HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

IV. — LA RÉPUBLIQUE PARLEMENTAIRE

CHAPITRE VIII. — LE PREMIER MINISTÈRE FREYCINET. - LES DÉCRETS.

 

 

Formation du ministère Freycinet. — Sa position devant les Chambres. — L'amnistie intégrale repoussée. — L'article 7 au Sénat ; il est rejeté. — Promulgation de la loi sur l'enseignement supérieur. — Les décrets (29 et 30 mars 1880). — Session d'été. — M. Constans, ministre de l'intérieur. — La politique douanière de la France. — Mission de M. Léon Say à Londres. — Position difficile du cabinet. — Débat sur les décrets, au Sénat. — Expulsion des jésuites. — M. Gambetta contre le ministère. — Vote de la loi d'amnistie. — Les travaux parlementaires. — Les fêtes de Cherbourg. — Démission de M. de Freycinet.

 

I

M. Jules Grévy ne parait même pas s'être demande s'il y avait lieu de réparer l'erreur qu'il avait commise une première fois en n'appelant pas aux affaires le véritable chef de la majorité, M. Gambetta. Après avoir échoué avec M. Waddington, le président de la République persévéra dans son système ou, plutôt, il inaugura la méthode consistant à substituer les uns aux autres des ministères faits de pièces et de morceaux, fabriqués avec les débris recollés tic ceux qui se défont. Ainsi, une faute en entraînait une autre : une grave atteinte était portée au principe de à solidarité ministérielle : on fomentait, dans l'intérieur des cabinets successifs, un état de zizanies, de rivalités, d'ambitions latentes qui ajoutait encore à l'ambiguïté et à l'instabilité gouvernementales.

La plupart des collègues de M. Waddington restèrent en place, tandis que leur chef disparaissait. Le ministre des travaux publics, dont l'éloquence et le talent avaient brillé dans de récentes discussions, M. de Freycinet, prit, avec la présidence du conseil, le portefeuille des affaires étrangères ; son désir très sincère de donner au cabinet qu'il formait un caractère d'union entre les groupes républicains, ne rencontra que dispositions froides et humeurs chagrines ; il se trouva réduit à une concentration extrêmement restreinte, une concentration non de groupes et de partis, mais de personnes. MM. Lepère. Jules Ferry, Jauréguiberry, Tirard et Cochery restèrent en place. Les ministres nouveaux furent : à la justice, M. Cazot ; à la guerre, le général Farre ; aux finances, M. Magnin ; aux travaux publics, M. Varroy, dont le chef de cabinet fut M. Alfred Picard.

On confia les sous-secrétariats : de la justice, à M. Martin-Feuillée : de l'intérieur, à M. Constans ; des travaux publics, il M. Sadi Carnot ; de l'agriculture et du commerce, M. Girerd.

Sur cette liste figurent, comme on le voit, des hommes nouveaux : avant même que les chefs du parti, les combattants de la première heure, aient occupé le pouvoir. des générations plus jeunes acquièrent des droits et des titres. Tout est faussé dans le mécanisme d'un régime qui devrait avoir, pour première loi, une étroite conformité d'action entre le législatif et l'exécutif.

Le cabinet Waddington n'avait été qu'un reflet, le cabinet. Freycinet fut le reflet d'un reflet. Au journal la Justice (que venait de fonder M. Clémenceau avec MM. Pelletan, G. Laguerre, A. Millerand, S. Pichon, comme collaborateurs), on disait le replâtrage d'un replâtrage. Ce n'étaient ni le talent ni le mérite qui manquaient au chef du cabinet et à ses collègues : mais le ministère était voué, par ses origines mêmes, à reprendre le système du cabinet précédent. La politique d'équilibre étant sa seule ressource. il userait fatalement ses forces et son autorité en nue procédure d'habiletés, de précautions et de ménagements entre les divers partis.

M. de Freycinet n'était pas, à proprement parler, un parlementaire, c'était un technicien et un administrateur. On ne comprendra le vrai sens et le véritable mérite de cette belle carrière que si on la prend de ce biais. Une qualité éminente de M. de Freycinet a fait prendre le change : son admirable éloquence. Sa maîtrise à la tribune a trop fait oublier ses autres maîtrises. Or, M. de Freycinet n'est éloquent que par surcroît. Son affaire, c'est l'élude d'un dossier, l'adroit délitage d'un écheveau de difficultés, la lente élaboration d'une œuvre ; sa vertu, c'est l'ingéniosité. Ce polytechnicien est un savant, non un croyant : un adaptateur, non un créateur. Si, dans mie affaire, la subtilité, la perspicacité, la tenue, la pénétration psychologique et la compréhension politique suffisent, M. de Freycinet triomphe. Et il réussit toujours, quoi qu'il on soit, par la bonne grâce, le génie suave et doux, la fluidité ondoyante et pénétrante. Il est tout intelligence et clarté : lucide, pur et froid comme le cristal. Une réflexion prismatique et nuancée, des connaissances infiniment variées, une conscience très avertie de la relativité du monde et des choses font sa philosophie. Il ne s'échauffe sur rien, même sur ses propres actes. Le scepticisme qu'on lui reproche est une modestie. On a peu lu les ouvrages de cet excellent écrivain ; on a insuffisamment apprécié les mérites de cet excellent homme d'État : c'est qu'il y a, dans les uns et dans les autres, quelque chose de trop fin et de caché.

M. de Freycinet a, plus d'une fois, épargné au pays des erreurs retentissantes, de ces belles erreurs qui vous portent un nom jusque dans l'histoire. Il a fait sans bruit beaucoup de bien : peut-être n'a-t-il pas fait tout le bien que suppose une vie extrêmement remplie et, en somme, couronnée. Cela s'explique encore par la réserve naturelle à cet esprit circonspect : il voit tout trop nettement, même les obstacles.

M. de Freycinet s'est plié aux tâches nombreuses imposées à ses aptitudes et à sa multiple compétence. S'il n'a pas toujours réussi, il n'a jamais échoué, étant de ces généraux qui savent préparer, mieux encore que les victoires, les retraites. Toujours réclamé, toujours prêt, toujours actif, toujours désintéressé, prompt à entrer, trop prompt à sortir, il touchait aux araires, à la politique, à l'action, aux partis, en se jouant : il ne se refusait pas, mais il ne s'offrait pas, et surtout, il n'insistait pas.

L'homme rare qu'il était, tel qu'il devait briller si longtemps aux constellations républicaines, M. de Freycinet le fut, dès son premier ministère.

Tandis qu'il constitue le cabinet, il a le temps d'achever un exposé complet de son œuvre au ministère des travaux publics : un rapport, inséré au Journal officiel du 31 décembre 1879, rend compte de l'exécution du programme proposé en janvier 1878 et définitivement voté par les Chambres au mois de juillet 1879. Quand le plan sera entièrement exécuté, le pays aura augmenté son réseau de voies ferrées d'intérêt général d'environ 18.000 kilomètres, ce qui le portera à 42.000 kilomètres ; il aura construit ou amélioré 18.000 kilomètres de voies navigables et agrandi ou transformé la presque totalité de ses ports maritimes. Les projets entreront dans la phase d'exécution à partir du milieu de 1880.

La dépense totale sera de 6 milliards environ, répartis sur une douzaine d'exercices : 3 milliards et demi pour les chemins de fer, 1 milliard pour les voies navigables, 800 millions pour chemins de fer rachetés aux concessionnaires, 500 millions pour les ports. A partir de 1882, on peut admettre que l'exécution du programme sera dans son plein et que, pendant les années qui suivront jusqu'à complet achèvement, la dépense oscillera autour de 500 millions.

On comptait sur les plus-values que le budget des recettes accusait, malgré les désastres du terrible hiver 1878-1879[1], malgré la crise agricole qui commençait à sévir dans le Nord et qui attirait, dès lors, l'attention du gouvernement, malgré les ravages constants et malheureusement irréparables du phylloxéra. En dépit de tout, la République naissante était optimiste ; elle laissait à l'avenir sa part... et un peu à l'illusion.

Les Chambres se réunissent le 13 janvier. Le cabinet a eu le temps d'élaborer sa déclaration. Il prend, d'abord, un air résolu. Trois questions sont à l'ordre du jour, trois écueils : la réforme de l'enseignement, avec l'article 7 : la réforme du personnel, y compris celle de la magistrature l'amnistie. Le nouveau cabinet déclare qu'il soutiendra, devant le Sénat, l'article 7, déjà voté par la Chambre. La magistrature devra être réorganisée. Quant à l'amnistie, le mot même n'est pas prononcé : le ministère ne veut prendre nulle initiative : il attend. Les lois techniques, et notamment les lois budgétaires, militaires et douanières occuperont les séances et permettront de gagner du temps.

Mais les Chambres, déjouant ces pronostics paisibles, se remettent au régime des interpellations et des débats irritants. M. de Freycinet est traqué, dans ses tours et détours, comme M. Waddington l'était dans le fourré où il faisait tête.

Tout se défait dans une majorité incertaine et qui ne se sent pas conduite. M. Gambetta n'est élu président de la Chambre que par 259 voix sur 308 votants. Il y a 40 bulletins blancs. Au scrutin précédent. M. Gambetta avait obtenu 314 voix. C'est un échec pour l'opportunisme, s'écrie M. Haentjens. Le bruit circule que M. Gambetta n'occupera pas le fauteuil. Au Sénat, M. Martel est élu ; mais son état de santé ne lui permet pas d'accepter.

La réforme du personnel se poursuit dans les administrations qui, jusque-là, s'étaient défendues le plus énergiquement. Au ministère des affaires étrangères, M. de Freycinet, par décret du 23 janvier, réorganise l'administration centrale. M. Desprez, directeur des affaires politiques, qui avait survécu à l'empire et à la chute du duc Decazes, est nommé ambassadeur près le Saint-Siège en remplacement du marquis de Gabriac, mis en disponibilité ; M. le baron de Courcel lui succède à la direction des affaires politiques : M. Jules Herbette est directeur du personnel : M. Bourée est ministre en Chine ; par décret du 1er février, M. Camille Barrère, publiciste, est nommé délégué de la France à la commission européenne du Danube.

Au ministère de la guerre, par suite des incidents de Bordeaux et de l'interpellation Raynal, ou procède à de nombreuses mutations dans l'armée territoriale. 48 colonels, 61 chefs de bataillon, 14 chefs d'escadrons, sont mis à la suite et rayés des cadres.

La Chambre, sous l'impulsion énergique de M. Gambetta, se met au débat de la loi relative au nouveau tarif des douanes dont le rapport a été déposé, le 2 décembre, par M. Malézieux.

Les partis se tâtent. La Chambre discute une proposition de loi de M. Camille Sée, instituant des lycées de jeunes filles. On fait grande dépense d'ardeur et d'éloquence dans la discussion en première lecture du projet de loi relatif au droit de réunion (janvier) : rapporteur, M. Haquet. Un contre-projet de M. Louis Blanc demande la liberté pleine et entière du droit de réunion et du droit d'association. C'était la thèse absolue ; elle était soutenue par la droite au nom de la liberté. On posait, du coup, la question des associations religieuses, c'est-h-dire des congrégations. M. Madier de Montjau, M. Henri Brisson, s'élevèrent contre le système de M. Louis Blanc. Le contre-projet fut écarté.

Quant aux conditions auxquelles devait être soumis l'exercice du droit de réunion, la commission était plus libérale que le gouvernement ; celui-ci se fit battre sur l'article 4 ; par contre, il obtint une victoire disputée sur l'article 7 qui interdisait les clubs ; les souvenirs de la première Révolution et de 1848 l'aidèrent à arracher péniblement 257 suffrages contre 180. Ce n'était, d'ailleurs, qu'une première lecture. Évidemment, le ministère ne tenait pas la Chambre.

Était-il plus sûr du Sénat La discussion du projet de loi réformant le conseil supérieur de l'instruction publique lui prouva que, là aussi, il fallait lutter pied à pied. Le duc de Broglie posa, avec une autorité singulière et une amertume rajeunie, toute la question religieuse :

N'entendez-vous pas ce pouvoir faible d'abord et qui a grandi ?... Vous avez cru le satisfaire en lui sacrifiant les écoles congréganistes et, maintenant, il vous demande les églises. Ne vous y trompez pas, il ne s'arrêtera pas là ; il exigera davantage. Il est plus conséquent que vous ; il a la logique implacable de la passion et de la haine ; tandis que vous n'avez, vous, que l'incertitude et l'incohérence des demi-mesures et du demi-courage.

M. Jules Ferry réclama le vote au nom du droit de l'État, et défendit l'indépendance de la société à l'égard de l'Église. Le corps à corps fut vif. Les dissidents du centre gauche se séparèrent de la majorité républicaine. Pourtant le projet du gouvernement fut voté par 147 voix contre 129.

Le lundi 23 février, la Chambre adopte le projet de loi tel qu'il a été modifié par le Sénat. M. Paul Bert s'écrie : — Première victoire. Oui, mais combien disputée.

Entre ces deux périls, la situation du gouvernement est décidément bien difficile.

La gauche commence l'attaque à la Chambre, le jeudi 22 janvier. M. Louis Blanc dépose une proposition de loi demandant l'amnistie plénière. La proposition est renvoyée aux bureaux. M. Jean Casimir-Perier est nommé rapporteur de la commission, et, le 7 février, conclut au rejet. Discussion le 12 février. C'est le premier engagement politique. Le cabinet a eu un mois de répit. M. Louis Blanc soutient l'accusation. Pourquoi le silence du cabinet dans la déclaration De quoi a-t-il peur ? Il faut mettre fin à des souffrances prolongées ; il faut couper court, sans retard, à une agitation dangereuse. M. Casimir-Perier répond. Un ami particulier de M. Gambetta, M. Antonin Proust, appuie la proposition et demande au gouvernement de prendre l'initiative de l'amnistie. Ne tournons plus nos regards vers le passé, mais vers l'avenir : ce que le pays demande, c'est des réformes.

On attendait là M. de Freycinet. Quelle souplesse, que de ménagements pour tous !

Avez-vous pu vous raire illusion au point de croire qu'à huit jours, d'intervalle, nous consentirions à nous déjuger ? Le pays n'est pas actuellement préparé à recevoir l'amnistie. Le sera-t-il jamais ? Je l'ignore. Mais ce que je sais, c'est que si l'amnistie devient un jour possible, elle ne le sera qu'à deux conditions : la première, c'est que préalablement le calme et l'apaisement se seront faits sur cette question... Et, en même temps, l'amnistie devra perdre, ici même, l'apparence d'un moyen d'opposition contre le gouvernement. J'ai dit l'apparence, car je crois, car j'espère que beaucoup des signataires de la proposition d'amnistie ne sont pas des adversaires du gouvernement. (Sur divers bancs à gauche : Non ! non ! Vous avez raison de le croire, vous pouvez en être certain...)

Peut-on attirer plus doucement à soi des dissident qu'on ne vent pas traiter comme des irréductibles, peut-on réserver plus adroitement les lendemains ? Après un discours de M. Madier de Montjau, la Chambre, par 316 voix contre 114, repousse la proposition Louis Blanc.

Le gouvernement est consolidé...

Maintenant, l'attaque de droite se prononce. C'est au Sénat qu'elle s'affirme. Certes, la majorité est républicaine. Elle vient de le prouver en nommant sénateurs inamovibles le docteur Paul Broca, M. John Lemoinne, le brillant rédacteur des Débats. M. Albert Grévy, le frère du président de la République. Mais, si ferme qu'elle soit, il faut compter avec elle sur ce qui touche au respect des consciences ou, pour parler le langage de M. Jules Simon, à la liberté.

Le gouvernement, après avoir remporté, à la Chambre, la victoire de l'amnistie, gagnera-t-il, au Sénat, la bataille de l'article 7 ? Le projet de loi est discuté le lundi 23 février. Les positions sont prises depuis longtemps.

Après la discussion générale, qui n'est qu'un combat sur le corps de la compagnie de Jésus, on passe aux articles et aux amendements. Discours de M.M. Lucien Brun et Buffet réclamant le maintien du jury mixte. Tous les articles sont adoptés jusqu'à l'article inclusivement. On arrive à l'article 7 : c'est le fort du combat. M. Bérenger se prononce contre. Il accuse le gouvernement de jeter, dans la majorité républicaine, un brandon de discorde.

M. Buffet parle avec sa véhémence et sa vigueur pressantes :

Si les catholiques forment un parti politique, c'est vous qui l'avez voulu. Si vous n'attaquiez pas la foi catholique, la liberté des catholiques, ils ne songeraient pas à former un parti politique. Si vous appelez clérical tout homme qui combat ardemment pour ses convictions, toutes les causes ont leurs cléricaux. Si toutes les causes ont leurs zélés, pourquoi voudriez-vous que le catholicisme n'eût pas ses zélateurs ?

M. Jules Ferry répond. Une longue et puissante harangue, chargée et surchargée de textes, de citations, de preuves, expose toute une histoire de l'enseignement secondaire et supérieur en France depuis la Révolution : c'est l'éternel et insoluble débat qui remonte aux décrets de M. de Vatimesnil et au delà : c'est l'énumération et l'analyse de ces mesures qui, tant de fois, ont essayé de refouler l'invasion ultramontaine et ont échoué. Les congrégations non autorisées, que représentent-elles dans un état laïque, Février sinon l'arrière-pensée de Rome ? Pourquoi cette abstention et celte volonté muette de rester en dehors des cadres de l'État ? Pourquoi les uns refusent-ils si les autres acceptent ? Quel est ce mystère ? Et quelle confiance aurait-on, pour élever les futurs citoyens. en des membres de l'État qui se groupent pour se dérober aux lois de l'État ?

Les procédés d'éducation des jésuites, les thèses historiques, politiques, sociales de la compagnie et du clergé sont passés en revue :

Si l'on est indifférent à ces choses, si l'on trouve que les doctrines professées, restaurées, enseignées avec l'autorité d'une compagnie puissante et qui est en train d'accaparer une partie de la jeunesse française ; si l'on croit que l'installation, que la prédication de ces doctrines au sein de notre société est une chose indifférente et que l'État n'a pas à s'en préoccuper, alors il faut aller jusqu'au bout de ce principe et proclamer résolument la séparation de l'Église et de l'État. Mais, tant que l'Église et l'État seront unis, il faut suivre les traditions de ceux qui nous ont précédés et savoir ce que l'on prêche tous les jours dans les 40.000 églises de France... Oui, puisque le mot a été prononcé, c'est le combat de la Contre-Révolution contre la Révolution. Ce combat, nous l'acceptons, mais nous nous servons des armes que la tradition nous a léguées... Et c'est pour cela que nous convions ù soutenir avec nous ce combat, qui est l'œuvre de l'heure présente et qui est vraiment le bon combat, tous ceux qui procèdent de la Révolution française, tous ceux qui ont recueilli son héritage, tous ceux qui révèrent ses principes et qui se consacrent à son service, tous ceux qui croient que nous avons de grands devoirs vis-à-vis de ceux qui nous ont précédés comme vis-à-vis des générations futures et 'pie le premier de ces devoirs, c'est d'arracher aulx contempteurs : de la société moderne, de l'ordre politique et social dans lequel nous vivons, l'âme de la jeunesse française.

Cet admirable discours, cet effort prodigieux d'un homme debout pour une cause si haute, soulèvent une émotion indicible. Une sorte de tumulte accueille le fier ministre quand il regagne sa place, parmi les mains battantes et les poings menaçants.

M. Jules Simon répond. Sa thèse est connue, c'est la thèse libérale. Sa voix douce, sa parole émue, son éloquence persuasive s'élevant au-dessus d'elle-même, retiennent l'attention de l'auditoire, aussitôt reconquis. La gauche s'irrite contre la violence morale qui lui est faite et l'attaque, mais, lui, continue ; il attaque a son tour :

En vérité, je vous trouve bien imprudents... On dira que les républicains, en arrivant au pouvoir, n'y ont apporté que l'oppression qu'ils ont empruntée à leurs adversaires... Non, l'âme de la France n'a rien à redouter des écoles libres. Est-ce que l'Angleterre, est-ce que les Etats-Unis n'ont pas une âme ? Et, cependant, ni la grande Angleterre, ni la république des États-Unis n'ont une institution analogue à notre Université... Ne forgez pas contre la liberté d'enseignement des armes dont il n'est pas une seule qui ne pourrait servir à mutiler la liberté de réunion et la liberté de la presse. Ne laissez pas dire que vous ne savez que proscrire et que vous supprimez la liberté quand elle vous gêne. Il faut aimer la liberté, surtout pour ses adversaires. Quand on ne l'aime que pour soi seul, on ne l'aime pas, on n'est pas cligne de l'aimer, on n'est pas digne de la comprendre.

Le Sénat est incertain. Personne ne peut dire quel sera le sort du projet. Le tout dépend d'un dernier débat, le débat politique et d'opportunité. Le Sénat se risquera-t-il à la suite de M. Jules Simon ? Se décidera-t-il à mettre le gouvernement en échec ; rompra-t-il avec la majorité de la Chambre ?

M. de Freycinet supplie le Sénat de ne pas quitter le gros de l'armée. C'est impolitique, a dit M. Jules Simon ; c'est hautement politique, répond M. de Freycinet. Et le président du conseil prononce des paroles, conciliantes dans la forme, menaçantes au fond. L'article 7 est l'ouvre d'un cabinet extrêmement modéré, qui avait à sa tête M. Waddington. Après les luttes du Seize Mai, il représente le minimum de précautions contre une campagne qui a été entamée et continuée par tous les adversaires de la République avec le concours des éléments les plus actifs du parti clérical.

Je déclare, quant à moi, que si mes vœux avaient suffi pour empêcher que cet article 7 ne vint devant le parlement, j'y aurais consenti avec joie... Mais, soyez-en convaincus, il n'y a pas un cabinet qui, ayant rejeté l'article 7, cuit pu tenir pendant vingt-quatre heures devant l'autre Chambre. Une majorité de 340 voix l'a voté... Ne serait-il pas puéril de penser qu'un cabinet, après avoir offensé une majorité pareille, prît espérer son concours ?

M. le baron de Lareinty s'écrie :

Nous ne sommes pas ici pour exécuter les volontés jacobines de la Chambre des députés.

Mais M. de Freycinet se relève sous le coup de fouet :

Si cette loi n'est pas votée, le pouvoir exécutif, quel qu'il soit, serait mis en demeure d'appliquer des lois beaucoup plus dures que celles-là. Votez l'article 7, c'est le plus modéré que vous puissiez obtenir... N'en doutez pas, quels que soient les inconvénients que vous puissiez y trouver, c'est encore une mesure de prudence et de transaction.

Un homme se lève, et c'est M. Dufaure. Ou dirait que la tradition de M. Thiers se lève avec lui. Il est l'image de la République conservatrice, marraine et tutrice de cette jeune République qui s'éloigne d'elle si délibérément. Aucun reproche ne peut être fait à M. Dufaure. Ni rancune, ni jalousie, ni bouderie. On dirait que ce ministre d'hier, qui va mourir bientôt, sort, du passé et vient de l'au-delà :

L'article 7 soulève, quoi que vous en disiez, la plus grave des questions, la question religieuse... Cette loi a pour précédentes la loi du sacrilège, les lois de septembre, la loi de sûreté générale. C'est une loi réactionnaire... Vous voulez l'unité morale ? Il n'y a pas de milieu : il faut adopter alors le système de l'empire. Je refuse de juger les jésuites... Le Sénat doit-il toujours céder ? Il a cédé sur la question de l'amnistie partielle. Cédera-t-il dans la question de la magistrature ; cédera-t-il aujourd'hui ? M. de Freycinet a fait appel aux sentiments de conciliation du Sénat. Il a déclaré ses propres sentiments dans des termes qui répondent assurément il sa véritable pensée : que, dans l'intervalle des deux lectures, un effort soit fait, à la lumière du débat, pour apporter aux Chambres un texte conciliateur. Quant au Sénat, qu'il reste le fidèle défenseur des principes et de la liberté : qu'il repousse l'article 7.

On vote. L'article 7 est rejeté par 148 voix contre 129 (9 mars). 28 sénateurs du centre gauche parmi lesquels, outre les orateurs cités, MM. Dauphin, Denormandie, Gouin, Krantz, Laboulaye, de Malleville, Rampon, de Rozières, ont voté avec la droite. 8 se sont abstenus, parmi lesquels MM. Faye, amiral Fourichon, Littré, etc. La République de M. Jules Simon, de M. Dufaure et de M. Thiers fait échec à la République de M. Gambetta, de M. Ferry et de M. Brisson. Est-ce la grande coupure ? Le Sénat va-t-il orienter, à lui seul, la République vers les voies modérées ?... La présidence de la République se tait.

Le lundi 15 mars a lieu la deuxième délibération. Le président du conseil, l'homme à la parole, aux idées, à l'ingéniosité si conciliantes, a-t-il trouvé cette formule transactionnelle que M. Dufaure le suppliait d'apporter ? Il monte à la tribune et dit, sèchement, que la transaction, c'était l'article 7...

Cette transaction écartée, nous n'avons aperçu d'autre solution que l'application des lois et le gouvernement a déjà accepter la situation qui résulte pour lui du vote du Sénat.

C'est la Chambre, visiblement, qui aura le dernier mot. D'ailleurs, elle soutient énergiquement le ministère, qui ne l'abandonne pas. Le 16, les présidents des quatre groupes de gauche, MM. Devès, Philippoteaux, Spuller et Georges Périn interpellent le cabinet : Tous ces groupes ont constaté que la législation spéciale sur les congrégations est toujours en vigueur. Le centre gauche même adhère à cette manière de voir. M. de Freycinet n'a qu'à proclamer l'accord du gouvernement et de la majorité :

Nous appliquerons les lois... Dans cette tâche délicate où il faut à la fois de la prudence et de la fermeté, nous vous demandons de nous fortifier par l'expression de votre confiance.

L'ordre du jour de M. Devès est ainsi conçu :

La Chambre, confiante dans le gouvernement et comptant sur sa fermeté pour appliquer les lois relatives aux associations non autorisées, passe à l'ordre du jour.

L'extrême gauche trouve la teneur insuffisante et 22 de ses membres s'abstiennent. De même, 13 membres du centre, 5 de l'union républicaine, 1 de la gauche. La majorité est de 324 contre 125.

A la suite de ce scrutin, la Chambre vole sans discussion la loi sur l'enseignement supérieur (moins l'article 7) telle qu'elle a été acceptée par le Sénat. La loi est promulguée le 18 mars.

Les Chambres s'ajournent, le 22 mars, pour les vacances de Pâques.

 

II

Le cabinet ne laisse pas traîner les choses. A peine les Chambres sont-elles séparées que, le lendemain des fêtes de Pâques, il fait paraitre au Journal officiel les décrets des 29 et 30 mars, les fameux décrets. Le premier accorde trois mois aux jésuites pour se disperser et évacuer les établissements qu'ils occupent. Le deuxième porte que toute congrégation ou communauté non autorisée est tenue, dans le délai de trois mois, de faire les diligences à l'effet de se mettre en règle, faute de quoi elle encourrait l'application des lois existantes[2].

Ces mesures se fondent sur l'article 11 de la loi organique du concordat du 18 germinal an X :

Les archevêques et évêques pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir, dans leurs diocèses, des chapitres orthodoxes et des séminaires. Tons autres établissements ecclésiastiques sont supprimés ;

Et sur l'article 4 du décret-loi du 3 messidor an XII :

Aucune congrégation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra se former à l'avenir, sous prétexte de religion, à moins qu'elle n'ait été formellement autorisée par un décret impérial, sur le vu des statuts et règlements... etc.

Depuis de nombreuses années, ces textes n'étaient pas appliqués. Un recensement, opéré en 1877, constatait l'existence de cinq cents congrégations non autorisées comprenant près de vingt-deux mille religieux des deux sexes. On voit quelle somme d'efforts et d'intérêts, quelle diversité de sentiments et d'œuvres s'étaient amassés et cristallisés, en quelque sorte, autour de ces institutions et se trouvaient atteints par les décrets. La République, parmi les taches qui s'offraient à elle, se consacrait, d'abord, à la lutte contre l'activité confessionnelle d'une partie extrêmement nombreuse et zélée de la nation.

Des raisons politiques déterminaient cette campagne. Presque partout, depuis des années, la cure était le centre et la permanence de la propagande conservatrice. Ce sont des ingérences qui se font payer en cas de victoire, qui se liaient en cas de défaite.

Mais la décision avait aussi d'autres mobiles. L'esprit protestant, allié de longue date aux doctrines libérales, ne fut assurément pas absent de ces conseils où se trouvaient réunis M. Waddington, puis M. de Freycinet, M. Le Royer. La libre-pensée et la franc-maçonnerie intervenaient non moins énergiquement, assurées qu'il n'y avait rien à faire en France tant qu'elle ne se serait pas arrachée aux directions catholiques. Michelet, Quinet, étaient les maîtres de ces générations. Avec énergie et résolution, les hommes d'État de la République marchaient au but qu'ils s'étaient proposé selon leurs lumières et leurs consciences. De part et d'autre. des convictions fortes étaient en présence et leur ardeur élevait, singulièrement le débat.

On dit que le président Grévy hésita avant de signer les décrets[3] ; mais l'opinion les accueillit avec calme, sinon avec faveur. Les jésuites étaient tolérés plutôt qu'acceptés. Sauf la haute bourgeoisie, qui leur confiait ses enfants, la masse du pays les ignorait et gardait sur eux l'idée peu favorable que des dictons, des livres ou des pièces populaires avaient répandue.

On s'étonna du développement pris par les congrégations non autorisées. Dans chaque quartier dos grandes villes, dans chaque bourg, et même dans de nombreux villages, des constructions fastueuses, des propriétés closes de murs et de mystères, imposaient au regard et. à l'attention les progrès de l'œuvre cléricale. Mais on n'avait pas une idée de l'ensemble, de la masse. Certes, on appréciait les services rendus : hôpitaux, écoles, dispensaires, enseignement religieux, moral, technique même. Mais on sentait qu'il y avait, dans tout ce travail, quelque chose de voulu, de combiné pour un but, qui ne se dévoile jamais. La population indifférente partageait l'appréhension des violents sur le gouvernement des curés.

Dans combien de communes, avec le concours des municipalités réactionnaires, aux temps de l'Assemblée nationale, avait-on vu s'essayer une sorte d'inquisition atténuée et de terreur pale ? Les provocations de la presse catholique, l'Univers, le Pays, répétées et envenimées par les journaux locaux, avaient rendu le contact entre les deux partis presque douloureux. En des pays de sens moins froid et de mœurs moins douces, on en serait venu aux mains.

Après la victoire, cette irritation, aboutissait à l'article 7, dont l'opinion se serait peut-être contentée. M. de Freycinet l'avait présenté comme une transaction : c'était bien le caractère de la mesure. On voulait faire sentir le frein en imposant. mais en limitant le contrôle aux choses de l'enseignement. M. de Freycinet avait menacé de l'application des lois existantes, mais si doucement, qu'on l'en avait cru à peine. On avait refusé de s'incliner. Eh bien ! l'heure était venue de passer au fait et d'appliquer les lois. Tant pis pour ceux qui n'avaient pas compris, qui n'avaient pas voulu comprendre, et qui, une fois de plus s'étaient laissé mener par les imprudents, les intempérants et les matamores de presse ou de sacristie[4]. Une scission se produisait, même dans la droite, à ce sujet. Le prince Napoléon, faisant acte de prétendant, approuvait les décrets et rompait, une fois pour toutes, avec l'impérialisme catholique ; il tenait à marquer sa place parmi les bleus. (Lettre du 5 avril.)

Mais, ce qui était plus important encore, tandis que la presse catholique fulminait et commençait la campagne contre la validité des décrets, l'autorité la plus haute, celle du pape, ne se prononçait pas. Le G avril, en recevant M. Desprez, ambassadeur accrédité auprès de lui, le pape fit allusion aux décrets du 29 mars, sur un ton triste et réservé. Il ne blâmait pas, il se plaignait : Nous sommes dolents d'apprendre que l'on entendrait adopter certaines mesures envers les congrégations religieuses. Aux yeux du Saint-Siège, les congrégations ont, toutes, une valeur égale.... etc.

Léon XIII ne voulait pas renoncer, dès la première difficulté, à son système de temporisation et de pacification. L'Église en avait vu bien d'autres, en Allemagne notamment, et les choses, pourtant, étaient en train de s'arranger.

 

Les Chambres rentrent le 20 avril.

M. Martel, empêché par rage et par la maladie, se retire de la présidence du Sénat : il est réélu cependant, mais à titre momentané. Discussions assez aigres, au Sénat, sur le recrutement du conseil d'État, an sujet de la mesure qui impose, pour l'admission dans les carrières publiques, les diplômes délivrés par une faculté de l'État : le gouvernement n'obtient que l'ordre du jour pur et simple. A la Chambre, interpellation de M. Godelle sur l'Algérie : M. Albert Grévy est mis en cause, et l'administration de la colonie est dépeinte comme livrée au pillage depuis l'avènement du gouverneur civil : La question de l'Algérie sera, pendant de longues années, une préoccupation grave pour le gouvernement central.

M. de Freycinet a profité des courtes vacances pour mettre les choses au point dans son ministère des affaires étrangères. Dès les premières semaines de son arrivée, après avoir modifié les cadres de l'administration centrale, il avait pris une mesure qui devait avoir, sur l'étude et la connaissance de l'histoire française, la plus haute influence : il avait décidé que les archives du département, gardées jusque-là dans un secret absolu, seraient communiquées aux travailleurs, sous la haute surveillance d'une commission spéciale composée de personnes compétentes. L'histoire est la seule ma dresse véridique des démocraties.

Des mutations importantes se produisent dans le personnel extérieur : M. Léon Say, ancien ministre des finances, accepte l'ambassade de Londres en remplacement de l'amiral Pothuau (30 avril). M. Decrais est nommé ministre à Bruxelles au lieu de M. John Lemoinne (8 mai), qui, lui-même, avait été désigné pour ce poste en remplacement de M. Duchâtel, nommé ambassadeur à Vienne.

Le ministre des affaires étrangères croit devoir s'expliquer sur la politique extérieure, sous la forme d'une circulaire adressée aux ambassadeurs (16 avril).

Les relations sont cordiales avec les puissances. Le travail de mise à exécution du traité de Berlin se poursuit par un échange de vues entre les cabinets. La question des israélites de Roumanie a été réglée par des concessions réciproques ; celle de la nouvelle frontière grecque est encore pendante ; mais le Monténégro et la Turquie négocient au sujet d'un tracé qui pourrait être approuvé par les puissances.

En Égypte, après le départ d'Ismail, l'une des deux puissances tend à organiser la situation financière :

Cependant, ce serait se méprendre beaucoup sur le caractère de notre politique dans ce pays que d'en chercher le mobile principal dans le désir d'assurer la situation des porteurs de bons de la Dette. La liquidation des embarras financiers de l'Égypte nous paraît le préliminaire indispensable d'une réorganisation administrative sérieuse, et c'est à ce titre surtout que nous y attachons tant d'importance.

La circulaire s'explique aussi sur une affaire qui nuisit pendant quelque temps aux relations de la France et de la Russie, à une heure où la perspective d'un rapprochement apparaissait, l'affaire Hartmann[5].

Enfin, elle s'achève sur une déclaration importante et qui, probablement, en a motivé la rédaction ut la publication :

Quelques personnes ont suppos que les décrets relatifs aux congrégations religieuses pou aient avoir pour conséquence l'abandon de notre politique séculaire en Orient et en Extrême-Orient et que nous cesserions de protéger les missionnaires qui contribuent à étendre notre influence et à faire connaître au loin le nom français. C'est là une erreur complète... Les mesures prises n'infectent en rien les conditions de notre protection é l'égard des missionnaires à l'étranger.

On se souvient du mot de Gambetta : L'anticléricalisme n'est pas un article d'exportation : il y avait donc là un système, un système dont l'application devait, il est vrai, se heurter à bien des difficultés. Les traditions françaises, les établissements français, l'influence française en Orient et en Extrême-Orient font partie du patrimoine national. Malgré la contradiction trop réelle qu'il y avait à dissoudre au-dedans les établissements que l'on soutenait et que l'on développait au dehors, les gouvernements républicains se firent, pendant longtemps, un devoir de ne pas laisser périr une œuvre incomparable et irremplaçable. On pensait alors que, en présence de l'étranger, les querelles intérieures s'apaisent et l'on travaillait ensemble au bien commun du pays.

Les décrets ne pouvaient pas ne pas provoquer un débat parlementaire. M. Lamy, membre de la gauche, catholique convaincu, orateur éminent, prit l'initiative d'une interpellation (3 mai). Ce fut un duel juridique entre M. Lamy et M. Cazot, garde des sceaux. La thèse de l'orateur catholique était la suivante : Les décrets-lois impériaux invoqués par les décrets du 29 mars ont été, en réalité, abrogés par le code pénal, qui leur est postérieur. Leurs prescriptions sont effacées soit par des mesures plus récentes, soit par le temps et le non-usage. Ce sont des lois surannées.

Lois surannées ! répond M. Cazot ; elles sont permanentes, dans la monarchie comme sous la République.... à moins qu'on ne dise que la République est le seul gouvernement qui n'ait pas le droit de se défendre... L'ordre du jour pur et simple, demandé par le gouvernement, est voté par 347 voix contre 133. Seul, de la gauche, M. Lamy vote contre.

 

C'est un pas franchi, le plus facile. L'opposition se réserve pour le Sénat. Voici, maintenant, d'autres obstacles qui se dressent sous les pas du cabinet. Un travail caché ou une force occulte (dont il se plaint, d'ailleurs) entravent-ils sa marche[6] ?

La Chambre discute sur la mise à l'ordre du jour de la loi sur la magistrature, elle se scinde en deux parties égales, et la discussion du projet de loi n'est renvoyée, après la loi sur l'administration de l'armée, que par 197 voix contre 195.

Voici la loi sur le droit de réunion, déjà votée en première lecture. La discussion reprend de plus belle entre M. Louis Blanc, qui prétend, au nom des principes, légiférer en même temps sur le droit de réunion et sur le droit d'association, tandis que le parti autoritaire ne veut pas se laisser entrainer à accorder la liberté d'association, dont profiteraient les congrégations religieuses. Le contre-projet de M. Louis Blanc ayant été écarté, la loi, amendée de commun accord entre la commission et le gouvernement, est votée en seconde lecture, le 15 mai. Cependant, M. Lepère, ministre de l'intérieur, qui s'était engagé sur un des articles de la loi repoussé par la Chambre, croit devoir donner sa démission. Par décret du 17 mai. M. Constans, sous-secrétaire d'État, le remplace ; il a lui-même pour successeur M. Fallières. Ce sont encore des noms de l'avenir. Tous deux appartiennent à cette partie de l'union républicaine qui avait voté contre le gouvernement ; mais, on n'en était plus à compter les contradictions.

Dès l'entrée, M. Constans donne sa mesure, comme ministre de la police, à l'occasion d'une manifestation annoncée, pour le 23 mai, au Père-Lachaise, en commémoration de la semaine sanglante. Ce sont les premières journées, depuis la Commune : mais cc sont aussi les premières manifestations de vigueur républicaine pour le maintien de l'ordre : le mal et le remède ! On jette, au devant des foules mobilisées, des forces si écrasantes, que la manifestation avorte. M. Clémenceau interpelle. Il met le gouvernement en demeuré d'appliquer les principes républicains. Mais, M. Constans :

Nous avons charge de la tranquillité publique et vous pouvez être certains, Messieurs, que nous assurerons l'ordre dans la rue. Vous prétendez que nous violons les libertés publiques. Nous les aimons comme vous... et c'est précisément parce que nous sommes respectueux de ces libertés que nous devons les garantir contre les atteintes des gens qui veulent porter le trouble dans les esprits et le trouble dans la rue !...

Langage que les gouvernements républicains, quels qu'ils soient, se transmettront fidèlement.

Le conseil municipal de Paris a voté un ordre du jour de blâme contre les mesures prises par le préfet de police. Le vote est annulé par décret.

L'ambassade de M. Léon Say en Angleterre devait être de peu de durée. C'était une mission qui lui était confiée. Il se rendait à Londres pour examiner, avec les ministres de la reine, les conditions futures des relations commerciales entre la France et l'Angleterre. Depuis plus d'une année, la plupart des traités de commerce, arrivés à échéance, n'étaient plus renouvelés que provisoirement. En juillet 1878, l'Italie avait pris, de son côté, l'initiative de la rupture économique : les produits de l'un et l'autre pays eussent été soumis, de part et d'autre, à l'application des tarifs généraux, si une convention ayant pour objet de leur appliquer provisoirement le régime de la nation la plus favorisée, en attendant le vote des nouveaux tarifs, n'avait été conclue entre les deux gouvernements. Le droit de proroger les traités de commerce arrivant à échéance, n'était accordé au gouvernement par les Chambres que jusqu'au 30 juin 1880.

Le ministre du commerce, M. Tirard, s'était présenté devant la Chambre comme le défenseur de la politique modérée, celle qui restait attachée aux principes du libre-échange et qui ne consentait à voter un tarif général que comme un moyen de négociation et de défense contre les puissances qui élevaient des barrières devant les produits français.

C'était la première fois, depuis qu'il existait (1791), que le tarif général était l'objet d'une réfection d'ensemble. La France, malgré le grand élan commercial qui avait marqué les premières années de la République, voyait la plupart des marchés disputés à son exploitation. La surproduction, accrue par la prospérité même, accumulait les marchandises manufacturées dans les ateliers et les greniers. Une crise agricole intense commençait à sévir. La plaie du phylloxéra paraissait sans remède. Le malaise était général et était devenu une véritable souffrance depuis le cruel hiver de 1878-1879.

L'industrie cotonnière qui, depuis les traités de 1860, n'avait cessé de protester contre la concurrence de l'Angleterre, ayant eu la bonne fortune de rencontrer, parmi ses défenseurs, des députés comme M. Jules Ferry et M. Méline, avait pris la tête de la campagne protectionniste ; combinant, dans un effort commun, les réclamations de l'industrie, de l'agriculture, elle s'efforçait, maintenant, d'obtenir le concours des départements viticoles.

M. Tirard se refusait à jeter un cri d'alarme. Les exportations de la France, disait-il, l'emportent toujours sur les importations de 12 à 1.300 millions. Les souffrances viennent de certaines causes spéciales et demandent tout au plus certains ménagements.

Pour tenir compte de ces souffrances, nous vous demandons de maintenir le statu quo, c'est-à-dire de prendre le tarif conventionnel actuel, majoré de 24 % sur certains articles, comme tarif général et comme base de négociations avec les puissances étrangères, en vous promettant de ne pas descendre, dans les négociations, au-dessous des prix portés à ce tarif conventionnel.

C'était donc encore la politique des traités de commerce avec une ligne de défense un peu plus ferme et une surveillance plus étroite de la part du parlement.

M. Méline est un adversaire redoutable pour M. Tirard. Depuis que M. Jules Ferry a quitté la présidence de la commission des douanes où il est remplacé par le vénérable M. Malézieux, M. Méline en est l'âme. Chargé de l'un des rapports, il s'érige en défenseur de l'industrie cotonnière et de l'agriculture. Avec une érudition spéciale immense, un travail opiniâtre, une autorité juridique remarquable, une éloquence claire et pénétrante, un esprit réaliste et actuel, il se place, dès lors, à la tête de la politique d'intérêts et de la politique d'affaires.

M. Méline faisait bon marché de la doctrine. Il peignait les souffrances, découvrait les racines du mal dans la facilité extrême des négociateurs français et réclamait une défense plus énergique du marché. Les traités de commerce et notamment les traités de 186o n'ont pas donné ce que l'empire en attendait. Un marché comme le marché français ne se livre pas sans défense à la concurrence étrangère, quand celle-ci est indemne des impôts qui, par suite d'événements à jamais déplorables, accablent la production nationale.

La crise actuelle ne pourra être dénouée que par la rupture de la solidarité étroite qui lie le marché français au marché anglais. La protection est indispensable au salut des industries nationales.

La discussion générale se prolonge pendant tout le mois de février ; MM. Keller, des Rotours, Richard Waddington, Rouvier, Allain-Targé, y prennent part. M. Gambetta et ses amis restaient encore attachés au libre-échange.

Ces débats, où il fut déployé tant de talent et de compétence, appartiennent à l'histoire technique. Niais ils auront, sur l'histoire générale, de longues suites et de profonds retentissements. La République entre, à son tour, dans la phase économique moderne. La recherche des débouchés prépare les voies à la politique coloniale et à la politique mondiale. Les relations de tous les peuples se subordonneront bientôt à la balance du commerce.

L'ardeur est extrême, de part et d'autre, pendant tout le mois de mars. La commission veut gagner du temps, tandis que M. Gambetta la presse. La Chambre, en somme, suit le gouvernement plutôt que la commission. L'urgence est votée par 276 voix contre 160. Sur la proposition de M. Lebaudy, la Chambre décide de diviser le projet de loi en quatre sections, qui seront successivement discutées ; chacune fera l'objet d'une loi spéciale, qui, pour gagner du temps, sera envoyée au Sénat.

1re section : matières animales et matières végétales :

2e section : matières minérales :

3° section : produits fabriqués :

4e section : tarifs de sortie, surtaxes applicables aux produits importés d'ailleurs que des pays de production, surtaxes applicables aux produits importés des colonies et des possessions françaises.

Le 22 mars, au moment où la Chambre se sépare pour les vacances de Pâques, la première section est votée, conformément à la politique plutôt libérale du gouvernement. A la rentrée, dès le 24 avril, la deuxième section est votée également.

Le gouvernement, ayant obtenu gain de cause le plus souvent, veut-il donner à son système l'autorité d'un fait considérable, l'adhésion de l'Angleterre ? Veut-il offrir au parti protectionniste un gage de son esprit de fermeté ? Ne cède-t-il pas à certaines pressions financières qui se sont toujours entremises dans les relations de la France et de l'Angleterre, et qu'il ne se sent pas la force de repousser ? Quoi qu'il en soit, aussitôt ce vote acquis et au moment où le Sénat va être saisi du projet de loi dans son ensemble, on charge M. Léon Say de se rendre à Londres et de s'aboucher avec le gouvernement anglais.

M. Léon Say reste un mois en Angleterre. Ce qu'il cherche, c'est un accord qui apporte aux protectionnistes français des satisfactions suffisantes et qui maintienne, en même temps, l'harmonie commerciale, sur des données libérales, entre les deux pays.

Le 5 juin, M. Léon Say écrit à M. Gambetta qu'il croit avoir tracé, en commun avec ses partenaires anglais, les grandes lignes de l'entente future. Un projet de protocole a été signé.

Le 4 juin, la discussion du tarif est terminée à la Chambre. Les quatre sections ont été renvoyées au Sénat. Mais les sentiments de la haute Assemblée sont beaucoup plus protectionnistes que ceux de la Chambre. Aussi, elle ne se presse pas. Le 15 juin, M. Feray interpelle le gouvernement sur la mission de M. Léon Say à Londres et sur les résultats de cette mission. M. Pouyer-Quertier soutient M. Feray. On reproche au gouvernement d'avoir engagé des négociations avant d'avoir obtenu le vote du Sénat. M. de Freycinet affirme que rien n'est conclu et que le document échangé avec le cabinet anglais ne fait que constater un simple échange de vues. Les choses restent en suspens.

M. Léon Say n'avait pas envie d'insister. Le Sénat venait de l'élire président à la place de M. Martel, qui ne pouvait plus remplir les fonctions : il quitta l'ambassade de Londres, où il fut remplacé par M. Challemel-Lacour (11 juin). Une question assez grossière de M. O'Donnell sur le rôle de M. Challemel-Lacour à Lyon, pendant la guerre, prouva que les polémiques intérieures ont parfois de fâcheux échos au dehors ; mais la Chambre des communes ne voulut même pas entendre la motion de M. O'Donnell.

M. Emmanuel Arago remplaça M. Challemel-Lacour à Berne. M. Tissot fut nommé ambassadeur à Constantinople, succédant à M. Henri Fournier, mis à la retraite (15 juin).

Le général Aymard, gouverneur de Paris, étant mort, fut remplacé par le général Clinchant (15 juin), et le général Clinchant, au commandement du 6e corps, par le général Saussier (17 août).

Partout, on sentait l'influence de M. Gambetta. C'étaient son parti et ses hommes qui s'emparaient des avenues du pouvoir. Mais cela n'allait pas sans résistance. Le 19 juin, le quartier du Père-Lachaise (XXe arrondissement) élisait conseiller municipal M. Trinquet, déporté de la Commune, par 2.353 voix, contre M. Letalle. M. Letalle était le candidat de la République française. M. Gambetta l'avait appuyé, en personne, dans une réunion publique tenue le 19 juin. Et pourtant M. Gambetta avait, ce jour-là, annoncé la concession la plus grave qui pût être faite aux partis avancés : il avait déclaré son adhésion et celle du gouvernement à la cause de l'amnistie plénière.

Ce fut une des heures les plus laborieuses de cette période difficile. M. Gambetta traqué, traquait à son tour le cabinet. Il espérait encore pouvoir empêcher ce qu'il craignait le plus, une scission prématurée dans le parti républicain. D'autre part, M. de Freycinet, qui s'était prononcé si nettement, il y avait quelques mois à peine, contre l'amnistie plénière, hésitait à se déjuger. M. Jules Grévy l'appuyait dans sa résistance.

M. Gambetta veut essayer sa puissance. Il écrit, le 16 juin, dans une lettre intime :

Nous sommes en plein désarroi ; ce cabinet ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il ne veut pas ; tantôt il est prêt à exiger impérieusement l'amnistie du chef de l'État ; tantôt il se déclare impuissant et impropre à imposer une politique nette et forte soit au président, soit au Sénat.

Je me suis occupé à rajuster toutes ces volontés chancelantes et croulantes ; au dehors, l'opinion s'émeut et s'aigrit ; la Chambre se trouble ; il est temps d'en finir ou on marche à un désastre.

J'ai convoqué ce soir, à neuf heures, aux affaires étrangères (c'est-à-dire chez M. de Freycinet), les opposants du centre gauche du Sénat et de la Chambre, et je ferai une suprême tentative pour les rallier à la mesure immédiate de l'amnistie. S'ils résistent, les résolutions les plus graves s'imposeront à moi ; s'ils consentent, fût-ce du bout des lèvres, on peut considérer l'avenir comme assuré...

Du moment où il le prenait sur ce ton, M. Gambetta était le maître. La réunion eut lieu, en effet. Le président de la Chambre, appuyé par M. Hébrard, directeur du Temps, dicta sa volonté. La raison politique, comme ou disait, emportait tout. M. Gambetta craignait de perdre Paris aux élections prochaines ; tandis que la droite luttait désespérément sur les questions religieuses, il voulait éviter, même au prix des plus larges concessions, de rompre avec la gauche avancée. Si la scission s'accomplissait avant les élections, tout gouvernement devenait impossible : c'était le désastre.

Donc, M. Gambetta se prononce en faveur de l'amnistie et l'emporte. Une circonstance favorable se présentait : la fixation prochaine, par une loi, de la Pie de la République au u4 juillet et la distribution à l'armée des nouveaux drapeaux. Quelle date plus propice pour effacer les traces de la guerre civile ? M. de Freycinet renonce à ses derniers scrupules et le projet de loi est déposé le 19 juin.

 

III

C'est dans celle situation si complexe, où le cabinet, tiraillé entre ses sentiments modérés et les pressions diverses s'exerçant sur lui, vivait péniblement, c'est à ce moment qu'il est obligé de se retourner encore di' coté du Sénat et de repousser le plus redoutable des assauts dans le déliai relatif à la légalité des décrets. La discussion s'engageait il l'occasion des pétitions adressées à la haute Assemblée. Quelques centaines de mille signatures, plus ou moins authentiques. en tout cas faciles recueillir sur l'immense surface du pays catholique donnaient lexie aux protestations de la droite.

M. Rousse, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, un des esprits les plus fins, un des cœurs les plus chauds et un des caractères les plus fermes de ce temps, avait donné une consultation qui concluait à l'illégalité des décrets. Dans le monde officiel, dans la haute bourgeoisie, par les agents occultes, par les femmes, une campagne vive et soutenue était engagée. La vie était, difficile aux membres du cabinet, assaillis jusque dans leur vie privée et dans leur intimité la plus étroite.

Les cardinaux, les évêques, s'adressaient au président, de la République et intéressaient sa conscience. La chapelle de l'Élysée, comme les cathédrales des villes et les églises des campagnes, était pleine de larmes et de prières. On criait à la persécution et au martyre. L'appréhension d'avoir à exécuter ces décrets avec le concours incertain et, en tout cas, contraint de la magistrature et de l'armée, les accusations sanglantes portées contre les ministres — et celle qui devait être la plus pénible de toutes pour la nature aimable de M. de Freycinet, le reproche de tyrannie et de violence, — toutes ces raisons, et aussi, sans doute, la raison parlementaire, — car il avait l'oreille ouverte à tous les vents, — avaient décidé le président du conseil à prendre ses précautions et à préparer son terrain.

M. de Freycinet avait reçu, dans son cabinet, la moitié des évêques de France. A tout le monde, il affirmait son esprit de conciliation, ses intentions bienveillantes, son désir de voir rétablir, sur les associations, une loi plus libérale et d'adoucir quelques-unes des conditions mises à l'autorisation[7]. M. Lepère avait déclaré, affirmait-on, que les décrets ne s'appliqueraient pas aux congrégations de femmes. Mgr Lavigerie avait obtenu du président du conseil l'assurance formelle que les congrégations religieuses non autorisées, établies en Algérie, ne seraient pas inquiétées. L'archevêque d'Alger avait cru comprendre qu'on entrerait volontiers dans les voies d'une entente avec Rome. En sortant de l'audience du ministre, son assurance répandait autour de lui des paroles confiantes. Peut-être aussi, avec un peu plus de décision et de souplesse, les catholiques eussent-ils arraché, à cette heure, de suffisantes concessions[8].

Mais les indiscrétions et les lenteurs nuisirent ; les violents se jetèrent à la traverse, et le débat s'engagea au Sénat avant que rien ne fût conclu (24 juin).

Ce furent les deux orateurs les plus éminents de la droite, les hommes les plus considérables, l'un le plus modéré et le plus libéral des parlementaires, en somme, un des fondateurs de la République, M. le duc d'Audiffret-Pasquier ; l'autre le plus perspicace et le plus redoutable des adversaires du régime, M. le duc de Broglie, qui prirent, devant la haute Assemblée, la défense des congrégations. Ce fut une belle journée avec des dessous, des tactiques qui la rendaient particulièrement piquante pour les assistants.

M. le duc d'Audiffret-Pasquier se montre tel qu'il est, plein d'entrain et de chaleur. Convaincu et déterminé, il se livre tout entier. Il combat pour ses autels, la religion et la liberté. Discours émouvant pour la partie hésitante de la majorité, mais singulièrement embarrassant pour le cabinet dans les passages où M. de Freycinet était ménagé, son caractère et sa prudence louangés, une allusion discrète faite à ses demi-confidences ;

Dans cette politique, monsieur le président du conseil, Vous n'êtes pas vous-même. Que n'avez-vous réalisé les promesses de la constitution de 1848, donné la liberté d'association ? Pourquoi ne pas attendre le sort de la proposition déposée à la Chambre par M. Marcel Barthe et celui de la proposition déposée an Sénat par M. Dufaure ?

La loi des associations, mais c'était le chemin qu'avait indiqué M. de Freycinet lui-même. A droite et à gauche, on répétait cette formule, cette seule formule : loi des associations. Là était le salut... On eût été bien déçu, au fait, et au prendre.

Le duc de Broglie ne refusa pas quelques égards et quelque condescendance à la bonne volonté de M. de Freycinet. Il croit constater qu'il subsiste encore, dans l'esprit de M. le président du conseil, un secret désir de ne pas pousser l'exécution jusqu'au bout... Mais s'il l'accorde, c'est pour tenir et juguler l'homme qu'il traite déjà comme un prisonnier. La manière est autrement agressive. Le duc d'Audiffret-Pasquier a chargé ; lui, il fonce :

Vous nous avez dit ce mot étrange : l'article 7 est une transaction ; c'est la première fois qu'on parle devant un parlement de transactions dans l'exécution d'une loi... Le gouvernement offrait, quoi ? La non-exécution d'une loi. La loi est donc sa chose ? C'est l'arbitraire...

On parle encore de conciliation, de mesures plus douces et plus mesurées :

Ne vous y trompez pas et ne nous trompons pas. Vous ne pouvez rien faire ; vous n'êtes pas libre. Disons tout ; aussi bien, il n'y a plus aujourd'hui de mystère : vous subissez les ordres d'un maitre qui ne se cache plus désormais sous aucun voile et qui ne prend même plus la peine de ménager l'amour-propre et la dignité de ses serviteurs. Ce maitre, dont tout le monde cannait le nom, est celui qui a prononcé cette parole : Le cléricalisme, voilà l'ennemi.

M. de Freycinet, traité de si haut, compte sur l'appui de quelques membres plus prudents de la droite. Il défend la position du gouvernement, mais avec une modération souple et attentive. Il ne parle que de précautions, de garanties, de mesures préventives et n'épargne pas les intentions bienveillantes.

On a donné aux congrégations de mauvais conseils. On a voulu mettre le gouvernement dans l'embarras... Maintenant, à la veille de l'échéance du 30 juin, à la veille du délai qui a été imparti aux congrégations, je viens vous adjurer de ne pas adopter l'ordre du jour motivé ou le renvoi au ministre qui ont été proposés. Soyez-en convaincus, cette fois encore, ce serait un conseil imprudent que vous donneriez aux congrégations ; elles y verraient un appui à l'attitude qu'elles ont prise et un motif de plus pour y persévérer. En outre, vous mettriez encore davantage le gouvernement dans l'impossibilité de réaliser les intentions que je soutiens être bienveillantes, quoi que vous en disiez, qu'il nourrit à leur égard.

La transaction est donc offerte encore une fois. La droite modérée saisit cette main qui s'offre. M. Bocher, qui répond à M. de Freycinet, dit après avoir critiqué les décrets :

Ce n'est pas un ennemi qui vous parle. Ne vous engagez pas sur la pente funeste qui vous conduira bientôt, fatalement, aux violences, à la persécution.

Tout cela d'un ton assez bénin... Les évêques ont conseillé la modération ; le pape est derrière eux.

Par 143 voix contre 127, le renvoi des pétitions aux ministres est rejeté. L'ordre du jour pur et simple, accepté par le gouvernement, est voté.

Succès pour le ministère ! Mais combien débattu, mitigé, marchandé ! Et comme il a dû le payer cher, si les paroles de M. de Freycinet ne sont pas simplement de bonnes paroles et si ses avances à la droite doivent arriver un jour à échéance et à remboursement. Car, d'autre part, le président du conseil se sent pressé étrangement : la droite est exigeante, la gauche est impatiente. On craint de froisser des sentiments respectables ; mais il faut obéir à des revendications véhémentes. La main de M. Gambetta est sur le gouvernement ; elle le couvre, mais elle le menace.

Cinq jours après la discussion au Sénat (29 juin), les jésuites étaient expulsés dans les 31 départements où se trouvaient leurs maisons provinciales. Un délai, expirant le 31 août, était accordé aux maisons dans lesquelles l'enseignement était donné à la jeunesse. On ne procéda pas par voie de justice, mais par autorité administrative. Les préfets agissant au nom du gouvernement, les tribunaux n'auraient à intervenir qu'au cas où des délits seraient commis. Des instructions furent envoyées, à cet effet, aux procureurs généraux.

Au reçu de ces instructions, deux cents magistrats des parquets, obéissant, assure-t-on, aux conseils des comités de droite, donnèrent leur démission. Ils furent révoqués et, aussitôt remplacés.

Il y eut quelque tentative ou simulacre de résistance. A Paris, rue de Sèvres, où se trouve la maison principale des jésuites, les scellés avaient été apposés, le 29 juin au soir. Le 30 juin, à l'aube, M. Andrieux, préfet de police, est sur les lieux, en gants gris perle. Les jésuites ne cédèrent qu'à la force. Ils se retirèrent en chantant les psaumes et en bénissant les foules catholiques prosternées[9].

Mgr Freppel posa une question au ministre de l'intérieur sur l'application des décrets. M. Constans répondit que personne, en France, ne pouvait se placer au-dessus des lois. Le lendemain, autre débat au sujet des révocations dans la magistrature. Naturellement, toutes ces discussions sont extrêmement violentes. On ne touche pas impunément aux plus délicates susceptibilités des consciences.

Cependant la République se préparant à célébrer, le 14 juillet, la fête de son triomphe, les nouveaux drapeaux devant être distribués aux régiments, il avait paru, à ses chefs, que l'amnistie plénière s'imposait, avec l'oubli des discordes civiles. Le gouvernement s'était, incliné, et il avait déposé, le 19 juin, un projet de loi qui n'avait pas été sans lui caler. Il fallait franchir cette dernière étape. Après quoi, les trois tâches les plus ardues qui avaient été confiées à son esprit de décision seraient remplies.

On discute, le lundi 21 juin, sur le rapport de M. Jozon, favorable au projet. M. Casimir-Perier le combat. M. de Freycinet expose brièvement les raisons qui avaient amené le gouvernement à changer d'opinion et à hâter une mesure qui, quelques mois auparavant, lui paraissait devoir être retardée.

Nous avons pensé que les amnisties sont surtout des œuvres d'opportunité..., dit-il. — Ah ! ah ! s'écrie-t-on de toutes parts. En effet, cette épithète donnait l'acte de baptême de la mesure : elle désignait M. Gambetta. Celui-ci avait annoncé son intention de descendre du fauteuil et de parler. Il entendait faire, de l'amnistie, sa chose. Il vint s'asseoir non loin des ministres.

M. Paul de Cassagnac se charge de provoquer cette intervention.

Le gouvernement, nous l'avons constaté souvent, le gouvernement n'a jamais été au-dessous de la tribune où je parle en ce moment ; il était au-dessus ; maintenant, il est à côté de moi. — L'orateur désigne successivement le banc des ministres, le fauteuil du président et le premier banc du côté gauche où est assis M. Gambetta...

M. Gambetta répond. De ce jour commence la rude partie qu'il engage dans une situation déjà compromise. Pris entre la droite et la gauche, il ne peut plus échapper. Il n'a d'autre ressource et d'autre arme que son éloquence. Il se jette, en personne, dans la mêlée.

D'abord, l'exorde, digne de l'orateur romain :

Messieurs, j'ai cédé à l'impérieux sentiment du devoir, en demandant à la Chambre de vouloir bien m'entendre dans la question qui s'agite aujourd'hui devant elle ; non pas, comme l'a dit le préopinant, parce que la grande mesure dont le gouvernement prend aujourd'hui l'initiative est l'œuvre d'une personnalité quelconque. Président de la Chambre, représentant la majorité, c'est à ce titre et non à un autre que j'ai été consulté. Je ne suis pas au-dessus du gouvernement, pas plus que je ne suis à côté de l'honorable M. de Cassagnac. Je suis à mon rang et à ma place, au poste où votre confiance m'a élevé. Mais, ce ne serait pas en comprendre toute la responsabilité si, lorsque l'heure est venue d'examiner sérieusement, profondément, l'utilité, l'opportunité, la gravité d'une mesure d'État, je pensais que je puis, égoïste et indifférent, regarder ce que font les autres, sans venir réclamer ma part de collaboration.

La noblesse, la force, l'esprit, tout était réuni, d'abord, pour gagner cet auditoire hésitant. L'argument se développe avec une tenue convaincante et une chaleur croissante :

Je pense avoir étudié avec soin la marche des esprits ; eh bien ! après avoir écouté, interrogé le pays, je suis arrivé à cette solution : non, la France n'est pas passionnée pour l'amnistie ; elle n'y apporte ni ardeur ni enthousiasme ; elle sait ce que lui a coûté cette série de crimes, elle sait quelle a été la rançon de cette folie inoubliable. Non, elle n'est pas passionnée pour l'amnistie, et si elle n'avait à prononcer qu'un arrêt, il serait bien vite écrit en caractères ineffaçables. Mais, Messieurs, si la France ne subit pas d'entraînement pour l'amnistie, elle éprouve un autre sentiment, celui de la lassitude. Elle est fatiguée, exaspérée d'entendre constamment se reproduire ces débats sur l'amnistie, et elle dit à ses gouvernants et à vous-mêmes : Quand donc me débarrasserez-vous de ce haillon de guerre civile ?

La voix rauque déchaîne, par ce cri, l'enthousiasme contenu jusque-là. EL le tableau s'élargit encore :

Quand j'ai eu examiné l'état mental du pays, quand j'ai eu constaté cette lassitude qui fait que la question n'est pas mûre, — je vais employer un mot vulgaire, — mais qu'elle est pourrie, quand j'ai eu fait cet examen interne, j'ai jeté un regard au dehors, et qu'est-ce que j'ai vu ?... Quels sont donc, maintenant, les sentiments de l'Europe ? Il y a six mois, les réponses n'étaient pas bonnes. Aujourd'hui, vous avez rencontré le crédit et la confiance au point de vue de vos ressources et de votre fortune matérielle ; vous êtes en train de retrouver le crédit et la confiance au point de vue de votre puissance morale et de votre stabilité politique (quelle manière de caresser la bête avant de lui demander l'effort !) ; maintenant, je puis vous dire ce que je sais, ce que j'ai recueilli : L'amnistie, nous dit-on, vous pouvez la faire ; elle n'effraye plus l'Europe et elle vous débarrassera beaucoup.

Enfin, le retour sur soi-même qui, il partir de cette date, donne un accent si émouvant il cos belles harangues :

Ce n'est pas à moi, qui ne suis que le fidèle représentant de la démocratie parisienne ; ce n'est pas é moi qui suis son fidèle représentant et son plus vieux lutteur, qu'il faut apprendre ni ses défaillances ni ses entraînements. Mais il y a une chose laquelle je tiens, c'est é la liberté de mon jugement. Ils savent, là-haut, que je ne les ai jamais ni flattés ni trompés. Hier, ils ont fait une faute (l'élection de Trinquet). Est-ce que vous pensiez empêcher que celle propagande réussit ? Est-ce que vous pouviez couper court à de pareilles suggestions, à de semblables entrainements ?... Il faut que vous fermiez le livre de vos dix années, que vous mettiez, la pierre tumulaire de l'oubli sur tous les crimes et tous les vestiges de la Commune et que vous disiez tous, ceux-ci dont on déplore l'absence et à ceux-là dont on regrette quelquefois les contradictions et les désaccords, qu'il n'y a qu'une France et qu'une République !

Le succès fut immense. La loi est votée par 312 voix contre 116. Le gouvernement était dominé de toute la hauteur d'une telle intervention : ses victoires étaient rapetissées et avaient quelque chose de menu.

La discussion eut lieu au Sénat les 2 et 3 juillet. La commission, présidée par M. Jules Simon, s'était prononcée contre l'acceptation de la loi. M. Voisins-Lavernière, rapporteur. Victor Hugo dit quelques nobles paroles. Mais le véritable débat, ce fut, par-dessus les deux Chambres et par-dessus le gouvernement, la réplique de M. Jules Simon à M. Gambetta.

M. Jules Simon fut agressif et terrible. Son âme ulcérée déborde. Il accable le gouvernement, qui propose la loi malgré lui.

J'aime mieux un ministère qui applique son opinion qu'un ministère qui applique l'opinion d'autrui et qui prend l'allure de ses adversaires afin que ceux-ci ne prennent pas sa place !... Les élections ne se feront pas sur l'amnistie, comme on l'a dit, (c'était un des arguments de M. Gambetta : la raison politique). Elles se feront entre deux politiques, la violente et la modérée, la modérée, qui veut l'être et ne l'est pas, qui ne sait pas l'être, qui n'a pas assez de désintéressement et de courage pour être de sa propre opinion... Le plus grand ennemi de la République, c'est le souvenir des violences qu'on a besoin d'effacer par un courage déployé, non dans la rue contre l'insulte, mais dans les Chambres, dans les cabinets, dans les comices, contre cette espèce d'émeute qui ne se fait pas avec des fusils, mais avec des décrets.

Comme le dit M. de Freycinet dans sa réponse, c'était un véritable acte d'accusation. Le ministre, qui est toujours écoulé avec faveur et que la droite voulait ménager, fait appel à la sagesse, à l'union ; il signale la différence de tempérament entre les deux Chambres. Le président du conseil avait des façons si câlines et si douces que, de lui, on acceptait tout. Débat difficile. Enfin, un amendement Bozérian, excluant, de l'amnistie les auteurs de crimes d'incendie et d'assassinat, tire tout le monde d'affaires et fait voter la loi.

La Chambre acceptera-t-elle cette modification ? Trainera-t-on encore, de session eut session, l'odieux haillon ? Après un double va-et-vient entre les deux Chambres, l'accord se fait sur une rédaction intermédiaire. La loi est promulguée le 11 juillet.

La Chambre, avant de se séparer, a terminé sans incident la discussion du budget. Le 12 juillet, le budget des dépenses était entièrement volé et aussitôt porté au Sénat.

La session parlementaire avait été extrêmement chargée. Outre ces importants débats sur l'enseignement, les décrets, l'amnistie, le tarif des douanes, les travaux publics, le budget, la majorité, sons l'impulsion de M. Gambetta, avait hâté le travail des réformes. La plupart des questions à l'ordre du jour avaient été abordées dans des discussions approfondies ; des lois importantes avaient été votées[10].

Cet effort législatif et administratif est assez considérable pour que le pays s'habitue à prendre confiance en un système qui se consacre, avec une application incontestable, à la défense de ses intérêts. Dans cet ordre pratique, le gouvernement est en contact permanent et utile avec le parlement et avec les représentants des intérêts particuliers. M. de Freycinet, toujours sur la brèche, a gagné, par son activité oratoire et sa compétence sans bornes, une autorité effective, sinon politique, sur la Chambre et sur le Sénat.

Mais M. Gambetta, du haut du fauteuil, n'en a pas moins donné l'impression d'être le chef. Ce n'est pas seulement l'intervention magistrale dans la question de l'amnistie, c'est chaque détail de son activité, le moindre de ses gestes qui le prouvent. Il est au courant de tout, surveille le dehors et le dedans. Cet effort vigilant et soutenu frappe et étonne. Dans le pays, un mouvement se produit vers un avènement attendu depuis longtemps. Ce ne sont pas les temps du consulat qui renaissent, mais c'est une sorte de principat qui s'établit, principat dû à l'autorité, à la maîtrise, à l'ascendant.

Par contre, l'opposition grandit. Les jalousies sont sur pied. L'Élysée s'alarme. Les plus ombrageux s'irritent. La droite a surpris ces sentiments et les excite. Le mot qui, à propos du moindre incident parlementaire, est sur toutes les lèvres, c'est le plus dangereux de tous : dictature.

La session est close, le 15 juillet. Mais les Chambres, avant de se séparer, ont assisté aux fêtes du juillet. Ce jour-là eut lieu la cérémonie de la distribution des nouveaux drapeaux à l'armée. M. Gambetta donna une fête magnifique au palais Bourbon : les officiers s'y pressèrent en foule. Il laissa déborder son amour pour l'armée, embrassa le vieux maréchal Canrobert et but à la force militaire du pays, reconstituée.

 

Ces vacances de 1880 furent une sorte d'accalmie inquiète : il y avait contraste entre la confiance croissante du pays et l'agitation du monde politique : les hommes publics sont des vigies et voient monter les orages, tandis que les peuples restent plus longtemps dans la joie et le repos.

Le 1er août, les élections triennales aux conseils généraux et aux conseils d'arrondissement confirmèrent les succès antérieurs. La République avait conquis tous les degrés de la hiérarchie politique, était entrée décidément, dans les mœurs et dans le train journalier de la représentation locale ? Avant ce renouvellement, les conseils généraux comptaient 1.607 républicains et 1.393 conservateurs. Après le scrutin, ils comptèrent. 1.906 républicains et L000 conservateurs. Les républicains n'avaient, jusque-1h, la majorité que dans 55 départements, ils l'eurent désormais dans 66. Les républicains gagnèrent 300 sièges, dont 95 dans les 31 départements où les décrets du 29 mars avaient reçu leur application.

La droite défendait ses positions en désespérée ; elle ne se réclamait plus que de la liberté, elle ne combattait plus ouvertement les institutions républicaines, s'en tenant à la campagne de la révision. L'extrême gauche, de son côté, accentuait son programme ; elle aussi demandait la révision, mais dans un tout autre sens : suppression du Sénat et de la présidence de la République ; elle annonçait dès lors, la campagne socialiste. MM. Félix Guyot et Cluseret fondèrent le journal la Commune, prêts, affirmaient-ils, à reprendre la lutte où ils l'avaient laissée. C'est à ce moment que Paris et ses représentants commencent à réclamer avec le plus d'énergie l'autonomie municipale : suite mal débrouillée.de la Commune : thème violent, obscur et sans avenir. Paris appartient à la France plus encore qu'à Paris.

Malgré tout, on a confiance ! La droite doit s'avouer vaincue. Le Soleil disait :

Ni la monarchie ni l'empire, en ce moment, ne seraient en état de prendre la succession de la République. Dans les départements on ne veut pas s'exposer à renverser un gouvernement sans savoir comment on le remplacera.

Les deux groupements royalistes étaient plus divisés que jamais. Entre les princes, aucun rapprochement effectif, aucune cordialité. Le comte de Chambord s'était, parait-il, décidé à l'action. Il avait confié à un général illustre (probablement le général Ducrot), le soin de tout préparer.

Il y avait, affirme-t-on, un véritable corps d'armée qui n'attendait que le signal ; il y avait un million, en monnaie d'or, déposé pour le premier argent de poche de la bataille réparatrice, et l'on pourrait dire, à la République, quel jour, en quel lieu, à quelle heure il s'en est fallu de bien peu qu'une épée vengeresse se levât sur sa tête...[11]

Le comte de Chambord publie un appel aux impérialistes, offrant de confondre les services nouveaux avec les vieilles fidélités. L'appel ne fut pas entendu et l'épée ne se leva pas.

Le comte de Paris poursuivait ses études et vivait dans le monde, satisfait d'hommages particuliers cl de pronostics complaisants.

Le bonapartisme était si violemment déchiré qu'il était comme dissous.

Aussi, dans le pays, le mouvement de ralliement à la République se prononçait, même parmi les personnes notoirement dévouées aux régimes antérieurs. Bien des évolutions publiques ou intimes s'accomplissaient, et les conseils du Saint-Siège n'y étaient pas étrangers. On eût dit qu'une république nationale se cherchait, à cette heure, où tant, d'aspirations diverses appelaient au pouvoir le plus illustre de ses chefs.

 

Le voyage de Cherbourg l'ut le point culminant de cette période : on y vit tout réuni, la noblesse du mobile, la grandeur du spectacle, la portée des paroles ; mais aussi la misère, tragique et comique à la fois, des choses humaines.

L'armée avait reçu ses drapeaux le 14 juillet : il fut décidé que la marine recevrait les siens le 10 août, de la main du président de la République, et que les présidents du Sénat et de la Chambre assisteraient à la cérémonie. Le contact, en public, des deux hommes que les convenances seules rapprochaient encore, M. Grévy et M. Gambetta, fut une de ces scènes psychologiques dignes de Machiavel ou de Saint-Simon.

M. Grévy paru ! calme, tranquille, pondéré, parfait ; M. Gambetta, au contraire, se montrait agité et nerveux ; M. Léon Say allait de l'un à l'autre souriant et sceptique. M. Grévy était accompagné de M. Wilson et du général Pittié. Les fêtes furent très belles. La foule saluait le président Grévy et acclamait M. Gambetta. Il y avait, dans le contraste trop manifeste de cet accueil, quelque chose de gênant et presque de choquant. La rencontre du président Grévy à pied, après le repas du soir et de M. Gambetta dans le landau, racontée déjà, fut le trait patent de ce duel caché.

Le programme des cérémonies comprenait la visite des ports, le lancement du navire de guerre le Magon, la revue de l'escadre, la remise des drapeaux, les régates, des essais de torpilles. M. Gambetta s'efforça, par son entrain un peu factice, son empressement, sa complaisance même, de gagner quelque chose sur la réserve du président. Mais celui-ci, toujours froid, ne se déridait pas, ne se prêtait à rien. ne remarquait rien. Au banquet de l'hôtel de ville, M. Gambetta porta le toast au président de la République dont le nom est gravé dans le cœur de tous les Français, dont les immenses services sont appréciés comme ils le méritent. Le toast fut couvert d'applaudissements, mais l'orateur fut plus applaudi que le discours.

Dans la soirée du 10, tandis que le président de la République rentrait dans ses appartements ii la préfecture maritime, M. Gambetta se rendit il un punch d'honneur qui lui était offert au Cercle du Commerce et de l'Industrie. Par suite de certains malentendus, l'assistance était peu nombreuse. M. Gambetta, surpris, hésita d'abord, mais il s'échauffa bientôt. Le discours était prêt. Ce fut la véritable remise des drapeaux. M. Gambetta saisissait l'occasion de parler de la patrie. Voici le texte exact de ce discours fameux tel qu'il fut immédiatement recueilli :

Messieurs, je suis louché des paroles qui viennent d'être prononcées et surtout des adhésions qui se sont échappées de vos poitrines.

M. Lavielle, mon ami, a bien voulu me dire que j'avais su conquérir votre admiration et votre affection ; de ces deux ternies je retiens le second, je proteste contre le premier. Pour les hommes libres, l'admiration est un sentiment qu'ils repoussent, laissez-moi ne désirer et ne conserver que votre affection, car c'est ce dont j'ai besoin, non dans l'ère des combats, car ils sont finis, mais dans l'ère des difficultés que j'annonçais il y a deux ans. Je n'ai jamais oublié qui je suis, d'où je sors, où je vais. Je sais que je suis sorti des rangs les plus obscurs de la démocratie des travailleurs et que je lui appartiens tout entier.

Pas plus aux heures sinistres que vous rappelez qu'à présent, je n'ai aspiré à la dictature ; je n'entends être qu'un serviteur de la démocratie et la servir à mon rang, à ma place et puisque on a parlé de cette époque de douleur, quand, il y a dix ans, je venais à Cherbourg, j'y venais accomplir un devoir sacré.

La fortune tourna contre nous. Depuis dix ans, il ne nous est pas échappé un mot de jactance ou de témérité. Il est des heures, dans l'histoire des peuples, où le droit subit des éclipses, mais à ces heures sinistres, c'est aux peuples de se faire les maîtres d'eux-mêmes, sans tourner leurs regards exclusivement vers une personnalité ; ils doivent accepter tous les concours dévoués, mais non des dominateurs. Ils doivent attendre dans le calme, dans la sagesse, dans la conciliation de toutes les bonnes volontés, — libres de leurs mains et de leurs armes, au dedans comme au dehors.

Les grandes réparations peuvent sortir du droit ; nous ou nos enfants nous pouvons les espérer, car l'avenir n'est interdit à personne.

Je veux, en deux mots, répondre à une critique qui a été formulée à cet égard ; on a dit, quelquefois, que nous avons un culte passionné pour Farinée, cette armée qui groupe, aujourd'hui, toutes les forces nationales, qui est recrutée non plus maintenant parmi ceux dont c'était le métier d'être soldats, mais bien dans le plus pur sang du pays ; on nous reproche de consacrer trop de temps à étudier les progrès de l'art de la guerre qui met la patrie à l'abri du danger : ce n'est pas un esprit belliqueux qui anime et dicte ce culte, c'est la nécessité, quand on a vu la France tombée si bas, de la relever afin qu'elle reprenne sa place dans le monde.

Si nos cœurs battent, c'est pour ce but et non pour la recherche d'un idéal sanglant ; c'est pour que ce qui reste de la France nous reste entier ; c'est pour que nous puissions compter sur l'avenir et savoir s'il y a, dans les choses d'ici-bas, une justice immanente qui vient à son jour et à son heure.

C'est ainsi, Messieurs, qu'on mérite de se relever, qu'on gagne les véritables palmes de l'histoire ; c'est à elle qu'il appartient de porter un jugement définitif sur les hommes et sur les choses ; en attendant, nous sommes des vivants et on ne nous doit qu'une égale part de soleil et d'ombre, le reste vient par surcroît.

Messieurs, je vous remercie, je vous prie de dire à vos concitoyens dans quel esprit nous nous sommes retrouvés[12].

Ces paroles devaient, avoir et eurent, en effet, au dedans et au dehors, un immense retentissement ; mais, sur les lieux, l'impression fut trouble et partagée. Les uns blâmaient, les autres approuvaient. M. Gambetta paraissait rasséréné.

Le lendemain, il assistait, aux côtés du président de la République, un exercice de lancement de torpilles. Un cortège peu nombreux avait été admis. M. Gambetta éclatait en saillies, auxquelles le président ne répondait pas. On amena sur le bateau une quantité de poissons qui avaient été tués au cours des expériences. M. Gambetta s'exclamait et admirait la beauté du spectacle. A la fin, montrant un poisson énorme qui, en se débattant, avait roulé jusqu'aux pieds de M. Grévy, il dit : — Celui-là, Monsieur le Président, c'est le poisson de Polycrate. Vous devriez le faire ouvrir pour voir ce qu'il a dans le ventre : peut-être qu'il vous a rapporté l'anneau. M. Grévy, plus silencieux que le poisson, pâlit encore : l'assistance riait sous cape.

Huit jours après, M. J. Grévy, en passant à la gare de Dijon pour se rendre à Mont-sous-Vandrey, prononçait un de ses discours savoureux et faisait la leçon aux ambitions personnelles : Aujourd'hui, disait-il, ce n'est pas un homme, quels que soient sa position, ses intentions et ses efforts, c'est la France qu'il faut louer, la France si sensée, si sage, si intelligente de ses intérêts.... Continuons à être sages, à ne nous laisser entraîner ni à l'impatience, ni à l'exagération, ni à la violence. Tout cela était plein de finesses pour ceux qui savaient.

Le département du Jura témoignait, une fois de plus, de sa fidélité à la famille en nommant sénateur le général Grévy.

Le 31 août, avait lieu, sans incidents, sauf à Poitiers, l'expulsion de la congrégation enseignante des jésuites.

Rien ne paraissait troubler ces vacances paisibles.

Un mois ne s'était pas écoulé que M. de Freycinet donnait sa démission. Le cabinet tombait à l'improviste, comme avait disparu le cabinet Waddington.

Ni M. de Freycinet, ni les règnes n'avaient oublié les paroles échangées an sujet des congrégations non autorisées (autres que les jésuites bien entendu) avant la discussion du Sénat. Rome, en tout cas, y pensait toujours. Des pourparlers se poursuivaient entre le Saint-Siège et l'ambassade. Il parait que, dès cette époque, le ministre avait laissé échapper des confidences, de ces confidences faites pour être répétées : En sacrifiant les jésuites, il avait fait tout ce qu'il pou ait faire pour céder à l'opinion, mais il n'irait pas plus loin. Il demanderait aux Chambres de voter le plus tôt possible une loi sur les associations. (FIDUS.) En échange, nome avait fait une concession : les congrégations non autorisées signeraient une déclaration qui était une sorte d'adhésion à la République. On s'était mis d'accord sur un texte longuement débattu, et des plus alambiqués :

Pour faire cesser tout malentendu, les congrégations ne font pas difficulté de protester de leur respect et de leur soumission à l'égard des institutions actuelles du pays. La dépendance qu'elles professent envers l'Église, de qui elles détiennent l'existence, ne les constitue pas en état d'indépendance à l'endroit de la puissance séculaire...[13]

Ces phrases balancées satisfaisaient peut-être la théologie et la diplomatie ; mais c'était un maigre butin pour la politique courante.

M. de Freycinet jugea qu'elles suffisaient. Ayant à prononcer un discours, dans un banquet qui lui était offert à Montauban, le 18 août, il se crut assez fort pour jouer cette partie et indiquer une politique distincte de celle de M. Gambetta. On voulut voir, dans le passage relatif à la politique extérieure, une atténuation des paroles prononcées à Cherbourg par le président de la Chambre. Sur la question religieuse, la phrase principale du discours visait l'accord qui se traitait avec Rome :

Quant aux autres congrégations, le décret spécial qui les vise n'a pas fixé de date à leur dissolution : il nous a laissés maîtres de choisir notre heure. Nous nous réglerons à leur égard sur les nécessités que fera naitre leur attitude et sans rien abandonner des droits de l'État. Il dépendra d'elles de se priver du bénéfice de la loi nouvelle que nous préparons et qui déterminera, d'une manière générale, les conditions de toutes les associations laïques aussi bien que religieuses.

C'était la dispersion des congrégations remise aux calendes grecques.

L'entente était faite avec Rome, cela ne fait aucun doute. Le pape écrivait, dès le 21 août, au cardinal de Bonnechose :

M. l'ambassadeur de France nous a fait connaître la nécessité absolue dans laquelle prétend se trouver le gouvernement, de mettre à exécution le second décret du 29 mars. Il nous garantissait que cela pourrait être évité si les congrégations prenaient l'initiative d'adresser au gouvernement une déclaration qui témoignerait de leur respect à l'égard des pouvoirs constitués. Celte déclaration permettrait au gouvernement de leur assurer le bénéfice d'une libre existence... Cette espérance nous est confirmée par les évêques dans leurs lettres et nous est confirmée par les espérances du gouvernement... Nous ne trouvons pas de difficulté à ce que les congrégations religieuses, en la forme et par la voie qui sera jugée la plus convenable, déclarent... etc.

Donc, les négociations avaient eu lieu. Mais quelle était leur autorité ? Y avait-il eu, à proprement parler, acte gouvernemental ? Le conseil des ministres avait-il été saisi ? Avait-il délibéré ?

Un journal catholique, la Guienne (sous l'inspiration d'un prélat légitimiste, Mgr de La Bouillerie), publia la déclaration, la lettre des évêques qui l'accompagnait et dévoila tout le mystère. Les collègues du président, qui passaient pour attachés plus particulièrement à la personne de M. Gambetta, M. Cazot, Constans et aussi M. Jules Ferry, engagé si fortement dans la campagne anti-cléricale, protestèrent. M. Jules Grévy dut revenir de Mont-sous-Vaudrey. On parlait d'une convocation des Chambres.

M. de Freycinet essaya d'apaiser l'orage. Le 5 septembre, le Journal officiel publiait la note suivante :

Diverses allégations ont été produites au sujet de l'attitude du gouvernement à l'égard des congrégations non autorisées. Bien ne les justifie. Le gouvernement n'a pris vis-à-vis du Vatican, ni vis-à-vis du nonce apostolique, ni vis-à-vis de personne, aucun engagement relatif à l'exécution des décrets. Sa liberté d'action est entière et ses résolutions ne dépendent que de lui-même.

Le 15 septembre, M. de Freycinet rentre à Paris. Le 16, séance du conseil, où l'accord parait s'établir. M. Constans, ministre de l'intérieur, avait reçu, par l'intermédiaire du cardinal Guibert, la déclaration des congrégations... Mais on travaille dans la coulisse. Le 18, nouveau conseil, MM. Constans, Cazot, le général Farre, ont donné leur démission. On discute ; les choses s'arrangent de nouveau, lorsque, le 19 au matin, M. Constans fait paraître, au Journal officiel, la lettre adressée aux supérieurs des congrégations et répondant à la fameuse déclaration. La lettre prend acte des dispositions qui y sont exprimées et ajoute :

Quant à l'espoir qu'elles expriment de voir le gouvernement user de son pouvoir en leur laissant continuer leurs œuvres, je ne puis que vous faire observer que le second des décrets du 29 mars a eu précisément pour but de mettre un ternie à l'état de tolérance dont vous demandez le maintien et de lui substituer le retour à la légalité.

Toute la combinaison est à l'eau et M. de Freycinet est en l'air. Il donne sa démission, par une lettre au président de la République, datée du 19 septembre, où il constate entre ses collègues et lui des divergences de vues qui ne permettent pas d'espérer que l'accord puisse se maintenir, même au prix de concessions mutuelles.

M. Grévy, non sans un vif regret, comme le dit, en propres termes, sa réponse à M. de Freycinet, accepte la démission.

 

 

 



[1] On dut voter, le 27 décembre, une loi spéciale portant ouverture, au ministère des travaux publics, d'un crédit de 3 millions pour la reconstitution des chaussées des routes nationale détruites.

[2] V. le texte dans Année politique, 1880 (p. 440).

[3] Vie du cardinal de Bonnechose, t. II (p. 297).

[4] Le cardinal DE BONNECHOSE, écrit, le 26 mars 1880, au pape Léon XIII : Je ne puis disconvenir que les imprudences irréfléchies de plusieurs catholiques laïques ont fourni des prétextes et des armes à la réaction violente qui se déchaîne maintenant contre les congrégations religieuses et contre l'Église. (T. II, p. 635.)

[5] Le gouvernement russe demandait l'extradition d'un nihiliste russe, Hartmann, complice d'un attentat contre l'empereur Alexandre II. Le gouvernement ne sut ni prendre le parti de livrer Hartmann, ni celui de refuser l'extradition. On l'expulsa. V. ANDRIEUX, Mémoires d'un Préfet de police, t. I (p. 185).

[6] Vie du Cardinal de Bonnechose, t. II (p. 635). Lettre du cardinal au pape Léon XIII, du 26 mars 1880 : Avant de quitter Paris, je suis allé voir le président du conseil, M. de Freycinet. J'ai insisté sur les raisons politiques qui devraient empêcher le gouvernement de commettre de telles fautes. M. de Freycinet ne combattait pas mes raisonnements, mais il m'a exprimé, à diverses reprises, les terribles embarras où il se trouve. Ces embarras viennent des engagements imprudents qu'il a pris, de la crainte de la formidable majorité et de son chef qui pèse sur le ministère...

[7] Vie du cardinal de Bonnechose, t. II (p. 303).

[8] Vie du cardinal Lavigerie, t. II (p. 49).

[9] V. le récit de M. ANDRIEUX, Souvenirs d'un Préfet de police, t. I (p. 229) : L'évacuation de la maison fut longue ; le spectacle en fut douloureux pour ceux qui avaient la responsabilité de l'exécution. Les agents se heurtaient à une résistance passive ; il fallait pousser à la rue des prêtres sans défense : leur attitude de prière, leurs physionomies méditatives et résignées... contrastaient péniblement avec l'emploi de la force publique...

[10] Principales lois votées pendant la session ordinaire de 1880 :

19 février. — Loi portant suppression immédiate des droits de navigation intérieure (sur les céréales, à mise de la situation agricole).

27 février. — Loi relative à l'aliénation des valeurs mobilières appartenant aux mineurs et aux interdits et à la conversion de ces mêmes valeurs en titres au porteur. — Garanties pour les biens de mineurs.

20 mars. — Loi relative au service d'état-major. Texte, DANIEL (p 446). — V. aussi sur l'économie de la loi, id. (p. 114).

11 juin. — Loi relative aux chemins de fer d'intérêt local et aux tramways.

17 juin. — Loi relative au colportage des imprimés. V. DANIEL (p. 259).

3 juillet. — Loi concernant la Caisse des lycées nationaux, collèges communaux, écoles primaires ; 3° l'ouverture, au ministère de l'instruction publique, d'un crédit extraordinaire de 17 millions, à titre de subvention extraordinaire à la dite Caisse.

8 juillet. — Loi ayant pour objet l'abrogation des lois du 20 mai-5 juin 1871 sur l'aumônerie militaire. V. DANIEL (p. 260) ; DEBIDOUR (p. 249).

12 juillet. — Loi ayant pour objet l'abrogation de la loi du 18 novembre 1814 relative à l'interdiction du travail pendant les dimanches et les jours de fêtes religieuses reconnus par la loi. V. DEBIDOUR (p. 249).

17 juillet. — Loi abrogeant le décret du 29 décembre 1851 sur les cafés et débits de boissons. L'ouverture des cafés est soumise simplement à la formalité de la déclaration. Les repris de justice ne peuvent être débitants.

19 juillet. — Loi portant dégrèvement des droits sur les vins et sur les sucres.

15 juillet. — Loi sur les patentes.

21 juillet. — Loi concernant l'amélioration de la Seine dans la traversée de Paris.

27 juillet. — Loi portant révision de la loi du 21 avril 1810 sur les mines.

30 juillet. — Loi ayant pour objet de déterminer le mode de rachat des ponts à péage, etc.

[11] Henri de France, par Henri DE PÈNE (p. 404).

[12] Texte recueilli à la réunion et paru dans le Courrier du Soir du mercredi 11 août 1880.

[13] Vie du cardinal de Bonnechose, t. II (p. 638).