LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

PREMIÈRE PARTIE

 

I. — Margaretha-Geertruida Zelle.

 

 

Le père de Mata-Hari et un de ses apologistes ont voulu l'anoblir en lui donnant comme grand'mère la baronne Margaretha van Wynbergen, et comme maison familiale le château de Cammingha-State.

Sa vraie origine est beaucoup plus modeste.

Ses parents étaient Adam Zelle et Antje Van der Meulen, simples petits bourgeois. Elle vit le jour à Leeuwarden, chef lieu de la province de Frise (Hollande), le 7 août 1876.

Sa grand'mère du côté paternel était Grietje Hamstra ; du côté maternel, Sjoukje Faber. C'est à la première qu'elle devait le nom de Margaretha — dont Grietje est un diminutif frison — et non pas à quelque baronne.

Elle ne vit jamais le château de Camminglia State, qui d'ailleurs est un château en Espagne.

Adam Zelle tenait à Leeuwarden un petit magasin de casquettes et, après avoir fait faillite, il quitta sa ville natale pour se fixer à Amsterdam. Il s'y remaria en 1891 avec une femme de son âge et vécut pendant quelque temps de l'argent de celle-ci. Plus tard, il vendit du pétrole au détail et, vers la fin de sa vie, il devint voyageur de commerce.

C'était, dans la force de l'âge, un bel homme, grand et solidement charpenté, à lia barbe et aux cheveux noirs, aux traits réguliers.

Au moral, un fantaisiste orgueilleux et vaniteux, à peu près illettré, hargneux, vindicatif, déloyal et procédurier. Lesté de peu de scrupules, il ne reculait devant rien, mensonge ni calomnie, quand ses intérêts étaient en jeu. Cherchant querelle à tout le monde, il était en désaccord continuel avec toute sa famille. Ni sa femme, ni ses enfants ne l'aimaient, ni surtout sa fille unique, qui le détestait et le méprisait, bien que moralement elle tint beaucoup de lui.

La mère de Margaretha, brave femme et fille d'honnêtes bourgeois de Franeker, mourut relativement jeune, à quarante-neuf ans, en 1891, laissant, outre sa fille, trois garçons plus jeunes.

Mme Van der Meulen, mère de Mme Zelle, plaça pour ses petits-enfants la part de sa modeste fortune revenant à sa fille décédée.

Adam Zelle fut déchu de ses droits paternels toute sa famille s'opposant à sa nomination, ce ne fut pas lui qui fut nommé tuteur de ses enfants, mais le mari d'une de ses sœurs, M. H. Visser, à Sneek ; le frère de la défunte, le pharmacien Van der Meulen, à Franeker, devint subrogé-tuteur.

Mme Van der Meulen, grand'mère de Margaretha, géra la petite fortune de celle-ci — 5.000 florins en tout — et se chargea de l'éducation des petits-enfants.

Lorsque son père fit faillite, Margaretha avait quatorze ans, ses frères onze, neuf et six. Cette faillite fit beaucoup de bruit dans la ville et fut cause que le père s'aliéna définitivement l'affection des siens.

Tous ses enfants furent élevés loin de leur père. Pendant deux ou trois Margaretha fut pensionnaire de son tuteur à Sneek, puis elle entra comme élève interne à l'école normale d'institutrices à Leyde.

Mais la jeune fille, jolie et très grande pour son âge, n'acheva pas ses études à cette école.

Le directeur ayant fini par tomber amoureux d'elle, les condisciples de Gretha s'en aperçurent et commencèrent à se moquer de leur maître. Le pauvre homme, très jaloux, ne tolérait pas que quiconque d'autre du même sexe que lui fixât son regard sur les beaux yeux séducteurs de sa bien-aimée. Il reléguait sa belle élève dans l'arrière-corps de l'immeuble et lui interdisait toute promenade solitaire.

Il entreprit même de chanter les louanges de l'adolescente dans un style dithyrambique. Mais Gretha, qui avait d'autres visées que l'amour d'un vieux pédagogue, quitta l'école, à la grande fureur de cet étrange éducateur.

Elle alla habiter chez son oncle, M. Taconis, à La Haye, ancien négociant en tabac retiré des affaires, et marié avec une sœur d'Adam Zelle, laquelle elle devait le second de ses prénoms.

Elle abandonna complètement toute étude, mais lut avec une certaine frénésie les romans de Gyp, d'Arsène Houssaye, d'Armand Silvestre et autres amuseurs.

A dix-huit ans, désœuvrée, elle attendait impatiemment le Prince Charmant.

Où le trouver ?

Dès son adolescence, elle professait une vive admiration pour les dorures, les médailles, les tresses et, brandebourgs, les couleurs éclatantes de l'uniforme militaire.

A Scheveningue il venait beaucoup de jeunes officiers. La plage n'était pas trop loin de la maison avunculaire, et bientôt tous les officiers qui aimaient la mer et les surprises de ses bords connaissaient la belle jouvencelle qui savait si bien jouer des prunelles.

 

Dans son rêve, la jeune fille ne s'imaginait pas le Prince Charmant autrement que sous l'uniforme d'officier.