Chaque race humaine a son génie ; elle a sa part d'action certaine dans le jeu des événements nécessaires au développement de l'humanité. Fatalement entraînées les unes vers les autres, les diverses populations du globe ne s'agitent que pour multiplier, suivant des lois déterminées, leurs points de contact et leurs mélanges, et de tous les mouvements humains dus à ces instincts ethnologiques, les plus féconds, sans contredit, sont le commerce et la guerre. Tous les peuples antiques nous apparaissent sous une physionomie originale, mais toujours en harmonie avec le mode d'activité qu'ils ont suivi et avec la grandeur du but qu'ils se proposaient d'atteindre. Les uns sont essentiellement guerriers et conquérants ; les autres ne tendent qu'à l'industrie et au négoce. Il est aussi des nations, à l'esprit moins exclusif, dont les forces vives peuvent s'appliquer heureusement à des objets divers. Elles ont, durant un temps, le talent d'équilibrer leurs moyens d'action et de faire que, loin de se nuire, leurs opérations de commerce et de guerre se prêtent un mutuel et solide appui. Telle fut Carthage au temps de sa splendeur. L'histoire vraie de cet empire oublié saurait nous offrir sans doute des enseignements précieux, si l'on n'avait à déplorer les effets de la vengeance de Rome, qui n'en a laissé venir à nous que quelques fragments. Et ces documents incomplets se trouvent épars dans des livres qu'ont publiés des étrangers, des ennemis ! Toutefois, il est encore utile d'interroger des ruines, de faire appel à de saines méthodes pour tenter de rendre un peu de vie à ce monde perdu pour nous. Une étude de Carthage doit nécessairement être précédée de celle de sa métropole, et, tout d'abord, il convient d'esquisser à grands traits le caractère et les mœurs du peuple phénicien. C'est ce que nous allons faire aussi rapidement que possible. La Phénicie[1] était une réunion
de tribus chamitiques[2], qui,
antérieurement aux âges de l'histoire, avaient vécu de la vie nomade dans les
plaines qui s'étendent de Ainsi acculés à la mer, les Phéniciens la prirent pour patrie. Le littoral qu'ils occupaient était découpé de baies donnant des abris sûrs, et hérissé de montagnes couvertes de forêts. Le Liban leur offrait tout le bois nécessaire à d'importantes constructions navales. Favorisé par une situation exceptionnelle, ce peuple vit s'accumuler dans ses entrepôts toutes les marchandises de l'Asie, et le commerce d'exportation devint bientôt pour chacun de ses ports une source de richesses considérables[4]. Les côtes de Syrie se couvrirent de bonne heure[5] d'un grand nombre de centres de population[6], qui devinrent autant de ruches[7] livrées à toute l'activité du commerce maritime. Ordinairement, l'une des cités phéniciennes prenait une sorte de supériorité sur les autres, mais seulement à titre de capitale fédérale. Sidon fut d'abord à la tête de la confédération ; plus tard, du règne de Salomon à celui de Cyrus, l'hégémonie échut à Tyr[8]. Quelle était la constitution intérieure de ces villes phéniciennes ? Chacune avait son organisation particulière, et, bien que gouvernée par des rois[9], formait en réalité une république urbaine indépendante. Le pouvoir royal, exempt de toutes formes despotiques, y était sagement limité par de fortes institutions religieuses et civiles. Les magistrats municipaux marchaient de pair avec le roi[10], et, après le roi, une puissante caste sacerdotale pesait de tout son poids sur la direction des affaires[11]. Les divinités de Sidon et de Tyr n'étaient que des personnifications des forces de la nature, et par conséquent des êtres dépourvus de tout caractère moral. Les mœurs corrompues et la licence effrénée des villes de la Phénicie[12] ne peuvent plus dès lors être pour nous un sujet d'étonnement. Les Chananéens ne pouvaient songer et ne songeaient qu'aux jouissances matérielles que donnent les richesses ; or leurs richesses s'alimentaient incessamment aux sources alors intarissables du commerce et de l'industrie. Le commerce, telle était la voie pacifique et sûre persévéramment suivie par ce peuple ardent aux plaisirs, qui, sans le savoir, devait puissamment concourir à l'œuvre de la civilisation antique. Les Phéniciens sillonnèrent donc de bonne heure toutes les
mers connues. Ils eurent des comptoirs sur tous les bords du bassin de Leur navigation dans le golfe Arabique commença sous le règne du roi Salomon. Ces hardis caboteurs fouillèrent aussi le golfe Persique, et connurent tout le pays d'Ophir, nom générique des côtes de l'Arabie, de l'Afrique et de l'Inde. Enfin, au temps de Necao, roi d'Egypte et contemporain de
Nabuchodonosor, ils exécutèrent le périple de l'Afrique[13], en sens inverse
de la première circumnavigation des Portugais. Partis du golfe Arabique, ils
rentrèrent dans Ces grandes entreprises commerciales, ces longs voyages de
découvertes, leur firent porter l'art nautique à une haute perfection. Ils
semblent de beaucoup supérieurs aux Vénitiens et aux Génois du moyen âge, car
le pavillon phénicien flottait à la fois à Ceylan, sur les côtes de Au nord, les Phéniciens fouillaient l'Arménie et le Caucase, d'où ils tiraient des esclaves, du cuivre et des chevaux de sang[16]. En Orient, ils se répandaient dans l'Assyrie, et allaient jusqu'à Babylone par Palmyre et Baalbek ; mais on ne sait pas exactement quelle était la nature de ces relations. Au sud enfin, à Le commerce phénicien s'opérait généralement par voie d'échanges. L'or du Yémen, par exemple, se troquait contre l'argent d'Espagne. Mais les négociants de Sidon et de Tyr donnaient aussi en payement les produits de leur industrie. Leurs teintureries, leurs tisseranderies, leurs fabriques de verre et de bimbeloteries étaient justement célèbres[18]. Les Tyriens passent pour les inventeurs de la viticulture. On exportait au loin les vins de Tyr, Byblos, Béryte, Tripoli, Sarepta, Gaza, Ascalon. L'art de saler les poissons remonte à une haute antiquité. Les pêcheries de Tyr et de Béryte étaient très-productives. La métallurgie était fort en honneur dans les villes de la confédération. Les mines les mieux exploitées se trouvaient dans l'île de
Chypre, dans L'architecture était aussi portée à un haut degré de perfection. Le chapitre vu du troisième livre des Rois est en partie consacré à la description de l'ordre tyrien. Les colonnes de bronze avaient environ huit mètres de hauteur ; les chapiteaux, dont la forme rappelait celle du lis, étaient hauts de deux mètres vingt-cinq centimètres, et le luxe des motifs adoptés pour la décoration de l'ensemble peut donner une idée de la richesse de style des édifices de Carthage. Les déplacements violents dus à la politique des peuples conquérants n'engendrent ordinairement que des colonies militaires, stationnées dans des places fortes et n'exerçant qu'une influence restreinte sur la civilisation du pays occupé. Les peuples commerçants pratiquent un autre système de colonisation. Chacun des centres de population par eux créés à l'étranger est le vrai foyer de la métropole. Chaque ville qu'ils fondent loin de la patrie est et demeure une fraction intégrale de la nation, transportée tout entière avec ses dieux, son génie et ses mœurs. Ces transplantations en bloc sont singulièrement fécondes. D'abord les peuples barbares, attirés par l'appât des échanges et séduits par la supériorité de leurs conquérants pacifiques, se laissent insensiblement initier au progrès. En second lieu, les rapports qui s'établissent entre les métropoles et leurs colonies lointaines ne font que hâter de chaque côté le développement des notions de droit civil et de droit politique. Les Phéniciens colonisaient pour se créer des échelles, étendre leur commerce et prévenir les révolutions à l'intérieur[20]. Les instincts d'expansion de cette race aventureuse favorisaient beaucoup l'écoulement des trop-plein de population de la côte syrienne, et les gouvernements urbains n'étaient pas toujours dans la nécessité d'ordonner la déportation des classes dangereuses. Souvent des bandes de mécontents se formaient en parti, et le parti, de son propre mouvement, émigrait en masse, emportant son dieu-roi, symbole des traditions de la ville natale. C'est à une émigration de ce genre qu'est due la fondation de Carthage. L'origine des colonies phéniciennes se perd dans la nuit
des temps, et l'on ne saurait, par exemple, assigner une date certaine à la
fondation de Cadix, la plus ancienne des villes de notre Europe occidentale.
Il est vraisemblable que la vieille Gadès sortit de terre de 1500 à 1100 ans
avant l'ère chrétienne. La création du plus grand nombre des autres colonies
doit être rapportée à la période d'apogée de La prospérité coloniale fut portée au plus haut degré au XIe, au Xe et au IXe siècle avant Jésus-Christ. Les colonies fondées par l'Etat lui devaient le dixième de leurs revenus de toute nature. Celles qu'avaient créées les particuliers n'étaient tenues de payer aucune dîme, et demeuraient à peu près indépendantes de la métropole. Là les colons, organisés en république, formaient un am ou amat (peuple), gouverné par une assemblée issue de l'élection. Suivant la commune impulsion imprimée aux migrations
humaines, la colonisation des Phéniciens marchait toujours dans le même sens,
et se dirigeait invariablement de l'est à l'ouest. En dehors du golfe
Persique, où il eut quelques comptoirs (îles
Bahreïn), ce peuple d'intrépides explorateurs n'assit d'établissements
que sur les côtes de Mais partout les effets de cette puissance colonisatrice
frappèrent vivement l'imagination des peuples. L'histoire d'Hercule n'est
qu'une épopée de prodigieux exploits, faits pour attester la grandeur du
génie phénicien. Ce héros symbolique part de l'île de Crète, traverse
l'Afrique, y introduit l'agriculture, fonde Hécatompyle, arrive au détroit,
d'où il passe à Gadès, soumet l'Espagne et s'en retourne par la Gaule[22], l'Italie, les
îles de Certes, un peuple qui fait de telles choses mérite une page à part clans l'histoire des nations. Pour défendre leur vaste empire colonial, les Phéniciens
avaient adopté une politique toute particulière. Uniquement jaloux d'assurer
à leur commerce une absolue sécurité, ils ne cherchaient qu'à éviter toute
espèce de conflits avec leurs concurrents. Ils avaient été longtemps seuls
maîtres de D'un autre côté, cette puissance avait commis la faute de
fonder une domination trop vaste, hors de proportion avec les forces
destinées à la soutenir. Loin du centre de ses établissements, elle ne sut
pas les maintenir sous sa dépendance, et les colonies, s'affranchissant,
n'eurent bientôt plus avec la métropole que des liens religieux très-lâches
et de simples relations de commerce. Les peuples commerçants sont généralement portés à négliger le métier des armes, et nourrissent ainsi le germe de leur décadence. Uniquement préoccupés du négoce, ils brillent d'un certain éclat, puis vient cette décadence, parce qu'ils ne veulent ni ne savent maintenir leurs institutions militaires en harmonie avec leur puissance industrielle et commerciale. Les Phéniciens, cependant, eurent parfois l'esprit de conquête. La petitesse de leur Etat ne leur permettait pas de songer à de grands envahissements, et leur faible population n'eût pas suffi à constituer des armées imposantes. Ils adoptèrent le système de tous les Etats commerçants amenés à soutenir des guerres continentales, celui des troupes mercenaires. Tyr levait ses stipendiés dans l'Asie Mineure et la haute Asie[23]. En résumé, malgré les vices nombreux qui naissent d'ordinaire au sein des républiques marchandes, le peuple phénicien eut sur l'économie du monde antique une influence considérable par ses inventions, par l'établissement de ses nombreuses colonies et par son commerce immense. Cette petite nation rayonna sur toute la terre habitée, la féconda, lui inspira le goût des échanges et des relations politiques, provoqua plus d'une fois la fusion des races et fut l'instrument providentiel destiné à préparer la voie des civilisations grecque et romaine[24]. |
[1] Φοενίκη, Phœnice, Phœnicia. (Servius, Ad Virgil. Æn., I. — Cicéron, De finibus, IV, XX.) Ce nom fait allusion au palmier, Φοΐνιξ, symbole de Tyr.
[2] Les fils de Noé qui sortirent de l'arche étaient Sem, Cham et Japhet ; or Cham est le père de Chanaan. (Genèse, IX, 18.)
Chanaan engendra Sidon. (Genèse, X, 15.) — Après cela, les Chananéens se dispersèrent. (Ibid., X, 18.)
Sidon, vers l'an 2000 avant l'ère chrétienne, fonda la ville qui porta son nom et qui, dès l'an 1800, tenait le premier rang parmi toutes les cités du monde.
Les Phéniciens sont bien des Chamites, et c'est à tort que Heeren les prend pour une branche de la grande tribu sémitique.
Le pays des Phéniciens s'appelait Canaan (de cana, être bas) ou pays bas, par opposition à celui des Hébreux et des Araméens, qui était le haut pays (aram, élevé).
[3]
Les limites de
Plus tard, sous la domination perse,
Éleuthère fut, à une certaine époque, considérée comme
limite septentrionale de
Sous Alexandre, la frontière sud passait par la ville de Césarée. (Guillaume de Tyr, XIII, II.)
En résumé, bornée à l'ouest par
[4]
Les Phéniciens exerçaient aussi la piraterie. Au temps d'Homère, ils se
montraient sur les côtes de
[5] Bien avant les Hébreux, les Phéniciens avaient renoncé à la vie nomade, et, dès le temps de Moïse, ils habitaient des villes. Toutes celles de leurs cités qui ont laissé un nom étaient construites bien avant le temps du roi David, et ces cités furent les premiers centres d'industrie du monde antéhistorique. Elles donnèrent asile aux premiers pêcheurs, navigateurs et métallurgistes, transformés par l'imagination des peuples en autant de divinités primordiales. Le dieu Belus ou Baal apparaît spécialement sous la physionomie d'un conquérant, d'un chef de pirates. L'industrie et la guerre : c'est bien là le génie de Carthage, fondée par les descendants de Belus.
[6] Les principales villes de Phénicie étaient : Tyr, Tyrus, Τύρος, en hébreu araméen Tsounr (le rocher), aujourd'hui Sour ; Sidon, en phénicien et en hébreu Tsidon (la pêche), aujourd'hui Saïda ; Béryte, Berytus, Βήρωτος, aujourd'hui Beyrouth ; Byhlos, en phénicien Ghibl, aujourd'hui Djebaïl ; Tripolis, aujourd'hui Tripoli ; Aradus, aujourd'hui Ruad.
Les villes phéniciennes étaient de dimensions restreintes, et la population y était extraordinairement compacte. Les maisons d'Aradus avaient plus d'étages que celles de Rome.
..............Tabulata tibi jam tertia fumant ;
Tu nescis : nam si gradibus trepidatur ab imis,
Ultimus ardebit quem tegula sola tuetur.
(Juvénal, III.)
[7] Le mot ruche est ici parfaitement exact. Chaque fois qu'une cité phénicienne se sentait saturée de population, elle laissait échapper un essaim, qui allait se poser à quelque distance de sa métropole. Les villes du littoral syrien furent successivement colonies l'une de l'autre.
Sidon, la fille aînée de Chanaan, créa Tyr pour en faire une échelle de son commerce. Aradus est une autre colonie de Sidon ; Tripoli, une colonie commune de Sidon, de Tyr et d'Aradus.
[8] Ezéchiel, XXVII, 8, 11. — Josèphe, Antiquités judaïques, IX, XIX.
[9] Ces rois étaient héréditaires, mais des bouleversements politiques amenèrent souvent des changements de dynastie. L'historien Josèphe (Contre Apion, I) nous a donné la liste des rois de Tyr depuis Hiram, contemporain de David, jusqu'au siège de la ville par Nabuchodonosor.
Ézéchiel (XXXVIII, 4, 5, 12, 13, 16) nous fait connaître la puissance du souverain de Tyr.
[10] Arrien (II, XXIV, XXV) les appelle οί έν τέλει. Ces magistrats étaient les législateurs de la ville ; ils avaient aussi part au pouvoir exécutif et nommaient les ambassadeurs.
[11] Les prêtres de Baal, fort nombreux (Rois, I, XVIII, 22), étaient tout-puissants dans le gouvernement. Ceux de Melkarth (Melek-Kartha, seigneur ou roi de la ville) n'avaient pas moins d'influence, car ils servaient un dieu qui était la personnification, le symbole même de la cité. Sichée, le mari de Didon, était pontife d'un des principaux temples de Tyr. Sa mort, imputée au roi Pygmalion, amena une révolution violente. De là la migration de tout un parti politique et la fondation de Carthage.
[12] Suivant une coutume religieuse répandue dans une grande partie de l'Asie, les jeunes Phéniciennes devaient, avant leur mariage, se prostituer en l'honneur d'Astarte. (Athénagoras, Contre les Gentils.)
La corruption des mœurs phéniciennes était proverbiale.
...Si in Tyro et Sidone factæ essent virtutes quæ factæ suut in vobis, olim in cilicio et cinere pœnitentiam egissent.
Verumtamen dico vobis : Tyro et Sidoni remissius erit, in die judicii, quam vobis. (Saint Matthieu, XI, 21, 22.)
Saint Luc (X, 13, 14) rapporte exactement les mêmes paroles.
Saint Matthieu dit encore (XV, 22, 26, 27) : Et ecce mulier Chananæa, a finibus illis egressa, clamavit, dicens ei : Miserere mei. Domine, fili David... — Qui respondens ait : Non est bonum sumere panem filiorum, et mittere canibus. — At illa dixit : Etiam Domine ; nam et catelli edunt de micis quæ cadunt de mensa dominorum suorum.
[13] Hérodote, IV, XLII.
[14] Ô Tyr, tes navigateurs ont touché à tous les bords. (Ézéchiel, XXVII, 26.)
[15]
C'étaient surtout des Madianites et des Edomites (ou Iduméens) qui transportaient ainsi les marchandises. Joseph fut vendu par ses frères à des gens de Madian (Genèse, XXXVII, 28) qui allaient en Egypte, pour le compte de marchands phéniciens, chargés de baumes, de myrrhe et d'aromates. Ces Madianites furent plus tard exterminés par les Juifs. Quant aux Edomites, ils n'étaient pas exclusivement nomades. Un grand nombre d'entre eux s'étaient établis sur la côte ; d'autres habitaient des villes de l'intérieur, parmi lesquelles se trouvait la célèbre Petra. Diodore (II) comprend ces agents de transports sous le nom générique d'Arabes Nabathéens.
[16] L'Ionie, Thubal et Mosoch (pays entre la mer Noire et la mer Caspienne) t'amenèrent des esclaves et des vases d'airain. — L'Arménie t'envoie des mules, des chevaux et des cavaliers. (Ezéchiel, XXVII, 13, 14.)
Le prophète Ezéchiel nous a laissé, dans son chapitre XXVII, des documents précieux sur le commerce phénicien. Heeren (De la politique et du commerce des peuples de l'antiquité) admire sans ambages l'exactitude et la précision des détails que mentionne cette prophétie.
Voyez aussi, en ce qui concerne Tyr, le chapitre XXIII d'Isaïe.
[17]
Damascenus negotiator tuus in multitudine operum tuorum, in multitudine diversarum opum, in vino pingui, in lanis coloris optimi. (Ibid., 18.)
Les Phéniciens trafiquaient sur les rives du Nil. (Hérodote. — Moïse. — Ézéchiel.) Byssus varia de Ægypto texta est tibi in velum ut poneretur in malo. (Ezéchiel, XXVII, 7.) Ils y trouvaient des broderies de coton, et aussi du blé, quand il y avait disette en Syrie. L'échelle de ce commerce fut d'abord Thèbes, puis Memphis, où les négociants de Tyr avaient tout un quartier. (Hérodote, II.) Ils y exportaient le vin et les raisins secs.
L'Arabie fut le siège principal du commerce des Phéniciens, le centre de leurs relations avec l'Ethiopie et l'Inde. Des caravanes la parcouraient en tous sens (Isaïe, IX, 6, 9), et leur apportaient les marchandises qu'ils répandaient en Orient. Ce commerce lucratif se faisait par voie d'échange (Ezéchiel), et les analogies du langage donnaient de grandes facilités aux trafiquants. (Voyez : Hérodote, III, CX, CXII ; — Job, XXVIII, I, 12 ; — Ezéchiel, XXVII, 19, 24 ; — Théophraste, Hist. plant., IX, IV ; — Strabon, passim ; etc.)
[18] Ont traité des pourpres :
Aristote (Hist. anim., V) ;
Pline (Hist. nat., IX, XXXVI et suiv.) ;
Vitruve (De architecturu, VI, XIII) ;
Julius Pollux (Onomast. I, passim) ;
Observation on the purple (Philos. Transact. of Lond. tom. XXV ; Journal des Savants, 1686) ;
Réaumur (Mémoires de l'Académie des sciences, 14 nov. 1711) ;
Duhamel (ibid., 1736) ;
Deshayes (Mollusques de
Heusinger (De purpura antiquorum, Eisenach, 1826).
Voyez tous les auteurs cités par M. Hoefer, Phénicie, dans l'Univers pittoresque, t. XLII.
Les teintureries des Phéniciens étaient déjà renommées du temps d'Homère. (Iliade, VI, v. 291 ; Odyssée. XV, v. 424.)
II ne faut pas voir dans la pourpre une couleur unique, mais un procédé de teinture tirant ses matières premières de la poche de deux conchylifères : le buccinum et le purpura. (Voyez Aristote et Pline, IX, XXXVI.) Amati (De restitutione purpurarum) distingue neuf couleurs simples et cinq mélangées. Les plus remarquables étaient le violet et le ponceau. Les Phéniciens connaissaient aussi les nuances changeantes et avaient soigneusement étudié tous les apprêts et les mordants.
L'invention des pourpres, attribuée à l'Hercule tyrien, remontait à la plus haute antiquité. On teignait à Tyr toutes les étoffes de coton, de lin, de soie, mais plus spécialement de laine.
Les tissus de Phénicie étaient partout fort recherchés. Homère mentionne avec admiration les tuniques provenant de Sidon et de Tyr. Elles étaient fabriquées avec une laine excessivement fine, provenant de ces brebis d'Arabie dont parle Hérodote (III, CXIII).
Le verre, inventé par les Phéniciens, ne fut longtemps connu que d'eux seuls. Les verreries de Sidon et de Sarepta demeurèrent en activité durant une longue suite de siècles. (Pline, XXXV, XXVI.) Il était alors de mode de revêtir de verre l'intérieur des plus beaux édifices, les murs et le plafond des appartements.
Enfin les Phéniciens excellaient dans la fabrication des bimbeloteries destinées aux peuples barbares avec lesquels ils commerçaient. Dès le temps d'Homère (Odyssée, XV, v. 459), on admirait leurs chaînes d'or et d'ambre, leurs ornements de bois et d'ivoire (Ézéchiel, XXVII, 6), les parures dont raffolaient les femmes juives. (Isaïe, III, 18, 23.)
[19] Rois, III, VII.
[20] La guerre, les inondations, les tremblements de terre, la soif du gain, étaient les causes déterminantes de l'expatriation des Phéniciens.
[21]
Sur
Les Phéniciens ne purent fonder de colonies en Egypte,
mais ils avaient pour leur trafic tout un quartier de Memphis. (Hérodote.) Les
Etrusques leur interdirent l'Italie. Les Grecs leur disputèrent vivement l'Asie
Mineure et
Sur l'Océan, les Phéniciens s'établirent aussi de très-bonne heure. Il y avait auprès de Lixos un temple d'Hercule plus ancien que celui de Gadès. Delubrum Herculis antiquius Gaditano, ut ferunt. (Pline, XIX, XXII.)
Suivant Ératosthène, Strabon (XVII) mentionne de nombreuses villes phéniciennes sur la côte occidentale d'Afrique.
Il ajoute, d'après Ophelas le Cyrénéen, que ces villes étaient au nombre de plus de trois cents, se succédant sans interruption le long du littoral. (Strabon, XVII.)
Tous ces établissements étaient détruits lors du périple du Carthaginois Hannon, de 490 à 440 avant Jésus-Christ.
[22]
Avant la deuxième guerre punique (Polybe, III, XXXIX), il existait une route reliant
[23] Persæ, et Lydii, et Libyes erantin exercitu tuo viri bellatores tui ; clypeum et galeam suspenderunt in te pro ornatu tuo.
Filii Aradii cum exercitu tuo erant super muros tuos in circuitu, sed et Pigmæi, qui erant in turribus tuis, pharetras suas suspenderunt in muris tuis per gyrum ; ipsi compleverunt pulchritudinem tuam. (Ézéchiel, XXVII, 10, 11.)
[24] Voyez : J. de Bertou, Essai de la topographie de Tyr, Paris, 1843 ; — Ed. Gerhard, Ueber die Kunst der Phœnicier, Berlin, 1848 ; — Movers, Das Phœnizische Altertham, Berlin, 1849 ; — Heeren, Ideen über die Politik, den Verhehr und den Handel der vornehmsten Völker der alten Welt.