SECONDE PÉRIODE DE LA GUERRE DE CENT ANS. — La Normandie redevient anglaise après la bataille d'Azincourt. — Le Mont-Saint-Michel, centre de la résistance. — Soulèvements des Paysans. — Campagnes de 1449 et 1450 : la province reconquise en un an et six jours. LA PAIX. — RELÈVEMENT DES RUINES. — Procès entre les Bourgeois et le Commandeur (1454) : les Fortifications, l'Église paroissiale. — Visites prieurales de 1456 et 1495. La guerre ouverte entre Anglais et Français reprit en Normandie, avec une ardeur toute nouvelle, à la suite du désastre d'Azincourt. Dès l'année 1417, Henri V était maître de la majeure partie des forteresses de notre province. Voici, d'après une note de cette année, imprimée dans le Recueil des Lettres des Rois de France et d'Angleterre conservées à Londres[1], la liste des places des environs de Villedieu où avaient été déjà nommés des commandants anglais. Thorigny
: sir John Popham ; Condé-sur-Noireau
: John Popham ; Saint-Lô
: sir Reynold West ; Coutances : sir de Bourgaveny ; Avranches : Thomas Brugh ; Pontorson : sir Robert Gargavre ; Vire : sir de Matravas et Aroundell ; Saint-James de Beuvron : le même ; Hambye et Bricqueville : le comte de Suffolk sr desdits lieux. Sr John Falstof était lieutenant pour le Roy et le Régent dans toute la Normandie. Cette date de 1417 doit s'entendre du commencement de l'année 1418, d'après notre manière de compter. C'est ayant Pâques que ces châteaux furent enlevés aux Français : au mois d'avril, il ne restait plus à nos ancêtres dans le Cotentin que la place de Cherbourg, qui résista jusqu'au 22 août. Malgré l'abandon où les intrigues de cour laissaient les pays d'Avranches et du Cotentin, et la défection d'une partie de la noblesse et du clergé, la lutte fut soutenue avec la plus digne générosité par plusieurs seigneurs du pays. La défense du Mont-Saint-Michel par les Paynel et les d'Estouteville, pendant toute l'occupation Anglaise (1417 à 1450), est un des faits les plus glorieux de notre histoire. Elle a été racontée dans un ouvrage de M. Siméon Luce publié après sa mort par M. Léon Gautier : le second volume de la France pendant la guerre de Cent ans. Nul mieux que l'auteur ne connaissait le pays dont il parle ; nul ne pouvait exposer ces faits avec plus de vérité, ni avec plus de chaleur patriotique. Nous nous contenterons de citer pour cette période les événements qui se sont produits dans les environs de Villedieu. Si nous n'avons trouvé cette ville mentionnée que bien rarement dans les différents historiens de Charles VII, il n'est pas douteux qu'elle n'ait eu beaucoup à souffrir, comme au temps d'Édouard III, des passages perpétuels de troupes, et sans doute aussi des rançons imposées par les ennemis. Le roi d'Angleterre avait pu se montrer d'abord séduisant pour les populations soumises ; les nécessités de la lutte l'amenèrent bientôt à agir avec moins de bienveillance. Les documents mentionnés par Tardif dans ses Cartons des Rois jettent, on le sait, un grand jour sur l'histoire de cette époque : ils nous permettent d'apprécier le montant des contributions de guerre qui furent arrachées pendant l'occupation anglaise aux Étais de Normandie. De 1424 à 1447, nous avons compté un total de 2.110.400 livres, sans parler des recettes des vicomtes, grenetiers, receveurs des octrois, etc. (N° 2211), et des taxes établies sur les denrées et marchandises (N° 2248), que réclamaient les vainqueurs. Nous laissons de côté les pillages auxquels devaient se livrer, pour leur propre compte, les gens de guerre et les brigands qui infestaient le pays (N° 1999). Le Clergé, qui avait été favorisé dans les premiers temps, ne fut pas toujours à l'abri de l'avidité du gouvernement anglais : nous voyons les évêques de Bayeux et d'Avranches (N° 2119) obligés de faire parvenir à Henri VI le dénombrement des bénéfices de leurs Églises. Il peut sembler douteux que les Commanderies de l'Hôpital aient trouvé auprès du monarque conquérant la même protection que Charles VII leur accordait au milieu même de ces luttes si épuisantes pour ses finances : le 20 juin 1441 (ibidem N° 2219), le roi de France, déclarait les Frères et sujets de ces Maisons exempts du droit de 5 sols par queue[2] de vin réclamé dans tout le royaume ; et, le 15 septembre de la même année (N° 2226), il leur accordait de nouveau la dispense de fournir leur part des décimes et autres subsides exigés des gens d'Église. La dispersion des poëliers, vassaux de la Commanderie de Villedieu, et leur recours à Charles VII, dont nous avons parlé au Chapitre précédent, paraissent bien confirmer nos doutes. En 1423, après la victoire de la Gravelle (près Laval) remportée le 26 septembre sur Suffolk, le comte d'Aumale remonte vers Avranches ; et, cette ville investie, parcourt toute la contrée jusqu'à Saint-Lô ; puis il se retire avec un riche butin, emmenant prisonnier le frère de Suffolk, John, qui avait reçu les seigneuries de Moyon et du Ménil-Céron (commune de Percy). Les efforts des Anglais se concentrèrent longtemps contre le Mont-Saint-Michel. Suffolk essuya plus d'une défaite de 1423 à 1425. La citadelle de Pontorson lui fut enlevée par Richemont en 1426. Mais l'échec du connétable devant Saint-James-de-Beuvron (mars 1427) et la reprise de Pontorson par les Anglais (1428) rendaient la lutte de plus en plus pénible pour les héroïques défenseurs de la grande forteresse, quand le bruit des exploits de Jeanne d'Arc vint ranimer leur courage. Un instant, ils purent espérer le secours de la Pucelle : les intrigues de la Trémoille et de Regnault de Chartres empêchèrent ce vœu de se réaliser. A partir de ce moment, la puissance des Anglais diminue, lentement sans doute, mais manifestement dans le pays. Des désertions se produisent dans leur camp : ainsi Pierre le Porc et Raoul Tesson, seigneur du Grippon, se joignent en 1432 à Jean II, duc d'Alençon, et à deux lieutenants de Louis d'Estouteville pour faire, avec 120 hommes à cheval, une démonstration contre Saint-Lô, dont Tesson avait eu un instant la garde. De courageux marins, guidés par Yvon Prieur, poussent l'audace jusqu'à venir s'emparer des navires ennemis ancrés dans le port de Granville. Les campagnes dévastées avaient été abandonnées par les cultivateurs : ainsi, la Roche-Tesson, ancienne seigneurie de Du Guesclin[3], si rapprochée de Villedieu, ne comptait plus que trois pauvres hommes sur 80 habitants. Les Anglais voulurent contraindre ce qui restait de laboureurs à prendre les armes pour ies aider ; ceux-ci ne le firent qu'à contre cœur. D'autre part, plusieurs chefs de compagnies de mercenaires, pour se débarrasser d'adversaires dangereux, en massacrèrent 1.200, à Vicques sur la Dives : ce fut le signal de l'insurrection dans la Basse-Normandie. Des démonstrations menaçantes sont faites par les paysans devant Caen ; le siège est mis devant Avranches : Scales est contraint de se retirer vers Cérences. Spencer, Bailli anglais du Cotentin, arrive à Gavray ; tous deux vont rejoindre vers Avranches l'année d'Arundell ; force est au duc d'Alençon et à d'Estouteville de se renfermer au Mont-Saint-Michel ; cependant les Anglais essuient une défaite à Tombelaine. Au mois de janvier 1436, les paysans du Val de Vire refusent la croix vermeille des Anglais. D'Estouteville aide André de Laval, sire de Lohéac, Jean de Bueil et Jean de la Roche à s'emparer du château de Saint-Denis-le-Gast (30 avril). Le rocher de Granville est escaladé dans la première quinzaine de mai ; peu après le château de Chanteloup tombe en leurs mains. Tous ces glorieux faits d'armes ne devaient pas avoir d'effet durable, en présence des succès de Talbot dans la Haute-Normandie. Avant la fin de l'année, Scales réussit à reprendre Granville. L'année suivante, nouvelle chevauchée de d'Estouteville : Mortain, Condé-sur-Noireau, Villers-Bocage, Caen, Vire et Saint-Lô voient passer ses troupes ; Torigny est surpris un peu avant le 19 décembre. L'échec de 1438 devant la bastide d'Ardevon est racheté en 1439 par l'occupation de Pontorson et de Saint-James-de-Beuvron. Le 30 novembre, le siège est mis devant Avranches, pour être bientôt abandonné (23 décembre), à l'arrivée de l'armée de Talbot. Avant la trêve de Tours (1444), signalons encore une nouvelle escalade du Boc de Granville[4] par Louis d'Estouteville et ses deux fils (1443). Au mois d'août de cette année, le duc de Somerset, parti de Cherbourg, traverse le Cotentin dans toute sa longueur pour aller s'emparer de la Guerche ; après un échec devant Pouancé (Maine), il revient au point de départ, d'où il regagne l'Angleterre, en longeant les côtes du Bessin. Pendant la trêve, les populations du Cotentin ne furent pas beaucoup épargnées : le 26 avril 1445, le roi d'Angleterre est obligé d'ordonner une enquête contre Somerset, qui avait, sans autorisation, levé diverses contributions sur les habitants ; ce qui n'empêche pas la vicomté de Coutances d'être taxée quelques mois après (4 septembre) à 1.200 livres pour sa part de l'aide de 200.000 livres consentie récemment par les États de Normandie. Les deux années suivantes, 260.000 livres sont encore demandées successivement à la province. En 1448, deux députés de Coutances vont trouver le chancelier de Henri VI pour solliciter la diminution des charges excessives qui pesaient sur le pays[5]. Mais si les établissements civils sont alors rançonnés par l'envahisseur, il n'en est pas de même des établissements pourvus d'un caractère religieux. En 1415, Charles VII avait envoyé à Londres, en qualité d'ambassadeurs de France, deux de ses Conseillers, Jehan Havard et Guillaume Cousinot, chargés non seulement de faire reculer indéfiniment les délais stipulés par la Trêve de 1444, mais encore de soustraire aux taxes exigées par les Anglais les Églises métropolitaines, les Cathédrales, les Collégiales, les Aumôneries, les Prébendes, les Chapelles, y compris l'Abbaye du Mont Saint-Michel, en sorte que ces établissements pussent jouir en paix de leurs revenus. La mission diplomatique de Jehan Havard et de Guillaume Cousinot réussit pleinement. Le Traité fut conclu et signé le 14 décembre 1446, conformément aux vœux du roi Charles VII. Nous pouvons, avec assez de vraisemblance, supposer que le caractère religieux de la Commanderie de Villedieu la mit aussi à ce moment à l'abri des exactions britanniques[6]. La surprise de Fougères par les Anglais fut le signal de la reprise des hostilités (1449) : c'était la dernière lutte qui devait enlever pour toujours la Normandie à la domination anglaise. Elle a été racontée, avec plusieurs autres historiens, par Blondel, plus tard maréchal de France, témoin oculaire des faits. Une édition récente de ses œuvres (1893), donnée par la Société d'Histoire de Normandie, permet de suivre en toute assurance le récit de sa Reductio Normanniæ : les notes qui l'accompagnent le complètent, lorsqu'il est nécessaire, par des citations empruntées aux autres auteurs du temps. Pendant que Dunois conquiert la Haute-Normandie, le sire de Lohéac, Joachim Rouault, écuyer, le sgr de Bricquebec, deuxième fils d'Estouteville, et le Maréchal de Bretagne attaquent Saint-James-de-Beuvron et Mortain récemment fortifiés par Somerset malgré les trêves : les deux places capitulent l'une après l'autre (commencement d'août) D'Estouteville, avec le sire de Rais, amiral, vient assiéger Coutances qui se rend le 12 septembre, bientôt imité par Regnéville. Le duc de Bretagne, laissant son frère Pierre devant Fougères, était accouru au secours de d'Estouteville, en passant au Mont-Saint-Michel le 6, à Granville le 8 ; de Coutances, il va prendre Saint-Lô le 15, puis la Haye-du-Puits et Barneville, pendant que le Hommel, Neufville, Torigny, Hauville, Benneville, Beuzeville, Hambye, la Motte l'Évêque, Chanteloup, Laune, Pirou, et Colombières reçoivent des garnisons françaises. Les Saint-Lois, pour se venger des injures des habitants de Carentan, se joignent aux troupes qui les forcent à capituler (le mardi 30 septembre). Au mois de novembre suivant, Charles VII pardonnait aux bourgeois de cette ville leur attachement trop grand pour les Anglais. Pont d'Ouve et Valognes se soumettent au Connétable de Richemont et à l'Amiral de Coëtivy. La place la plus difficile à réduire fut Gavray, défendu avec la dernière énergie par le capitaine anglais Trolot. Richemont reçoit la capitulation le samedi 11 octobre : comme récompense, la seigneurie de ce lieu lui fut donnée sa vie durant[7]. Les habitants de Coutances[8] pressaient le duc de Bretagne d'achever la conquête du Cotentin, où Saint-Sauveur et Cherbourg restaient encore aux mains des ennemis. Mais il avait hâte de regagner la Bretagne : son frère l'attendait toujours devant. Fougères. Il se décide cependant à attaquer Vire : l'armée s'ébranle le 13 octobre ; le 14, elle est à Villedieu, quand l'arrivée d'un messager de Pierre de Bretagne décide le duc à partir aussitôt : le 15, il couche au Mont-Saint-Michel, et le 16 au soir, il se joint aux assiégeants de Fougères, qui se rend le 5 novembre. La tentative sur Vire ne fut pas complètement abandonnée. Une partie des garnisons de Coutances, Gavray, Saint-Lô et Torigny se présenta, devant cette ville. Apprenant qu'un détachement des Anglais qui l'occupaient essayait de reprendre Mortain, les Français courent au-devant d'eux, les rencontrent au nombre de 1200 à Vengeons, et leur infligent une sérieuse défaite. Vire ne devait cependant être repris qu'à la campagne suivante. Thomas Kyriel débarque près de Cherbourg, le vendredi d'avant les Rameaux (1450), et vient assiéger Valognes. Tandis que ses soldats se livrent à des excès sacrilèges dans les églises des environs, 2000 hommes sont lancés à son secours par Somerset, sous la direction de capitaines tirés de Caen, Bayeux et Vire. Les habitants de Carentan les laissent passer sans les inquiéter. Le comte de Clermont, envoyé par le Roi de France, son beau-père, renonce à empêcher la capitulation de Valognes. De cette ville les Anglais se dirigent vers le Bessin. C'est alors que le Connétable de Richemont part de Dol, et arrive, en deux jours, à Saint-Lô, par Granville et Coutances (14-15 avril) ; la victoire de Formigny arrête les ennemis. La semaine suivante, Vire se rend, après six jours de résistance : la seigneurie en est donnée au vainqueur sa vie durant. De Vire, le Connétable vient rejoindre François de Bretagne devant Avranches : cette ville capitule avant le 12 mai ; le 13, Louis d'Estouteville en est nommé gouverneur. Le 16, Tombelaine est livré au duc de Bretagne. Pendant que Richemont va retrouver le comte de Clermont devant Bayeux, ses lieutenants s'emparent de Bricquebec et de Valognes. Saint-Sauveur se rend aux Maréchaux de France, André de Lohéac, et de Bretagne, Arthur de Montauban. Bayeux pris, toutes les troupes françaises se réunissent devant Caen, où le roi vient les rejoindre. Le 24 juin[9], Somerset signe avec Dunois la capitulation fixée au 1er juillet s'il n'est pas secouru dans l'intervalle. Falaise et Domfront sont ensuite enlevés ; et Cherbourg, assiégé le 10 juillet par le Connétable, Clermont, d'Estouteville, les Maréchaux, etc., se rend le 12 août. La Normandie avait été reconquise en un an et six jours. La paix était à peine assurée, qu'un certain nombre d'habitants de Villedieu prirent à cœur de faire disparaître jusqu'aux moindres vestiges des guerres. La pièce suivante nous montrera le Connétable de Richemont essayant de ramener le calme dans une population attachée à son privilège d'exemption de tout service militaire, et qui n'avait supporté qu'avec peine l'ordre donné par Charles V, et exécuté par le grand Prieur, de transformer leur ville en place forte. Artur[10], fils de duc de Bretaigne, Comte de Richemont, Seigr de Partenay, Connestable de France. A tous ceulx qui ces présentes Lettres verront, Salut. Comme les aucuns des habitans de Villedieu, et mesme-ment Colin Vibert, Jeban Lecapetoyz, Jehan Legentil, Rogier Dencerise, Robin de Montreul et autres, soient venuz par devers Nous et Nous aient dit et expose que le Commandeur dudit lieu de Villedieu les tenoit en grant involucion deproces, et mesmement les dessus ditz et les aucun deulx avoit fait mectre en ses prisons a loccasion de ce quil disoit que par nuyt ou autrement ils avoient desmoly et mis a terre certaine loge ou édifice que iceluy commandeur avoit fait ou fait faire par lui ou autres par son adveu et commandement en la baie dudit lieu de Villedieu ; en leur supposant en oultre avoir commis en ce faisant plusieurs autres grans exces et deliz, dont iceluy Commandeur leur donnoit de grans domages et vexacions, tellement que, si par nous pourveu ny estoit, quil leur commandroit lesser la terre ; qui seroit et porroit estre au grant preiudice de monsgr le Roy, a tort et sanz cause, par ce quilz disoient que ledit Commandeur ne povoit ne devoit faire ne faire faire aucun édifice ne autre chose en la dicte hale qui estoit ordonnée et destinee au bien et usaige de la chose publicque. Aussi disoient les ditz habitans de Villedieu que, combien que, audit lieu de Villedieu, neust aucun droit davoir chastel ne place forte, que, ce non obstant, pour les pereilz et dangiers des guerres des ennemis, aucuns qui avoient eu cours au pais, ils avoient pieça, par le commandement et congie de mondil seigr le Roy qui lors estoit, empare et fortifie leur eglise du dit lieu de Villedieu, tellement que par le moien des foussez faiz alentour de la dicte eglise les fondemens dicelle eglise estoient tous fonduz en telle forme et maniere que, si provision briesve nestoit sur ce faicte et donnée, la dicte eglise estoit en voie daler a totale ruyne et destruccion. Nous requerant, attendu que de plu le dangier et pereil desdilz ennemis cessoit, Nous leur voulissons donner congie et licence de desemparer la dicte eglise, combler lesditz foussez et le tout remectre a lestat ancien, et ainsi quil estoit par avant les guerres advenues audit pais. Contre lesqueulx choses, ledit Commandeur de Villedieu a ce présent nous a dit et remonstre plusieurs choses au contraire, et mesmement touchant le desemparement de la dicte eglise de Villedieu, quelle avoit anciennement este emparée et fortifiée a la requeste du Grant Prieur de France, qui de ce faire avoit obtenu licence et congie de mondit Seigneur le Roy, et que cestoit le bien du pais et de la chose publicque, et grant domage seroit et porroit estre et avenir si desmolie et desemparee estoit ; et que pour ce les fondemens de la dicte eglise nestoient point deperiz ; et que la plus grande et sainne partie des babitans de Villedieu ne vouldroient pour riens ladicte eglise estre desemparee. — Et touchanl le fait de la demolicion de la place de la dicte hale et du procès sur ce meu par ledit Commandeur et les dessus nommez a loccasion susdicte, Nous a dit icelui Commandeur quil avoit haulte justice, moienne et basse, au dit lieu de Villedieu, et que les droitz de la dicte bale lui compettoient et appartenoient, et que s'il avoit fait faire ladite place en icelle hale, que faire le povoit, et que aux ditz Vibert ne autres ne appartenoit en riens a proceder en ladicte demolicion ne a faire les ditz exploiz, et quen ce faisant ils avoient grandement offende et le dévoient amander. — Nous requérant ledit Commandeur que de ce lui voulissons faire bonne raison et justice. Savoir faisons que aujourduy, empres ce que les dictes parties ont fait dire et proposer par devant Nous leurs faiz et raisons dune part et dautre, et que de leurs ditz debatz elles se sont soubmises a notre dit et ordonnance et ont voulu ester et croire tout ce que par Nous serait sur ce dit, ordonne et appoincte, — Voulant mettre paix, amour et union entre celles parties, avons dit, ordonne et appoincte, et par ces présentes disons, ordonnons et appoinctons : que touchant le fait du desemparement de ladite eglise et des chemins anciens qui estoient près dicelle eglisequi sont empeschez, que tout demourra pour le présent en lestât quil est jusques a ce que autrement par Monsgr le Roy ou Nous en soit ordonne. Sans preiudice des droiz dune partie et dautre. — Et sur ce que les dits habitans dient que cestoit le bien du pais et de la chose publicque que la dicte eglise fust desemparee et les chemins anciens remis a leur estre, et que la plus part des habitans de Villedieu le requérait ainsi, et que le dit Commandeur dit au contraire, chacune des dictes parties fera faire sur ce, si bon leur semble, aucune petite informacion ; et icelle faicte et rapportée par devers Nous, à notre retour, leur ferons et donrrons sur ce telle expedicion que verrons estre a faire par raison. Pour laquelle faire Nous avons commis et commectons Achille de Dampierre notre lieutenant sur le fait de la justice au viconte de Constance chacun deulx. — Et en tant que touche les ditz Colin Vibert et autres dessuz nommez pourseuz[11] pour avoir desmoly ladicte place faicte en la dicte hale, avons dit, ordonne et appoincte, du consentement dudict Commandeur, quilz seront mis hors de tout proces, et que pour ce ledit Commandeur ne leur fera plus aucune poursuyte ne question ; et a notre requeste leur a pardonne loffense quilz porroient avoir sur ce fait envers lui et de toute lamande civile. Se sont les dictes parties soubmises a notre dit et ordonnance... En la cité d'Avranches le 18e jour de janvier lan 1454 (soit 1455). La paix dut bientôt se rétablir entre Commandeur et vassaux[12]. Au moment de la visitation des Commanderies du Prioré de France, sous le Grand Prieur Nicole de Giresme, en 1456, le relèvement des ruines provenant des guerres est déjà un fait accompli, en attendant que les efforts combinés des bourgeois et de leur seigneur parviennent à la reconstruction de l'église paroissiale si fortement endommagée. Nous donnons les parties du procès-verbal de cette visite[13] qui sont encore lisibles : Mercredi 11 Mai. — NORMANDIE. Villedieu de Sauchevreul, chef de Commanderie, hospital ancien, sans aucun membre. — L'Eglise paroissiale est au patronage de Mgr le Grant Prieur de France : Curé frère Gault du Grippon : l'Hospital n'est tenu à aucune charge pour celte église, sinon une redevance à payer par le Commandeur à L'Évêque de Coutances, pour la Visitation de la cure 10 l. 10 sols, et en a joy de longtemps. La chapelle de l'hôtel (S. Biaise) est recouverte à neuf, et a un petit clocher tout neuf où il y aune cloche qui est d'ancienneté à l'hôtel. — Cet hôtel est un grand corps de bâtiment de 100 pieds de long ou environ, sur lequel en hault sont greniers à mettre garnisons[14], et au dessous plusieurs chambres, et plus bas à l'un des bouts les prisons, au milieu des étables à chevaux, et le demeurant sert pour étables. Appartient à l'hôtel un pré et un jardin de 6 vergées environ autour de la maison ; 4 vergées de prés en 2 pièces rapportant . . . 450 1. Au-dessus de l'hôtel 3 vergées de bois pour le chauffage. 1 moulin à eau devant la porte en bon état, baillé à ferme chaq. année. 1 fouloir. 1 four bannal. 2 grandes halles et une petite à côté, réparées nouvellement. Droit de havage baillé au plus offrant à 8 l. Droit sur les volailles, œufs, fromages baillé. Droit d'aunage, cohuage[15] : 1 l. Ferme du jaujage des vins 10 l. Coutumes des mardis et foires ch. an . . . . 21 l., dont l'abbesse de Lisieux prend la moitié : Le revenu des cohuages et étalages de la grande cohue 19 l. La ferme de cohuage de la meunerie : 40 l. Ferme du poids de la ville : 60 l. Coutume de la sainte semaine : 10 l. Cens à plassage de la ville. Sur vente de huiz en la ville à la S. Michel : 4 l. En plusieurs villages au clos de Constantin et endit évêché plusieurs rentes et revenus en menues Pièces. Item en la paroisse des Chéris à cause du fief de Leulagerie 12 quartiers de froment lesquels sont arrestes par le baron des Viars et peut valoir. Item sur les... de Landelles par an à la S. Michel : 15 l. Droits de Barfleur à ferme : 12 l. Les quêtes aux diocèses d'Avranches et de Coutances ont été baillées à Guillaume Renoufe pour : 50 l. Par an. Quêtes de 3 doyennés au diocèse de Baveux : 10 à 12 l. Visitation que les vicaires de l'évêque de Const. ont accoutumé de faire en l'église de la ville par chaq. an 10 l. 10 s. La Comanderie n'est pas sujette de douer aumône, sinon à son bon plaisir. La Justice appartenant à la Commanderie est bien maintenue et gardée par le baillif et vicomte et autres officiers qui en ont la garde. Le tabellionnage de la ville est baillé à ferme : 4 l. Le rapport de la Visite prieurale de 1495[16] nous fournit quelques détails complémentaires : L'esglise parochiale, fondée de Nostre-Dame de l'Ospital... a esté destruite par les guerres et refaicte[17] par le Commandeur actuel, frère JEAN ROUTIER chapelain, et les paroissiens. La maison du Commandeur est auprès de ladicte esglise, ung ruisseau entre deux. Dedens la dicte maison est une chappelle pour le Commandeur, bien entretenue et réparée, et dédiée à saint Biaise. Ladicte esglise et maison sont assiz dedens le Bourg de Villèdieu, ou a de présent environ C feuz a toute jurisdicion de la dicte Commanderie, prisons et justice levée. Les revenus : cens, rentes, moulins, coutumes, droits de havage, tabellionage et scel de justice, s'élèvent à 206 l., 12 s., 11 d. ½, — auxquels il faut ajouter 80 demeaux de froment, 17 d'avoine, 9 chapons, 6 gelines et 4 pains, soit comme total des recettes 219 l. 10 s. Les charges s'élèvent : à savoir : Pour une Messe chaque jour dans l'église paroissiale : 24 l. Visitation de l'Évêque de Coutances, chaque année : 7 l. Au Bailly de la Justice : 6 l. Au Vicomte : 2 l. Pour desservir la Chapelle de la Commanderie : 10 l. Pour une chambrière : 6 l. Pour le déposit à Paris : 1 l. 10 s. 5 d. Total des charges : 57 l. 10 s. 5 d. Les revenus étant de 219 l. 10 s., l'excédent est : 156 l. 19 s. Nous transcrivons les chiffres tels quels, sans répondre de l'exactitude des additions. Tous ces renseignements avaient été donnés aux visiteurs par fr. JOSSE DE LA PORTE, le Commandeur étant malade. |
[1] Édition Bréquigny, Champollion-Figeac.
[2] Fort tonneau.
[3] Charles VI l'avait rachetée à Olivier Du Guesclin, et donnée, en mars 1404, à son fils Louis. (Cartons des Rois, N° 1808.). Après la conquête, le roi d'Angleterre la donna à Jean Cheyne, mais la lui reprit bientôt pour la conserver. (Rol. Norm. 755).
[4] V. Cartons des Rois, n. 2258, 2261, 2268.
[5] Cartons des Rois, n. 2301, 2305, 2309, 2315, 2325, 2333, 2347, 2361.
[6] Voir Acta, Fœdera, de RYMER, t. XI. Georges Havard, fils de Jehan Havard, venait d'épouser Antoinette d'Estouteville, du vaillant capitaine qui défendait le Mont Saint-Michel. Ainsi s'explique sans doute la clause spéciale relative à l'illustre Abbaye.
[7] La seigneurie de la Roche-Tesson, dépendant du domaine, fut donnée au Bâtard d'Alençon : le Parlement de Poitiers refusa d'entériner les lettres du Roi à ce sujet. (Histoire de Charles VII, par le marquis DE BEAUCOURT, T. II, p. 575).
[8] Histoire de Charles VII, par M. DE BEAUCOURT, T. V. p. 10.
[9] Cartons des Rois, n° 2380.
[10] Arch. Nat., S. 5057-9.
[11] Pourseuz, poursuivis.
[12] Il ne restait, au XVIe siècle, de ces fortifications que les trois portes encore indiquées dans le plan du Terrier de1741 reproduit au commencement de ce volume. Voici la description qu'en donne le Terrier de 1587 (fol. 25) : L'endroit où sont les prisons basses et hautes de ce lieu qui sont deux tours, en le mitan des quelles est la passée de la porte du pont de pierre par où l'on va de ce lieu à Avranches ; et lesquelles deux tours ne sont couvertes que en plate forme, et ny a aulcune porte de boyz ny hersier pour la closture de ce lieu. — Item une aultre porte de muraille où il ny a aulcune maison appellée la porte du pont Chinon et ny a aulcune porte de boyz. — Item une aultre porte de masonnerie tant de pierre que de carreau avec un guichet contigu, et on appelle la porte de ce d. lieu tendant à Caen — alias la porte du Bourg d'Envie.
[13] Arch. Nat., S. 5558.
[14] Garnisons, récolte.
[15] Cohue veut dire halle ; cohuage, droit de halle. — Les autres termes se comprennent lorsqu'on a lu au chapitre II ce qui concerne les droits du Commandeur.
Les chiffres suivants, empruntés à l'ouvrage de M. LE CACHEUX sur l'Hôtel-Dieu de Coutances, nous feront connaître la valeur relative de l'argent à cette époque.
A Pâques de l'année 1451, le boisseau de froment (mesure de Villedieu, Cérences et Gavray) valait 5 sols ; — celui de seigle, 2 sols 6 deniers, ainsi que celui d'orge ; — le boisseau d'avoine, 18 deniers ; — le cent d'œufs, 2 sols 1 denier ; — un coq, 6 deniers ; — un mouton, 4 sols ; — une brebis, 3 sols ; — un pain et un chapon, 15 deniers.
[16] Arch. Nat., S. 5558.
[17] M. Le Héricher, dans son Avranchin monumental et historique (T. II, p. 711), donne comme un reste de l'église primitive deux contreforts en moyen appareil appliqués contre la façade occidentale. Il cite même l'opinion de M. Doisnard, architecte départemental, qui regarde comme également antérieurs au XVe siècle les modillons de la nef. On a remarqué ailleurs, notamment à la Cathédrale de Coutances, l'habileté avec laquelle les artistes de l'architecture gothique savaient englober les restes des anciennes constructions romanes dans leurs nouveaux édifices. Nous indiquerons au chapitre IX les différentes transformations de l'église actuelle.