A la nouvelle du meurtre d'Asdrubal le Beau (220), l'armée d'Espagne, frémissante, se précipita vers la tente d'Annibal[1]. Le jeune homme[2] fut élevé sur les bras des soldats et proclamé général en chef[3]. Celui qui, pendant quarante ans, devait être la terreur de Rome, était né à Carthage en 247, pendant que le grand Amilcar, son père, retranché sur le plateau d'Eircté, tenait vaillamment en échec les mortels ennemis de son pays. En l'absence de documents historiques empruntés à des écrivains nationaux, il est difficile de connaître exactement les hommes et les choses de la ville carthaginoise, de pénétrer bien avant au foyer des Barca. Nous savons seulement qu'Amilcar eut six enfants : deux filles et quatre fils[4]. Les filles, qui paraissent avoir été les aînées, épousèrent : l'une, le prince massylien N'H'arâraoua[5] ; l'autre, le triérarque Asdrubal le Beau. Les quatre fils sont : Annibal, Asdrubal, Magon et Hannon. Annibal était vraisemblablement l'aîné de ses trois frères[6], et son père l'adorait, car il plaçait en lui ses plus chères espérances. Il l'élevait avec soin[7], lui rendant familiers tous les exercices du corps, développant sa jeune intelligence et entretenant son ardeur naissante par le récit des campagnes de Sicile et d'Afrique[8]. L'enfant, curieux et avide, écoutait fièrement l'histoire d'Amilcar, et n'avait ensuite d'autres jeux que des simulacres de combat. Il aimait passionnément la guerre, et chaque fois que son père partait pour quelque expédition, il demandait à grands cris à le suivre. Qui ne se rappelle l'épisode du serment, le seul malheureusement qui sauve de l'oubli l'histoire de l'enfance d'Annibal ? Il avait neuf ans à peine[9] ; Amilcar, qui allait prendre le commandement de l'armée d'Espagne, offrait un grand sacrifice à Jupiter, dans un temple de Carthage. Et pendant le sacrifice : Veux-tu, dit le père, venir en Espagne avec moi ? L'enfant tressaille, et accepte avec reconnaissance. Il promet de se conduire en digne fils d'un homme de cœur. Eh bien ! répond joyeusement le soff'ète, je t'emmènerai ; mais il est un serment que j'exige de toi. Et alors, entraînant son fils à l'autel de Jupiter, Amilcar lui fait prendre l'engagement solennel d'être à jamais l'ennemi des Romains[10]. Annibal suivit son père en Espagne (237), où, pendant dix ans (237-227), il fit sous ses yeux l'apprentissage du métier des armes. Jamais éducation militaire ne fut commencée à plus mâle école, ni mieux parachevée, car le jeune homme avait près de vingt ans[11] lorsque le grand Amilcar, surpris et enveloppé par les Espagnols, tomba bravement les armes à la main (227). La mort du grand capitaine exigea le retour d'Annibal à Carthage, au sein d'une famille dont il était désormais le chef. Il en resserra les liens et s'en fit l'âme ; il réclama de ses frères et des fidèles de la faction Barcine une énergie et un dévouement à toute épreuve, au nom d'un père dont le patriotisme ne s'était jamais démenti, et qui avait si bien sondé et les besoins actuels de la République et les problèmes de son avenir. A tous l'ardent jeune homme fit partager ses sentiments, ses résolutions, ses espérances. Trois ans se passèrent ainsi à donner au parti des Barca une homogénéité dont il devait tirer sa force. Dès que ce parti fut maître de la majorité parlementaire, Annibal ne songea plus qu'à retourner en Espagne (224). Asdrubal, de son côté, avait depuis longtemps écrit au
sanhédrin pour redemander son beau-frère. Soumise aux délibérations de
l'assemblée, cette requête ne manqua pas d'y soulever une tempête violente :
chaudement appuyée par la faction Barcine, elle ne fut pas moins vivement
combattue par le parti d'Hannon. Celui-ci s'affligeait tout haut de l'immense
influence qu'une seule famille tendait à prendre dans l'Etat ; il se
plaignait de l'arrogante ambition des Barca, et manifestait des craintes
inspirées, disait-il, par le caractère fier et entreprenant d'Annibal.
Rappelant quelques épisodes de la vie militaire d'Amilcar et l'habitude que
ce général avait de parler en maître, il demandait que le sanhédrin voulût
bien soustraire Annibal à des entraînements capables de compromettre la paix
de Malgré la violente opposition d'Hannon et les insinuations honteuses qu'il ne craignit point de reproduire à l'appui de ses propositions, le parti des Barca l'emporta. Ce succès obtenu, Annibal revint, sans tarder, auprès de son beau-frère (223) : il avait alors de vingt-trois à vingt-quatre ans[12]. Dès son retour à l'armée d'Espagne, il y avait attiré tous les regards. L'adolescent était devenu jeune homme, et les vétérans des guerres de Sicile croyaient revoir le brave Amilcar. C'était le même visage aux traits énergiques, la même démarche fière, le même œil étincelant de tous les feux du génie[13]. Il fut bientôt l'idole des soldats. Asdrubal lui confia d'importants commandements[14], principalement de troupes de cavalerie légère, et, pendant trois ans (223-220), on vil le lieutenant du gouverneur général de la péninsule préluder à ses entreprises de géant par cent actions de vigueur, dirigées contre les peuplades ibériennes. L'armée entière, applaudissant aux heureux débuts du jeune maître, lui promit aussi un dévouement inaltérable. Cependant, à la mort d'Asdrubal le Beau, l'élection militaire d'Annibal avait dû être ratifiée par le gouvernement de Carthage, et, suivant les dispositions des lois en vigueur, le sanhédrin s'était vu forcé de convoquer le peuple au forum. En dépit des factions rivales, ce choix fut maintenu, et peut-être quelque hésitation de la part du conseil de Carthage eût-elle amené la révolte des troupes. Le parti des Barca l'emporta dans le gouvernement et confirma le pouvoir du jeune général[15]. Dès qu'il eut reçu l'avis officiel de sa nomination consacrée par un plébiscite, Annibal passa la revue des troupes dont il prenait le commandement, et fut de nouveau l'objet de chaleureuses acclamations. Et cet enthousiasme peut facilement s'expliquer : Annibal avait hérité du double prestige que donnent une origine ancienne et une illustration récente[16]. Le grand Amilcar descendait d'une famille tyrienne qui faisait remonter son origine à Belus[17]. Ses tables généalogiques portaient en lettres d'or le nom de la reine Elissa[18], que sa beauté, ses malheurs et sa gloire avaient fait diviniser à Carthage[19]. Enfin, par son génie et sa bravoure, il s'était acquis des titres de noblesse personnelle, que résumait un beau surnom[20]. Grand général, chef d'un puissant parti politique, soff’ète de la République carthaginoise, il en était le premier patricien. Or tous les hommes honorent la haute naissance. Ils croient sincèrement à la loi du sang, et, frappés de la transmission héréditaire des vertus et des vices, ils continuent invinciblement aux arrière-neveux l'admiration ou le mépris que méritaient les ancêtres. Au prestige d'un grand nom, si puissant sur l'esprit des populations sémitiques, Annibal joignait d'immenses richesses, dont l'influence s'exerce uniformément sur les peuples de toute race[21]. On jugera de l'importance de sa fortune parce seul fait, qu'il possédait, aux environs de Carthagène, une mine d'argent d'un rendement quotidien de 22.500 francs de notre monnaie, soit plus de huit millions par an[22]. Et cette exploitation n'était qu'une des sources de ses revenus personnels. Mais c'était surtout l'esprit distingué d'Annibal qui réclamait impérieusement l'estime de ceux qui l'approchaient. Son père avait su cultiver en lui d'heureuses dispositions naturelles et fortifier par l'instruction une vive et précoce intelligence[23]. Il étudia de bonne heure les lettres grecques[24], et profita si bien des leçons de son maître Sosyle, que, vers la fin de sa carrière, il écrivit lui-même en grec plusieurs livres estimés, parmi lesquels l'histoire de la campagne des Romains contre les Galates, sous le commandement de Manlius Vulso[25]. Ce grand homme, qu'on a plus d'une fois traité d'ignorant et de barbare[26], qu'on ne craint pas d'assimiler à un condottiere vulgaire[27], possédait toutes les connaissances qu'on pouvait avoir de son temps. Enfin, il était orateur. Sa parole entraînante savait enlever le soldat ; ses formes douces et persuasives séduisaient le plus retors des agents diplomatiques ; les corps délibérants eux-mêmes, auxquels il imposait ses convictions, ne pouvaient résister à sa dialectique sévère[28]. Chacun rendait hommage à la puissance de cet esprit
supérieur. Doué de la conception la plus vive,
observe Dion-Cassius[29], Annibal savait arrivera ses lins par de sages ménagements,
et cependant les résolutions subites veulent un esprit prompt, par cela même
qu'elles sont instantanées. Toujours en mesure de tenir ce qui engageait le
plus sa responsabilité, il profitait du t présent sans faire de fautes, et
dominait fortement l'avenir. D'une prudence consommée dans les conjonctures ordinaires,
il devinait avec sagacité quel était le meilleur parti à prendre dans les cas
imprévus. Par suite, il se tirait avec bonheur et sur-le-champ des
difficultés du moment, en même
temps que sa raison lui révélait les besoins ultérieurs. Appréciant avec la
même justesse ce qui était et ce qui devait être, il adaptait presque toujours
bien aux circonstances et ses discours et ses
actions. Grâce à son rare talent de synthèse, cet esprit admirablement organisé menait de front les affaires les plus diverses et les plus considérables ; tant l'esprit d'un grand homme, dit Polybe[30], est capable d'embrasser étroitement tous les sujets et d'exécuter heureusement les résolutions prises. Anciens et modernes admirent à l'envi sa prudence et son courage, son audace et sa finesse, sa constance dans la bonne ou la mauvaise fortune, enfin toutes les qualités exceptionnelles qui sont l'apanage du génie[31]. La fécondité et la profondeur de ses conceptions, l'originalité de ses méthodes, son étonnant coup d'œil topographique, ses talents militaires, font d'Annibal le premier capitaine des temps anciens[32]. Doué d'une force d’âme invincible, d'une volonté d'acier, d'un cœur inaccessible aux passions vulgaires, Annibal possédait, de plus, l'art de la connaissance des hommes. Plein de pénétration, il devinait rapidement ses adversaires et les menait, comme par la main, s'échouer sur l'écueil qu'ils recelaient en eux-mêmes[33]. Comment s'étonner que ce grand anatomiste du cœur humain sût aussi appliquer au gouvernement des masses les principes déduits de ses observations multiples ? Comme politique, Annibal est l'une des plus grandes figures de l'antiquité : c'est un vrai conducteur de peuples. Il savait les dominer, les discipliner, les mouvoir, les diriger dans ses voies. Sa propre conduite était assujettie, non à des principes de convention, mais à des règles tirées de la nature même et des hommes et des choses. Jamais il ne se payait d'illusions, et la vérité savait seule le séduire. Convaincu, dit Dion-Cassius[34], que la plupart des hommes ne sont attachés qu'à leur intérêt, il prit ce mobile pour règle de conduite envers les autres, et s'attendit toujours à ce qu'on agît de même envers lui. Aussi réussit-il souvent par la ruse et échoua-t-il rarement par les artifices de l'ennemi. Il s'attachait à la valeur réelle des choses et non à la célébrité qui peut en revenir, quand l'une et l'autre n'étaient pas réunies. Avait-il besoin de quelqu'un, il lui prodiguait les honneurs, persuadé que la plupart des hommes en sont esclaves ; que, pour les obtenir, ils bravent spontanément le danger, même au détriment de leurs intérêts. Quant aux gens dont il ne réclamait point les services, il se montrait toujours arrogant à leur égard. Aussi plusieurs étaient-ils pleins de dévouement pour lui, et les autres pleins de crainte : les premiers, à cause de cette existence en commun ; les derniers, à raison de sa fierté. Ce fut par là surtout qu'il sut abaisser les superbes, élever les humbles, inspirer ici la terreur, ailleurs la confiance, l'espérance ou le désespoir ; tout cela en un moment, partout où il voulait et pour les choses les plus importantes. Ce ne sont pas là de vaines assertions, mais la vérité même attestée par les faits. Ceux qui, sans analyser les mérites du jeune général, ne faisaient qu'approcher sa personne su sentaient, à première vue, séduits par ce visage noble et fier, vivant reflet d'une âme forte et généreuse. Annibal était de taille élevée[35], et l'ampleur de ses épaules[36] attestait la vigueur de son corps. Sa tête, haute et droite[37], accusait une vaste intelligence, et, sous un front superbe[38], son œil terrible[39] glaçait d'effroi les plus audacieux. Il avait habituellement la tête nue[40] et portait une abondante chevelure[41], que rattachait sans doute un riche bandeau[42]. Peut-être ces cheveux étaient-ils d'un blond cendré aux reflets d'or[43] ; son visage enfin devait être d'une grande beauté[44]. Si l'on s'en rapporte aux renseignements tirés de quelques médailles, dont l'authenticité paraît d'ailleurs contestable[45], on peut donner encore quelques touches à cette esquisse, nécessairement imparfaite. Le nez, droit et long, légèrement effilé, était d'un profil irréprochable ; les lèvres, assez épaisses, formaient avec le menton une moulure gracieuse. De riches anneaux pendaient aux oreilles[46]. Enfin une barbe courte, bouclée à la manière antique, encadrait admirablement une figure longue et fine, et d'une noblesse extrême. Aux heures solennelles, cette tête imposante portait un casque de bronze moulant exactement le crâne, et à l'arrière duquel était fixé un appendice métallique faisant office de couvre-nuque. Un large liséré d'or régnait en bordure au pourtour de cette coiffure guerrière. A la partie frontale se détachaient, en saillie, cinq feuilles de laurier d'or ou d'acier ; à l'occiput, deux feuilles de lotus collatérales. Au cimier, rehaussé d'un filet brillant, et dans un encastrement garni d'un cours de perles, s'adaptait une chenille éclatante, dont les plumes, rouges ou blanches, suivant les circonstances, s'agitaient, en tremblant, aux moindres mouvements de tête du jeune général. Une courte crinière flottait également à l'arrière du couvre-nuque[47]. Le buste avait aussi son armure défensive, couvrant le dos, la poitrine, l'abdomen et les flancs jusqu'à la ceinture. C'était une cotte de mailles, faite d'un triple tissu de chaînons d'or, à l’épreuve de toute espèce de projectiles[48]. Passée par-dessus une chemise de lin souple, elle était, à son tour, revêtue d'un corselet de cuir garni d'écaillés métalliques[49]. Un riche vêtement de pourpre brodé d'or[50] était jeté sur les épaules[51]. C'était un manteau semblable à l'abid’i amazir' (bernous kabyle) ; que portaient tous les officiers carthaginois. Des bottines ou jambières de maroquin rouge complétaient probablement le costume[52]. Annibal ne portait pas toujours cette grande tenue éblouissante. Le plus souvent, il ne se couvrait que d'une simple abaï'a d'Afrique, et les soldats, qui le voyaient ainsi vêtu de leur saie d'ordonnance[53], sentaient passer en eux ce frisson de plaisir qui saisissait les grenadiers de Napoléon à la vue de la célèbre redingote grise. Le jeune général se faisait partout suivre d'un écuyer[54], chargé de
porter ses armes ; ces armes étaient magnifiques[55]. Le bouclier,
qui sortait des manufactures de Mais ce n'est pas seulement quand elle entendait ce cliquetis cadencé que l'armée carthaginoise manifestait son enthousiasme ; elle connaissait ce corps robuste, dont l'énergie exceptionnelle faisait de leur général le premier des soldats[61]. Connue le roi Charles XII, auquel il servit sans doute de modèle, Annibal mangeait ou ne mangeait pas, et se trouvait toujours également prêt à entamer une action de vigueur[62]. Pour acquérir ces habitudes de sobriété, il s'exerçait aux privations, prenait ses repas debout ou à cheval, sans même ôter son casque, et souvent ne les prenait que le soir, après avoir terminé ce qu'il avait à faire. Il ne buvait presque pas de vin[63]. Comme notre vaillant maréchal Ney, il dormait ou ne dormait pas[64], et se sentait toujours également frais et dispos. N'ayant besoin pour dormir ni de silence, ni de lit somptueux, il se couchait d'ordinaire au milieu d'une rue de son camp, ou dans quelque ouvrage, parmi les gardes, ou sous une broussaille aux avant-postes[65]. Enveloppé de sa saie de simple soldat, il se jetait parfois sur une peau de lion[66], qui, seule, préservait son corps de l'humidité, et il y trouvait sans peine un profond sommeil qui réparait ses forces. Ainsi firent plus tard, au bivouac, le roi Charles XII, qui se contentait d'une simple planche[67], et l'empereur Napoléon, à cheval sur sa chaise légendaire. Il supportait également bien la chaleur et le froid[68]. Survenait-il un orage, il s'en allait tête nue, bravant et la pluie et la foudre. Le vent du sud soulevait-il des tourbillons de poussière, il courait tranquillement à cheval, la face au vent, comme par le temps le plus calme. S'il marchait sous un soleil de feu, il disait gaiement qu'une femme seule pouvait songer à s'asseoir à l'ombre[69]. Cet homme extraordinaire, qui avait rompu son corps à toutes les fatigues, qui s'exerçait à plaisir à supporter toutes les privations, cet homme n'avait pas un seul défaut, une seule faiblesse[70]. On vante sans cesse la continence de Scipion. Que ne parle-t-on un peu de la chasteté d'Annibal ? Ses mœurs étaient irréprochables, et le discours d'Hannon, que Tite-Live n'a pas manqué de rapporter[71], n'est qu'un factum absurde. Annibal, dit Justin[72], était d'une telle pureté de mœurs, qu'on se demandait si l'Afrique était vraiment son pays natal. Durant la guerre, nombre de belles captives tombèrent en ses mains, mais aucune ne sut le séduire, et, comme le roi Charles XII, qui semble s'être étudié à l'imiter sous tous les rapports, il était absolument maître de ses sens[73]. A vingt-six ans, il donnait l'exemple de toutes ces vertus de famille auxquelles les grands de ce monde dédaignent trop souvent de s'assujettir. Il avait, en 220, épousé une Espagnole de sang noble[74], et, l'année suivante (219), Imilcée (c'était le nom de la jeune femme) lui avait donné un fils[75]. Annibal aimait tendrement la mère de son enfant, et jamais cet amour ne se démentit[76]. Comme on le verra à la fin de cette histoire, il la retrouve à Carthage après seize années de séparation (218-202) ; mais bientôt la haine des Romains le jette en exil. Il doit, une fois encore, abandonner cette épouse et ce fils qu'il chérit, et les adieux qu'il leur adresse témoignent d'une douleur poignante[77]. Digne fils d'Amilcar, et gardien de l'honneur d'une grande famille militaire[78], le jeune homme qui prenait le commandement de l'armée d'Espagne était bien le type du parfait officier général. Ses soldats se laissaient aller aux bruyantes démonstrations d'une admiration naïve, lorsqu'ils le voyaient fendre l'air sur les chevaux fringants qu'il aimait à dresser lui-même[79], ou, à l'heure du combat, se jeter seul, à pied, en avant des troupes qu'il voulait engager. Le premier à l'attaque, il était toujours le dernier à quitter le terrain[80]. Lors des travaux de siège ou de fortification de campagne, on aimait à le voir prendre sa part de labeur et manier adroitement tous les outils du sapeur amazir'[81]. L'enthousiasme arrivait à son comble, lorsque Annibal passait vivement à la nage un fleuve qui arrêtait la marche des colonnes carthaginoises, et que, de la rive opposée, il invitait en souriant ses compagnons à le suivre[82]. Telle est la grande figure d'Annibal, ce colosse de l'antiquité[83]. A ce portrait, dont le temps a respecté la couleur, les capitaines de tous les âges voudraient se reconnaître, malgré quelques touches violentes dont le ressentiment ou l'irréflexion ont tenté de noircir le tableau. Que de fois n'a-t-on pas reproché au grand homme son avarice, sa cruauté[84], sa perfidie, son impiété ! Que n'a-t-on pas raconté des effets de sa haine ? L'avarice ! Polybe lui-même ne craint pas de l'en charger.
Il me paraît, dit-il[85], avoir été fort avare et avoir eu parmi ses confidents un certain
Magon, gouverneur du Bruttium, fort avare aussi. Je sais cela des Carthaginois
mêmes, et des compatriotes ne connaissent pas seulement, comme dit le
proverbe, les vices qui règnent dans leur pays, mais aussi les habitudes de
tel ou tel. Je le tiens plus pertinemment encore de Masinissa, qui me citait
plusieurs exemples de l'avarice, non-seulement des Carthaginois, mais d'Annibal
et de ce Magon. Il me disait que... ces deux
hommes ne s'étaient jamais trouvés ensemble dans la même action ; que les
ennemis n'auraient pas pris plus de soin de les séparer qu'ils n'en prenaient
eux-mêmes, afin de ne pas être ensemble à la prise d'une ville ; surtout pour
qu'il ne s'élevât pas de dispute entre eux, au moment du partage du butin.
Ils étaient de même rang et d'égale avidité. En vérité, le grand Polybe a laissé surprendre ici sa bonne foi. Annibal était avare en effet, mais comme tous les grands capitaines, qui, connaissant la valeur vraie des hommes et des choses, attachent un grand prix à l'argent servant à l'accomplissement de leurs desseins. Le besoin d'imprimer une marche régulière aux divers services fonctionnant sous leur autorité veut qu'ils aient toujours des fonds à leur disposition, et souvent en abondance. De là la nécessité de surveiller les dépenses, de discuter les ordonnancements, de réprimer les abus, de faire régner partout l'ordre et l'économie. De là, aussi, les menées de la rapacité déçue, puis les hauts faits de la calomnie, de la vengeance. Annibal était avare comme le fut plus tard Napoléon, c'est-à-dire exigeant en fait de contrôle, ennemi de la prodigalité, mais sachant consacrer à propos des sommes considérables au succès de ses vastes entreprises. Annibal, dit M. Thiers[86], amassa en effet des richesses immenses, sans jamais jouir d'aucune, et les employa toutes à payer son armée, laquelle, composée de soldats stipendiés, est la seule armée mercenaire qui ne se soit jamais révoltée, contenue qu'elle était par son génie et la sage distribution qu'il lui faisait des fruits de la victoire. La cruauté ! Faut-il donc nommer cruel le général en chef qui préside à l'effusion du sang et apparaît aux populations consternées comme la cause première d'un nombre effrayant de morts d'hommes ? Ace compte, tous les officiers de nos armées modernes, tous, sans exception, sont des gens sanguinaires. En réalité, Annibal n'était point cruel, pas plus que Napoléon. De lui, dit M. Thiers[87], on ne cite pas un acte de cruauté en dehors du champ de bataille. Ici Polybe s'est montré plus circonspect, en n'accueillant que sous toutes réserves la réputation de tyran farouche faite au général carthaginois : C'est ce Monomaque, dit-on, qui est l'auteur de tout ce qui s'est fait de cruel en Italie et dont on charge Annibal[88]. Annibal a parfois infligé des châtiments sévères aux troupes indisciplinées, aux guides soupçonnés de trahison, aux populations insoumises, aux déserteurs ; mais de la sévérité à la cruauté la distance est considérable, et, d'ailleurs, il faut faire la part des mœurs du temps. A cette époque, les Romains n'étaient point des modèles d'humanité. Ne sait-on pas que leur ville n'était alors qu'un vaste charnier ? Les portes des plus illustres maisons de Rome étaient ornées de dépouilles humaines ; les dents, la chevelure, le crâne des ennemis vaincus servaient de parure aux légionnaires[89], et, pendant que le char des triomphateurs passait dans les rues encombrées d'un peuple aux cris sauvages, on immolait solennellement au Tullianum de malheureux rois prisonniers de guerre. Pendant la deuxième guerre punique, les Romains ne
cessèrent jamais d'offrir aux dieux des sacrifices humains[90] Ils s'en
prenaient de leurs désastres à de pauvres captifs, qu'ils enterraient vivants[91]. On peut citer
mille exemples de la froide cruauté romaine. Le consul Fulvius faisait couper
les mains aux déserteurs. Quand Scipion, dit
Polybe[92], crut qu'il était entré assez de soldats dans Carthagène, il
en détacha la plus grande partie contre les habitants, comme les Romains ont coutume de faire lorsqu'ils prennent une
ville d'assaut, avec ordre de tuer tous ceux qu'ils rencontreraient, de ne
faire aucun quartier... Je pense qu'ils ne se
portent à ces excès que pour inspirer la terreur du nom romain ; c'est pour
cela que, dans
les villes prises, non-seulement ils passent les hommes au fil de l'épée,
mais encore ils coupent en deux les chiens et mettent en pièces les autres animaux. Pleminius, gouverneur
de Locres, commettait dans cette place des crimes inouïs, qu'on ne pouvait
certes pas imputer aux Carthaginois[93]. Plus tard, en
Espagne, Scipion Emilien, l'ami de Polybe, coupait sans remords les mains de
ses prisonniers de guerre. Les mœurs romaines furent longtemps à s'adoucir. A
la mort de Spartacus, Crassus fit dresser six mille croix le long de la route
de Rome à Capoue, pour les six mille prisonniers qu'il avait faits. Enfin,
César, l'homme le plus clément de l'antiquité, César fit de sang-froid
exterminer une nation, coupable d'avoir défendu son indépendance. Il coupa
les mains à des milliers de prisonniers gaulois, pour effrayer par cet exemple
un peuple qui lui résistait[94]. Et les
historiens de César sont bien forcés de flétrir cette atrocité, lin résumé,
les Romains contemporains d'Annibal étaient encore trop étrangers aux
sentiments de clémence pour parler en termes amers des instincts cruels d'un
grand homme qui, lors des magnifiques funérailles qu'il faisait à leurs
consuls tombés les armes à la main, les initiait à des sentiments de
convenance jusqu'alors inconnus, à des procédés délicats dont ils étaient
loin d'user dans leurs relations internationales. Il est donc impossible
d'admettre qu'Annibal, digne représentant des civilisations de l'Orient et de
La perfidie ! Les Romains ne craignent pas de répéter à satiété qu'Annibal manquait, d'ordinaire, à la foi des traités ; que les promesses, les serments les plus solennels, étaient de nulle valeur dans sa bouche[95]. Mais ce sont des Romains qui le disent. Ce témoignage est, à bon droit, suspect, et il est fort regrettable que des historiens carthaginois n'aient pas instruit pour nous le procès des Romains à cet égard. D'ailleurs, en lançant leurs accusations passionnées, Tite-Live et Valère-Maxime faisaient sciemment confusion entre le manque de foi proprement dit, d'une part, et l'habileté politique et les ruses de guerre, de l'autre. Annibal inaugurait en Italie un art militaire nouveau, et les Romains, pleins de courage mais aussi d'ignorance, ne pouvaient soupçonner la puissance de ses méthodes originales. L'heureux emploi qu'il faisait des réserves, toujours adroitement dissimulées jusqu'à l'heure décisive ; son habileté à choisir les terrains qu'il destinait aux mouvements de ses troupes, et aussi ceux qu'il imposait, pour ainsi dire, à ses adversaires ; ses marches hardies, enfin, confondaient les consuls, qui, se voyant perdus et abandonnés des dieux, n'avaient rien de mieux à faire que de crier à la foi punique ! Mais, en définitive, comme le dit Montesquieu[96], ce ne fut que la victoire qui décida s'il fallait dire la foi punique ou la foi romaine. L'impiété ! On accuse aussi Annibal de s'être montré ouvertement impie[97]. Mais tous les faits protestent contre cette absurde accusation. Ne fût-ce que dans l'intérêt du succès de ses desseins et du maintien de la discipline, le jeune général devait tenir et tenait grand compte du sentiment religieux, alors si puissant sur les âmes[98]. Voulant gagner à sa cause la majeure partie des populations italiotes, il devait respecter partout les cultes établis, aussi bien que les lois en vigueur[99]. Il savait que, toutes choses égales, une armée composée d'hommes que la piété domine est plus disciplinée, plus facilement entraînée qu'une autre. Les invasions dites de barbares (war war) ont, toujours et partout, chance de succès, car les peuples primitifs, que l'idée de Dieu accompagne dans tous les actes de leur vie simple, obéissent avec précision à la voix de leurs chefs théocratiques. Ceux-ci enlèvent vivement des masses d'hommes considérables ; le torrent se précipite, vient battre les murs des capitales civilisées et finit par noyer sous sa masse des peuples usés par les excès du luxe et la perte de toute espèce de croyances. Le jeune général savait tout cela. Après la prise de
Sagonte, il emmène son armée à Gadès, dans ce fameux temple d'Hercule que
Scipion et César devaient visiter aussi[100], et là, en
présence de ses soldats, il s'acquitte d'un vœu fait au dieu[101]. L'armée,
ramenée à Carthagène[102], sort, au
printemps, de ses cantonnements et va se mettre en route. Annibal lui promet
encore la protection d'Hercule, et annonce qu'un de ses lieutenants, Bostar,
vient de partir pour l'Afrique, à l'effet d'y consulter l'oracle de Jupiter
Ammon[103].
Quelques jours après, il n'est bruit dans le camp des Carthaginois que d'un
heureux songe du jeune général. Jupiter lui a dépêché un messager céleste,
chargé de lui montrer la route de l'Italie[104]. Et, plus tard,
quand il sera descendu dans Tels sont les excès et les vices dont le génie romain a chargé la mémoire d'Annibal. Mais on ne saurait s'en rapporter exclusivement à des appréciations entachées de partialité[109] et, d'ailleurs, il faut observer que, en se faisant l'écho de ces amers reproches, Polybe a su formuler quelques réserves[110], commandées par la grandeur de la cause. Enchérissant sur les historiens de Rome, les poètes satiriques ont vite chansonné, raillé le grand homme de guerre[111]. Mais les plaisanteries et les caricatures romaines ne dessinent pas le portrait du grand Carthaginois plus exactement que la chanson française dite de Marlborough ne rend, à l'étranger, la vraie physionomie du vainqueur de Malplaquet. Les Romains reprochent encore à Annibal la haine du nom romain. Ah ! en cela seulement, ils ne sont coupables d'aucune erreur. Mais cette haine qui dévorait le cœur du jeune homme, c'était l'héritage de ses pères ; c'était aussi l'amour de la patrie[112]. Un poète[113] a pu dire que le grand capitaine devait aux inspirations de Junon ses heureuses conceptions stratégiques, car la déesse Junon avait pour similaire la grande Astarté de Carthage, symbole de la patrie en armes. On a pu raconter sans mensonge que son sommeil était souvent troublé et haletant ; qu'il rêvait alors de l'assaut du Capitole, car une idée fixe obsédait cette tête ardente. Parfois le jeune lionceau[114], frappant la terre du pied et soulevant la poussière, disait à ses soldats que la querelle de Carthage et de Rome ne s'éteindrait que lorsque l'une ou l'autre serait ainsi réduite en poudre[115]. Quelques esprits éminents, trompés par cette énergique manifestation d'un pur sentiment national, ont cru voir en la personne du grand capitaine l'esclave d'un méprisable instinct, celui de la haine[116]. Mais cette haine, qu'on a dite, à tort, inique et aveugle, n'était, dans cette grande âme, que la conséquence nécessaire du patriotisme[117]. Et cet amour de la patrie allait enfanter des prodiges. L'Espagne, qu'Amilcar avait subjuguée, que son gendre Asdrubal avait ensuite maintenue dans le devoir, grâce à sa politique habile, l'Espagne ne supportait qu'en frémissant la domination carthaginoise et ne cherchait qu'à s'y soustraire. La jeunesse d'Annibal, prise en grand mépris par des peuplades dévorées du désir de recouvrer leur indépendance, encouragea les espérances les plus téméraires, et la tribu des Olcades donna brusquement le signal d'une insurrection (221). La côte orientale de la péninsule ibérique présente, à la
hauteur des Baléares, un vaste amphithéâtre de montagnes, contrefort du grand
plateau central, et tournant sa concavité vers la mer. Extérieurement au
périmètre de cette espèce de cirque à l'ossature imposante, rayonnent, sous
des pentes rapides, un grand nombre de cours d'eaux torrentueux. Ce sont les
affluents de la rive droite de l’Èbre, le Tage, Les Olcades occupaient le bassin du Xucar et avaient pour réduit Cartéja[119], ville antique et opulente. Annibal en entreprit le siège, et le poussa si vigoureusement que les défenseurs renoncèrent à le soutenir. La chute de Cartéja entraîna celle des autres places du pays, et tous les Olcades firent leur soumission. Riche de butin, l'armée carthaginoise rentra prendre ses quartiers d'hiver sous Carthagène (221-220)[120] ; car, suivant les vues de son beau-frère, Annibal avait fait de cette grande place sa résidence habituelle, son quartier général, sa base d'opérations[121]. Il en avait perfectionné les défenses, agrandi les magasins, accru les ressources de toute nature. Dès les premiers jours du printemps de l'année 220, il partit pour le pays des Vaccéens[122], peuplade aussi turbulente que celle des Olcades, mais établie sur les rives du haut Duero. La distance à franchir était considérable, et l'armée, partie de Carthagène, eut à fournir de longues marches, ainsi que le désirait le général en chef. Elle dut gravir les pentes orientales du grand plateau ibérique, avant de descendre dans le bassin des fleuves tributaires de l'Océan. Après les fatigues de cette route, il lui fallut entreprendre les sièges d'Arbocala (Tordesillas) et de Salamanque. Arbocala fut enlevée par les Carthaginois, et Salamanque, après une vigoureuse résistance, dut également ouvrir ses portes. Les habitants capitulèrent, offrant, si on leur laissait la liberté, de livrer la place, leurs trésors et leurs armes. Annibal accueillit ces propositions, et les hommes, désarmés, évacuèrent la ville. Quant aux femmes, abandonnant aux vainqueurs leurs parures et les objets les plus précieux, elles sortirent aussi, mais en emportant sous leurs vêtements des poignards, que laissèrent passer les sentinelles carthaginoises. La garde des portes de la ville était confiée à un corps de cavalerie, qui avait à surveiller les Salmantins sans défense, pendant que le reste des Carthaginois s'occupait de pillage ; mais cette troupe, aussi imprudente qu'âpre à la curée, quitta son poste pour courir prendre sa part de butin. Aussitôt les femmes de rendre à leurs époux les armes qu'elles ont apportées, et ceux-ci de rentrer en désespérés dans la ville. Les Carthaginois furent surpris, taillés en pièces ou mis en fuite ; et les réserves durent livrer bataille pour reprendre possession de la place. On y parvint enfin, non sans de grandes pertes. Les Salmantins, écrasés, évacuèrent une seconde fois leurs foyers mis à feu et à sang, mais se retirèrent en bon ordre sur une hauteur voisine, où ils tinrent jusqu'à la dernière extrémité. Pour honorer tant de courage, Annibal laissa aux braves qui survécurent et la vie et la liberté. Il leur rendit les ruines de leur malheureuse ville[123]. Cependant une vaste coalition s'organisait pour couper toute retraite au vainqueur. Quelques Vaccéens, échappés de Salamanque, s'unirent à des exilés olcades et parvinrent à soulever, en faveur de la cause commune, la redoutable peuplade des Carpétans, habitants de la rive gauche du haut Tage. Là, le lit du fleuve est torrentueux, embarrassé et souvent rétréci par des blocs éboulés des montagnes. Les bords en sont arides et désolés ; les plaines sablonneuses qu'il sillonne ont un aspect sinistre. L'ennemi occupait sur la rive droite, aux environs de Tolède, une position excellente, et là, la rage au cœur, attendait Annibal. Il espérait pouvoir tomber sur les derrières des colonnes carthaginoises, lors qu'elles traverseraient le fleuve, opération d'autant plus délicate pour cette armée chargée de butin, qu'elle traînait à sa suite un convoi considérable. Annibal, sans rien perdre de son calme, mesura toute l'étendue du péril. D'un coup d'œil, il supputa qu'il avait affaire à plus de cent mille hommes, et ne se dissimula point que la défaite était certaine, s'il était jamais contraint d'accepter la bataille. Une heureuse idée le sauva de ce mauvais pas : il eut l'art de tirer parti de l'extrême difficulté des lieux et, par là, de suppléer à son infériorité numérique. Les Carthaginois approchaient de la rive droite du Tage quand ils furent attaqués par les Espagnols ; mais, suivant les ordres du général en chef, on se garda bien de répondre à cette agression. Au lieu de reconduire l'assaillant l'épée dans les reins, on se contenta de faire bonne contenance, en repoussant de pied ferme les partisans les plus audacieux. La nuit mit fin à ces engagements, sans que l'armée d'Annibal se laissât entamer. C'était la nuit qu'Annibal attendait. Pour n'éveiller aucun soupçon, et avant le coucher du soleil, il avait très-ostensiblement installé son camp sur la rive droite, et bien en vue des Espagnols. Ceux-ci, pleins de confiance, se promirent de tomber sur l'ennemi le lendemain dès l'aurore, de l'acculer au fleuve et de l'y précipiter. Mais, durant la journée, Annibal avait fait reconnaître le Tage, et l'on y avait découvert un gué large et solide. Aussitôt que l'obscurité est complète, et que l'ennemi, sûr de son prochain triomphe, ne fait plus aucun mouvement dans ses lignes, les Carthaginois se lèvent en silence, passent à gué et s'établissent sur la rive gauche, à bonne distance pour voir venir leurs adversaires. Avant le jour, Annibal donne ses derniers ordres : la cavalerie devra charger les Espagnols, mais seulement au moment où ceux-ci passeront le fleuve ; l'infanterie prendra position sur la rive, et y sera défilée par une masse de quarante éléphants. Le gué coupait vraisemblablement le Tage en un point formant sinus convexe vers le camp d'Annibal, et ce passage devait être parfaitement vu de l'infanterie. Celle-ci, partagée en deux divisions, pouvait le prendre doublement d'écharpe et croiser ses traits sur la rive droite, en avant[124]. Au jour, les Espagnols, voyant les Carthaginois sur la rive gauche, s'imaginent qu'ils battent précipitamment en retraite, et que cette retraite peut facilement se changer en déroute. Naturellement présomptueux, forts de leur nombre, sûrs d'inspirer une immense terreur à l'ennemi, les imprudents entrevoient une victoire facile ; ils jettent leurs cris de guerre et poussent dans le fleuve tous ensemble, au hasard, sans chef, chacun devant soi. Annibal avait prévu l'événement, et les barbares, trompés par sa marche de nuit, tombaient dans le piège qu'il leur avait si simplement tendu. L'élève du grand Amilcar avait senti l'immense parti qu'un capitaine habile peut tirer des obstacles naturels contre des forces supérieures à celles dont il dispose. Aussitôt que les Olcades, les Vaccéens, les Carpétans sont dans le thalweg, et que la confusion est à son comble sur le gué, la cavalerie carthaginoise entreprend de charger cette multitude, et il s'engage en plein courant une lutte fort inégale. Le cavalier, sûr du terrain, n'avait en effet qu'à pousser son cheval en avant pour culbuter le fantassin, qui se défiait du gué ; le corps et les bras libres, il frappait facilement un adversaire qui avait, avant tout, à résister à la violence du courant. Aussi l'informe ordonnance des Espagnols fut-elle promptement rompue. On vit les uns se noyer, les autres, entraînés à la dérive, accoster en désordre la rive gauche, où on les attendait pour les sabrer. Les groupes les plus solides se serrèrent pour rallier au plus tôt cette rive droite qu'ils étaient au désespoir d'avoir quittée. Mais de nouvelles masses s'engagent pêle-mêle sur le gué, et le moment est venu de frapper le coup décisif. Pour raffermir la confiance ébranlée de l'ennemi et l'inviter à se jeter résolument dans le fleuve, Annibal fait sonner la retraite de sa cavalerie, et, quand des bandes en désordre couvrent de nouveau le gué dans toute son étendue, il démasque vivement son infanterie, qui a été jusque-là défilée par les éléphants ; la division d'amont et la division d'aval viennent se masser à hauteur du gué, et, formées en colonne serrée, traversent le fleuve au pas de charge et balayent tout ce qui se trouve sur leur passage. La déroute des ennemis fut complète, et leurs bandes disparurent dans le fleuve. Les hommes que le courant amenait à la rive gauche y étaient écrasés par les éléphants ; ceux qui, en petit nombre, purent regagner la rive droite furent menés battant, et l'épée dans les reins, par la cavalerie carthaginoise[125]. Qu'on remarque bien ici l'heureuse application d'un principe d'art militaire alors inconnu en Europe, celui de l'emploi des réserves. Cette méthode, due au génie du grand Amilcar, assure le succès de son fils, qui l'emploie ici pour la première fois, et y aura désormais recours dans toutes ses grandes batailles. La victoire de Tolède valut à Annibal la soumission définitive de toute la péninsule cisibérique. Son autorité, un instant méconnue, y fut rétablie sans conteste, depuis la rade qui portait son nom, à l'est du cap Saint-Vincent, jusqu'au gué d'Amposta, sur l'Ebre, qu'il allait bientôt franchir. Ces résultats obtenus, il rentre à Carthagène passer l'hiver (220-219), et donner libre cours à des méditations qui vont profondément troubler le repos des Romains. |
[1] Le nom d'Annibal est commun à plusieurs généraux carthaginois, parmi lesquels nous citerons : Annibal Ier, fils de Giscon, soff'ète en 410, mort en 406 ; — Annibal II, soff'ète en 340, vaincu par Timoléon ; — Annibal III, dit l'Ancien, amiral pendant la première guerre punique, mort en 257 ; — Annibal le Rhodien, venu au secours de Lilybée, en 250 ; — Annibal, lieutenant d'Amilcar pendant la guerre de Libye, mis en croix par Mathô. — Le fils d'Amilcar est connu sous le nom d'Annibal IV, ou Annibal le Grand. — C'est pour nous conformer à l'usage que nous écrivons Annibal. Mieux vaudrait Hannibal, à raison de l'origine du nom : Khana-Baal (grain de beauté de Baal). Nous préférons cette étymologie à celles de Anâme-Baal (grâce de Baal) et de Aïne-Baal (œil de Baal).
[2] C'est à tort qu'Eutrope (III, VII) ne lui donne que vingt ans au commencement de la deuxième guerre punique. Appien ne précise pas son âge (Appien, De Rebus Hisp., VIII, et De Bello Hannibalico, II.)
[3] Silius Italicus, Puniques, I. — Tite-Live, XXI, III.
[4] Ce nombre de six enfants est, bien entendu, le minimum possible.
[5]
C'est celle qu'un romancier contemporain appelle Salammbô, du nom que les
Babyloniens et les Tyriens donnaient à
[6]
Schweighœuser ne mentionne pas Hannon. Cependant Tite-Live parle expressément
de ce dernier frère (Tite-Live, XXIX, XXXIV.) — Valère-Maxime (IX, IV, 2), parlant des enfants d'Amilcar,
dit : quatuor catulos... C'est à cet
Hannon qu'Annibal, en 218, confiera le gouvernement de
Amilcar partit, en 248, pour
[7] On a dit qu'Amilcar, craignant qu'on ne lui prît son fils pour être offert en sacrifice au dieu Moloch, le faisait élever secrètement loin du foyer paternel. Nous n'avons découvert aucune preuve à l'appui de ce dire.
[8] Silius Italicus, Puniques, I.
[9] Silius Italicus (Puniques, XIII) dit qu'il entrait dans sa dixième année.
[10] Cornelius Nepos, Annibal, II. — Tite-Live, XXI, I ; XXXV, XIX. — Appien, De Rebus Hisp., IX, et De Bello Hannibalico, III.
Silius Italicus rapporte aussi la scène du serment, qu'il place non dans le temple de Jupiter, mais dans le sanctuaire d'Elissa, fondatrice de Carthage. Le père examine, dit-il, la contenance et le visage de son fils. Celui-ci, sans pâlir en présence des fureurs de la pvthonisse libyenne, contemple d'un œil calme les barbares cérémonies du temple, les parois souillées d'un sang noir, et les flammes qui s'élancent dociles aux chants, des qu'ils se font entendre. Amilcar, passant alors une main caressante sur la tête de son fils, lui prodigue les baisers, enflamme son ardeur et lui dit : ...Si les destins refusent a mon bras l'honneur d'effacer l'opprobre de la patrie, toi, mon fils, mets ta gloire à accomplir cette œuvre. Tu m'entends ? du courage ! Jure ici une guerre à mort aux Romains... Et Amilcar dicte à son fils ce terrible serment : Dès que l'âge me le permettra, je poursuivrai les Romains, et sur terre et sur mer ; j'emploierai le fer et le feu pour arrêter les destins de Rome. Ni les dieux, ni ce traité qui nous défend la guerre, rien ne me retiendra ; je triompherai des Alpes comme de la roche Tarpéienne. J'en jure par le dieu Mars, qui me protège ; j'en jure, grande reine, par tes mânes augustes. (Puniques, I.)
En plaçant ce serment sous l'invocation d'Elissa, Silius Italicus s'est évidemment inspiré de Virgile, qui met ces imprécations dans la bouche de Didon délaissée (Virgile, Énéide, IV.)
[11] Tite-Live, XXX, XXVIII.
[12] Par une inconséquence étrange, Tite-Live (XXI, III) applique à Annibal l'épithète : Vixdum paberem. Annibal était alors plus qu'adolescent. Il avait, comme il est facile de le démontrer, vingt-trois ou vingt-quatre ans. (Voyez, à ce propos, une note de l'édition Nisard, 1850.)
[13] Tite-Live, XXI, IV.
[14] Appien, De Rebus Hisp., VI.
[15] Histoire de Jules César, t. I, p. 155.
[16] Expression empruntée à l'Histoire de Jules César, t. I, p. 254.
[17] Silius Italicus, Puniques, I, II et VIII. — Le nom même d'Amilcar (A'bd-Melch-Kartha, serviteur de Melkarth, ou, plus exactement, serviteur du roi de la ville) indique suffisamment son origine phénicienne, et non point africaine, ainsi que le suppose M. Nisard.
[18] Virgile, Énéide, IV ; I.
[19]
Elle était honorée sous le nom de Dido.
Ce surnom, donné par les Imazir'en, a la signification du latin virago. Aujourd'hui encore, l'Européen qui
pénètre dans un village kabyle y est assourdi de l'interpellation : didou ! didon ! Ces mots, qui ne sont pas, comme
on l'a cru longtemps, une corruption du français dis
donc ! expriment succinctement une grosse injure. Ils signifient
que, malgré ses allures militaires, le roumi
(impérial) n'est qu'une femme ; ils résument en une ellipse hardie cette menace
obscène du vocabulaire arabe :
.
[20] Le surnom de Barca, auquel on attribue des significations diverses, telles que foudre, éclair, désert, doit s'écrire Baraka, c'est-à-dire la bénédiction, la puissance merveilleuse, la victoire infaillible, le don des miracles. De nos jours, la haute aristocratie indigène de l'Algérie possède encore, aux yeux des masses, le privilège de la baraka, auquel elle tient beaucoup.
Ce surnom amazir' ne saurait prouver, comme le pense M.
Nisard, l'origine africaine d'Amilcar. Les maréchaux Bugeaud et Pélissier
seraient Africains à ce compte, eux que les Arabes appelaient Bou-Barretta, l'homme à
la casquette, et Iblis, le diable.
[21] L'argent, ce puissant levier qui remue les montagnes, est aussi le premier ressort du mécanisme complique de la guerre. Il est dans la nature du cœur humain d'accorder à l'homme opulent une considération sui generis. Ses qualités, s'il en a, n'apparaissent au public qu'à travers un objectif grossissant. On vante sa supériorité parfois, l'indépendance de son caractère toujours. L'armée spécialement tient eu grande estime le riche qu'entraîne la vocation militaire. Nos soldats se prennent à aimer sincèrement les gens de cœur qui, maintenant leurs devoirs à la hauteur de leurs droits, pensent encore que fortune, autant que noblesse, oblige. Ils écoutent volontiers leurs conseils, parce qu'ils sentent que ces natures d'élite ne font pas des armes uniquement un métier ; que certainement la gloire n'est pas, dans leur bouche, un mot vide de sens. On aime à les entendre parler d'honneur et de patrie, parce qu'on les sait capables d'abnégation ; parce qu'ils savent évidemment la définition du vrai soldat : Vir probus, pugnandi peritus.
Parfois l'officier riche obtient des effets moraux aussi saisissants qu'imprévus. A Magenta, un capitaine de zouaves est pris d'écharpe par une batterie qui vomit la mitraille ; il faut, sans perdre une minute, enlever cette formidable batterie. Les hommes hésitent. Que faire ? L'officier n'était pas orateur, mais il lui vint une inspiration sublime. Comment ! s'écrie-t-il, vous qui ne gagnez qu'un sou par jour, vous avez peur de le perdre en vous faisant casser la tête ! Tenez-moi, j'ai vingt mille livres de rentes.... Il s'élance, les zouaves suivent et les pièces autrichiennes sont enclouées.
Annibal, lui aussi, était passé maître en cet art oratoire énergique et simple. Ses mercenaires, qui connaissaient ses immenses trésors, le voyaient chaque jour combattre au premier rang.
[22] Pline, Hist. nat., XXXIII, XXII.
[23] Ce mortel à qui Dieu dispensa tous les dons de l'intelligence. (M. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX.)
[24] Il dut ces avantages, non-seulement à la nature, qui l'avait comblé de ses dons, mais encore à une vaste instruction. Initié, suivant la coutume de son pays, aux connaissances répandues parmi les Carthaginois, il y ajouta les lumières des Grecs. (Dion-Cassius, fragm. CLXIX des livres I-XXXVI, édit. Gros.)
[25] Ce grand homme, quoique toujours préoccupé des choses de la guerre, ne laissa pas que de donner un peu de son temps aux lettres. Il nous reste de lui plusieurs ouvrages écrits en grec, notamment une histoire de la campagne de Manlius Vulso en Asie. Cette histoire est dédiée aux Rhodiens... Plusieurs historiens nous ont donné le récit des campagnes d'Annibal. Il en est deux, Philène et Sosyle, de Lacédémone, qui raccompagnèrent dans ses expéditions et vécurent avec lui tant que le permit la fortune. C'est ce Sosyle qui lui apprit le grec. (Cornelius Nepos, Annibal, XIII.)
[26] A quelles erreurs l'ignorance ou la passion ne peuvent-elles point entraîner ? Un homme s'est rencontré qui a prétendu qu'Annibal se faisait gloire de ne pas savoir le grec (Lucien, Dialogues des morts, XVII, 3.) Et cependant, de tous les peuples anciens, c'étaient les Carthaginois qui savaient le plus de langues étrangères. (Plaute, Pænulus, prologue, v. 112.)
[27] M. Michelet, Histoire romaine, t. II, p. 53.
[28] On jugera de celle mâle éloquence par les morceaux magnifiques que Polybe et Tite-Live nous en ont conservés. Eloquent, savant même et auteur de plusieurs ouvrages, Annibal eut toutes les distinctions qui appartiennent à la supériorité de l'esprit. (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem.)
[29] Fragm. CLXIX des livres I-XXXVI, édit. Gros.
[30] IX, fragm. VII.
[31] Annibal, sous bien des rapports, me parait un grand capitaine ; mais ce qui fait sa supériorité, c'est que, durant tant d'années qu'il a fait la guerre et subi tous les caprices de la fortune, il a eu l'adresse d'abuser bien souvent le général ennemi, sans que jamais ses ennemis aient pu le tromper lui-même. (Polybe, X, Fragm. VIII.)
On ne peut considérer les grandes batailles qu'Annibal a livrées, les petits engagements qu'il a soutenus, les sièges qu'il a entrepris, les révoltes des villes qu'il a réprimées, les conjonctures fâcheuses qu'il a rencontrées, la grandeur et l'importance de la guerre qu'il a faite aux Romains, au sein même de l'Italie, pendant seize ans, sans jamais laisser reposer ses troupes... on ne peut songer à tout cela sans être transporté d'admiration... Quelle habileté dans l'art de conduire les armées ! Quel courage ! Quelle expérience de la guerre !... On serait moins étonné peut être si la fortune, toujours constante et favorable, ne lui avait jamais fait éprouver de revers. Mais non. S'il eut, la plupart du temps, vent arrière, il essuya aussi de violentes tempêtes. Quelle idée ces considérations ne donnent-elles point des talents militaires d'Annibal ! (Polybe, XI, fragm. II.) — Annibal fit tout ce qu'il était possible de faire, tout ce qu'on était en droit d'attendre d'un homme de cœur et d'un grand général... Si ce héros, jusqu'alors invincible, a fini par être vaincu, on ne saurait lui en faire un crime, car la fortune parfois condamne les plus sages entreprises des grands hommes. (Polybe, XV, fragm. I.)
Cornelius Nepos, Annibal, passim. — Florus, II, III. — Tite-Live et Silius ne tarissent pas de louanges, et l'expression de leur enthousiasme, plus fort que la haine nationale, a trouvé chez nous plus d'un écho. (Voyez surtout Rollin, Histoire ancienne.)
[32] Il est certain qu'il avait une merveilleuse capacité dans la guerre, et ces conquérants illustres qui ont laissé un si grand nom à la postérité n'approchaient pas de son industrie pour assembler et maintenir des armées. (Saint-Évremond, Réflexions sur les différents génies du peuple romain.)
Certes il devait être doué d'une âme de la trempe la plus forte et avoir une bien haute idée de sa science en guerre... (Napoléon, Mémorial de Sainte-Hélène, 14 novembre 1816.)
Tout ce qu'on savait alors de stratégie, de tactique, de secret de vaincre par la force ou la perfidie, il le savait dès l'enfance : le fils d'Amilcar était né, pour ainsi dire, tout armé ; il avait grandi dans la guerre et pour la guerre... Sa gloire est d'avoir été la plus formidable machine de guerre dont parle l'antiquité. (M. Michelet, Histoire romaine.)
Annibal me parait avoir été le plus grand capitaine de l'antiquité. Si ce n'est pas celui qu'on aime le mieux, c'est celui qui étonne davantage. Il n'eut ni l'héroïsme d'Alexandre, ni les talents universels de César ; mais il les surpassa l'un et l'autre comme homme de guerre. (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem.)
La deuxième guerre punique montrera ce qu'il y a de force et d'inépuisables ressources dans le génie d'un grand homme. (M. V. Duruy.)
... Capitaine habile, qui attirait ses adversaires sur le terrain qu'il avait choisi. (Histoire de Jules César, t. I, p. 160.)
Ce mortel, doué de tous les génies, de tous les courages le plus propre aux grandes choses qu'on ait jamais vu Un seul homme dans les temps anciens se présente avec cette liberté, cette sûreté d'allures, c'est Annibal. Et aussi comme vigueur, audace, fécondité, bonheur de combinaisons, peut-on dire qu'il n'a pas son égal dans l'antiquité... Napoléon, supérieur à César comme militaire, d'abord par plus de spécialité dans la profession, puis par l'audace, la profondeur, la fécondité inépuisable des combinaisons, n'a, sous ce rapport, qu'un égal ou un supérieur (on ne saurait le dire), Annibal ; car il est aussi audacieux, aussi calculé, aussi rusé, aussi fécond, aussi terrible, aussi opiniâtre que le général carthaginois, en ayant toutefois une supériorité sur lui, celle des siècles Du reste, ce sont les balances de Dieu qu'il faudrait pour peser de tels hommes, et tout ce qu'on peut faire, c'est de saisir quelques-uns des traits les plus saillants de leurs imposantes physionomies. (M. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX, passim.)
[33]
Pour les généraux des Romains, c'étaient des hommes de
grand courage, qui eussent cru faire tort a la gloire de leur république, s'ils
n'avaient donné la bataille aussitôt que l'ennemi se présentait. Annibal se fit
une élude particulière d'en connaître le génie, et n'observait rien tant que
l'humeur et la conduite de chaque consul qui lui était opposé. Ce fut en
irritant l'humeur fougueuse de Sempronius qu'il sut l'attirer au combat et
gagner sur lui la bataille de
Les réflexions que lui suggérait le caractère vaniteux de Flaminius étaient dignes d'un général expérimenté, plein de jugement. C'est être aveugle ou ignorant que de penser qu'un général ait quelque chose de plus important à faire que de s'appliquer à connaître les penchants et le caractère de son adversaire. (Polybe, III, XVII.)
Comme Fabius eut une manière d'agir toute contraire, la conduite d'Annibal fut aussi toute différente. Tandis qu'il travaillait à ruiner la réputation de Fabius, qui lui faisait de la peine, il n'oubliait rien pour en donner à Minutius, auquel il souhaitait le commandement ou, du moins, une grande autorité dans l'armée. Enfin il sut employer tant d'artifice à décrier le dictateur et à faire estimer le général de cavalerie, que le commandement fut partagé et les troupes séparées, ce qui ne s'était jamais fait auparavant. Vous diriez que Rome agissait par l'esprit de son ennemi ; car, dans la vérité, ce décret si extraordinaire était un pur effet de ses machines et de ses desseins. (Saint-Évremond, ouvrage cité.)
[34] Fragm. CLXIX des livres I-XXXVI, édit. Gros.
[35] Silius Italicus, Puniques, I. — Cet avantage physique était essentiellement distinctif, car les Carthaginois étaient, en général, de petite taille. Ce fait ressort de divers passages du Pænulus et du titre même de la comédie de Plaute.
[36] Silius Italicus, Puniques, II.
[37] Silius Italicus, Puniques, XVII.
[38] Silius Italicus, Puniques, IV.
[39] Silius Italicus, Puniques, III.
[40] Silius Italicus, Puniques, IV.
[41] Silius Italicus, Puniques, XI.
[42] Virgile, Enéide, IV.
[43] Virgile, Enéide, IV.
[44] Le type phénicien est très-remarquable ; la beauté des Chananéennes était célèbre et fort appréciée du roi Salomon. (Rois, III, XI, 1.) — Virgile mentionne souvent celle d'Elissa (Virgile, Enéide, I.)
On sait les puissantes séductions de Sophonisbe (Soff'n'Aït Abbes). Plaute esquisse en quelques mots deux portraits de femmes carthaginoises (Pænulus, v. 1163, 1107, 1108.)
Des yeux noirs et des cheveux blonds : tel est le cachet de la beauté carthaginoise. Si l'on veut avoir une idée du type, il convient d'étudier les monnaies puniques de la troisième époque (201-140). Ces monnaies, toujours d'électrum, de potin ou de bronze, jamais d'or ni d'argent, sont à tête de Cérès, tête que M. L. Müller classe sous la rubrique E. (Voyez, à la fin de ce volume, l'appendice C, Numismatique de Carthage.) On remarquera dans cette effigie E la saillie prononcée de l'arcade sourcilière, et la fente étroite de l'œil. La lèvre supérieure est très-rapprochée du nez ; la joue est épaisse et le menton proéminent. Les cheveux sont bouclés.
[45] Voyez un médaillon d'Annibal dans l'Univers pittoresque (Afrique ancienne), de Firmin Didot, 1844. — Nous n'avons découvert aucune médaille authentique. Un heureux hasard peut seul faire rencontrer le vrai portrait de celui dont nous écrivons l'histoire. (Voyez l'appendice E, Notice iconographique.)
[46]
Plaute, Pænulus, acte V. — Les boucles d'oreilles de
[47] Silius Italicus, Puniques, II ; XVII ; I.
Silius Italicus, qui désigne le casque d'Annibal sous la dénomination de gales, ajoute qu'il était d'airain et d'acier (Silius Italicus, Puniques, II.) — Plus exactement, galea est le casque de cuir, et cassis (κόρυς) le casque de bronze.
[48] Silius Italicus, Puniques, II.
[49] Silius Italicus, Puniques, I. — Le système de la chemise de lin, de la cotte de mailles et du corselet écaillé, était connu des Latins sous le nom de lorica.
[50] Silius Italicus, Puniques, I, III et XVII.
[51] Ce vêtement large, qui laissait au guerrier l'entière liberté de ses mouvements, s'appelait en grec χλαΐνα, d'où les Latins ont fait lœna. (Silius Italicus, Puniques, XV.)
Les Romains étaient fort scandalisés des formes de ce costume oriental, et riaient beaucoup des longues robes sans ceinture, en usage chez les Carthaginois du temps d'Annibal. (Plaute, Pænulus, v. 970, 971, 1003, 1116, 1296, 1301.)
[52] Virgile, Enéide, I. — Les Arabes donnent le nom de temâg à ces bottes de filâli, faites pour monter à cheval.
[53] Silius Italicus, Puniques, I. — Tite-Live, XXI, IV.
[54] Cet écuyer se nommait Abaris. (Silius Italicus, Puniques, X.) — Aujourd'hui encore, les chefs indigènes de l'Algérie sont toujours suivis d'un serviteur, qui porte leur fusil ou leurs pistolets.
[55] Silius Italicus, Puniques, XII et I.
[56] Silius Italicus, Puniques, IV ; I ; II.
[57] Silius Italicus, Puniques, XVII. — Le clipeus circulaire, entièrement de brome, couvrait l'homme depuis le menton jusqu'à la hauteur du gras du mollet.
[58] Ces ornements n'étaient sans doute pas des ciselures, mais des dessins estampés suivant la méthode dite au repoussé, que pratiquent encore les Kabyles.
[59] Silius Italicus, Puniques, I.
[60] Silius Italicus, Puniques, II et XII.
[61] Silius Italicus, Puniques, I. — Tite-Live, XXI, IV.
... Qualités physiques précieuses, dont il fut redevable à sa manière de vivre, autant qu'à la nature. Aussi exécutait-il sans peine toutes les entreprises qui lui étaient confiées. Son corps unissait l'agilité à la force : il pouvait courir, rester ferme à sa place, lancer rapidement un coursier. Les fatigues lui donnaient plus de vigueur, les veilles plus de force. (Dion-Cassius, fragm. CLXIX, édit. Gros.)
[62] Charles XII passa cinq jours entiers sans manger ni boire ; le sixième, au matin, il courut deux lieues à cheval et descendit chez le prince de Hesse, où il mangea beaucoup, sans que ni une abstinence de cinq jours l'eût abattu, ni qu'un grand repas, à la suite d'un si long jeûne, l'incommodât. (Voltaire, Charles XII.)
Jamais Annibal ne se trouvait mal d'avoir trop ou trop peu mangé, et il s'accommodait aussi bien de l'un que de l'autre. (Dion-Cassius, fragm. CLXIX.)
[63] Tite-Live, XXI, IV. — Silius Italicus, Puniques, I et XI. — Frontin, Stratagèmes, IV, III, 7. — Justin, XXXII, IV. — Le roi Charles XII résolut aussi de s'abstenir de vin tout le reste de sa vie. (Voltaire, Charles XII.)
La sobriété punique était d'ailleurs proverbiale (Tite-Live, XXIII, VIII.)
[64] Tite-Live, XXI, IV. — Silius Italicus, Puniques, I. — Frontin, Stratagèmes, IV, III, 7.
[65] Silius Italicus, Puniques, I. — Tite-Live, XXI, IV.
[66] Frontin, Stratagèmes, IV, III, 8. — Silius Italicus, Puniques, VII.
[67] Charles XII dormait sur de la paille ou sur une planche, enveloppé seulement d'un manteau. (Voltaire, Charles XII.)
[68] Tite-Live, XXI, IV. — Le roi Charles XII dormait en plein champ, en Norvège, au cœur de l'hiver. (Voltaire, Charles XII.) — Silius Italicus, Puniques, XI et XII.
[69] Silius Italicus, Puniques, I.
[70] En contemplant cet admirable mortel, doué de tous les courages, on cherche une faiblesse, et on ne sait où la trouver. (M. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX.)
[71] Tite-Live, XXI, III.
[72] Justin, XXXII, IV.
[73] Il est certain qu'il [Charles XII] renonça alors aux femmes pour jamais... (Voltaire, Charles XII.) — En ce qui touche Annibal, le passage précité de Justin (XXXII, IV) infirme absolument le témoignage de Pline (Hist. nat., III, XVI).
[74] Elle était fille de Castalius, fondateur de Castulo (Casorla). (Silius Italicus, Puniques, III. — Tite-Live, XXIV, XLI.)
[75] Ce fils vint au monde pendant le siège et sous les murs mêmes de Sagonte. (Silius Italicus, Puniques, III.)
[76] Les liens de famille étaient loin d'être relâchés à Carthage.
[77] Silius Italicus, Puniques, XIII.
Annibal s'exila de Carthage en 195. Son fils, né en 219, avait donc alors vingt-quatre ans. La première séparation avait eu lieu en Espagne en 218, et c'est à cette date que se rapportent les vers du poète :
Dumque ea permixtis inter se fletibus orant,
Confisus pelago celsa de puppe magister
Cunctantem ciet : abripitur divulsa marito.
Hærent intenti vultus et litora servant,
Donec, iter liquidum volucri rapiente carina,
Consumpsit Visus pontus tellusque recessit.
At Pœnus belli curis avertere amorem
Apparat . . . . . . . . . . . . . . . . .
Silius Italicus, Puniques, III.
[78] Tite-Live, XXIV, XIII.
[79] Silius Italicus, Puniques, III ; XII.
[80] Tite-Live, XXI, IV.
[81] Silius Italicus, Puniques, III.
[82] Silius Italicus, Puniques, III.
[83] Montesquieu, Grandeur et Décadence des Romains.
[84] Tout ce qu'on peut dire, c'est que, chez les Carthaginois, il passait pour avare, et chez les Romains pour cruel. Les uns le regardent comme cruel au delà de toute mesure, les autres l'accusent d'avarice. (Polybe, IX, fragm. VI, 25.)
Cf. Valère-Maxime, IX, II, 2.
Valère-Maxime dit encore ailleurs qu'Annibal avait un cœur féroce. — Cf. Horace, Odes, III, VI ; Épodes, XVI.
Il est certain qu'Annibal avait peu de vertus et beaucoup de vices : l'infidélité, l'avarice, une cruauté souvent nécessaire, toujours naturelle. (Saint-Evremond.) — Cf. Lucain, Pharsale, IV.
Entre les belles actions d'Annibal, on rapporte celle-ci :.... Ce qui ne peut être venu d'ailleurs que de sa très-grande cruauté, laquelle, jointe à ses autres vertus, le fit toujours respecter et le rendit redoutable à ses soldats. (Machiavel, Le Prince, XVII.)
Il manqua des qualités du cœur. Froid, cruel, sans entrailles... (Chateaubriand, Itinéraire.)
Il laissa à l'Italie, qu'il avait désolée pendant quinze années, d'horribles adieux. Dans les derniers temps, il avait accablé de tributs ses fidèles Bruttiens eux-mêmes. Il faisait descendre en plaine les cités fortes dont il craignait la défection ; souvent, il fit brûler vives les femmes de ceux qui abandonnaient son parti. Pour subvenir aux besoins de son armée, il mettait à mort, sur de faibles accusations, les gens dont il envahissait les biens. Au moment du départ, il envoya un de ses lieutenants, sous prétexte de visiter les garnisons des villes alliées, mais en effet pour chasser les citoyens de ces villes, et livrer au pillage tout ce que les propriétaires ne pouvaient sauver. Plusieurs villes le prévinrent et s'insurgèrent. Les citoyens l'emportèrent dans les unes, les soldats dans les autres. Ce n'était partout que meurtres, viols et pillages. Annibal avait beaucoup de soldats italiens, qu'il essaya d'emmener à force de promesses. Il ne réussit qu'auprès de ceux qui étaient bannis pour crimes. Les autres, il les désarma et les donna pour esclaves à ses soldats ; mais plusieurs de ceux-ci, rougissant de faire esclaves leurs camarades, il réunit ceux qui restaient avec quatre mille chevaux et une quantité de bêtes de somme qu'il ne pouvait transporter, et fit tout égorger, hommes et animaux. (M. Michelet, Histoire romaine, t. II, p. 48-49.) — Fort heureusement pour la mémoire d'Annibal, les appréciations de M. Michelet sont, comme les faits qu'il rapporte, entachées de plus d'une erreur.
[85] Polybe, IX, fragm. VI, 25.
[86] Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX.
[87] Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX.
[88] Polybe, IX, fragm. VI, 24.
[89]
Les Romains du temps d'Annibal étaient, on le voit, de vrais Peaux-Rouges. (Voyez à ce sujet l'excellente
étude de M. de Saint-Paul : De la constitution de l'esclavage en Occident,
insérée dans les Mémoires de
[90] Ce n'est qu'au premier siècle avant l'ère chrétienne que Rome renonça publiquement à l'usage d'immoler aux dieux des captifs étrangers. (Pline, Hist. nat., XXVIII, III ; XXX, III.)
[91] Tite-Live, XXII, LVII.
[92] Polybe, X, fragm. II, 15.
[93] Tite-Live, XXIX, XVII.
[94] Hirtius, De bello Gall., VIII, XLIV.
[95] Horace, Odes, IV, IV. — Valère-Maxime, IX, VI, 2.
Les Romains prenaient grand plaisir à injurier les Carthaginois. (Plaute, Pænulus, 1027-1029, 1102-1103.)
[96] Esprit des lois.
[97] Les uns l'accusèrent d'impiété. (Polybe, IX, fragm. VI, 26.) — Silius Italicus, Puniques, XII. — Tite-Live, XXX, XX.
M. Michelet, qui a tracé d'Annibal le portrait le plus complètement faux qu'il soit possible d'inventer, a, sur un tissu d'erreurs historiques, brodé ces lignes incroyables : On s'est inquiété de la moralité d'Annibal, de sa religion, de sa bonne foi. Il ne se peut guère agir de tout cela pour le chef d'une armée mercenaire. Demandez aux Sforza, aux Wallenstein. Quelle pouvait être la religion d'un homme élevé dans une armée où se trouvaient tous les cultes, ou peut-être pas un ? Le dieu du condottiere c'est la force aveugle, c'est le hasard. Il prend volontiers dans ses armes les échecs des Pepoli, ou les dés du sire de Hagenbach.
[98] Les Carthaginois contemporains d'Annibal étaient fort attachés à leurs dieux. (Plaute, Pænulus, v. 945, 960, 1180, 1183, 1185, 1372, 1373.)
[99] Tite-Live, XXIII, VII. — Pline, XVI, LXXIX.
[100] Tite-Live, XXI, XXI. — Florus, II, XVII. — Histoire de Jules César, t. I, p. 292.
[101] Tite-Live, XXI, XXI.
[102] Tite-Live, XXI, XXII.
[103] Silius Italicus, Puniques, III.
[104] Valère-Maxime, I, VII, 1. — Silius Italicus, Puniques, III.
[105] Saisissant un agneau de la main gauche, et de l'autre une pierre, il conjura Jupiter et les autres dieux de l'immoler, s'il manquait à sa parole, comme il immolait cet agneau, et, en prononçant ces paroles, il brisa d'un coup de pierre la tête de la victime. (Tite-Live, XXI, XIV.)
[106] Silius Italicus, Puniques, III.
[107]
Voici le préambule du traité : En présence de Jupiter,
de Junon et d'Apollon ; en présence de la déesse des Carthaginois, d'Hercule et
d'Iolaüs (Iolaouas) ; en présence de Mars, de Triton, de Neptune ; en présence
de tous les dieux protecteurs de notre expédition, du Soleil, de
[108]
Le général
[109] Les reproches de l'historien [Tite-Live] sont donc des louanges. (M. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX.)
[110] Polybe, dit-on, est le Comines de l'antiquité... Il fait beau voir l'adresse et l'élégante flatterie de ce Grec, invariablement fidèle au succès... Polybe est certainement un historien judicieux. J'aimerais mieux pourtant... qu'il eût tancé moins niaisement le grand Annibal. Celui que M. Michelet juge si sévèrement s'exprime ainsi : La vérité sur Annibal est difficile à connaître, comme sur tous ceux qui ont été à la tête des affaires publiques. Les uns prétendent apprécier les hommes par le succès ou les événements Cette méthode n'est pas exacte. Il semble au contraire que les conseils des amis et les mille circonstances qui se rencontrent dans la vie d'un homme l'obligent à dire et à faire beaucoup de choses antipathiques à son caractère. Au lieu de tirer des situations où l'homme se trouve quelque moyen de le connaître, on voit que ces situations mêmes ne servent qu'à dissimuler sa physionomie véritable. C'est ce qui est arrivé à Annibal. Il s'est trouvé mêlé à une foule d'événements extraordinaires. Autant d'amis qui l'entouraient, autant d'avis différents ; de sorte que ses exploits d'Italie ne sauraient nous le faire connaître. Dès que les Romains se furent rendus maîtres de Capoue, les autres villes, comme en suspens, ne cherchaient plus que l'occasion ou le prétexta de se rendre aux Romains. On conçoit quelle dut être l'inquiétude d'Annibal.... Il était donc obligé d'abandonner entièrement certaines villes et d'en évacuer d'autres, de peur que les habitants, changeant de maîtres, n'entraînassent ses soldats dans la défection. Or, dans ces circonstances, les traités furent nécessairement violés. Il était forcé d'ordonner le transfert des habitants d'une ville dans une autre, et de permettre le pillage. Une telle conduite lésa beaucoup d'intérêts. Aussi les uns l'accusèrent d'impiété, les autres de cruauté, parce qu'en effet les soldats, évacuant une ville et entrant dans une autre, exerçaient des violences et prenaient tout ce qui leur tombait sous la main. Ils avaient d'autant moins pitié des habitants, qu'ils les voyaient prêts à embrasser le parti de Rome. En considérant donc ce qu'ont pu lui suggérer les conseils de ses amis, ce qu'ont dû nécessiter les temps et les circonstances, il est difficile de démêler, au milieu de tant de détails, quel était le vrai caractère d'Annibal. (Polybe, IX, fragm. VI, 22, 24, 25 et 26, passim.)
[111] Juvénal, Satires, X.
[112] Le sentiment patriotique était très-développé chez les Carthaginois du temps d'Annibal. (Plaute, Pænulus, v. 1032, 1033.)
[113] Silius Italicus, Puniques, I.
[114] Considérant ses enfants avec amour, Amilcar disait : Ce sont quatre lionceaux (catulos), que j'élève pour l'extermination du nom romain. (Valère-Maxime, IX, IV, 2.)
[115] Valère-Maxime, IX, IV, 2.
[116] Ordinairement l'amour de la pairie ou de la gloire conduit les héros aux prodiges : Annibal seul est guidé par la haine. Livré à ce génie d'une nouvelle espèce... (Chateaubriand.)
[117] Ce que la postérité a dit, ce que les générations les plus reculées répèteront, c'est qu'il offrit le plus noble spectacle que puissent donner les hommes : celui du génie exempt de tout égoïsme, et n'ayant qu'une passion, le patriotisme, dont il est le glorieux martyr. (M. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XX.)
[118] L'Espagne fut la véritable école d'Annibal. (Florus, II, III.)
[119] Alias Althœa. Tite-Live écrit Carteia : Polybe, Άλθαία. Carteia semble n'être autre chose que le mot carthaginois Kartha ou Kirtha, dénomination générique des villes fortifiées. Suivant le général de Vaudoncourt, cette place occupait la position d'Occana.
[120] Tite-Live. XXI, V. — Polybe, III, XIII.
[121] Polybe, III, XIII, XV, XXXIII.
[122]
Le pays des Vaccéens comprenait une partie de
[123] Ascargota, Histoire d'Espagne, t. I.
[124]
Ou sur le gué, tout au moins. Le maximum de portée de la flèche lancée par
l'arc ne dépassait pas 125 ou
[125] Voyez, sur la bataille de Tolède, Polybe, III, XIV, et Tite-Live, XXI, V.
La conduite de ces brillantes expéditions n'empêchait pas Annibal de donner tous ses soins à l'exploitation régulière des richesses minérales de la péninsule. On sait les beaux résultats qu'obtenait Amilcar (voyez ci-dessus, l. I, c. X) ; les travaux de son fils sont également fort remarquables. Annibal ouvrit un grand nombre de mines, et sut encourager les arts en leur livrant une masse énorme de métaux précieux. Mirum adhuc per Hispanias ab Annibale inchoatos puteos durare... ad mille quingentos jam passus cavato monte, per quod spatium Aquitani stantes diebus noctibusque... (Pline, Hist. nat., XXXIII, XXXI.) — Pœni ex auro factitavere et clipeos et imagines, secumque in castris tulere. (Pline, Hist. nat., XXXV, IV.) — Les orfèvres de Carthagène purent plaquer en or et en argent des lits de repos et de table, qui furent longtemps en vogue sous le nom de lits puniques, specie punicana. (Pline, Hist. nat., XXXIII, II.)