ROME, LA GRÈCE ET LES MONARCHIES HELLÉNISTIQUES AU IIIe SIÈCLE AVANT J.-C. (273-205)

 

CHAPITRE TROISIÈME. — LA PREMIÈRE GUERRE D'ILLYRIE (229-228).

 

 

 

En 229[1], en 229 seulement, les Romains, en guerre avec les Illyriens, franchissent pour la première fois l'Adriatique, prennent pied sur le rivage qui leur fait face, puis rattachent à leur empire, par une sorte de protectorat, une partie étendue de ce rivage. Selon quelques historiens, ce sont là des manifestations certaines de cet esprit de conquête et de domination d'où procèdent, à l'étranger, toutes les démarches de l'État romain : le Sénat commence simplement d'exécuter, sur un théâtre nouveau, ce plan d'extension méthodique[2] qu'il a, croit-on, conçu de tout temps. Il bornait jusqu'alors ses entreprises au bassin occidental de la Mer Intérieure ; il prépare à présent son offensive[3] contre les régions situées au levant de l'Italie. — Est-on fondé à en juger ainsi ?

Au lendemain de la guerre d'Illyrie, les Romains, pour la première fois, adressent des ambassades à quelques nations ou cités helléniques. Voilà, pense-t-on, leur politique envahissante qui prend la Grèce pour champ de ses ambitions. La diplomatie insidieuse des Patres y va manœuvrer avec sa méthode habituelle et sa science connue des voies obliques ; elle ne négligera rien pour s'immiscer profondément dans les affaires du monde grec[4]. Le résultat est prévu : elle aura bientôt fait de l'envelopper d'un réseau d'intrigues menaçantes[5] et, finalement, de mettre son indépendance en péril[6].  Les pronostics sont-ils autorisés par les faits ? est-il légitime de les énoncer ?

 

§ I. — ORIGINES DE LA GUERRE D'ILLYRIE.

Rome, en 229, intervient par les armes en Illyrie. Il est nécessaire d'insister quelque peu sur les origines de cette guerre[7]. Certains historiens s'expriment de telle sorte qu'on croirait, à les lire, qu'elle a été de longue date préméditée par le Sénat, qui, pour l'entreprendre, n'attendait qu'un prétexte, et se saisir avidement du premier qui s'offrit[8]. C'est là une flagrante erreur. Née à l'improviste d'une cause purement fortuite, des violences intolérables des Illyriens et des injures de leur souveraine, Teuta, qui, en 230, succède à Agron[9], la guerre d'Illyrie n'a été en rien l'ouvrage des hommes d'État romains. Il n'y a nulle apparence qu'ils l'aient désirée ; il est certain qu'ils ne l'ont pas cherchée. Ils l'ont dû, et non voulu faire elle leur a été imposée.

Depuis longtemps, comme on l'a vu déjà, la piraterie illyrienne inflige de cruels dommages au commerce de l'Italie, sans que le gouvernement romain en ait daigné prendre souci ni élever aucune protestation. Mais, en l'an 230, les corsaires envoyés par la reine Teuta dans les mers grecques se portent à des excès encore inconnus. Lors de la prise de Phoiniké, des marchands italiens, en grand nombre, ont été, non seulement dépouillés, mais emmenés en servitude ou même massacrés[10]. A cette nouvelle, en Italie et à Rome, l'opinion s'émeut et s'irrite, et les plaintes adressées au Sénat se font si véhémentes que les Patres, sortant de leur longue apathie, se jugent tenus d'y donner suite[11]. Toutefois, ils sont bien éloignés de prendre des décisions précipitées : ils pourraient exercer contre les Illyriens d'immédiates représailles ; ils estiment préférable d'user des voies de droit et de saisir Teuta de leurs griefs. Une ambassade la va trouver devant l'île d'Issa qu'elle assiège. Polybe définit ainsi la tâche prescrite aux légats : τούς έπίσκεψιν ποιησομένους περί τών προειρημένων (άδικημάτων)[12]. C'est trop peu dire : il ressort de son texte même que les envoyés du Sénat, porteurs d'une rerum repetitio en forme, doivent exiger de la reine la réparation des crimes et des dommages commis par ses sujets, et, de plus, l'engagement précis que la marine italienne sera désormais respectée[13]. Mais rien n'autorise à penser que l'État romain ait donné à ses réclamations une forme injurieuse ; rien ne permet de supposer qu'il ait machiné, pour provoquer Teuta, un ultimatum outrageant, et voulu se procurer, en la poussant à bout, l'occasion d'une victoire facile. Ceux mêmes qui croient, si volontiers et trop naïvement, au machiavélisme du Sénat ne le sauraient prétendre ; tout le récit de Polybe dément une telle idée[14]. L'étonnante patience observée jusque là par les Patres, le fait que, cette fois encore, ayant pour eux le droit, ayant la force, ils consentent à négocier, ne permet pas rie douter de leur volonté pacifique[15]. Ce conflit singulier qui met aux prises deux adversaires si prodigieusement inégaux pourrait se résoudre par un accommodement, le plus puissant n'ayant point dessein d'abuser de ses avantages. Il suffirait, pour que tout s'apaisât, que l'Illyrienne eût un peu de prudence et de raison, accordât quelques satisfactions pour le passé, et garantit, pour l'avenir, aux navigateurs venant d'Italie la sécurité qui leur est due.

Mais le malheur est que ses yeux restent fermés au péril, trop nouveau, dont elle est menacée[16]. Des Romains, elle ne sait ou ne veut savoir qu'une chose : c'est que jamais leurs escadres n'ont paru dans les eaux de Grèce ni d'Illyrie. Une entreprise armée de la République à l'orient de l'Italie serait un accident si imprévu qu'elle n'en peut admettre l'idée. Et peut-être aussi puise-t-elle une confiance téméraire dans l'alliance de la Macédoine[17], oubliant que Démétrios, assailli par les Dardaniens, en lutte avec les Confédérés d'Aitolie et d'Achaïe, est hors d'état, quand il le voudrait, de lui prêter une aide efficace. Toujours est-il qu'on voit ceci, qui est à peine croyable : la souveraine ignorée d'un peuple de forbans prétend tenir tête, ose résister en face au Peuple romain[18]. Aux plaintes trop fondées du Sénat elle fait une réponse d'une insolence calculée, qui rend vaine toute négociation[19]. Et comme le plus jeune des légats, L. Coruncanius, s'indigne et devient menaçant[20], son orgueil de femme s'exaspère[21]. Elle ordonne ou laisse commettre l'irréparable : quand l'ambassade romaine, son inutile mission terminée, s'en retourne en Italie, des corsaires, lancés à sa poursuite, assassinent le légat[22]. Puis, tranquillement, avec une audace accrue, comme assurée de son impunité, la reine renouvelle les attentats dont elle est coutumière. Par son ordre, ses sujets organisent une expédition de piraterie plus ample et plus hardie que les précédentes[23], couvrent de leurs flottilles la Mer Ionienne, se jettent sur les villes de la côte, essaient de brusquer Épidamnos, assiègent Kerkyra, s'en emparent, après avoir défait à Paxos la flotte achéo-aitolienne, et, remontant au Nord, pressent Épidamnos d'une seconde attaque[24]. — Telles sont les ripostes de Teuta aux remontrances romaines ; et c'est ainsi que, par tous ses actes, elle témoigne ne pas croire à cette guerre qu'elle vient de rendre inévitable.

Aussitôt informés du meurtre de leur envoyé, les Romains s'y sont décidés. Dans leur colère, raconte Polybe[25], ils poussent leurs préparatifs, enrôlent des troupes, assemblent une flotte. Ils ne sauraient moins faire ; si brutal est l'outrage que la vengeance ne peut être différée. Il est d'ailleurs possible, comme on l'a justement observé[26], que la nouvelle, parvenue à Rome entre temps, de la mort de Démétrios, l'allié de l'Illyrienne, confirme encore le Sénat dans sa résolution ; mais cette résolution a été arrêtée dès le premier moment[27] ; elle est la conséquence, directe et nécessaire, de la folie de Teuta.

Je n'ai point à raconter les événements qui suivent ; il suffit de les rappeler[28]. On sait comment, dans l'été de 229, les consuls en charge, d'abord Gn. Fulvius, puis A. Postumius, ouvrent la campagne, l'un avec la flotte, forte de 200 voiles, l'autre à la tête de l'armée consulaire, qui compte 20.000 hommes et 2.000 chevaux[29] ; comment, grâce à la trahison de Démétrios le Pharien, phrouarque de Kerkyra, qui ne perd point un moment pour passer à l'ennemi et lui livrer ses troupes, Fulvius devient sans coup férir maitre de l'île et de la ville ; et comment ensuite, conseillés et guidés par le même Démétrios, les deux généraux romains, qui opèrent de concert, prennent Apollonia sous leur protection, font lever aux corsaires le siège d'Épidamnos, poussent, sur le continent, une pointe heureuse au-delà du Drilon[30], délivrent l'île d'Issa bloquée par Teuta, réduisent au passage plusieurs places de la côte, obligent la reine à fuir jusqu'à Rhizon, et, malgré quelques échecs sur terre[31], remportent un si glorieux succès que, dès la fin de l'été, Fulvius peut ramener en Italie la majeure partie des forces romaines[32] et qu'au printemps suivant, Teuta se trouve contrainte à implorer, la paix. — Au reste, pour grand qu'il soit, ce succès n'a rien d'inattendu. L'invasion, la conquête de l'Illyrie continentale eût été une entreprise de longue haleine, difficile et chanceuse ; mais les Romains n'avaient garde d'en courir le risque[33]. En revanche, sur mer, il était certain qu'on verrait l'ennemi s'évanouir en poussière[34] à l'apparition de la première grande flotte venue d'Italie. On savait bien à Rome, par les rapports des navigateurs, que la narine illyrienne consistait toute en lemboi, c'est-à-dire en coquilles de noix : terrible aux Grecs, elle prêtait à rire aux commandants des quinquérèmes[35]. Sa déroute ne devait être qu'un jeu, dès l'instant qu'il plairait au Sénat de donner à quelque amiral — consul ou préteur — l'ordre de mettre le cap à l'Est. Le fait surprenant et notable, c'est que, sachant la tâche si aisée, la victoire tellement assurée, les Patres aient, attendu, pour donner cet ordre, d'y être contraints par une sanglante insulte faite à la majesté romaine.

L'expédition de 229 donne lieu à une autre remarque. Elle a pour théâtre les parages de la Grèce, et, pour premier objet, la délivrance de trois villes helléniques, Kerkyra[36], Apollonia, Épidamnos. Il est clair que le succès en intéresse les Grecs, perpétuelles victimes des Illyriens, bien plus directement encore que Rome ou l'Italie[37] et les Romains ne peuvent ignorer avec quelle ardente espérance et quelle attention passionnée les nations de l'Hellade en vont suivre les progrès. Cependant, ils l'entreprennent et l'accomplissent sans convier ces nations a y participer, sans se concerter ni s'entendre avec elles, sans même les aviser de leurs desseins ni les informer de leur présence[38]. Trente ans plus tard, ils se présenteront à elles comme les défenseurs de leurs libertés et publieront qu'ils n'ont passé la mer qu'afin de les mettre à l'abri de toute injure[39] : ce rôle généreux qu'ils s'attribueront lors si volontiers, il leur serait loisible de s'en parer dès maintenant. L'occasion leur est offerte de déclarer pour la première fois ces sentiments philhelléniques qu'on les verra, en d'autres temps, professer avec tant de zèle. Aux Aitoliens et eux Achéens qui, quelques semaines plus tôt, ont bravement et vainement essayé de sauver Kerkyra, ils pourraient laisser entendre qu'ils Tiennent venger le désastre de Faxas. Ils pourraient, avec vérité, proclamer qu'ils se sont armés pour une querelle qui est celle de la Grève entière. Leur conduite est bien différente. Alors que tout parait les inviter à se rapprocher d'eux, ils se tiennent à l'écart des Hellènes. Soit défiance, soit dédain, ils semblent les oublier et feignent de les ignorer : ils attendent, pour se rappeler leur existence, que la guerre soit achevée et qu'ils aient, seuls et souverainement, réglé le sort de l'Illyrie.

 

§ II. — RÈGLEMENT DES AFFAIRES ILLYRIENNES.

C'est ce règlement des affaires illyriennes qu'il faut maintenant considérer.

En effet, peut-être nous accordera-t-on que la guerre faite à Teuta n'est point née d'un désir de conquête ; mais ceux qui l'accorderont ne manqueront pas, sans doute, de soutenir que l'ambition romaine y sut quand même trouver son compte, et ils en allégueront pour preuve les résultats mêmes de la guerre.

Rome, dira-t-on, ne s'est pas contentée d'infliger à la reine barbare le châtiment mérité[40] ; de lui enlever tout ce qu'elle avait conquis au midi de Lissos[41] ; de lui défendre, comme à tous les dynastes illyriens[42], de jamais s'aventurer, soit par mer, soit sur terre[43], au-delà de cette ville, qui marquera désormais vers le Sud la limite infranchissable de l'Illyrie maritime de l'astreindre, pour une série d'années, au paiement d'une lourde indemnité de guerre[44] ; d'établir enfin, à son côté, pour la surveiller et l'inquiéter, Démétrios le Pharien, devenu, pour prix de sa défection, sous la tutelle romaine, le chef d'un État demi-continental, demi-insulaire, fait en partie des dépouilles arrachées à son ancienne souveraine[45]. Il y a plus[46], et la grande nouveauté est celle-ci le Peuple romain range sous sa protection, c'est-à-dire, pour parler net, soumet à sa domination bienveillante les cités grecques et les peuplades barbares, empressées à lui faire dédition[47], qu'il a débarrassées de la tyrannie ou soustraites aux menaces des Illyriens. Issa au Nord, Kerkyra au Sud, entre les deux, sur le littoral, Épidamnos, Apollonia et Orikos[48], au-dedans des terres, la tribu des Parthiniens, voisine d'Épidamnos, et celle des Atintanes, sur le bas Aoos, seront désormais comprises dans sa clientèle ; et, du coup, le voilà suzerain en droit[49], maitre en fait[50], des places maritimes où aboutissent les routes du détroit, de la grande île qui en couvre l'entrée, et, dans l'intérieur du continent, jusqu'à trente milles de la côte, de villes fortes situées sur les confins de la Macédoine et de la Grèce[51]. Le gain n'est pas médiocre. C'est toute la basse Adriatique que la République tient maintenant dans son obéissance, cependant que sur terre son empire s'est largement accru. Tels sont les avantages immenses[52] que lui vaut la guerre d'Illyrie. Le Sénat, habile à l'exploiter ; a si bien manœuvré qu'elle sert à merveille ses projets du côté de l'Orient[53].

A tout prendre — et réserve expresse faite sur les projets orientaux du Sénat — il se pouffait que cette opinion contint sa part de vérité. Il se pourrait que les Patres, jugeant l'acquisition précieuse, eussent cédé surtout au désir de pourvoir l'État romain d'une bonne station navale sur l'Adriatique supérieure : ce serait sans doute naïveté que de trop croire à leur désintéressement. Toutefois, ils nous ont paru jusqu'à présent si insoucieux des choses d'outre-mer ; nous les avons vus si peu disposés à tourner vers le détroit d'Hydrous l'activité de la marine romaine ; l'histoire nous les montrera, par la suite, répugnant si décidément à toute annexion en terre grecque, qu'il faut prendre garde de trop accorder ici à leurs ambitions, lesquelles seraient bien soudaines et n'auraient été que bien passagères. L'établissement du protectorat romain sur les échelles helléniques et les populations indigènes de la Basse-Illyrie peut sans doute s'expliquer par elles ; ne peut-il s'expliquer sans elles ? telle est la question, et qu'on ne doit pas préjuger. Or, il apparaît, à l'examen, qu'il trouve sa pleine explication dans les circonstances, dans les nécessités du présent ou de l'avenir, dans l'obligation de parer à des dangers probables ou possibles, sans qu'on ait lieu de mettre en cause la politique avide du Sénat.

Ce qu'il y faut voir, avant tout, c'est la suite directe et le complément logique des décisions prises à l'égard des Illyriens, c'est la naturelle garantie des accords qui leur ont été imposés. Il est bien, sans doute, mais il ne saurait suffire d'avoir interdit au vaincus de sortir de leur pays et de jamais s'étendre vers le Sud. Avec d'autres on pourrait se reposer sur les serments reçus : mais comment se fier à ces pirates ? venant d'eux quelle parole est sûre, quel engagement durable ? La crainte seule les rendra loyaux. Et puisque les nations de l'Hellade, trop faibles ou trop timides, sont, comme l'a montré une longue expérience, impuissantes à se faire craindre d'eux ; puisque la Macédoine, qui leur pourrait être redoutable, est avec eux d'intelligence, c'est chose indispensable qu'ils sentent dans leur voisinage, prête à leur faire obstacle, l'autorité vigilante de Rome. Pour les détourner de rien entreprendre désormais contre les stations de la côte, Épidamnos, Apollonia, objets de leurs convoitises anciennes[54] et perpétuelles, le moyen vraiment efficace, c'est qu'ils sachent que, s'attaquant à ces villes, ils s'attaqueraient à Rome elle-même qui s'en est constituée à demeure la protectrice et la patronne. Ce traité qu'elle vient de leur dicter, il est clair que Rome en a la garde : elle en doit assurer le respect ; et c'est apparemment ce qu'attendent d'elle les cités grecques qui, sauvées par ses armes, comptent maintenant sur son permanent appui[55]. Il convient donc qu'elle se mette en mesure de le faire respecter. Et, par suite, il y a nécessité qu'elle possède en tout temps, aux portes de l'Illyrie, une base d'opérations où, le cas échéant, au cas où le traité serait menacé, elle puisse amener des troupes et mouiller des escadres ; et nécessité aussi que, dans la même région, elle dispose de clients qui lui soient attachés par un lien d'étroite dépendance, se tiennent avec elle en relations constantes, l'instruisent de ce qui s'agite en Illyrie, et, si besoin est, lui ouvrent leurs ports, fassent accueil à ses soldats, les ravitaillent, et même les renforcent de milices auxiliaires[56]. Imaginons qu'après la victoire, estimant sa tâche à jamais terminée, le gouvernement romain ait rappelé le consul Postumius, sans lui avoir prescrit au préalable de se menacer des points de débarquement à l'orient du détroit, d'y contracter des amitiés solides, d'y asseoir fortement l'autorité de la République : une telle conduite nous serait un sujet d'étonnement. Nous la jugerions, non sans motif, imprudente et légère : le Sénat, dirions-nous, trop vite satisfait, trop peu défiant de l'avenir, ne s'est point rendu compte que de nouvelles prises d'arrhes de l'ennemi seront toujours à craindre, et qu'il a le devoir d'en préparer l'échec... Il ne faut pas qu'il nous devienne suspect de calculs ambitieux pour avoir évité l'erreur dont nous lui ferions le reproche.

Ne mettons pas l'ambition, tout au moins ne la mettons pas d'abord, là où il y eut sûrement de la prévoyance et peut-être nulle autre chose. Au surplus, avant d'être si prompt à dénoncer l'humeur conquérante des Patres, on eût pu observer qu'il n'aurait tenu qu'à eux de traiter la Basse-Illyrie comme la Sicile et la Sardaigne, de lui imposer le même régime, et de la convertir en province. Ils n'en font rien[57], et, contrairement à ce qu'on a cru longtemps[58], n'installent même pas d'agents romains dans les cités ni sur les territoires désormais soumis à la République : réserve notable, qui peut passer pour une preuve assez forte de leur modération.

En étendant leur protectorat sur la zone littorale comprise entre Lissos et l'Épire, c'est d'abord contre les Illyriens[59] que se précautionnent les Romains ; mais est-ce contre eux seuls ? Il se pourrait, et l'on doit se garder ici d'inductions téméraires. Pourtant, il ne semble pas douteux qu'en même temps que les Illyriens, derrière eux, c'est la Macédoine qu'a visée le Sénat. Un fait qui parait significatif est la mainmise de Rome sur l'Atintania[60], territoire stratégique précieux, où se trouvent les défilés fameux de l'Aoos[61] qui font communiquer directement la Macédoine occidentale avec la Haute-Épire et la basse plaine d'Apollonia. En 230, l'Atintania dépendait de l'Épire qui dut, cette année-là, la céder à Teuta[62] ; il serait naturel que, l'ayant reprise aux Illyriens, le Peuple romain la restituât aux Épirotes. S'il s'abstient de la leur rendre, la raison probable, c'est qu'à Rome on craindrait qu'elle ne passât trop aisément de leurs mains dans celles des Macédoniens. C'est donc qu'on s'y défie de la Macédoine et qu'on veut limiter ses progrès.

Il n'y a rien là qui puisse surprendre. Vraisemblablement, le pensée et leur regard une fois attirés vers les terres d'outre-mer, leur résolution une fois prise de combattre Teuta, les Patres ont médité sur l'inoubliable aventure de Pyrrhos, vieille seulement de cinquante ans. Et, sans doute, ils ont réfléchi que l'aventure est de celles qui se peuvent renouveler ; que, maintenant comme jadis, le détroit d'Hydrous a moins de cent milles de large[63] ; qu'une flotte partie des ports de l'Illyrie n'a besoin, par bonne brise, que d'un petit nombre d'heures pour gagner la Calabre ; que, sans doute, les princes antigonides ont dessein de s'étendre vers l'Occident et de pousser jusqu'à la côte ; qu'en effet, c'est chose instructive que l'alliance formée naguère par Démétrios II avec Agron ; qu'alliée des Illyriens, la Macédoine pourrait bien, quelque jour, devenir pour Rome une voisine trop proche pour n'être pas dangereuse ; qu'il serait sage, partant, de la prévenir et de lui interdire l'accès du détroit, et que la prudence ordonne d'élever une barrière entre elle et la mer. Et, certes, ce sont- là réflexions judicieuses, et qu'on peut seulement s'étonner que le Sénat, si vigilant, dit-on, n'ait pas faites plus tôt. — Désormais, pour les Romains, une question illyrienne est née, toute semblable à ce qu'est pour les Italiens, nos contemporains, la question albanaise. La domination d'une grande puissance sur l'Albanie est-elle compatible avec les intérêts et, la sécurité de l'Italie ? Telle est, de nos jours, la question albanaise. Les Italiens y font une réponse négative[64]. Deux cent-trente ans avant notre ère, la question illyrienne se pose en ces termes : l'État romain, s'il a souci de sa sécurité, peut-il tolérer que les souverains macédoniens disposent à leur gré de la Basse-Illyrie ? Il semble bien que le Sénat, lui aussi, réponde négativement ; et c'est là, peut-on croire, le second motif des mesures qu'il arrête en 228. Suivant le système que, dans le temps qui va venir, on le verra maintes fois appliquer, il oppose à l'adversaire éventuel un groupe de clients et de protégés du Peuple romain. Ce que devront être, à l'Occident, Sagonte, puis la région de l'Espagne située en-deçà de l'Èbre[65], les échelles et les marches d'Illyrie le seront à l'Orient. Les villes et les tribus placées sous l'autorité de Rome, Épidamnos, Apollonia, Orikos, Dimalé[66], les Parthiniens, les Atintanes formeront la barrière qui contiendra les Antigonides, et l'île de Kerkyra fournira aux escadres romaines la station nécessaire d'où elles pourront protéger le détroit, si jamais une flotte macédonienne se risque à le remonter. Tel est, en ce qui concerne la Macédoine, le caractère préventif et défensif de l'ordre de choses nouveau institué en Illyrie. Amenés dans le pays, sans dessein préconçu, par l'obligation de venger leur honneur, les Romains, comme le dira Polybe parlant des événements de 219, ont jugé la circonstance heureuse pour se fortifier au levant de l'Italie[67].

 

§. III. — PREMIER CONTACT DE ROME AVEC LES GRECS

Ainsi donc, en 228, qu'il s'agisse des Illyriens ou de la Macédoine, le gouvernement romain se comporte avec une prudence avisée et hardie, sans que rien dans sa conduite — témoigne du moins nécessairement — de pensées ambitieuses. Mais il est clair que l'heureux dénouement de la guerre d'Illyrie pourrait donner le branle à ses ambitions, et que sa politique, se faisant entreprenante, leur pourrait préparer la voie. S'étant avancée jusqu'au seuil du monde grec, il serait possible que Rome s'efforçât, comme quelques-uns l'affirment, d'y étendre son influence afin de s'y assurer la place prépondérante[68]. — Est-ce le cas ?

On l'imaginerait volontiers. Par sa vigueur a réprimer la piraterie illyrienne, fléau commun des Grecs[69], Rome a bien mérité d'eux tous ; et l'éclatante démonstration qu'elle a donnée de sa puissance, l'envoi qu'elle a fait outre-mer d'une armée de plus de vingt mille hommes, d'une flotte de deux cents voiles, sous ses deux premiers magistrats, ont vivement ému les esprits. La Grèce, peut-être jalouse en secret, mais timide et respectueuse, s'étonne devant cette grande force qui se manifesta à elle et dont elle éprouve l'action bienfaisante. Sa gratitude et son admiration s'exprimeront tout à l'heure par la faveur insigne que les Corinthiens feront aux Romains en les admettant aux fêtes panhelléniques de l'isthme[70]. Si donc, comme on le dit, le Sénat a déjà des projets du côté de l'Orient, s'il recherche les occasions de s'immiscer aux affaires du monde grec, il peut tirer parti de ces dispositions. Les conjonctures le servent ; les met-il à profit ?

Sur une vue sommaire des choses on le pourrait penser[71]. Postumius, aussitôt, la paix conclue avec Teuta, expédie une ambassade aux Aitoliens et aux Achéens[72] ; à peu de temps de là, c'est, le Sénat lui-même qui envoie ses légats à Corinthe et à Athènes[73]. Polybe prend soin d'insister sur ces premiers rapports publics des Romains avec le monde grec[74]. Et, certes, l'événement pourrait être de grande conséquence. Il pourrait ouvrir un chapitre nouveau dans l'histoire extérieure de Rome il pourrait marquer le début d'entreprises par lesquelles le Sénat interviendrait assidûment en Grèce, la soumettrait a son influence, la travaillerait contre la Macédoine. Et, faisant réflexion que les Achéens et les Aitoliens ont de tout temps été les adversaires des Antigonides et se sont récemment, unis pour combattre Démétrios[75] ; que l'Aitolie est encore en armes contre lui ; que Corinthe s'est naguère affranchie du joug macédonien, et qu'Athènes, l'année même de l'expédition d'Illyrie, vient de suivre cet exemple[76], on est, effectivement tenté d'expliquer par des desseins politiques la double démarche de Postumius et du Sénat[77]. Mais ce serait là se méprendre.

Cette double démarche est de pure forme. En Aitolie et en Achaïe tout se réduit à des démonstrations de courtoisie, à un échange de politesses diplomatiques. Aux deux nations grecques les représentants du consul exposent les raisons qui ont déterminé les Romains à passer le détroit, font le récit de la campagne victorieuse d'Illyrie, donnent lecture du traité imposé à Teuta[78]. Bref, ils s'appliquent à justifier l'intervention romaine, à dissiper les craintes qu'on en a pu concevoir, à en faire valoir les heureux effets, et, par une déférence flatteuse, affectent de solliciter l'approbation des Achéens et des Aitoliens. Ceux-ci leur répondent par des décrets louangeurs, prodiguent aux Romains les témoignages de leur φιλανθρωπία[79]. Mais les choses s'arrêtent là. Ni en Achaïe, ni en Aitolie, les délégués de Postumius n'engagent de négociations ; et personne n'en vient engager après eux, car leur ambassade n'est suivie d'aucune autre[80]. Rome croit assez faire en adressant un salut courtois aux deux grandes confédérations helléniques ; elle ne songe point à se les attacher[81]. Elle n'y songera de longtemps : seize ans se passeront avant qu'elle s'unisse par un traité à l'Aitolie ; trente ans, avant qu'elle essaye d'obtenir l'alliance des Achéens. Si Postumius a député auprès de ces deux États, c'est qu'ils se sont tout à l'heure efforcés de défendre contre les Illyriens les intérêts communs des Grecs[82], et que les Romains, prenant leur place, viennent d'accomplir la tâche qu'ils avaient assumée en vain. Et, de même, si les délégués du Sénat se montrent à Corinthe et à Athènes, c'est à seule fin de recueillir dans ces deux grandes places de commerce[83], les plus actives de la Grèce, les plus intéressées, partant, à la répression de la piraterie, de félicitations et des remerciements. On ne les leur ménage pas : Corinthe, nous l'avons vu, ouvre aux Romains le sanctuaire de l'Isthme ; Athènes vote sans doute en leur honneur quelques-uns de ces décrets ampoulés qu'elle met sa gloire à rédiger[84]. Du coup, la mission des légats est terminée ; elle demeure sans effets politiques. Entre les Corinthiens et le Peuple romain aucun lien n'est formé[85] ; dans cinq ans, Corinthe retombera sous l'autorité de la Macédoine[86], sans que personne, à Rome, songe a s'en inquiéter ; et Athènes, quoi qu'on ait dit souvent, ne devient ni l'alliée ni l'amie publique des Romains.

L'opinion contraire est fort répandue ; une courte discussion ne sera donc point inutile.

Quelques érudits sont d'avis que, peu après 228, lors de la venue à Athènes des légats du Sénat, une alliance fut conclue entre l'État romain et les Athéniens[87]. Ils n'ont point prêté une suffisante attention au texte même qu'ils allèguent, au seul qu'ils puissent alléguer. Ce texte se trouve dans Dion-Zonaras[88]. On voit que, dans ces lignes, il est question de φιλίας mais nullement de συμμαχία ; le mot alliance n'y figure point[89]. Les Romains ont contracté amitié avec les Athéniens ; autrement dit, les deux nations se sont unies par un fœdus amicitiæ : voilà ce que rapporte Dion. — Reste à savoir si ce renseignement est exact. Ce qui le rend, a priori, suspect, c'est que les Athéniens ne se seraient point contentés de former amitié avec les Romains : ils leur auraient conféré la πολιτείς et le droit de « prendre part aux Mystères[90]. Que ces dernières assertions soient inacceptables, on n'en peut raisonnablement douter[91], et, dès lors, la première inspire de naturelles défiances. Le fait est qu'il la faut rejeter, et pour un double motif.

Polybe mentionne en ces termes la venue des ambassadeurs romains à Corinthe et à Athènes (II, 12. 8). Au sujet des honneurs conférés par les Corinthiens aux Romains, il y a, comme on voit, accord entre Polybe et Dion ; celui-ci ajoute seulement un détail : le nom du premier Romain qui remporta le prix de la course aux Isthmiques. Mais, s'il s'agit de ce qui eut lieu à Athènes, la discordance saute aux yeux : Polybe est muet, ainsi qu'il s'y fallait attendre, sur l'admission des Romains au Mystères et sur l'octroi, qu'on leur aurait fait en bloc, de la πολιτεία ; il est muet aussi sur cette amicitia qu'Athéniens et Romains se seraient empressés de contracter. Argumentum ex silentio, dira-t-on ; mais le silence de Polybe est plus considérable que l'affirmation de Dion. Qui croira que Polybe ait pu pécher ici par oubli ou par omission ? Il s'attache à signaler l'importance historique des plus anciennes ambassades envoyées par les Romains en Grèce ; si les Romains, dès ce premier contact avec les États grecs, s'étaient liés par traité au plus illustre d'entre eux, comment eût-il négligé de le rappeler ? La conclusion de ce fœdus aurait été un événement pour le moins aussi digne de mémoire que l'admission des Romains aux fêtes de l'Isthme. Le silence de Polybe inflige ainsi à Dion un démenti sans réplique. L'antique φιλία de Rome et d'Athènes, inconnue de Polybe, ne peut point avoir de réalité : ce n'est qu'une invention de l'Annalistique romaine.

Au surplus, nous savons par Polybe (dans Tite-Live) quelle conduite tint le peuple athénien durant la première guerre de Rome contre Philippe. Il ne prit aucune part à cette guerre, bien qu'il se trouve encore des historiens qui s'obstinent dans cette vieille erreur[92] ; mais, à la suite et à l'exemple du roi d'Égypte, dont l'influence était sur lui toute-puissante[93], à la suite et à l'exemple des Rhodiens et des cités qui leur faisaient cortège, il s'efforça d'y mettre fin en réconciliant les Aitoliens avec Philippe[94], c'est-à-dire en les détachant de l'alliance romaine. Qu'une telle conduite fût incompatible avec la qualité d'amici populi Romani, nous l'avons dit lorsqu'il s'agissait des Rhodiens et de Philopator ; il le faut répéter au sujet des Athéniens ; et voilà dès lors la preuve qu'au temps de la première guerre de Macédoine, soit quelque vingt années après la démarche faite par le Sénat, ils n'avaient point encore formé d'amitié publique avec Rome.

 

§ IV. — ROME ET ANTIGONE DOSON.

Ainsi, pas plus que les ambassades envoyées en Aitolie, en Achaïe, à Corinthe, celle qui vient, vers la même époque, visiter les Athéniens n'a de caractère politique ; ainsi, victorieuse en Illyrie, Rome ne fait point usage de sa victoire pour tenter d'exercer une action politique sur la Grèce. Et, vraiment, la chose est singulière, et il semble bien qu'ici la prudence du Sénat soit en défaut.

En effet, l'intervention romaine en Illyrie aura, par un enchaînement inévitable, des suites qu'il lui faut prévoir et qu'il doit surveiller ; la précaution même qu'il a prise contre la Macédoine lui impose, semble-t-il, l'obligation d'en prendre d'autres ; par ce qu'il a fait, et pour maintenir et garantir ce qu'il a fait, il se trouve engagé à faire davantage. Naturellement, Antigone, qui vient de succéder, comme tuteur de Philippe, à Démétrios II, s'est senti touché par la défaite de Teuta, alliée de sa maison ; naturellement, pour lui comme pour tout souverain macédonien, l'Illyrie est à l'Occident ce qu'est la Thrace à l'Orient, un simple prolongement, une dépendance nécessaire de la Macédoine ; naturellement, il a vu où tendait l'effort des Romains ; naturellement, il a compris qu'ils le voulaient borner à l'Ouest et lui fermer la mer ; naturellement, ce qui, de leur part, n'était que mesure préventive lui a paru entreprise agressive. A ses yeux, l'établissement de leur suzeraineté sur la Basse-Illyrie est tout ensemble une atteinte à ses droits, une offense et une menace. La menace, si les dieux le permettent, il essaiera de l'écarter ; l'offense, il s'efforcera de la venger : ses droits, il s'appliquera a les faire respecter. Pour l'instant, d'autres tâches le réclament. Tout occupé de repousser les Dardaniens[95], de contenir les Aitoliens[96], de réprimer les Thessaliens insurgés[97], il ne saurait disputer l'Illyrie aux Romains. En face d'eux il a les mains liées ; mais, plus tard, il se peut qu'il les fait libres. Rome s'est fait un ennemi qui ne lui pardonnera pas[98]. Ceci n'a point échappé au consul Postumius : s'il s'est abstenu d'envoyer une ambassade à la cour de Pella, c'est qu'il a craint sans doute qu'elle y fût mal reçue[99], c'est qu'il a jugé qu'avec Antigone nul accommodement n'était possible ; mais cette abstention même, ce parti pris de ne le point connaître, est pour Antigone un affront que ni lui, ni Philippe, son pupille, ne sauraient oublier. Désormais, le Peuple romain devra compter avec l'hostilité des rois de Macédoine ; ils pourront la laisser sommeiller, ils la feront éclater quelque jour. C'est pourquoi il serait à propos qu'il se prémunit contre eux, qu'à cet effet il attirât à soi ceux des peuples grecs qui sont, par tradition, ennemis des Macédoniens, et, pour employer le langage cher aux historiens modernes, qu'il s'immisçât activement dans les affaires de Grèce. Ce qu'il vient d'accomplir en Illyrie ayant fait de lui, par la force des choses, l'adversaire de la Macédoine, on s'attendrait à le voir, usant de la tactique familière aux rois d'Égypte, armer la Grèce contre les Antigonides. Ayant pris pied en terre hellénique, il s'est mis, semble-t-il, dans la nécessité d'avoir une politique hellénique, laquelle ne saurait être qu'anti-macédonienne. Mais il se dérobe à cette nécessité, il élude cette logique, et les conséquences sont étranges.

Elles ne tardent point à se produire : elles se produisent dès le temps même que nous étudions. L'histoire nous offre là un spectacle imprévu. — Au moment où les légions débarquent en Illyrie, la monarchie antigonide connaît des jours tragiques. Je viens de rappeler l'invasion dardanienne, les menaces des Aitoliens, la rébellion de la Thessalie. Vers le même temps, dans la Grèce entière, contre le despotisme étranger, le soulèvement national et républicain[100] se fait unanime. La Béotie, rompant son alliance avec la Macédoine, se rapproche des Achéens et des Aitoliens ; Athènes se déclare indépendante ; Aigine et les dernières villes du Péloponnèse gouvernées par des tyrans, Argos, Phleious, Hermioné, se donnent à l'Achaïe[101]. Au sud de l'Olympe, hormis l'Eubée et quelques restes de la Thessalie, le successeur de Démétrios a tout perdu[102] : c'est l'effondrement de la puissance macédonienne. — Pour les Romains, nul événement plus heureux que celui-là. Il semblerait donc que, par leurs soins, par leur intervention déclarée ou déguisée, par leur action manifeste ou latente, l'effondrement dût être définitif. Mais c'est tout le contraire qui arrive. Ils négligent d'aider à la catastrophe, et la catastrophe est vite conjurée. La guerre d'Illyrie s'achève à peine que la Macédoine sort de la crise terrible qui, coïncidant avec les opérations des consuls, en a facilité le succès ; puis, au bout d'un temps très court, redevenue aussi forte ou devenue plus forte qu'aux meilleurs jours de Gonatas, elle commande de nouveau à l'Hellade. Au lendemain de la défaite de Teuta, Antigone arrête et chasse les Dardaniens, décide, par l'abandon de la Thessalie occidentale, les Aitoliens à se tenir en paix, rétablit le calme et l'ordre dans ses États[103]. Et, un peu plus tard, en l'espace de trois ans, il acquiert l'alliance docile de l'Achaïe, obligée de mendier son secours contre Sparte, réduit à l'isolement l'Aitolie, impuissante et craintive[104], recouvre Corinthe, station navale inestimable s'il lui plaît de se refaire une marine, prend et garde Orchomène et Héraia, s'établit de la sorte au centre du Péloponnèse, abat Kléomènes, seul adversaire qui lui pouvait tenir tête, restaure enfin l'ancienne Confédération hellénique, et, par la Symmachie nouvelle, range neuf peuples, dont Sparte elle-même[105], sous sa domination ou son hégémonie. Tel est le changement immense — bien fait pour inquiéter les Romains — qu'on voit s'accomplir dans les rapports des Grecs et de la Macédoine au cours des sept années qui suivent les victoires de Fulvius et de Postumius. Par là, notons-le, les résultats mêmes de ces victoires peuvent être remis en question. En effet, il importe assez peu qu'Épidamnos et Apollonia échappent, à Antigone, si, tenant dans sa dépendance l'Épire, l'Akarnanie et l'Achaïe, il dispose à son gré d'Onchesnios et de Leukas, d'Aiglon et de Patrai. Sans doute, de ces ports à ceux d'Italie la distance est plus grande que des échelles illyriennes ; elle est plus grande, mais pourtant trop courte : de Patrai il ne faut que quelques jours pour atteindre Hydrous ou Brundisium ; de Corinthe même, un vaisseau bon marcheur peut, en moins d'une semaine, atterrir aux plages de la Messapie. S'il est vrai que le Macédonien puisse être pour le Peuple romain un dangereux voisin, c'est assurément chose fâcheuse que ce rivage, long de deux mille stades, qui, du golfe de Kalydon au promontoire de Khimara, fait face à la Grande-Grèce, se trouve presque entier sous ses prises[106]. Cependant, témoin des progrès et des succès d'Antigone, le Sénat n'a tenté ni de l'entraver ni de le contrarier. Sept ans plus tard, il s'étonnera et s'irritera que la maison royale de Macédoine soit si florissante[107] ; c'est lui qui a permis qu'elle reprit force et vigueur. Pour lui faire obstacle, il avait, dès 228, les instruments à portée : c'étaient les nations de l'Hellade ; il ne lui a pas convenu de s'en servir.

Cette inaction remarquable du gouvernement romain, les historiens modernes ont voulu l'expliquer. A les en croire, si le Sénat demeure pendant sept ans si étranger aux choses de la Grèce et de la Macédoine, c'est que toutes ses pensées se doivent tourner ailleurs ; c'est que, d'une part, le relèvement de la puissance punique et les entreprises des Barkides en Espagne, et, de l'autre, les menées des Gaulois qui méditent leur grande invasion, puis cette invasion même, sollicitent et retiennent toute son attention[108].

Mais ce n'est là qu'un de ces semblants d'explication dont les historiens ont la commode habitude. Ils oublient trop que les hommes publics, comme aussi bien les simples hommes, sont susceptibles de porter à la fois leur attention sur des objets divers. Au reste, il ne semble point que le Sénat ait d'abord suivi d'un regard si vigilant ce qui se préparait en Espagne et dans la Cisalpine ; c'est bien plutôt le contraire qui est vrai. On s'est étonné, non sans raison, qu'après leur tentative avortée contre Ariminum[109], il ait, dix ans de suite, laissé les Boïens refaire leurs forces et s'assurer le concours des Gaisates transalpins, sans essayer de les prévenir par une attaque vigoureuse[110]. Et, s'il s'agit de l'Espagne, sa longue somnolence dont parle Polybe[111], favorisa plus qu'il n'aurait fallu les projets d'Hamilcar et Hasdrubal. Assurément, en 228, ni les Barkides ni les Gaulois n'occupaient tellement les Patres qu'ils n'eussent pu négocier avec les Aitoliens et, peut-être, par la promesse d'un secours militaire, les détourner et s'accommoder avec Antigone. Plus tard, en 226 ou 225[112], la convention de l'Èbre mit un terme provisoire aux appréhensions causées par les Puniques. Et quant à l'invasion celtique, s'il est vrai qu'à un certain moment, le péril effrayant[113] qu'elle semblait apporter avec elle agita les Romains d'une immense inquiétude et requit tout leur effort, on ne saurait oublier que cette crise d'anxiété fut extrêmement brève. Il se peut que l'année 225 ait été l'année de la plus grande terreur romaine[114] ; mais, avant la fin de cette même année, doublement vainqueurs à Télamon, ayant en une journée anéanti les deux armées des envahisseurs[115], les Romains commençaient déjà de prendre contre les Gaulois cette victorieuse offensive qui aboutit, en moins de quatre ans, à l'entière soumission des peuples cisalpins. Or, c'est seulement dans le courant de 223 qu'Antigone s'unit aux Achéens, descend dans le Péloponnèse, et reconstitue l'Alliance de Corinthe ; et ce n'est qu'au printemps de 222 qu'il ouvre la campagne contre Kléomènes[116]. A cette époque, la guerre celtique touche à sa fin ; et, au surplus, il est trop évident qu'elle n'a jamais privé l'État romain du libre emploi de sa marine. On ne voit donc guère ce qui eût empêché les Patres de tendre la main au roi de Sparte, de lui venir en aide dans l'instant où Ptolémée l'allait abandonner, et, par envoi de quelques vaisseaux et l'octroi de quelques subsides, de rendre moins inégale la lutte qu'il soutenait contre le Macédonien[117].

Ce que le Sénat ne fit pas, il faut dire, non qu'il ne le pouvait, mais qu'il ne le voulut pas faire, ou n'y songea pas. Peut-être, bien que la chose paraisse peu croyable, l'idée ne lui vint-elle pas d'agir en Grèce contre Antigone ; s'il eut cette idée, il refusa ou dédaigna de s'y arrêter. Dans un cas comme dais l'autre, on voit s'il est exact de prétendre qu'il saisissait avec empressement les occasions de se mêler aux affaires du monde hellénique[118].

 

§ V. — RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

Résumons les observations qui précèdent et voyons ce qui se dégage.

La venue et le premier établissement des Romains dans la péninsule grecque est un événement qui, dans les exposés des historiens modernes, revêt un caractère singulier de fatalité. Ils y voient l'accomplissement d'une nécessité presque inéluctable ; ils ne doutent pas que, plus tôt ou plus tard, il ne dût se produire. L'interventio de Rome dans les pays grecs, écrit fermement l'un d'eux, n'était et ne pouvait être qu'une question de temps[119]. S'ils en jugent de la sorte, nous savons pourquoi. Ils partent de l'idée que l'ambition de Rome croissait fatalement avec ses succès[120] ; que, poussés par cette ambition, les Romains devaient fatalement entrer en rapports toujours plus suivis avec l'Orient[121] ; et que le Sénat eut, de très bonne heure, l'intention arrêtée de l'étendre à l'est de l'Italie[122]. Par malheur, est là une conviction que rien n'autorise. Cette intention qu'on attribue aux politiques de Rome, on la leur attribue gratuitement ; jamais, jusqu'en 229-228, ils ne l'ont laissé paraître. Rome souffre que les offenses des Illyriens demeurent longuement impunies ; et tandis qu'au midi de la Gaule, elle cultive, de temps immémorial, l'amitié de Massalia, tandis qu'elle a des alliés ou des clients au pied des Pyrénées[123], et qu'elle en aura tout à l'heure parmi les tribus maritimes de la Catalogne[124] et jusqu'au sud de l'Èbre[125], elle ne compte pas une seule cité amie sur ces rivages de Grèce qui touchent presque l'Italie ; et, pareillement, avant 228, l'État romain en est encore à ignorer Athènes et Corinthe. Tels sont les faits, très dignes d'attention, qu'on oublie trop et qu'il importe de retenir. C'est seulement la guerre contre Teuta qui amène les Romains dans les eaux grecques ; et c'est d'abord et principalement pour assurer les conséquences de leur victoire, qu'ils font entrer dans leur empire quelques districts du littoral. Mais ce serait se tromper de façon trop grossière que de voir dans cette guerre le fruit patiemment mûri d'un dessein formé à loisir. Quoi qu'on en ait dit, elle rte prouve aucunement que Rome attachât une importance particulière à ce qui se passait en Orient[126], Elle n'est que l'effet soudain de circonstances qui échappaient aux prévisions ; elle n'est, au. vrai, qu'un accident ; en sorte que l'événement qu'on représente comme fatal est lui-même tout accidentel. Supposons qu'en 230, à Phoiniké, les corsaires d'Illyrie n'eussent point mis à mort des navigateurs italiens, ou que, la même année, Teuta se fût montrée traitable, combien se serait-il passé de temps avant qu'une flotte romaine abordât en terre grecque ? Nous l'ignorons parfaitement. Il est clair, a-t-on dit, qu'une puissance telle que Rome ne pouvait rester... spectatrice inactive de ce qui advenait en Grèce et en Orient[127]. Cela n'est pas si clair. Sans y prendre garde, nos historiens posent d'abord en principe que les choses n'eussent pu être différentes de ce qu'elles ont été ; ainsi, pour devenir fatales, elles n'ont besoin que d'arriver.

Observons à présent, car cette remarque n'a guère été faite, que si les Romains entrent enfin en rapports avec quelques États grecs, ce n'est point d'emblée ni par une démarche directe, mais par une sorte de ricochet, et seulement à l'occasion et a la suite de la guerre d'Illyrie. La première ambassade romaine que les Hellènes voient paraître devant eux n'est point venue d'Italie elle arrive de Kerkyra ou d'Apollonia[128] ; ce n'est point le Sénat, c'est l'un des consuls vainqueurs de Teuta, qui l'a envoyée aux Aitoliens et aux Achéens ; et les ambassadeurs n'ont d'autre mission que de notifier à ces peuples les utiles résultats de l'expédition qui prend fin. Plus tard, la présence des légats sénatoriaux à Corinthe et à Athènes a pareillement pour cause la victoire de Rome sur les corsaires. Ainsi, ce premier et tardif rapprochement qui s'opère entre Romains et Grecs, n'étant que la conséquence d'un fait dont il faut reconnaître le caractère accidentel, n'est, à son tour, qu'un accident. Supposons que la guerre d'Illyrie n'eût point eu lieu, combien d'années se fussent-elles écoulées avant qu'une ambassade fît route de Rome en Grèce ? Nul ne le saurait dire.

Tant y a que le rapprochement se fait. Mais est-il tel qu'il devrait être si les Romains, rêvant déjà de s'imposer en maîtres à l'Hellade, avaient le désir intéressé de la pénétrer de leur influence ? Nous avons vu que non ; nous avons vu combien, pour l'historien, il est, si je puis dire, chose décevante. Il pourrait être fécond et demeure stérile ; il reste dans l'histoire des deux pays un fait épisodique, sans portée ni conséquences. Polybe parle de la 'Ρωμαίων έπιπλοκή είς τούς κατά τήν Έλλάδα τόπους[129] ; il faut prendre garde d'exagérer la signification de ces mots[130]. Un moderne, les commentant à sa guise, montre la diplomatie [ ?] romaine accomplissant en Grèce une œuvre grandiose : ... Elle avait, dit-il, mis Rome en relations avec les ligues étolienne et achéenne, avec Corinthe, avec Athènes, c'est-à-dire avec tout ce qui représentait en Grèce la force militaire, l'organisation politique [ ?], la richesse présente et les grands souvenirs d'autrefois[131]... Mais la seule question est de savoir si ces relations persistèrent, s'affermirent, devinrent étroites, et s'il en résulta enfin quelque union durable. Il n'en est rien. Tout de suite après la guerre d'Illyrie, Romains et Grecs s'oublient, redeviennent aussi étrangers qu'avant cette guerre, et continuent, de chaque côté de la mer, de vivre leur vie à part : nous le verrons de reste tout à l'heure quand nous étudierons les événements des années 220-217. Entre eux il n'existe ni liaison d'intérêts, ni commerce d'amitié ; de la Grèce propre, le Peuple romain ne connaît que les trois cités qu'il a rangées sous sa tutelle, Épidamnos, Apollonia et Kerkyra. Si l'on voit les choses dans leur vérité, il n'est point exact qu'en 228 Rome ait noué des relations avec les Grecs ; elle en a semblé nouer, mais ce n'est qu'apparence : elle n'a fait, en réalité, que se montrer à eux. On a parlé des desseins futurs du Sénat sur la Grèce[132], qu'il aurait laissé percer dès ce temps-là ; on a dit que les succès remportés sur Teuta servaient à merveille ses projets du côté de l'Orient[133]. Ces desseins, ces projets, on ne les découvre nulle part ; mais, au contraire, s'il s'agit de la Grèce, ce qui est frappant dans le Sénat, c'est l'absence de tout dessein qui la concerne. Il devrait, semble-t-il, en avoir ; l'intérêt de Rome le voudrait ainsi. Il serait naturel qu'ayant, indirectement mais certainement, offensé et lésé la Macédoine en s'en voulant garder, il s'assurât contre les revanches qu'elle médite ou prépare, cherchât parmi les Hellènes des auxiliaires, faciles à trouver, qui l'aideraient à la tenir en respect. Il s'en dispense ; et par là sa prudence trop courte devient de l'imprudence, et ces soins males qu'il a pris, afin de limiter vers l'Occident la puissance des Antigonides, vont être pour Rome une cause de périls nouveaux.

A partir de l'an 228, aux concours fameux de l'Isthme célébrés à la gloire de Poséidon, les athlètes, chanteurs et musiciens, venus de Rome ou de l'Italie romaine, les 'Ρωμαίοι, comme on les appelle, sont admis à l'honneur de disputer aux Hellènes les couronnes illustres faites de l'ache sacrée[134] : tel est, en Grèce, le seul gain que retirent les Romains de leurs victoires d'Illyrie, et c'est de quoi se contente alors leur ambition, qu'on dit si insatiable.

 

 

 



[1] Sur la date de l'expédition d'Illyrie, voir De Sanctis, III, 1, 297, note 89, à l'avis duquel je me range pour tout l'essentiel.

[2] G. Colin, Rome et la Grèce, 29.

[3] G. Colin, 24.

[4] G. Colin, 663 ; cf. 36 ; 46.

[5] G. Colin, 49 ; 663.

[6] G. Colin, 46 : Nous nous rendons bien compte du danger que court, dès la fin du le siècle, l'indépendance de la Grèce.

[7] Le seul récit des origines de la guerre et de la guerre elle-même, qui mérite créance, est celui de Polybe (Fabius P) : II, 8 sqq. Dion (fr. 49. 3-7 ; I, 180-182 Boissev. = Zonaras, VIII, 19. 4-6) fourmille d'erreurs grossières. Il suffira de relever les suivantes : Teuta fait massacrer plusieurs ambassadeurs et emprisonner les autres (49. 3) ; — Démétrios de Pharos devient un agent de Teuta envoyé aux consuls pour traiter avec eux et leur remettre Korkyra (Zonar., 19. ; l'expédition des Illyriens contre Épidamnos et Apollonia (49. 6, = Zonar., 19. 5), comme aussi la défection de Démétrios (49. 7 s-e-Zonar. 9. (3), est placée beaucoup trop tard ; — ce qui est dit des vaisseaux remplis de trésors, envoyés du Péloponnèse à Teuta et capturés par les Romains (Zonar., 9. 6), ne se comprend pas (il semble que Dion mêle ici des faits rapportés par Polybe à eux dates différentes : II, 5. 1 et II, 14) ; enfin ; la longue histoire alternée des défaillances de la reine et de ses retours d'audace parait n'avoir été imaginée que pour lustrer le thème (49. 4), dont l'idée première peut avoir été suggérée par les indications de Polybe : II, 4. 8 ; 8. 12 : j'ai dit ailleurs que le prétendu recours des habitants d'Issa aux Romains (Dion, fr. 49. 1-2) ne peut être tenu pour historique. Je ne m'explique pas bien que De Sanctis ait, dans son exposé de la guerre d'Illyrie (III, 1, 293-298), fait emprunt à Dion en même temps qu'à Polybe.

[8] Voir, par exemple, ce qu'écrit G. Colin, (Rome et la Grèce, 24) : ... Si l'on (le gouvernement romain) songeait de ce côté aussi (du côté de l'Orient) à prendre l'offensive, il était bon de s'assurer des points d'appui sur la côte grecque. De là la campagne d'Illyrie. Ici le prétexte fut du moins honorable... Cf. Niese (II, 281), L. Homo, Rev. Histor., t. 122 (1916), 17. — C'est là une manière tendancieuse et fausse de présenter les faits. J'ai déjà fait observer que l'occasion de châtier les Illyriens s'offrait depuis longtemps et chaque jour aux Romains.

[9] Polybe, II, 4. 6-7 ; cf. Dion, fr. 49. 3 (I, 181 Boissev.) ; Appien, Illyr., 7. — De Sanctis, III, 1, 293, note 74. — Teuta exerce le pouvoir pendant la minorité de Pinnès, fils d'Agron et de Triteuta.

[10] Polybe, II, 8. 2.

[11] Polybe, II, 8. 3.

[12] Polybe, II, 8. 3.

[13] Cf. Polybe, II, 8. 6 ; 8. 8.

[14] La chose est également vraie du récit (du reste sans valeur) de Dion, qui nous montre complaisamment le Sénat débonnaire se laissant amuser par les feintes soumissions de la reine.

[15] Il faut noter que les Romains ne commencent leurs armements qu'après l'échec des négociations et le retour de l'ambassade : Polybe, II, 8. 13.

[16] Cf. Polybe, II, 4. 8.

[17] Cf., à ce sujet, les remarques faites par De Sanctis, III, 1, 296.

[18] Polybe, II, 8. 7.

[19] Polybe, II, 8. 8.

[20] Polybe, II, 8. 10-11. — La réflexion de Polybe (8. 9) est intéressante en ce qu'elle montre que Polybe n'est pas, comme on pourrait le craindre, systématiquement favorable aux Romains. — T. Frank (Roman Imperialism, 116) croit à tort que L. Coruncanius signifia un ultimatum à Teuta ; les paroles prononcées par le légat gardent un caractère privé.

[21] Polybe, II, 8. 12 ; cf. 4. 8.

[22] Polybe, II, 8. 12. — Il est clair qu'on n'a jamais pu savoir si Teuta avait donné l'ordre 'assassiner le légat romain ; et il est sans doute assez vain de se poser la question. Mais il ressort du silence de Polybe que la reine jugea superflu de décliner la responsabilité du meurtre, et qu'elle ne fit point part de ses regrets au Sénat. Une telle conduite autorisait tous les soupçons. Chez Dion (fr. 49. 5 = Zonar. VIII, 19. 4), Teuta essaie de se disculper, mais seulement après que la guerre lui a été déclarée à Rome.

[23] Polybe, II, 9. 1 (printemps de 229).

[24] Polybe, II, 9. 2 — 10. 9.

[25] Polybe, II, 8. 13. - D'après Dion (fr. 49. 5 = Zonar. VIII, 19. 4), il y aurait eu, à Rome, ne déclaration de guerre en forme ; la chose est possible, bien qu'en raison des circonstances, une telle déclaration ne fût pas du tout indispensable.

[26] Cf. Niese, II, 286 ; De Sanctis, III, 1, 297, note 89. La mort de Démétrios, arrivée probablement dans l'hiver de 229/228, n'a précédé que de peu de mois le départ des Romains pour l'Illyrie (cf. Polybe, II, 44. 2). — Sur l'invasion des Dardaniens en Macédoine, qui fait suite à cette mort : Justin, 28. 3. 14 ; cf. Trogue Pompée, prol., 28.

[27] Niese se méprend certainement lorsqu'il écrit, (II, 286) : ...man darf wohl annehmen, diss Zeit und Ausführung ihres Unternehmens (der Römer) dadurch [il s'agit de la mort de Démétrios et de ses conséquences] wesentlich mit bestimmt worden sind. Démétrios aurait continué de vivre, que l'expédition romaine n'en aurait pas moins eu lieu et sans retard.

[28] Polybe, II, 11. 1 sqq.

[29] On s'est étonné, non sans motif, d'un si grand déploiement de forces (voir, par exemple, G. Colin, Rome et la Grèce, 25). Il est sûr que, pour avoir raison de Teuta, point n'était besoin de tels armements. On n'avait que faire de 200 vaisseaux contre les lemboi et la reine ; et la mise sur pied de 20.000 hommes parait d'autant plus surprenante que es Romains, comme le montre l'histoire de l'expédition, avaient résolu de ne point s'en. alter profondément dans les terres (cf. Beloch, III, 1, 689, 1). D'autre part, dire que le Sénat voulait frapper par un grand coup l'imagination des Grecs (G. Colin, ibid.), c'est ne rien expliquer. Le plus probable me parait être qu'à Rome, où la situation, en e moment fort embarrassée, de la Macédoine n'était qu'imparfaitement connue, on craignait qu'elle ne se portât au secours des Illyriens.

[30] Polybe, II, 11. 10 ; sur cette opération, qui ne parait point avoir eu beaucoup d'ampleur, cf. De Sanctis, III, 1, 300 et note 93 ; Zippel, Röm., Herrsch. in Illyrien, 51.

[31] Polybe, II, 11. 13 : échec près de Noutria (?).

[32] Je suis ici Polybe (II, 12. 1), sans me troubler de la difficulté, signalée par De Sanctis (III, 297, note 89), qui résulte de l'indication des Fasti triumph, relative au triomphe de Gn. Fulius. Ne peut-on tenir cette indication pour suspecte, comme mainte autre de leur origine ?

[33] Voir les remarques de Beloch (III, 1, 689, 1) sur le récit de Polybe l'armée romaine vite de pénétrer dans l'intérieur de l'Illyrie.

[34] Mommsen, R. G., I7, 549.

[35] Sur l'impuissance des lemboi contre les vaisseaux de ligne, cf. Polybe, V, 109. 2-3, 110. 4. A Paxos, ils sont enfoncés par les navires kataphraktes des Aitoliens et des Achéens (Polybe, II, 10. 4) ; si, dans cette rencontre, les Illyriens finissent par être vainqueurs, c'est que l'escadre ennemie ne compte que dix navires, et qu'usant de stratagème et forts de leur grand nombre, les épibates embarqués sur les lemboi s'élancent à l'abordage et combattent comme à terre (ibid.). A Khios, en 201, les lemboi de Philippe causent le sérieux embarras à la flotte rhodienne (Polybe, XVI, 4. 8-10) à celle d'Attale, mais Attale et les Rhodiens réussissent pourtant à en couler ou revendre soixante-douze (7. 1-2).

[36] Cf. Polybe, II, 11. 2 : Cn. Fulvius cingle et droiture vers Kerkyra : c'est le premier but qu'il s'est assigné.

[37] Cf. Polybe, II, 12. 3 (défense faits aux illyriens de naviguer plus loin que Lissos) ; 12. 5-6.

[38] Je ne sais comment Niese peut écrire (Grundriss 4, 106) : Anderseits machten die Römer bei dieser Gelegenheit gemeinschaftliche Sache mit den Ätolern und Achäern, die mit Maliedonien in Krieg lagen.

[39] Cf. Polybe, XVIII, 45. 9, et le discours de T. Quinctius à Nabis en 195 : T. Live, (P. ?) 34., 2. 13.

[40] Dans ce qui suit, je ne fais guère que reproduire, en la rectifiant sur quelques points de fait, l'argumentation de G. Colin (Rome et la Grèce, 25-26).

[41] Notamment l'Atintania. Il n'est pas douteux que les Parthiniens (cf. Polybe, II, 11. 11) fussent devenus aussi sujets des Illyriens. — comme on l'a généralement reconnu, l'affirmation de Polybe (II, 12. 3) — est singulièrement exagérée.

[42] Cela résulte de Polybe, III, 16. 3 ; 1V. 16. 6 ; cf. Zippel, Rom. Herrsch. in Illyrien, 4 ; Niese, II, 284, 4.

[43] Il n'est parlé dans Polybe que de l'interdiction faite aux Illyriens d'envoyer leurs lemboi au sud de Lissos : II, 12. 3 — ; mais il va de soi que leurs troupes de terre doivent aussi respecter cette limite. Cf. Täubler, Imp. Romanum, I, 77 ; Zippel, 53.

[44] Polybe, II, 12. 3. — Comme l'a bien vu Beloch (III, 1, 689, 1), il s'agit là d'une indemnité de guerre payable par annuités ; pour le même emploi du mot φόρος, cf. Polybe, XV. 20. 7 ; XVI II, 44. 7, etc. Si l'on admet l'indication, à la vérité très douteuse, qui se trouve dans T. Live (Ann.), 22. 33. 5, l'indemnité n'aurait pas encore été versée entièrement en 217.

[45] Polybe, comme l'a remarqué De Sanctis (III, 1, 302, note 98), s'exprime avec une évidente exagération (II, 11. 17). — De Sanctis (302) pense que Démétrios fut mis par les Romains en possession de Lisses et de la région avoisinante. Cela me parait douteux, car Démétrios demeura maître de Pharos, son domaine patrimonial, et la distance est bien grande entre Pharos et Lissos. Le plus probable, semble-t-il, est que sa δυναστεία comprenait, avec Pharos, quelques îles et localités de terre ferme situées dans le voisinage (cf. Beloch, III, 1, 689 ; Niese I, 284). Au reste, on ne peut sur cette question énoncer que des conjectures.

[46] Cf. Mommsen, R. G., I7, 550.

[47] Dédition des Kerkyréens : Polybe, II, 11. 5-6 ; — des Apolloniates : 11. 8 ; — des Épidamniens : 11. 10 ; — des Parthiniens et des Atintanes : 11. Il ; — des Isséens : 11. 12. — Polybe, à propos des Kerkyréens et des Parthiniens (11. 6 ; 11. 11), emploie l'expression παραδέχεσθαι είς φιλίαν ; mais il est évident que le mot φιλία ne désigne point ici l'amicitia publique établie par traité.

[48] Pour Orikos, que ne nomme point Polybe dans II, 11 ni VII, 9. 13, cf. T. Live, (P.) 24. 40 ; 26. 25. 2 ; Dion-Zonar., IX. 4. 4.

[49] Sur la condition de ces villes et de ces peuples à partir de 228, cf. Zippel, 87 suiv. ; Niese, II, 285 ; Beloch, III, 1, 689 et note 1 ; De Sanctis, III, 1, 301-302 ; et surtout Täubler, Imp. Romanum, I, 25 et note 2. C'est par un léger abus de terme qu'on les qualifie quelquefois d'alliés du Peuple romain (voir, par exemple, T. Frank, Roman Imperialism, 117). Leurs libertés leur furent maintenues, mais seulement à titre précaire, en vertu d'une décision gracieuse et toujours révocable. — On a pensé qu'Issa avait avec Rome un fœdus acquum (Zippel, 92-93 ; De Sanctis, III, 1, 301, note 96), parce qu'elle ne figure oint dans le traité de Philippe et d'Hannibal (Polybe, VII, 9. 13) à coté des autres localités dépendantes du Peuple romain. L'argument est sans valeur. On peut être assuré qu'Hannibal et Philippe n'ont pas poussé la subtilité jusqu'à faire une distinction entre les villes directement soumises à Rome et celles qui n'auraient été que ses alliées. Le silence ardé sur Issa dans le traité de 215 reste inexpliqué, et l'on n'en peut rien conclure quant la condition juridique de l'île.

[50] La vérité est exprimée crûment dans le traité entre Philippe et Hannibal : Polybe, VII, 9. 13 : cf. III, 16. 3. — Appien, Illyr., 7, s. f.

[51] Notamment Antigoneia, dans l'Atintania.

[52] Cf. De Sanctis, III, 1, 300.

[53] G. Colin, Rome et la Grèce, 26.

[54] Dès 315 (cf. Beloch, III, 2, 202), Apollonia avait été assiégée par les Illyriens ; elle fut alors délivrée par Akrotatos d'Épire (Diodore, XIX. 70. 7). Un peu plus tard (314 ?), a ville, ayant chassé la garnison qu'y avait mise Kassandre, se trouve réduite à se donner aux Illyriens (Diod., XIX. 89. 1).

[55] Noter ce que dit Polybe au sujet des Kerkyréens : II, 11. 5.

[56] Remarquer que, dès l'hiver de 229/228, A. Postumius, resté en Illyrie, forme un corps de troupes au moyen de contingents levés dans les villes qui se sont données aux Romains : Polybe, II, 12. 2. — Sur les auxiliaires ultérieurement fournis par les mêmes villes, voir, par exemple, T. Live, (P.) 33. 3. 10 ; 42. 55. 9 (Apolloniates) ; 44. 30. 10 (Apolloniates, Bylliniens, Dyrrhachiniens) ; cf., pour les contingents maritimes d'Issa, les textes cités par Zippel, Röm. Herrsch. in Illyrien, 92.

[57] Mommsen écrit (R. G., I7, 550) : Also traten gleich Sicilien und Sardinien auch die wichtigsten Seestationen irn adriatischen Meer in die römische Botmässigkeit ein. On voit assez que le rapprochement manque d'exactitude.

[58] G. Colin (Rome et la Grèce, 26 et note 4), reprenant et développant une opinion de Mommsen (R. G., I7, 550 et note), affirme que Rome entretint dans les îles voisines de la Grèce des agents à poste fixe, qui correspondaient avec elle et surveillaient ses intérêts. Cette idée de Mommsen, exprimée par lui-même en termes plutôt dubitatifs, n'est plus aujourd'hui admise par personne ; voir notamment Täubler, Imp. Romanum, I, 25, 2 ; De Sanctis, III, 1, 301, note 97. L'άρχων ό έν Κερκύρα mentionné par Polybe (XXI, 32. 6) n'est nullement un résident à poste fixe.

[59] Comp. l'observation de T. Frank (Roman Imperialism, 117) à propos des événements de 219 : The incident is worthy of notice ... because it proves that the senate avoided the acquisition of territory east of the Adriatic except for policing purposes.

[60] Polybe, II, 11. 11 ; cf. VII, 9. 13 ; Appien, Syr., 7-8.

[61] Sur l'importance militaire des défilés de l'Aoos, cf. Kromayer, Ant. Schlachtf., II, 36 suiv. ; Tarn, Antig. Gonatas, 311. — L'intérêt qu'attachent les Romains, d'une part, Philippe V, de l'autre, à la possession de l'Atintania apparaît bien aux conférences d'Aigion en 209 : T. Live, (P.) 27. 30. 13. Il est à remarquer qu'en 205, lorsque les Romains consentent à s'en dessaisir, l'Atintania fait retour à l'État macédonien : T. Live, (P.) 29. 12. 13 : P. Sempronius condiciones paria dixit — Atintania —, ut Macedoniae accederet. Philippe, bien qu'allié des Épirotes, ne la leur restitue point.

[62] L'Atintania, comme l'a montré Beloch (III, 2, 316 ; cf. Tarn, Antig. Gonatas, 312), dut être conquise par Kassandre en même temps que l'Illyrie méridionale. Elle tomba plus tard au pouvoir de Pyrrhos (Beloch, ibid. ; Tarn, 58) ; mais que devint-elle par la suite ? Là-dessus les opinions diffèrent. Selon Beloch (III, 2, 316-317 ; 320-321), elle serait demeurée à l'Épire jusqu'en 230 [229, Beloch], et les Épirotes l'auraient alors cédée à l'Illyrie gouvernée par Teuta (III, 2, 320-321 ; III, 1, 660). Tarn, au contraire, est d'avis que l'Atintania, reprise à l'Épire par Antigone Gonatas en 262, resta province macédonienne jusqu'en 230 (Antig. Gonatas, 312 et note 3) ; il nie que le texte de Polybe (II, 5. 6), allégué par Beloch, prouve qu'Antigoneia, principale ville des Atintanes, dépendit de l'Épire lors de la prise de Phoiniké. — Un examen attentif de la question m'a persuadé que c'est à Beloch qu'il faut donner raison. En 229, les Romains établissent leur protectorat sur l'Atintania ; c'est donc qu'à ce moment le pays est dans la dépendance de l'Illyrie : si la Macédoine avait eu jusque-là autorité sur lui, il y aurait rupture déclarée entre Rome et la Macédoine, ce qu'on ne peut admettre. Notons maintenant que, si l'Atintania avait été possession macédonienne avant de tomber aux mains des Illyriens, on ne s'expliquerait pas que ceux-ci, après s'en être emparés, fussent demeurés les alliés de la Macédoine ; mais, au contraire, on comprend très bien qu'ils aient exigé des Épirotes la ces-ion de cette contrée lorsqu'ils les reçurent dans leur alliance (Polybe, II, 6. 9-10). Du fait qu'en 230 l'Atintania appartient aux Illyriens, il faut donc conclure qu'antérieurement elle appartenait aux Épirotes. C'est d'ailleurs, comme l'a bien vu Beloch et contrairement à l'interprétation de Tarn, ce qui ressort du texte de Polybe relatif à l'expédition de Skerdilaïdas contre l'Épire (II, 5. 6). Comment Skerdilaïdas et ses 5.000 hommes auraient-ils franchi aussi simplement les défilés d'Antigoneia (cf. 6. 6) si le pays avait été en la possession des Macédoniens ? On a peine à croire que Démétrios II, qui n'était point alors en guerre avec l'Épire, eût accordé aux Illyriens libre passage sur ses territoires. Il faut admettre que, lorsqu'il traverse les défilés, Skerdilaïdas se trouve déjà en pays ennemi, c'est-à-dire en Épire. Effectivement, une partie de l'armée épirote s'empresse aussitôt à la rescousse. Tarn croit à tort que le verbe παραφυλάξοντας n'a, chez Polybe, d'autre sens que surveiller, observer. Ce verbe, comme il résulte des exemples mêmes empruntés par Tarn à Schweighäuser (Polybian. Lex. s. v.), est susceptible de plusieurs acceptions, d'ailleurs voisines. Il peut signifier : se tenir en garde contre (observare hoc et ab eo cavere, Schw.) : I, 29. 5 ; 36. 9 ; VII, 3.9 ; — ou encore : prendre garde que (cavere ne) : VII, 16. 7 ; être sur ses gardes : I, 46. 4. Mais, joint à πόλιν, χώραν, ou à un nom de ville ou de pays, il a toujours le sens de veiller sur (IV, 3. 7), garder (I, 79. 1 ; IV, 73. 1), protéger et défendre (II, 58. 2 ; V. 92. 8 ; X. 42. 1 ; XVI. 1. 3 ; XVIII, 4.6 ; XX, 5. 8) (custodire, tutari), et s'emploie volontiers en parlant de troupes amies (cf. παραφυλακή : II, 58.1 ; IV. 17. 9) préposées la garde d'une ville ou d'une contrée (in præsidio esse, præsidio tutari) : I, 79. 1 ; II, 8. 2 ; IV. 6.6 ; 73. 1 ; X. 42. 1 ; XVIII, 4. 6. En pareil cas, selon la remarque de Schweighäuser, παραφυλάττειν diffère de φρουρεΐν, ut hoc sit praesidio tenere ad compescendos cives et in officio continendos, παραφυλάττειν vero ad tutandos (tel est le sens, dans XVIII, 4. 6, des paroles de Philippe, que Tarn semble n'avoir pas bien comprises). Il suit de là que les troupes épirotes avaient pour mission de défendre Antigoneia contre les Illyriens ; en sorte qu'il n'est pas douteux que la ville, comme toute l'Atintania, ne fût alors rattachée à l'Épire. — G. Colin (Rome et la Grèce, 39) a pensé, à la suite de Droysen (III, 483, 2 ; trad. fr.), qu'au temps de l'intervention romaine, l'Atintania formait une monarchie indépendante. Cette opinion est l'invraisemblance même. Au reste, le texte d'Eutrope (3. 4) — texte sans valeur — allégué par Droysen n'indique rien de pareil. — Notons encore que Niese (II, 277) écrit à tort que l'Atintania fut soumise aux Illyriens dès le règne d'Agron ; le texte de Polybe précité (II, 5. 6) montre qu'elle ne fut enlevée à l'Épire que sous Teuta ; 'est Teuta qui règne lors des expéditions dirigées contre l'Épire (II, 4. 7-9 ; 6. 4).

[63] Cf. Nissen, Ital. Landeskunde, I, 94 : Des promontoires d'Akrokéraunie au cap d'Hydrous la distance n'est que de 63 kil. et peut être couverte en cinq heures. On compte environ 50 milles d'Hydrous à l'île de Sason (dans la baie d'Aulon) et 60 milles environ jusqu'au port d'Apollonia. Il y a 100 milles de Brundisium à Dyrrhachion (Épidamnos) et 90 milles de Brundisium à Aulon (ibid., II, 2, 878-879). — Le temps moyen pour la traversée du détroit d'Hydrous était d'un jour, comme le montrent quantité d'exemples historiques.

[64] J'ai laissé mon texte tel que je l'avais rédigé en 1913.

[65] Après le traité de l'Èbre avec Hasdrubal ; cf. T. Live, 21. 32. 4 ; 60. 3. Il y a eu de croire que les peuplades ibériques qui habitaient au nord du fleuve virent leurs fiertés garanties par les Romains : cf. Kahrstedt, Gesch. der Karthager, 375, 3.

[66] Il ne me parait pas douteux que Dimalé, dans le pays des Parthiniens, ait été soumise aux Romains dès 229.

[67] Polybe, III, 16. 4.

[68] G. Colin, Rome et la Grèce, 70.

[69] Cf. Polybe, II, 12. 6.

[70] Polybe, II, 12. 8.

[71] Cf. G. Colin, 39 : Les Romains profitent immédiatement de leur succès pour entrer en relations avec les principaux peuples de la Grèce..., et le développement qui suit.

[72] Polybe, II, 12. 4.

[73] Polybe, II, 12. 8. G. Colin (Rome et la Grèce, 40) écrit : ...D'autres ambassades suivirent bientôt à Athènes et à Corinthe (celle envoyée par Postumius en Aitolie et en Achale)... Mais les mots 'Ρωμαΐοι — άλλους πρεσβουτάς έξαπίστειλαν κτλ., ne désignent qu'une ambassade unique. — On ignore la date exacte de cette ambassade ; toutefois, le mot εύθέως donne à croire qu'elle est de l'année 228 ou d'une année très voisine.

[74] Polybe, II, 12. 7. La seconde phrase se rapporte proprement à l'envoi fait par Postumius d'ambassadeurs en Aitolie et en Achaïe.

[75] Alliance des Aitoliens et des Achéens contre Démétrios : Polybe, II, 44. 1 ; 46. 1. ; cf. 9. 7. — En 231 (cf. De Sanctis, III, 1, 293, note 73), attaque des Aitoliens contre l'Akarnanie, qui est l'alliée de Démétrios (siège de Médion) ; Polybe, II, 2. 5 sqq. — La paix entre l'Aitolie et la Macédoine n'a été conclue que par Antigone.

[76] Ferguson place la délivrance d'Athènes au commencement de l'été de 229 (Hellen. Athens, 207). Selon Beloch (III, 1, 663 ; cf. III, 2, 175 ; 525), elle est plus récente d'une année.

[77] C'est, par exemple, ce que n'hésite pas à faire Niese (II, 286). Cf. Grundriss der röm. Gesch4, 107. Mais, pour devenir ces willkormmene Helfer, à tout le moins eût-il fallu que les Romains eussent conclu des accords avec les Hellènes. E. Speck (Handelsgesch. des Alteri., III, 2, 4) reproduit l'opinion de Niese et l'exagère encore.

[78] Polybe, II, 12. 4.

[79] Polybe, II, 12. 4.

[80] C'est ce qui résulte clairement du silence de Polybe.

[81] Telle n'est point, à la vérité, l'opinion hardie de Speck (Handelsgesch. des Alteri., III, 2).

[82] Polybe, II, 9. 9-10. 1 sqq. (bataille de Paxos).

[83] Ceci a été bien vu par Beloch, III, 1, 689. — Pour le commerce d'Athènes à cette époque, cf. Ferguson, Hellen. Athens, 246-247.

[84] Cf. Polybe, V, 106. 8 ; cf. T. Live, (P.) 31. 45. 2 (ann. 199).

[85] Il est, d'ailleurs, bien clair que la ville de Corinthe, faisant alors partie de la Confédération achéenne, n'aurait point eu le droit d'engager des négociations avec les Romains ; ce droit n'appartenait qu'à l'autorité fédérale : cf. Swoboda, Staatsaltert, 383, 8, et les textes auxquels il renvoie. Cette remarque suffit à montrer que la démarche faite par le Sénat à Corinthe n'eut aucun caractère politique.

[86] Corinthe redevient macédonienne en 223 ; cf. Beloch, III, 1, 735.

[87] Voir notamment G. Colin, Rome et la Grèce, 40 : Athènes leur octroya l'isopolitie (aux Romains) ; elle les autorisa à prendre part aux Mystères d'Éleusis, et c'est sans doute vers cette date (après 228) qu'il faut placer l'origine de l'alliance si souvent rappelée depuis entre les deux républiques.

[88] Zonaras, VIII, 19. 7.

[89] Cf. Ferguson, Hellen. Athens, 256, 2 ; De Sanctis, III, 2, 438 et note 98. — Dans le décret d'Athènes en faveur d'Euryklcidès (Dittenberger, Sylloge2, 233), le mot συμμάχους, restitué avec probabilité à la l. 16, ne saurait, quoi qu'ait pensé Köhler (IG, II, 1, 37 ; II 2, 834), désigner les Romains.

[90] Le témoignage de Dion est accepté, sans restriction aucune, par Droysen, III, 483 trad. fr.) ; Mommsen, R. G., I7, 551 ; Diels, Sibyll. Blätter, 92 ; G. Colin, Rome et la Grèce, 40 et note 2. De Sanctis (III, 2, 438, note 98) l'admet aussi, mais avec quelques réserves, il ne dit rien de l'admission aux Mystères. Il est sûr qu'attribuer ce sens au texte de Zonaras, ce n'est point le trop presser ; mais peut-être est-ce prendre avec lui des libertés un peu fortes. Nous retrouvons ici, j'en ai peur, le procédé connu qui consiste, pour rendre acceptable quelque assertion, justement suspecte, d'un auteur, à y substituer, par d'habiles artifices d'interprétation, une assertion toute différente. — Le témoignage de Dion est rejeté tacitement par Beloch (III, 1, 689), expressément par Niese (II, 285, 4) et par Täubler (Imp. Romanum, I, 216) ; les arguments de ce dernier sont, d'ailleurs, médiocrement concluants. — Ferguson (Hellen. Athens, 210, 3 ; 256, 2) le rejette aussi, mais admet pourtant l'existence d'une amicitia (sans fœdus) entre Athènes et Rome. — Athènes ne figure point au nombre des amici des Romains, dont la liste est dressée par Ferrenbach (Die amici p. R. republ. Zeit).

[91] Il est sans exemple que le peuple athénien ait octroyé par décret l'admission, même individuelle, aux Mystères. Effectivement, son autorité ne pouvait s'étendre jusque-là ; la μετουσία τών μυστηρίων n'était point un privilège dont il eût le droit de disposer à son gré. Les Mystères étant restés la propriété des deux familles sacrées d'Éleusis, les Eumolpides et les Kérykes, c'est à ces familles seules qu'il appartenait d'en ouvrir ou d'en interdire l'accès. On sait que tout ce qui avait rapport à l'initiation relevait uniquement de leur autorité, et que c'étaient leurs représentants qui, avant la célébration des Grands Mystères, prononçaient la formule d'exclusion ou πρόρρησις (cf. P. Foucart, Les Mystères d'Éleusis, 144-145 ; 147 ; 281-282 ; 309-310). Dans le texte de Zonaras, l'admission, tout à fait imaginaire, des Romains aux Mystères d'Éleusis est là pour faire pendant à leur admission, celle-ci certainement historique, aux fêtes de l'Isthme ; l'Annaliste reproduit par Dion n'a pas voulu que les Athéniens se fussent montrés moins généreux que les Corinthiens. — Il est singulier que, dans sa récente dissertation ayant pour titre : Romani ad Eleusi (Atti dell' Accad. di Torino, 1914-1915, 319 suiv., 369 suiv.), G. Giannelli ait passé sous silence l'indication de Zonaras.

[92] Par exemple, A. Schtschoukareff, B. C. H., 1888, 73 (cf., au contraire, Dittenberger, Syllogue2, 246, not. 1) ; R. Pöhlmann, Grundr. der gr. Gesch 4, 314 ; M. Brillant, Les secrétaires athéniens, 73 ; Graillot, Le culte de Cybèle, 42 ; T. Frank, Roman Imperialism, 143. Les historiens, indifférents à la tradition de Polybe, se sont laissé abuser par ce qui se lit chez T. Live, 29. 12. 14 ; ils s'imaginent que les Athéniens étaient, contre Philippe, les alliés des Romains.

[93] Polybe, V. 106. 7. Sur les relations d'Athènes et de l'Égypte après 229, cf. Ferguson, Hellen. Athens, 241-242 ; 250 ; 255.

[94] Les représentants d'Athènes interviennent en 209 à Phalara et à Aigion, en même temps que ceux de l'Égypte, de Rhodes et de Khios : T. Live, (P.) 27. 30. 4 ; cf. 30. 10-14. Leurs tentatives de médiation se sont certainement renouvelées pendant les années suivantes ; cf. Ferguson, Hellen. Athens, 255. — Contrairement à l'opinion de Ferguson (256, 2), je ne vois pas qu'il y ait rien à tirer de Polybe, IX, 40. 1, court fragment qui demeure isolé et dont le sens ne peut être précisé.

[95] Justin, 28. 3. 14. — Sur tous ces faits, voir Beloch, III, 1, 661 ; III, 2, 340-341 ; Niese, I, 287.

[96] Beloch (III, 2, 341 ; cf. III, 1, 661 et note 3) place en 228 la paix conclue par Antigone avec l'Aitolie (cf. Polybe, II, 45. 2) ; mais cette date n'est pas certaine et l'événement peut être un peu plus récent ; cf. Niese, II, 324, 2.

[97] Justin, 28. 3. 14.

[98] C'est ce qu'a bien vu Mommsen, R. G., I7, 551.

[99] Le fait, d'ailleurs très singulier, que le consul n'expédie pas non plus d'ambassade en Épire ni en Akarnanie peut avoir pour motif que ces deux États sont alors soumis à l'influence de la Macédoine. Mais il semble que les Romains devraient justement faire effort pour les y soustraire.

[100] Voir Beloch (III, 1, 664 ; 718), qui a si bien dégagé le caractère de ces événements.

[101] Sur ces faits, Beloch, III, 1, 662-663 ; Niese, II, 289-290.

[102] Beloch, III, 1, 664.

[103] Sur tous ces événements, Beloch, III, 1. 661-662 ; Niese, II, 287-288.

[104] Cf. Polybe, IV, 3. 2.

[105] Cf. Beloch, III, 1, 743, 1.

[106] Moins les ports de l'Akarnanie méridionale, Oiniadai et Nasos (?), qui appartiennent lors aux Aitoliens (Polybe, IV. 65. 2 sqq. ; cf. T. Live, (P.) 26. 24. 15).

[107] Polybe, III, 16. 4.

[108] Cf. Niese, II, 325-326 ; De Sanctis, III, 1, 304.

[109] Polybe, II, 21. 2-6 (ann. 236).

[110] Voir les justes remarques de Mommsen, R. G., I7, 553, 567-568, 575 ; cf. De Sanctis, II, 1, 288-289, 304. C'est seulement en 225 que le gouvernement romain s'avise de prendre es mesures indispensables pour arrêter l'invasion celtique : De Sanctis, III, 1, 306. Le fait qu'on avait envoyé l'un des consuls en Sardaigne (Polybe, II, 23. 6) parait bien indiquer qu'on fut surpris par les Gaulois.

[111] Polybe, II, 13, 3-4. Cf., sur la conduite du Sénat dans les affaires d'Espagne, Mommsen, R. G., I7, 566-568. — Je dois dire que je ne puis croire à la prétendue ambassade envoyée έπί κατασκοπή par le Sénat à Hamilcar en 231 Dion, fr. 48 (I, 178 Boissev.) ; on n'imagine pas que les Patres se soient laissé berner si naïvement par le général de Carthage. — En revanche, il ne parait pas douteux qu'ils n'aient promptement conclu alliance avec Sagonte.

[112] Polybe, II, 13. 7. Pour la date, De Sanctis, III, 1, 412, note 62.

[113] Cf. Polybe, II, 23. 7.

[114] C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, 449.

[115] Sur les résultats immédiats de la victoire de Télamon, De Sanctis, III, 1, 312.

[116] Une nouvelle étude de la question m'a convaincu que, contrairement à l'opinion que j'ai autrefois soutenue (Mél. Nicole, 273 suiv.), la bataille de Sellasia est bien de l'été de 221. Je me rallie à la solution adoptée par G. Niccolini (La Confed. achea, 279-283).

[117] L'idée que les Romains eussent pu agir de quelque manière en faveur des Aitoliens et de Kléomènes paraîtra sans doute bien aventurée à certaines personnes. Peut-être seront-ce les rames qui estiment tout naturel que, vers 237, le Sénat ait été prêt à expédier les légions en Asie au secours de Ptolémée III, — De Sanctis (III, 1, 298) fait observer que, par prudence, les Romains devaient éviter un conflit avec la Macédoine, conflit d'où pourraient naître des complications difficiles à prévoir ; mais la conduite qu'ils venaient de tenir en Illyrie rendait le conflit inévitable dans un temps plus ou moins proche. Si le Sénat ne s'en est point aperçu (cf. De Sanctis, III, 1, 326), il faut admirer son aveuglement.

[118] G. Colin, Rome et la Grèce, 46. — La vérité a été vue par Droysen, III, 496 (trad. fr.) : Près de quinze années (après 228) se passèrent sans que (Rome) intervînt de nouveau dans les affaires de la Grèce, et encore ne le fit-elle cette fois-là que contrainte.

[119] Beloch, III, I, 686.

[120] G. Colin, 29.

[121] G. Colin, 70.

[122] G. Colin, Rome et la Grèce, 35 ; 20 ; 89 : ... La Grèce... (était) un pays qui, dans le plan méthodique de l'expansion de Rome, était marqué pour être une de ses premières conquêtes.

[123] Selon De Sanctis (III, 1, 412, note 64), c'est dans l'intervalle qui sépare la première et la seconde guerre puniques qu'un traité particulier aurait été conclu entre Rome et Emporiai (Emporion). Comme Emporion était une colonie de Massalia, il est probable que ses premières relations d'amitié avec les Romains sont encore plus anciennes.

[124] C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, 446. Sur les rapports, sans doute fort anciens, de Rome avec les Bargousioi : Polybe, III, 35. 4 ; cf. T Live, 21. 19. 7 ; Kahrstedt, 375 et note 3.

[125] L'alliance de Rome et de Sagonte est antérieure à 220 et même à 226, comme De Sanctis (III, 1, 417 et note 75), rectifiant Ed. Meyer (Sitz.-ber. Berl. Akad., 1913, 708) et Kromayer (Hist. Zeitschr., 1909, 257), l'a conclu avec raison de Polybe, III, 30. 1-2 ; cf. H. Hesselbarth, Hist.-krit. Unters. zur dritt. Dekade des Livius, 90-91.

[126] C'est l'opinion, tout-à-fait paradoxale, de E. Cavaignac (Hist. de l'Antiquité, III, 280).

[127] Beloch, III, 1, 685. Cf. Mommsen, R. G., I7, 429.

[128] Polybe (II, 12. 2 sqq.) n'indique point le lieu où séjourna A. Postumius après le départ de Gn. Fulvius. Les ambassadeurs envoyés en Aitolie et en Achaïe reviennent à Kerkyra (12. 5)

[129] Polybe, II, 12. 7.

[130] On observera, du reste, que Polybe ne se sert ici que du terme έπιπλοκή (prise de contact) ; la συμπλοκή (connexion) des choses de Grèce et des choses d'Italie ne s'établit pour lui que plus tard, après la paix de Naupakte (217) : Polybe, V, 105. 4 ; cf. IV. 28, 5.

[131] G. Colin, Rome et la Grèce, 40.

[132] G. Colin, 25.

[133] G. Colin, 26.

[134] Théoriquement, le fait n'est pas sans importance. Wilamowitz écrit avec raison (Staat und Gesellschaft, 146) : ... die Römer (waren anerkannt) durch die Zulassung zu den hellenischen Nationalspielen als eine ebenbürtige, a]so im Grunde hellenische Nation ; mais les événements font assez voir que son importance est demeurée toute théorique.