LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

DEUXIÈME PARTIE

 

XIX. — A Sainte-Lazare.

 

 

La détention de Mata Hari dans la vieille prison du Faubourg-Saint-Denis a duré huit mois.

Dès son arrestation, les ordres les plus sévères furent donnés pour qu'elle fût mise au secret absolu.

Elle fut donc enfermée d'abord dans une cellule capitonnée, dont les murs sont rembourrés, afin de prévenir toute tentative de suicide ; petit espace sans fenêtre et à peine éclairé par une étroite lucarne grillagée et haut placée qui ne reçoit que la faible lueur d'un bec de gaz de l'extérieur.

La prisonnière pouvait être surveillée jour et nuit à travers un judas pratiqué dans la porte, et un matelas était le seul meuble de ce sombre cachot.

Elle ne resta que deux jours dans cette cellule, et fut transférée pour raisons de santé dans une cellule dépendant de l'infirmerie.

Après avoir reçu les soins médicaux que réclamait son état physique, elle fut installée dans la cellule 12, qui avait été habitée avant elle par diverses prisonnières de marque, comme Mme Steinheil, Mme Caillaux, Thérèse Humbert, etc., et qui devait être sa dernière demeure terrestre.

Cette cellule était assez spacieuse. Elle avait deux fenêtres et trois lits. Avant sa condamnation, la prisonnière était le plus souvent seule dans la journée, tandis que la nuit un de ces lits était occupé par une fille de service. Toutefois, à aucun moment la surveillance ne se relâchait

Après sa condamnation, donc à partir du 25 juillet, Mata Hari couchait dans le lit du milieu, les deux autres servant aux deux moutonnes, détenues spécialement choisies parmi les mieux notées et qui lui tenaient également compagnie dans la journée.

La prison de Saint-Lazare a ceci de particulier que la surveillance officielle à l'intérieur, dans les deux sections, celle des détenues ordinaires et celle des filles soumises, est confiée à des sœurs religieuses de l'ordre de Marie-Joseph du Dorat, vivant en communauté au nombre de cinquante.

La plus connue d'entre elles était et est toujours sœur Léonide, qui Mata Hari durant le jour.

Cette sainte femme, qui a maintenant soixante-seize ans et qui a si bien mérité la croix de la Légion d'honneur qu'elle porte depuis trois ans, a passé cinquante-sept années de sa vie dans cet enfer.

Avec un tact et une patience qui ne se sont jamais démentis, elle a gardé toutes les espionnes de la guerre et elle s'est occupée de Mata Hari beaucoup plus que sa surveillance quotidienne ne l'exigeait.

Elle a réconforté la condamnée de sa parole charitable et évangélique, surtout les derniers jours de sa vie et le jour même de l'exécution.

La nuit, les autres sœurs veillaient à tour de rôle.

Au commencement, la prisonnière manifestait une certaine hostilité à l'égard de Sœur Léonide, mais peu à peu elle apprit à apprécier l'immense bonté et l'abnégation sans bornes de sa gardienne et elle finit par la considérer comme une petite mère.

C'est sœur Léonide qui a accompagné la condamnée au poteau d'exécution à Vin- cennes. Là, elle adoucit ses derniers moments en lui promettant de prier pour elle tous les jours jusqu'à la fin de sa vie.

Pendant sa surveillance, elle attendait toujours, avant do sortir de la cellule de sa prisonnière, que celle-ci fût couchée.

***

La légende a suivi Mata Hari jusque dans sa cellule. On a prétendu qu'elle avait réclamé des bains de lait, qu'elle lisait des livres de sagesse hindoue, on met sur son compte des réflexions et des méditations de la plus haute philosophie.

On a dit qu'après sa condamnation son avocat lui portait souvent des fleurs et des friandises.

Le Dr Bizard, médecin de Saint-Lazare, qui l'a visitée régulièrement pendant toute la durée de sa détention, a fait justice de toutes ces fantaisies.

Le Dr Bralez, interne du Dr Bizard, allait la voir en compagnie de son chef, mais jamais il n'a eu avec elle les conversations que lui impute un apologiste fantaisiste de Mata Hari.

Le Dr Bizard est formel à cet égard :

La littérature ne semblait guère l'intéresser, malgré ce que prétend notre grand ami Gomez Carrillo qui, en écrivant de l'histoire, ne peut oublier tout à fait qu'il est un excellent romancier. (Dr L. Bizard, op. cit.)

 

Au début de sa détention, il était interdit à la prisonnière de jamais quitter sa cellule ; mais après une réclamation de sa part et l'intervention du Dr Bizard en sa faveur, on lui permit une courte promenade quotidienne dans la grande cour.

Outre les visites médicales, elle reçut plusieurs visites du pasteur Arboux et de l'abbé Doumergue, aumônier de Saint-Lazare. Elle aimait beaucoup à s'entretenir avec ce dernier, ce qui a fait naître le bruit qu'elle se serait convertie au catholicisme.

Cc n'était qu'un bruit le pasteur Arboux l'a baptisée in extremis, le matin de l'exécution.

Ceux qui avaient été ses amants l'avaient, semble-t-il, complètement oubliée et même son ami russe Masloff ne lui écrivait jamais.

Seuls, ses créanciers ne l'oubliaient pas et elle reçut les réclamations de certains d'entre eux à Saint-Lazare même.

C'est ainsi que le 11 mai 1917 Kühne, le plus grand fourreur de La Haye, ignorant que sa débitrice était en prison, s'adressa à la Légation des Pays-Bas à Paris en l'informant qu'il lui était impossible d'entrer en communication directe avec Mme Zelle, puisqu'il ne savait pas dans quel hôtel elle était descendue. Il demandait donc quelles démarches il pourrait faire pour obtenir payement d'une somme de 3.211,50 florins qu'elle lui devait depuis octobre 1915.

***

Il semble qu'aux premiers temps de son séjour à Saint-Lazare et avant sa mise en jugement, Mata Hari n'ait pas pris sa situation trop au tragique.

Dans ses lettres au consul des Pays-Bas et à son avocat à La Haye, elle parle d'un accident qui lui est arrivé.

A sa vieille bonne en Hollande elle fait savoir qu'elle éprouve des difficultés à quitter la France, mais qu'elle reviendra certainement.

Une de ses principales préoccupations est de savoir si son loyer et ses contributions à La Haye ont été payés pendant son absence.

Elle parait assez sûre de se tirer de sa périlleuse situation.

Mais après sa condamnation à mort son état d'esprit s'assombrit.

Les deux dernières semaines de sa vie surtout, elle a passé dans sa cellule bien des heures d'angoisse.

La peur atroce de la fin, de la mort en pleine maturité, l'a tenaillée pendant ses nuits d'insomnie.

La pensée torturante qu'un matin, très prochain, sa porte s'ouvrirait pour donner accès au porteur de la nouvelle fatale, l'a obsédée jusqu'à son dernier jour, chassant le sommeil de ses paupières douloureuses.

Elle a vécu les heures terribles de tous les condamnés à mort qui, tout espoir étant perdu pour eux, voient l'heure suprême s'avancer à grands pas.

Mais dans son orgueil Mata Hari a trouvé la force de se maîtriser et de simuler le courage et l'impassibilité.