HISTOIRE D'ANNIBAL

 

LIVRE DEUXIÈME. — CARTHAGE AU TEMPS D'ANNIBAL.

CHAPITRE IX. — JUSTICE.

 

 

Nous ne savons rien du droit punique, sinon que la justice était en honneur à Carthage, et que le public y avait l'instinct de l'obéissance aux lois[1]. Le code pénal, qui paraît avoir été très-dur, comportait, au criminel, des supplices effrayants, tels que la croix, la claie[2], la fosse aux lions. Pour les délits, il y avait l'amende[3]. Comment se réglaient les affaires civiles ? Nous l'ignorons absolument. Il est d'ailleurs certain qu'il y avait un code de commerce[4]. Une des pentarchies de la γερουσία dirigeait le département de la justice. Toutes les affaires étaient dévolues à des tribunaux réguliers, parmi lesquels Aristote compte celui des Cent-Quatre[5], cour suprême, probablement similaire de notre cour de cassation.

Les magistrats appartenaient tous à l'aristocratie et formaient un corps puissant. L'ordre des juges, dit Tite-Live[6], dominait à Carthage, et leur immense pouvoir venait de ce qu'ils étaient nommés à vie. Fortune, réputation, existence même des citoyens, tout était à leur merci ; avoir pour ennemi un seul juge c'était se faire l'adversaire de l'ordre tout entier, et il ne manquait pas d'accusateurs prêts à dénoncer aux juges ceux qui les avaient offensés. Après la deuxième guerre punique, en 196, Annibal, investi de hautes fonctions civiles, que Cornélius Nepos et Tite-Live assimilent à la préture[7], s'empressera de réformer la magistrature de son pays ; dès lors les juges ne siégeront plus qu'une seule année[8].

Cette magistrature vénale était, entre les mains de la γερουσία, un puissant instrument politique. Il y avait entre les deux corps fies relations secrètes fort étroites : des sénateurs quittaient le terrible comité pour passer dans l'ordre des Cent-Quatre[9]. Les cent membres du gouvernement oligarchique étaient ainsi, à Carthage, maîtres absolus du pouvoir judiciaire.

 

 

 



[1] Lors du traité de l'an 509, la chancellerie carthaginoise invoqua la foi publique. (Voyez Polybe, III, XXII.) — Dès qu'il s'élevait des contestations, les citoyens de Carthage proposaient le recours à la justice. (Plaute, Pænulus, v. 1333.)

Ils préféraient leurs juges nationaux aux étrangers. (Plaute, Pænulus, v. 1400-1402.)

[2] Le condamné était placé sous une claie, qu'on chargeait de pierres. (Plaute, Pænulus, v. 1020, 1021.)

[3] Plaute, Pænulus, v. 1314.

[4] La vente des marchandises se faisait, en certains cas, suivant le mode adopté de nos jours pour les objets mobiliers. (Polybe, III, XXII.) Le κήρυξ, c'est le crieur public ; le γραμματεύς remplit le rôle du notaire ou du commissaire priseur.

[5] D'ordinaire, on confond ce tribunal des Cent-Quatre avec la γερουσία ; c'est une grave erreur. Du reste, la γερουσία ne comptait que cent membres.

[6] XXXIII, XLVI.

[7] Prætor factus Annibal... (Tite-Live, XXXIII, XLVI.) — Huc ut rediit, prætor factus est. (Cornelius Nepos, Annibal, VII.) C'est la seule fois qu'il est question de préteur à Carthage. La préture n'était pas une fonction ordinaire et permanente, et l'on n'y recourait que dans les cas extraordinaires. Annibal, nommé préteur urbain, fut, dés lors, investi des pouvoirs d'un préfet, d'un dictateur civil.

[8] Ut in singulos annos judices legerentur ; ne quis biennium continuum judes esset. (Tite-Live, XXXIII, XLVI.)

[9] Quia ex quæstura in judices, potentissimum ordinem, referebantur, jam pro futuris mox opibus animus gerebat. (Tite-Live, loco cit.)