HÉRODOTE, HISTORIEN DES GUERRES MÉDIQUES

DEUXIÈME PARTIE. — L'HISTOIRE DES GUERRES MÉDIQUES DANS HÉRODOTE.

LIVRE II. — LA SECONDE GUERRE MÉDIQUE.

 

 

CHAPITRE II. — LA GRÈCE EN FACE DE L'INVASION MÉDIQUE. - LES COMBATS DES THERMOPYLES ET D'ARTÉMISION.

 

§ I. — La Grèce entre 490 et 480. - La loi de Thémistocle sur la marine athénienne.

Tout entier au récit de l'invasion médique, Hérodote s'est appliqué d'abord à décrire l'armée et la marche du Grand Roi jusqu'au pied de l'Olympe. A ce moment, comme les hérauts envoyés en Europe pour recevoir la terre et l'eau viennent apporter à Xerxès l'hommage de plusieurs villes grecques, l'historien saisit cette occasion pour revenir un peu en arrière, et pour indiquer les mesures de défense adoptées par le conseil fédéral des États grecs, réuni à l'isthme de Corinthe. Mais ce coup d'œil jeté sur le passé ne s'étend pas jusqu'au temps de la première guerre médique, et cette période de dix ans dans l'histoire de la Grèce reste pour nous pleine d'obscurité : quelles avaient été, depuis Marathon, les destinées de Sparte et d'Argos, d'Athènes et d'Égine, de Thèbes et de Platées, des villes jusque-là restées libres et de celles qui, dès la première heure, avaient rendu hommage au Grand Roi ? Hérodote n'en dit rien, ou presque rien.

On peut s'étonner surtout de cette lacune pour ce qui regarde Athènes ; car tous les témoignages anciens, y compris celui d'Hérodote, nous permettent de constater dans cette ville, durant l'intervalle des deux guerres, une véritable révolution : la cité d'hoplites, victorieuse à Marathon, est devenue la cité de marins qui va combattre à Salamine. Un tel changement n'a pu se faire qu'au prix de longues luttes intestines, et de fait, Aristide et Xanthippe, qui dominent dans Athènes après la chute de Miltiade, disparaissent ensuite de la scène politique, pour faire place à un personnage nouveau, Thémistocle. De ces rivalités Hérodote ne dit pas un mot. Quelle est la raison de ce silence ? Faut-il la chercher seulement dans le plan général du livre, où le jeu des partis tient relativement peu de place ? ou bien la tradition ne fournissait-elle à l'historien presque aucun détail pour cette période de l'histoire d'Athènes ? et, dans ce cas, la cause de cette lacune ne serait-elle pas la personne même du nouveau chef de la démocratie ? En d'autres termes, la tradition athénienne ne s'efforçait-elle pas, au temps d'Hérodote, de laisser dans l'ombre les immenses services rendus par un homme que la cité avait dû ensuite rejeter de son sein comme un traître ?

Cette question, qui s'impose dès qu'on aborde l'étude de la politique athénienne pendant la seconde guerre médique, se présentera encore plus d'une fois dans le cours des chapitres suivants : est-il vrai que la tradition, sinon Hérodote lui-même, ait été ouvertement défavorable à Thémistocle ? La haine que le vainqueur de Salamine avait encourue et méritée à la fin de sa vie avait-elle rejailli sur l'histoire de ses plus beaux exploits ? On l'a dit, et non sans vraisemblance[1]. Mais, pour éviter de faire à Hérodote un procès de tendance, il faut, non pas rapprocher d'une manière toujours un peu factice les indications plus ou moins vagues qui se trouvent dispersées çà et là dans son œuvre, mais examiner en elle-même chacune des assertions qui ont paru justifier cette hypothèse.

Remarquons d'abord, dans le cas particulier qui nous occupe, qu'Hérodote, sans revenir sur la rivalité des partis à Athènes depuis Marathon, a cité cependant le seul fait important qui intéresse l'histoire, la loi de Thémistocle sur la flotte (VII, 144). Sans doute la mention de cette loi se présente sous la forme d'une parenthèse, à propos d'un autre acte politique de Thémistocle ; mais il n'en est pas moins vrai, que l'historien qu'on représente volontiers comme l'admirateur exclusif d'Aristide n'a pas dit un mot de l'ostracisme qui avait frappé ce sage citoyen, et qu'il a trouvé moyen de rappeler le grand service rendu par Thémistocle, quoique ce service se rapportât à une période qui n'entrait pas nécessairement dans le cadre de son histoire. N'exagérons rien cependant : il était difficile à un historien de raconter les batailles d'Artémision et de Salamine sans parler des progrès de la flotte athénienne depuis le temps où Miltiade échouait devant Paros avec 70 vaisseaux ; mais encore une tradition hostile aurait-elle, ce semble, atténué l'effet d'un pareil témoignage par le récit des luttes soutenues alors contre les plus honnêtes citoyens, ou par le souvenir anticipé des fautes ultérieures de Thémistocle.

Mais, dit-on, la manière même dont Hérodote introduit dans son livre le personnage de Thémistocle comporte un bien maigre éloge du héros. Il y avait parmi les Athéniens un homme élevé depuis peu aux premiers rangs, c'était Thémistocle, fils de Néoclès (VII, 143). Si l'on compare à cette phrase froide et brève l'éloge que l'historien fait d'Aristide la première fois qu'il le met en scène[2], on verra quelle différence il établit entre ces deux personnages. Bien plus, après avoir exposé la loi de Thémistocle sur la flotte, Hérodote exprime sous forme de conclusion cette pensée singulière, que c'est la guerre avec Égine qui a sauvé la Grèce (VII, 144). L'éditeur Stein estime qu'il aurait été plus équitable d'attribuer le salut de la Grèce à Thémistocle.

Telle n'est pas cependant notre impression. Il y a dans la tournure dont se sert Hérodote (VII, 143), un souvenir de certains débuts épiques[3], et l'emploi seul de cette tournure suffit à mettre en relief le personnage ainsi annoncé. C'est par un tour analogue que Thucydide introduit l'affaire importante de la prise de l'Acropole par Cylon[4]. Quant à la loi elle-même, Hérodote ne se fait pas faute de déclarer que, dans cette circonstance, l'opinion de Thémistocle prévalut pour le plus grand bien de la cité, et il ne dissimule pas l'intervention de Thémistocle dans cette affaire. Enfin la phrase relative à la guerre avec Égine doit s'interpréter, à notre avis, tout autrement que ne l'entend Stein : il n'est pas dans les habitudes d'Hérodote de faire l'éloge direct d'un vainqueur, qu'il s'agisse de Miltiade ou de Pausanias, de Xanthippe ou de Léotychide ; mais il ajoute volontiers au récit d'un événement une appréciation personnelle, une réflexion sur la cause ou la conséquence logique ou accidentelle de cet événement. C'est le résultat de la tendance qui le porte à chercher entre les faits les rapports secrets ou inattendus qu'un œil moins observateur ne parviendrait pas à saisir. Ainsi, ce qui le frappe dans la loi de Thémistocle, c'est que, dirigée contre Égine, elle a servi contre la Perse, et que, au lieu d'être une mesure de simple protection contre les attaques d'une petite république grecque, elle a sauvé la Grèce tout entière du plus terrible danger qui l'eût jamais menacée. Voilà la remarque juste qu'Hérodote a faite, et qu'il a exprimée d'une manière piquante ; voilà ce qu'il a pu dire sans oublier Thémistocle, sans lui faire même aucun tort.

Bornons-nous donc à observer que l'histoire des luttes politiques qui provoquèrent à Athènes l'exil de Xanthippe et celui d'Aristide n'entrait pas dans le plan d'Hérodote, non plus que l'histoire intérieure des autres États grecs, et ajoutons que, venant à parler du plus grand événement qui se soit produit alors dans la politique d'Athènes, l'historien s'est exprimé dans des termes qui répondent parfaitement à sa façon ordinaire d'apprécier les hommes et les choses. Il reste à nous demander si, tout en rendant justice à l'auteur de la loi, Hérodote a été bien renseigné sur cette loi elle-même, et s'il en a bien compris et exposé les conditions.

La critique que nous pouvons faire ici du témoignage d'Hérodote repose sur le texte, récemment découvert, de l'Άθηναίων πολιτεία d'Aristote[5]. Désormais les détails de cette loi sont connus avec précision, et il en résulte que les données d'Hérodote sont inexactes sur deux points : 1° au lieu de 200 trières, c'est seulement un effectif de 100 trières que la loi fit construire avec l'argent provenant des mines du Laurium ; 2° même en réduisant à 100 le nombre des vaisseaux à construire, comme chacun coûtait à l'État un talent, il fallait que la somme disponible dans le trésor d'Athènes s'élevât à plus de 10 drachmes par tête, puisque ce chiffre de 10 drachmes, multiplié par le nombre des citoyens athéniens (30.000 au maximum), ne donnerait que 50 talents.

Commençons par ce second point : Hérodote, tout d'abord, a l'air de ne pas bien se rendre compte des dépenses qu'exige la construction d'une flotte ; il parle de 50 talents, tandis qu'il en aurait fallu 400. La confusion serait grave pour un historien ; elle dénoterait une singulière légèreté, pour ne pas dire un défaut complet d'aptitude aux affaires. Pour expliquer, sinon pour excuser cette erreur, Stein suppose qu'Hérodote a emprunté ce chiffre de 50 talents au revenu, bien diminué, que les mines produisaient de son temps[6]. Mais n'est-ce pas aggraver encore le cas, que de prêter à Hérodote une méthode aussi défectueuse ? Une telle conséquence n'est pas nécessaire. Hérodote ne dit pas qu'il n'y ait eu en caisse que 50 talents ; il parle seulement d'une distribution de 10 drachmes à faire à chaque citoyen : rien ne prouve que toute la somme en réserve ait dû être ainsi distribuée, et rien ne prouve, d'autre part, que la loi n'ait pas ajouté au montant de la réserve (si cette réserve s'élevait seulement à 50 talents) une autre somme destinée à compléter l'armement de la flotte. Aristote atteste que l'État donna 100 talents pour la construction de 100 trières ; mais est-ce à dire que cette somme, si elle n'avait pas été ainsi employée, eût été intégralement distribuée au peuple ? Nous ne pensons pas qu'il y ait entre ces deux faits une corrélation aussi étroite, et Hérodote a pu recueillir dans la tradition le chiffre exact d'une distribution de 10 drachmes par tête, sans croire pour cela que la somme ainsi partagée suffit à la construction de 200 trières.

L'autre erreur d'Hérodote est formelle : les 200 vaisseaux que la loi de Thémistocle aurait ordonné de construire doivent se réduire à 400. Pour trancher cette difficulté, Krüger a proposé un moyen[7], que quelques savants autorisés ont accepté sans objection[8] : c'est de supprimer le mot διηκοσίας comme une glose. Dès lors la phrase d'Hérodote est vague, mais non inexacte. Ce moyen ne nous satisfait pas : outre que le chiffre de 200 parait avoir été lu déjà dans Hérodote par Éphore[9], cette évaluation approximative peut fort bien provenir de l'historien lui-même ; car tel est à peu près le chiffre de la flotte à Salamine, et il était assez naturel d'attribuer à la loi de Thémistocle le chiffre de vaisseaux que la flotte atteignit seulement un peu plus tard.

Cette inexactitude incontestable semble d'abord assez grave, puisqu'elle aboutit en somme à doubler un chiffre. S'il était permis de dire ici : ab uno disce omnes, les conséquences de cette expérience seraient terribles pour la confiance que mérite Hérodote. Mais remarquons que l'inexactitude porte seulement sur le nombre des vaisseaux construits d'après la loi de l'année 483/2, et non pas sur l'effectif de la flotte athénienne à Artémision et à Salamine ; l'historien n'a fait qu'anticiper sur les événements en attribuant à l'année 482 le résultat obtenu seulement deux ans après, lorsque de nouveaux vaisseaux vinrent se joindre aux premiers. En réalité, il n'y a là aucune trace d'une disposition d'esprit tendant à grossir l'importance des batailles navales livrées par les Grecs, ou à exalter outre mesure le mérite des Athéniens, d'autant plus que le mérite eût été plutôt de vaincre avec moins de vaisseaux. Ce n'est pas à proprement parler une exagération de l'historien, mais seulement une confusion, qui ne change rien à la solidité de son témoignage en ce qui touche l'effectif des vaisseaux athéniens dans les grands engagements d'Artémision et de Salamine.

 

§ II. — Les oracles rendus par Delphes aux envoyés d'Athènes. - Le serment prononcé à l'Isthme contre les partisans du Grand Roi.

La notice d'Hérodote sur la formation de la marine athénienne se rattache à un autre acte de Thémistocle : lorsque les θεοπρόποι athéniens envoyés à Delphes rapportèrent les deux oracles prononcés par la Pythie, Thémistocle proposa et sut faire prévaloir devant le peuple une interprétation de ces oracles qui sauva Athènes et la Grèce entière (VII, 140-143). La date et l'occasion de cet éclatant service ne sont pas nettement déterminées par l'historien, et les avis des savants modernes diffèrent sur ce point. La chose vaut la peine d'être examinée de près.

Il n'y aurait pas lieu de discuter, si Hérodote, dans les chapitres qu'il consacre aux préparatifs et aux résolutions des Grecs, avait observé une suite rigoureusement chronologique. Mais, passant tout d'un coup du camp des Perses au conseil fédéral des cités grecques, l'historien a dû en quelque sorte rebrousser chemin, et énumérer les faits, non pas dans l'ordre où ils s'étaient produits, mais dans l'ordre inverse. Au chapitre 130, Xerxès visite l'embouchure du Pénée, où plusieurs mois auparavant était venue camper l'armée grecque ; et pourtant cette expédition de Tempé ne sera racontée que quarante chapitres plus loin (chap. 170-174). De même, au chapitre 132, les délégués des villes grecques prononcent un serment contre les partisans du Grand Roi, tandis que la réunion de ces délégués à l'Isthme et l'alliance contractée par eux au nom des États grecs ne sont mentionnées qu'au chapitre 145. Dans l'intervalle, par des digressions successives, l'historien a rappelé le meurtre des ambassadeurs perses au temps de la première guerre médique et le sacrifice héroïque de deux Lacédémoniens envoyés à Suse pour expier ce meurtre (VII, 133-137) ; puis il a exposé d'une manière très générale les dispositions des villes grecques ,à la première nouvelle de l'expédition qui se préparait (VII, 138), et, s'arrêtant sur cette idée de la désunion qui régnait alors en Grèce, il a remarqué le rôle prépondérant joué par Athènes dans la défense nationale. Cette observation l'a amené à signaler particulièrement la persévérance d'Athènes au milieu des découragements qui. se produisaient autour d'elle et des obstacles mêmes qu'on lui opposait (VII, 139). C'est ainsi que par deux fois Delphes fit entendre les oracles les plus menaçants (VII, 140-143). Ces oracles et les débats auxquels ils donnent lieu viennent ainsi dans la suite du récit avant les délibérations de l'Isthme et les négociations entamées par le conseil fédéral avec la Sicile, Corcyre et la Crète. Aussi l'éditeur Stein les attribue-t-il sans hésiter à l'année 482 ; d'autres savants les placent un peu plus tard, dans le temps des premières réunions de l'Isthme, lorsque, dans l'automne de 484, les villes décidées à la guerre interrogèrent les dieux sur la conduite à tenir en face de l'invasion[10].

Ces calculs chronologiques nous semblent reposer seulement sur l'ordre des événements tel qu'il se présente dans les chapitres d'Hérodote. Or nous venons de montrer que cet ordre échappe à toute rigueur chronologique. A considérer les oracles en eux-mêmes, on arrive, suivant nous, à une conclusion un peu différente.

Mais, avant de déterminer la date de ces oracles, il nous faut en établir l'authenticité. Si ces deux prédictions nous apparaissaient l'une et l'autre comme des pièces fabriquées après coup à Delphes, pour bien prouver à la Grèce et au monde que le dieu avait prédit la ruine et la victoire d'Athènes, il n'y aurait pas lieu de chercher à quel moment précis de la guerre cette prétendue révélation s'était fait entendre. Si au contraire la teneur de ces oracles est authentique, même en partie seulement, cela suffit pour que nous soyons autorisé à chercher dans ces textes l'indication des dispositions de Delphes à un moment donné, et à fixer aussi exactement que possible ce moment.

Il est évident d'abord que la collection des oracles de Delphes, telle qu'Hérodote avait pu la trouver dans le temple même, était un mélange de vérité et de mensonge. Tout n'y était pas mensonge ; car sans aucun doute la Pythie rendait beaucoup d'oracles, et les termes vagues qu'elle empruntait au langage de la poésie se trouvaient souvent applicables à des événements réels. Mais la vérité n'y était pas non plus pure de tout alliage, et cette altération pouvait se produire de différentes manières. D'abord, sans qu'il y eût même de la part des prêtres aucune supercherie, les seuls oracles qui survécussent étaient ceux qui admettaient une interprétation favorable à la perspicacité du dieu ; les autres (et ils devaient être nombreux) tombaient bientôt dans l'oubli. Ensuite, parmi les oracles réservés, quelques-uns se prêtaient, avec une légère retouche, à un sens excellent ; un mot changé faisait éclater la divine inspiration de la Pythie : comment les prêtres auraient-ils résisté à la tentation ? Sur cette voie dangereuse, l'intérêt pouvait porter le sacerdoce delphique à commettre des altérations plus graves de la vérité. Mais, dans ce cas même, quand les prêtres cherchaient à justifier par un oracle tel ou tel événement déjà arrivé, ils devaient avoir plutôt recours, ce semble, à quelque antique prédiction, jusque-là laissée de côté ; ils la tiraient de l'oubli, faisaient croire et croyaient bientôt eux-mêmes, qu'elle n'avait pas été comprise d'abord, qu'ils n'en avaient pas deviné le sens, et que le dieu du moins n'avait pas failli à son devoir de prophète. Ainsi des bribes de poésie antique, conservées avec soin dans le sanctuaire, pouvaient reparaître au jour lorsque l'occasion favorable se présentait, et cette opération même rentrait encore en quelque manière dans les attributions religieuses des interprètes de la divinité. Enfin il pouvait arriver que les prêtres fussent sollicités dans un certain sens, au moment même de la consultation, par quelque personnage puissant, et que l'oracle s'inspirai du désir exprimé par ce personnage : c'est ce qui arriva, par exemple, lorsque Cléomène obtint de Delphes la déposition de son collègue Démarate (VI, 66).

A laquelle de ces différentes catégories appartiennent les deux oracles qui furent, suivant Hérodote, rendus aux envoyés d'Athènes ?

Nous écartons d'abord l'hypothèse d'une pure fiction, inventée de toutes pièces pour faire croire après coup que le dieu avait annoncé la ruine totale d'Athènes et la victoire de Salamine. Si l'oracle relatif à la destruction de l'Acropole et des temples avait été arrangé après la victoire, les prêtres n'auraient pas conseillé, ce semble, aux Athéniens de s'enfuir dans les pays les plus reculés (VII, 140), puisque rien de pareil ne s'était réalisé. Quant à la victoire de Salamine, le vers Ώ θείη Σαλαμίς, άπολεΐς δέ σύ τέκνα γυναικών (VII, 141) ressemble bien à une addition postérieure ; mais le reste de l'oracle peut-il être également considéré comme une fiction ? Dans ce cas, ce qu'il faut rejeter, c'est, avec l'oracle lui-même, toute l'histoire de la délibération tenue dans Athènes sur le sens des mots τεΐχος ξύλινον : Delphes aurait si bien réussi à convaincre les Athéniens de sa prédiction, qu'elle leur aurait fait accepter aussi l'idée d'une erreur commise par quelques vieillards sur l'enceinte de bois qui entourait la vieille Acropole, et d'une erreur analogue commise par les chresmologues sur l'emploi qu'il fallait faire des vaisseaux (VII, 142-143). Il nous paraît impossible de soutenir pareille hypothèse, et le souvenir du service rendu par Thémistocle dans la délibération relative à l'oracle de Delphes nous semble reposer sur un fait réel. Qu'il y ait eu un oracle mis en discussion dans l'assemblée du peuple ; que les chresmologues l'aient interprété dans le sens d'un départ précipité, et que Thémistocle l'ait fait servir à l'accomplissement de ses desseins sur l'emploi de la flotte, voilà ce que nous ne pouvons mettre en doute.

Dirons-nous donc, comme on l'a supposé, que l'oracle relatif à la muraille de bois se prêtait trop bien aux desseins de Thémistocle pour n'avoir pas été inspiré et suggéré par lui ? Admettrons-nous qu'il s'agisse ici d'un stratagème imaginé par Thémistocle pour faire servir le dieu de Delphes à l'exécution de son plan ? Le fait, que le second oracle, qui contient cette promesse de salut, parait avoir été arraché à la Pythie par l'intervention d'un puissant citoyen de Delphes (VII, 141), donne à cette hypothèse quelque force. Nous ne pouvons pas cependant nous y arrêter. Il n'en est pas de Thémistocle comme de Cléomène auprès des prêtres de Delphes : Thémistocle, chef d'une démocratie remuante, représente le système de gouvernement le plus contraire à celui qu'approuve le sanctuaire amphictyonique, et dans la circonstance particulière de l'invasion médique, le parti de la défense, dont Thémistocle est le promoteur, ne trouve à Delphes que résistance et mauvaise volonté. Les villes et les hommes les plus attachés à l'oracle sont aussi les plus opposés à la folle perspective d'une guerre nationale. Comment supposer que l'oracle, ayant à donner un conseil aux Athéniens, ait écouté Thémistocle plutôt que les membres encore nombreux du parti adverse ?

Il ne nous reste qu'une explication possible : les deux oracles, sous une forme très voisine de celle qui nous a été conservée, contenaient, sinon la prédiction exacte de ce qui devait arriver, du moins l'annonce de malheurs terribles pour Athènes, et aussi l'espoir qu'une muraille de bois serait le refuge des Athéniens. En s'exprimant ainsi, les prêtres de Delphes songeaient, suivant l'interprétation vraisemblable des chresmologues, à une vaste émigration par mer, projet que déjà, dans des cas analogues, le dieu avait recommandé aux Ioniens, et que les Athéniens eux-mêmes, par la bouche de Thémistocle, rappelaient encore comme une menace, avant Salamine, dans le conseil des généraux alliés (VIII, 62). Ce fut pour Thémistocle une bonne fortune que de pouvoir interpréter autrement, et non sans vraisemblance, la réponse du dieu à qui le peuple entendait surtout ne pas désobéir.

C'est donc bien la pensée des prêtres de Delphes que nous avons dans les deux oracles cités par Hérodote. Or cette pensée se résume en deux mots : C'en est fait d'Athènes ! Les Athéniens désespérés n'ont plus qu'un parti à prendre : quitter leurs demeures et fuir à l'extrémité de la terre ; car tout s'écroule autour d'eux ; rien ne subsiste : le fer, le feu, Arès et le char syrien renversent tout sur leur passage[11] ; dans les temples une sueur glaciale coule sur les parois de marbre, et les colonnes élevées s'inondent d'un sang noir. Allez, retirez-vous du sanctuaire, et plongez-vous dans le deuil. On ne peut pas imaginer un cri d'alarme plus pressant, sous le coup d'une menace plus immédiate ; les signes manifestes qui dans les temples témoignent de la terreur des dieux marquent sans aucun doute le pressentiment d'une ruine imminente. Voilà pourquoi cet oracle ne nous parait dater ni de l'année 482, comme le pense Stein, ni de l'automne de 481, suivant l'opinion commune. Dès le jour où le Grand Roi entreprit en Thrace et sur l'Hellespont les préparatifs qui annonçaient sa venue, la Grèce dut se sentir menacée ; mais bien des événements pouvaient encore retarder l'objet de ses appréhensions. Même en 481, jusqu'à l'arrivée de Xerxès à Sardes, l'expédition restait encore douteuse ; dans tous les cas, il n'y avait pas lieu alors pour les Athéniens de renoncer à la défense de leur sol. Il n'en fut plus de male après la campagne malheureuse des Grecs en Thessalie, au commencement de l'été de 480, lorsque la retraite précipitée des confédérés jeta dans les bras de la Perse toutes les villes de la Grèce centrale jusqu'à Thèbes. Et de fait, une considération qui se tire des oracles eux-mêmes permet d'affirmer que la réponse du dieu vint à Athènes après le retour de l'expédition de Tempé. En effet, si Thémistocle voulut paraître conformer la décision du peuple à l'ordre de l'oracle, il dut dès ce moment renoncer à toute défense ailleurs que sur mer, et c'est bien ce que dit Hérodote : après la délibération sur l'oracle, le peuple se décida à recevoir le choc du barbare sur la flotte, pour obéir au dieu (VII, 144). Peut-on admettre qu'après une pareille résolution Thémistocle ait conduit encore une armée d'hoplites à Tempé ? Car ce fut là une expédition continentale, et la flotte ne servit alors qu'à transporter les troupes sans passer par la Béotie.

Ainsi le double oracle de Delphes nous parait avoir été rendu aux Athéniens vers la fin du printemps de 480 : c'est le moment où les circonstances justifient le mieux, suivant nous, les craintes extraordinaires du dieu pour le salut d'Athènes.

C'est vers la même époque, mais un peu après ces événements, que nous plaçons une autre mesure, prise cette fois par les confédérés pour la défense de la Grèce. Il s'agit du serment prononcé contre les partisans du Grand Roi. Mais, ici encore, notre opinion n'est pas d'accord avec celle des principaux savants qui ont étudié de près ces problèmes. Ici encore, une question de date et une question d'authenticité se confondent et se compliquent l'une l'autre.

Voici le passage même d'Hérodote : Xerxès resta longtemps en Piérie ; car l'un des trois corps d'armée travaillait à ouvrir une route à travers les forêts de la montagne macédonienne, afin que l'armée entière passât par là chez les Perrhèbes. Cependant les hérauts envoyés en Grèce pour requérir la terre et l'eau revinrent, les uns, les mains vides, les autres, apportant ce qu'ils avaient demandé. Parmi ceux qui donnèrent la terre et l'eau on compte les Thessaliens, les Dolopes, les Ænianes, les Perrhèbes, les Locriens, les Magnètes, les Maliens, les Achéens de Pthiotide, les Thébains et tous les Béotiens à l'exception de ceux de Thespies et de Platées. Contre ces peuples les Grecs décidés à entreprendre la guerre prêtèrent un serment, dont voici le sens : Tous ceux qui, étant Grecs, s'étaient donnés au Perse, sans y être contraints, devaient, les affaires une fois rétablies, être consacrés, corps et biens, au dieu de Delphes (VII, 131-132).

On voit que l'historien ne rapporte ce serment à aucune date précise. L'éditeur d'Hérodote Abicht propose l'explication suivante[12] : la liste des peuples soumis au Grand Roi contient les noms des Thessaliens, des Locriens et des Thébains ; or ces peuples ont encore pris part avec les Grecs soit à l'expédition de Tempé, au printemps de 480, soit à la bataille des Thermopyles sur la fin de l'été ; le serment prononcé contre eux doit donc être postérieur à la bataille des Thermopyles, et, comme, d'autre part, il n'y a pas eu entre les Thermopyles et Salamine de réunion générale à l'Isthme, ce serment doit se confondre avec celui que mentionnent l'orateur Lycurgue[13] et Diodore[14], et qui fut prêté par les Grecs avant la bataille de Platées. L'éditeur Stein estime, lui aussi, que le texte d'Hérodote, pris à la lettre, se rapporte nécessairement à une époque postérieure à la défection définitive des Thébains ; mais il suppose que le serment, prononcé dès le début de l'alliance fédérale, en 481, visait seulement d'une manière générale tous les partisans du Grand Roi[15]. M. Wecklein met d'accord ces deux opinions contraires, en déclarant que les deux serments, celui de Platées comme celui de l'Isthme, sont également controuvés[16].

Pour ce qui regarde le serment de Platées, l'authenticité en est des plus douteuses, et cela pour les raisons que voici : 1° Hérodote, si complet dans le récit des préliminaires de Platées, ne parle alors d'aucun serment de ce genre ; 2° Diodore, qui cite ce serment, l'attribue aux Grecs réunis à l'Isthme avant Platées ; or on sait par Hérodote que les Athéniens rejoignirent directement l'armée péloponnésienne, en passant d'Attique en Mégaride, sans retourner à l'Isthme ; 3° Théopompe, d'après un témoignage incontestable, déclarait que le serment des Grecs avant Platées était une invention des Athéniens[17] ; or, sur ce point, la thèse soutenue par Théopompe parait confirmée par la formule du serment donnée par Lycurgue, formule manifestement empruntée à celle du serment militaire que les jeunes Athéniens prêtaient en devenant éphèbes[18]. D'autres clauses du même document, relatives aux ruines laissées en Grèce par l'invasion médique, semblent aussi inventées après coup.

Mais, si les doutes de M. Wecklein sur le serment de Platées sont justifiés, est-ce une raison suffisante pour rejeter le serment de l'Isthme, prononcé au début de la guerre ? L'explication de M. Wecklein est la suivante : les indications d'Hérodote pour la date de ce serment sont vagues, et pour cause : les Athéniens, visant avant tout les Thébains, les plus coupables de leurs adversaires dans la guerre médique, imaginèrent un serment prononcé contre eux ; Hérodote entendit parler de ce serment, mais sans trop savoir où le placer dans la suite de son récit ; il le mentionna, un peu au hasard, à l'occasion de l'hommage rendu au Grand Roi par les villes de la Grèce centrale ; plus tard, on le plaça avant Platées, et c'est la tradition que suivirent Lycurgue et Diodore ; mais cette tradition même n'était pas encore bien fixée alors sur le lieu où avait été prononcée cette condamnation solennelle des Thébains. En réalité, dit M. Wecklein, il ne s'agit dans Hérodote et dans les autres écrivains que d'un seul et même serment, et ce serment est controuvé.

La critique de M. Wecklein nous parait en défaut pour ce qui touche Hérodote. En effet, le serment que nous avons cité ci-dessus contient au moins un trait précis qui ne permet guère de le confondre avec la pièce inventée plus tard par les Athéniens : c'est la réserve formelle exprimée par les mots μή άναγκασθέντες[19]. Cette restriction, que les Grecs confédérés avaient cru devoir apporter à leurs menaces, parut sans doute insuffisante aux Athéniens vainqueurs, et c'est pour cette raison que la formule imaginée plus tard contint cette clause impitoyable[20].

Ainsi la fiction athénienne nous parait bien mieux s'expliquer si elle repose effectivement sur un acte réel des États confédérés. Les clauses diverses insérées dans le prétendu serment de Platées n'étaient pas inventées de toutes pièces, et le mot devenu proverbial à la fin du Ve siècle[21], avait eu, à l'origine, sa raison d'être. On comprend bien aussi pourquoi les Athéniens transportèrent le lieu de la scène sur le champ de bataille de Platées : de cette façon la menace contre les partisans du Grand Roi faisait en quelque sorte pendant aux engagements solennels pris après la victoire envers les dieux qui avaient sauvé la Grèce.

Ainsi, avec l'éditeur Stein, nous défendons l'authenticité du serment mentionné par Hérodote. Mais, pour la date, faut-il donc abandonner notre auteur, ou, ce qui revient au même, supposer chez lui une inexactitude aussi grave que celle qui consiste à dire όσοι έδοσαν, au lieu de όσοι άν δώσι ? Considérons la place où Hérodote cite ce serment : c'est immédiatement après l'arrivée des hérauts perses auprès du Grand Roi en Piérie : pourquoi ne pas établir entre ces deux faits un lien logique et chronologique ? Tous les peuples cités là par Hérodote n'ont-ils pas pu, en effet, à ce moment, faire acte de soumission à Xerxès ? On dit que les Thessaliens avaient pris part avec les Grecs à la défense du défilé de Tempé ; mais à ce moment le défilé est évacué, et les Thessaliens, au témoignage d'Hérodote, médisent avec ardeur (VII, 174). Les Locriens et les Thébains, dit-on, seront encore dans les rangs des Grecs aux Thermopyles. Mais qui nous dit qu'après la retraite de Tempé, ils n'ont pas, sous le coup de l'épouvante générale, fait de nouveau hommage au Grand Roi ? Hérodote affirme que Léonidas dut entraîner malgré eux les Thébains aux Thermopyles (VII, 205 et 233). Cette tradition, nous le verrons plus loin, n'a rien que de vraisemblable. Car il est évident que, dès le premier jour, dès l'automne de 481, les Thébains avaient fait acte de soumission à Xerxès, eux qui déjà en 490 avaient accordé la terre et l'eau à Darius. L'entreprise de Thémistocle et d'Evænétos à Tempé put un moment les faire hésiter, bien que le détour fait par l'armée grecque pour aller débarquer à Halos (VII, 173) atteste chez les Béotiens des dispositions peu favorables. Après la retraite de Tempé, les Thébains renouvelèrent à Xerxès leurs témoignages de fidélité, et c'est alors, suivant nous, que les Grecs, confédérés durent, avant de reprendre position aux Thermopyles et à Artémision, frapper un grand coup pour relever le moral des villes fidèles et effrayer les timides ou les coupables. Ce serment menaçant, rapporté par Hérodote, nous semble être la conséquence des mesures prises, à l'instigation d'Athènes, entre l'expédition de Tempé et celle des Thermopyles, pour répondre aux paroles de découragement et de faiblesse que l'oracle de Delphes faisait entendre dans le même temps.

 

§ III. — Attitude des différents États grecs en face de l'invasion médique. - Négociations avec Gélon, tyran de Syracuse.

L'étude critique que nous venons de faire des oracles adressés à Athènes, et du serment prononcé contre les partisans du Grand Roi, nous a déjà conduit à parler des États grecs après la campagne de Thessalie. Il nous faut maintenant revenir un peu en arrière pour examiner ce qu'Hérodote nous apprend de l'alliance des villes grecques en face de l'invasion médique.

On ne doit pas s'attendre à trouver ici chez notre historien un exposé complet des conditions intervenues entre les alliés, non plus qu'une liste des États représentés dans le conseil fédéral de l'Isthme. Un historien moderne qui voudrait 'refaire l'histoire des guerres médiques ne manquerait pas d'insister sur cette transformation de l'ancienne alliance péloponnésienne, et sur le caractère panhellénique de cette tentative. Ce qu'on aimerait surtout à connaître, c'est la constitution de ce conseil fédéral, le nombre des délégués, et le mode de représentation adopté pour les différents États. Mais ce sont là des détails qu'une tradition orale oublie vite. Disons seulement qu'Hérodote nous a conservé le terme propre qui désignait les délégués, πρόβουλοι τής Έλλάδος (VII, 172), et que plusieurs fois revient aussi chez lui une expression particulière empruntée peut-être à quelque formule officielle (VII, 145, 172). Dans un autre passage, les confédérés sont appelés οί συνωμόται Έλλήνων έπί τώ Πέρση (VII, 148), terme qui s'explique, non pas par le souvenir d'un serment comme celui que nous avons étudié plus haut, mais par les engagements mutuels que s'étaient donnés les alliés, et qu'Hérodote désigne par les mots λόγος καί πίστιν διδόναι (VII, 145).

Pouvons-nous savoir du moins par Hérodote à qui revient l'honneur d'avoir provoqué cette réunion générale des peuples décidés à se défendre ? Aucun texte formel n'attribue cette initiative à Athènes ; mais plusieurs raisons nous font incliner vers cette hypothèse : c'est Athènes déjà qui avait invité Sparte en 490 à châtier Égine au nom de la solidarité des peuples grecs ; de plus, dans la circonstance actuelle, c'est elle que visait d'abord Xerxès, en souvenir de Marathon ; enfin, par sa situation même, elle devait avant Sparte subir l'invasion d'une armée venant par terre. Ajoutons qu'on peut attribuer sans crainte l'initiative d'une mesure à la ville qui sut le mieux y rester fidèle.

La liste des peuples représentés à l'Isthme ne saurait être dressée d'après Hérodote : plusieurs villes prirent part aux campagnes de Salamine et de Platées, et virent leur nom gravé sur le trépied de Delphes, qui n'avaient pas pu tout d'abord envoyer de délégués au conseil. Il est probable que le noyau de cette représentation fédérale était formé par les villes déjà comprises dans l'hégémonie de Sparte ; Athènes y amena avec elle quelques cités amies, comme Thespies et Platées ;mais Sparte resta nécessairement à la tête de la confédération.

Le commandement de l'armée de terre lui fut tout d'abord dévolu ; pour la flotte, Hérodote rapporte une tradition, manifestement athénienne, qui attribue à Athènes la plus noble abnégation, lorsque, pour ne pas amener de dissentiment dans l'alliance, elle abandonna aussi à Sparte un commandement auquel elle avait droit (VIII, 2). Il n'est pas impossible que ce récit ait pris naissance seulement plus tard, quand Athènes fut en possession de son empire maritime. Toutefois les vaisseaux dont elle disposait déjà lui donnaient le droit de prétendre à la direction des opérations de la flotte, et, de fait, nous voyons Thémistocle dominer dans le conseil des généraux.

En attendant, lorsqu'il s'agit de négocier avec les villes grecques pour les amener à faire adhésion à la ligue, ce fut Sparte qui traita en son nom et au nom de ses alliés (VII, 157). Même dans les négociations avec Argos, les confédérés ne laissèrent pas Sparte agir seule avec sa rivale[22].

Plusieurs mesures importantes furent prises à l'Isthme, qu'Hérodote rappelle sommairement ; il insiste davantage sur d'autres, qui n'ont pas, tant s'en faut, le même intérêt. C'est par une allusion rapide qu'il nous apprend la fin de la guerre entre Athènes et Égine (VII, 145), tandis qu'il consacre plusieurs chapitres à l'épisode des espions grecs envoyés à Smyrne, et invités par Xerxès lui-même à contempler son immense armée (VII, 148-147). Le caractère anecdotique de la tradition et le goût personnel de l'historien pour ce genre de détails nuisent assurément à la profondeur des vues politiques ; mais comment nier que chacune de ces anecdotes ne mette bien en lumière le personnage de Xerxès et sa confiance aveugle dans le nombre de ses troupes ?

Les ambassades adressées aux principaux États grecs fournissent à Hérodote l'occasion de plusieurs digressions intéressantes. Nous passerons rapidement sur celles qui ne soulèvent aucune difficulté, aucune discussion.

Tous les savants sont d'accord, par exemple, pour reconnaître qu'Hérodote a jugé avec une juste sévérité l'attitude hésitante et hypocrite de Corcyre (VII, 168). Bien qu'il ait exprimé sur ce point son opinion avec moins de réserve qu'il n'en met d'ordinaire dans ses appréciations personnelles, aucune protestation ne parait s'erre produite dans l'antiquité contre cette condamnation. Les Corcyréens eux-mêmes, dans le discours que leur prête Thucydide au début de la guerre du Péloponnèse, regrettent plutôt qu'ils ne justifient leur attitude égoïste[23].

Quant aux villes de la Crète, Hérodote mentionne leur refus de participer à la guerre sans le discuter ni le juger (VII, 169). C'est qu'il semble avoir eu sous les yeux un oracle de Delphes, interprété par les Crétois dans le sens d'une abstention complète. L'historien s'est attaché à expliquer ce document, dont l'authenticité a inspiré des doutes aux critiques modernes[24]. Si, comme il est probable, l'oracle fut un moyen imaginé après coup pour excuser la conduite des villes crétoises, la raison véritable de leur abstention dut être une vieille rancune à l'égard de la Grèce propre.

Une jalousie du même ordre, mais plus vive et sans cesse entretenue par le voisinage immédiat de Sparte, empêcha les Argiens d'adhérer à une confédération qui reconnaissait la suprématie lacédémonienne (VII, 148-152). A cette raison d'amour-propre s'en joignit une autre, la faiblesse où était tombée Argos depuis la dernière campagne de Cléomène, et les révolutions intérieures qui avaient suivi ce désastre. Dans ces conditions, la rivale de Sparte eût fait triste figure au milieu des villes alliées ; elle préféra s'abstenir, sans toutefois agir ouvertement en faveur des Mèdes. Du moins ne parait-elle pas s'être prêtée à des plans de campagne qui auraient paralysé la défense du Péloponnèse, si les Perses avaient débarqué un corps de troupes sur le territoire argien, et pris par derrière l'armée grecque postée à l'Isthme. Hérodote apprécie cette situation d'une manière, ce semble, impartiale. Des trois versions qui avaient cours en Grèce à ce sujet, il déclare s'en tenir à celle des Argiens eux-mêmes : n'est-ce pas dire qu'il n'admet pas les deux autres ? Comment croire en effet qu'Argos ait appelé-les Perses en Grèce, du moment où elle ne fit rien ensuite pour les soutenir ? Encore moins vraisemblable est le prétendu message que Xerxès aurait adressé aux Argiens, en tant que descendants de Persée ; c'est là une tradition grecque imaginée pour compromettre Argos. Si Hérodote rapporte ces faux bruits, ce n'est pas, comme le prétend Plutarque[25], par malice, et pour donner plus de force à la calomnie par des désaveux équivoques. On peut se demander plutôt si l'historien, en acceptant l'apologie des Argiens, n'a pas cédé au désir de ménager une ville qui, depuis la rupture des Athéniens avec Sparte (461), était devenue l'alliée d'Athènes.

Les négociations avec Gélon de Syracuse tiennent plus de place dans le récit d'Hérodote que celles avec Argos (VII, 153-167) ; aussi bien s'agissait-il pour les Grecs d'un allié autrement puissant. Mais, pour bien apprécier la valeur de ce récit, il faut le dégager d'abord des développements historiques qui s'y rattachent. C'est ainsi qu'avant d'arriver à Gélon, Hérodote, fidèle à sa méthode ordinaire, raconte ce qu'il a appris des ancêtres de ce tyran et de son avènement au pouvoir. Puis, après l'issue des négociations, il rappelle en quelques mots la victoire de Gélon à Himère, et en particulier la disparition d'Amilcar pendant la bataille. Ces développements accessoires ne nous intéressent ici que dans la mesure où ils concernent les guerres médiques. Nous ne rechercherons donc pas où Hérodote a puisé ce 'qu'il rapporte de l'histoire de Sicile, avant l'année 481 ; et nous ne discuterons pas la valeur de la tradition phénicienne sur la mort d'Amilcar, non plus que l'erreur commise par l'historien grec au sujet du culte de ce héros à Carthage et dans les colonies carthaginoises[26]. Mais deux questions méritent de nous arrêter : 1° quelle a été vraiment la cause de l'abstention de Gélon dans la guerre médique ? 2° l'attaque des Carthaginois contre la Sicile a-t-elle été combinée par Xerxès en vue d'une action simultanée à l'est et à l'ouest du monde grec ?

Suivant une tradition qu'Hérodote parait avoir recueillie en Grèce, puisqu'il l'oppose à la version sicilienne, la cause de la rupture des négociations aurait été tout entière dans le refus de Gélon d'accepter les ordres de Lacédémone ou d'Athènes, et dans le refus d'Athènes et de Lacédémone de se soumettre aux ordres de Gélon. La tradition sicilienne, au contraire, voulait que les négociations eussent porté, en effet, sur cette question d'étiquette, mais que, malgré tout, Gélon, l'année suivante, eût été disposé à secourir ses compatriotes de la Grèce propre : l'attaque seule des Carthaginois et de leurs alliés l'en aurait empêché. Ainsi présentés, ces deux récits ne semblent pas difficiles à concilier : ils sont d'accord sur ce point, que les négociations échouèrent par suite des prétentions réciproques de Gélon et des Grecs, et aussi sur cet autre, que Gélon ne vint pas au secours de la Grèce. Le doute subsiste seulement sur la question de savoir si, dans l'été de 480, Gélon se disposa effectivement à venir en aide aux Grecs, et n'en fut empêché que par un événement inattendu, ou s'il se contenta d'envoyer à Delphes un ambassadeur, prêt, en cas de besoin, à faire sa soumission au Grand Roi. Dans un cas comme dans l'autre, le résultat fut le même, et on peut croire que les Grecs ne se firent pas faute d'accuser Gélon d'indifférence à leur égard.

Mais on a cru découvrir, dans l'exposé d'Hérodote, l'indice d'une altération plus grave de la vérité : Gélon fait allusion dans son discours à une circonstance où les Grecs, invités à lui porter secours contre les Barbares, n'avaient pas répondu à son appel (VII, 158). Cette circonstance, dit-on, ne peut être que la campagne d'Himère elle-même ; car aucune autre guerre entre Syracuse et Carthage n'avait eu lieu auparavant. Serait-il donc vrai que, dès l'époque des négociations (hiver 481-480), la lutte avec les Carthaginois fût achevée et Gélon vainqueur ? Non certes, il n'en était pas ainsi, et il est impossible de reporter au début de l'année 481 une bataille qui, selon le témoignage formel d'Aristote[27], a été livrée dans le même temps que Salamine. C'est donc la tradition grecque, suivie par Hérodote, qui a modifié ici l'ordre véritable des faits, de manière à aggraver la responsabilité de Gélon dans cette affaire[28].

Ce soupçon ne nous parait pas fondé : si l'on prête à la tradition une tendance à laisser entendre, contrairement à la vérité, que, dès l'année 481, par sa victoire d'Himère, Gélon n'avait plus rien à craindre du côté de Carthage, comment expliquer que cette idée se présente dans Hérodote sous la forme d'un reproche adressé aux Grecs ? Une tradition partiale aurait, ce semble, rappelé ce souvenir bien plutôt dans le discours du délégué spartiate, et sous une tout autre forme, comme une raison de plus pour que Gélon, délivré de ses ennemis, vint en aide à la Grèce. Au lieu de cela, le refus antérieur des Grecs fournit à Gélon un prétexte excellent pour leur refuser son alliance, et, s'il n'en profite pas, c'est par pure magnanimité. Comment voir dans un tel récit l'influence d'une tradition grecque ? D'ailleurs, le point de départ de ce raisonnement est peu solide : nous ne connaissons pas si bien l'histoire de Gélon, qu'il nous soit permis d'affirmer qu'aucune attaque des Carthaginois n'avait menacé la Sicile pendant les années qui précèdent la bataille d'Himère.

Cette hypothèse écartée, il nous semble que l'échec des négociations peut être attribué, comme l'indique Hérodote, à la hauteur insolente de Gélon et à la fierté des Grecs. Sans doute les républiques de la Grèce durent se vanter plus tard d'avoir refusé de marcher au combat sous la conduite d'un tyran de Sicile ; il y avait là un beau thème à développements oratoires. Mais il ne parait pas qu'Hérodote ait donné dans cet excès. L'historien fait parler les Grecs avec dignité ; mais il prête à Gélon un langage tout aussi digne, et en outre plein de bon sens et d'esprit. Étrangers, leur dit-il avec finesse en les congédiant, je vois bien parmi vous beaucoup de généraux, mais de soldats point (VII, 162). Dans tout ce dialogue, Hérodote, tout en revendiquant pour Athènes et pour Sparte le droit de commander en Grèce donne à Gélon lui-même le rôle d'un personnage spirituel, un peu moqueur, et que ne troublent pas autrement les souvenirs héroïques dont se targuent les Athéniens.

Loin de dénigrer Gélon, Hérodote lui ferait même le plus grand honneur, si, comme on l'a cru, il avait mis dans la bouche du tyran un mot célèbre de Périclès. Emprunter à l'illustre orateur athénien l'image heureuse par laquelle il avait désigné les guerriers morts pour la patrie[29], et appliquer cette image à la brillante armée que le tyran de Syracuse aurait pu conduire en Grèce (VII, 162), c'eût été assurément rehausser l'effet du discours de Gélon[30] ; mais, pour cette raison même, n'est-il pas difficile que l'historien ait fait allusion à un souvenir aussi récent et aussi athénien ? C'eût été, il nous semble, blesser en quelque sorte les oreilles athéniennes que de détourner à ce point de son sens un mot historique. Nous croyons plutôt qu'une formule analogue, empruntée à quelque poète, avait cours en Grèce comme une sorte de proverbe ; l'historien la reproduisit telle que Gélon l'avait employée, ou telle du moins que la tradition la lui attribuait ; mais ce fut Périclès qui en fit l'application la plus heureuse, et c'est à lui que désormais elle appartient tout entière.

Après la retraite de l'ambassade grecque, que fit Gélon ? Les mesures qu'il prit, au témoignage d'Hérodote (VII, 163), pour se ménager au besoin la bienveillance du Grand Roi, s'expliquent sans peine, si l'on pense qu'à ce moment la menace des Carthaginois devenait plus pressante. En réalité, Gélon n'avait jamais eu la résolution bien ferme de secourir la Grèce, mais du moins eut-il à la fin une bonne raison pour s'en abstenir[31].

Arrivons à la seconde question que nous avons posée : la campagne des Carthaginois a-t-elle été concertée avec Xerxès, en vue d'écraser la Grèce à la fois à l'est et à l'ouest ?

Hérodote ne soupçonne pas un tel complot : ni lui-même, en signalant la prétendue coïncidence d'Himère et de Salamine (VII, 166), ne rapproche ces deux batailles comme une double défaite des barbares, ni aucun des discours que prononcent Gélon et les délégués grecs ne contient la moindre allusion à cette double menace d'invasion. On peut en conclure que ni la tradition sicilienne ni la tradition grecque du Ve siècle n'avait connaissance d'une entente intervenue entre les barbares de l'ouest et ceux de l'est.

Ce n'est pas le témoignage de Diodore qui suffirait à établir une opinion contraire[32]. Un traité en règle, destiné à garantir l'action commune des deux peuples contre la Grèce, n'offre aucune vraisemblance, surtout si l'on songe aux ingénieuses combinaisons, imaginées sans doute par les historiens de Sicile et rapportées par Diodore, suivant lesquelles, quoique absente à Salamine, la flotte de Gélon aurait encore puissamment contribué à la victoire des Grecs : en effet, la victoire d'Himère ayant, dit-on, coïncidé avec la bataille des Thermopyles, la nouvelle en vint aux Grecs avant leur bataille navale, et la joie qu'ils en ressentirent fut pour eux la meilleure alliée[33]. Mais un fragment d'Éphore, conservé par le scoliaste de Pindare[34], a paru contenir l'indication d'un fait assez différent de celui dont parle Diodore, et plus vraisemblable. D'après ce texte, des envoyés perses et phéniciens seraient venus à Carthage de la part de Xerxès, pour ordonner l'armement d'une grande flotte. Il s'agissait donc ici, non pas d'un traité, mais d'un ordre, analogue à ceux que Xerxès envoya dans toutes les parties de son empire avant d'entreprendre sa campagne contre la Grèce. A cette manière de voir, acceptée cependant par le savant auteur d'une histoire de Carthage, M. Meltzer[35], nous voyons une objection grave : c'est que Carthage n'était nullement comprise dans l'empire de Xerxès, et M. Busolt, qui admet cette hypothèse[36], ne cite aucun texte permettant de penser que Carthage eût pu se soumettre à une injonction pareille du Grand Roi. D'ailleurs le fragment d'Éphore ajoute que Xerxès prescrivait en même temps aux Carthaginois de marcher sur la Sicile et de là sur le Péloponnèse. L'historien du ive siècle croyait donc à un vaste plan d'attaque combiné par Xerxès, et sur ce point il n'a pas plus d'autorité que Diodore. On conçoit difficilement que les Grecs du Ve siècle aient tout à fait ignoré cette immense coalition formée contre eux, ou que, l'ayant connue, ils ne l'aient pas célébrée plus qu'ils n'ont fait. Que des poètes comme Pindare aient établi dès le principe un rapprochement entre ces deux attaques simultanées, c'est tout naturel[37], et le fait même qu'on attribua les deux batailles au même jour prouve que de bonne heure on vit le lien qui les unissait. Mais Hérodote n'aurait pas négligé de signaler l'entente de la Perse et de Carthage, si elle lui avait paru tant soit peu vraisemblable.

Tel est aussi l'avis d'Aristote. Voulant citer un exemple d'une coïncidence fortuite de deux faits qui n'ont d'ailleurs entre eux aucun lien logique, il cite les batailles d'Himère et de Salamine, livrées dans le même temps, mais sans aucun but commun[38].

On n'est donc pas autorisé à étendre jusque dans les eaux de la Méditerranée occidentale ce que nous appelons proprement la guerre médique.

 

§ IV. — L'expédition des Grecs à Tempé. - L'armée et la flotte perses de Thermé aux Thermopyles et à Artémision.

Avec le printemps de l'année 480 commencent de part et d'autre les opérations militaires. Nous avons suivi déjà la marche de Xerxès jusqu'à Thermé. Dans l'intervalle, et pendant que le Roi était encore à Abydos (il y resta un mois d'après Hérodote, VIII, 51), avait eu lieu du côté des Grecs une première tentative de défense dans la vallée de Tempé, aux portes de la Thessalie, c'est-à-dire de la Grèce elle-même.

Une ambassade des Thessaliens, venue tout exprès à l'Isthme, décida, dit-on, les confédérés à entreprendre cette première campagne (VII, 172). L'idée d'une telle tentative avait dû être cependant agitée déjà dans le conseil des πρόβουλοι, ou du moins dans celui qui se substitua dès lors au premier, le conseil des généraux. Mais sans doute les plus timides d'entre les alliés reculaient devant une expédition aussi lointaine. Les offres faites par les Thessaliens vinrent fortifier les résolutions, et l'opinion des plus hardis l'emporta. Il s'agissait de profiler des dispositions favorables d'un peuple qui pouvait fournir une excellente cavalerie. Si les Thessaliens persistaient dans leur bonne volonté, malgré l'empressement des Aleuades à seconder les projets de Xerxès, il y avait lieu d'espérer que les nations voisines, jusque-là fort hésitantes, prendraient parti pour les défenseurs de la cause grecque. Evænetos, l'un des polémarques de Sparte, fut placé à la tête de l'expédition, qui se composa de 10.000 hoplites ; Thémistocle commandait le contingent d'Athènes (VII, 173).

Faut-il dans ce chiffre de 10.000 hommes comprendre d'autres troupes que celles qui s'étaient réunies à l'Isthme sur l'invitation de Sparte et d'Athènes ? En d'autres termes, les Grecs, en allant se poste à l'entrée de la vallée de Tempé, reçurent-ils, outre les contingents thessaliens, d'autres secours de la Grèce centrale ? Plutarque prétend. que Thèbes envoya 500 hommes[39] ; mais ce témoignage, emprunté sans doute à la chronique intéressée d'Aristophane le Béotien, ne repose pas sur une autorité suffisante, et le fait n'offre guère en lui-même de vraisemblance. En effet, si les Grecs confédérés avaient pu compter sur l'alliance des Béotiens et des autres peuples de la Grèce centrale, il eût été beaucoup plus simple pour l'armée de passer directement de l'Isthme en Mégaride, et de là en Béotie, pour gagner le nord de la Grèce. Au lieu de cela, on dut embarquer les 10.000 hoplites sur la flotte et les transporter jusqu'au port d'Halos en Achaïe, pour traverser ensuite la Thessalie et se rendre à l'embouchure du Pénée. Quelle eût été la raison de ce détour, sinon l'inquiétude qu'inspirait l'attitude de la Béotie et des peuples voisins ? Plutôt que de s'exposer à des mécomptes, on laissa de côté les timides et les hésitants, et fort de l'appui des Thessaliens, on se disposa bravement à fermer à Xerxès l'entrée même de la Grèce.

Comment ce beau feu fut-il si vite éteint ? Après quelques jours d'attente à Tempé, les Grecs battaient en retraite, regagnaient la flotte à Halos, et cinglaient de nouveau vers l'Isthme.

Hérodote entendit raconter que la cause de cette retraite précipitée avait été un message venu de Macédoine ; le roi Alexandre prévenait les alliés que l'armée perse était innombrable, et qu'elle ne manquerait pas de les écraser s'ils restaient dans le défilé (VII, 173). Nul doute que cette tradition ne vienne des rois de Macédoine eux-mêmes, toujours empressés à se vanter des services qu'ils avaient rendus à la Grèce. Mais l'historien ne s'en tient pas à cette explication : selon lui, la position ne sembla pas sûre aux Grecs, du jour où ils apprirent que l'armée ennemie, au lieu de suivre la côte de Piérie pour entrer en Thessalie par la passe de Tempé, pouvait prendre par en haut, à travers la montagne, une autre route, et tourner ainsi le défilé.

Les données géographiques d'Hérodote sur ce point ont paru à quelques savants incomplètes ou inexactes. Stein, en particulier, déclare que l'historien ne s'est pas bien rendu compte des localités dont il parle : au lieu d'un chemin que pouvait prendre l'armée perse pour tourner le défilé de Tempé, il y en avait trois, et, de ces trois, le seul qu'il fût facile aux Grecs de fermer est précisément celui qu'ils renoncèrent tout d'abord à défendre[40]. Faut-il attribuer à Hérodote une telle erreur ?

On ne peut guère lui reprocher, d'abord, de n'avoir pas précisé le mieux. possible le chemin suivi par Xerxès pour entrer en Thessalie. Au chapitre 128, il explique pourquoi Xerxès voulut aller par mer de Thermé à l'embouchure du Pénée, et voir l'étroit défilé où passe le fleuve : c'est que lui-même et son armée devaient prendre la route d'en haut, par le pays des Macédoniens qui habitent au-dessus, pour atteindre de là le pays des Perrhèbes, aux environs de la ville de Gonnos. Puis, au chapitre 173, Hérodote parle de la route qui donne accès en Thessalie par la Macédoine supérieure, en passant par le pays des Perrhèbes, et qui aboutit à la ville de Gonnos. Stein trouve une contradiction entre ces mots deux fois répétés, près de la ville de Gonnos, et cette autre désignation ή άνω όδός, ή άνω Μακεδονίη. Hérodote s'est exprimé, dit-il, en termes justes, quand il a parlé de la haute Macédoine, parce que ces mots doivent s'entendre du défilé de Volustana, à travers les Monts Cambuniens, bien à l'ouest de l'Olympe ; mais il s'est trompé en disant que ce chemin aboutissait à Gonnos, ville située juste à l'entrée du défilé de Tempé du côté de l'ouest. En réalité, continue le même critique, la tradition fournissait à Hérodote l'indication exacte du passage suivi par Xerxès à l'ouest de l'Olympe ; Hérodote a interprété cette tradition comme s'il s'agissait du chemin qui, partant de Piérie, près d'Héracléion, traverse les contreforts du bas Olympe, et passe près du lac Asturis et de la ville de Lapathonte.

Cette explication repose sur l'hypothèse très contestable, que les mots ή άνω όδός et ή άνω Μακεδονίη ne peuvent désigner qu'une partie de la Macédoine fort éloignée de la vallée de Tempé. Mais, à ce compte, les deux passes de Pétra et de Volustana ne sont pas, elles non plus, situées à proprement parler dans la haute Macédoine : quand Hérodote parle ailleurs des ancêtres de la dynastie macédonienne venus d'Illyrie dans la haute Macédoine (VIII, 137), ces mots désignent une contrée beaucoup plus reculée que les défilés mêmes du haut Haliacmon. Il nous semble plutôt que l'expression ή άνω όδός a une valeur toute relative, et qu'il en est de même des mots Μακεδόνες οί κατύπερθε οίκημένοι et ή άνω Μακεδονίη. Il s'agit là seulement d'opposer la route basse qui contourne l'Olympe, en côtoyant le rivage de la mer, à une route haute qui coupait le bas Olympe et venait aboutir à Gonnos.

Stein soutient que ce sentier, mentionné par Tite-Live dans le récit des guerres de Macédoine[41], était difficile, impraticable même pour une troupe nombreuse, et qu'Hérodote n'a pas pu dire de ce chemin : ταύτη γάρ άσφαλέστατον έπυνθάνετο εΐναι (VII, 198). Mais nous répondons à Stein que c'est précisément en vue d'ouvrir cette route et de la rendre praticable que Xerxès demeura longtemps en Piérie et y fit travailler un tiers de son armée (VII, 131). Il y avait là des bois qu'il fallait couper, des ravins qu'il fallait combler ; mais, grâce à ce travail de nivellement, on débouchait directement dans la plaine de Thessalie, sans avoir fait de détour, et sans s'être éloigné de la mer, c'est-à-dire de la flotte.

Stein ajoute que cette ligne pouvait être facilement fermée aux Perses avec peu d'hommes, tandis que les autres défilés auraient dû être défendus par des corps de troupes plus considérables. Il ne nous appartient pas de décider si les 10.000 Grecs pouvaient en effet résister sur deux points différents à l'armée envahissante de Xerxès ; nous savons seulement qu'ils ne crurent pas pouvoir le faire, et le chemin de traverse du bas Olympe suffisait amplement à les effrayer.

Toute cette discussion repose d'ailleurs, de la part de l'éditeur d'Hérodote Stein et des historiens qui partagent son opinion, sur cette idée préconçue, que Xerxès a dû conduire son armée de la manière la plus sûre, la plus intelligente, la plus conforme aux habitudes stratégiques, je ne dis pas des peuples modernes, mais même des Romains et des Grecs. De ce que le passage de Macédoine en Thessalie peut se faire à l'ouest de l'Olympe par plusieurs défilés, il ne s'ensuit pas, selon nous, que Xerxès se soit à ce point éloigné de la côte : campée en Piérie, l'armée perse n'envahit pas la Thessalie comme ferait une armée moderne ; elle n'a d'autre but que de la traverser pour gagner la Grèce centrale ; dès lors, il n'y a qu'un obstacle à sa marche, c'est l'Olympe ; mais Xerxès n'est pas homme à s'arrêter pour si peu. Le roi qui a percé l'Athos et joint les deux rives de l'Hellespont se fraie une route à travers les bois et les ravins de l'Olympe, il la veut large et sûre, pour que toute son armée y passe. Or, quand Hérodote s'exprime ainsi, il ne parle pas au hasard ; il sait qu'à travers la Thrace l'armée a marché sur trois colonnes ; ici, au contraire, une des trois divisions de l'armée travaille seule à défricher la montagne, mais elle prépare les voies de l'armée entière. Cette précision chez Hérodote nous parait digne de remarque, et, quant à la conduite de Xerxès, sans être d'un excellent tacticien, elle est après tout assez naturelle. Xerxès sait que la Thessalie n'est pas occupée par les Grecs, que c'est une terre amie : pourquoi s'engager à l'ouest dans des chemins qui sont eux-mêmes fort difficiles ? Le Roi veut garder avec lui toutes ses troupes : il reste en Piérie jusqu'à ce que la route soit faite, plutôt que de contourner des montagnes qu'il ne connaît pas.

Nous acceptons donc le témoignage d'Hérodote en ce qui concerne le passage des Perses de Macédoine en Thessalie ; mais la perspective même de se voir enfermés dans la vallée de Tempé suffit-elle à expliquer la retraite des Grecs ? Il est permis de croire que dès ce moment les alliés péloponnésiens montraient peu d'empressement à se maintenir si loin de leur propre territoire. Diodore ajoute que la défection d'une partie des peuples de la Grèce centrale se produisit dans le temps même où le corps expéditionnaire était encore à Tempé[42]. Si l'autorité de ce témoignage est douteuse, le fait en lui-même n'a rien que de vraisemblable : du moins bien des symptômes de défection durent-ils se faire sentir dès lors, puisque, bientôt après, la débandade fut complète.

A vrai dire, les Grecs n'avaient jamais eu grande confiance dans le patriotisme de toutes les peuplades qui firent alors acte de soumission au Grand Roi. Mais l'échec pitoyable de l'expédition de Tempé dut hâter encore cette défection. Ce fut un moment critique dans les destinées de la Grèce, que celui où le premier effort tenté par l'armée fédérale échoua ainsi misérablement. Ce n'était pas une simple retraite qu'opérait l'armée grecque ; on ne se repliait pas en bon ordre pour chercher une position meilleure, aux Thermopyles, par exemple : on faisait voile pour l'Isthme, ce qui suppose chez la majorité des chefs l'intention de se borner désormais à la défense du Péloponnèse. On abandonnait une bonne partie de la Grèce, on ouvrait la route aux Perses jusqu'en Attique. Ainsi justifiait-on en quelque sorte le médisme des villes qui, dès le premier jour, favorables à la domination étrangère, auraient pu être gagnées par plus de persévérance et de courage. Thèbes nous paraît avoir été de ce nombre, et nous pensons qu'Hérodote n'a pas eu tort de la comprendre au nombre des villes qui envoyèrent alors la terre et l'eau à Xerxès (VII, 432). C'est aussi le temps où nous plaçons les sombres avertissements de Delphes, les oracles si menaçants qui semblaient ne laisser d'autre ressource aux Athéniens que la fuite. Heureusement, Thémistocle fut là pour empêcher le découragement de pénétrer dans les âmes. C'est lui sans doute qui, après avoir décidé ses compatriotes à poursuivre la lutte, entraîna aussi les alliés dans de nouvelles entreprises. Nous supposons qu'il fut pour une bonne part dans les résolutions prises à l'Isthme contre les villes infidèles, et aussi dans le nouveau plan de campagne qui attribua à Athènes et aux villes maritimes la défense de la mer, à Sparte et aux alliés du Péloponnèse la défense des Thermopyles.

A cette manière de présenter les faits on peut objecter que le récit d'Hérodote fait succéder rapidement et sans interruption la campagne des Thermopyles à celle de Tempé : à peine revenus à l'Isthme, les Grecs délibèrent sur la nouvelle ligne à défendre, et la majorité se prononce pour l'envoi de la flotte à Artémision, de l'armée de terre aux Thermopyles (VII, 175-177). Selon nous, cette résolution ne dut être prise qu'assez longtemps après le retour de Tempé. Hérodote a rapproché ces faits, parce qu'il avait déjà parlé ailleurs des oracles de Delphes, des débats qui avaient eu lieu alors à Athènes, et de la défection des villes de la Grèce centrale. Mais, si on s'en rapporte aux calculs chronologiques fondés sur le texte même d'Hérodote, on arrive aux observations suivantes : le départ de Léonidas pour les Thermopyles se place seulement dans les premiers jours du mois d'août 480, un peu avant les fêtes Carnéennes ; d'un autre côté, Xerxès, parti de Sardes au printemps (fin de mars ou commencement d'avril), était arrivé à Abydos au plus tard vers la fin d'avril ; il y resta un mois, et c'est pendant ce temps que fut conduite la campagne malheureuse des Grecs à Tempé. Donc, entre le retour de cette expédition et le départ de Léonidas, il s'écoula environ deux mois[43]. Que firent les Grecs pendant cet intervalle de temps ? Hérodote ne le dit pas ; mais nous pouvons penser que ces mois de répit furent employés par le parti belliqueux d'Athènes à soutenir et à ranimer le courage des alliés. C'est alors que les Athéniens se décidèrent à monter sur leur flotte, les Spartiates à défendre les Thermopyles. Bien des villes avaient pu faire acte de soumission aux Perses, qu'une nouvelle tentative ramènerait à la cause nationale. Mais pour cela, ce n'était pas Athènes, la vieille ennemie de Thèbes, c'était Sparte seule qui pouvait agir sur les Béotiens, les Locriens et les autres peuples de la Grèce centrale. Pour produire plus d'effet, il fallait même qu'un roi spartiate partit en personne.

Ainsi se produisit dans les dispositions des généraux à l'Isthme une sorte de retour offensif : envers et contre tous, Athènes ne désespérait pas. C'est alors, suivant la remarque équitable d'Hérodote, qu'elle a eu le rare mérite de tenir ferme pour la guerre maritime ; c'est par cette initiative hardie sur mer qu'elle a vraiment sauvé la Grèce (VII, 139).

Pendant que, sous l'impulsion d'Athènes, les Grecs reprenaient courage, Xerxès arrivait à Thermé, et séjournait longtemps en Piérie. Il s'y trouvait encore lorsque l'armée grecque se mit en marche pour les Thermopyles, au commencement du mois d'août. Peu après, lui-même, à la tête de ses troupes de terre, passait l'Olympe et traversait la Thessalie, puis l'Achaïe, pour se poster dans le pays des Maliens, en . face de la position occupée par les Grecs (VII, 196-198). En même temps sa flotte s'avançait vers l'extrémité de la péninsule de Magnésie, qui fait face à la rade d'Artémision, où la flotte grecque avait jeté l'ancre (VII, 179-183).

La marche de l'armée perse à travers la Thessalie et l'Achaïe ne parait pas avoir laissé dans la tradition grecque de nombreux souvenirs. Hérodote signale seulement le dessèchement des fleuves, à l'exception de l'Onochonos, et le concours institué par Xerxès entre la cavalerie perse et la cavalerie thessalienne : il avoue d'ailleurs sans difficulté la supériorité de la cavalerie perse (VII, 196). Plutarque n'a pas relevé ce trait parmi ceux qui, selon lui, trahissent chez Hérodote le φιλοβάρβαρος. A vrai dire, l'historien ne songe pas tant à louer les barbares qu'à constater une vérité qui fait en somme honneur aux troupes grecques, puisque, bientôt après, elles seront victorieuses sans cavalerie d'une cavalerie aussi puissante.

Les anecdotes abondent, au contraire, dans le récit du passage de la flotte perse de Thermé au mouillage des Aphètes, à l'extrémité de la péninsule de Magnésie. L'historien est ici admirablement informé, même sur des détails de la plus légère importance : si l'on songe que les Athéniens jouent le premier rôle dans la flotte grecque d'Artémision, on ne saurait douter que la tradition athénienne n'ait fourni à Hérodote la plupart de ces renseignements précis.

Avant de faire avancer tous -leurs vaisseaux, les amiraux perses en détachent 10 des meilleurs, avec ordre de reconnaître la route jusqu'à Sciathos. Cette petite escadre rencontre à quelque distance de l'embouchure du Pénée une avant-garde de la flotte grecque, trois vaisseaux de Trézène, d'Égine et d'Athènes. Tous trois tombent entre les mains des barbares ; seul l'équipage du vaisseau athénien parvient à s'échapper, et à regagner Athènes par terre (VII, 177-182). Hérodote connaît et cite le nom des trois triérarques, ainsi que celui de deux combattants, Léon de Trézène et Pythès d'Égine, devenus célèbres l'un et l'autre : Léon est immolé par les Perses sur la proue de son vaisseau, comme le premier et le plus beau des prisonniers tombés en leur pouvoir ; Pythès, entièrement haché en morceaux avant de se rendre, fait l'admiration des barbares, qui le soignent et le sauvent ; il demeure jusqu'à la bataille de Salamine sur le navire sidonien qui l'a pris, et il est enfin délivré par Polycritos d'Égine (VIII, 92). Le souvenir de Léon avait peut-être été consacré à Trézène par un tombeau et une épitaphe[44].

La route une fois libre, un détachement de trois vaisseaux perses s'avance jusqu'à l'écueil, appelé Myrmex, qui se trouve entre Sciathos et la côte de Magnésie ; ils y laissent une colonne de marbre, pour en bien marquer l'emplacement, et se retirent, pendant que, de son côté, la flotte grecque d'Artémision, prise d'une sorte de panique à l'approche de l'ennemi, quitte sa position au nord de l'Eubée, et se réfugie à Chalcis, laissant ouverte l'entrée de l'Euripe. Mais à ce moment un secours du ciel vient rendre aux Grecs tout leur courage : une tempête violente, soufflant du nord-est, surprend la flotte perse, mouillée sur la côte rocheuse du Mont Pélion, entre le cap Sépias et la ville de Casthanæa. Une partie seulement des vaisseaux trouve un abri sur le rivage ; le reste est jeté sur les rochers. et détruit. Plus de 400 navires disparaissent dans le naufrage, avec une quantité immense d'hommes et d'objets précieux. Pendant trois jours le vent souffle, et les généraux perses, réfugiés sur la plage, enferment ce qui subsiste de la flotte dans une enceinte formée des débris de leurs vaisseaux. Enfin le vent cesse ; mais déjà les Grecs, avertis du désastre, ont repris position à Artémision — la tempête ne les avait pas atteints, protégés qu'ils étaient à Chalcis contre le vent du nord-est —, et ils ont le bonheur de surprendre au passage 15 vaisseaux ennemis, qui se disposaient à rejoindre le gros de la flotte aux Aphètes (VII, 188-195).

L'exactitude de tout ce récit parait incontestable ; aucun trait n'y trahit un arrangement destiné à flatter l'amour-propre des Grecs : reine, la manière dont l'historien raconte la fuite de la flotte fédérale ressemble bien à un aveu. D'autre part, des noms propres comme ceux de Sandocès de Cumes, Aridolis d'Alabanda, Penthylos de Paphos, témoignent de la précision des renseignements recueillis par Hérodote. On peut se demander seulement si le chiffré de 400 pour les vaisseaux détruits dans le naufrage du Pélion n'est pas excessif, s'il ne repose pas sur une simple approximation des Grecs. Nous n'avons aucune manière de le vérifier ; mais la grandeur du désastre semble, de toutes manières, considérable ; sans parler de l'effet produit sur les Grecs, qui fut énorme, on voit par un exemple quelles avaient été les pertes de certaines parties de la flotte : le tyran de Paphos, Penthylos, qui commandait 12 vaisseaux, n'en avait plus qu'un après la tempête (VII, 195).

 Une catastrophe si nuisible aux Perses, si favorable aux Grecs, produisit sur les deux partis, au début des hostilités, une impression profonde. Après la bataille des Thermopyles, l'un des commandants de la flotte perse, Achæménès, déclara à Xerxès, que, après un pareil naufrage, il fallait ménager les vaisseaux disponibles, plutôt que de détacher encore une escadre, suivant le conseil de Démarate, pour opérer une diversion sur la côte du Péloponnèse (VII, 236)[45]. Quant aux Grecs, cet événement fut pour eux la manifestation la plus éclatante de la protection divine, et tout d'abord ils en remercièrent Poséidon, Borée, les Vents. A partir de ce jour, dit Hérodote, Poséidon fut invoqué par les Grecs sous le nom de Σωτήρ (VII, 193). Mais c'est surtout chez les Athéniens que la reconnaissance envers Borée se répandit en actions de grâces : on lui éleva un autel auprès de l'Ilissus (VII, 189), on féta par des cérémonies solennelles l'anniversaire de la tempête propice qu'il avait soulevée. Cependant il ne suffisait pas aux Athéniens que le dieu eût de lui-même rendu cet éclatant service à la cause grecque ; il fallait encore, pour montrer la puissance d'Athènes sur ses dieux, et pour faire valoir son rôle dans les destinées de la Grèce, que Borée, dans cette circonstance, eût répondu à leurs prières. C'est Athènes qui avait eu l'idée d'appeler Borée à son secours : dès les premiers signes de la tempête, les soldats de la flotte athénienne, postés à Chalcis, avaient prié Borée d'exterminer les Perses. Bien plus, ils l'avaient invoqué avant la tempête, et c'est à leur prière que le dieu avait aussitôt accordé cette faveur. En agissant ainsi, ils ne faisaient d'ailleurs qu'obéir à un oracle qui leur avait prescrit d'implorer leur gendre, Borée, époux d'Orithye, fille d'Érechthée (VII, 189). Dans le même temps, Delphes faisait savoir à tous ceux des Grecs qui voulaient rester libres qu'ils eussent à implorer les Vents : les Vents devaient être pour la Grèce les meilleurs alliés (VII, 178). C'est la formule que le dieu avait fait entendre aux Delphiens inquiets, et ceux-ci, en la répandant dans toute la Grèce, s'étaient acquis auprès de tous une reconnaissance éternelle. On a pensé avec vraisemblance que l'historien, en citant ces mots qui forment un vers hexamètre, s'était souvenu d'un monument commémoratif élevé à Delphes. En outre, les Delphiens passaient pour avoir élevé alors un autel aux Vents dans la partie de leur territoire appelée Thyia.

Tout ce déploiement d'actions de grâces et de cérémonies religieuses témoigne de l'importance que prit, aussitôt après la guerre, dans l'imagination grecque, le désastre du Pélion. Il y eut certainement alors, non pas, à proprement parler, l'institution de nouveaux cultes car la légende de Borée était ancienne à Athènes, et, à Delphes, le nom même de Thyia parait bien se rapporter à un vieux culte des vents qui soufflent dans les gorges de Delphes —, mais une restauration d'anciens cultes, à l'occasion d'une circonstance où les vents avaient merveilleusement servi la Grèce, moins peut-être en détruisant les vaisseaux ennemis qu'en inspirant aux Grecs une confiance invincible dans la protection de leurs dieux.

 

§ V . — La bataille des Thermopyles.

Avant d'aborder les questions de détail que soulève le récit de la bataille chez Hérodote, nous devons, pour répondre à de récentes critiques, nous demander si la défense des Thermopyles, telle que l'historien la raconte, était un acte raisonnable, qui offrit la moindre chance de succès. L'intérêt qui s'attache à l'exploit héroïque de Léonidas varie beaucoup suivant que l'on suppose le salut de la Grèce engagé vraiment dans cette affaire, ou que l'on considère la partie comme fatalement perdue d'avance.

M. H. Delbrück a récemment soutenu la seconde de ces deux hypothèses : la bataille des Thermopyles lui parait n'avoir eu aucune importance, aucune valeur stratégique[46]. L'effet moral produit par la mort de Léonidas et de ses compagnons a pu être considérable en Grèce ; mais le fait même de la défense du défilé ne pouvait avoir Mienne conséquence sérieuse ; la Grèce était envahie forcément. Que l'armée grecque fût petite ou grande, que les alliés de Sparte fussent Plus ou moins décidés à lutter jusqu'au bout, peu importait ! Car, dit M. Delbrück, jamais une chaîne de montagnes, fût-ce l'Œta, n'a servi utilement de ligne de défense : il y a toujours des cols, que l'ennemi parvient à franchir. Le seul moyen d'arrêter une invasion au passage d'une montagne, c'est de poster des troupes au débouché de tous les cols, et d'attaquer l'envahisseur au moment où ses colonnes sont encore incapables d'une résistance durable. Mais les Grecs ne se préoccupèrent en 480 que de fermer le défilé des Thermopyles et d'y attendre l'ennemi. Nul doute qu'ils ne dussent être, un peu plus tôt ou un peu plus tard, cernés et écrasés.

Ce raisonnement, qui s'appuie sur des considérations générales empruntées à l'histoire de la tactique militaire, semble ici au premier abord d'autant mieux justifié, que, selon Hérodote lui-même, les Perses, vainqueurs aux Thermopyles, pénétrèrent en Grèce par la Doride, c'est-à-dire en passant par une autre route que celle des Thermopyles (VIII, 31). N'est-ce pas la preuve manifeste que le combat livré par Léonidas était inutile ?

Tel n'est pas cependant notre avis : les Thermopyles nous paraissent avoir été, comme on l'a toujours cru, la clef de la Grèce. Arrêté devant le défilé, Xerxès pouvait faire pénétrer peut-être en Phocide et en Béotie quelques milliers d'hommes ; mais l'invasion proprement dite était repoussée.

Il faut en effet se garder de compter avec M. Delbrück quatre passages possibles pour Xerxès à travers les montagnes qui séparent la vallée du Sperchios de la Doride et de la Phocide. Celui que M. Delbrück signale le plus à l'ouest, le long du Mont Corax, fut suivi, il est vrai, par le consul M'. Acilius Glabrio en l'année 191, au témoignage de Tite-Live[47] ; mais ce n'est pas à proprement parler un chemin ; l'armée romaine, au prix de fatigues extrêmes et de pertes sérieuses, parvint à traverser une série de contreforts et de ravins ; mais il n'y avait pas là de col, de route, pas plus qu'il n'y en a encore aujourd'hui en cet endroit[48]. D'autre part, le sentier Anopæa, par où Éphialte, dit-on, conduisit les Perses, et qui servit aussi aux Gaulois, n'ouvre pas, en réalité, sur la Grèce une route différente de celle dont les Thermopyles occupent l'entrée : ce n'est pas un col qui permette de passer du versant septentrional du Mont Callidromos sur le versant méridional. C'est un chemin abrupt, qui, dominant le défilé des Thermopyles, permet de rejoindre la route de Phocide de l'autre côté de ce défilé. La défense des Thermopyles comporte en même temps la défense de ce sentier : il n'y a là, à vrai dire, qu'un passage, conduisant du pays des Maliens en Locride et en Phocide : que l'envahisseur suive le défilé d'en bas ou le traverse d'en haut, il doit toujours, pour entrer en Grèce, ou bien longer le bord de la mer, à travers la Locride, ou bien prendre tout de suite sur sa droite l'un des deux cols, celui de Tithronion ou celui d'Élatée, qui donnent accès dans la vallée du Céphise en Phocide.

Reste le chemin direct qui va de Trachis en Doride, par un col d'un abord relativement facile. C'est par là aujourd'hui que passe la route d'Amphissa à Lamia ; c'était autrefois la route sacrée de l'Olympe à Delphes[49] ; c'est aussi ce chemin, dit Hérodote, que prit l'armée de Xerxès après la victoire des Thermopyles (VIII, 31). Comment expliquer cet oubli singulier des Grecs ? Qu'ils aient ignoré l'existence du sentier Anopæa, cela se comprend, et surtout c'était une erreur réparable, puisqu'ils purent encore, avant l'attaque, poster les Phocidiens sur la montagne ; mais comment ne surent-ils pas, avant de se décider à défendre les Thermopyles, que la Phocide pouvait être envahie directement par la Doride ?

Nous ne répondrons pas à cette question par des hypothèses ni par des théories générales ; mais c'est un fait, que, de tout temps, bien avant l'invasion médique et bien longtemps après, le défilé des Thermopyles fut considéré comme la seule entrée qui donnât accès en Grèce. Il n'y a pas ici de raisonnement qui tienne : quand les Thessaliens, dans leurs luttes avec les Phocidiens, essayèrent à plusieurs reprises d'envahir le territoire de leurs ennemis, ils ne songèrent pas à une autre voie que celle des Thermopyles, et les Phocidiens ne songèrent pas non plus à leur barrer le passage d'un autre côté (VII, 176). C'est aux Thermopyles, entre les deux passes étroites que formait la mer avec la montagne, que les Phocidiens avaient construit un mur avec une porte ; c'est là qu'ils avaient multiplié leurs moyens de défense, utilisant même les sources chaudes qui s'échappent en cet endroit des rochers voisins. Il est vrai que les Maliens trouvèrent alors le sentier qui passe par-dessus le défilé, et qui permet de tourner la position (VII, 215). Mais ce sentier même était facile à fermer, et d'ailleurs, pour entrer par là en Phocide, il fallait encore passer par les cols du Mont Callidromos ou du Mont Cnémis. Combien n'aurait-il pas été plus aisé aux Thessaliens, si la route avait été libre, de traverser directement la Doride et de surprendre les Phocidiens au cœur même de leur territoire ! Ni les Thessaliens n'y pensèrent, ni les Maliens, bien disposés pourtant, ce semble, à les aider dans leurs attaques contre la Phocide.

On dira peut-être que la raison de ce détour était la nécessité de traverser le pays des Doriens, cette tétrapole sacrée, le berceau de la race dorienne. Mais nous n'entendons parler nulle part d'un privilège de ce genre, de cette espèce de neutralité qui aurait fait de la Doride un territoire inviolable. Admettons pourtant cette hypothèse. Est-ce que les Gaulois en 278 auraient été arrêtés par de tels scrupules ? Ils cherchaient assurément la route la plus rapide et la plus sûre ; or c'est dans les Thermopyles proprement dites qu'ils livrèrent leur première bataille[50] ; c'est là que leur chef porta d'abord tous ses efforts. Sept jours après seulement, il tenta de passer par le col qui s'ouvre au-dessus d'Héraclée (près de l'ancienne Trachis), et, ce col se trouvant occupé aussi par les Grecs, il dut aller gagner en Étolie une autre route pour atteindre Delphes.

Les Grecs, en 480, ne se trompaient donc pas en pensant que l'invasion médique passerait naturellement par les Thermopyles : c'était l'entrée véritable de la Grèce pour tous les peuples qui venaient de Thessalie ; c'était aussi la seule route praticable pour les voitures, la cavalerie et les bagages qui accompagnaient le Grand Roi. L'autre passage était un sentier étroit, dit Pausanias[51] ; on ne pouvait y engager qu'une colonne peu nombreuse, et que serait-elle devenue ensuite en Phocide, séparée du gros de l'armée ? Pour opérer un mouvement tournant, un sentier comme l'Anopæa était excellent, parce qu'il ne s'éloignait pas trop de la grande route : en quelques heures, le mouvement était achevé. Pour opérer par la Doride un détour du même genre, il fallait au minimum quatre fois plus de temps, avec des chances de succès beaucoup plus douteuses : de Doride, où les dispositions favorables des habitants assuraient le passage, it fallait, pour gagner le premier col qui permit de rejoindre les Thermopyles, entrer en Phocide, en pays ennemi ; savait-on ce qu'on deviendrait alors ? Ne trouverait-on pas aussi par là les chemins fermés ? C'était une expédition nouvelle à entreprendre. Xerxès, pour plusieurs raisons, n'était pas homme à procéder ainsi. D'une manière générale, depuis son entrée en Piérie, il parait avoir fait marcher son armée en une colonne compacte, le plus près possible de la mer et de la flotte ; d'autre part, rien ne permet de supposer qu'il ait eu un seul instant, avant la première attaque des Thermopyles, l'idée que les Grecs pussent résister au choc formidable de son armée. Cette disposition particulière de Xerxès ne saurait être mise en doute, si l'on tient compte de son caractère, et si l'on pense que jusqu'alors l'annonce seule de sa venue avait décidé les Grecs à évacuer le défilé de Tempé.

Ainsi Xerxès devait forcément passer aux Thermopyles, et, si l'on parvenait à l'arrêter en cet endroit, c'était l'invasion elle-même que l'on arrêtait. Le passage en Doride, attesté par Hérodote (VIII, 31), ne doit pas être pourtant rejeté sans examen[52] ; mais autre chose était pour Xerxès vainqueur de faire passer par là une partie de son infanterie, lorsque déjà la vallée du Céphise pouvait avoir été atteinte par le gros de son armée, venue des Thermopyles par les passes de Tithronion et d'Élatée ; autre chose était, avant la bataille décisive, d'aventurer dans ce passage une colonne isolée, ou même d'y engager une forte partie de l'armée perse, alors que la route principale demeurait fermée. En réalité, les Thermopyles étaient la porte de la Grèce, et une porte infranchissable, malgré le sentier Anopæa, puisque ce sentier du moins pouvait être défendu : il l'aurait été avec succès sans la négligence des Phocidiens.

La défense des Thermopyles, combinée avec les mouvements de la flotte à Artémision, nous apparaît donc comme une conception hardie, mais non absurde : du moment où l'on empêchait les vaisseaux perses d'attaquer de flanc les Thermopyles, il y avait lieu d'espérer que Xerxès se heurterait en cet endroit à une résistance insurmontable, et qu'il ne tenterait pas d'aller plus loin. Si l'événement ne justifia pas ces espérances légitimes, c'est que le plan débattu à l'Isthme ne fut pas exécuté par une partie des confédérés avec le zèle qu'on pouvait attendre de tous.

Mais rien n'est plus sujet à discussion que la responsabilité d'un échec. Il est certain que l'affaire des Thermopyles donna lieu de bonne heure en Grèce aux interprétations les plus diverses. Quelques traces de ces traditions contradictoires percent dans le récit d'Hérodote, et nous devons d'abord signaler ce qui nous semble être une altération de la vérité.

L'idée d'un sacrifice volontaire de Léonidas est un des traits les plus curieux de ces légendes : averti par un oracle que Lacédémone elle-même ou l'un des deux rois devait périr, Léonidas n'avait pas hésité, disait-on, à se sacrifier au salut commun (VII, 220). Cette résolution héroïque n'apparaît dans le récit d'Hérodote qu'à la fin de la bataille, lorsque, après deux jours de lutte, le mouvement tournant dirigé par Éphialte menace l'armée grecque d'une ruine complète. Jusque-là le roi avait voulu sincèrement se défendre ; mais, quand il vit la bataille perdue, il renvoya les alliés pour les soustraire à une mort inutile, et il accepta lui-même son sort, pour accomplir l'oracle. Une tradition analogue se rencontre chez Diodore[53] : dès le début de la campagne, Léonidas était résolu à mourir, et, sagement économe du sang de ses sujets, il n'avait emmené avec lui qu'un petit nombre de guerriers : puisque sa mort suffisait à sauver Sparte, à quoi bon sacrifier toute une armée ? Ainsi l'oracle venu de Delphes expliquait le sacrifice volontaire du roi, et ce sacrifice volontaire justifiait à la fois les alliés, qui avaient abandonné leur chef, et le gouvernement de Sparte, qui avait fourni au roi un nombre dérisoire d'hoplites. Dans de telles conditions, la prédiction rapportée par Hérodote peut-elle être autre chose qu'une invention postérieure à la chute de Léonidas ? Le double intérêt de Sparte et des alliés suffit à expliquer l'origine de cet oracle : on augmentait la gloire du héros en exaltant son sacrifice, et on excusait du même coup ceux qui l'avaient si mal secondé. Que Delphes ait été ou non dans la confidence de ceux qui lui demandèrent un tel oracle, peu importe : il n'en parait pas moins avéré qu'une tradition intéressée se fonda sur cette prétendue prédiction, pour représenter Léonidas comme la victime, non de ses concitoyens ou de ses alliés, mais des dieux eux-mêmes, qui avaient réclamé sa mort.

La version rapportée par Diodore n'est pas dans Hérodote ; mais on peut, ce semble, supposer qu'elle prit naissance de bonne heure à Sparte, et nous croyons même en reconnaître l'influence dans un trait de notre historien : Léonidas, dit-il (VII, 205), choisit ses 300 compagnons parmi ceux qui avaient des fils. Cette précaution n'aurait pas été relevée par Hérodote, si elle avait été dans l'usage, et elle n'aurait pas été prise contrairement à l'usage, si le roi n'avait pas su d'avance qu'il conduisait cette troupe d'élite à la mort ; il avait donc dès lors l'intention de se sacrifier, lui et ses compagnons, et il songeait d'avance à l'intérêt des familles spartiates. Rien ne justifiait pourtant, de la part de Léonidas, un tel sacrifice avant la réunion des alliés aux Thermopyles, et Léonidas, d'après Hérodote lui-même, parait bien avoir tout fait sur sa route pour entraîner aux Thermopyles le plus de défenseurs possible.

Quelle fut donc la cause du nombre infinie de soldats (3.000 ou 4.000 hoplites) que le roi emmena de Sparte avec lui ?

Hérodote cite, sans la critiquer, la version suivante : l'armée lacédémonienne, envoyée aux Thermopyles sous les ordres de Léonidas, n'était qu'une avant-garde ; Sparte se proposait bien d'exécuter les conventions votées à l'Isthme ; mais elle ne pouvait pas tout d'abord expédier une armée entière, à cause des fêtes Carnéennes ; du moins témoignait-elle, par l'envoi d'une troupe d'élite, de son zèle pour la cause nationale. De leur côté, les alliés avaient un motif du même ordre pour n'envoyer aussi que de faibles contingents : les fêtes olympiques suivaient de près les Carnéennes, et on se proposait d'y assister avant de partir en masse ; ou avait bien le temps encore d'arriver aux Thermopyles avant le combat décisif (VII, 206).

Cette double tradition spartiate et péloponnésienne ne révèle assurément qu'une part de la vérité : une raison religieuse dut être mise en avant par Lacédémone et par ses alliés, pour expliquer leur abstention ; mais personne n'ignore que de tels obstacles pouvaient facilement se tourner. Aussi bien la flotte spartiate avait-elle pris position à Artémision dans le même temps, sans que l'approche de la fête s'y fût opposée. Qui donc croirait d'ailleurs qu'une raison religieuse permit l'envoi de 3.000 hommes et interdit le départ d'une armée deux ou trois fois plus nombreuse ? La vérité est que ni Sparte ni ses alliés ne se souciaient de s'engager si loin de leur pays dans une guerre dangereuse ; ils n'entreprenaient cette campagne avec une apparente bonne volonté que pour ménager Athènes, dont ils avaient besoin, et ils sacrifiaient la petite troupe de Léonidas au souci de leurs propres intérêts, c'est-à-dire à la défense du Péloponnèse.

La cause première du désastre, en dépit des beaux prétextes donnés dès le début et des traditions plus belles encore imaginées après coup, c'est donc la mauvaise volonté des confédérés péloponnésiens, et avant tout de Sparte.

Suivons maintenant Léonidas dans sa marche à travers la Grèce et jusqu'aux Thermopyles.

Le roi sort du Péloponnèse à la tête d'une armée composée de 300 Spartiates, 500 Tégéates, 500 Mantinéens, 130 Orchoméniens, 1.000 Arcadiens, 400 Corinthiens, 200 Phliasiens et 80 Mycéniens, ce qui fait en tout 3 100 hoplites (VII, 202). Suivant l'usage, Hérodote ne compte pas dans ce nombre les hilotes. Mais une omission plus curieuse est à noter : les Laconiens, c'est-à-dire les périèques, qui constituent un des éléments les meilleurs de l'armée spartiate, sont ici passés sous silence. Est-ce un oubli d'Hérodote ? ou bien le contingent des périèques devait-il seulement faire partie de l'armée qui partirait plus tard ? La tradition postérieure, représentée entre autres. par Ctésias[54] et Éphore[55], parle d'un effectif de 1.000 Laconiens, et ce chiffre complète le total de 4.000 Péloponnésiens que mentionne l'inscription gravée sur l'un des tombeaux aux Thermopyles[56]. Si l'on prend en effet cette inscription à la lettre, nous ne voyons pas d'autre hypothèse possible qu'un oubli d'Hérodote. Mais voici deux conséquences de ce système, l'une et l'autre assez difficiles à admettre : si le chiffre de 4.000 doit être tenu pour exact, faut-il donc considérer de même le chiffre énorme de 300 myriades pour l'armée de Xerxès ? Et d'autre part, si l'inscription se rapporte exclusivement aux hommes de Péloponnèse, il en résulte que ce tombeau élevé à la mémoire des Péloponnésiens ne contenait qu'un petit nombre de morts — puisque la plupart des contingents péloponnésiens s'étaient retirés avant la fin de la bataille —, tandis que les Thespiens, tombés jusqu'au dernier à côté de Léonidas, n'avaient pas de tombeau[57]. Nous pensons, au contraire, d'après le texte d'Hérodote, qu'il y avait de son temps un tombeau pour les Spartiates seuls et un autre pour tous les morts (VII, 228), quels qu'ils fussent, qui avaient été tués dans les trois journées de bataille : l'indication έκ Πελοποννάσου figurait donc dans l'inscription pour rappeler que ce combat héroïque avait été livré sous la conduite de Sparte, par une armée venue en majorité du Péloponnèse. Il n'y a pas dans cette expression plus de précision que dans le chiffre des Perses, et dès lors le chiffre de 4.000 pour les Grecs est lui-même fort approximatif. Toutefois, si nous sommes tenté de comprendre dans ce total les contingents venus de Thespies et de Locride, nous inclinons par cela même à penser qu'Hérodote n'a pas oublié dans son énumération 1.000 périèques de Lacédémone.

Quant aux autres chiffres des contingents propres à chaque ville, nous ignorons à quelle source Hérodote les a puisés. Mais il nous paraît impossible de supposer qu'il les ait inventés lui-même d'après l'importance proportionnelle de ces villes : s'il en avait pris ainsi à son aise avec la vérité, n'aurait-il pas aussi donné le chiffre du contingent locrien, au lieu de s'exprimer seulement d'une manière vague (VII, 203) ?

Arrivé en Béotie, Léonidas ajoute à son armée un corps de 700 Thespiens et un autre de 400 Thébains (VII, 202). L'attitude des Thespiens ne se démentit pas un seul jour durant toute la guerre. Leur conduite aux Thermopyles fut admirable ; Hérodote leur rend pleine justice.

Tout autre est le cas des Thébains. Voici, brièvement résumé, ce qu'Hérodote raconte à leur sujet : Léonidas, passant en Béotie pour se rendre aux Thermopyles, se montra particulièrement empressé à lever chez les Thébains un corps de troupes ; il voulait savoir si, oui ou non, Thèbes repousserait l'alliance des Grecs ; car on la soupçonnait fortement de médisme. Les Thébains consentirent malgré eux à répondre à cet appel, et ils fournirent 400 hoplites sous la conduite de Léontiadès, fils d'Eurymachos (VII, 205). Plus tard, le matin de la défaite finale, tandis que Léonidas renvoyait les alliés, il retint auprès de lui les Thébains, à titre d'otages (VII, 222), et lorsque, à la fin de la journée, les Grecs se retirèrent, avant de mourir, sur le tertre situé en arrière du mur des Phocidiens, seuls les Thébains sortirent des rangs, s'avancèrent vers les Perses en leur tendant les mains, et protestèrent de leur dévouement à la cause du Grand Roi. Les Thessaliens, qui faisaient alors partie de l'armée perse, témoignèrent en leur faveur auprès de Xerxès ; mais, malgré ce témoignage, bon nombre d'entre eux furent pris pour des ennemis et tués sur place : d'autres, en plus grand nombre, sur l'ordre de Xerxès, furent marqués au fer rouge, à commencer par Léontiadès (VII, 233).

Sur tous les points, Plutarque conteste la vérité de cette tradition[58] : accusant Hérodote de mensonge et de calomnie, il répond, d'une façon générale, que les Thébains sont devenus malgré eux partisans des Mèdes, au lieu d'avoir, comme le prétend Hérodote, combattu malgré eux aux Thermopyles, et, prenant un à un les chefs d'accusation, il présente ainsi l'apologie de Thèbes.

1° Jusqu'aux Thermopyles, les Thébains ont été les amis de la cause nationale, et la preuve, c'est que, après avoir envoyé 500 hommes à Tempé, ils ont fourni à Léonidas les troupes qu'il leur demandait. De plus, Léonidas n'avait aucun soupçon contre Thèbes ; car il fut même dans cette ville l'objet d'une faveur sans égale : il coucha dans le temple d'Héraclès, et il y eut une vision qui présageait la grandeur future et la ruine de Thèbes.

Ce dernier trait est loin de nous rassurer sur la valeur de cette apologie : la grandeur future de Thèbes, puis sa disparition, arrivée longtemps après, n'est-ce pas l'histoire de la ville au ive siècle ? Et, dès lors, quelle confiance accorder à une tradition née si longtemps après les événements ? Rien ne nous autorise à croire que Thèbes fût d'avance bien disposée pour la cause nationale, et nous avons déjà vu que les Grecs confédérés, lors de l'expédition de Tempé, s'étaient méfiés d'elle. Nous avons dit aussi que nous la mettions au nombre des villes qui durent, après la retraite de Tempé, faire de nouvelles démarches auprès de Xerxès pour se ménager sa protection. Mais alors comment se fait-il que Léonidas ait même obtenu d'elle quelque subside, et qu'il n'ait eu, d'après Hérodote, que des soupçons sur son médisme (VII, 205) ? Suivant nous, l'énergie montrée par Athènes et les alliés après la retraite de Tempé dut faire réfléchir les villes qui hésitaient encore sur l'attitude qu'elles devaient prendre ; le serment de l'Isthme était une menace terrible ; peut-être arriva-t-on à se convaincre à Thèbes, qu'il valait mieux en tout cas secourir Léonidas, pour éviter dans la suite, si les Grecs remportaient la victoire, un traitement sévère, que réclamerait même le dieu de Delphes. Quant aux soupçons de Léonidas, ils venaient de ce que Thèbes n'avait pas dû faire ostensiblement acte de soumission à Xerxès ; mais elle n'avait pas adhéré au conseil de l'Isthme, et Léonidas voulait la mettre en demeure de se prononcer. C'était d'ailleurs une manière habile de se faire donner par Thèbes des otages : maitre de 400 hoplites, le général était sûr du moins que la ville ne tenterait pas pendant la campagne une attaque sur ses derrières.

Ainsi, sur le premier point, le témoignage d'Hérodote nous parait bon, et nous n'avons nullement besoin de recourir, avec M. Wecklein[59] et d'autres[60], à l'explication fournie par Diodore, d'après laquelle les 400 hoplites envoyés aux Thermopyles auraient été choisis parmi les partisans de la cause nationale[61]. Cette hypothèse suppose la formation d'une sorte de corps franc, dont on n'a aucun exemple. En outre, pas été dangereux de laisser les aristocrates seuls maîtres de la ville et du pays ?

2° La critique de Plutarque sur le second point est plus solide : pourquoi Léonidas aurait-il gardé les Thébains auprès de lui avant de livrer sa dernière bataille ? Retenir des alliés douteux, n'était-ce pas s'exposer à de nouveaux dangers[62] ? On a répondu, il est vrai, que renvoyer les alliés fidèles, c'était sauver des troupes dévouées à la défense de la Grèce ; renvoyer les Thébains, c'était augmenter les forces de l'ennemi[63].

Mais il nous a paru plus haut que ce prétendu renvoi des alliés reposait sur une tradition destinée à faire croire au sacrifice volontaire de Léonidas. Hérodote accepte cette tradition, parce qu'elle se rattache à l'accomplissement d'un oracle ; mais il cite lui-même une autre version, qui semble plus probable : c'est qu'une partie des alliés se sépara volontairement de Léonidas (VII, 219). Du nombre dut être le contingent thébain, tandis que les Thespiens, qui n'avaient rien de bon à attendre de Xerxès, restèrent fidèles jusqu'au bout.

3° Contre la scène finale — les Thébains tendant les mains aux Perses et n'obtenant d'eux, pour toute récompense, qu'une marque au fer rouge —, Plutarque fait valoir deux raisons[64] : d'abord, il oppose ce fait, que le chef du contingent thébain était, non pas Léontiadès, mais Anaxandros ; ensuite il fait observer qu'une marque au fer rouge et été pour les Thébains un titre d'honneur, une preuve irréfutable de l'animosité des Perses contre Thèbes : la tête de Léonidas coupée et mise au bout d'une pique, Léontiadès marqué au fer rouge, cet égal acharnement des Perses contre le chef thébain et contre le roi de Sparte ne témoignait-il pas en faveur de la ville. que calomnie Hérodote

A force de vouloir trop prouver, Plutarque, ici, ne prouve rien. La marque au fer rouge est un signe honteux qu'on imprime à des esclaves fugitifs, et qui n'a jamais rien eu de glorieux : on n'a donc pas lieu de s'étonner que les Thébains ne s'en soient pas fait un titre de gloire.

Quant à la question de fait, c'est-à-dire au titre et à la qualité de Léontiadès, nous ne pouvons pas la vérifier : Plutarque avait des sources dont l'authenticité reste douteuse, mais qui pouvaient contenir des faits vrais. Admettons donc que Léontiadès, au lieu d'être le chef des 400 Thébains, n'ait eu qu'un rôle secondaire dans le commandement : sa présence aux Thermopyles n'en est pas moins attestée par Hérodote, sans que Plutarque l'ait niée.

M. Wecklein, sur ce point, a poussé plus loin que Plutarque la critique de notre auteur : il relève dans Hérodote un détail d'où il conclut que toute l'histoire de la marque au fer rouge a été imaginée par les Athéniens contre Léontiadès, et cela, fort longtemps après l'année 480[65]. Ce détail est le suivant : au mois d'avril 434, un chef de l'aristocratie thébaine, Eurymachos, fut tué dans l'attaque de Platées par les Thébains ; Hérodote signale le fait en faisant remarquer que cet Eurymachos était le fils du Léontiadès des Thermopyles. Or les conséquences de cette remarque sont graves : cet Eurymachos, chef d'un détachement thébain, devait être un aristocrate, par suite, un ennemi d'Athènes. Que n'invente-t-on pas contre un ennemi ? Pour décrier cet ennemi, les Athéniens imaginèrent de raconter que son père avait été marqué au fer rouge, et toute l'anecdote des Thébains aux Thermopyles vient de cette calomnie d'Athènes à l'égard d'Eurymachos.

Le seul argument que M. Wecklein apporte à l'appui de cette hypothèse, c'est l'analogie d'une calomnie semblable inventée par les Athéniens contre Adeimantos de Corinthe (VIII, 94). Mais ce cas lui-même est des plus douteux : suivant M. Wecklein, les Athéniens auraient inventé l'histoire de la fuite d'Adeimantos à Salamine, pour jeter le plus de discrédit possible sur la personne de son fils Aristeus, un des adversaires les plus acharnés d'Athènes au début de la guerre du, Péloponnèse. Entre ces deux faits — l'invention calomnieuse des Athéniens au sujet d'Adeimantos, et la conduite de son fils —, M. Wecklein établit un rapport qui n'est nullement nécessaire : si Aristeus fut un ennemi d'Athènes, son père lui-même n'avait-il pas dû l'être également ? L'animosité contre lui avait-elle attendu cinquante ans pour se produire ? La rivalité des deux villes remontait aux années qui suivirent immédiatement la constitution de la domination maritime d'Athènes : à ce moment, pour justifier son hégémonie, Athènes ne se fit pas faute de décrier ses rivaux, et c'est cette tradition qu'Hérodote a recueillie, non pas dans les dernières années qui précèdent la guerre du Péloponnèse, mais dès le temps où il vint en Grèce. Le même raisonnement s'applique au cas des Thébains, avec cette différence toutefois qu'ici Hérodote ne : signale pas, et par suite ne soupçonne pas, de calomnie. Mais, à supposer même que ce récit fût en partie calomnieux, il n'est pas vrai de dire qu'il date seulement du temps où Eurymachos se montra l'adversaire des Athéniens : l'hostilité d'Athènes contre Thèbes ne se ralentit pas un instant depuis les luttes du vie siècle, et les guerres médiques ne firent que la ranimer. Reconnaissons donc que la mort d'Eurymachos en 431 put donner à Hérodote le malin plaisir de rappeler que ce personnage était le fils de Léontiadès ; admettons même que cette rencontre l'ait amené à gratifier ce Léontiadès d'un titre qu'il n'avait pas ; mais, cette double concession faite, nous ne voyons pas qu'il y ait lieu de récuser le fait d'une trahison des Thébains aux Thermopyles, et d'un châtiment à eux. infligé par les Perses.

Mais, comme nous avons admis plus haut que les Thébains, amenés de force par Léonidas, n'avaient pas dû être retenus de force par lui au dernier moment, il faut supposer que l'événement ne se passa pas exactement comme le rapporte Hérodote : ce qui nous parait ressortir avant tout de cette anecdote, c'est d'abord le fait d'une méprise des Perses au moment où les Thébains s'avançaient vers eux comme amis, et ensuite celui d'un châtiment infligé par Xerxès aux Thébains, pour s'être joints à l'armée de Léonidas après avoir déjà fait acte de soumission. Où se passait d'ailleurs cette scène ? Les Thébains s'étaient-ils seulement retirés du défilé le matin de la grande bataille pour attendre dans le voisinage l'occasion de se montrer et de protester de leur amitié ? C'est possible, bien que nous ne puissions rien affirmer à cet égard. Il nous suffit que la tradition ait ici conservé le souvenir d'une mésaventure réelle, dont les Thébains. avaient été victimes, pour n'avoir pas su prendre d'abord franchement le parti des Perses : ils se rattrapèrent l'année suivante.

Revenons à Léonidas. Après avoir traversé la Béotie, le roi s'avance vers les Thermopyles par la Phocide et la Locride. Ces deux peuples étaient aussi de ceux qui avaient besoin d'être encouragés, entraînés à la résistance ; car les Locriens avaient déjà fait acte de soumission à Xerxès (VII, 432), et les Phocidiens, au dire d'Hérodote, étaient moins dévoués à la cause grecque qu'acharnés contre les Thessaliens (VIII, 39). Cependant la présence du roi de Sparte à la tête d'une armée, la résolution prise en commun à l'Isthme de défendre l'entrée de la Grèce, la sécurité que donnait la flotte mouillée à Artémision, l'ardeur et la confiance de Léonidas, ses paroles encourageantes, ses instantes sollicitations, tout cela contribua à attirer vers lui de nouvelles recrues (VII, 203).

Hérodote, dans cette partie du récit comme dans toute la bataille, met en lumière l'initiative personnelle de Léonidas, et c'est aussi pour lui rendre un hommage solennel qu'il énumère, en commençant, tous les ancêtres du héros (VII, 206). M. Nitzsch voit dans ce début ta trace d'une origine spartiate et la preuve que ce morceau avait été emprunté par l'historien à- une tradition orale qui se conservait à Sparte dans les συσοίτια[66]. Certes tout le récit de la bataille trahit pour Léonidas une admiration qui conviendrait assez à une tradition de ce genre ; mais la marque personnelle de l'auteur n'est pas moins sensible en plusieurs endroits[67]. Aussi bien l'énumération des ancêtres de Léonidas et l'explication de son avènement au trône, par suite de la mort de ses deux frères aînés, sont-elles plus naturelles dans une narration d'un caractère hellénique, comme est le livre d'Hérodote, que dans une tradition purement spartiate, destinée à des auditeurs qui n'ignoraient aucun de ces détails.

A peine campés aux Thermopyles, les Grecs, en apprenant l'approche de l'immense armée perse, sont pris de peur ; les alliés du Péloponnèse surtout insistent pour revenir sur leurs pas et défendre l'Isthme. Léonidas, vivement soutenu par les Phocidiens et les Locriens, s'oppose à cette retraite, mais lui-même estime que, pour défendre le défilé, il dispose d'une armée insuffisante. Il adresse un nouvel appel aux villes alliées (VII, 207).

Cependant les deux armées ont pris position, l'une dans le défilé des Thermopyles, avec un corps de 1.000 Phocidiens sur le versant du Mont Callidromos (VII, 218), l'autre dans la vallée du Sperchios, et jusqu'à l'entrée du défilé. Pendant quelque temps Xerxès ne s'attend pas à livrer bataille. Averti du petit nombre des Grecs, informé peut-être aussi des dispositions douteuses d'une partie des alliés, il s'imagine que la place va être évacuée sans résistance. Cependant l'attitude calme des Spartiates, leur indifférence apparente en face des Perses, la vue de ces jeunes gens qui s'exercent en avant du mur des Thermopyles, et qui se parent comme pour une fête en peignant leur longue chevelure, tout cela exaspère peu à peu le Roi, et, après quatre jours d'attente, il se décide à vouloir forcer le passage. La colère de Xerxès et sa confiance aveugle dans le succès d'une attaque ont paru, non sans raison, relever du domaine de la fantaisie : le Grand Roi ne pouvait pas méconnaître la solidité de la position qu'avaient choisie les Grecs, et il devait prévoir une lutte sérieuse. Mais est-ce à dire que, dès le premier jour, il ait dû avoir la pensée de tourner la position ? Un tel stratagème devait répugner d'abord à son audace, et d'ailleurs le sentier Anopæa, escarpé et difficile à franchir pour une troupe en armes, pouvait être aussi défendu ; une résistance égale pouvait se présenter de ce côté. Il n'y a donc pas lieu de douter que pendant deux jours, comme le raconte Hérodote, le Roi n'ait cherché à forcer la position où les Grecs se disposaient à le combattre.

Où se livra au juste la bataille ? Hérodote connaît admirablement le défilé des Thermopyles ; il en donne dans plusieurs endroits une description minutieuse, où l'on ne relève aucune contradiction (VII, 176, 498-201). Si l'examen des lieux ne permet pas de contrôler en détail son témoignage, c'est que la configuration du sol a beaucoup changé depuis. Toutefois l'idée qu'il s'est faite lui-même du combat, après en avoir étudié le théâtre, est aujourd'hui pour nous très claire ; elle peut se résumer en quelques mots. Le premier jour et le second, la manœuvre des Grecs fut la suivante : postés dans leur camp, derrière le mur des Phocidiens, ils faisaient avancer seulement en dehors de cette ligne de défense une partie de leurs troupes, de manière à attirer les Perses au delà du premier passage étroit, situé à l'ouest du. défilé. Les Perses une fois attirés dans la petite plaine, la lutte s'engageait pour eux dans des conditions défavorables, puisque l'armement des Grecs était bien supérieur au leur. Ainsi peu de Grecs purent sans peine faire un grand nombre de morts et de blessés, et fermer la route aux assaillants (VII, 211). Le troisième jour, comme ils se virent tournés, les Grecs se hasardèrent, afin de vendre chèrement leur vie, à franchir le passage qui fermait à l'ouest le défilé, et à se jeter sur les troupes réunies en cet endroit dans la plaine (VII, 223). Après en avoir fait un nouveau carnage, ils se retournèrent de l'autre côté, franchirent la petite plaine des Thermopyles où s'étaient livrés les premiers combats, puis le mur des Phocidiens et se réfugièrent sur une éminence située entre le mur et l'ouverture orientale du défilé. C'est là qu'ils moururent (VII, 223-225).

Oserons-nous affirmer que les choses se soient réellement passées de la sorte ? Du moins cette conception de la bataille ne contient-elle aucune invraisemblance ; elle explique même fort bien la résistance d'une troupe peu nombreuse, en face d'une armée beaucoup plus considérable.

Il nous reste à dire quelques mots du rôle qu'Hérodote attribue à Éphialte dans le mouvement tournant qui décida du sort de la bataille. A l'entendre, on croirait qu'Éphialte révéla à Xerxès un secret inconnu de tous. Cette ignorance n'a rien de vraisemblable : l'existence du sentier n'avait échappé ni aux Maliens ni aux Thessaliens qui guidaient le Roi. Mais on pouvait prévoir que le sentier serait occupé ; pour avoir chance d'atteindre par là avec succès l'extrémité opposée des Thermopyles, il fallait se risquer la nuit sur des pentes abruptes d'où la descente était surtout dangereuse. On conçoit qu'une telle entreprise n'ait pas été tout d'abord tentée. L'idée en vint peut-être à beaucoup de Grecs présents dans l'armée de Xerxès, et c'est ce qui donna lieu aux traditions diverses qui avaient cours à ce sujet : Onétès de Carystos et Corydallos d'Anticyra se flattèrent-ils d'avoir eu les premiers cette idée (VII, 214) ? Thorax le Thessalien se vanta-t-il d'avoir avant les autres donné ce conseil au Roi[68] ? Quand un plan réussit, il ne manque jamais de gens pour en revendiquer l'honneur. Pourquoi Éphialte parait-il donc à Hérodote plus coupable que tout autre à l'égard des Grecs ? L'historien nous en indique lui-même la raison ; c'est que contre Éphialte fut prise après la guerre une mesure d'un caractère sacré : les Amphictyons mirent sa tête à prix (VII, 214). Nous ne pouvons pas décider la question mieux qu'Hérodote, qui parait l'avoir étudiée de près ; mais nous sommes autorisés à penser qu'Éphialte avait guidé la colonne commandée par Hydarne, à travers le sentier Anopæa : même si l'idée ne venait pas de lui, c'est lui qui l'avait exécutée, et sa responsabilité est complète.

Une responsabilité non moins lourde pèse sur les Phocidiens, que la troupe d'Hydarne surprit le matin sur la montagne ; les 1.000 hoplites postés en cet endroit par Léonidas s'enfuirent en toute hâte sur les hauteurs du Mont Callidromos, laissant libre le chemin des Thermopyles (VII, 218). Aucun blâme pourtant n'est formulé contre eux dans Hérodote, peut-être en raison de la ruine totale que le passage de l'armée perse causa bientôt dans leur pays.

La mort de Léonidas est racontée par Hérodote avec une simplicité qui produit le plus grand effet : quelques mots à peine trahissent l'admiration de l'historien pour son héros, mais dans tout ce récit, rien d'oratoire, rien de pathétique. Déjà pourtant cette illustre défaite avait fait naître en Grèce bien des traditions, bien des légendes : que de fois n'avait-on pas fait à Sparte le récit de cette bataille ! L'héroïsme de Diénécès, entre autres, était l'objet d'une foule de commentaires (VII, 226-227). Hérodote s'est abstenu de reproduire ces récits peu authentiques, et Plutarque lui a reproché ce silence, comme un manque de patriotisme[69]. Ce reproche n'est-il pas le plus bel éloge qu'on puisse faire du goût et de la critique de notre auteur ?

Faut-il ranger parmi les légendes qu'Hérodote aurait dû rejeter le prétendu crime de Xerxès sur le cadavre de Léonidas (VII, 238) ? L'historien fournit le meilleur argument à ceux qui n'admettent pas un pareil crime[70], quand il rappelle que les Perses savaient d'ailleurs honorer le courage. Lui-même pourtant ne met pas en doute la réalité de cet acte exceptionnel. En l'absence de toute indication contraire, peut-on faire autrement que de s'en tenir au témoignage de l'historien ?

 

§ VI. — Les combats d'Artémision.

Si les Spartiates ont eu la gloire d'arrêter plusieurs jours l'armée du Grand Roi, les Athéniens, dans le même temps, ont tenu en échec la flotte perse à l'entrée de l'Euripe. Les batailles d'Artémision se livrèrent, dit Hérodote (VIII, 45), pendant les trois jours mêmes que durèrent les combats soutenus par Léonidas : Artémision est le digne pendant des Thermopyles.

Cette coïncidence, jointe à plusieurs traits de ressemblance qu'il est facile de relever entre les deux récits, fait naître tout d'abord quelque soupçon : ne serions-nous pas en présence d'une tradition arrangée de manière à égaliser en quelque sorte les mérites des deux villes rivales ? Athènes ne pouvait pas inventer, il est vrai, la mort d'un général ; mais du moins devait-elle être tentée d'assimiler l'une à l'autre deux batailles qui avaient eu, sur terre et sur mer, le même but : la défense des deux défilés qui ouvraient aux Perses la porte de la Grèce.

A considérer les deux récits dans leur ensemble, on constate en effet que le second a de singuliers points de ressemblance avec le premier. Dès que les flottes se trouvent en présence, le premier mouvement des Grecs, à la vue des nombreux vaisseaux ennemis, est de se retirer de nouveau, non plus seulement à Chalcis, mais vers l'Isthme ; il faut toutes les instances des Eubéens, puis toute l'habileté de Thémistocle pour décider les généraux récalcitrants à ne pas abandonner la position (VIII, 4). Ainsi, aux Thermopyles, les alliés du Péloponnèse n'étaient arrêtés dans leur retraite que par l'énergie de Léonidas, secondée par les prières et les menaces des Locriens et des Phocidiens. — La première bataille sur mer est offerte, il est vrai, par les Grecs ; mais les Perses l'acceptent avec joie, sans se douter qu'ils puissent rencontrer une résistance sérieuse (VIII, 40) ; ils se montrent surpris et indignés d'avoir à soutenir une lutte terrible (VIII, 42), où ils perdent 30 vaisseaux. Ainsi à la première attaque des Thermopyles, Xerxès ordonnait qu'on lui amenât vivants les ennemis assez téméraires pour lui barrer le passage (VII, 240). Le second jour de bataille donne un résultat analogue au premier, comme aux Thermopyles, et, ressemblance curieuse, ici encore l'historien insiste aussi peu qu'aux Thermopyles suries détails de la seconde journée. — Enfin la troisième bataille sur mer, sans être une défaite, décide pourtant les Grecs à se retirer, bien que leurs pertes soient beaucoup moindres que celles des Perses. Ainsi Léonidas et ses compagnons succombaient en frappant un nombre considérable d'ennemis. Ce n'est pas tout Artémision comme aux Thermopyles, c'est par un mouvement tournant que les Perses essaient d'écraser les Grecs : les 200 vaisseaux détachés du gros de la flotte pour tourner l'Eubée (VIII, 7) ne ressemblent-ils pas au corps qu'Hydarne mène par le sentier Anopæa ? Mais, ce qui est surtout remarquable, c'est que ces batailles, qui ont des points de contact si frappants, se livrent précisément pendant les mêmes jours (VIII, 15), comme pour mieux faire valoir le mérite égal de l'armée de terre et de la flotte. N'est-ce pas là une coïncidence factice, comme celle que nous avons déjà citée entre la bataille d'Himère et celle de Salamine, comme celle que nous rencontrerons plus loin entre Platées et Mycale ? Et, si c'est la fantaisie des Athéniens qui a combiné ainsi ces événements, devons-nous croire la même tradition, quand elle nous parle de trois combats sur mer, d'un mouvement tournant, et de tout ce qui rappelle les péripéties de la bataille livrée sur terre par Léonidas ?

Les ressemblances que nous venons de signaler sont incontestables ; mais qu'on y prenne garde : peut-être résultent-elles seulement d'une situation semblable de l'armée et de la flotte. Ce n'est pas sans raison que les Grecs confédérés avaient choisi les Thermopyles et Artémision pour y défendre l'entrée de la Grèce : sur ces deux points, l'armée et la flotte se trouvaient couvrir des contrées importantes de la Grèce propre, d'une part la Phocide, la Locride, la Béotie, de l'autre l'Eubée. Que les habitants de ces contrées aient tenu également à n'être pas abandonnés, c'est tout naturel, et, d'un autre côté, on conçoit sans peine que les contingents péloponnésiens, à la fois sur terre et sur mer, aient insisté auprès du général en chef pour reculer jusqu'à l'Isthme.

D'ailleurs, les différences entre les deux récits sautent aux yeux : sur mer, les deux premières batailles sont de courtes rencontres, tentées vers le soir par les Grecs ; la troisième, où les Perses prennent l'offensive, est loin d'être un écrasement pour la flotte grecque. Le mouvement que fait une partie de l'escadre perse autour de l'Eubée n'a aucun rapport avec le mouvement dirigé par Éphialte, et d'ailleurs il n'aboutit pas au même résultat. Tandis que Léonidas est abandonné par les hommes et par les dieux à son malheureux sort, la flotte d'Artémision, déjà secourue par Borée au Pélion, est encore protégée par sa position au nord de l'Eubée contre le vent du sud qui bouleverse les vaisseaux ennemis mouillés dans la rade des Aphètes (VIII, 12), et qui détruit les 200 vaisseaux envoyés au sud de l'Eubée (VIII, 13).

Reste la question de la coïncidence des deux batailles : le récit d'Hérodote permet-il de contester cette coïncidence ?

Remarquons d'abord qu'il ne s'agit pas ici d'une rencontre fortuite, analogue à celle que l'on suppose entre Mycale et Platées, Himère et Salamine. Ni les Grecs de la flotte ne sont sans communication avec Léonidas, ni Xerxès avec sa flotte. Bien au contraire, des deux parts, les opérations militaires sont combinées. La chose est surtout manifeste pour les Perses. En quittant Thermé, le Grand Roi, pour atteindre la vallée du Sperchios en même temps que sa flotte, prend sur elle une avance de onze jours (VII, 183). Il arrive le premier au rendez-vous avec trois jours d'avance (VII, 496) ; mais ce retard de la flotte correspond précisément aux trois jours qu'a duré le naufrage du Pélion. On voit que les calculs du Roi étaient justes, et qu'ils visaient à une action commune de la flotte et de l'armée. Cependant cette action n'est pas immédiate : après être resté trois jours chez les Maliens avant l'arrivée de la flotte, Xerxès en attend encore deux pour attaquer Léonidas. Pourquoi ces délais et ces retards, sinon pour permettre à la flotte de se reconnaître un peu après le naufrage, et de se reposer avant d'entamer l'action ? Ainsi la rencontre des deux batailles paraît bien avoir été voulue. Sans doute le hasard a fait que les deux combats décisifs, ceux du troisième jour, eussent lieu en même temps ; car Xerxès, en attaquant Léonidas, ne savait pas que la résistance durerait trois jours ; mais, un autre retard étant survenu dans les opérations de la flotte à cause de la nouvelle tempête, il se trouva que le double résultat visé fut obtenu le même jour : lorsque : les Grecs d'Artémision furent avertis que le défilé des Thermopyles était forcé, eux-mêmes, épuisés par une troisième journée de bataille, se préparaient au départ[71].

Le récit d'Hérodote ne se prête, il est vrai, à cette explication, que si on y fait une légère correction ; mais cette correction est nécessaire. A prendre à la lettre le chapitre 6 du livre VIII, il semble que la flotte perse, arrivant aux Aphètes après trois jours de naufrage, ait immédiatement expédié l'escadre de t00 vaisseaux qui devait tourner l'Eubée, et que, dans le même après-midi, aient eu lieu le dénombrement de la flotte perse et la première attaque des Grecs. Dans ce cas, les opérations de la flotte auraient commencé deux jours avant celles de l'armée de terre, et se seraient terminées aussi deux jours plus tôt. Mais, dans cette hypothèse, la flotte grecque, en opérant sa retraite par l'Euripe, n'aurait pas manqué d'être vue de Léonidas, ce que ne dit pas Hérodote, et surtout la flotte perse victorieuse aurait pu venir au secours du Roi pour l'aider à forcer le défilé, ce qui eût été alors facile. En réalité, dans la journée où les Perses arrivèrent aux Aphètes, il est douteux qu'ils aient pu passer en revue la flotte, et expédier une escadre de 200 vaisseaux avant de livrer bataille (VIII, 6-7). Ces faits se répartissent beaucoup mieux en deux ou trois jours. C'est dans cet intervalle de répit laissé à la flotte que se produisit la défection de Scyllias de Scioné, qui, en portant la nouvelle du mouvement tournant de l'escadre, hâta l'attaque des Grecs (VIII, 8).

En résumé, la bataille d'Artémision nous semble s'être livrée effectivement dans les mêmes journées que celle des Thermopyles, et, du même coup, nous acceptons les principales lignes de la description de cette bataille dans Hérodote.

Examinons maintenant quelques détails. Pour les Perses, Hérodote n'ajoute rien à ce qu'il a dit précédemment des contingents particuliers qui composent la flotte de Xerxès : il ne donne que le chiffre des pertes éprouvées dans les deux naufrages, et qui s'élève à 600 vaisseaux (VII, 190 ; VIII, 7 et 43). Mais, d'autre part, Achæménès, dans le dialogue qu'il tient avec le Roi après les deux batailles, ne parle que de 400 (VII, 236). Il y a donc sur ce point incertitude, et ces chiffres d'ailleurs ne peuvent reposer que sur une estimation approximative. Remarquons seulement à ce propos, qu'Hérodote, en exagérant peut-être les pertes de la flotte perse, ne reproduit pas simplement une pure tradition athénienne ; car il avoue lui-même que la divinité, en détruisant ainsi les vaisseaux perses, voulait égaliser les forces des deux partis, et ne pas laisser à l'un une supériorité trop forte sur l'autre (VIII, 43). N'entrait-il pas au contraire dans l'esprit de la tradition athénienne d'attribuer aux Perses un nombre de vaisseaux trois et quatre fois plus élevé qu'aux Grecs ?

Pour la flotte fédérale, la précision des chiffres est irréprochable, et le total de 271 vaisseaux est incontesté (VIII, 1-2). Seul, M. Beloch observe que le renfort de 53 vaisseaux athéniens, parvenu à Artémision après le premier engagement, parait estimé par Hérodote de manière à compléter le chiffre de 180 (200 avec les 20 vaisseaux de Chalcis), que la tradition attribuait à Athènes dans la bataille de Salamine[72]. M. Beloch accepte seulement le chiffre de Ir trières athéniennes à Artémision. C'est assez pour que nous soyons autorisé à croire qu'Hérodote a puisé ses renseignements à une source sûre : les contingents particuliers des villes alliées variant de 40 vaisseaux à 5 et à 2, nous ne pouvons pas admettre qu'il y ait là une appréciation personnelle de l'historien.

Le premier acte des Grecs en présence de l'ennemi, leur fuite, et le moyen employé par Thémistocle pour retenir la flotte à Artémision, ont soulevé les protestations de Plutarque ; avant même de combattre, les Grecs prennent la fuite ; leurs généraux ne cèdent qu'à la corruption, et les vainqueurs d'une bataille si célèbre n'ont été maintenus dans le devoir que trompés par des chefs gagnés à prix d'or[73]

Distinguons ici le mouvement de retraite provoqué par une partie des généraux alliés et le moyen pratiqué par Thémistocle pour avoir raison d'eux. A moins de nier l'évidence, on ne saurait contester le désir qu'ont eu les Péloponnésiens, durant toute l'année 480, de se défendre à l'Isthme : c'est ce qui résulte de la campagne de Tempé et de celle des Thermopyles ; c'est ce qui éclate surtout à Salamine. Admettons que les Athéniens se soient fait un mérite exagéré d'avoir résisté à cet entraînement ; mais ce mérite du moins n'est pas imaginaire. C'est bien à eux que la Grèce tout entière, par la bouche de Pindare, a attribué l'honneur des combats d'Artémision.

Plus contestée est l'anecdote de la ruse employée par Thémistocle pour gagner les généraux Eurybiade et Adeimantos. Plutarque se contente de protester contre une telle calomnie ; mais avec lui plusieurs critiques modernes, MM. Duncker, Ad. Bauer, Busolt[74], rejettent sur une tradition hostile à Thémistocle l'invention de tout ce récit.

Thémistocle, suivant Hérodote, reçoit 30 talents des Eubéens, il en emploie 8 à acheter le consentement des chefs, et il en garde 242  pour lui-même. A quoi Duncker répond :

1° Quels sont les Eubéens qui peuvent disposer alors d'une somme aussi considérable ? Les Chalcidiens sont sur la flotte ; Érétrie, détruite dix ans auparavant par Datis, et la petite ville de Styra disposent difficilement d'une si grosse somme. — La raison est faible, si l'on songe à la richesse de l'ile et au nombre de ses cités. Duncker oublie surtout la ville d'Histiæa, directement menacée, au nord de l'île, et les nombreuses bourgades que pillèrent les Perses aussitôt après le départ des Grecs (VIII, 23). Ces villes devaient préférer tous les sacrifices à une ruine complète. Aussi bien le chiffre de 30 talents peut-il être considéré comme excessif, sans que l'anecdote tout entière doive passer au rang des fables.

2° Si les Eubéens voulaient acheter les Grecs, que ne cherchaient-ils à corrompre Eurybiade, le général en chef, plutôt que Thémistocle, qui, lui, était décidé d'avance à ne pas quitter la place ? — Hérodote raconte que les Eubéens adressèrent d'abord leurs prières à Eurybiade, mais sans succès. Quoi de plus naturel que de supposer ces délégués des villes eubéennes, à la suite de leur démarche inutile, se concertant avec Thémistocle leur allié, pour gagner Eurybiade ? Thémistocle les engage à faire valoir des raisons sonnantes, et il se propose lui-même pour mener l'affaire à bonne fin.

3° Comment l'historien a-t-il pu savoir au juste qu'Eurybiade avait reçu 5 talents, et Adeimantos 3 ? Est-ce que par hasard ces généraux se seraient vantés plus tard d'un si bel exploit ? — Nous ne défendons pas les chiffres, mais seulement la vraisemblance du fait. Ne pouvant imposer son autorité puisqu'il ne commandait pas en chef, Thémistocle devait recourir à des moyens détournés pour tenter de sauver l'Eubée. Athènes était riche : c'est en son nom que l'argent paraît avoir été distribué aux chefs, moins peut-être comme une tentative secrète de corruption que comme un secours et une compensation aux frais de la campagne[75].

Reconnaissons cependant que la manière dont s'exprime Hérodote témoigne d'une intention peu favorable à Thémistocle : le profit personnel du général est trop mis en lumière (VIII, 5) pour qu'on ne voie pas là un trait de caractère signalé avec quelque malice. Il nous semble incontestable que l'historien a accepté en ceci une tradition qui représentait Thémistocle comme un homme intelligent et habile, mais avide et peu scrupuleux : Dans quelle mesure ce portrait répondait-il exactement à la vérité ?. Il suffit de signaler sur ce point la tendance de la tradition, pour qu'on soit en droit de douter de certains détails au moins dans le récit d'Hérodote.

Joignez à cela la satisfaction naturelle que les Athéniens devaient ressentir à entendre légèrement médire de leurs alliés du Péloponnèse, et on comprendra que toute cette histoire de corruption ait paru controuvée. Et pourtant, ne reposait-elle pas sur quelque fondement historique ? Hérodote a su, au besoin, défendre Adeimantos contre certaines calomnies athéniennes, et nous ne croyons pas qu'il ait jamais accepté sans critique ce qu'on lui racontait du vainqueur de Salamine. Les habitudes de corruption n'étaient que trop répandues en Grèce à cette époque, et elles l'ont été encore longtemps après, sinon toujours. Ce que Plutarque trouvait honteux n'était pas jugé tout à fait de même par les contemporains de Cléomène, qui avait corrompu la Pythie, et de Pausanias le vainqueur de Platées, gagné par l'or des Perses. A cet égard, la réputation des Grecs auprès des satrapes et du Grand Roi était bien établie, et un admirateur même de Thémistocle pouvait lui savoir gré d'avoir extorqué de l'argent à des alliés douteux pour assurer la victoire de la Grèce : tant d'autres étaient disposés à satisfaire leur avarice aux dépens de la cause nationale !

Plutarque reproche encore à Hérodote d'avoir transformé la troisième journée d'Artémision en une sorte de défaite, au lieu que tous, dit-il, s'accordent à penser que la cause de la retraite de la flotte fut simplement la nouvelle de la catastrophe des Thermopyles. Et il ajoute : Les Perses s'attendaient si peu à ce départ d'une flotte victorieuse, qu'ils firent jeter en prison l'homme d'Histiæa qui vint dès le soir leur annoncer cette nouvelle[76].

La raison est mauvaise : il est toujours prudent à des généraux de n'accepter une nouvelle de ce genre qu'avec une extrême réserve : les ruses et les mensonges sont assez légitimes en temps de guerre pour justifier une mesure comme celle dont parle Hérodote. Aussi bien est-ce une tradition' postérieure qui transforma la bataille d'Artémision en une victoire déclarée. Hérodote nous parait se tenir beaucoup mieux que Plutarque dans les limites de la vérité, quand il montre l'initiative hardie de la flotte athénienne, ses succès, mais aussi ses pertes, la vigueur, mais aussi l'inutilité de ses efforts contre une flotte qu'il était déjà beau à elle d'affronter aussi résolument. S'il est vrai, comme le dit Hérodote, que la moitié des vaisseaux athéniens ait souffert dans ces trois rencontres, on comprend que Thémistocle lui-même ait consenti à une retraite désormais nécessaire. Les Grecs restaient maîtres de leurs morts et des débris de leurs vaisseaux ; c'était assez pour l'honneur ; c'était trop peu pour qu'on risquât de nouveaux combats. La bataille était indécise[77] et Hérodote attribue même la cause de ce succès relatif des Grecs à ce fait, que les vaisseaux perses s'embarrassaient les uns les autres par leur nombre. Voilà certes une explication qui se distingue par son équité et sa vraisemblance : il n'y a rien là de cette forfanterie qu'on attribue peut-être trop volontiers aux Athéniens parlant de leurs victoires, et dont on croit trop souvent entendre l'écho dans Hérodote !

Enfin Plutarque, approuvé en cela par M. Wecklein[78], signale un trait malicieux de la tradition athénienne à l'adresse des Corinthiens, dans ces mots : à la nouvelle de la défaite des Thermopyles, les alliés se hâtèrent de partir, et ils se mirent en marche dans l'ordre où ils étaient rangés, les Corinthiens en tête, les Athéniens à l'arrière-garde (VIII, 21). Ainsi les Corinthiens sont les derniers à combattre, les premiers à fuir ! Est-ce ainsi, avec cette discrétion voilée, qu'Hérodote se serait exprimé, si vraiment il avait voulu dire que les Corinthiens avaient donné le signal de la retraite ? Aurait-il dit surtout έκομίζοντο ώς έτάθησαν (VIII, 21), mots qui se rapportent à l'ordre du campement sur le rivage ou à celui de la bataille qui venait d'avoir lieu ? Ce qu'on appelle un trait de malice nous semble plutôt être une simple transition pour amener le récit suivant, c'est-à-dire l'appel de Thémistocle aux Ioniens et aux Cariens de la flotte perse (VIII, 92).

Exact et impartial dans la description du combat, Hérodote ne se laisse pas aller davantage au plaisir de multiplier les anecdotes. Scyllias de Scioné lui en fournissait une occasion qu'il a su éviter, et cet exemple nous est une nouvelle preuve de la réserve avec laquelle il accueille en général les contes invraisemblables, quand quelque oracle n'est pas en jeu. Les exploits merveilleux du plongeur, dont la fille était déjà peut-être célèbre de son temps, lui semblent trop mêlés de fables, et il n'en rapporte qu'un trait[79] ; mais, en revanche, la prédiction de Bacis, réalisée aux dépens des malheureux Eubéens, lui suggère une réflexion amère, presque ironique, sur l'aveuglement entêté de ceux qui n'écoutent pas les oracles (VIII, 20). Assurément le ζυγόν βύβλινον de l'oracle cité par Hérodote (VIII, 20), n'est pas antérieur à la construction des ponts de Xerxès ; mais il n'est pas impossible qu'une recommandation aussi vague que celle-ci : Εύβοίης άπέχειν πολυμηκάδας αΐγας, se soit trouvée dans un vieux recueil de prophéties : n'était-elle pas applicable à toute menace d'invasion ? L'ironie du sort voulut que Thémistocle même, qui avait essayé de sauver les Eubéens, fût celui-là même qui, fit abattre leurs troupeaux et contribua ainsi à leur ruine.

La bataille des Thermopyles et celle d'Artémision ouvraient la Grèce centrale et l'Euripe à l'invasion des Mèdes. Mais, avant de poursuivre sa marche victorieuse, Xerxès voulut faire contempler à sa flotte le champ de bataille où gisaient les premiers ennemis qu'il eût eu à combattre (VIII, 21-25). Hérodote prétend que le Roi eut recours alors à une ruse grossière, qui n'échappa pas même aux soldats venus d'Artémision : au lieu des 20.000 hommes qu'il avait perdus, il en laissa voir seulement 1.000, couvrant de terre et de branchages les tombes qu'il voulait dissimuler[80] ; mais ces 1.000 morts qu'il avouait, Xerxès les avait réunis sur un seul point, laissant ainsi deviner sa ruse[81]. Aussi les soldats de la flotte durent-ils être plutôt frappés du courage des Grecs que de la grande victoire de Xerxès, et c'est sans doute comme un indice des défaites prochaines qu'Hérodote a cité cette supercherie, dont le souvenir s'était peut-être conservé sur place chez les Grecs du voisinage.

C'est dans la même intention que l'historien, à cet endroit de son récit, rapporte le mot de Tigrane à Mardonius : Contre quels hommes nous as-tu conduits, qui luttent, non pour des richesses, mais pour l'honneur ? (VIII, 26.) A peine est-il nécessaire de faire remarquer qu'une telle parole n'est pas authentique ; mais constatons avec quel art Hérodote caractérise une situation par un mot heureux ou par une anecdote piquante. Après la double victoire des Thermopyles et d'Artémision, le Grand Roi est déjà forcé de dissimuler ses pertes, et des symptômes de défiance se manifestent dans son entourage.

 

 

 



[1] Cette opinion, indiquée par Stein (HÉRODOTE, VIII, 4) et admise par la plupart des historiens, a été développée particulièrement par M. Ad. Bauer, dans son livre intitulé Themistokles, Merseburg, 1881.

[2] HÉRODOTE, VIII, 79.

[3] Cf. HOMÈRE, Odyssée, XIII, 66 ; XIX, 172 ; III, 293, IV, 354 et 845.

[4] THUCYDIDE, I, 126, § 3.  Cf. I, 24, § 1.

[5] ARISTOTE, Constitution d'Athènes, 22. — La découverte de ce texte a donné au témoignage de Polyen sur la loi de Thémistocle (Stratagèmes, I, 30, § 6) une autorité qu'il n'avait pas jusqu'ici.

[6] HÉRODOTE, VII, 144, note à la l. 4.

[7] KRÜGER (K. W.), Historisch-philologische Studien, t. I, p. 25 et suiv.

[8] DROYSEN (H.), Die griechischen Kriegsalterthümer (dans la réédition du Lehrbuch der griech. Antiquitäten de K. F. Hermann), Fribourg-en-Brisgau, 1889, p. 215, note 1.

[9] Ce chiffre se trouve en effet dans Justin (II, 12, § 12), qui parait l'avoir emprunté à Éphore. — Cf. HOLZAPFEL, Untersuchungen über die Darstellung der griechischen Geschichte bei Ephoros, p. 189, et Philologus, t. XLII (1883), p. 584 et suiv.

[10] BUSOLT, Griech. Gesch., t. II, p. 134-135.

[11] On trouve déjà dans Eschyle (Perses, v. 84-85) une allusion à ce vers de l'oracle cité par Hérodote.

[12] HÉRODOTE, VII, 132, l. 7.

[13] LYCURGUE, Contre Léocrate, 31.

[14] DIODORE DE SICILE, IX, 29.

[15] HÉRODOTE, VII, 132, l. 6.

[16] WECKLEIN, op. cit., p. 67-70.

[17] THÉOPOMPE, fr. 167 (Fragm. histor. Græc., t. I, p. 308).

[18] STOBÉE, Florilegium, XLIII, 48. — POLLUX, VIII, 105 (éd. Bekker).

[19] HÉRODOTE, VII, 132.

[20] LYCURGUE, Contre Léocrate, 81.

[21] XÉNOPHON, Helléniques, VI, 3, § 20 ; 5, § 35.

[22] HÉRODOTE, VII, 149.

[23] THUCYDIDE, I, 32.

[24] PONTOW, Quæst. de oraculis caput selectum, Diss. Berlin, 1881, p. 24.

[25] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 28.

[26] STEIN, éd. classique d'HÉRODOTE, VII, 167, l. 12.

[27] ARISTOTE, Poétique, 23.

[28] BUSOLT, Griech. Gesch., t. II, p. 261, note.

[29] L'année a perdu son printemps. ARISTOTE, Rhétorique, I, 7, et III, 10.

[30] . M. Wecklein, entre autres, ne doute pas que le mot n'ait été emprunté par Hérodote à Périclès (op. cit., p. 10).

[31] On voit que nous n'attribuons pas la valeur d'un document historique à l'épigramme gravée, dit-on, sur une offrande de Gélon à Delphes (BERGK, Poetæ lyrici Græci, 4e éd., t. III, p. 485). Le poète, Simonide peut-être, déclarait que Gélon et ses frères avaient consacré au dieu un trépied d'or, pour rappeler leur victoire sur les barbares (allusion à la bataille d'Himère) ; puis il ajoutait que ces princes avaient fourni à la Grèce une armée nombreuse, pour l'aider à défendre sa liberté. Quelles qu'aient été les dispositions de Gélon à l'égard des Grecs, cette phrase de l'épigramme contient une assertion certainement fausse.

[32] DIODORE, XI, 1.

[33] DIODORE, XI, 23, § 2.

[34] ÉPHORE, fr. 111 (Fragm. histor. græc., t. I, p. 284).

[35] MELTZER, Geschichte der Karthager, t. I, p. 214.

[36] BUSOLT, Griech. Gesch., t. II, p. 259, note 4.

[37] PINDARE, Pythiques, I, v. 73-80 : J'obtiendrai en rappelant le nom de Salamine la reconnaissance des Athéniens ; celle de Sparte, en disant le combat du Cithéron, funeste à l'armée mède aux arcs recourbés, et celle des fils de Dinomène, en leur offrant près des rives fraîches de l'Himère l'hymne mérité par leur vertu.

[38] ARISTOTE, Poétique, 23.

[39] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 31, § 3.

[40] HÉRODOTE, VII, 128, l. 7.

[41] TITE-LIVE, XLIV, 3.

[42] DIODORE, XI, 2, § 6.

[43] Nous adoptons ici les calculs chronologiques de M. BUSOLT, Griech. Gesch., t. II, p. 145, note 4.

[44] C'est une hypothèse de BERGK, Poetæ lyrici græci, 4e éd., t. III, p. 463-464 (SIMONIDE, fr. 110).

[45] M. WECKLEIN, op. cit., p. 10, ne doute pas que le prétendu conseil de Démarate n'ait été imaginé par Hérodote au temps de la guerre du Péloponnèse, lorsque déjà l'on songeait à occuper Cythère, pour aller de là piller la côte du Péloponnèse. Nous ne prétendons pas défendre l'authenticité du dialogue entre Démarate et Xerxès ; mais il nous semble qu'une idée aussi simple peut s'être présentée à l'esprit des Athéniens longtemps même avant la guerre du Péloponnèse.

[46] DELBRÜCK, op. cit., p. 86-90.

[47] TITE-LIVE, XXXVI, 30.

[48] C'est un sentier presque impraticable à certains endroits. Cf. la note de M. l'ingénieur Chauvin dans notre Rapport sur une mission scientifique en Grèce, p. 57-58, et pl. VI.

[49] ELIEN, Histoires variées, III, 1.

[50] PAUSANIAS, X, 21.

[51] ID., X, 22, § 1.

[52] Nous ne partageons pas sur ce point l'opinion de W. VISCHER, Erinnerung und Eindrücke aus Griechenland, p. 645.

[53] DIODORE, XI, 4, § 2.

[54] CTÉSIAS, Persisa, 25.

[55] DIODORE, XI, 4.

[56] HÉRODOTE, VII, 228. Bergk, dans le commentaire de cette inscription (Poetæ lyrici græci, 4e éd., p. 450, note), propose de ramener de 300 à 30 le nombre des myriades, par la correction de τριηκοσίαις en τριηκόντοις (on sait que des formes analogues se rencontrent chez plusieurs poètes alexandrins). Outre la hardiesse de cette correction, remarquons que dans Hérodote le chiffre de 3 millions ne choque pas trop après que l'historien a fait une énumération détaillée de l'armée perse et qu'il est arrivé au résultat formidable de 2.641.610 hommes. Si le texte de l'épigramme doit être conservé, il faut supposer que le poète a considéré que Léonidas et ses compagnons avaient arrêté aux portes de la Grèce le flot de l'armée envahissante.

[57] Il est vrai qu'une épigramme citée par Étienne de Byzance (au mot Θέσπεια) passait pour avoir été gravée sur le tombeau des Thespiens aux Thermopyles. De même, nous savons par Strabon (IX, p. 425) que les Locriens d'Oponte y eurent aussi leur épitaphe. Il y avait, en effet, au temps de Strabon, cinq stèles funéraires aux Thermopyles. Mais les deux dernières n'existaient pas au temps d'Hérodote, qui n'en cite que trois. Suivant Bergk (Poetæ lyrici græci, éd., t. III, p. 428-429), les trois tombeaux signalés par Hérodote auraient eu seuls un caractère officiel ; les autres n'auraient pas été élevés par un décret des Amphictyons. Mais cette hypothèse est sans fondement, puisqu'Hérodote dit, au contraire, que le tombeau du devin Mégistias était dû à l'initiative privée de Simonide (VII, 228) : ce n'était donc pas un monument officiel. Il nous parait assez simple de penser que, dès le principe, les alliés de Sparte furent tous réunis dans un seul monument, et que dans la suite chacun de ces États voulut consacrer par un tombeau spécial le souvenir de sa participation à la bataille.

[58] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 31-33.

[59] WECKLEIN, op. cit., p. 70-72.

[60] MÜLLER (M.), Geschichte Thebens, Leipzig, 1879, diss., p. 28 et. suiv. — DUNCKER, Gesch. des Alterth., t. VII, p. 257.

[61] DIODORE, X, 4, § 7.

[62] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 31.

[63] HOLM, Griech. Gesch., t. II, p. 59, note 17.

[64] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 33.

[65] WECKLEIN, op. cit., p. 70.

[66] NITZSCH, op. cit., p. 247.

[67] HÉRODOTE, VII, 203. — C'est bien là une pensée propre à Hérodote. Cf. VII, 214.

[68] CTÉSIAS, Persica, 24.

[69] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 32, 3-6.

[70] DUNCKER, Gesch. des Alterth., t. VII, p. 258, note 1. — WECKLEIN, op. cit., p. 47.

[71] Sur cette chronologie des batailles livrées aux Thermopyles et à Artémision, cf. BUSOLT, Griech. Gesch., t. II, p. 153, note 3.

[72] BELOCH (J.), Die Bevölkerung der griechisch-römischen Welt, Leipzig, 1886, p. 508 et suiv.

[73] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 34.

[74] DUNCKER, Gesch. des Alterth., t. VII, p. 239, note 2. — BAUER (AD.), Themistokles, p. 25. — BUSOLT, Griech. Gesch., t. II, p. 154.

[75] M. Holm va jusqu'à supposer que le reste de l'argent put bien être versé par Thémistocle dans la caisse de l'État (Griech. Gesch., t. II, p. 71, note 20).

[76] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 34, § 6.

[77] HÉRODOTE, VIII, t6. Stein croit que l'adjectif παραπλήσιοι signifie : de forces à peu près égales. Mais nous savons que la flotte perse était beaucoup plus nombreuse que la flotte grecque. Nous interprétons : les deux partis furent à peu près de même force, c'est-à-dire que ni l'un ni l'autre ne remporta la victoire.

[78] WECKLEIN, op. cit., p. 65-66.

[79] HÉRODOTE, VIII, 8. — Sur Scyllias de Scioné et sa fille, cf. AM. HAUVETTE, Un épisode de la seconde guerre médique (dans la Revue de philologie, t. X, 1886, p. 132 et suiv.).

[80] HÉRODOTE, VIII, 24.

[81] HÉRODOTE, VIII, 25.