HISTOIRE D'ANNIBAL

 

APPENDICES.

APPENDICE C. — NUMISMATIQUE DE CARTHAGE.

 

 

Les monuments numismatiques fournissant à l'histoire ses données les plus sûres, nous avons cru devoir consacrer le présent Appendice à une étude sommaire des monnaies carthaginoises.

Parmi les savants qui se sont attachés à cette étude intéressante, et dont les travaux font, à divers titres, autorité, nous citerons Pellerin, Bayer, Bellermann, Gesenius, Ugdulcna, Creuzer, Munter, Movers, Raoul-Rochette, Aloys Müller, Eckhel, Böckh, Mommsen, Franks, le docteur Judas, le duc de Luynes, Falbe, Lindberg et enfin M. L. Müller[1]. Quant aux monnaies puniques, il en existe un grand nombre, disséminées dans les divers musées de l'Europe. Le Cabinet des antiques de la Bibliothèque impériale possède, à lui seul, 428 pièces, dont 208 provenant de la collection du duc de Luynes[2]. Les documents ne font donc point défaut ; mais, malgré ces richesses, la numismatique de Cartilage donne prise à une grande divergence d'opinions.

Suivant une opinion fort accréditée, la totalité des monnaies carthaginoises auraient été émises en Sicile ; aucune monnaie, par conséquent, n'aurait été frappée à Carthage. Eckhel et Mommsen considéraient comme siculo-phéniciennes toutes les pièces qui nous sont parvenues ; mais l'opinion contraire prévaut généralement aujourd'hui. C'est que, en effet, les monnaies carthaginoises de nos cabinets ne sont pas antérieures au IVe siècle avant Jésus-Christ, époque à laquelle un grand nombre de villes commerçantes n'en étaient pas encore à battre monnaie. Au IIIe et au IIe siècle, la fabrication était devenue générale en Occident ; Carthage eût donc alors été la seule République qui n'eût pas eu son coin ? Tant qu'elle posséda la Sicile, elle eut évidemment recours au talent des artistes siciliens ; mais, la Sicile perdue, elle ne pouvait renoncer aux avantages du monnayage, et il est impossible que, au temps d'Amilcar et d'Annibal, elle n'ait pas elle-même frappé son numéraire. Quelques textes, d'ailleurs, démontrent bien qu'il en fut ainsi : aux débuts de la guerre de Libye, Carthage payait déjà ses mercenaires en pièces d'or[3]. A son entrée en Italie, Annibal achetait la reddition de Casteggio (Clastidium) moyennant quatre cents écus d'or[4]. On ne saurait donc révoquer en doute le fait de l'établissement d'une direction de la monnaie à Carthage.

Suivant M. L. Müller, il convient de répartir les pièces puniques en deux grandes divisions, dont la première comprend l'or, l'argent et le bronze émis depuis le IVe siècle jusqu'à la ruine de Carthage (146). La deuxième est afférente aux temps de la domination romaine, et nous n'avons pas à nous en occuper[5].

Les monnaies de la première division peuvent, à leur tour, se ranger sous deux chefs bien distincts : les tétradrachmes de bronze, frappés en Sicile, et les pièces autonomes d'or, d'argent et de bronze, sortant des ateliers de Carthage.

La série des tétradrachmes comprend six classes, dont nous exposerons les caractères distinctifs :

1° classe. — A la légende Kart-Chadasat. Deux exemples :

1. Tête de Cérès, couronnée d'épis ; derrière, la légende. R, un cheval marchant ; au fond, un palmier.

2. Partie antérieure d'un cheval au galop, couronné par la Victoire ; devant, un grain d'orge. R, un palmier ; sur les côtés, la légende.

2° classe. — Aux légendes Kart-Chadasat et Machanat. Deux exemples :

1. Partie antérieure d'un cheval au galop, couronné par la Victoire ; devant, un grain d'orge ; au-dessous, la légende. R, un palmier ; sur les côtés, la légende.

2. Partie du même cheval ; au-dessus, le grain d'orge. Même R.

3° classe. — A la légende Am Machanat. Trois exemples :

1. Tête d'Hercule, coiffée de la peau de lion, R, buste de cheval ; derrière, un palmier ; au-dessous, la légende.

2. Tête de déesse, couronnée de roseaux (la Sicile) ; autour, quatre dauphins, R, buste de cheval.

3. Tête de Vénus, coiffée d'un bonnet asiatique, R, lion marchant ; au fond, un palmier.

4° classe. — A la légende Mechasbim.

Tête d'Hercule, coiffée de la peau de lion, fy, un buste de cheval ; derrière, un palmier.

Les monnaies de cette classe ne diffèrent que par le revers, lequel porte tantôt une massue, tantôt une grenade ou un caducée.

5° classe. — A d'autres légendes ou à lettres isolées. Deux exemples :

1. Tête du Cérès, couronnée d'épis. IV, cheval marchant ; au fond, un palmier.

2. Tête de femme, couronnée de roseaux ; devant, un ϑυμιατήριον. IV, cheval marchant, couronné par la Victoire ; au fond, un palmier ; devant, un caducée.

6° classe. — Sans légende. Deux exemples :

1. Tête de Cérès, couronnée d'épis. R, cheval marchant ; au fond, un palmier.

2. Même tête ; devant, deux dauphins ; derrière, le signe . R, cheval debout ; au fond, un palmier ; au-dessus, le soleil ; au-dessous, une fleur.

La légende Kart-Chadasat des tétradrachmes de bronze exprime le nom même de la république de Carthage. Par Machanat et Am Machanat il faut entendre le camp, l'armée. Dans l'espèce, il s'agit des monnaies frappées spécialement pour la solde des troupes[6]. Quant au mot Mechasbim, il se rapporte aux fonctions d'officier payeur ; c'est ainsi qu'on trouve souvent le nom du questeur sur les monnaies romaines frappées dans les provinces. Enfin, les lettres isolées servent à distinguer les camps et les officiers payeurs attachés à chaque corps d'armée.

La tête d'Hercule est prise pour image du dieu Melkarth ; celle de la Gérés aux dauphins exprime l'attachement des Carthaginois au culte de la protectrice de la Sicile. La figure de femme au bonnet asiatique est celle de la Vénus Érycine. Le lion symbolise l'Afrique ; le cheval, la Libye carthaginoise ; le palmier, la Phénicie. Les ornements accessoires sont afférents aux divinités spécialement révérées à Carthage.

Le poids de ces monnaies varie de 16 grammes à 17 gr. 3 : c'est bien celui du tétradrachme attique, avec les écarts ordinaires.

Les tétradrachmes puniques ont été frappés à Panorme et à Lilybée, depuis la fin du Ve siècle jusqu'à l'an 241 avant Jésus-Christ. Le style n'offre aucune trace d'archaïsme, et prouve bien que ces pièces ne sauraient remonter à une époque antérieure.

Telles sont les premières monnaies de Carthage, peut-être les seules qu'elle ait fait frapper en Sicile, en vue des besoins du trésor de l'armée. Pour le service des autres dépenses publiques, le gouvernement carthaginois usait vraisemblablement de monnaies émises par les républiques urbaines de la grande ile.

La série des pièces autonomes comprend des monnaies d'or, des monnaies d'argent et des monnaies de bronze.

Monnaies d'or. — Sept classes.

1° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R, cheval debout. — Exemple : Tête de Cérès. R, cheval debout ; au-dessus, un disque radié flanqué de deux areus dont les têtes sont surmontées d'un disque.

2° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R/, cheval debout, la tête tournée.

3° classe. — Tête de Cérès. R, cheval marchant ou trottant.

4° classe. — Tête de Cérès. R, cheval galopant. — Exemple : Tête de Cérès à gauche ; grènetis. R, cheval au galop, à droite ; au-dessus, le symbole  ; grènetis.

5° classe. — Tête de Cérès. R, buste de cheval.

6° classe. — Tête de Cérès. R, palmier.

7° classe. — Buste de cheval. R, palmier.

Monnaies d'argent. — Huit classes.

1° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R, cheval debout. — Exemple : Tête de Proserpine à gauche ; grènetis. R, cheval debout ; au-dessus, un disque radié flanqué de deux areus ; filet au pourtour. Cette classe comprend des monnaies de potin.

2° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R, cheval debout, la tête tournée. — Exemple : Tête de Cérès. R, cheval debout à droite ; au fond, un palmier ; un astre devant le cheval. Il y a aussi dans cette classe des monnaies de potin.

3° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R, cheval tournant la tête en marchant. On rencontre dans cette classe des monnaies de potin.

2° classe. — Tête de Cérès. R, cheval trottant. — Exemple : Tête de Cérès à gauche ; grènetis. R, cheval trottant à droite ; au-dessus du cheval, un astre ou le symbole , alias .

5° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R, cheval galopant.

6° classe. — Tête de Cérès. R, cheval ailé.

7° classe. — Tête de Cérès. R, tête de cheval.

8° classe. — Tête de cheval. R, palmier.

Monnaies de bronze. — Neuf classes.

1° classe. — Tête de Proserpine ou de Cérès. R/, cheval debout.

2° classe. — Tête de Proserpine. R, cheval debout, la tête retournée.

3° classe. — Tête de Proserpine ou de Cérès. R, cheval retournant la tête en marchant.

4° classe. — Tête de Proserpine ou de Cérès. R, cheval trottant ou marchant.

5° classe. — Tête de Proserpine. R, cheval galopant.

6° classe. — Tête de Cérès ou de Proserpine. R, buste de cheval.

7° classe. — Tête de Proserpine. R, palmier.

8° classe. — Cheval. R, palmier.

9° classe. — Buste de cheval. R, palmier. Exemples :

1. Tête de Proserpine à gauche. R, cheval debout, à droite, portant un licou ; au-dessus, un disque radié flanqué de deux areus ayant la tête surmontée d'un disque.

2. Même avers. R, même cheval ; devant le cheval, un caducée et une couronne.

Le style qui s'est développé à Carthage, après l'évacuation de la Sicile par la Machanat, présente une variété infinie de types, différant tous du type sicilien, et d'une beauté très-souvent contestable : le travail est peu soigné ; le relief est très-bas ; les têtes de déesses et les torses de chevaux sont fort loin de leurs similaires de l'art grec. La classification de M. L. Müller parait donc assez rationnelle.

Les colonies carthaginoises battaient vraisemblablement monnaie, mais, n'étant pas autonomes, elles n'usaient que des coins de la métropole. C'est, d'ailleurs, du grand nombre de lieux d'émission que vient la grande diversité de caractères de l'art monétaire carthaginois. Le cachet grossier de beaucoup de pièces, de bronze principalement, ne permet pas d'en attribuer la fabrication à la ville de Carthage elle-même, ni aux villes de Sicile ; il faut nécessairement les imputer aux colonies, qu'un outillage imparfait, sans doute, empêchait de reproduire nettement des modèles purs.

L'atelier de Carthage a frappé les pièces d'or, d'electrum et d'argent, et aussi quelques monnaies de potin durant la période de décadence. Carthagène frappait beaucoup d'argent. Quant aux bronzes, ils sortaient principalement des colonies. Les monnaies carthaginoises de nos cabinets proviennent en grande partie de la Sardaigne, de Malte, de l'Espagne, de la côte d'Afrique.

Les têtes couronnées d'épis ne doivent pas être prises pour des têtes d'Astarté, ainsi que le voulaient Munter et Movers ; elles se rapportent à Cérès et à Proserpine. Les Carthaginois, qui avaient appris le monnayage en Sicile, frappaient leurs propres monnaies d'après les modèles en usage dans l'île. Les deux déesses, génies tutélaires d'un territoire en partie soumis aux Carthaginois, étaient, à Carthage, l'objet d'un culte tout particulier. Ces types avaient cours ; ils étaient connus du public, et la perte de la Sicile ne les fit pas abandonner.

Les têtes de Cérès se classent sous six rubriques : A, B, C, D, E, F. La rubrique A comprend des têtes dont les traits sont réguliers et nobles, et la distinction du type les fait souvent confondre avec les effigies des monnaies siciliennes. De B à D, la beauté s'efface graduellement. Dans les têtes comprises sous la rubrique E, on remarque une saillie prononcée de l'arcade sourcilière et la fente étroite de l'œil. La lèvre supérieure est très-voisine du nez ; la joue est épaisse, et le menton, proéminent ; les cheveux sont bouclés. De larges colliers, des boucles d'oreilles à trois pendeloques, leur composent une parure d'un goût douteux. Ces ligures, qu'on ne rencontre que sur des monnaies d'electrum, de potin ou de bronze, accusent, suivant M. L. Müller, le type carthaginois. La rubrique F est afférente à un travail grossier, aboutissant à la caricature du type coté E. L'œil est presque clos ; la partie inférieure du visage est d'une largeur hors de proportion avec celle du front ; le cou affecte une longueur démesurée.

Les têtes de Proserpine, classées sous les rubriques G, H. I, sont fort différentes de celles de Cérès. Les traits sont plus lins, plus jeunes ; le nez est plus effilé. Les cheveux ne sont pas bouclés, mais noués. Le cou ne porte point de collier ; la boucle d'oreille n'a qu'une pendeloque. Cérès est représentée sur la plupart des monnaies d'or et des monnaies d'argent, et, exclusivement, sur celles du plus grand module ; Proserpine figure sur les monnaies inférieures, sur les bronzes du plus grand diamètre.

Plusieurs savants ont vu dans la figure de cheval le symbole de Neptune ; M. Aloys Müller, celui de Baal ; Movers et M. L. Müller, l'emblème de la Libye. Cette dernière interprétation parait devoir être adoptée. Le cheval carthaginois est maigre et musclé ; l'encolure est épaisse, les jambes sont assez courtes. Il porte souvent un licou. Les variétés qu'il présente ont été classées sous diverses rubriques ; quant à la pose, elle ne saurait permettre de déterminer ni le lieu d'émission, ni le système monétaire, ni la valeur de la pièce.

La tête de cheval est, comme le cheval entier, le symbole de la Libye.

Le cheval ailé représente Pégase, procréé en Libye par Neptune et Méduse, et dompté par Minerve. Ce mythe grec paraît d'origine punique. Du reste, Pégase figure souvent aussi sur les monnaies siciliennes.

Si le cheval est l'emblème de la Libye, pays d'adoption des Carthaginois, le palmier, symbole de la Phénicie, servait à leur rappeler leur nationalité d'origine. Aussi cet arbre était-il fréquemment employé comme accessoire dans les divers types de monnaies. Les autres accessoires étaient : le symbole égyptien, disque radié, flanqué de deux serpents ; l'astre, symbole de Baal-Soleil ; le cercle radié, image du soleil ; le croissant avec un disque dans le concave, représentation de la lune, si révérée des Carthaginois[7] ; le caducée, symbole du dieu Taaut, similaire de Mercure ; l'épi double, attribut de Cérès et de Proserpine ; l'enseigne, symbole militaire, ou bâton thyrsique en usage dans les cérémonies religieuses ; la couronne, emblème de la victoire ; le symbole phénicien  ou , qui a donné lieu à une multitude d'interprétations. Eckhel et Raoul-Rochette y voyaient le tau égyptien, la croix ansée, symbole de la vie immortelle. Gesenius et Creuzer le prenaient pour l'image de Baal et d'Astarté ; Ugdulena, pour celle d'Artarté seule. Franks y reconnaissait Tanit ou Astarté ; Judas y voyait le symbole de l'âme des génies protecteurs. Ce cône, pourvu de tête et de bras, n'est, suivant M. L. Müller, que la figure du dieu solaire, de Baal-Chamman.

Les symboles accessoires ne peuvent servir à distinguer les fonctionnaires de la monnaie, ni les ateliers divers de Carthage, ni les lieux d'émission ; ils ont une signification purement religieuse et nationale, et font partie essentielle du type monétaire carthaginois.

Une légende unique  est gravée sur les monnaies d'or et sur les monnaies d'argent du plus grand module, et les interprétations de cette légende sont des plus divergentes. Pellerin et Lindberg y voyaient le nom même de Carthage ; Boyer et Bellermann, celui de Byrsa ; et cette dernière explication paraît la meilleure. C'est dans l'acropole en effet que l'on a dû construire le premier hôtel de la monnaie. Tout en se ralliant à cette opinion, M. L. Müller ne la considère point comme irréfutable ; il pense qu'on peut aussi bien se prononcer en faveur d'un nom de soff’ète.

Sont-ce des noms de soff'ètes ou de directeurs de la monnaie que représentent les abréviations trouvées sur quelques pièces ? La seconde hypothèse nous paraît admissible. Quant aux lettres isolées, ce sont ou des initiales de noms de villes, ou des chiffres afférents aux époques d'émission, ou des marques de fabrique, ou enfin des initiales de noms de chefs d'atelier, de directeurs. On a retrouvé ainsi la presque totalité des lettres de l'alphabet, et, le plus souvent, sur des monnaies de bronze.

Les globules et les points varient toujours de 1 à 4. Böckh et Mommsen y voient une indication de la valeur monétaire ; mais ces signes, sur lesquels rien n'attirait l'attention du public, étaient plutôt une marque de fabrique, un poinçonnage du contrôle, un visa de l'administration.

Les monnaies d'or ont été frappées à des titres divers. Quelques-unes sont d'or pur ; mais, souvent aussi, l'or s'allie à l'argent ; les analyses du duc de Luynes ont accusé des proportions de deux à trois cinquièmes d'or.

On donne, en numismatique, le nom d'electrum à l'alliage dans lequel on suppose plus d'un cinquième d'argent. A Carthage, les monnaies d'electrum étaient en bien plus grand nombre que celles d'or pur. L'or, qu'on allait chercher au Soudan et sur les côtes de Guinée, avait une grande valeur, et, dans ses jours de détresse, la γερουσία altérait sans scrupules le titre des monnaies. Les pièces d'electrum ont tout à fait l'aspect de leurs similaires de bon aloi ; elles circulaient avec la même valeur nominale.

Le titre des pièces d'argent est également très-variable. On en trouve d'argent pur, d'autres qui ne contiennent que 0,937, 0,875, 0.750, 0,500 d'argent, et, quelquefois, moins encore. L'analyse d'une pièce a donné : 0,11 d'argent, 0,86 de cuivre, 0,02 d'or, étain, plomb et fer. Ces pièces de titre inférieur ont été probablement émises comme monnaies d'urgent.

En numismatique, on appelle potin l'alliage dans lequel il n'entre que 50 % d'argent au maximum. Tous les potins puniques ont l'aspect des monnaies d'argent correspondantes ; ils circulaient comme argent. La γερουσία n'altérait donc pas seulement les monnaies d'or.

Tous portent une tête de Cérès d'Afrique, de style fort médiocre, et ces pièces accusent une période de misère. Alors le gouvernement de Carthage frappait des monnaies de bas titre, mais au coin des monnaies d'or et d'argent de titre normal.

Les auteurs qui ont écrit sur la matière ne fournissent aucune indication de nature à faire connaître le système monétaire admis à Carthage, et l'on n'a d'autres données à cet égard que celles qu'on peut tirer des monnaies elles-mêmes. Les pesées accusent le système divisionnaire des Grecs ; les monnaies d'or suivent l'ordre binaire.

Or pur. — On possède des types du poids de 7, de 9 et de 12 grammes. Carthage a donc suivi divers systèmes, ainsi que l'ont fait la plupart des Etats de l'antiquité. On distingue d'abord le statère[8], le demi-statère, le quart de statère du système dit phénicien ; puis le statère, le demi-statère, le quart et le huitième de statère d'un système dont la drachme normale paraît avoir été de 4gr,8, système dit assyro-phénicien ou olympique. Cette seconde dénomination prévaut généralement, et M. L. Müller croit devoir l'adopter. Enfin on a des statères, des quarts et des huitièmes de statère du système éginétique.

Electrum. — Les monnaies d'electrum présentent les mêmes divisions que les monnaies d'or de même type. On y distingue donc :

Le statère olympique.

Le demi-statère olympique.

Le demi-statère phénicien.

Le quart de statère phénicien.

Le huitième de statère éginétique.

Le poids est généralement faible, et il y a, entre les pièces de même module, une grande divergence de poids, variable d'ailleurs avec la proportion d'argent introduite dans l'alliage.

Les pièces qui n'ont point leurs similaires en or sont généralement des statères éginétiques.

Argent. — Les monnaies d'argent ont été frappées suivant quatre systèmes : le phénicien, qui comprend huit divisions, et des pièces de 12, de 10, de 8 et de 6 drachmes ; l’olympique, représenté par des didrachmes et des drachmes du poids normal (la drachme = 1/8 de l'once romaine = 3gr, 8) ; l'asiatique, qui nous offre des tétradrachmes dentelés de 12gr,4 à 13gr,6 ; le babylonien ou perse.

Potin. — Les monnaies de potin se répartissent en tétradrachmes, didrachmes et drachmes du système phénicien ; en didrachmes, tétradrachmes des systèmes perse et éginétique ; en tétradrachmes et octodrachmes du système asiatique.

Bronze. — La classification des monnaies de bronze est assez difficile à faire. On en possède une série continue pesant de a à a6 grammes ; on a, de plus, de grandes pièces dont le poids varie de 96 à 1ai grammes. Comment pourrait-on, dans l'état actuel de la science, les cataloguer d'une manière satisfaisante ?

On distingue, quant à l'émission, trois périodes chronologiques :

1° De l'an 350, commencement du monnayage, jusqu'à l'an 241, date de l'évacuation de la Sicile, les monnaies de Carthage ressemblent aux pièces siciliennes, et se font remarquer par la beauté du style et le fini du travail. Les têtes de Cérès et de Proserpine sont celles qu'on a cotées A et B, parfois aussi C et D. On ne rencontre ni electrum ni potin durant cette première période.

2° De l'an 241 à l'an 201 (fin de la deuxième guerre punique), les monnaies sont déjà loin du style sicilien, mais il n'y a pas encore décadence. On trouve à cette époque des têtes de Cérès des modèles C et D ; l'or est souvent mêlé d'argent. L'argent est généralement assez pur, souvent aussi allié à un quart de cuivre. Les monnaies d'or et d'argent, à tête de Cérès, cotées C, sont toujours dentelées.

3° De l'an 201 à l'an 146 (siège et ruine de Carthage), le style est négligé ; le travail, médiocre. Les têtes de Cérès sont du modèle E ; le gouvernement, aux abois, altère le titre des monnaies. C'est pendant cette période qu'on a dû frapper un grand nombre de pièces de bronze d'une exécution semi-barbare. Du reste, l'art monétaire tombait alors en décadence dans la plupart des autres Etats de l'Occident.

Tels sont, rapidement esquissés, les caractères principaux des monuments numismatiques de Carthage.

 

 

 



[1] Falbe et Lindberg avaient entrepris un grand ouvrage, qui vient d'être refondu, terminé et publié par M. L. Müller : nous voulons parler de la Numismatique de l'ancienne Afrique, Copenhague, 1861, dont le deuxième volume est consacré à l'étude des monnaies de la Bysacène et de la Zeugitane. C'est dans ce beau livre que nous avons puisé la majeure partie de nos documents. La Bibliothèque impériale possède un exemplaire de la Numismatique de M. L. Müller, don de S. M. le roi de Danemark.

[2] Nous avons pu examiner à notre aise toutes ces monnaies carthaginoises, grâce a l'extrême obligeance de M. Chabouillet, qui a bien voulu nous ouvrir tous les médailliers de la Bibliothèque impériale.

[3] Polybe, I, LXVI.

[4] Tite-Live, XXI, XLVIII. — Voyez aussi Diodore de Sicile (XXIII, IX), évaluant à six mille pièces d'or l'amende infligée à Hannon, en punition de la perte d'Agrigente.

[5] Toutes les pièces de cette deuxième division sont de bronze. La plupart remontent aux règnes d'Auguste et de Tibère, et ne présentent que des légendes latines.

[6] Les guerres de l'antiquité étaient si longues qu'un service de la monnaie fonctionnait ordinairement au quartier général du commandant en chef.

[7] Polybe, VII, IX. — Plutarque, De facie in orbe lunæ. C'est l'image d'Astarté (Hérodien, V, VI), adorée spécialement sous le nom de Tanit. Le disque à l'intérieur du croissant représente la pleine lune.

[8] Faute de connaître les dénominations puniques, il faut nécessairement désigner les divisions monétaires sous le nom de leurs similaires grecques.