HISTOIRE DE LA GRÈCE ANCIENNE

 

CHAPITRE XIII. — LA RÉVOLTE DE L'IONIE. MARATHON.

 

 

Le monde grec vivait, à la fin du VIe siècle, sous un régime paradoxal. Les régions les plus prospères du monde hellénique, celles où la civilisation urbaine, l'organisation économique, le développement artistique et scientifique étaient le plus avancés, n'étaient pas libres. Les cités grecques de la côte d'Asie Mineure obéissaient au roi de Perse, et dépendaient des satrapies de Sardes et de Dascylion. Et si l'autorité des satrapes, choisis en général parmi les populations indigènes, lydienne ou même grecque, était, on l'a vu, assez douce, cette situation présentait néanmoins, pour les villes helléniques, un double inconvénient. D'abord l'autorité perse favorisait chez elles le maintien du régime périmé de la tyrannie. Au lieu d'avoir affaire aux représentants instables de remuantes démocraties, les satrapes préféraient naturellement s'adresser à ces petits potentats, seuls responsables de l'attitude de leur ville, et dont il était facile d'encourager le loyalisme. D'autre part, le roi Darius, qui, depuis 521, à la suite d'une obscure révolution de palais, avait succédé à Cambyse, et que les révoltes du début de son règne avaient incité à donner à son empire une organisation plus serrée, imposait aux provinces de lourdes contributions en hommes et en argent. Et si l'esprit aventureux des Ioniens leur faisait peut-être accepter sans trop de murmures de participer aux expéditions militaires, l'impôt régulier que Darius substitua aux dons volontaires perçus de temps en temps par ses prédécesseurs ne rendit pas son gouvernement populaire. Sans parler des contributions en nature, les pays de la côte ouest de l'Asie Mineure versaient bon an mal an au trésor deux cents talents babyloniens (environ trois millions de francs-or) ; cette taxe, dont la plus grosse part portait sur une vingtaine de villes grecques, devait grever singulièrement leurs finances.

Mais ce souverain peu aimé avait su, établir son autorité sur des bases si solides que toute tentative de révolte et d'affranchissement paraissait condamnée à l'insuccès. Une forte centralisation, favorisée par la création de routes royales et de postes ; une surveillance discrète, mais effective, exercée par les secrétaires, les yeux et les oreilles du roi, sur les gouverneurs de provinces (satrapes) ; la comptabilité du Trésor rendue plus aisée par la création d'une monnaie d'empire ; l'existence d'une armée permanente, petite, mais composée d'éléments de choix, et de garnisons qui, dans chaque province, à l'abri de fortes citadelles, maintenaient les populations dans l'obéissance tous ces rouages faisaient des pays qui s'étendaient depuis ; jusqu'à la Mer Égée le plus formidable État qui se fit jamais constitué dans le voisinage de la Méditerranée il faudra attendre les grandes monarchies hellénistiques avant de revoir pareille puissance et pareille organisation. Cependant ce vaste empire avait des faiblesses qui étaient surtout la conséquence de son énormité même. Les courtiers les plus rapides mettaient quatre-vingt-dix jouis pour aller de Sardes à Suse ; en s'imagine avec quelle lenteur s'acheminaient les nouvelles, les ordres, et surtout les troupes. Plus fâcheux encore était le caractère composite de cet énorme État. Il n'y avait aucun rapport de langue et de culture entre les Hindous des provinces orientales, les Médo-Perses, les Assyro-Chaldéens, les Syriens et Phéniciens, les fellahs d'Égypte, les populations du centre de l'Asie Mineure, enfin, les Grecs de la côte ; l'ex-monarchie austro-hongroise, avec ses Slaves, ses Touraniens, ses Italiens et ses Allemands, donne une assez juste idée de cet empire hétérogène ; et, comme en Autriche-Hongrie avant 1914, l'autorité d'un seul homme maintenait l'unité de ce corps composite. Ces faiblesses pouvaient échapper aux populations passives de la vallée du Nil ou de la Mésopotamie, habituées depuis des siècles à trembler devant le bâton des représentants du pouvoir, quel qu'il fût ; il n'en allait pas, de même des Grecs, impatients de ce régime si contraire à leurs habitudes politiques, fort capables de démêler ses vices, et qui n'attendaient qu'une occasion pour en secouer le joug.

Cette occasion, Darius lui-même devait la leur fournir. Des raisons encore inconnues lui firent entreprendre vers 513 une campagne en Scythie. Peut-être fut-il attiré par les richesses fabuleuses et mal localisées des mines de l'Oural ; peut-être voulut-il s'assurer la possession des fertiles Terres-Noires de la Russie méridionale où les pays helléniques commençaient, dès cette époque, à se ravitailler en blé. En tous cas il attachait une grande importance à cette expédition, préparée par une croisière qui soumit les villes grecques de la région de l'Hellespont et explora les côtes septentrionales de la Mer Noire. Il tint à en prendre lui-même le commandement. Ce fut, comme avait été la campagne d'Égypte en 525, et comme devait être, vingt-cinq ans plus tard, celle de Xerxès, une expédition combinée par terre et par mer. Tandis que l'infanterie et la cavalerie franchissaient l'Hellespont sur un pont de bateaux construit par des ingénieurs grecs de Byzance, la flotte, composée surtout de contingents helléniques, longea les côtes du Pont-Euxin et remonta le Danube, sur lequel les Grecs construisirent un second pont qui servit au passage de l'armée, et dont la garde leur fut confiée. A la tête de ses troupes, Darius s'enfonça dans les plaines de la Scythie. Pour la première fois, la steppe fut, par son immensité même, victorieuse d'une armée organisée. Les Scythes firent le désert devant Darius, qui, las d'avancer dans un pays dévasté, se trouva trop heureux de pouvoir repasser sans encombre le pont du Danube. Ce fut un échec incontestable ; les villes grecques de l'Hellespont ne s'y trompèrent pas, et, dès ce moment, elles tentèrent un premier essai de révolte ; mais l'arrière-garde de Darius réprima ces velléités d'indépendance. Elle en profita même pour soumettre les populations de la Thrace, y compris les villes grecques de la côte, jusqu'au Strymon ; de l'autre côté de cette rivière, en Macédoine, où depuis plus d'un siècle une dynastie de souverains intelligents s'efforçait de constituer un État bien organisé et centralisé, le roi Amyntas dut prêter hommage au Grand Roi qui devenait son voisin.

Mais l'abcès couvait, comme dit Hérodote. Rentrés chez eux, les marins ioniens pouvaient raconter comment ils avaient tenu dans leurs mains le salut du Roi et de son armée ; on prétendait même que les cavaliers scythes leur avaient proposé de rompre et d'abandonner le pont confié à leur surveillance. Histiée, tyran de Milet, qui avait maintenu la garnison dans le devoir, avait reçu des marques éclatantes de la reconnaissance du Roi, s'était fait octroyer un district de Thrace riche en mines et en forêts, et avait été mandé à la cour de Suse. Aristagoras, son neveu, le remplaçait à Milet. L'oncle et le neveu sont l'un et l'autre de beaux types d'aventuriers ioniens, marins, hommes d'affaires, chefs de bandes, et pirates à l'occasion. Vers 500, Aristagoras proposa à Artapherne, satrape de Lydie, la conquête des îles de la Mer Égée, en commençant par Naxos, la plus riche des Cyclades à cette époque, comme l'attestent les ruines des monuments consacrés par elle dans le sanctuaire de Délos. Sans doute voulait-il se constituer, comme autrefois Polycrate, un empire maritime, sous le protectorat perse. Contre toute attente, l'expédition échoua : le parti démocratique, qui avait succédé, comme dans tant de cités de la Grèce continentale, au régime tyrannique, sut organiser une vigoureuse défense ; au bout de quatre mois, l'armée perse dut lever le siège (499). Cette fois il ne s'agissait plus d'un échec lointain : quelques heures de navigation séparaient Naxos des ports de la côte d'Asie, qui purent être informés au jour le jour des incidents de la campagne. Deux fois en quinze ans, l'empire perse venait de montrer sa faiblesse devant un ennemi résolu à se défendre. La révolte éclata. Les tyrans des villes ioniennes, les plus sûrs soutiens de la domination perse, furent expulsés : et l'on vit avec surprise Aristagoras, qui préparait peut-être son coup de longue date, prendre la tête des révoltés. Mieux encore : il s'offrit pour aller demander aux Grecs d'Europe de secourir leurs frères d'Asie, et partit pour le Péloponnèse. Sparte, la plus grosse puissance militaire du monde hellénique, mais peu portée aux expéditions lointaines, et mal informée de ce qui se passait hors d'Europe, refusa. Aristagoras fut plus heureux dans les villes maritimes que le commerce, sans parler des affinités de race et de langue, mettait en rapport constant avec celles d'Ionie : Athènes fournit vingt vaisseaux — un gros effort pour sa flotte naissante — Érétrie, cinq. Au printemps de 498, les contingents ioniens, réunis à ceux de Grèce, débarquaient à Éphèse, et marchèrent sur Sardes, qui fut prise et incendiée : seule la citadelle, où se réfugia la garnison perse, tint bon.

La prise de Sardes eut un retentissement considérable : la révolte gagna toute la côte, les cités de l'Hellespont, les populations demi-barbares de la Carie, réservoir de fantassins dont on vantait la valeur et l'armement ; enfin les villes grecques de Chypre, qui allaient fournir aux insurgés l'appui de leur marine. Ainsi, quatre siècles plus tard, l'Asie Mineure devait se lever en un jour contre les légions romaines à la voix de Mithridate. C'était une large compensation au départ du petit contingent athénien, rappelé, après la prise de Sardes, pour des raisons -que nous ne pénétrons pas bien. De son côté, la cour de Suse finissait par s'émouvoir et par comprendre la gravité des événements. C'était la région, sinon peut-être la plus riche, du moins la plus civilisée, qui se révoltait contre l'autorité du Roi, et Darius pouvait connaître, pour les avoir utilisées, la valeur de l'infanterie carienne, les qualités manœuvrières de la flotte ionienne, la science des Ingénieurs grecs. Avec un sens très juste de la situation, il comprit qu'il fallait vaincre les insurgés sur mer ; et le programme des opérations comporta avant tout une expédition navale. Pendant que les contingents royaux des satrapies d'Asie Mineure arrivaient à tenir en échec l'infanterie ionienne, à lui faire évacuer Sardes et même à lui infliger un échec près d'Éphèse, une escadre phénicienne fut envoyée à Chypre, et débarqua dans rue un corps d'occupation qui, malgré une bataille sur mer favorable aux Grecs, défit sur la terre ferme l'infanterie hellénique. Chypre retomba sous la domination perse, les insurgés perdaient une escadre et une base navale qui leur aurait permis de porter la guerre sur les côtes de Syrie. L'année suivante, en effet, les villes de l'Hellespont et de l'Éolide tombèrent aux mains des armées du Roi ; en Carie par contre, la population fit une résistance qui prit un caractère de guerre sainte, et, après deux batailles sanglantes, se termina par un échec perse.

Mais la question devait se régler sur mer, et Aristagoras le savait bien. Quand il apprit en 496 qu'une nouvelle flotte se construisait dans les chantiers de Phénicie, il jugea la situation désespérée, quitta Milet, partit pour la Thrace, dans les domaines de son oncle Histiée, où il rêvait, dit-on, d'entraîner ses compatriotes menacés, et fut tué en combattant les indigènes. Les insurgés perdaient un chef énergique et seul capable de maintenir l'unité entre eux. Après son départ, les intrigues perses purent semer la division parmi les Grecs : quand la flotte phénicienne parut devant le port de Milet, la partie était déjà it moitié gagnée pour elle ; dès le début de la bataille, qui s'engagea près de l'îlot de Ladé, les contingents de Samos et ceux de Lesbos désertèrent ; le reste de la flotte ionienne fut vaincu ; Milet, assiégée par terre et par mer, fut prise d'assaut, ses défenseurs égorgés, la ville et ses sanctuaires incendiés et pillés, la plus grande partie de la population, conformément aux usages de la guerre en Orient, déportée en Babylonie (494). Ce fut une catastrophe aussi retentissante que celle qui avait, une quinzaine d'années auparavant, à l'autre bout du monde hellénique, détruit Sybaris ; Milet ne s'en est jamais complètement relevée ; l'ancienne capitale de l'Ionie, et, on peut le dire, le centre de la civilisation grecque, était condamnée à végéter pendant deux siècles et à voir s'ensabler son port d'où étaient partis tant de hardis marins ; c'est à l'époque hellénistique seulement qu'elle retrouvera, sinon son prestige, du moins sa prospérité.

La révolte était finie. Quelques chefs essayèrent encore pendant quelques mois de tenir la mer : Dionysios de Phocée, qui avait tenté d'organiser la défense de Milet ; le vieil Histiée, qui, suspect à la cour depuis le début de la révolte, mal vu des Ioniens à cause de 'la faveur que Darius lui avait montrée autrefois, avait erré de Sardes à Suse, et de Suse à la mer, finirent en corsaires, l'un sur les côtes d'Italie, l'autre sur celles de Thrace. Mais sur terre la prise de Milet fit disparaitre toute velléité de résistance. Les satrapies d'Asie Mineure furent réorganisées, l'établissement d'un cadastre semble avoir permis une répartition de l'impôt plus équitable, certaines villes furent autorisées à conserver la constitution démocratique qu'elles s'étaient donnée depuis 498. C'étaient d'adroites concessions. Mais les derniers événements avaient pu montrer à Darius la nécessité de plus graves mesures. Pendant six ans, quelques villes grecques avaient tenu en échec ses meilleurs généraux et ses meilleurs marins ; la défaite hellénique était due, non pas à des infériorités militaires ou techniques, mais au manque d'unité entre les insurgés, et à la défection des Grecs d'Europe. Qu'un nouveau soulèvement éclatât, où ceux-ci enverraient des renforts plus considérables et assureraient au besoin l'unité du mouvement, les événements pouvaient tourner autrement. L'existence d'une Grèce libre et en pleine évolution démocratique était incompatible avec l'extension de l'empire perse sur les rives de la Méditerranée. Ainsi l'indépendance de la petite Serbie d'avant 1914 paraissait à la cour de Vienne le plus sérieux des obstacles à son Drang nach Osten. Pour mettre fin ce dangereux état de choses, il fallait que l'autorité du Roi fût reconnue d'un côté comme de l'autre de la Mer Égée.

Assurément Darius pouvait savoir qu'il allait entreprendre là une médiocre conquête. Un pays encore assez pauvre dans l'ensemble, qui n'arrivait pas à se suffire lui-même et qui était obligé de faire venir une partie de son blé des-pays de la Mer Noire, ses étoffes d'Asie Mineure une population remuante, raisonneuse, impatiente de toute autorité ; de hardis marins certes, mais de petites flottes en comparaison de celles d'Ionie et de Phénicie. Mais la tranquillité de l'Asie Mineure était à ce prix. Au reste le moment paraissait bien choisi. Les villes de la Grèce continentale qui auraient pu grouper autour d'elles les forces de l'hellénisme, Sparte et Athènes, étaient aux prises avec des difficultés de toute espèce. Sparte supportait les conséquences d'une constitution mal agencée : quoiqu'elle fût sortie victorieuse d'une rude guerre contre sa vieille rivale Argos, les conflits entre éphores et rois, et entre les deux familles royales, y créaient un état de malaise permanent : l'un des rois, Démarate, à qui son collègue Cléomène, le vainqueur d'Argos, avait fait une situation intenable, avait dû quitter Sparte et la Grèce ; réfugié dans les états du Roi, il pouvait, de loin, entretenir en Laconie un foyer d'intrigues favorable aux Perses. — Pour d'autres raisons, il en allait de même à Athènes, où le vieil Hippias, devenu vassal du Roi depuis qu'il s'était, lui aussi, réfugié à Sigée, conservait d'influents amis ; un de ses parents avait exercé les fonctions d'archonte. Bien entendu, le parti des tyrans aurait accepté de bon cœur la suzeraineté perse ; il était assez puissant pour faire interdire un drame sur la prise de Milet, dont la première représentation avait provoqué chez le public athénien une patriotique émotion.

Une première expédition perse traversa l'Hellespont dans l'été de 492 ; la flotte longeait les côtes, appuyait les mouvements de l'armée de terre, et assurait son ravitaillement. Mais son chef Mardonios, gendre du Roi, rencontra des difficultés inattendues : son camp subit, en Thrace, un sanglant assaut où lui-même fut blessé ; sa flotte fut, en doublant la dangereuse presqu'île de l'Athos, à moitié détruite par une tempête subite du Nord-Est. L'expédition avait néanmoins pu rétablir en Thrace et en Macédoine l'autorité du Roi, consolidée par des garnisons dont le commandement fut attribué à des militaires éprouvés. Mais les inconvénients de ces lourdes expéditions par terre étaient nettement apparus ; il valait mieux porter un coup direct aux cités qui, comme Athènes et Érétrie, avaient pris position pendant la révolte de l'Ionie en envoyant des renforts aux insurgés. Au printemps de 490, un corps expéditionnaire dont on ignore l'importance, mais composé surtout de bons fantassins des provinces centrales de l'Empire, avec un contingent de cavalerie, s'embarqua en Cilicie sous le commandement du Mède Datis, et, après avoir longé la côte sud de l'Asie Mineure, se dirigea droit vers la Grèce centrale. Il soumit en passant Naxos, ce qui assura au Roi la maîtrise des Cyclades et de la Mer Égée, et débarqua en Eubée, où Érétrie fut prise d'assaut et pillée. De là une courte traversée mena l'armée perse sur les côtes de l'Attique. Hippias, qui participait à l'expédition, avait conseillé ce point de débarquement. Il se rappelait que, soixante ans auparavant, c'était là que son père Pisistrate, rentrant en Attique, avait pu se constituer aussitôt une armée de partisans. Une plage de sable, abritée des vents du Nord et de l'Est, fournissait un abri suffisant à la flotte perse ; la plaine de Marathon offrait éventuellement le champ libre à des manœuvres de cavalerie contre lesquelles l'infanterie athénienne devait être impuissante ; l'armée de terre établit son camp près du rivage, en attendant qu'Athènes, divisée par les troubles intérieurs qu'escomptait Hippias, fût à la merci des troupes royales.

Mais la situation, de l'autre côté du Pentélique, n'était pas celle qu'escomptait le vieux tyran. Les élections du printemps de 490 avaient porté aux fonctions d'archontes et de stratèges des hommes du parti démocratique et patriote, résolus à combattre tout retour de la tyrannie et à maintenir dans son intégrité l'indépendance d'Athènes. En particulier dans le conseil des stratèges se trouvait un hardi militaire, Miltiade, petit-fils de ce remuant Miltiade parti autrefois à la tête d'un convoi d'Athéniens pour la conquête de la Chersonèse, où il avait su se tailler une petite principauté indépendante. Dans cette famille se perpétuait l'esprit des grands aventuriers du siècle précédent. En 493, après l'écrasement de la révolte ionienne, Miltiade avait dû quitter précipitamment la Chersonèse, et, échappant à grand'peine aux croiseurs phéniciens, s'était réfugié à Athènes. Son influence est peut-être sensible dans les mesures énergiques que prit le gouvernement d'Athènes à l'approche des Perses : la mobilisation générale fut décrétée, des messagers furent envoyés à Sparte, et à Platées, la petite ville béotienne alliée d'Athènes, pour demander des renforts : Sparte promit son concours, Platées envoya sans tarder plusieurs centaines d'hommes, et, peu d'heures après le débarquement des Perses, une armée de dix mille combattants environ, la plupart hoplites, traversait les défilés du Pentélique et venait s'établir au pied de ses pentes orientales. Adossés à la montagne, facilement ravitaillés par Athènes, dont six heures de marche les séparaient, ils surveillaient de près le camp ennemi. Au bout de quelques jours Datis put constater qu'aucun partisan n'apparaissait dans la Diacrie ; Athènes se montrait résolue à se défendre. Avant l'arrivée des renforts de Sparte, Datis voulut probablement brusquer les choses, et, quittant la plaine de Marathon, fiévreuse en cette saison, sans ombre et sans eau potable, rembarquer ses troupes et les amener devant Athènes même. Les stratèges, informés de ces intentions, décidèrent, sur l'initiative de Miltiade, une attaque immédiate : au moment où la cavalerie perse était déjà à bord, les hoplites athéniens s'ébranlèrent, et franchissant au pas accéléré la zone dangereuse où le tir des archers perses aurait pu avoir des effets meurtriers, abordèrent le camp ennemi. Ce qui restait à terre de l'infanterie royale fit bonne résistance ; le centre tint bon, mais les ailes cédèrent ; une panique s'ensuivit, où les troupes royales s'embarquèrent en désordre, et la flotte quitta en hâte la côte, abandonnant aux mains des Grecs sept vaisseaux et plusieurs centaines de morts et de blessés. Le lendemain, lorsqu'après avoir doublé le cap Sunium elle parut devant la rade du Phalère, la présence de l'armée de Miltiade, qui y était arrivée avant elle, ne permit pas une nouvelle tentative de débarquement. Le coup était manqué : la flotte perse retourna en Asie.

Matériellement, l'échec était pour Darius de peu d'importance. Ses pertes étaient insignifiantes. Les provinces centrales de son empire n'entendirent sans doute jamais parler de la bataille de Marathon ; l'Ionie même, et, qui plus est, les Cyclades, conquises de la veille, ne firent aucune tentative de révolte. Mais l'empire perse gardait à son flanc la menace de cette Grèce indépendante, et dont la victoire allait exalter l'orgueil. Les conséquences morales de la bataille étaient en effet considérables. A Marathon, Athènes, qui ne s'était jusqu'ici mesurée que contre Mégare ou la ligue béotienne, avait, dans des circonstances, il est vrai, très favorables, éprouvé la valeur de son infanterie, bonne manœuvrière malgré un lourd équipement qui, d'ailleurs, lui avait assuré la supériorité dans le corps-à-corps contre un ennemi armé à la légère. Athènes avait pu d'autre part apprécier les heureux résultats de son régime démocratique. Le principe de la nation armée, l'esprit qui animait ses troupes, le jeu des institutions qui avaient porté un Miltiade à la stratégie, avaient assuré la victoire.

 

Bibliographie. — HÉRODOTE. Histoires, IV-VI. — HAUVETTE-BESNAULT. Hérodote historien des guerres médiques. Paris, 1894. — DELBRÜCK. Die Perserkriege und die Burgunderkriege. Berlin 1887. — GRUNDY. The Great Persian War. London, 1901.