WALA ET LOUIS LE DÉBONNAIRE

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Wala et Louis le Débonnaire pendant le règne de Charlemagne.

 

Le gouvernement de l’empire de Charlemagne était une tâche colossale qui pesait d’un poids énorme sur le grand monarque qui en était chargé. Déjà les exigences de la défense du territoire et de la surveillance des marches, entourées partout de barbares remuants, étaient grandes et pénibles ; mais elles n’étaient rien en comparaison des charges de l’administration intérieure[1].

Dans le désordre qui avait été la suite de la décadence des lois mérovingiens, le système des alleux avait de plus en plus fait place à celui des bénéfices, à mesure que la recommandation et les usurpations avaient diminué le nombre des hommes libres. Les anciens Champs de mars ou de mai avaient perdu toute importance politique et étaient devenus de simples revues du hériban ; il ne pouvait plus y avoir d’assemblées d’hommes francs, du moment que les hommes francs étaient devenus les hommes d’un autre. En vain Charlemagne avait-il essayé de se dégager des liens du système féodal qui déjà l’enlaçaient de tous cotés ; les assemblées provinciales de tous les possesseurs de trois manoirs qu’il faisait tenir par ses Missi, le serment de fidélité direct qu’il avait exigé de tous ses sujets, qu’ils fussent ses bénéficiaires ou non, avaient été des palliatifs incapables d’arrêter le mal ; les hommes libres avaient fait leur temps.

Dans ce naufrage général de l’ordre de choses primitif de la société franque, il n’était resté debout, outre la royauté, que la double aristocratie du clergé et de la noblesse ; qu’il voulût ou non, c’était sur ces deux éléments qu’il fallait que Charlemagne constituât son empire. Il le fit en effet, et toute son administration reposa sur l’emploi simultané des évêques et des comtes. Partout et toujours pendant son règne, en administration, en justice, en ambassade, en guerre, ces deux immuables serviteurs de la volonté impériale marchent côte à côte et agissent de concert. Nous les trouvons comme Missi, chargés d’examiner l’état des peuples, d’entendre leurs plaintes, de vérifier leurs réclamations. Nous les retrouvons comme membres du Placite, éclairant la décision de l’empereur, de leurs lumières et de leurs connaissances locales. Mais toujours et partout aussi, ils ne sont que les agents d’une volonté supérieure ; tout émane de l’empereur et tout retourne à lui. Pouvoir politique, judiciaire, législatif, ecclésiastique tout à la fois, l’empereur fait les lois, convoque le hériban, institue et dépose les comtes et les évêques et va jusqu’à dicter les canons des conciles. Les grands, réunis autour de lui deux fois par an, ont tout au plus voix consultative : ils viennent recevoir les ordres du maître et l’éclairer de leurs conseils ; leur participation aux affaires est pour eux une charge et non un privilège. C’est, on le voit, le despotisme le plus complet : despotisme en fait, parce que personne n’ose y résister ; despotisme en droit, parce qu’il est légitimé aux yeux de tous par le titre impérial.

Et cependant, Charlemagne trouvait partout dans son empire une résistance obstinée : c’était cette résistance passive que le despotisme le mieux constitué n’a jamais pu réussir à vaincre. Tandis qu’il employait toutes les ressources de son génie à mettre dans son empire de l’ordre, de l’unité, de la stabilité, il v avait dans tous les esprits une tendance générale et irrésistible vers le morcellement et la décentralisation. D’un côté, les peuples soumis par ses aïeux avaient été réunis mais non réconciliés. Les antipathies nationales survivaient à la fusion ; Germains, Gallo-Francs, Aquitains, Italiens, restaient autant de peuples ennemis qui n’attendaient qu’une occasion pour séparer de nouveau leurs destinées violemment unies. De l’autre côté, l’aristocratie tendait à se soustraire à l’action de l’autorité centrale. Les leudes, devenus de plus en plus puissants par l’absorption des hommes libres, profitaient de l’ordre relatif créé par Charlemagne pour affermir leur pouvoir ; déjà l’hérédité des bénéfices était dans les mœurs, sinon dans les lois ; ils n’attendaient cpie le règne d’un prince faible pour réclamer et obtenir l’hérédité des offices. Quant au clergé, fort de son autorité morale, il supportait avec impatience la collation arbitraire des évêchés, et, les regards tournés vers le pape, il songeait à constituer un Etat dans l’État.

Pour tenir en respect des résistances si diverses, d’autant plus dangereuses qu’elles étaient latentes, il fallait une volonté inébranlable et une activité sans bornes. La volonté de Charlemagne ne fléchit jamais ; mais, sur la fin de sa carrière, sentant l’âge s’appesantir sur lui, il fut bien obligé de se décharger d’une partie de son fardeau sur des épaules plus jeunes, et d’appeler des ministres formés à son école à soulager sa vieillesse.

Parmi ces hommes qui fuient à la fois les élèves et les soutiens de Charlemagne, on distingue deux frères, Adalhard et Wala, également considérés à la cour impériale, mais dont le plus jeune surtout, qui a été l’homme marquant du règne suivant, mérite une attention spéciale. Cousinsgermains.de Charlemagne, car ils étaient comme lui petits-fils de Charles-Martel[2], Adalhard et Wala occupaient les premières places dans le palais d’Aix-la-Chapelle, et leur mérite, soutenu par leur union fraternelle[3] ainsi que par l’ascendant que leur sœur, la noble et pudique Gondrade, avait réussi à prendre sur le vieil empereur[4], en faisait comme les deux colonnes de l’administration impériale[5]. Adalhard, qui avait quitté le monde à l’âge de vingt ans, pour ne pas avoir à servir la reine Hildegarde, dont il désapprouvait l’élévation au rang suprême[6], était plus tard, quand déjà il était abbé de Corbie, revenu au palais, y occuper le rang que lui assignaient sa naissance et ses talents[7]. C’était lui que Charlemagne avait chargé de gouverner l’Italie au nom de son fils Pépin[8], et il s était acquitté de ces fonctions délicates à la satisfaction universelle[9]. Depuis lors cependant, il s’était un peu mis à l’écart ; son âge déjà avancé, ses occupations comme abbé, l’avaient engagé à se débarrasser du tracas des affaires journalières, et dans les dernières années du règne de Charlemagne il s’était habitué à n’intervenir que dans les occasions majeures.

Il n’en était pas de même de son frère Wala, que d’autres appellent Walo ou Walach, et qui, bien plus jeune, plus robuste et plus actif que lui, se trouvait alors dans toute la force de l’âge. Wala, lui aussi, avait été élevé dans le palais impérial et nourri d’études libérales dès sa plus tendre jeunesse[10]. Charlemagne, pour éprouver la trempe de son caractère, le condamna, au sortir de l’adolescence, à des travaux indignes d’un prince[11] ; il montra une fierté si indomptable dans l’accomplissement des viles occupations qu’on lui avait imposées, que l’empereur lui voua à partir de ce moment une affection inaltérable. Bientôt sa valeur et sa prudence en campagne, son éloquence et son habileté au conseil, lui firent la réputation d’un des plus habiles administrateurs, diplomates et généraux de l’empire[12]. Charlemagne dont les forces allaient baissant, s’accoutuma peu à peu à l’employer aux affaires les plus importantes, sans en excepter celles qu’il avait jusqu’alors toujours traitées par lui-même[13] ; il acquit ainsi toute la puissance d’un ministre favori, et on put le nommer sans trop de flatterie le second dans l’empire[14]. On cite, parmi les missions importantes dont il fut chargé, l’organisation de la Saxe conquise par Charlemagne[15] et l’administration de l’Italie au nom du jeune Bernard, petit-fils de l’empereur[16] ; mais en général il résidait à Aix, au siège de l’empire, et dirigeait avec prudence le conseil de Charlemagne où il avait acquis l’influence prépondérante.

Wala était arrivé déjà au comble de la puissance, lorsque l’empereur, qui sentait lui-même sa fin approcher à grands pas et désirait auparavant régler sa succession[17], consulta son conseil sur la question la plus importante qu’il pût lui proposer, à savoir sur la désignation du successeur à l’empire qu’il fallait faire proclamer par le grand Placite franc. La prompte solution de la question était d’autant plus urgente, que la mort successive de presque tous les membres de la famille impériale avait annulé toutes les dispositions antérieures prises à cet égard.

Charlemagne avait, en effet, de bonne heure assigné à ses trois fils, Charles, Pépin et Louis, des apanages avec le titre de roi. Il n’avait pas entendu par là aliéner la souveraineté d’une partie de son empire, car il avait toujours gardé la haute main dans les royaumes de ses fils ; mais il avait voulu assurer à l’avance un établissement à chacun de ses enfants, et donner en même temps une satisfaction à la vanité des nations soumises à l’empire, qui obtenaient ainsi un faux semblant d’indépendance. Quant au principe du démembrement en lui-même, il n’y a pas lieu de s’en étonner ; Charlemagne, au commencement surtout de son règne, oh les idées germaniques avaient encore plus grande influence sur lui, n’avait guère conscience de l’unité indivisible de son empire et regardait comme incontestable l’égalité des droits de ses enfants à l’héritage paternel. Il avait par conséquent, dès l’année 780, assigné un royaume à chacun de ses trois fils, fort jeunes encore à cette époque ; à savoir : la Francie à Charles, l’Italie à Pépin, l’Aquitaine à Louis[18] ; et pour plus de sûreté, il avait fait couronner par le pape chacun des trois princes[19]. Ces arrangements, consolidés lors de l’entrevue des quatre rois à Tours, en 800[20], avaient été définitivement arrêtés au grand Placite tenu, entre Charlemagne, ses fils et les grands de l’empire, à Thionville en 806[21] ; un testament détaillé avait été solennellement juré par les leudes, puis signé par le pape Léon, auquel Éginhard l’avait apporté. En vertu de cet acte, conservé jusqu’à nous[22], Charles devait avoir la Neustrie, l’Austrasie et la Germanie[23], en d’autres termes la Francie proprement dite ; Pépin, l’Italie, la Rhétie et la Bavière[24], c’est-à-dire l’ancien royaume lombard dans sa plus grande extension ; Louis enfin, l’Aquitaine, la Septimanie, la Provence et la Bourgogne[25], autrement dit la Gaule méridionale ou purement romaine. Par suite de cet arrangement, chacun des trois princes, d’ailleurs parfaitement indépendants l’un de l'autre, avait à gouverner une nationalité distincte, qui, au besoin, pouvait lui servir d’égide contre un frère trop ambitieux[26].

Mais la mort presque simultanée de Pépin et de Charles, en 810 et en 811, avait tout remis en question[27]. De toute la descendance de Charlemagne, il ne restait que son troisième et dernier fils légitime Louis, des bâtards encore en bas âge, et un fils illégitime de Pépin appelé Bernard. Il pourrait paraître au premier abord qu’une question posée en ces termes se résolvait d’elle-même, et que Louis, seul fils légitime survivant, d’ailleurs dans la force de l’âge, ne pouvait avoir de compétiteur sérieux pour la succession à l’empire. Je sais que cette opinion est profondément enracinée, et qu’on enseigne partout que Louis succéda sans opposition à son père ; je n’en suis pas moins persuadé qu’il eut à vaincre, sinon des résistances ouvertes, au moins des répugnances profondes, et que le plus ardent de ses adversaires ne fut personne d’autre que le chef même du conseil impérial, le favori de l’empereur, Wala en un mot.

Mais, pour comprendre cette antipathie profonde que je crois devoir attribuer à Wala contre Louis le Débonnaire, et que je tâcherai tout à l’heure de déduire des vagues indications des sources contemporaines, il est de toute nécessité d’examiner avec un soin minutieux ce que Louis avait été et avait fait jusqu’alors. Cet examen du caractère et des antécédents de Louis sera d’autant moins une digression, que mon sujet même exige qu’après avoir développé la direction que Wala avait prise à la forte école de Charlemagne, je fasse voir comment s’était formé celui que, toute sa vie durant, Wala rencontra en face de lui, paralysant et détruisant ses projets.

A ne regarder que les dehors, Louis était le digne fils de son père : de stature moyenne, mais robuste, il avait les yeux grands et clairs, le teint fin, le nez long et droit, les lèvres ni trop minces ni trop épaisses, la poitrine forte, les épaules larges et les bras musculeux[28]. Mais les apparences de virilité et d’énergie que présentait sa noble prestance étaient trompeuses : un caractère indécis, faible et mou se cachait sous cette enveloppe imposante ; il y avait une âme de moine dans ce corps de guerrier.

Sa position, fixée dès le berceau, aurait dû pourtant l’engager à se préparer de bonne heure à la grande mission qui lui était dévolue. Charlemagne l’avait destiné dès sa naissance comme roi à l’Aquitaine, où sa mère Hildegarde l’avait mis au jour, en 778[29] ; il voulait, en accordant aux Aquitains un roi particulier élevé dans leur pays, connaissant leurs mœurs et portant leur costume[30], faire prendre en patience à ce peuple remuant une administration complètement franque[31]. A l’âge de trois ans, Louis avait été oint et sacré par le pape[32] ; à huit, il conduisait à son père le hériban aquitanique[33]. Il était donc, on peut le dire, un roi né dans la pourpre, c’est-à-dire un roi doublement tenu à connaître les devoirs de la royauté.

Son éducation n’avait pas été de nature à l’efféminer. Charlemagne, qui ne comprenait un roi qu’à condition qu’il fût guerrier, y avait tenu lui-même la main, tout comme à celle de ses autres enfants[34]. On l’avait de bonne heure exercé à la chasse, à l’équitation, au maniement des armes[35]. Déjà, à trois ans, on l’avait placé sur un cheval[36], et on lui avait mis le baudrier militaire à l’âge de treize ans[37]. En même temps, son père, chaque fois qu’il venait à Aix, tâchait de l’initier aux belles-lettres et à la science du gouvernement dans des entretiens continués à toutes les heures du jour ; car il le faisait toujours rester avec lui, à table, à la promenade, et jusqu’au bain[38].

Mais on ne force pas les caractères. Louis, malgré le nom belliqueux qu’on lui avait donné en baptême[39], n’était pas né pour être prince et guerrier. Bien que cavalier consommé dès sa jeunesse[40] et habile comme nul autre dans le maniement de l’arc et la lance[41], il ne se livrait qu’avec ennui aux plaisirs virils et guerriers de son temps[42]. Les soins donnés aux affaires publiques lui pesaient ; et, de toutes les occupations mondaines, il ne prenait plaisir qu’à l’exercice de la justice[43], à laquelle il consacrait trois jours par semaine[44]. Cet étrange éloignement pour les choses du monde se manifestait jusque dans les études libérales auxquelles il s’était appliqué avec bonheur. Il avait fait des progrès rapides dans la lecture et dans l’écriture, avait fait du latin sa seconde langue maternelle, et appris assez de grec pour le comprendre parfaitement[45] ; mais, bien différent de son père, qui, à coté des livres de saint Augustin, se plaisait à entendre les vieux chants germaniques ou les histoires des anciens[46], il ne cherchait dans l’étude que les enseignements graves de la religion, s’occupait exclusivement de littérature ecclésiastique[47], et tâchait de bannir de sa mémoire les chants païens dont ses premiers précepteurs l’avaient souillée.

Tous ses goûts, toutes ses habitudes avaient la même tendance ascétique. Ses occupations les plus chères étaient la contemplation monastique, la lecture de livres pieux, le chant des psaumes, la récitation des prières[48], la distribution de riches aumônes aux pauvres et aux serviteurs de son palais[49]. Chaque matin il se rendait à l’église, et là, touchant du front le pavé, il arrosait de ses pleurs les dalles du parvis[50]. A l’égard des prêtres, il déployait une humilité si grande, que les grands et le peuple, moins aptes que les moines et les évêques à en apprécier le mérite chrétien, proclamaient hautement leur mépris[51] pour l’abjection de celui qu’ils appelaient, le roi-prêtre[52]. Bien que jeune encore, il avait dans toutes ses manières la retenue des vieillards, restait jusque dans l’intimité froid et réservé, et ne cessait de répéter sa devise : Ne quid nimis[53].

Enfin, l’entourage de Louis lui-même se ressentait de ces préoccupations continuelles. A l’exception d’un favori obscur, le comte Bigo, dont il fit son gendre, et qu’il éleva plus tard à la dignité de comte de Paris[54], il n’avait pour conseillers et amis que des moines et des ecclésiastiques[55], parmi lesquels l’austère saint Benoît d’Aniane occupait le premier rang[56]. Ce sévère réformateur de l’ordre bénédictin, tour à tour soldat, moine, abbé, anachorète, exerçait sur Louis une influence dominatrice[57] que toutes les attaques dirigées contre lui n’avaient réussi qu’à affermir[58].

En résumé, aux yeux de la morale, le caractère de Louis était presque irréprochable, et on peut admettre, avec son biographe, qu’il faisait revivre en lui les quatre vertus cardinales vantées par les sages, sagesse, modération, justice et courage, pour peu qu’on veuille traduire avec ce fidèle serviteur sagesse par piété, et courage par résignation[59]. Mais ces vertus, qui auraient fait l’ornement d’un couvent, étaient mal placées sur un trône, et plus dangereuses peut-être pour la monarchie franque que ne l’eussent été des vices éclatants. Ce qu’il aurait fallu au fils et successeur de Charlemagne, c’était de l’énergie et de l’énergie encore : de l’énergie contre les ennemis du dehors, sans cesse prêts à envahir les frontières de l’empire ; de l’énergie contre les peuples soumis, qui supportaient avec impatience le joug à eux imposé par les Francs ; de l’énergie contre les leudes prévaricateurs, qui, au lieu de gouverner l’empire, se l’asservissaient ; de l’énergie contre les évêques, qui étendaient une main audacieuse vers la couronne impériale. Or l’énergie était tout juste la seule vertu qui fît complètement défaut à Louis : il n’était qu’irrésolution, faiblesse et défaillance[60]. Lui-même, à une certaine époque de sa vie, paraît s’être apprécié à sa juste valeur, et avoir compris que sa place était ailleurs que sur le trône ; du moins on prétend qu’il voulût, à l’exemple de son grand-oncle Carloman, se retirer dans un monastère, et qu’il ne fut empêché que par son père de mettre ce projet à exécution[61].

Le caractère, les goûts et l’entourage de Louis le Débonnaire étaient par conséquent, je crois l’avoir suffisamment prouvé, peu faits pour lui attirer les sympathies de ceux qui, comme Wala, connaissaient toute la grandeur de la tâche d’un roi et empereur des Francs. Ses antécédents comme soldat et comme administrateur étaient moins encore de nature à les rassurer. Je vais tâcher d’exposer aussi brièvement que possible ce qu’avait fait jusqu’alors le roi d’Aquitaine.

Ses antécédents militaires étaient fort peu brillants. Il n’avait pris à peu près aucune part aux grandes guerres de l’empire ; car les trois fois qu’il avait été convoqué pour des expéditions en Saxe (796, 799 ? 804), il était toujours venu trop tard pour participer aux victoires de son père[62], et dans la seule expédition lointaine qu’il eût dirigée[63], il avait, malgré sa jonction avec son frère Pépin, honteusement échoué contre les Bénéventins (792 à 793)[64]. Mais, même dans son royaume d’Aquitaine, il avait fait fort peu de chose, et les faibles succès qu’on y avait remportés étaient exclusivement dus à quelques-uns de ses lieutenants. L’Aquitaine, qui comprenait les pays entre la Loire et les Pyrénées, le Rhône et les deux mers[65], avait deux ennemis principaux : les Basques, cantonnés dans les gorges inaccessibles des Pyrénées, et les Arabes, maîtres de l’Espagne presque entière. Le but constant d’un roi d’Aquitaine devait donc être de dompter une bonne fois les Basques, toujours vaincus mais jamais soumis, et d’assurer les frontières du royaume contre les Arabes en colonisant définitivement la Marche espagnole que Charlemagne n’avait fait que soumettre nominalement dans la grande expédition de 778. Voyons comment Louis avait rempli ce double programme.

Du coté de la Gascogne, il n’avait pas fait avancer d’un pas les affaires de son royaume. Révoltés en 787[66], les Basques se révoltèrent de nouveau en 801[67] et firent une troisième défection en 812[68]. Louis n’intervint en personne qu’en cette dernière occasion et poussa jusqu’à Pampelune ; mais, au retour, il pensa avoir le même sort que Roland ; il ne dut qu’à la dénonciation d’un traître de ne pas être anéanti avec toute son armée dans le défilé de Roncevaux[69]. En somme, malgré les succès problématiques remportés par Louis et ses généraux, les Basques étaient restés ce qu’ils étaient depuis des siècles, sujets nominaux de l’empire franc, mais obéissant en réalité à des ducs nationaux[70].

Sur la frontière espagnole, Louis était arrivé à un résultat un peu plus satisfaisant, et avait réussi à consolider la Marche, en y substituant des comtes francs aux walis arabes, toujours hésitant entre Cordoue et Aix-la-Chapelle : Girone en 785[71], Vich, Cardone et Castaserra en 799[72], Barcelone surtout en 801[73], étaient devenus des points d’appui solides pour les armées franques. Mais la prise de quelques villes était un résultat bien mesquin, eu égard aux facilités extrêmes qu’on avait eues à plusieurs reprises de faire bien mieux. L’Espagne arabe, en effet, était, depuis l’avènement des Ommyades, en proie à des guerres civiles continuelles, tant par suite de la longue rivalité des deux grands partis des Modharites et des Yéméniens, que par suite des ambitions rivales qui s'élevaient sans cesse dans la famille même des califes[74]. Il en était résulté, dans le nord de l’Espagne surtout, une impuissance complète du pouvoir central de Cordoue, et il n’aurait tenu qu’à Louis de réduire sous sa domination toute l’ancienne Tarraconaise. Mais, au lieu de montrer de l’énergie à l’égard des vassaux arabes de la vallée de l’Ebre[75], ou d’intervenir puissamment en faveur des princes ommyades révoltés[76], le gouvernement de Louis s’obstina à des expéditions infructueuses le long de la côte, et ne sut pas même établir, au sud des Pyrénées, une barrière fortifiée infranchissable aux Arabes : Abdérame put en 812[77] encore pénétrer jusqu’à Narbonne comme Abdihnelek y avait pénétré en 793[78]. Quant à la part personnelle que Louis peut revendiquer dans les conquêtes restreintes faites sur les Arabes, elle est nulle, ou à peu près nulle. A l’exemple de ses panégyristes, je passe sous silence ses expéditions malheureuses ou infructueuses contre Huesca en 797[79], contre Barcelone en 800[80], contre Tortose en 809 et en 811[81] ; mais, plus sévère qu’eux, je suis obligé de lui enlever jusqu’au seul fait d’armes qu’ils aient trouvé à vanter dans sa carrière, à savoir la prise de Barcelone en 801[82]. Ermoldus Nigellus a consacré un livre entier à chanter cette éclatante victoire, dont le biographe de Louis aussi fait grand bruit ; malheureusement, en examinant de plus près leurs propres récits, on s’aperçoit que Louis fondait le monastère de Conches[83] pendant que le duc Guillaume de Toulouse affamait la ville, et qu’il ne se rendit au camp que lorsque la famine était sur le point de livrer Barcelone à l’armée qui l’assiégeait[84]. Charlemagne lui-même paraît avoir eu une idée fort médiocre des talents militaires de son fils ; car, depuis la retraite du duc Guillaume de Toulouse, devenu moine en 806, il envoya presque toujours des Missi spéciaux le remplacer à la tête des armées aquitaniques. Ces Missi, à la vérité, ne furent pas plus heureux que Louis ; comme lui, Ingobert échoua devant Tortose en 810[85] et Héribert devant Huesca en 812[86] ; aussi l'empereur et le roi consentirent-ils volontiers à la trêve[87] que leur fit proposer en 812 le calife El-Hakem.

Les biographes de Louis, obligés eux-mêmes d’avouer que leur héros cueillit peu de lauriers sur les champs de bataille, ont élevé d’autant plus haut ses talents administratifs. A les en croire, l’Aquitaine était devenue, grâce à ses soins, un pays privilégié ; non-seulement il avait diminué les impôts[88] et réprimé les exactions des gens de guerre, mais il avait même si bien changé en doux agneaux les loups féroces de l’Aquitaine[89], que les assises restaient désertes, faute de plaideurs[90], et que le vieil empereur lui-même n’avait pu s’empêcher de s’écrier, après un rapport du Missus Archambaut : Ô compagnons de mes travaux, soyons heureux d’être vaincus par la sagesse sénile de ce jeune homme ![91] Ce tableau enchanteur de l’administration de Louis en Aquitaine serait de nature à nous faire revenir sur son compte à un jugement moins sévère, si un examen attentif des faits ne nous forçait à rabattre singulièrement sur les éloges que lui ont prodigués ses flatteurs. Je passerai sous silence les désordres qui signalèrent les premières années de son règne, et qui ne sauraient être attribués[92] qu’à l’incapacité de ses tuteurs et conseillers ; je ne lui imputerai même pas à grand tort l’imprudence avec laquelle il distribua ou laissa usurper les riches domaines royaux par les leudes de l’Aquitaine[93] ; il n’avait que dix-sept ans à cette époque, et Charlemagne, qui surveillait encore sa jeunesse, n’eut pas de peine à faire rentrer dans le fisc les biens qu’on en avait frauduleusement distraits. Mais j’opposerai, aux éloges exagérés de sa justice, un fait bien simple, constaté par des actes authentiques : comment se fait-il que, dans un pays si bien administré, les pauvres réfugiés chrétiens de l’Espagne furent obligés de s’adresser à Charlemagne lui-même pour se garantir des spoliations infâmes des comtes francs ? Louis était bien majeur à cette époque, et pourtant il fallut que le pouvoir central envoyât en Septimanie un Missus spécial chargé de réprimer ces honteuses prévarications[94]. Ce n’est pas tout ; je me ferai une arme contre l’administration de Louis en Aquitaine d’un des éloges répétés par ses flatteurs avec le plus d’affectation : je veux parler de son extrême préoccupation pour les intérêts de l’Eglise. Sans doute il y avait beaucoup à faire pour la religion dans un pays où le clergé séculier ne faisait que chasser ou se battre[95], et où les monastères avaient été incendiés par les Arabes, ou changés en écuries et en mauvais lieux par les Francs et les Gascons[96] ; mais faire de la réforme du clergé l’affaire principale de son règne, ne songer qu’à faire instruire les clercs dans la lecture, l’écriture, les sciences divines et humaines[97], à remettre les moines sous la règle de saint Benoît[98], à fonder, reconstruire ou doter les cloîtres[99] ; c’était pousser trop loin le zèle religieux. En agissant ainsi, Louis oubliait complètement qu’il n’était pas le roi des prêtres[100] seulement, et qu’il avait d’autres devoirs royaux encore à remplir que celui de diriger le clergé et le peuple dans la voie du salut[101].

En voilà plus qu’assez sur le caractère et la vie antérieure de Louis le Débonnaire ; rien ne m’empêche plus maintenant de reprendre la question dont la solution satisfaisante a exigé ce long épisode. Je demande donc encore une fois : Wala pouvait-il, de bon cœur, voir associer à l’empire un homme dont l’incapacité militaire et administrative ne pouvait être pour lui un mystère et dont l’entourage complètement monacal ne lui offrait pas les moindres garanties de sécurité pour la conservation de l’empire carlovingien ? Certes les probabilités sont en faveur de la négative ; mais il nous faut plus que des inductions : tâchons, par conséquent, de découvrir, sous les réticences des auteurs contemporains, les traces mal effacées de l’opposition que fit Wala à l’avènement de Louis le Débonnaire dans le conseil de Charlemagne.

Rien de plus facile que de prouver qu’il y avait des intrigues à la cour de Charlemagne contre le roi d’Aquitaine. L’Astronome rapporte, en effet, que le grand fauconnier de Louis, Gerricus, s’étant rendu en affaires à Aix, fut chargé par plusieurs leudes francs et germains d’engager son maître à venir sans tarder dans la capitale, afin de surveiller de près l’entourage de son père[102]. La conduite du roi d’Aquitaine, en présence de cette invitation pressante, montre mieux encore combien il se savait mal sûr à la cour impériale. Au lieu de se rendre à l’avis de ses partisans, comme c’était l’opinion de tous ses conseillers, il déclara qu’il resterait dans son royaume jusqu’à une invitation formelle de l’empereur de se rendre à Aix, de peur, disait-il, d’éveiller les soupçons de son père[103]. Pas de doute, par conséquent, sur les dispositions hostiles de certains conseillers de Charlemagne à l’égard de Louis ; reste à examiner si Wala trempa dans leurs intrigues. On n’hésitera pas à répondre affirmativement, si l’on songe que plus tard, au moment de la mort de Charlemagne, alors que Louis avait été officiellement associé à l’empire et solennellement couronné en présence même de Wala, le nouvel empereur exprima hautement la crainte de ne pas être reconnu par le ministre tout-puissant de son père ; si l’on songe surtout que les grands, sous l’empire de la même conviction, refusèrent d’aller saluer Louis, jusqu’au moment où Wala leur en eut donné l’exemple[104]. Comment supposer qu’une appréhension si vive et si généralement répandue n’ait pas été fondée sur des faits antérieurs ? D’ailleurs, il faut une cause à cette liai ne vivace que Louis le Débonnaire montra à Wala dès le lendemain de son avènement, et dont il le poursuivit toute sa vie durant, sans en excepter le temps où il subit forcément son ascendant.

J’admets, par conséquent, comme un fait au moins probable, que Wala s’opposa à l’association du seul fils légitime de Charlemagne, et qu’il essaya de lui substituer un autre héritier, plus capable que lui de porter le poids des affaires. Malheureusement pour ses projets, il n’avait pas à opposer à Louis un seul compétiteur sérieux, et toutes les circonstances se réunissaient pour porter malgré lui Louis au pouvoir. Il ne pouvait être même question des bâtards de Charlemagne, que leur jeunesse[105], à défaut d’autres raisons, aurait suffi à mettre hors de concours ; le seul prince qu’il pût avoir l’idée de patronner, était Bernard, le fils illégitime de Pépin. Bernard, il est vrai, était trop jeune encore pour avoir pu donner des preuves de grande capacité ; mais sa jeunesse même était un titre aux yeux de Wala : il espérait le diriger d’autant plus facilement. Déjà le jeune prince, dont il avait guidé les premiers pas, s’était habitué en Italie à s’aider de ses conseils et à gouverner selon ses inspirations[106] : il était présumable qu’il en ferait autant après son avènement au trône impérial ; et de la sorte la direction suprême de l’État restait entre les mains qui l’avaient reçue peu à peu des mains défaillantes de Charlemagne. C’était là un rêve bien séduisant, et que l’ambition de Wala avait sans doute bien des fois caressé ; mais il avait le grand tort de ne pouvoir se réaliser. Bernard était fils illégitime ; l’union dont il était né n’avait pas été sanctionnée par l’Église[107]. Or, le temps n’était plus où le bâtard Charles Martel avait, malgré la tache de sa naissance, arraché l’autorité suprême en France au rejeton légitime de sa race. L’Église avait depuis lors énormément grandi dans les Gaules en pouvoir et en influence, et avec elle avait grandi l’idée de la sainteté du mariage. Il aurait fallu presque un sacrilège pour violer, à propos de la succession impériale, ce principe fondamental de l’Église ; et ce sacrilège était d’autant moins possible, que l’Église et l’État s’étaient joints dans une union plus intime ; l’Etat exerçant son autorité par l’entre mise des évêques, l’Eglise déléguant au roi des fonctions presque sacerdotales[108]. Wala, bâtard lui-même, pouvait passer à la légère sur la naissance illégitime de Bernard ; mais l’opinion publique était moins accommodante : à ses yeux, l’héritier nécessaire c’était Louis[109], le seul fils né d’un mariage béni par l’Église.

Dans le conseil de Charlemagne, ce fut Éginhard qui soutint avec le plus d’énergie la candidature de Louis[110]. Plus tard, dans sa cellule de Seligenstadt, le disciple et biographe de Charlemagne regretta plus d'une fois, avec une profonde amertume, un acte qui avait consacré la honte de l’empire[111] ? mais alors, il parla avec chaleur en faveur de ce qu’il croyait la succession légitime. Il n’eut pas de peine à entraîner la majorité du conseil, tout aussi persuadée que lui que l’Église et le Christ lui-même ne pouvaient admettre d’autre successeur à l’empire que le fils légitime de l’empereur mourant[112]. Il fut donc décidé que Louis le Débonnaire serait solennellement associé à l’empire, au prochain grand Placite des Francs. Seulement l’amour de Charlemagne pour Bernard ne lui permit pas de déshériter complètement le jeune homme ; il lui confirma donc la possession de l’Italie, et y ajouta le titre royal[113]. Le biographe de Louis prétend que ce fut à la recommandation du roi d’Aquitaine ; mais la conduite postérieure de Louis, à l’égard de ses frères et sœurs illégitimes, rend le fait plus que douteux[114].

Du moment que l’association à l’empire de Louis avait été votée par le conseil impérial, elle ne pouvait plus faire de difficulté ; elle se fit avec une pompe solennelle au grand Placite d’Aix, tenu pendant l’été de 813. L’évêque Thégan, dans sa Vie de Louis le Débonnaire, en a laissé une description détaillée d’autant plus curieuse à étudier, qu’elle paraît n’être que la reproduction du programme officiel de la cérémonie[115]. Charlemagne, au dire de ce document que je ne fais que traduire, commença par exhorter les évêques, abbés, ducs, comtes, vicomtes et vassaux accourus pour ce grand acte de toutes les parties de l’empire, à être fidèles et dévoués à son fils ; puis il leur demanda à chacun, homme par homme, s’ils étaient d’avis qu’il lui transmît le nom impérial ; et tous répondirent que c’était chose juste et inspirée par Dieu[116] ; et le peuple, rassemblé sous les fenêtres du palais, couvrit de ses acclamations la décision des grands. Le dimanche suivant, Charles, en appareil royal, et la couronne en tête, se rendit solennellement avec son fils à la basilique bâtie par lui : sur le maître autel reposait une autre couronne d’or. Le père et le fils prièrent longtemps ; ensuite Charlemagne se mit à exhorter son fils, en présence de tous les prélats et de tous les grands, et, après lui avoir rappelé qu’il était de son devoir d’aimer et d’honorer le Dieu tout-puissant, de remplir ses volontés et de protéger son Eglise, de déployer une miséricorde sans fin à l’égard de ses frères, sœurs et neveux, de respecter les prêtres comme des pères, de traiter ses sujets comme des fils, de ramener au chemin du salut les orgueilleux et les méchants, d’être un consolateur pour les pauvres et les religieux, de n’instituer que des officiers fidèles, incorruptibles et craignant Dieu, de ne déposer personne de ses honneurs et dignités sans jugement, de se montrer en un mot sans faute devant Dieu et son peuple, il lui demanda s’il voulait se conformer à toutes ces prescriptions. Et Louis répondit qu’avec l’aide de Dieu, il remplirait tous les commandements de son père. Alors Charlemagne lui ordonna de prendre de ses propres mains la couronne qui était sur l’autel, et de se la poser sur la tête en souvenir des préceptes qu’il venait de lui donner. Et Louis accomplit la volonté de son père[117]. Une messe termina la cérémonie ; puis le peuple remplit l’église de ses acclamations : Vive l’empereur Louis ! Quant à Charlemagne, il bénit Dieu et dit : Seigneur Dieu, sois béni, toi qui m’as donné aujourd’hui quelqu’un qui s’asseye à ma place.

Tel est le récit officiel : on a pu voir, par ce qui précède, jusqu’à quel point étaient sincères les acclamations universelles qui accueillirent la proclamation de Louis. Lui-même il ne se sentait pas à l’aise à Aix-la-Chapelle, au milieu d’une cour dont il connaissait la sourde hostilité. Aussi ne resta-t-il que quelques jours encore après la cérémonie du couronnement[118], et se hâta-t-il, dès qu’il put, de reprendre le chemin de l’Aquitaine, sans se laisser arrêter par la considération que son père, arrivé à la soixante et onzième année de sa vie et à la quarante-septième de son règne, n’avait plus longtemps à vivre. Et en effet, fort peu de temps après le départ de Louis, Charlemagne, qui revenait de la grande chasse d’automne, se sentit pris par la fièvre ; selon son habitude, il ne voulut employer que la diète pour vaincre la maladie ; elle empira, et il mourut à Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814[119].

Voici l’épitaphe que son petit-fils Nithard lui a faite en tête de ses histoires, trente ans plus tard, au sortir du carnage de Fontenay[120] : Quand Charlemagne, de bonne mémoire, et que toutes les nations ont avec raison appelé un grand homme, mourut en bonne vieillesse ; il laissa toute l’Europe remplie de toute bonté. Car cet homme surpassait à ce point, en toute sagesse et en toute vertu, le genre humain de son temps, qu’il paraissait à tous les habitants de la terre tantôt terrible et tantôt aimable, mais jamais autrement que digne dé admiration ; et que, pendant tout le temps de son règne, de toute manière et de l’avis de tous, il ne fit, rien qui ne concourût à la gloire et à l’utilité de son empire. La chose la plus admirable cependant, c'est, je l’avoue, que seul il a su réprimer, par la terreur de la loi, les cœurs féroces et les poitrines d’airain des Francs et des Barbares, que même la puissance romaine n’avait pu parvenir à dompter ; et il l’était au point que, pendant tout le temps de son règne, ils n’osèrent jamais ouvertement rien entreprendre qui ne concourût à l’utilité publique. Il régna heureusement comme roi pendant trente-deux années, et posséda, en toute félicité aussi, pendant quatorze ans la couronne impériale. Je ne sais qu’ajouter, en l’honneur de Charlemagne, à cet éloge, magnifique de vérité et d’éloquence barbare ; quant à l’appréciation du biographe de Louis, qui, dans la mort du vieil empereur, voyait l’accomplissement de la parole de l’Écriture[121] : Il est mort un homme juste, et il est comme s'il n'était pas mort, car il laisse un fils qui lui ressemble ! c’est la suite de cette histoire qui se chargera de nous' dire si elle était juste et bien fondée.

 

 

 



[1] Pour plus de détails relativement à l’administration de Charlemagne, je renvoie aux admirables Leçons de M. Guizot sur l’Histoire de la civilisation en France.

[2] Ann. Loisel., ad 812. —  Cllg. Vita Adalhardi, p. 331.

[3] Vita Walæ, p. 474.

[4] Vita Adalh., p. 321.

[5] Vita Adalh., p. 321.

[6] Vita Adalh., p. 310.

[7] De translnt. S. Viti (Mab., IV, 1, p. 529). — Hincmar, Ep. ad Proceres regni pro instit. Carolom. Regis, c. 12 (Bqt., IX, p. 263).

[8] Vita Adalh., p. 314. — De transi. S. Viti (Mab IV, 1, p. 629), fait administrer l’Italie à Adalhard, au nom de Bernard. C’est une erreur manifeste. L’auteur a confondu Adalhard avec son frère Wala.

[9] Vita Adalh., p. 315 et 319.

[10] Vita Walæ, p. 464.

[11] Vita Walæ, p. 464.

[12] Vita Walæ, p. 458. — Vita Adalhard., p. 321. — Vita Walæ, p. 465.

[13] Vita Walæ, p. 465.

[14] Vita Ludovici, c. 21. — Vita Walæ, p. 464.

[15] De transi. S. Viti (Mab., IV, 1, p. 629). — Cllg. Éginhard Ann. ad 811.

[16] Annal. Loisel., ad 812.

[17] Vita Ludovici, c. 20. — Thégan, c. 6.

[18] Breve Chron. ad 780 (Bouq., V, p. 29) ; Erm. Nig., I, 35.

[19] Vita Ludovici, c. 4 ; Ann. Éginhard et Lois, ad 780, 781 ; Chr. Moissac, ad 781.

[20] Chron. Moissac, ad 800. — Les autres Annales cependant ne font pas mention de cette dernière circonstance, en parlant de l’entrevue de Tours.

[21] Ann. Lois., Éginhard, ad 805, 806. Le poète saxon, Annal, de Gestis Caroli metrice script., IV v. 192, dit fort bien :

Quæ commissa prius fuerat, nunc traditur illi

In regnum proprium, stabili dicione regendum.

[22] Chart. divisionis an. 806 (Baluze, I, p. 439). — L’authenticité de cet acte, vivement défendue par Baluze (II, p. 1068), a été mise hors de doute par M. Pertz, qui en a découvert un manuscrit presque contemporain (III, p. 140).

[23] Capit. 3.

[24] Capit. 2.

[25] Capit. 1.

[26] V. plus bas, au chapitre III, la comparaison de l’acte de partage de 806 avec celui de 817.

[27] Ann. Lois, ad 810, 811 ; Vita Ludovici, c. 20 ; Thégan, c. 5.

[28] Thégan, c. 19 ; Theodulfi, Aurel, episcop., Carmen ad Carol., v. 33. (Bqt., V, p. 417.)

[29] Vita Ludovici, c. 3 ; Paul. Diacon., de Episc. Mett. (Bqt., V, p. 191.)

[30] Vita Ludovici, c. 4.

[31] Vita Ludovici, c. 3.

[32] Ann. Éginhard ad 780 ; Vita Ludovici, c. 4.

[33] Vita Ludovici, c. 4 ; Annal., ad 785.

[34] Thégan, c. 2 ; Éginhard, Vita Carol., c. 18.

[35] Éginhard, Vita Carol., c. 19.

[36] Vita Ludovici, c. 4.

[37] Vita Ludovici, c. 6.

[38] Éginhard, Vita, c. 19, 22 ; Thégan, c. 2.

[39] Ermold. Nigell., I, v. 43.

[40] Vita Ludovici, c. 4.

[41] Thégan, c. 19.

[42] Thégan, c. 19.

[43] Vita Ludovici, c. 19 ; Mon. Sangall., Il, c. 30.

[44] Vita Ludovici, c. 19.

[45] Thégan, c. 19.

[46] Éginhard, Vita, c. 24.

[47] Thégan, c. 19.

[48] Vita Ludovici, c. 19. — Thégan, c. 20. — Monach. Sangall., II, c. 30.

[49] Thégan, c. 3, 19 ; Monach. Sang., II, c. 31.

[50] Thégan, c. 19. — Cllg. Agoh. Epist. de Div. Imp. (Bqt., VI, p. 367.)

[51] L’humilité de Louis est vantée par un hagiographe presque contemporain (Vita B. Alcuini, Mab. IV, 1, p. 156). — Dans des circonstances analogues, Ermoldus Nigellus, I, v. 565, met des paroles presque identiques dans la bouche du patriarche Paulin.

[52] Vita Ludovici, c. 19.

[53] Thégan, c. 19 ; Vita Ludovici Prol., Erm. Nig. Eleg. II ad Pipp., v. 183.

[54] Erm. Nig., I, v. 179. — Vet. Ann. Franc. (Bqt., AI, p. 170) ad 816. — Cllg. Erm. Nig., II, v. io 5, 483 ; I, v. 543.

[55] Vita Ludovici, c. 19.

[56] Vita S. Benedicti Abb. Anian. (Mab., IV, p. 1, p. 191 sq.)

[57] Vita Bened., p. 206.

[58] Vita Bened., p. 208.

[59] Vita Ludovici Prolog. — Cllg. Thégan, c. 17, 19, 20.

[60] M. Funk, dans son ouvrage Ludwig der Fromme, odet Geschichte der Auflœsung des grossen Franhenreichs (Frankfurt, 1832), a voulu faire de Louis un homme lâche, mais profondément rusé. La conduite passive que l’empereur tint pendant tout son règne me paraît complètement démentir cette manière de voir. — Je ne puis non plus souscrire en entier au jugement, trop sévère à mon avis, que M. Guérard a énoncé sur Louis dans son travail, si admirable d’ailleurs d’érudition, sur le Polyptyque de l’abbé Irminon (I, p. IV). Les malheurs et les crimes de Louis le Débonnaire furent des suites de sa faiblesse et non de sa méchanceté.

[61] Vita Ludovici, c. 19.

[62] Chron. Moissac, ad 796. — Vita Ludovici, c. 9 et 11 ; Breve Chron. ad 804 (Bqt., V, p. 28).

[63] Vita Ludovici, c. 5 ; Chr. Moissac, ad 793 ; Ann. Lambec. ad 793.

[64] Remarquons cependant, pour être justes, que Louis n’avait pas même encore quinze ans lorsqu’il entreprit l’expédition de Bénévent.

[65] Vaissette, H. gén. du Languedoc, I, p. 436.

[66] Vita Ludovici, c. 5.

[67] Vita Ludovici, c. 13 ; Ann. Lois, ad 806.

[68] Vita Ludovici, c. 18.

[69] Vita Ludovici, c. 18.

[70] Ces ducs auraient été de race mérovingienne, au dire de la Charte d'Alahon, imprimée dans les Preuves de l’Hïst. gén. du Languedoc, I, p. 85 ; mais l’authenticité de cette charte est fort hypothétique, malgré les vives défenses qu’ont écrites en sa faveur D. Vaissette (H. gén. du Languedoc, I, p. 688) et M. Fauriel [H. de la Gaule méridionale, III, p. 513).

[71] Chron. Moissac, ad 785.

[72] Vita Ludovici, c. 8.

[73] Vita Ludovici, c. 13 ; Annal. Éginhard ad 801 ; Chron. Moissac, ad 803.

[74] Je me suis servi, pour comparer les sources arabes aux sources franques, de Y Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains, de M. Fauriel ; de l’ouvrage de M. Lembke, Geschichte von Spanien (Hamburg, 1831), et surtout d’une dissertation spéciale de M. Funk, sur les Relations de Louis le Débonnaire avec les Sarrasins, imprimée à la suite de son Histoire de Louis, p. 277 à 336.

[75] Les sources franques relatives aux rapports de Louis avec le gouverneur de Barcelone, Zeïd ; les walis de la haute Catalogne, Bahlul-ben-Mackluhk et Hassan, et le gouverneur de Saragosse, Amoroz, sont les Ann. Éginhard ad 797, 799, 809 810, et la Vita Ludovici, c. 8.

[76] Cette négligence de Louis est surtout frappante lors de la grande révolte d’Abdallah contre son neveu El-Hakem dit Abulaz. V. Éginhard Ann. ad 797.

[77] Funk, p. 329 ; Fauriel, III, p. 441 ; Lembke, I, p. 382.

[78] Éginhard Ann. ad 793 ; Chron. Moissac, ad 793.

[79] Ann. Éginhard ad 797.

[80] Vita Ludovici, c. 10.

[81] Vita Ludovici, c. 14, 16 ; Ann. Éginhard ad 809.

[82] Erm. Nig., II ; Vita Ludovici, c. 13 ; toutes les Annales franques ad 801 ; Chron. Moissac, ad 803.

[83] C’est ce qui me paraît clairement résulter de la comparaison de la Vita Ludovici, c. 13, et du Chron. Moissac, ad 803, avec Erm. Nig., I, v. 193 sq.

[84] Vita Ludovici, c. 13 ; Chron. Moissac, ad 803.

[85] Vita Ludovici, c. 15.

[86] Vita Ludovici, c. 17.

[87] Ann. Lois, ad 812 ; Chr. Moissac, ad 812 ; Vita Ludovici, c. 20. Il y avait déjà eu une première trêve en 810 ; mais elle fut presque immédiatement violée des deux cotes. V. Ann. Lois, ad 810.

[88] Vita Ludovici, c. 7. V. relativement à l’abolition du Foderum la note de Pertz (II, p. 610).

[89] Erm. Nig., I, v. 57.

[90] Vita Ludovici, c. 19.

[91] Vita Ludovici, c. 19.

[92] La Vita Ludovici, parle (c. 4) d’un Baiulus Arnoldus, (c. 5) de Proceres quorum consilio res publica aquitanici administrabatur regni, (c. 5) d’un Dux Tolosanus Chorso. Le dernier se conduisit si mal, dans la guerre contre les Basques, que Charlemagne le destitua et le remplaça par le fameux saint Guillaume, dès 790.

[93] Vita Ludovici, c. 6.

[94] Diploma Caroli ann. 812 [ap. Baluze, I, p. 499).

[95] Vita Ludovici, c. 19.

[96] Letaldi, mon. Mitiac. de Mime. S. Maximini (Mab., IV, part. I, p. 219. Not.).

[97] Vita Ludovici, c. 19.

[98] Vita S. Bened., p. 206.

[99] Vita Ludovici, c. 19 ; Erm. Nig., I, v. 54 ; Vita S. Ben., p. 210. Cllg. Diplom. (Bqt., V, VI.)

[100] Vita Ludovici, c. 19.

[101] Vita Ludovici, c. 28.

[102] Vita Ludovici, c. 20.

[103] Vita Ludovici, c. 20.

[104] Vita Ludovici, c. 21.

[105] L’aîné, Drogon, n’avait que dix ans. V. Annal. Weissemburgenses ad 802 vel 803 (Pertz, I, p. 111).

[106] Chron. Moissac, ad 810. — Ann. Lois, ad 812. — Éginhard, Vita Carol., c. 19.

[107] Thégan, c. 22.

[108] Ermold. Nig., II, v. 379, fait dire par Louis au pape Étienne :

Tu sacer autistes, ego rex sum christicolarum ;

Servemus populum dogmate, lege, fide.

[109] Nithard, I, c. 2.

[110] Erm. Nig., II, v. 31.

[111] Éginhard, Epist. (Bqt., VI, p. 36 q sq.) passim, et Vie d’Éginhard, par Pertz (II, p. 426).

[112] Erm. Nig., II, v. 45 (c’est toujours Éginhard qui parle). — Cllg. Éginhard, Vita Carol., c. 30, où il relate l’association en termes extrêmement louangeurs.

[113] Ann. Lois, ad 813.

[114] Vita Ludovici, c. 29.

[115] Thégan, c. 6. — Cllg. Éginhard, Vita, c. 30 ; Chron. Moissac, ad 813 ; Erm. Nig., II, v. 55 ; Ann. Franc, ad 813. La Vita Ludovici, au contraire, est extrêmement laconique relativement à l’association de Louis.

[116] Thégan, c. 6.

[117] Thégan, c. 6. Les Ann. Loiset. ad 813, Vita Ludovici, c. 20, et Erm. Nig., II, v. 69, font placer la couronne par Charlemagne sur la tête de son fils. — En tout cas, toutes les sources sont d’accord pour constater que le couronnement ne se fit pas par l’intermédiaire d’un prélat.

[118] Vita Ludovici, c. 20.

[119] Éginhard, Vita, c. 30 ; Ann. Lois, ad 814 ; Vita Ludovici, c. 20 ; Thégan, c. 7.

[120] Nithard, I, c. 1.

[121] Vita Ludovici, c. 20.