HISTOIRE D'ANNIBAL

 

APPENDICES.

APPENDICE G. — NOTICE ETHNOGRAPHIQUE.

 

 

Dès qu'on aborde un sujet d'histoire, on se sent fatalement entraîné à considérer sous leurs faces les plus saillantes les objets si divers dont est semée la route à suivre, et ce n'est point se rendre coupable de hors-d'œuvre que d'effleurer, en passant, l'étude des questions importantes qui se rattachent au sujet principal. C'est ainsi que, en écrivant les premières pages de la vie d'un grand homme de guerre, nous avons dû parfois nous arrêter en présence des grands phénomènes ethnographiques dont nos yeux étaient frappés. Rien ne tient en éveil l'intérêt de l'observateur comme les travaux qui se proposent l'analyse de la nature de l'homme, ou la détermination de sa fin, et surtout de sou origine ; mais rien non plus ne présage à ses efforts plus de déboires et d'insuccès.

Fixer sur la carte du monde le vrai point de départ de l'histoire ; débarrasser de ses langes l'humanité primitive, en retracer la rude enfance, en suivre, à la surface du globe, les migrations et les modifications ethnogéniques ; enfin, connaissant les ramifications extrêmes de la souche adamique, dresser la généalogie de toutes les races contemporaines : tel est l'énoncé du grave problème qui s'impose aux sciences historiques et qui, disons-le nettement, attend encore le préambule d'une solution.

De quelles lumières s'éclairer pour remonter ainsi le cours des âges, au milieu de tant de ténèbres épaisses ? A quels guides se confier, si l'on tient à ne point s'égarer dans le mystérieux enchaînement des événements antéhistoriques ? C'est encore la Genèse qui nous met aux mains le fil le plus sûr ; mais ces pages d'un livre inimitable, et qu'on ne consulte jamais en vain, sont d'une concision que ne sauraient racheter ni la richesse ni la fermeté du style ; l'interprétation en est excessivement ardue, et celte difficulté même a donné naissance aux systèmes les plus divers. Les premiers commentateurs des textes bibliques sont ces Pères de l'Eglise, si grands dans leur simplicité, dont les savants de nos jours refusent souvent d'admettre les théories. Où se trouve donc la vérité, objet de tant de recherches ardentes ?

Le XVIIIe siècle croyait avoir retrouvé en Egypte et en Phénicie les sources de toutes les civilisations du globe ; la Grèce apparut ensuite comme le prototype des sociétés humaines ; on flotta quelque temps dans ces indécisions. L'expédition du général Bonaparte avait remis l'Égypte en faveur ; le livre de Movers rendit aux Phéniciens la vogue qu'ils avaient perdue. Aujourd'hui, l'on prône l'Assyrie et la Babylonie ; mais ces hypothèses ne sont pas les dernières. William Jones, Schlegel et Creuzer avaient préconisé les Indes, et, mettant à profit l'étude sérieuse que Burnouf et Bopp ont faite des Védas, M. le baron d'Eckstein place décidément aux Indes le berceau des peuples primitifs, sans toutefois pouvoir en préciser la position. Toute incertitude semblait devoir disparaître, quand des observations multipliées attirèrent l'attention des ethnologistes vers des régions longtemps inexplorées : nous avons nommé les deux Amériques. Est-ce en quelque point du nouveau monde qu'il convient enfin de cantonner et d'asseoir les hypothèses ? Il serait téméraire de l'affirmer, mais, en tout état de cause, nous ne saurions nous dispenser de tenir grand compte des découvertes de M. Brasseur de Bourbourg. Les écrits de ce savant chercheur sont d'autant plus séduisants qu'ils ne semblent tendre au développement d'aucune idée préconçue, à la défense d'aucun parti pris. L'auteur se borne à exposer ce qu'il a vu, de ses yeux, au Yucatan et au Mexique, et sa vaste érudition lui permet d'établir des rapprochements saisissants entre le nouveau monde ct l'ancien. Il en induit la réalité d'un grand phénomène ethnologique, celui des antiques migrations humaines dirigées de l'Occident vers l'Orient.

Dans cet ordre d'idées, les rivages de la mer des Caraïbes auraient été le foyer de la plus vieille civilisation du globe. Chassées de leur pays natal par une longue suite de cataclysmes, les races américaines se seraient réfugiées en Afrique et en Europe, et cela de 6000 à 4000 ans avant notre ère.

Le fait de ces grandes commotions ethnologiques ne détruit nullement la tradition suivant laquelle le plateau de l'Asie doit être considéré comme le berceau de l'humanité. Ce que nous avons dit plus haut (I. III, c. II) n'est point faux ; nous avons énoncé des lois dont on ne saurait méconnaître la puissance. Très-certainement, en effet, il règne à la surface du sphéroïde terrestre un système de courants humains, intermittents et, le plus souvent, latents, mais dont les tendances sont toujours manifestes, et qui, à la manière des courants magnétiques, dessinent sur la sphère des courbes qui se ferment. De plus, en ce qui concerne notre Europe, ces flux adamiques se portent invariablement de l'est à l'ouest et du nord au sud.

Ces observations, si exactes qu'elles soient, ne déterminent toutefois qu'un élément de la courbe générale, et l'on se demande toujours quelle est la loi providentielle qui régit d'une manière absolue l'ensemble des grands mouvements ethnologiques. II ne suffit point, pour fonder la science, d'étudier le régime d'un cours secondaire ; il faut aborder le torrent maître, en tracer le thalweg, en suivre les méandres et les contre-courants, en fixer les remous et les points morts ; il est indispensable de ne plus hésiter entre l'amont et l'aval, de reconnaître les débordements, les ravages ou les fécondations qui s'opèrent sur de vastes espaces ou sur des points isolés.

Assurément, la science est encore loin d'atteindre le but qu'elle se propose ; mais elle est dans sa voie et doit redoubler d'efforts. Bientôt peut-être elle établira la concordance de la Genèse et du Teo-Amoxtli[1], et les textes mexicains mettront en pleine lumière les grandes beautés du récit mosaïque. Pour nous, profitant des données certaines dont peut disposer aujourd'hui l'enfance de cette science ethnologique, nous rechercherons l'origine des peuples dont la guerre d'Annibal a suscité le rapprochement violent : des Phéniciens, des Libyens, des Imazir'en, des Espagnols et des Gaulois.

En ce qui concerne les Phéniciens, est-il actuellement possible de remonter, jusqu'à ses sources premières, le courant des événements ethnogéniques ? Nous avons dit (l. I, c. I) que les Chananéens, fils de Cham, avant de se fixer sur les côtes de Syrie, avaient habité les plaines qui s'étendent de la Méditerranée jusqu'au Tigre, et du mont Caucase à la pointe méridionale de l'Arabie. Nous avons ajouté (l. I, c. II) qu'ils paraissent avoir erré dans ces régions de l'Asie occidentale jusque vers l'an 3000 avant l'ère chrétienne, époque de la fondation de Tyr par Baal ou Belus.

Mais quelle était l'origine de ce Belus ? D'où venaient ces Chananéens nomades quand, pour la première fois, ils plantèrent leurs tentes sur les bords du Tigre et de la mer Rouge ? En d'autres termes, quel est le berceau de la race phénicienne, race que rien ne rattache aux autres populations de l'Asie ?

Pour essayer de répondre à ces questions ardues, il convient de se souvenir que, suivant Diodore de Sicile[2], Belus, l'archégète phénicien, était fils de Neptune et de Libya. C'est donc vers l'ouest qu'il faut chercher les traces de ses premiers pas ; c'est l'Atlantide et l'Afrique septentrionale qui furent sans doute le pays de ses ancêtres. Dans cet ordre d'idées, M. Brasseur de Bourbourg n'hésite pas à pousser plus à l'ouest encore. Il observe que la Phénicie présente des analogies frappantes avec l'antique Amérique ; que les idées, les cultes, les cosmogonies de ces deux régions du globe offrent, à chaque instant, sinon des identités, du moins des similitudes remarquables. Les monuments eux-mêmes semblent témoigner d'une civilisation commune.

Ces prémisses posées, la conclusion ne se fait pas attendre. Venus des bords de la mer des Caraïbes, foyer d'une civilisation depuis longtemps éteinte, les Phéniciens, fds de Cham, auraient habité, durant des siècles, cette célèbre Atlantide, dont la mer des Sargasses nous révèle aujourd'hui les contours. Ils y auraient hérité de la puissance des Cares, les premiers navigateurs connus, les maîtres du vieux monde. Dans ces âges reculés, un bras de mer étroit séparait seul l'Afrique du continent englouti sous les eaux, et dont nous voyons encore émerger les sommets supérieurs, aux îles du Cap-Vert, aux Canaries et aux Açores. Les fils de Neptune le franchirent, et firent de la terre libyque leur nouvelle patrie[3].

Maîtres de l'Afrique septentrionale, ils eurent la gloire d'y fonder une civilisation brillante, dont les reflets éclairèrent l'Orient et la Grèce. Mais cette prospérité devait s'éteindre : les fils de Libya et de Neptune se heurtèrent un jour aux Egyptiens, et Belus, battant en retraite devant des forces supérieures, dut chercher un refuge en Asie, où nous le retrouvons à l'aurore des temps historiques.

En présence des indécisions des philologues et des historiens, qui ne savent où placer le berceau des fils de Chanaan, nous adoptons volontiers les idées séduisantes de M. Brasseur de Bourbourg.

Nous avons exposé (l. I, c. IV) que les Libyens sont des Chamites, ainsi que les Phéniciens, leurs aînés. Chanaan, en effet, est bien un fils de Chain, tandis que Laabim, fils de Mesraïm, n'en est que le petit-fils[4]. Ce simple degré de filiation correspond sans aucun doute à des divergences considérables de temps, de lieux, de circonstances ethnogéniques de toute nature. Il faut observer toutefois que la race libyenne est d'une haute antiquité, et paraît inséparable, dans le souvenir des prophètes, des races issues directement de Cham. Les nations de Phuth et de Libye venaient, dit Nahum[5], au secours de Ninive.

Ce passage de Nahum semble d'ailleurs indiquer que Laabim assit ses premiers établissements au cœur de l'Asie, Quelles évolutions eut-il à accomplir ensuite, avant de parvenir jusqu'à l'occident de l'Afrique, et, dans ce but, quelles voies dut-il suivre ? On ne saurait le dire exactement, mais il est constant qu'il fut, de très-bonne heure, maître de la contrée à laquelle il a laissé son nom[6], et que, navigateur intrépide dès sa première enfance, il poussa ses voyages de découvertes jusque dans le nord de l'Europe[7].

La puissance des Libyens était vraisemblablement à son apogée lorsque le mythique Antée, leur souverain, vit sa marine ruinée par les Phéniciens victorieux. Ce désastre n'anéantit heureusement point la race, qui demeura, sans se disperser ni dégénérer, sans rien perdre de son caractère original, durant la domination antéhistorique des fils de Chanaan.

Ainsi que nous l'avons raconté (l. I, c. IV), les compagnons d'Elissa, qui abordaient, au IXe siècle, aux rivages d'Afrique, furent surpris d'y trouver, au lieu de hordes sauvages, un peuple depuis longtemps sorti des ténèbres de la barbarie, et déjà en possession d'une civilisation brillante[8].

Bien des lois, dans le cours de cette étude historique, nous avons eu l'occasion de mentionner le nom du peuple amazir' ; bien des fois nous nous sommes plu à esquisser incidemment quelques traits de son caractère original, à effleurer, en ce qui le concerne, des problèmes d'ethnographie depuis longtemps posés[9].

Maintenant, il convient de reprendre et de grouper nos dires, de rassembler tous les arguments que nous avons disséminés le long de ce récit, de fournir, s'il se peut, des preuves nouvelles et décisives à l'appui des faits dont nous poursuivons la démonstration.

Et d'abord, quel est le vrai nom patronymique d'une race que les auteurs anciens et les auteurs modernes affublent de tant de noms divers ? Ces Imazir'en, que, d'après les Arabes, nous nommons aujourd'hui Kabyles et Touareg, les Égyptiens les appelaient Tamehou ou Tahennou[10] ; les Grecs, Νομάδες[11], Μασσυλέοι, Μακκαΐοι, Μασσύλοι, Μασυλεΐς[12], Μάσικες[13] ; les Latins, Numidæ, Massyli[14], Maxitani[15].

Les Égyptiens, les Grecs, les Latins, les Arabes, les connaissaient aussi sous le nom de Berbères[16].

La science qui s'attache à la recherche des sources ethnographiques doit, à notre sens, répudier les désignations de Tamehou, de Nomades ou Numides, de Kabyles et de Touaregs, qui ne sont point des expressions de nationalité, mais des surnoms que le vainqueur tirait ordinairement des coutumes du peuple vaincu. Quant au nom de Berbères, il y a matière à discussion. Est-ce bien un ethnique ? N'est-ce point simplement la corruption du mot Barbare, que les Grecs et les Romains avaient coutume d'appliquer aux nations avec lesquelles ils étaient en guerre[17] ? Nous n'hésitons pas à nous prononcer en faveur de ce dernier sens, et, par suite, ne reconnaissons pour véritables ethniques que les noms de Μασσύλοι, Massyli, Maschuasch, et autres analogues, dans lesquels se retrouve d'une façon patente la racine du nom national Amazir', le seul nom dont nos populations algériennes reconnaissent aujourd'hui la légitimité.

Cela posé, la race tamazir't a-t-elle une langue à elle, des monuments distinctifs, une histoire ? Il est permis de répondre affirmativement.

Nos Imazir'en de l'Algérie parlent encore cet idiome, qu'entendaient jadis toutes les populations de l'Afrique septentrionale[18], et dont on a fait récemment une étude sérieuse. Le dictionnaire[19] et la grammaire[20] en ont été restitués d'une manière satisfaisante, et l'on en peut pénétrer le génie original. Nous exposerons plus loin les conclusions que la philologie est en droit de formuler à cet égard.

Quant aux monuments, les nations thimazirin en auraient laissé de considérables, s'il faut s'en rapporter à l'autorité de quelques savants. On leur attribue la construction des pyramides d'Egypte[21], ces colosses de pierre avec lesquels le Tombeau de la Chrétienne[22] et le Medracen[23] ne sont pas sans analogie. M. Daux a aussi rencontré, sur le sol de la Régence de Tunis, entre Sousa et Kaïrowan, un petit monument sans porte ni fenêtres, voûté en encorbellement, qu'il incline à croire d'origine berbère, et de la plus haute antiquité. Pour les édifices de moindre importance, on se fera facilement une idée du style amazir' si l'on étudie l'architecture des villes de la côte algérienne, des villages de la grande Kabylie et des q'sour du S'ah'râ.

Nous possédons aussi quelques monuments épigraphiques provenant de ce peuple si longtemps oublié. Depuis la découverte de l'inscription bilingue de Thugga[24] et de celle de Djerma[25], on a trouvé, dans les ruines d'Ain Nechma, près de Guelma, un grand nombre de pierres portant, d'une part, des caractères puniques, de l'autre, des tifinar'[26]. L'écriture tamazir't n'était donc pas perdue ; quelques habitants de notre Algérie en avaient gardé la tradition, comme M. de Saulcy put s'en convaincre en rapprochant de l'inscription de Thugga la correspondance d'un certain Othman Khodja, d'Alger[27]. En 1845, le colonel Boissonnet se procurait, au Touat, un alphabet berbère[28], lequel a été ultérieurement rectifié, augmenté, et dont on connaît aujourd'hui toutes les lettres, ainsi que la valeur de chacune d'elles. Grâce aux études du colonel Hanoteau[29], les philologues peuvent interpréter les inscriptions thimazirin qu'on découvre chaque jour en Algérie[30]. Outre l'épigraphie tumulaire et votive, la science dispose aussi des devises que portent les boucliers des Touareg, et des légendes de leurs bracelets. Il n'est pas non plus inutile d'étudier les tatouages des Touareg et des Kabyles, lesquels ne sont pas uniquement des signes empruntés aux symboles du christianisme[31].

L'histoire de la nation tamazir't a pu, en grande partie, être restituée[32], et il y a lieu d'espérer que des études ultérieures permettront d'en combler les lacunes. Les annales de cette race sont étroitement unies à celles de tous les peuples qui, successivement, ont dominé l'Afrique septentrionale : elles se mêlaient naguère aux bulletins de l'armée française, comme elles s'imposaient aux chroniques arabes du moyen âge ; comme elles pénétrèrent jadis au cœur du récit des guerres de Cartilage et de Rome. Au temps de la deuxième guerre punique, les Imazir'en prennent une part active aux événements politiques et militaires, et nous verrons en scène de grands personnages historiques, alliés ou ennemis d'Annibal : Syphax, Tychée, Masinissa. A l'époque de la fondation de Carthage, on se le rappelle, les monarchies berbères étaient depuis longtemps constituées, et l'histoire enregistre déjà le nom d'un prince de cette race. Remontons encore plus haut le cours des âges, et nous assisterons à la lutte héroïque que le peuple amazir' soutint contre les forces de Sésostris, le chef de la dix-neuvième dynastie des rois d'Egypte (1491 ans avant Jésus-Christ)[33].

Ce n'est pas tout : nous avons des documents plus anciens, et d'excellents esprits voient des Imazir'en dans ces populations africaines qui, à une époque inconnue[34], envahirent la basse Egypte et y assirent leur domination[35]. Ces événements remontent vraisemblablement à l'antiquité la plus reculée, puisque Pline nous montre les envahisseurs armés de simples bâtons[36], servant probablement de manches à des lames de silex[37]. Les guerriers qui soumettent l'Egypte sont donc encore à l'âge de pierre.

On est en droit d'admettre que la race tamazir't est l'une des plus vieilles branches de l'espèce humaine. Mais quelle en est l'origine ? Quel est le sang qui coule dans ses veines ? Nous n'hésitons pas à nous prononcer pour celui de Japhet. Et, en effet, abandonnant toute critique du passage de Strabon dont nous avons invoqué l'autorité[38], renonçant aux données de la version de Salluste, si vivement battue en brèche par Movers[39], et qui, suivant M. Vivien de Saint-Martin[40], accuse une absence complète de discernement historique, nous procéderons par voie d'élimination.

Les Imazir'en ne sont point des Sémites, ainsi que le veulent les généalogistes musulmans, et principalement Ibn-Khaldoun[41] ; la saine philologie répudie absolument de semblables hypothèses. M. Ernest Renan, que nous avons consulté, a bien voulu nous répéter très-fermement ce qu'il écrivait il y a quelques années[42], savoir : que la langue berbère n'est certainement pas sémitique[43].

Nos Kabyles et nos Touaregs seraient-ils des descendants de Cham ? Non, car les Chamites égyptiens ne parlent point leur langue et repoussent toute idée de parenté avec eux[44]. Ils les appellent Barbares.

Ce nom seul, dont la racine tient essentiellement au sanscrit (war, la guerre), suffirait à décider en faveur d'une origine indo-européenne ; mais nous avons d'autres preuves, apportées par la science égyptologique. Il y aurait lieu d'admettre, dit expressément M. Alfred Maury[45], que les Tamehou appartenaient à notre race. M. de Rougé émet à ce sujet une opinion semblable. M. Henri Martin admet que les envahisseurs de l'Afrique étaient purement Aryas ; M. Broca et le général Faidherbe leur attribuent une origine européenne pré-aryenne. Ces deux opinions ne sont pas, comme on pourrait le supposer, exclusives l'une de l'autre. La Libye, en effet, a subi des invasions d'hommes blonds venus directement de l'extrême Nord, mais aussi des conquêtes de populations septentrionales modifiées en leur essence par une longue influence aryenne, c'est-à-dire de hordes galliques[46].

Bien avant la venue des Teutons et des Cimbres, qui épouvantèrent tant le monde romain ; avant les grandes invasions kimriques parties des bords de la mer Noire ; au milieu de la nuit de ces âges de pierre, dont la durée confond notre imagination, de larges et impétueux torrents humains portaient vers le sud-ouest de l'Europe des masses innombrables, issues de cette race qu'on appelle gallique. Obéissant aux instincts de leur sang, ces hommes, qui formaient l'avant-garde de nos ancêtres, se répandirent tumultueusement en Gaule, tendirent la main à leurs frères d'Angleterre et d'Irlande[47], et inondèrent la péninsule ibérique. A cette époque, il n'y avait pas encore de détroit de Gibraltar[48] ; aucune solution de continuité n'arrêtant ces bandes intrépides, elles arrivèrent en Afrique et s'y installèrent à demeure.

Ascendants directs de ces Gallas, qui dominent aujourd'hui l'intérieur du continent africain, les Galls des temps primitifs ont laissé sur la côte septentrionale des traces non équivoques de leur passage, et nous retrouvons aujourd'hui leurs monuments mégalithiques, ces dolmens, ces cromlechs, dont ils semèrent jadis le sol de notre Algérie[49]. Et si l'on fouille ces antiques sépulcres, qu'y découvre-t-on ? Des terres cuites, étranges dans leur simplicité, qui semblent avoir servi de modèles à celles qu'on exhume çà et là en France. Et celles-ci semblent avoir inspiré l'art céramique de nos Kabyles contemporains. Qu'on range sur une même étagère une poterie de Roknia, une du mont Beuvray, une autre enfin fabriquée hier à Fort-Napoléon, et l'on sera frappé de l'identité des formes, de l'air de famille des motifs d'ornementation, de l'analogie du style dans la disposition des stries.

Rapprochons de leurs nécropoles les villes de ces anciens habitants de l'Afrique ; voyons les maisons après les tombes. Ces demeures primitives se nomment mugalia[50], mapalia[51]. Or ces expressions ne sont pour nous que les transcriptions latines de ma-g-All et ma-b-All, la maison de l'All, la hutte gallique[52].

Mais ce ne sont pas là nos meilleurs arguments ; c'est sur le résultat de nos observations topologiques[53] que nous voulons surtout fonder notre dire. Les noms que l'homme primitif donne aux lieux qu'il occupe sont tirés des circonstances physiques qui les caractérisent, ou portent simplement l'empreinte du nom de sa race. Dans cet ordre d'idées, nous mettons en regard une carte d'Europe et une carte d'Afrique ; nous procédons à une étude comparée de l'Angleterre et de la Kabylie, de la France et du Soudan, et, de part et d'autre, nous observons que les mêmes accidents du sol s'expriment par des dénominations, non point semblables, mais identiques. Nous avons réuni plus de cinq cents exemples de ce fait remarquable dans un Mémoire que nous présenterons prochainement à l'Institut. Ce n'est point ici le lieu de produire cette longue nomenclature comparée ; citons cependant quelques-uns de ces faits topologiques dont nous avons déduit une loi.

Prenons le fleuve qui arrose Londres, la Tamise, en latin Tamesis. Combien compte-t-on en Algérie de rivières Tamassin ou Temacin ? On ne saurait le dire ; on en rencontre partout. C'est que, suivant le génie des langues européennes, le cours d'eau[54] se désigne d'une manière uniforme sous le nom de la race riveraine, de cette race tamazir't qui, avant de s'établir en Afrique, occupait l'Angleterre.

Le cours d'un fleuve vient-il à s'infléchir, à s'arrondir, à découper la terre ferme en forme de promontoire, les Imazir'en donnent à la portion de territoire ainsi arrosée en cercle le nom significatif de traskoun (cap femelle arrondi). Il y a ainsi un traskoun au sud de Medea, là où le Baroura conflue à l'oued el-Arach. De même, en France, on rencontre un Tarascon au point où le Rhône décrit une conque tournant sa convexité vers l'ouest ; on trouve un autre Tarascon là où le cours de l'Ariège, précédemment dirigé du sud-est au nord-ouest, se recourbe et coule droit vers le nord.

Une montagne affecte-t-elle la forme conique ou pyramidale, c'est pour le Kabyle un babor, ou mieux un brbr[55]. Telle est la racine première du nom des villes de France bâties sur des hauteurs prononcées, telles que Brbr-Ax (Bibrax, vieux Laon)[56], Brbr-Ak't (Bibracte, mont Beuvray), etc. Une chaîne présente-t-elle deux pics voisins, et de cachet semblable, la désignation du plus petit des deux est frappée de la préfixe femelle ta : il s'appelle Tababor ou Tabor. N'avons-nous pas dans nos Alpes un mont Tabor, dont l'altitude semble modeste à côté de celles du mont Blanc et du Viso ? Nous pourrions multiplier les exemples, mais il convient de nous arrêter ici, en renvoyant le lecteur à notre Mémoire spécial[57].

Nous ne saurions, d'ailleurs, terminer ce rapprochement entre Gaulois et Imazir'en sans signaler l'analogie de leurs armes, de leurs bracelets, de leurs costumes nationaux. Jules César admirait chez les Imazir'en d'Afrique la manière de combattre de l'infanterie et de la cavalerie combinées[58] ; mais il avait jadis rencontré sur le Rhin des guerriers dont la tactique était exactement la même[59]. Enfin ces peuples, que séparait la Méditerranée, éloignés l'un de l'autre, inconnus l'un à l'autre, construisaient sur le même modèle des baraques faites de branchages et recouvertes de roseaux ou de paille[60]. Que conclure de ces faits, sinon qu'une communauté d'origine peut seule les expliquer ? Nous mentionnerons aussi les preuves qui peuvent surgir des études de craniologie comparée ; nous demanderons aux anthropologistes si la similitude des coutumes gynécocratiques de la Kabylie et de la Gaule antique n'est pas un témoignage qu'il convient d'enregistrer[61]. Enfin, pour nous faire pardonner l'audace de notre théorie gallo-tamazir't, nous invoquerons l'autorité de M. Vivien de Saint-Martin, estimant que, dans les rapprochements ethnologiques, il doit être laissé la plus large part à l'intuition.

Nous avons exposé (l. I, c. X) le tableau des invasions diverses qui, à des époques perdues dans la nuit des âges, ont concouru au peuplement de la péninsule ibérique. Nous avons montré les Galls (vers l'an 1600 avant Jésus-Christ), les Phéniciens (1500), les Grecs (1270), les Massaliotes (600), les Carthaginois (500), venant successivement rafraîchir la sève des aborigènes. Les Galls furent, comme on le voit, les premiers envahisseurs ; ils dominèrent longtemps le pays, à ce point que le nom de Celtibère (Kelt-iberen) fut souvent pris, dans l'antiquité, pour synonyme d'Espagnol[62].

Or quelles populations nos ancêtres ont-ils ainsi refoulées par delà les Pyrénées ? Quels sont, pour mieux dire, les premiers habitants de l'Espagne ? On les désigne ordinairement sous le nom générique d'Ibères ; mais cette dénomination celtique[63] n'apporte aucune donnée bien claire touchant leur origine et leur filiation. Quelques auteurs catholiques prétendent que l'Espagne doit rattacher sa population primitive à la descendance de Thubal, l'un des fils de Japhet[64]. C'est de là, disent-ils, que la péninsule a tiré le nom de Sétubalie, sous lequel on la connaissait dès l'antiquité la plus reculée[65]. Mais cette assertion n'est, malheureusement, étayée d'aucune preuve rationnelle, et parait n'être qu'un fruit de l'imagination ou du zèle religieux[66]. Nous préférons nous en référer à l'autorité de Humboldt, lequel nous représente les Basques comme les plus anciens habitants de l'Espagne. Ce point de repère fixé, la question d'origine, sans être encore résolue, peut se poser plus nettement comme il suit : à quel rameau de la famille humaine est-il possible de rattacher les Basques ?

Nous avons dit (l. III, c. IV) que, à l'aurore des temps historiques, la race des Galls occupait le territoire de notre France actuelle, et donné à entendre (l. III, c. IV) que le point de départ des invasions galliques peut être fixé sur les rivages de la mer Noire. C'est ce que nous confirme un passage de l'Histoire de Jules César. Les anciens, dit l'Empereur[67], confondaient souvent les Gaulois avec les Cimbres et les Teutons ; issus d'une même origine, ces peuples formaient comme l'arrière-garde de la grande armée d'invasion qui, à une époque inconnue, avait amené des bords de la mer Noire les Celtes dans les Gaules.

Le fait d'une station de la race gallique dans les contrées voisines du Pont-Euxin peut mettre sur la voie de son origine. Cette race ne serait-elle point la descendance directe de Mosoch, le fils de Japhet[68], lequel habitait les régions comprises entre la mer Noire et la mer Caspienne ? Ce qu'on peut dire en toute sûreté, c'est qu'elle se rattache franchement à la souche japhétique ou indo-européenne, et que sa langue mère est le sanscrit. Née sur les hauts plateaux de l'Asie centrale, et pendant qu'elle préludait au peuplement de l'occident de l'Europe, elle est venue un jour camper au pied du mont Caucase ; voilà qui est également certain. Mais elle n'est peut-être arrivée en ce point qu'après de longs circuits, et, ce fait admis, est-il possible de tracer sur la sphère la courbe qu'elle a décrite en ses migrations successives ? Nul ne saurait le faire exactement sans doute, mais M. Brasseur de Bourbourg hasarde une hypothèse qu'il faut se garder de condamner a priori. Si l'on est sûr, dit ce savant ethnologiste, que la plupart des langues qui se parlent en Europe sont dérivées du sanscrit, il convient d'observer que les éléments n'appartenant pas à cette langue mère ont très-probablement leur source dans les langues de l'Amérique[69]. Pour lui, les invasions galliques sont venues du nord-est de l'Europe ; 'et le nord de l'Europe doit son peuplement aux flux humains qui, descendant les fleuves du Labrador, du Canada, des États-Unis, ou s'abandonnant au gulf-stream, à partir de la mer des Antilles, auraient d'abord inondé l'Irlande, le Danemark et la Scandinavie d'une immense nappe d'êtres vivants. Ce grand mouvement ethnologique se serait opéré de 6000 à 4000 ans avant Jésus-Christ.

Pour nous, nous estimons que la race gallique est née de la fusion des éléments de deux grands courants, dirigés normalement l'un à l'autre : l'un issu des plateaux de l'Asie, l'autre venant des régions polaires, de ces lieux si féconds d'où, selon M. Gustave Lambert, paraissent découler les sources premières de la vie sur le globe ; celui-là, décrivant, de l'est à l'ouest, les parallèles de notre sphéroïde ; celui-ci, en descendant les méridiens dans ses tendances constantes vers l'équateur.

Bien des fois, durant la nuit des âges antéhistoriques, les êtres qu'entraînaient ces instincts d'expansion se rencontrèrent, s'entre-heurtèrent, et les chocs furent d'autant plus violents, que les directions fatalement suivies se coupaient sous un angle droit ; que les deux mouvements ethnographiques donnaient dans le flanc l'un de l'autre. Mais aux temps de tourmente succédèrent des périodes d'apaisement ; peu à peu, les deux torrents se mêlèrent, et ces mélanges aboutirent à la formation ethnologique des enfants d'All, de ces Galls qui, sous des noms divers, en vinrent à couvrir toute la surface de l'Europe.

En résumé, car il est temps de clore cette longue notice, le grand homme de guerre dont nous écrivons l'histoire, Annibal le Chananéen, qui ne tendait qu'à la ruine de Rome, Annibal entraînait à sa suite une armée composée, pour la plus grande part, de Celtibères, d'Imazir'en, de Gaulois, c'est-à-dire d'éléments indo-européens. Il obéissait, sans en avoir conscience, à cette loi qui résume la prière de Noé : Dilatet Deus Iapheth ! mais le premier verset de la prière avait bien cruellement formulé son arrêt : Maledictus Chanaan, servus servorum erit fratribus suis[70].

 

 

 



[1] Le Teo-Amoxtli est un recueil d'annales sacrées, géologiques et historiques des Etats de Colhuacan et de Mexico. C'est un registre de l'histoire de la nature et des hommes, tenu avec des dates précises par les prêtres mexicains, depuis l'an 9973 avant Jésus-Christ. — Ce livre précieux vient d'être traduit et annoté par M. Brasseur de Bourbourg. (Sous presse.)

[2] Diodore de Sicile, Biblioth. hist., I, XXVIII.

[3] On retrouve sur le sol de l'Afrique septentrionale l'empreinte des premiers pas de la race chananéenne. Les idées, les mœurs, les instincts phéniciens y ont jeté des racines si vivaces et si profondément implantées, que ni les révolutions, ni les conquêtes n'ont pu les en arracher encore. On ne saurait attribuer cette étrange persistance qu'au fait d'une longue domination des fils de Belus, antérieure à celle qui commence vers l'an 1500 avant l'ère chrétienne.

[4] Genèse, X, 6 et 13.

[5] Nahum, III, 9.

[6] Peuple pasteur, agriculteur, métallurge, marin, pirate, Lahabim est tout cela, selon son séjour dans l'intérieur, ou sur les côtes de l'Océan. Répandu dans les oasis du voisinage de l'Egypte, sur toutes les côtes de la Méditerranée et de l'océan Atlantique, depuis la Cyrénaïque jusqu'aux extrémités du Maroc, maître des vallées et des crêtes du mont Atlas.... (M. Brasseur de Bourbourg, Sources de l'histoire du Mexique, p. 71.)

[7] En ces vieux jours du monde, où.... Lahabim et Phouthim s'enlaçaient plus ou moins à travers l'Europe occidentale, et poussaient jusqu'au sein de l'Irlande et de la Grande-Bretagne.... (M. d'Eckstein, Les Cares ou Cariens, p. 197.)

[8] Tout en constatant (l. II, c. II) l'origine indo-européenne des Maxyes, Maxitains ou Makaouas, nous les avons compris sous le nom générique de Libyens, comme le firent jadis les Romains, et, avant eux, les Carthaginois. Les événements avaient imposé au peuple maxye le nom du territoire qu'il occupait à demeure, et, peu à peu, il avait oublié sa dénomination ethnique. L'histoire onomatologique présente plus d'un phénomène de ce genre.

[9] A ce sujet, le lecteur peut se reporter au livre I, chapitre IV ; au livre II, chapitre II ; au livre III, chapitre V et chapitre VI ; enfin au livre IV, passim.

[10] M. Alfred Maury, Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er septembre 1867.

[11] Suivant M. Vivien de Saint-Martin (Le nord de l'Afrique, p. 125), le nom de Numides ne peut remonter au delà du IVe siècle avant notre ère.

[12] Polybe, III, XXXIII, et VII, XIX. — Denys le Périégète, t. II, p. 111, des Petits Géographes grecs, édit. Müller.

[13] Ptolémée, IV, I.

[14] Virgile, Enéide, IV, passim. — Silius Italicus, Puniques, III, v. 183. — Tite-Live, XXIX, XXX, et passim, etc.

[15] Justin, XVIII, VI.

[16] Les Égyptiens, dit Hérodote (Hist. II), appellent Βάρβαροι tous les peuples voisins qui ne parlent pas leur langue. — Pour les Grecs et pour les Latins, le nom de Berbère n'était qu'une corruption de Βάρβαρος, Barbarus. Quant aux Arabes, ils crurent naïvement à l'ethnique ; Ihn-Khaldoun prend les Berbères pour des descendants de Berr.

[17] Nous répétons que les Grecs et les Romains appelaient Barbares (war war) les peuples ennemis, et même les étrangers. (Ovide, Les Tristes, t. V, élégie I.)

Voyez ci-après (en note) une étymologie nouvelle du mot Berbère, déduite de nos observations topologiques.

Les Imazir'en sont des Berbères, ainsi que les Escuraz (Basques) sont des Ibères, par suite d'une fantaisie des étrangers. C'est ainsi que le sobriquet de Yankee passera peut-être plus tard pour le vrai nom de l'Anglais d'Amérique.

[18] Saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, VI.

[19] Une commission, nommée par décision du ministre de la guerre en date du 22 avril 1842, a publié, en 1844, un Dictionnaire français-berber.

[20] Essai de grammaire kabyle, du colonel Hanoteau, Alger, 1858.

[21] M. d'Eckstein, Les Cares ou Cariens, deuxième partie, VIII. — Voyez aussi M. Brasseur de Bourbourg, Sources de l'histoire du Mexique, p. 72.

[22] Monument sépulcral des rois de Mauritanie. Le modèle en plâtre du Tombeau de la Chrétienne, exécuté sous la direction de MM. Berbrugger et Mac-Carthy, a figuré à l'Exposition universelle de 1867.

[23] Tombeau de Syphax. Le modèle de ce monument a aussi figuré à la même Exposition. — Voyez la Notice du colonel Foy dans l'Annuaire de la Société archéologique de Constantine, 1856-1857.

[24] L'inscription de Thugga a été découverte en 1631, par un Français, Thomas Darcos.

[25] L'inscription de Djerma est due à l'Anglais Walter Oudney (1822).

[26] Les caractères en usage chez les Touareg pour la représentation des sons parlés se nomment tifinar', pluriel de tefaner't.

[27] Dans les premiers temps de l'occupation de l'Algérie par l'armée française, un habitant d'Alger, du nom d'Othman Khodja, entretenait une correspondance active avec le bey de Constantine. M. de Saulcy parvint à déchiffrer deux pièces de cette correspondance, et déclara que les caractères employés n'étaient autres que ceux de l'inscription de Thugga.

[28] Voyez les Mémoires de M. de Saulcy dans la Revue archéologique du 15 novembre 1845, et le Journal asiatique du 27 mai 1847.

[29] Essai de grammaire kabyle, p. 358. — Notice sur quelques inscriptions en caractères dits tifinar'. — Voyez la Grammaire de la langue tamachech', du même auteur.

[30] Nous citerons, entre autres, l'inscription d'Abizar, trouvée par M. Aucapitaine, près des ruines de Rous-Bezer.

[31] L'Afrique septentrionale a été chrétienne au temps de saint Augustin ; le fait est irrécusable (voyez l'Africa christiana de Morcelli) ; mais tous les tatouages (thit'aoua, mot à mot œil de nation, signe de reconnaissance) ne représentent point des symboles religieux ; il en est certainement qui firent office de marques distinctives de la nationalité. Il convient d'analyser patiemment ces inscriptions vivantes que nous garde la tradition, car on en peut tirer des enseignements précieux.

[32] Voyez : l'Histoire des Berbers, du baron de Slane ; — La Grande Kabylie, du général Daumas ; — l'Univers (Numidie), de Firmin Didot ; — Le nord de l'Afrique, de M. Vivien de Saint-Martin ; — la collection de la Revue africaine, etc.

[33] M. Alfred Maury (Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er septembre 1867) analyse les travaux égyptologiques de M. Mariette, desquels il résulte que, vers l'an 1400 avant Jésus-Christ, des hordes de gens aux yeux bleus et aux cheveux blondi envahirent la basse Egypte, par les déserts uni sont à l'occident du delta, c'est-à-dire par le désert de Libye. Ces blonds envahisseurs, venus en Afrique par l'Espagne, étaient originaires du nord de l'Europe.

[34] Vraisemblablement vers 500 ans avant l'ère chrétienne.

[35] Dix-huit princes africains régnèrent, dit-on, à Thèbes. C'est à cette période, dont on ne saurait fixer la durée, que se rapporterait la construction des pyramides.

[36] Pline, Hist. nat., VII, LVII.

[37] Voyez au musée de Saint-Germain de curieux spécimens de ces armes primitives.

[38] Strabon, XVII, III. (Voyez notre livre I, c. IV.)

[39] Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II, p. 112.

[40] Le nord de l'Afrique, p. 126. — Suivant M. de Saint-Martin, la légende recueillie par Salluste était bien plus carthaginoise que berbère. Des noms de tribus berbères rappelant ceux des grandes nations de l'Orient avaient frappé l'oreille des Carthaginois. Il n'en fallait pas tant aux anciens, remarque l'auteur, pour servir d'échafaudage à leurs légendes.

[41] Ibn-Khaldoun dit que Berr est l'ancêtre commun des Berbères et des Arabes. Ces peuples se seraient ensuite divisés en deux branches, issues de Madr'is et de Bernès, fils de Berr.

[42] Histoire des langues sémitiques, I. I, c. II, p. 81.

[43] Le général Faidherbe (Akhbar du 14 octobre 1869) se demande si la langue berbère est la langue des autochtones bruns de la Libye, ou celle des envahisseurs blonds venus du nord de l'Europe. Preuves topologiques en main, nous n'hésitons pas à nous prononcer pour le Nord.

[44] Hérodote, II.

[45] Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er septembre 1867.

[46] Voyez ci-après l'ethnogénie des All.

[47] L'Irlande et l'Angleterre semblent avoir été peuplées, avant la France, par des courants humains venus de l'ouest suivant le fil du gulf-stream.

[48] L'ouverture du détroit, attribuée à Hercule, est un fait relativement récent ; c'est l'un des premiers événements des temps historiques.

[49] Rien de plus naturel, dit le général Faidherbe (Akhbar du 14 octobre 1869), que d'attribuer aux blonds venus de l'Europe la construction des tombeaux mégalithiques de la Libye, tombeaux que tout le monde reconnaît comme absolument semblables à ceux de la Bretagne, de l'Angleterre, du Danemark, etc. Le général s'est, de plus, assuré que ces monuments funéraires, assez nombreux au Maroc, y sont connus sous le nom générique de nécropoles des Djouhala, c'est-à-dire des païens sauvages qui habitaient la contrée bien avant sa civilisation par l'islam ; que les monuments eux-mêmes sont appelés, par les Kabyles, siougrar, pluriel d'agrour.

Pour nous, le mot Djouhala ne nous parait être autre chose que la transcription arabe de Ou-All, les enfants d'All, alias Ag-All, Gall. Il s'agirait donc bien ici d'envahisseurs gaulois. Nous voyons également dans Ag-Rour (les enfants de Rour) la désignation d'une tribu gallique qui a laissé son nom à une foule de localités de la France et de l'Algérie. Des cols de Rour, par exemple, se rencontrent à chaque pas dans les Alpes et dans les Pyrénées.

[50] Virgile, Enéide. I, v. 421 ; IV, v. 259.

[51] Salluste, De Bello Jugurthino, XVIII. — Il y avait dans la Carthage romaine une rue des Mappales.

[52] On trouve dans le midi de la France nombre de paronymes. Voyez, par exemple, Magalas (Hérault), station du chemin de fer de Graissessac à Béziers.

[53] Nous appelons topologie ou onomatologie topographique la science qui, rapprochant les noms de localités de ceux des premiers peuples occupants, promet à la science ethnographique le concours le plus efficace. Si le principe de cette méthode philologique avait besoin de justifier de son caractère rationnel, nous invoquerions l'autorité du colonel Hanoteau, qui retrouve dans les noms de localités l'empreinte caractéristique du peuple berber ; de M. Brasseur de Bourbourg, dont la manière peut servir de modèle dans des recherches de cette nature ; de M. Vivien de Saint-Martin, qui tient grand compte des synonymies significatives, des rapports de localités et de noms, pour fixer le véritable emplacement des tribus, ainsi que du rapport intime des concordances ethnologiques avec la géographie, lequel permet de suppléer au silence de l'histoire, en apportant quelques indices sur l’état ancien et le déplacement des populations. Nous prendrions à témoin de la saine nature de nos recherches l'Académie des inscriptions mettant au concours la question suivante : Déterminer, d'après les historiens, les monuments, les voyageurs modernes, elles noms actuels des localités, quels furent les peuples qui, depuis le onzième siècle de notre ère jusqu'à la conquête ottomane, occupaient la Thrace, la Macédoine, l'Illyrie, l'Épire, la Thessalie et la Grèce proprement dite.

[54] Dans la langue des premiers occupants de la Gaule, le cours d'eau se dit ara, au pluriel araoun ou aroun. Exemples : Sam-ara, la Somme ; Is-ara, l'Isère, l'Oise ; Ag-aroun, la Garonne. — Le torrent se nomme, par harmonie imitative, drdr ou dr. Exemples : Dr-ou-ana, Druna, la Drôme ; Dr-ou-ens, Druentia, la Durance ; Dr-ak, Dracus, le Drac. — La rivière paisible se désigne, aussi par harmonie imitative, sous le nom de chch, ou seulement ch ; d'où ara-ch. Le Cher (Ch-ara), la Charente, Charenton (Ch-ara-toun), etc., tirent de là leur onomastique. — Souvent aussi, la rivière arrosant une contrée était dite par les habitants la bonne mère de cette contrée, la nourrice, ana. Exemples : Seg-ou-ana, Sequana, la Seine ; Ik-ou-ana, Icauna, l'Yonne ; Ax-ou-ana, Axona, l'Aisne. On rencontre en Algérie une foule d'expressions topographiques homonymiques et paronymiques de celles qui précèdent.

[55] Les Imazir'en de l'Algérie habitent rarement la plaine. Ils affectionnent les hauteurs prononcées, et leurs villages sont généralement assis sur la crête des monts les moins accessibles, sur le sommet des mamelons coniques (tak'léat), sur la pointe des pitons aigus (brbr). De là peut-être le surnom de Berbères. Cette hypothèse étymologique est loin d'être inadmissible a priori.

[56] Le mamelon sur lequel est assis le vieux Laon était le réduit des Ax, puissante peuplade riveraine de l'Aisne (Axona, Ax-ou-ana, la nourrice des Ax), qui essaima vers les Pyrénées (ville d'Ax, Ath-Ax, Atax, Aude) et jusqu'en Afrique, où elle s'établit. Syphax (Soff-Ax) en fut un instant le chef.

[57] Nous poursuivrons nos études topologiques d'autant plus volontiers que, suivant le colonel Hanoteau, la philologie seule pourra peut-être jeter quelque lumière sur cette question, en permettant de rattacher la race berbère à l'une des grandes divisions de la famille humaine.

[58] Voyez notre livre III, c. V.

[59] Voyez l'Histoire de Jules César, l. III, c. IV, t. II, p. 89.

[60] Voyez, d'une part, l'Histoire de Jules César, l. III, c. VIII, t. II, p. 2 11 ; et, d'autre part, Polybe, XIV, I ; Tite-Live, XXX, IV, V, VI ; Silius Italicus, Puniques, XVII. — Nos Africains d'aujourd'hui appellent graba (pluriel de gourbi) les baraques en pierres sèches ou en terre, recouvertes de dis ou de paille. Celles dont les murs sont simplement faits de branches entrelacées, ou de roseaux, sont connues sous le nom d'a'chàïch.

[61] A l'heure où nous terminons cette page, nous observons (et M. Brasseur de Bourbourg croit devoir approuver) une affinité singulière entre les tifinar' et les caractères de l'alphabet maya. Cette observation serait de nature à nous révéler clairement les mystères de l'ethnogénie tamazir't.

[62] Les anciens ont plus d'une fois exprimé cette idée que l'Espagne était le pays des Celtes. On lit dans le Périple d'Imilcon (voyez l. I, c. V) d'Avienus : Là où les flots de l'Océan se pressent et se heurtent pour s'introduire dans le bassin de notre mer, commence le golfe Atlantique.... Les terres voisines, à gauche, appartiennent à la Libye ; l'autre région... est occupée par les Celtes. — L'historien Éphore, qui écrivait trois cent quarante ans avant notre ère, comprenait presque toute l'Espagne dans le pays habité par les gens de race gallique. (Voyez l'Univers (Espagne), de Firmin Didot, 1844, p. 31 et 32.)

[63] Voyez le livre I, c. X, du présent volume.

[64] Genèse, X, 2.

[65] Les Hébreux donnaient à l'Espagne le nom de Sepharad. Les Grecs l'appelèrent Hespérie.

[66] Voyez l'Univers (Espagne), de Firmin Didot, Paris, 1844, p. 31 et 40.

[67] Histoire de Jules César, l. III, c. I, t. II, p. 5.

[68] Genèse, X, 2.

[69] Sources de l'histoire du Mexique, avant-propos, p. 3.

[70] Genèse, IX, 25-27.