût envoyé un courrier ; c'est à Châtillon.

[33] Wolkonsky à Toll, Troyes, 18 mars au matin, cité par Bogdanowitsch, II, 21.

[34] Ordre de Schwarzenberg, Pont-sur-Seine, 18 mars, cité par Schels, Operar. der verbünd. Herre gegen Paris, I, 285-286.

[35] Ordre de Schwarzenberg, Arcis, 17 mars, cité par Plotho, III, 316.

[36] Wolkonsky à Rajewsky, Troyes, 18 mars, cité par Bogdanowitsch, II, 21.

[37] Wolkonsky à Rajewsky, Troyes, 17 mars, cité par Bogdanowitsch, II, 20.

[38] Danilewsky, II, 63-65 (Danilewsky tenait ce récit de Toll). Cf. Bernhardi, IV, 2e partie, 272-273. Bogdanowitsch, II, 27.

[39] Ordre de Schwarzenberg, Arcis-sur-Aube, 18 mars, 8 heures du soir, cité par Schels, I, 317.

[40] Correspondance de Napoléon, 21 507, 21 508.

[41] Correspondance, 21 512, 21 513. Registre de Berthier (à Trévise, 17 mars). Cf. Macdonald à Berthier, Provins, 16 mars, 7 heures du soir. Arch. de la guerre.

[42] Correspondance, 21 512, 21 513. Registre de Berthier (à Ney, à Marmont, à Mortier, 17 mars ; à Macdonald, 18 mars). Cf. Clarke à Macdonald, 19 mars, 11 heures du matin. Arch. de la guerre.

[43] Ney à Berthier, 18 mars, note non signée (18 mars). Registre de Berthier (à Macdonald, à Mortier, 15 mars). Arch. de la guerre.

[44] Cf. Correspondance de Napoléon, 21 518, 21 519, 21 520. Registre de Berthier (ordres du 18 au soir et du 19 au matin, et lettres à Mortier et à Macdonald). Arch. de la guerre.

Nous nous excusons de donner tant de détails, mais les mouvements préparatoires de la bataille d'Arcis-sur-Aube — bataille capitale s'il eu fut — et la bataille elle-même ont été rapportés jusqu'ici d'une façon si étrange par les historiens allemands, qui ignoraient les documenta français, et par les historiens français, qui ignoraient les documents allemands... et les documents français, que l'on croirait Napoléon devenu alors aveugle. Or jamais son coup d'œil n'avait été plus puissant, sa lucidité plus merveilleuse. Il lisait comme à livre ouvert dans le registre d'ordres du général ennemi. Le malheur, c'est qu'au dernier moment Schwarzenberg changea complètement ses dispositions, à la grande surprise de toute son armée.

Le véridique Fein lui-même commet une grave erreur en disant (p. 186) : Les renseignements que Napoléon reçoit (le 18 au soir) sur l'ennemi sont de nature à le faire persister dans sa marche sur Méry. C'est à lui faire adopter une marche sur Méry que Fein aurait dû dire. La Correspondance et le Registre de Berthier témoignent que le 18 au matin l'empereur voulait marcher sur Arcis, et que c'est le 18 au soir qu'il se décida à marcher sur Méry.

[45] Registre de Berthier (ordres du 18 et 19 mars au matin). Ordres de Ney, Mailly, 19 mars. Ordres de Macdonald, Vullaines, 18 mars, 11 heures et demie du soir. Arch. de la guerre.

[46] Sébastiani à Berthier, Bessy, 9 heures du soir, 19 mars. Cf. Correspondance, 21 518 et 21 519, 21 521. Registre de Berthier (ordres du 18 pour le 19). Arch. de la guerre. Colonel des chasseurs à Berthier, Châtres, 19 mars (dans la soirée). Cf. Bogdanowitsch, II, 30, 31. Schels, I, 329.

[47] Letort à Berthier, Méry, 19 mars ; Ney à Berthier, Plancy, 19 mars : Sébastiani à Berthier, Bessy, 19 mars, Arch. de la guerre. Bogdanowitsch, I, 329.

[48] Macdonald à Berthier, Villenoxe, 19 mars, 5 heures du soir. Arch. de la guerre.

[49] Sébastiani à Berthier, Bessy, 7 heures du soir. Colonel des chasseurs au même, Châtres, 7 heures du soir. Macdonald au même, Villenoxe, 8 heures de soir. Letort au même, Mery (au soir). Lettre écrite de Troyes, 19 mars (au matin), etc., etc. Arch. de la guerre, Cf. Correspondance de Napoléon, 21 521, 21 522, 21 524.

[50] Le 20 mars dans la matinée ordre fut envoyé à Marmont et à Mortier, ainsi qu'à Macdonald et à Oudinot de rejoindre l'empereur (Correspondance, 21 522, 21 524, 21 525, 21 528 ; Reg. de Berthier, ordres du 20 mars. Arch. de la guerre). Si l'on additionne les effectifs de ces divers corps d'armée et ceux de la garde, de Ney, de Lefebvre-Desnoëttes, et qu'on y ajoute seulement 20.000 hommes des garnisons des places, on arrive au total de 90.000 hommes.

[51] Dans les lettres de Napoléon du 19 et du 20 mars, il n'est point question une seule fois d'un mouvement sur Troyes ; l'empereur dit au contraire : Je négligerai Troyes. (Correspondance, 21 526.) Mais l'empereur parait avoir pensé à une marche sur Brienne (Correspondance, 21 523, 21 526), sans doute afin de frapper, avant de gagner les places, un dernier coup sur la droite de l'ennemi. Vraisemblablement les immenses dangers de cette marche de flanc ; le long d'une rivière, y firent renoncer Napoléon, qui se décida à gagner directement Vitry.

[52] Colbert à Napoléon, Bessy, 20 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670.

[53] Registre de Berthier (lettres et ordres de Plancy, 20 mars). Cf. Correspondance de Napoléon, 21 522, 21 523, 21 525. Macdonald à Berthier, Anglure, 20 mars, 7 heures du soir. Ordre de Ney, Arcis, 20 mars (9 ou 10 heures du matin). Arch. de la guerre.

[54] Correspondance de Napoléon, 21 526, 21 528.

[55] Trompés par la marche sur Vitry par Arcis, Beauchamps, Koch, Vaudoncourt, d'autres historiens encore à qui les documents originaux faisaient défaut ou qui les lisaient mal, ont avancé que Napoléon se portait à la poursuite de l'ennemi dans l'intention de lui livrer bataille ce jour-là même ou le lendemain. C'est commettre une très grave erreur, c'est attribuer à Napoléon un mouvement inexplicable et de la plus folle témérité. Mais la Correspondance et le Registre de Berthier ne laissent aucun doute à cet égard. Il est indiscutable que l'empereur, le 20 mars, mit ses troupes en marche vers Vitry sans aucune idée de livrer bataille sur la rive gauche de l'Aube.

[56] Dans la matinée du 20, l'empereur fait écrire à Marmont e de le rejoindre si Blücher reprend l'offensive e ; mais il ajoute : Il n'est pas possible que Blücher fasse aucun mouvement offensif. Il faudrait que Blücher fût fou pour tenter aucun mouvement sérieux. (Correspondance, 21 522 et Registre de Berthier, 20 mars.) Vers 11 heures du matin ayant appris par une lettre du duc de Trévise (Mortier à Berthier, 19 mars, 5 heures du matin. Arch. de la guerre), que Blücher a passé l'Aisne, Napoléon fait récrire de nouveau à Marmont qu'il ait sur-le-champ à se retirer par Châlons afin que nous soyons tous groupés e. (Correspondance, 21 524 et Registre de Berthier.) Cette fois l'ordre n'est plus conditionnel. Marmont doit livrer la route de Paris. Mais Napoléon montre dans cette lettre ses pressentiments que Blücher ne manœuvrera pas contre Paris, que tous ses efforts tendront à se réunir à Schwarzenberg. Et en effet, comme on le verra plus loin, tel était le but de la manœuvre du général prussien, que ses défaites de Montmirail et Van-champs et le péril couru devant Soissons avaient guéri des marches aventureuses.

[57] Cf. Correspondance de Napoléon, 21 210, 21 497 ; et Fain, 185 et 203 : ... Depuis l'ouverture de la campagne on n'a cessé de prévoir cette extrémité (l'occupation de Paris) ; Napoléon a fait tous les efforts pour se familiariser avec les résolutions qu'elle comporte. Ses plans sont faits en conséquence...