1814

LIVRE QUATRIÈME

I. — RETRAITE DES ARMÉES FRANÇAISES. - LA RÉVOLUTION DE BORDEAUX. - LES ESPRITS À PARIS. - LA CINQUIÈME SÉANCE DU CONGRÈS DE CHÂTILLON.

 

 

Depuis le 27 février, où confiant dans la fortune, de nouveau maîtrisée par son génie, Napoléon avait quitté Troyes pour exterminer l'armée de Blücher, pas un jour ne s'était achevé sans un malheur ou un mécompte. Cette pointe entre la Marne et l'Aisne qui promettait de si beaux résultats avait abouti à la retraite de la petite armée française, diminuée de plus d'un tiers par les maladies, les marches forcées, les sanglantes batailles de Craonne et de Laon. L'empereur disait : La jeune garde fond comme la neige[1].

En Champagne, Macdonald repoussé de la ligne de l'Aube avait dû abandonner aussi la première boucle de la Seine. Après les combats des 27 et 28 février, à Bar-sur-Aube et à la Ferté-sur-Aube, le duc de Tarente comptait tenir à Troyes, d'après les ordres de l'empereur. Mais Oudinot avait déjà compromis la défense par des dispositions vicieuses. Il avait posté, en première ligne, le corps de Gérard au pont de la Guillotière et la division Rothembourg sur le plateau de Laubressel ; en seconde ligne, la cavalerie de Saint-Germain à Saint-Parre-aux-Tertres et la forte division Levai et la cavalerie de Kellermann à Pont-Saint-Hubert. Les divisions Amey et Pacthod étaient en réserve à Troyes[2]. Or, le front de l'armée ne présentant pas assez d'étendue permettait à l'ennemi d'occuper Bouranton et de tourner par là les positions de Rothembourg et de Gérard. C'est ce qui advint. Do même qu'au combat de Bar-sur-Aube, Oudinot laissa ses réserves immobiles. Sa cavalerie qui n'avait que sept kilomètres à franchir pour se porter entre Bouranton et Laubressel ne bougea pas. Vigoureusement attaqués de front et menacés d'être pris à revers, Gérard et Rothembourg rétrogradèrent sur Troyes[3].

Quand Macdonald, souffrant d'un rhumatisme goutteux et pouvant avec peine monter à cheval et même écrire, prit le commandement, dans la nuit du 3 au 4 mars, toutes les troupes battaient en retraite. Troyes que l'ennemi menaçait d'attaquer sur trois points à la fois, par la rive droite de la Barse et par les deux rives de la Seine, n'était plus guère tenable. Gérard néanmoins reçut l'ordre de s'y défendre toute la journée du 4, moins pour tenter de conserver cette position que pour protéger la retraite de l'armée. À huit heures, les Alliés se présentèrent devant Troyes. Gérard résista jusque dans l'après-midi. Pour éviter l'incendie des faubourgs, il demanda un armistice, à la faveur duquel il évacua la ville qu'occupèrent aussitôt tes Bavarois et les Wurtembergeois. Le lendemain 5 mars, presque toutes les troupes alliées se concentraient sous Troyes, et les trois corps de Macdonald se ralliaient autour de Nogent[4]. Le 6 mars, le duc de Tarente jugeant sa position, à cheval sur les deux rives de la Seine, inutile à conserver et dangereuse à défendre, évacua Nogent, en fit sauter le pont et établit ses troupes sur la rive droite. Le 7, le quartier général fut porté à Provins[5]. Ainsi, en une semaine, Oudinot et Macdonald avaient perdu six mille hommes et cédé à l'ennemi vingt-cinq lieues de terrain

Sur les frontières de la Suisse, Augereau n'avait pas été plus heureux ; il avait été plus coupable. Si Macdonald, ou plutôt Oudinot, s'était mal gardé et s'il avait pris de mauvaises dispositions tactiques, du moins la tache qui incombait aux ducs de Tarente et de Reggio, la défense de l'Aube et de la Seine contre des forces trois fois supérieures, était-elle singulièrement difficile. Augereau, au contraire, n'avait qu'à marcher droit devant lui et à culbuter avec 28.000 hommes les 19.000 Autrichiens qui lui étaient opposés en trois détachements[6]. Sa lenteur, sa mollesse, on peut dire sa désobéissance, firent seules échouer la grande opération stratégique à laquelle l'empereur l'avait destiné.

Les ordres de Napoléon et de Clarke étaient précis et formels. Le duc de Castiglione devait se porter devant Genève, reprendre cette ville, y laisser une bonne garnison, puis marcher rapidement sur Vesoul (route de Bâle à Langres), de façon à couper la ligne de communications de la grande armée[7]. Augereau se retranchant derrière mille prétextes, valables en temps ordinaires mais inadmissibles dans les circonstances présentes, s'obstinait à rester à Lyon[8]. En vain les ordres lui étaient réitérés, expédiés par duplicata et triplicata. En vain le ministre lui écrivait : L'empereur vous somme d'oublier vos cinquante-six ans et de ne vous souvenir que des beaux jours de Castiglione ![9] En vain Napoléon lui adressait cette lettre dont la brûlante éloquence eût réveillé les plus apathiques, enflammé les plus froids : Mon cousin, quoi ! six heures après avoir reçu les premières troupes venant d'Espagne, vous n'étiez pas déjà en campagne ! six heures de repos leur suffisaient. J'ai remporté le combat de Nangis avec une brigade de dragons qui de Bayonne n'avait pas encore débridé... Je vous ordonne de partir douze heures après la réception de la présente lettre et de vous mettre en campagne. Si vous êtes toujours l'Augereau de Castiglione, gardez le commandement ; si vos soixante ans pèsent sur vous, quittez-le et remettez-le au plus ancien de vos officiers généraux. La patrie est menacée et en danger ; elle ne peut être sauvée que par l'audace et la bonne volonté et non par de vaines temporisations. Soyez le premier aux balles. Il n'est plus question d'agir comme dans les derniers temps. Il faut reprendre ses bottes et sa résolution de 93 ![10]

Le 18 février seulement, Augereau se décida à quitter Lyon pour se porter sur Genève, où les généraux Desaix et Marchand avaient replié les Autrichiens de Bubna. Le 3 mars, l'armée se trouvait échelonnée entre Lons-le-Saulnier et Morey, à une journée de marche de Genève, lorsque le duc de Castiglione, agissant comme s'il fût déjà maître de cette ville, arrêta son mouvement et se mit en marche pour Vesoul[11]. Mais Augereau avait perdu quinze jours à Lyon. La nouvelle armée du prince de Hesse-Hombourg arrivait à grandes journées pour lui barrer la route[12]. Le 4 mars, les Français furent attaqués à Poligny par le général Wimfenn. Où Augereau, une semaine plus tôt, n'eût trouvé devant lui que trois divisions séparées les unes des autres, il se heurtait contre une armée entière. Si le duc de l'Empire avait repris ces bottes de 93 dont parlait Napoléon, il eût pu refouler au delà du Doubs les Autrichiens dont les colonnes n'étaient pas encore toutes à hauteur ; mais la chaussure des géants n'allait plus à son pied. Le maréchal fut effrayé pour Lyon que semblait menacer la droite de l'armée du sud et qu'il avait négligé de mettre en état de défense, n'y élevant aucun ouvrage et oubliant même d'y faire amener les quatre-vingts canons, destinés à l'armement de cette place, qui étaient parqués à Avignon. À l'exception des divisions Marchand et Desaix qui restèrent devant Genève, assez fortes pour y contenir l'ennemi mais trop faibles pour l'en déloger, Augereau ramena toutes ses troupes sous Lyon où il arriva le 9 mars, de sa personne[13]. Ainsi par les temporisations, la négligence, le manque d'énergie du duc de Castiglione, tout échouait. La diversion conçue et ordonnée par Napoléon, magnifique manœuvre qui eût donné tant de jalousies à l'ennemi et apporté un si grand secours aux armées impériales, était manquée irrémédiablement[14]. Supposé que le duc de Castiglione réussît à défendre Lyon, il y resterait désormais immobilisé.

Des frontières du nord et des frontières des Pyrénées, les nouvelles n'étaient pas meilleures. Toujours combattant, le général Maison s'était replié de Tournay sur Courtray, puis de Courtray sur Lille[15]. Le maréchal Suchet continuait à attendre en Catalogne la ratification du traité de Valençay, prisonnier de fait au pied des monts et ne pouvant prendre part aux grandes opérations de la campagne. Le maréchal Soult perdait du terrain. Jusqu'à la mi-février, son armée concentrée derrière l'Adour, la Bidouse et les gaves, et appuyée sur le camp retranché de Bayonne, avait imposé aux Anglo-Espagnols de lord Wellington. Malheureusement, le 22 février, Soult crut devoir abandonner cette belle position, clef des hautes Pyrénées. Il se laissait prendre aux habiles manœuvres de Wellington qui avait pour objectif d'amener l'armée française à combattre séparée de son point d'appui. Le 27 février une bataille s'engagea à Orthez. Après une défense opiniâtre, les Français ayant perdu deux mille cinq cents hommes et en ayant tué un même nombre à l'ennemi, se mirent en retraite dans la direction de Mont-de-Marsan. Deux jours plus tard, Soult arrêta la marche de ses colonnes et les porta sur Tarbes[16]. C'était découvrir Bordeaux, mais le duc de Dalmatie estimait que l'armée anglaise n'oserait pas s'engager dans les Landes, sachant les Français sur ses derrières. Ses calculs étaient justes, puisque, en effet, Wellington le suivit vers Tarbes et Toulouse avec le gros de ses troupes. Mais le maréchal Soult comptait sans la trahison.

Les Bourbons avaient toujours eu à Bordeaux des partisans nombreux et actifs. Dès 1796, les royalistes fondèrent une société secrète sous le nom d'Institut philanthropique. En 1799, ils prirent les armes et furent dispersés par la troupe ; en 1806, ils tentèrent de délivrer Ferdinand VII ; en 1807, la police impériale arrêta l'exécution d'un autre complot[17]. De Londres et de Harthwell, on correspondait avec Bordeaux sous la raison sociale : Henri et Cie. Dans ces lettres, indigo signifiait : Bourbon, et cargaison de coton : troupes de débarquement[18]. Les désastres des campagnes de Russie et de Saxe affermirent les espérances et exaltèrent le zèle des royalistes bordelais. Dans l'automne de 4813, on acheva l'organisation de huit compagnies de garde royale à pied et à cheval, ayant colonel, lieutenant-colonel, majors, capitaines, lieutenants, cornettes, porte-étendards, et, chose extraordinaire, ayant même autant de soldats que d'officiers[19]. Aux premiers jours de 1814, les royalistes firent une nouvelle recrue qui valait à elle seule ces huit compagnies de garde royale. C'était Lynch, — un grand coquin.

Nommé maire de Bordeaux, puis comte de l'empire, puis chevalier, puis officier de la Légion d'honneur (le 8 janvier 1814 !), Lynch, comme il le reconnaissait lui-même, avait toujours été bien traité par Buonaparte[20]. D'ailleurs, il ne s'était jamais lassé de manifester son dévouement à l'empereur dans ses discours et ses adresses. Si comme maire de Bordeaux, il n'allait pas jusqu'à dire à ses administrés, dans les termes mêmes du Catéchisme de 1807, que l'on devait à l'empereur l'amour, les impôts et le service militaire sous peine de damnation éternelle, du moins il ne manquait aucune occasion pour leur rappeler la gloire et les bienfaits de Napoléon le Grand. Vers la fin de 1813, il se ravisa. L'empire était menacé : c'était le moment d'abandonner l'empereur. Toutefois Lynch n'eut garde d'affecter moins de zèle. J'avais besoin, avoue-t-il, de conserver la considération du gouvernement. — On verra pourquoi. — À Paris, où il était venu en novembre 1813 afin de donner de nouveaux gages de fidélité, il terminait en ces termes sa harangue à l'empereur : Napoléon a tout fait pour les Français ; les Français feront tout pour lui. Peu de temps après, il demandait aux Polignac de l'aboucher avec les chefs du parti royaliste dans le Médoc. À Bordeaux, où il était de retour le 20 janvier, il disait à la garde nationale assemblée, en lui remettant le drapeau : Si l'ennemi approche de Bordeaux, je serai le premier à donner l'exemple du dévoueraient. Quelques jours avant, il avait dit à La Rochejacquelein : C'est moi, maire de Bordeaux, qui aspire à l'honneur de proclamer le premier Louis XVIII[21].

La révolution monarchique était plus facile à désirer qu'à accomplir. Il y avait à Bordeaux un commissaire extraordinaire, un préfet, un général de division. Aucun d'eux ne paraissait disposé à se prêter aux desseins de Lynch et de ses complices. La petite garnison[22] eût balayé sans peine les compagnies de la garde royale, si cette troupe sacrée, comme l'appelle Lynch, se fût avisée de sortir en armes. Quant à la population et à la garde nationale, les royalistes loin de pouvoir compter sur elles devaient compter avec elles. Bien que ruinés par le blocus continental, les Bordelais étaient en grande majorité restés attachés au régime de l'empire[23]. Pour proclamer Louis XVIII, il fallait l'aide des habits rouges de Wellington. Lynch le comprit. Je désirais, raconte-t-il, que trois mille Anglais vinssent à Bordeaux. Ce nombre était nécessaire soit pour mettre en arrestation les agents du gouvernement, soit pour comprimer ceux qui auraient voulu s'opposer à nos projets[24].

La nouvelle de l'arrivée du duc d'Angoulême au quartier général de Wellington s'étant répandue chez les complices de Lynch, le marquis de La Rochejacquelein s'embarqua secrètement peur Saint-Jean-de-Luz. Il vit le prince, puis Wellington, et leur exposa les projets des royalistes de Bordeaux. Le maréchal refusa nettement d'y prêter la main. La route était libre, car déjà Soult avait marqué Sa retraite derrière les gaves, et Wellington n'ignorait rien des avantages qui pouvaient résulter pour les Alliés des intrigues bourboniennes. Mais lorsque les souverains consentaient ou semblaient consentir encore à traiter avec Napoléon, il ne pouvait, disait-il, seconder ouvertement ceux qui conspiraient sa chute. Il le compromettrait et, au cas où l'on ferait la paix, il les compromettrait avec lui[25].

Le 6 mars, un nouvel émissaire, Bontemps du Barry, fut dépêché à Saint-Sever où le grand quartier général s'était porté après la bataille d'Orthez. Introduit auprès de Wellington, Bontemps l'informa que la garnison avait évacué Bordeaux avec toutes les autorités[26], et qu'il suffirait de douze cents Anglais pour occuper la ville. Wellington balança encore. Il conservait les mômes scrupules diplomatiques et il craignait d'affaiblir son armée en la divisant. De plus, bien qu'il s'exagérât, dit l'historien anglais de la guerre d'Espagne, le nombre des royalistes dans le Midi, il doutait du succès. Enfin, après bien des hésitations, pressé par Bontemps, pressé par La Rochejacquelein, le duc accéda à leur demande. Seulement, au lieu d'affecter douze cents hommes à cette expédition qu'il jugeait aventureuse et qu'il entreprenait presque malgré lui, il donna l'ordre au maréchal Beresford de marcher sur Bordeaux avec trois divisions, du canon et une brigade de cavalerie[27]. Les premiers refus de Wellington, ses nouvelles hésitations, ses doutes sur la réussite de l'opération confirment les paroles d'un des chefs du complot, Taffard de Saint-Germain : Sans nos démarches et nos efforts, les Anglais ne fussent pas venus à Bordeaux de plus d'un mois[28].

Cependant Bontemps, puis La Rochejacquelein, retournent au triple galop à Bordeaux, porteurs de la bonne nouvelle : les Anglais arrivent ! Le départ du préfet et du général a laissé Lynch maitre de la cité. Il prépare tout, assigne à chacun son rôle. Afin d'intimider la population, les royalistes annoncent l'approche de toute une armée anglaise ; mais ils se gardent bien de dire que le duc d'Angoulême la suit à deux heures de marche. Les gardes nationaux reçoivent l'ordre de se rendre à leurs postes ordinaires sans cartouches dans les gibernes ; les gardes royaux ont au contraire pour instruction de sortir tous avec des armes cachées et de se munir de cocardes blanches qu'ils conserveront dans leur poche jusqu'à un signal convenu. A ce même signal, douze volontaires royaux cachés dans la tour Saint-Michel doivent arborer au sommet le drapeau fleurdelisé[29].

Le matin du 12 mars se présente un parlementaire anglais. Lynch l'informe qu'il va se rendre en personne au-devant du maréchal Beresford. Déjà carrosses sont attelés, et les gardes royaux s'échelonnent par petits groupes sur la route de Bayonne. Rien encore n'a transpiré du complot dans la population, les royalistes sont en armes, les Anglais tiennent Bordeaux sous le canon, et cependant Lynch n'est pas sans crainte. Un homme suffit à tout faire échouer : le premier adjoint, bonapartiste déterminé, très aimé du populaire. À la vue du drapeau blanc, il peut assembler la garde nationale, requérir la police, les douaniers, soulever le peuple. Sans doute Bordeaux n'en restera pas moins aux Anglais. Mais devant l'opposition d'un magistrat fidèle ayant l'appui de la population, le maréchal Beresford voudra-t-il consommer par la force une révolution monarchique ? et d'ailleurs, que deviendra ce vœu unanime de Bordeaux, que l'on se propose de donner en exemple à la France ?

Lynch a une inspiration : il emmène l'adjoint avec lui, prétextant les intérêts de la cité. Sans aucun soupçon, celui-ci monte à côté du maire ; le cortège part au grand trot, escorté de loin par les gardes royaux à cheval. C'est seulement quand on a passé les vedettes anglaises que Lynch se décide à prévenir son prisonnier sans le savoir : — Vous pensez bien, lui dit-il brusquement, que je vais proclamer le roi. L'adjoint reste d'abord comme frappé d'un coup de foudre, puis, reprenant ses esprits, il s'indigne, crie à la trahison et somme Lynch de faire arrêter la voiture, qui roule de plus belle. Les chevaux s'arrêtent enfin, à quelque distance de la jonction des routes de Bayonne et de Toulouse. L'adjoint saute à terre, mais il se trouve à cinquante mètres de l'état-major anglais, an milieu des gardes royaux qui se sont rapprochés ; il voit flotter le drapeau blanc sur la tour Saint-Michel. Lynch abandonne le malheureux, qui est désormais réduit à l'impuissance, et il s'avance vers le maréchal Beresford. — Mylord, dit-il, c'est dans une ville amie où vous entrez, c'est dans une cité de notre roi légitime, allié du vôtre, que nous recevons Votre Excellence. Vive le roi ! Et en même temps, il arrache son écharpe tricolore qui, en tombant dans la boue, découvre l'écharpe blanche. Les gardes royaux mettent leurs cocardes aux cris variés de : Vive le roi ! Vivent les Bourbons ! Vivent les Anglais[30] !

Anglais et royalistes entrent dans Bordeaux, devançant de deux heures à peine le duc d'Angoulême. Les femmes et les quelques milliers d'ennemis déclarés de l'empire que renferme la ville poussent des acclamations. On pique des cocardes de papier aux bonnets et aux chapeaux ; draps et serviettes pendent des balcons. Surprise par la soudaineté de cette révolution, intimidée par la présence des Anglais, la masse de la population reste d'abord muette et hésitante. Puis, bientôt, subissant l'entraînement de l'exemple, l'action du fait accompli, obéissant à ce besoin de crier qui est d'instinct dans les foules, les indifférents commencent à mêler leurs acclamations à celles des triomphes à la cathédrale, où retentit le Te Deum, à l'hôtel de ville, où Lynch proclame solennellement Louis XVIII, au Palais royal où le Prince se repose enfin de cette longue ovation[31].

Dès le lendemain, cet enthousiasme de surprise était tombé. La plupart des employés de la municipalité, des douanes, des contributions, de la police, quittèrent leurs fonctions. Dans les rues, on annonçait en s'en félicitant l'arrivée prochaine d'un corps français qui chasserait Anglais et royalistes ; on criait : À bas la cocarde blanche ! Dans des réunions secrètes, on se concertait pour une contre-révolution. À l'hôtel de ville, Lynch, sans police, sans employés, sans argent, avec la garnison anglaise réduite des deux tiers par suite du départ de lord Beresford, tremblait à l'idée d'un mouvement révolutionnaire ou d'un assassinat du duo d'Angoulême[32]. Mais la royauté n'en avait pas moins été proclamée à Bordeaux, et cette journée du 12 mars devait produire un grand effet en France et au quartier général des souverains alliés. De loin, on jugeait sur les apparences. On voyait une restauration appelée et accomplie par toute une population dans un simple coup de main conçu et exécuté par un petit nombre de conspirateurs.

Les graves événements de Bordeaux ne furent connus à Paris que le 16 mars[33], mais on y avait depuis une quinzaine de jours d'autres sujets d'alarme. Jusqu'au 2 mars, l'espérance d'une victoire décisive remportée en Champagne ou d'une paix honorable signée à Châtillon soutint l'opinion. Paris gardait le calme et la confiance qu'il avait recouvrés par les défaites de Blücher. Il semblait que le théâtre de la guerre fût déjà reculé jusqu'aux frontières. La vie reprenait son train ordinaire. La rente se maintenait entre 55 et 56 francs, le change des billets de banque était tombé de 100 à 20 pour 1.000 sur l'or et de 50 à 2 sur l'argent[34]. Le 3 mars et les jours suivants, la défaite de Bar-sur-Aube, la retraite de Macdonald et de Soult, la rupture des conférences de Lusigny, enfin et surtout le manque absolu de nouvelles des mouvements de l'empereur, dont on avait attendu de si grands résultats, firent renaître les inquiétudes[35]. La rente descendit au cours de 53, puis de 51 francs ; les alarmistes reprirent courage ; on parla de nouveau des chances de l'ennemi. Ce n'était pas la panique qui avait saisi Paris au lendemain de la Rothière, mais on était loin de l'enthousiasme qui l'avait transporté après Champaubert et Vauchamps. C'était une attente douloureuse où, selon l'expression du préfet de police Pasquier, on était partagé entre la crainte et l'espérance. À toutes les heures, écrivait de son côté Talleyrand dans une lettre confidentielle, il y a un motif de crainte ou un motif de tranquillité[36].

L'inquiétude qui régnait dans la population était tout autrement vive parmi les membres du gouvernement, mieux renseignés sur les progrès de l'ennemi et les faibles ressources de l'empereur. Dans Paris on croyait encore que le vainqueur d'Austerlitz et d'Iéna pouvait imposer la paix par une bataille gagnée[37] ; au Luxembourg on pensait que le vaincu de Leipzig devait acheter la paix au prix de toutes les humiliations. Le roi Joseph n'en était plus à écrire à l'empereur, comme le 21 février : Tout le monde désire la paix avec les limites naturelles. Personne aujourd'hui ne voudrait des anciennes limites[38]. Il multipliait les prières, les conseils, les adjurations, pressant Napoléon d'abandonner les frontières naturelles. Bonne ou mauvaise, disait-il, il faut la paix ; dans l'état actuel ce sera toujours un bienfait. — La paix, disait-il encore, n'aura rien de déshonorant pour la France puisqu'elle n'aura rien perdu de son ancien territoire. Quant à vous, Sire, vous deviendrez le père du peuple si, renonçant à un caractère factice, vous consentez enfin à faire succéder le grand roi à l'homme extraordinaire. Et il écrivait un autre jour : Il n'y a plus d'autre remède que la paix, et la paix la plus prochaine... Si la paix est mauvaise, ce ne sera pas de votre faute puisqu'elle sera dictée par toutes les classes de la société[39].

Le 2 mars, l'empereur envoya l'ordre à son frère de réunir le conseil de régence pour lui communiquer les principales pièces relatives aux négociations[40]. Le conseil conclut à l'unanimité qu'il fallait accepter les propositions des Alliés. Cette unanimité, remarque Mollien, signifiait que cette acceptation était la seule chance de conserver le pouvoir[41]. Le procès-verbal de la séance, rédigé par le duc de Cadore, fut transmis à l'empereur. Joseph lui écrivit de son côté : Sire, tous les membres du conseil ont paru mus par les mômes sentiments. On a trouvé les propositions de l'ennemi fort injustes, et on a montré une absolue confiance dans ce que Votre Majesté ordonnerait à son plénipotentiaire pour que la France pût jouir sur-le-champ des immenses sacrifices que l'on exige d'elle, et que l'on sait bien que Votre Majesté ne fera qu'à la dernière extrémité. Mais on s'est assez généralement réuni à penser que la nécessité de voir la France réduite au territoire qu'elle avait en 1792 devait être acceptée plutôt que d'exposer la capitale. On regarde l'occupation de la capitale comme la fin de l'ordre actuel et le commencement de grands malheurs... La paix prochaine, quelle qu'elle soit, est indispensable... Vous resterez à la France, la France vous restera la même que quand elle a étonné l'Europe. Et vous qui l'avez sauvée une fois, vous la sauverez une seconde en signant la paix aujourd'hui et en vous sauvant avec elle... Que Votre Majesté ait remporté aujourd'hui une victoire ou non, il faut également qu'elle pense à la paix, voici le résultat de ce que tout le monde pense et dit ici[42]. Napoléon répondit à son frère par le bulletin de la. victoire de Craonne et par l'envoi d'instructions relatives aux affaires militaires[43]. De la paix, il n'était pas question. Au reste, la lettre de l'empereur où il avait ordonné de convoquer le conseil de régence portait ces mots : Je ne demande pas un avis en forme, mais je suis bien aise de connaître les différentes sensations des individus[44]. C'était assez dire qu'il ne tiendrait aucun compte de l'avis exprimé, si ses ministres ne pensaient pas comme lui sur la question.

Quelques-uns d'entre eux n'en furent pas moins très irrités que leurs conseils fussent de si peu de poids auprès de Napoléon dans une pareille circonstance, quand était en cause le salut de l'État et conséquemment leur propre salut. Ils ne dissimulèrent pas leur mécontentement et en divulguèrent les motifs, accusant l'obstination, l'aveuglement de Napoléon. Joseph, sans doute, ne fut pas le dernier à parler, dans son entourage franco-espagnol, de la nécessité de la paix et de la détermination de l'empereur à ne la point faire. L'opinion se forma au sénat, au Conseil d'État, chez les familiers du Luxembourg, que cette paix indispensable était impossible avec l'empereur. Affolés par la peur, plusieurs membres du sénat complotèrent d'interdire Napoléon comme convaincu de démence. Ils n'auraient rien risqué à s'ouvrir de ce dessein à Talleyrand ; ils eurent l'audace de s'en ouvrir à Joseph, lui disant que seul, avec l'impératrice, il pouvait obtenir la paix et l'assurant de la lieutenance générale de l'empire pendant la longue minorité de Napoléon II. Faible et avantageux comme il était, l'ex-roi d'Espagne écouta vraisemblablement sans déplaisir ces insinuations flatteuses et ses protestations de dévouement ; mais la loyauté et le bon sens reprirent vite leurs droits dans son esprit. S'il avait laissé parler les conspirateurs, il leur témoigna qu'il ne les laisserait pas agir[45]. Troublé cependant par la fermentation qui régnait dans les grands corps de l'État, Joseph conçut l'idée de la mettre à profit pour le bien de l'empereur et de la France. De concert — peut-être devrait-on dire de complicité — avec Cambacérès, il s'avisa d'un projet d'adresse à Napoléon en faveur de la paix, adresse que signeraient les membres du conseil de régence, les ministres, le sénat, le Conseil d'État. Joseph espérait ainsi forcer la volonté de l'empereur, en sauvegardant son légitime orgueil et en dégageant sa responsabilité : le grand capitaine ne céderait pas au sort des armes ; le souverain déférerait au vœu de la nation. Mais Napoléon n'avait-il pas trop de rectitude dans l'esprit pour se payer d'un pareil sophisme, n'avait-il pas trop le sentiment de l'autorité pour admettre cette substitution de volonté ? Joseph connaissait son frère. Il comprit que cette adresse risquait d'être tout à fait mal reçue. Il hésita à la provoquer avant d'en avoir informé l'empereur, et il recula même à l'idée de le pressentir lui-même. Sur sa demande, appuyée par Cambacérès, le baron Méneval, secrétaire intime de l'empereur, laissé auprès de la régente comme l'homme, dit Rovigo, dans lequel Napoléon avait le plus de confiance, se chargea de cette mission délicate. Il écrivit à l'empereur, ne lui cachant rien des circonstances, en fidèle serviteur qu'il était, mais les lui exposant avec d'infinis ménagements[46].

Comme le craignait Joseph, et comme n'en doutait point Méneval, l'empereur fut plus que surpris. Cette adresse projetée était, en fait, de même nature que le trop fameux rapport de Lainé ; elle était pire peut-être. Napoléon qui n'avait pas souffert de remontrances de la part d'un corps électif, quand l'ennemi était sur le Rhin, Napoléon pouvait encore moins admettre des sommations déguisées de la part de corps nommés par lui, alors que l'armée alliée était sur la Seine. Joseph croyait, par cette adresse, sauver Napoléon ; il l'eût complètement désarmé pour traiter comme pour combattre. Quelle force eût donnée à la coalition ce manifeste accusant l'empereur de vouloir seul continuer la guerre, dénonçant Napoléon comme ennemi public ! L'empereur répondit à Méneval : ... La première adresse qui me serait présentée pour me demander la paix, je la regarderais comme une rébellion[47]. Il ne s'en tint, pas là Il écrivit coup sur coup une lettre au ministre de la guerre et une lettre au ministre de la police. Je n'approuve pas, disait-il à Clarke, qu'il y ait autour du roi Joseph aucun individu militaire ou civil. Ces gens-là ont un esprit particulier. Cela sent la faction. Mon intention est que la plupart des aides de camp qui ont été en Espagne soient employés à l'armée et qu'il en prenne d'autres[48]. La lettre de l'empereur à Rovigo était sur un ton différent et en disait davantage : Vous ne m'apprenez rien de ce qui se fait à Paris. Il y est question d'adresse, de régence, et de mille intrigues aussi plates qu'absurdes, et qui peuvent tout au plus être conçues par un imbécile comme Miot. Tous ces gens-là ne savent point que je tranche le nœud gordien à la manière d'Alexandre. Qu'ils sachent bien que je suis aujourd'hui le même homme que j'étais à Wagram et à Austerlitz ; que je ne veux dans l'État aucune intrigue ; qu'il n'y a point d'autre autorité que la mienne, et qu'en cas d'événements pressés c'est la régente qui a exclusivement ma confiance. Le roi Joseph est faible, il se laisse aller à des intrigues qui pourraient être funestes à l'État, et surtout à lui et à ses conseils, s'il ne rentre pas promptement dans le droit chemin. Je suis mécontent d'apprendre tout cela Dar un autre canal que par le vôtre. Ou vous êtes bien maladroit ou vous ne me servez plus. Sachez que si l'on avait fait faire une adresse contraire à l'autorité, j'aurais fait arrêter le roi, mes ministres et ceux qui l'auraient signée... Je ne veux point de tribun du peuple ; qu'on n'oublie pas que c'est moi qui suis le grand tribun[49].

Si la situation avait empiré au point de vue militaire et politique, elle ne s'était pas moins aggravée au point de vue diplomatique. Le congrès de Châtillon en était à sa cinquième séance, et, un nouveau traité d'alliance signé à Chaumont, les négociations pour un armistice rompues à Lusigny, la grande armée austro-russe ayant repris l'offensive, moins que jamais le duc de Vicence pouvait espérer de faire céder de leurs prétentions les plénipotentiaires alliés. Il continuait cependant à croire la paix possible, à la condition que la France fit tous les sacrifices, et il multipliait les lettres à l'empereur pour le presser respectueusement et désespérément de lui envoyer un contre-projet et de le lui envoyer portant des stipulations acceptables. La peur, écrivait-il, a uni tous les souverains... Il faut des sacrifices. Il faut les faire à temps. Il faut céder à l'Europe réunie. — Plus je considère ce qui se passe, plus je suis convaincu que si nous ne remettons pas le contre-projet demandé et qu'il ne contienne pas des modifications aux bases de Francfort, tout est fini. On ne veut qu'un prétexte pour rompre[50]. À entendre Fain, cette dernière dépêche qui, datée du 6 mars, arriva à l'empereur à Braye, le soir de la bataille de Craonne, fit plus d'impression sur son esprit que l'avis du conseil de régence. Cola est possible, mais il n'y parut guère. L'empereur ne donna pas le contre-projet et se contenta de répondre au courrier du duc de Vicence, M. de Rumigny, qu'il ne voulait pas ajouter à ses humiliations celle de les provoquer par un acte émané de lui-même. — S'il faut recevoir les étrivières, ajouta-t-il, ce n'est pas à moi de m'y prêter, et c'est bien le moins qu'on me fasse violence[51]. Ce n'était pas là une réponse. Après avoir promis un contre-projet à son plénipotentiaire, Napoléon ne voulait point le lui donner sous prétexte qu'il n'avait pas à provoquer sa propre humiliation. Qu'on me fasse violence, disait-il. Mais Caulaincourt ne pouvait point faire violence à l'empereur, puisqu'il lui était formellement interdit de rien conclure sans en référer au quartier impérial. À cette étrange réponse verbale de Napoléon, Bassano ajouta une longue lettre qui l'expliquait sans la justifier. Sa Majesté, écrivait-il, ne peut pas faire la paix à des conditions plus onéreuses que celles auxquelles les Alliés seraient véritablement disposés à consentir... Leur premier projet ne saurait être leur ultimatum... S'ils le déclaraient, la négociation serait nécessairement rompue, car l'empereur ne peut faire la paix à de telles conditions. Mais il n'est nullement probable que leur premier projet soit leur ultimatum... Il faut arriver à avoir un ultimatum positif...[52] L'ultimatum des Alliés, qui l'ignorait ? c'était la France dans ses frontières de 1789. L'empereur voyait trop clair et raisonnait trop juste pour se faire la moindre illusion sur ce point. Le seul doute qu'il pût avoir, c'était si les Coalisés consentiraient à faire la paix avec lui, même à ces conditions.

Les Alliés n'y étaient certes point disposés à leur entrée en France, mais les défaites successives de Blücher et de Schwarzenberg au milieu de février les avaient fortement ébranlés. On a nié l'importance de ces batailles au point de vue d'un succès final. Or le revirement soudain qui s'opéra chez les ministres de la coalition et la reprise des pourparlers le 17 février témoignent que les Alliés ne se croyaient point si assurés de la victoire. Au commencement de mars, leurs inquiétudes sinon leurs craintes persistaient. Peut-être eussent-ils alors consenti à accorder la paix ? Lord Liverpool l'a déclaré en plein Parlement[53] et Metternich et le prince Esterhazzi l'ont mainte fois écrit et dit au duc de Vicence[54]. Tout cela ne prouve rien : Liverpool plaidait une cause politique, Metternich dupait Caulaincourt, Esterhazzi était dupe de sol souverain. Mais ce qui prouve cependant quelque chose, c'est l'attente patiente des plénipotentiaires à Châtillon. S'ils eussent renoncé à toute idée conciliatrice, ils eussent rompu le congrès dès le 10 mars. Les temporisations de Caulaincourt suffisaient comme prétexte : Mais les Alliés étaient aussi injustes qu'ils étaient patients. Eux dont les prétentions avaient grandi à mesure de leurs victoires, ils déniaient le même droit à Napoléon. Tout ce que le grand soldat avait gagné aux glorieuses journées de février, c'était la possibilité d'une paix humiliante. L'empereur n'était point pressé de profiter de cet avantage. Le 8 mars, il venait de gagner la bataille de Craonne et il s'abusait, comme on l'a vu, sur la retraite de Blücher. Contrairement à l'opinion du roi Joseph, il ne jugeait pas la partie perdue.

Rumigny repartit sans le contre-projet, et le 10 mars, le duc de Vicence dut se présenter au congrès n'ayant à faire aucune proposition nouvelle. Pour remplir la séance, il donna lecture d'un long Mémoire sur la question. Il y établissait que le projet des Alliés était contraire à la lettre et à l'esprit des bases de Francfort : à la lettre, puisqu'on prétendait enlever à la France des territoires qu'on était convenu de lui laisser ; à l'esprit, puisque, après avoir invoqué l'équilibre européen, on voulait le détruire en plaçant la France dans un état d'infériorité vis-à-vis des autres puissances. L'Europe, disait Caulaincourt, ne ressemble plus à ce qu'elle était il y vingt ans. Et il rappelait que le dernier partage ne la Pologne, la chute de la république de Venise, les traités de Tilsitt, de Vienne et d'Abo avaient donné à la Russie, à la Prusse et à l'Autriche l'équivalent des territoires que les conquêtes avaient donnés à la Franco et qu'on prétendait, néanmoins, lui arracher. Pour l'Angleterre, l'empire de l'Inde avait doublé sa richesse, partant sa puissance[55]. Caulaincourt alléguait les meilleures raisons du monde, mais il ne s'agissait pas de convaincre les Alliés, dont le siège était fait. La déclaration du duc de Vicence était un memorandum pour la postérité ; ce n'était pas la réponse distincte et explicite qu'avaient demandée les plénipotentiaires. Ils le firent très aigrement entendre, disant qu'on se moquait d'eux, que l'empereur n'avait aucune raison, après un délai de dix jours, pour ne point faire réponse à leurs propositions[56]. Ils se disposaient à lever la séance lorsque Caulaincourt, craignant de voir rompre les négociations, déclara que l'empereur des Français était prêt à renoncer à tout protectorat sur les pays situés hors de France et à reconnaître l'indépendance de l'Espagne, de l'Italie, de la Suisse, de l'Allemagne, de la Hollande. À vrai dire, ce n'étaient point là des concessions, car bien que le duc de Vicence ne les eût point encore formulées, personne ne doutait parmi les plénipotentiaires qu'il ne fût tout disposé à les faire. Cependant, on était assez inquiet chez les Alliés. L'état-major était sans nouvelles de Blücher et, après avoir rejeté Macdonald au delà de la Seine, Schwarzenberg n'osait plus avancer[57]. Les plénipotentiaires, jugeant que ce n'était pas l'heure de brusquer les choses, reprirent leur calme et décidèrent qu'une autre séance aurait lieu le 13 mars. Mais il semblait que ce dût être la dernière[58].

 

 

 



[1] Correspondance de Napoléon, 21 461.

[2] Ordres d'Oudinot, Troyes, 2 mars ; Rapport de Macdonald, Châtres, 4 mars. Arch. de la guerre.

[3] Sébastiani à Berthier, Troyes, 3 mars, 6 heures du soir ; Oudinot à Berthier, Troyes, 4 mars (au matin). Arch. de la guerre. Cf. Plotho, III, 249-251.

[4] Grundler à Berthier, Châtres, 3 mars, et Macdonald à Napoléon, Châtres, 4 mars. Arch. de la guerre.

[5] Rapport et ordres de Macdonald et d'Oudinot, Châtres, 4 mars, Nogent, 5 mars, et Mériot, 6 et 7 mars, Arch. de la guerre. Cf. Plotho, III, 233, 254 ; et Bernhardi, IV, 555-557.

[6] Bubna : 6.300 hommes à Bourg-en-Bresse ; prince Aloys Lichtenstein, 12.700 hommes occupés aux sièges de Besançon et d'Auxonne.

[7] Correspondance de Napoléon, 21 086, 21 272, 21 343, 21 356, etc. Napoléon à Augereau, Troyes, 26 février (lettre non citée à la Correspondance). Arch. nat., AF., IV, 906. Clarke à Augereau, 13 janvier, 13, 18, 22 février, etc. Arch. de la guerre.

[8] Augereau à Clarke, Lyon, 16 février. Arch. de la guerre.

[9] Clarke à Augereau, 18 février. Arch. de la guerre.

[10] Correspondance de Napoléon, 21 343.

[11] Comte de Saint-Vallier à Clarke, 8 mars ; Rapport d'Augereau à Clarke 9 mars. Arch. de la guerre.

[12] Cette armée avait été formée le 25 février, en vertu d'une décision du conseil de guerre de Troyes, pour arrêter la marche du duc de Castiglione. Elle se composait du 1er corps autrichien (Bianchi), 15.700 hommes : du 6e corps d'Allemagne, 13.250 hommes, et d'une division des réserves autrichiennes, 6.000 hommes, total : 35.950 hommes. Le prince de Hesse-Hombourg devait en outre réunir sous son commandement la division légère de Butina 6.300 hommes, et le 2e corps autrichien (prince Aloys Lichtenstein) : 12.700 hommes ; ce qui donnait à l'armée du sud un effectif de 53.950 hommes : soit 46.000 hommes, défalcation faite des pertes. Cf. le protocole de la séance du conseil de guerre du 25 février ; Plotho, III. 231 ; Bernhardi, IV, 529, et le tableau de la composition de la grande armée alliée en 1814, Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg, 22854. — Schels, qui majore toujours les effectifs, porte l'armée du sud à 76.000 hommes (I, 198). Nous donnerons, entre autres, un exemple de la façon dont procède cet historien dans ses dénombrements. Il chiffre la division Bubna, qui en effet fut renforcée de 9 bataillons du 2e corps autrichien, à 12.100 hommes au lieu de 6.300 hommes, mais il omet de défalquer ces 9 bataillons de l'effectif total du 2e corps. Ainsi, il compte deux fois les mêmes troupes.

[13] Rapport d'Augereau à Clarke, Lyon, 9 mars ; Saint-Vallier à Napoléon, Chambéry, 8 mars et 10 mars ; Rapport de Desaix. Carrouge, 9 mars, Arch. de la guerre. Cf. Correspondance de Napoléon, 21 111, et la curieuse dénonciation contre Augereau, Lyon, 18 mars. Arch. de la guerre.

[14] Augereau, dit Fain (p. 179), a manqué l'occasion de sauver la France. C'est beaucoup dire, mais Augereau fut du moins très coupable de n'y pas essayer.

[15] Maison à Clarke, 6 mars, 10 mars et 14 mars. Arch. de la guerre. Cf. Plotho, III, 468-471.

[16] Ordres, lettres et rapports de Soult, Erlon, Reille, Clausel, etc. février et mars. Arch. de la guerre (Armées d'Espagne).

[17] Rollac, Exposé fidèle des faits qui ont précédé et amené la journée du 12 mars, 24-26, 48-55 ; le Royalisme prouvé par les faits, 21-27 ; Mailhoz, Mémoires sur plusieurs faits qui ont précédé et suivi la journée du 12 mars, 9-10. Mémoires de Mme de La Rochejacquelein, 449-456.

[18] Rollac, 70-77.

[19] Dossier Giboulon. Arch. nat., F. 7, 6598. Cf. Rapport de Roger, colonel de cette garde, cité par Rollac, 173, sqq.

[20] (Lynch), Correspondance relative aux événements de Bordeaux, Bordeaux, 1814, in-8°, p. 14. — Dans cette brochure fort rare, comme sont fort rares d'ailleurs les brochures précitées, Lynch a fait sa confession croyant faire son apologie.

[21] Lynch, 13, 15, 17 ; Mailhoz, 37 ; Mémoires de Mme de La Rochejacquelein, 465. Cf. Moniteur, 28 novembre 1813 et 6 mars 1814.

[22] 350 fantassins, 100 chasseurs à cheval, 152 gendarmes, 180 douaniers, 200 gardes nationaux mobilisés, 1.125 gardes nationaux sédentaires. Cornudet à Clarke, Libourne, 5 mars. Arch. de la guerre.

[23] Rapport anonyme (peut-être de Lynch), cité par Rollac, 203, sqq. Cf. t. XIII de la traduction de la Guerre de la Péninsule, du général anglais Napier, pp. 7 et 123-124.

[24] Lynch, 18. Cf. Journal de Bordeaux, 14 mars 1814.

[25] Rollac, 116-117 ; Napier, XIII, 7 ; La Rochejacquelein, 468-469. — La proclamation royaliste de Wellington, datée de Tolosa, est apocryphe.

[26] Bordeaux avait été évacué le 4 et le 5 par les ordres du sénateur Cornudet, commissaire extraordinaire. (Cornudet à Clarke, Libourne, 5 mars. Arch. de la guerre.) Le général Lhuillier, dit Lynch, voulait résister, mais il fut effrayé du petit nombre de ses troupes. — On remarquera que si cependant ce général était resté dans Bordeaux, très vraisemblablement la révolution du 12 mars n'aurait pan eu lieu et que peut-être la ville n'aurait pas été prise. Wellington ne se décida à envoyer une colonne que sur l'avis formel du départ de la garnison, et Beresford, qui avait près de 15.000 hommes, ne s'avança le 12 mars contre Bordeaux qu'avec son avant-garde. En reconnaissant que Bordeaux était occupé, peut-être abandonné son expédition. Dans tous les cas, le complot royaliste risquait d'avorter.

[27] Rollac, 117 ; Le Royalisme prouvé par les faits, 43-41 ; La Rochejacquelein, 470-471 ; Napier, XIII, 120.

[28] Lettre de Taffard de Saint-Germain à Bellac, citée par Rollac 1611

[29] Lynch, 12 ; Rapport de Roger, cité par Rollac, 178 ; Le Royalisme prouvé par les faits, 46.

[30] Lynch, 23-25. Cf. Rapport de Roger ; Rollac ; La Rochejacquelein, etc.

[31] Journal de Bordeaux du 14 mars ; Lynch, 26-27 ; Rapport de Roger ; Rollac ; La Rochejacquelein ; Mailhoz.

[32] Rapport de police, 14 mars. Arch. nat., F. 7, 4289 ; Lynch, 30, 31, 36, 39 ; Napier, XIII, 123-124.

[33] Correspondance du roi Joseph, X, 200. Cf. Fain, 183. — Dès le 11 mars, la retraite de Soult et l'agitation des royalistes à Bordeaux avaient fait pressentir cet événement dans Paria. Rapport de Pasquier, 11 mars. Arch. nat., AF., IV, 1534.

[34] Rapports journaliers de Pasquier, du 11 février au 2 mars, et Rapports de police, aux mêmes dates. Arch. nat., AF., IV, 1531 et F. 7, 3737.

[35] Rapports journaliers de Pasquier du 3 au 9 mars, et Rapports de police aux mêmes dates. Arch. nat., AF., IV, 1531, et F. 7, 3 737 ; Correspondance du roi Joseph, X, 173, 183, 181, 183, 189.

[36] Lettres inédites de Talleyrand à la duchesse de Courlande (2 mars), publiées dans la Revue d'histoire diplomatique, I, 242.

[37] Rapports de Pasquier, 4 et 5, mars. Arch. nat., AF., IV, 1 534. — Quoique l'ardent désir de la paix dominât tous les esprits, que ce cri sortit de toutes les bouches, l'opinion, toujours confiante dans le génie de Napoléon, ne désespérait pas du succès par les armes. La confiance dans le génie de l'empereur est sans bornes, disait Pasquier.

[38] Correspondance du roi Joseph, X, 151.

[39] Correspondance du roi Joseph, X, 180, 189, 195.

[40] Correspondance de Napoléon, 21 408.

[41] Mémoires d'un ministre du trésor public, IV, 127.

[42] Correspondance du roi Joseph, X, 179-183 (4 mars).

[43] Correspondance de Napoléon, 21 449 et 21 451 (6 mars et 8 mars).

[44] Correspondance de Napoléon, 21 408.

[45] Méneval, Souvenirs historiques sur Napoléon et Marie-Louise, II, 38-39 ; Mémoires de Rovigo, VI, 336-337. Cf. les lettres de Napoléon citées plus loin.

[46] Méneval, II, 29-40.

[47] Lettre de Napoléon à Méneval, Soissons, 12 mars, citée par Méneval, II, 39.

[48] Napoléon au duc de Feltre, Reims, 14 mars. Arch. nat., AF., IV, 906. (Lettre non citée dans la Correspondance.)

[49] Napoléon au duc de Rovigo, Reims, 14 mars. Arch. nat., AF. IV, 906. (Lettre non citée dans la Correspondance.)

[50] Caulaincourt à Napoléon, Châtillon, 1er mars, 2 mars, 3 mars, 5 mars et 6 mars. Arch. des Affaires étrangères, fonds France, 668.

[51] Fain, 167-168.

[52] Bassano à Caulaincourt, 8 mars. Arch. des Affaires étrangères, 668.

[53] Discours de lord Liverpool à la Chambre des Lords, séance da 22 mars 1815.

[54] Caulaincourt à Napoléon, 3 mars, 18 mars, et Metternich à Caulaincourt, 8 mars, 18 mars. Arch. des Affaires étrangères, fonds France, 668.

[55] Protocole de la séance du 10 mars. — Cette déclaration avait été rédigée d'après les idées données par l'empereur dans une Note de Jouarre, 2 mars. Correspondance, 21 117.

[56] Caulaincourt à Napoléon, Châtillon, 11 mars. Arch. des Affaires étrangères, fonds France, 668.

[57] Lettre de Schwarzenberg, 12 mars, citée par Thielen, Feldzug der verbündeten Heere Europa's 1814, 243.

[58] Caulaincourt à Napoléon, Châtillon, 11 mars. Cf. Protocole de la séance du 10 mars. Arch. des Affaires étrangères, fonds France, 663.