HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

II. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

L'ÉCHEC DE LA MONARCHIE

CHAPITRE VII. — LE DEUXIÈME CABINET DE BROGLIE.

 

 

I

Le duc Decazes avait dit, on s'en souvient, à M. Pernolet : C'est de la présidence du maréchal de Mac Mahon que datera la fondation de la République en France. Esprit clairvoyant et fin, le duc Decazes ne s'attardait pas aux illusions volontaires ; il n'avait plus la foi. Quand les chefs doutent, c'est que les troupes ont déjà fléchi. La débandade commençait.

On se bat sur la position choisie pour couvrir la retraite : le septennat ; rempart d'argile, avait dit le duc de Broglie.

Qu'est, au juste, le septennat ? — Personnel ou impersonnel, c'était le jeu à la mode. Par cette sorte de demi-dictature de confiance et d'estime remise au maréchal de Mac Mahon, la porte reste-t-elle ouverte, est-elle fermée devant la monarchie ? Ou bien encore, si la République s'est fondée, — sans les républicains, — comment leur refuser la place où on a dû arborer leurs couleurs ? Telle était l'alternative pressante de la double attaque et l'ambiguïté de la défense menacée de toutes parts.

Le duc de Broglie entend s'expliquer devant l'Europe et devant l'opinion. Dans une circulaire adressée aux agents diplomatiques et datée du 25 novembre, il donne, en ces termes, la formule du régime nouveau :

M. le maréchal de Mac Mahon reçoit, de la loi du 20 novembre, une des plus hautes marques de confiance qu'une nation puisse donner à un homme... La France attend de lui une politique ferme et modérée qui fasse respecter l'autorité et les lois, contienne l'esprit révolutionnaire, protège les intérêts conservateurs et assure, par là, le développement pacifique de la prospérité nationale.

En somme, ni république, ni monarchie. On n'ose même pas employer le mot trêve, qui eût paru trop précis et eût trop rappelé le pacte de Bordeaux. C'est toujours la chambre noire !

Le duc de Broglie, qui avait renversé M. Thiers, qui avait assisté, selon ses prévisions, à l'échec du comte de Chambord, qui avait voulu et obtenu le vote du septennat, était la première victime de ses laborieuses victoires. Il l'avait dit quelques semaines auparavant : Tous ces gens me rendront bientôt responsable de leurs fautes. Une majorité disloquée, un cabinet discrédité, de la lassitude, du découragement, des rancœurs, tels étaient les lendemains d'une journée où on avait mis le forceps à l'Assemblée pour lui arracher un intérimaire César.

La scission dans la majorité devait être accomplie bientôt par ce groupe de l'extrême droite qui avait tant à se plaindre et tant à se reprocher. Il se réunit le 21 novembre, chez le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia : On se préoccupa de l'influence que le parti orléaniste cherchait à prendre sur l'esprit du maréchal, dit M. de Vinols, et il ajoute que le groupe résolut de se porter au secours de MM. de La Bouillerie et Ernoul, membres légitimistes du cabinet.

Il y avait des sacrifices à faire, tout le monde le sentait ; mais la question était de savoir si le duc de Broglie resterait au pouvoir, — éliminant ou éliminé.

Le lendemain du vote, l'Assemblée s'était ajournée au 24 novembre. Ce jour-là, en reprenant séance, elle entend un message de remerciement du maréchal de Mac Mahon, où le mot République n'est même pas prononcé.

On met immédiatement en discussion l'interpellation de M. Léon Say relative à la non-convocation des collèges électoraux dans les départements où des sièges étaient vacants. Cette interpellation visait le rôle particulier du ministère dans la crise récente ; c'était le duc de Broglie sur la sellette.

M. Léon Say dit qu'en reculant les élections, le ministère a trahi le dépôt qui lui était confié, qu'il a voulu fausser la volonté du pays, au moment où un vote de majorité pouvait décider de ses destinées... Nous assistons aux derniers jours du cabinet du 25 mai, observe M. Léon Say. — C'est vrai, interrompt le duc de Broglie. Mais on voit qu'il est résolu à tenir tête.

Après un débat où M. Beulé fait ses dernières armes, le duc de Broglie rallie encore une fois la majorité par une de ces manœuvres offensives qui lui sont habituelles : Les républicains, en jouant avec de telles paroles, dit-il, en réponse à M. Léon Say, jouent avec le feu et avec le pétrole. L'ordre du jour pur et simple, accepté par le gouvernement, est voté par 360 voix contre 311.

Le duc de Broglie est debout. Mais M. Beulé a dû confesser, au cours de la discussion, que, pour lui du moins, le cabinet est par terre.

Le Journal officiel du 25 novembre insère la note suivante : Les ministres ont remis leurs démissions entre les mains de M. le maréchal-président de la République, qui les a acceptées.

 

Les négociations pour la constitution du nouveau cabinet étaient déjà engagées.

Le duc Decazes était l'homme du jour. Jusque-là, il avait pu paraitre sans se compromettre et s'imposer sans se risquer. C'était un très habile homme et, peut-être, le plus fin de tous les hauts personnages que le cours des choses appelait successivement sur le devant. de la scène. Dans son jeu discret et à fleur de sourire, dans sa touche adroite, souple et légère, dans son air de n'y toucher pas, il restait tout ce que les âges nouveaux pouvaient supporter de la manière de Talleyrand. Politique de naissance et jusqu'aux moelles.

Les Decazes sont Girondins. Ils ont servi les Bonapartes, ils ont servi les Bourbons, ils ont servi les Orléans, en ménageant toujours leurs attaches avec le parti libéral : ce sont des parlementaires, et, du père au fils, de ces esprits moyens, surtout propres, comme dit Richelieu, à moyenner les grandes choses.

Les blancs, les purs, ont en horreur ces hommes charmants et pondérés qui sont à la lisière des partis et dont la souplesse est parfois bien dangereuse aux causes qu'ils servent. Anoblie par Henri IV, accablée de faveurs par la tendre amitié de Louis XVIII, élevée par le roi Frédéric de Danemark au duché de Glücksberg, la famille avait, en cinquante ans, pris rang dans le meilleur monde, sans perdre toutes ses attaches avec le barreau et avec les affaires. Le vieux duc Élie Decazes, le favori de Louis XVIII, avait fondé et dirigé jusqu'à sa mort, en 1860, les importants établissements de Decazeville.

Son fils, le duc Louis, était né à Paris en 1819. Avant la chute de Louis-Philippe, il avait appartenu à la carrière diplomatique, successivement secrétaire d'ambassade et ministre plénipotentiaire. Démissionnaire en 1848, membre du conseil général de la Gironde sous l'empire, il avait fait au gouvernement de Napoléon III une opposition très vive et avait été de ceux qui, en costume de garde national, envahirent la Chambre au 4 septembre. Député de la Gironde à l'Assemblée nationale, ami particulier du comte de Paris et du duc d'Aumale, il occupait une situation éminente dans le parlement. Il y brillait discrètement avec ses belles manières, son sérieux tempéré et fin, sa figure régulière, aux favoris déjà blancs, ses sourcils en broussaille, son regard perçant et inquiet, ce je ne sais quoi de prompt qui révèle la vivacité de l'intelligence et de l'esprit, sinon la stabilité et la sûreté. L'homme du monde parfait laissait percer parfois le bout de l'oreille du Gascon.

Il avait de l'activité, du jugement, du sang-froid, des habitudes larges et dispendieuses, de grands besoins, avec une façon d'être générale très habilement combinée, pleine d'art et de savoir-faire. Ironique et circonspect, le sourire dangereux, il était de ceux que les orateurs regardent en parlant. Mais peu fait pour les combats de tribune, et par là inférieur au duc de Broglie et au duc Pasquier, il était à sa place surtout dans les conseils et les conciliabules. Son autorité s'était nourrie de son silence ; sa réserve avait ménagé sa fortune : il s'installait sans bruit dans la faveur de l'Assemblée et dans celle du nouveau président.

Quand le duc de Broglie avait constitué son premier ministère, le 25 mai, il n'avait pas cru devoir attribuer un portefeuille au duc Decazes ; de même que M. Thiers l'avait envoyé lui-même à l'ambassade de Londres, il avait nommé à Londres son futur successeur au ministère des affaires étrangères. Londres n'est pas si loin de Paris, et le chic Decazes, non sans se faire prier, consentit à entrer enfin dans le nouveau cabinet de Broglie. Mais il posait ses conditions.

Il entendait que l'on rompit avec l'extrême droite et que l'on orientât la politique nouvelle vers l'union des centres : comme gage, il exigeait que les ministres compromis dans la tentative de restauration monarchique fussent écartés ; que le gouvernement acceptât toutes les conséquences du vote du septennat, et notamment, ne tolérât aucune manifestation contre les pouvoirs du maréchal, qu'elle vint des royalistes, des bonapartistes ou des radicaux ; enfin, que le cabinet échappât à tout soupçon d'ultramontanisme.

Le duc de Broglie, s'il voulait rester dans le cabinet, devait laisser le ministère des affaires étrangères à son nouveau collègue ; il se trouvait reporté, par conséquent, au ministère de l'intérieur. Il hésita beaucoup, mais les conservateurs firent appel à son dévouement. On sentait ce que l'on eût perdu en le perdant. Le maréchal déclarait qu'il ne pouvait se passer de lui. Le duc de Broglie se résigna : il prit le portefeuille de M. Beulé[1].

Les deux membres légitimistes du cabinet, MM. de La Bouillerie et Ernoul, durent céder la place également ; ce dernier non sans humeur, et cette humeur s'accrut encore du fait de se voir remplacer aux sceaux par un ami intime, un alter ego, M. Depeyre[2].

M. de La Bouillerie remit le ministère du commerce à M. Deseilligny, qui laissa le ministère des travaux publics à l'excellent M. de Larcy. Enfin, un autre membre du cabinet, M. Batbie, dont la rondeur proverbiale n'avait pas toujours racheté la lourdeur non moins légendaire, eut pour successeur à l'instruction publique M. de Fourtou.

Celui-ci, pas plus que le duc Decazes, n'était favorable ni cher à l'extrême droite. Ainsi que l'observe le vicomte de Meaux, c'était un bleu. On devait s'apercevoir, par la suite, qu'il y avait, dans ce Périgourdin confiant en sa fortune, un ministre à poigne, avec des tendances bonapartistes. Il apportait du renfort à M. Magne, qui restait aux finances, et au général du Barail, qui, comme l'amiral de Dompierre-d'Hornoy, gardait son portefeuille. En somme, le mouvement à gauche était marqué : il y avait même, dans le dosage nouveau, une légère teinture bonapartiste.

On multiplia les satisfactions et, en même temps, les complications, en attribuant quatre postes de sous-secrétaire d'État : M. Baragnon, le fougueux membre de la droite, à l'intérieur ; M. Lefébure, aux finances ; M. Vente, à la justice ; M. Albert Desjardins, à l'instruction publique.

Il fallait la main du duc de Broglie pour conduire, au milieu des obstacles sans cesse renaissants, un attelage si diversement appareillé.

Le ministère se constitue le 26 novembre. Dès le 28 novembre, M. de Dreux-Brézé fait savoir aux comités royalistes que la démission de MM. Ernoul et de La Bouillerie les met en présence d'une lutte plus que probable ; il ajoute seulement qu'il n'appartient pas à ces comités d'entrer les premiers en lice. C'était déjà la vengeance imminente du 19 novembre : le comte de Chambord tenait l'épée suspendue.

L'existence d'un ministère si péniblement constitué, si mal équilibré, ne pouvait être que précaire. Le chef du cabinet, lié volontairement à une tache impossible, abandonné par ses amis, tiraillé entre les influences diverses qui se partageaient son ministère, la majorité et les partis conservateurs, allait assister à la ruine précipitée de son autorité et de ses espérances. La gauche, enhardie par le succès, le traquera de contradiction en contradiction et d'échec en échec, jusqu'au jour où sa haute physionomie rencontrera sur tous les bancs de l'Assemblée cette indifférence cruelle qu'il n'avait pas ménagée à ses adversaires.

Le duc de Broglie avait été le rapporteur d'une des lois les plus libérales qu'eût votées l'Assemblée, la loi du 14 avril 1871 sur la nomination des maires et la police municipale. Il avait demandé et obtenu, en partie du moins, au nom de la commission et malgré l'opposition de M. Thiers, l'élection des maires par le conseil municipal. Or, le même duc de Broglie, vice-président du conseil et ministre de l'intérieur, crut devoir déposer, dès le 28 novembre, un projet de loi réclamant, à titre provisoire, la nomination des maires par le gouvernement central et par le préfet. C'était le contre-pied du régime libéral qu'il avait défendu et fait adopter.

Trois interruptions accueillent la lecture de ce projet de loi et de l'exposé des motifs : — C'est la décentralisation qui commence ! s'écrie M. Tolain. — C'est le régime municipal de l'empire ! observe M. Arago. — Voilà le programme de Nancy ! achève M. de La Serve.

Bientôt, un catholique libéral, un conservateur, porte au cabinet les premiers et les plus rudes coups.

M. Lamy, jeune et brillant député des gauches, subissant, dit-on, l'influence de Gambetta, inaugure, dès cette époque, la politique qu'approuva, longtemps après, Léon XIII : il se rallie à la République. M. Lamy est un esprit appliqué, un orateur laborieux, un talent rare ; son esprit est pénétrant, sinon toujours juste ; il a l'ardeur ; il a la foi.

Le 4 décembre, il interpelle le cabinet sur le maintien plus ou moins légal de l'état de siège dans trente-neuf départements. Son premier mot est pour s'étonner de voir le duc de Broglie à la tête du nouveau ministère. Il réclame contre ces mesures autoritaires et arbitraires présentées comme indispensables. Dans la moitié de la France, ni liberté de réunion ni liberté de la presse : le suffrage universel est mis en suspicion. Et pourtant, le pays est calme : La meilleure preuve de ce calme, c'est que le pays supporte depuis six mois le gouvernement actuel. M. Buffet est obligé d'intervenir.

 Le duc de Broglie, dans sa réponse, en est réduit à s'abriter derrière l'autorité de M. Thiers. Il rappelle que c'est celui-ci qui a imposé l'état de siège dans un certain nombre de départements : En agissant ainsi, dit-il, je crois qu'il a eu une pensée politique et sage, et je suis loin de l'en blâmer.

Comment la gauche résisterait-elle à la tentation de mettre, une fois de plus, le chef du gouvernement en contradiction avec lui-même ? M. Jules Ferry se charge de la besogne, et il s'en acquitte fortement et durement : Voilà bien, dit-il, de ces hommes d'État qui passent quinze ans dans l'opposition à demander la liberté et qui, une fois qu'ils sont au pouvoir, ne connaissent plus, ne rêvent plus, n'admirent plus que la force. Vos lois, ces lois que vous annoncez comme des lois de défense sociale, ne sont que des lois de défense électorale.

Le cabinet doit se contenter de l'ordre du jour pur et simple.

Pris entre deux feux et entre deux préventions contraires, il traine une vie misérable tandis que la droite, selon les prédictions de M. Rouher, se creusait à elle-même sa tombe en nommant la commission chargée de l'examen des lois constitutionnelles, la commission des Trente.

L'élection dura du 26 novembre au 4 décembre : il ne fallut pas moins de dix tours de scrutin pour compléter la commission. La droite était partagée entre sa volonté de s'assurer la majorité et le danger de reléguer la gauche dans l'abstention, si celle-ci n'obtenait pas sa part. On procéda donc au scrutin par lents dosages et, finalement, la droite crut avoir cause gagnée parce qu'elle n'avait laissé entrer dans la commission que cinq membres du centre gauche : MM. Dufaure, Laboulaye, Waddington, Cézanne et Vacherot. L'extrême droite, réduite également à la portion congrue, ne cacha pas son mécontentement.

La droite modérée et le centre droit devenaient les arbitres des destinées de la France. Ces deux groupes gardaient jalousement les instruments d'une autorité dont ils ne savaient que faire.

La commission se constitue le 5 décembre : elle confie la présidence à M. Batbie : fiche de consolation ; elle nomme MM. de Talhouet et Audren de Kerdrel vice-présidents. Elle établit le programme de ses travaux, et décide qu'elle s'occupera de l'élaboration d'un projet de loi électoral, puis des lois relatives à l'organisation des pouvoirs publics : d'abord, le système de suffrage, puis l'ensemble des institutions.

La commission, une fois ces préliminaires établis, se donne du temps. MM. Waddington et M. Laboulaye sont chargés de procéder à une étude théorique des constitutions européennes et américaines. Le duc de Broglie respire.

 

II

La fin de l'année parlementaire fut consacrée au budget de 1874.

Le projet de budget avait été déposé par M. Léon Say sous la présidence de M. Thiers, le 17 mars 1873. Mais, par suite des lenteurs inhérentes au système, il ne venait en séance que dans le mois de décembre ; il ne devait même pas être voté complètement dans le cours de l'année. Sa discussion ne s'acheva, en réalité, qu'en mars 1874.

M. Magne avait succédé à M. Léon Say. Le système politique étant différent, le budget ne pouvait rester le même. Les fluctuations de la politique ont toujours leurs suites sur le régime financier du pays. La passion aveugle précède l'intérêt, qui, lui, sait où il va.

M. Thiers, nourri à l'école du baron Louis, avait été l'adversaire déclaré des hardiesses économiques de l'empire. La majorité de l'Assemblée, en confondant, dans une admiration égale, la compétence financière de M. Thiers et celle de M. Magne, rapprochait l'eau et le feu. M. Thiers était l'économiste de la vieille bourgeoisie, ami de la terre et protectionniste à la Colbert. M. Magne représentait plutôt la bourgeoisie moderne, urbaine, mêlée au mouvement des affaires, l'œil tourné vers la Bourse et les marchés internationaux : quoiqu'il fût plus mesuré que les premiers conseillers de l'empereur, apôtres déclarés du libre-échange, sa méthode était plus souple et plus large que celle de M. Thiers.

Celui-ci avait à peine quitté le pouvoir, que les divergences, atténuées jusque-là, par respect pour son autorité, apparurent. M. Thiers avait inauguré tout un programme en réservant, par le traité de Francfort, la liberté des tarifs, en dénonçant les traités de commerce avec l'Angleterre et la Belgique (15 et 18 mars 1872), en imposant, en quelque sorte, à. l'Assemblée le vote des taxes à l'entrée sur les matières premières, en rétablissant, par la loi du 30 janvier 1872, la surtaxe de pavillon, qui protège la marine marchande. Le produit de ces taxes était escompté dans le projet de budget déposé par M. Léon Say.

Quand M. Magne revint au pouvoir, le système de M. Thiers fut reconnu dangereux au point

de vue économique, stérile au point de vue fiscal. A vrai dire, le pays lui-même était incertain : là, comme en politique, il cherchait ses voies. Le contribuable, accablé d'une énorme surcharge d'impôts, ne savait à qui entendre. Dans les débats d'une Assemblée où les partis représentent des groupements d'intérêts, au cours de la discussion confuse d'un budget en quelque sorte amorphe, nous assistons à la genèse des débats financiers où s'esquisseront, par la suite, les premiers linéaments d'une nouvelle organisation sociale.

M. Magne présente donc un nouveau budget. M. Chesnelong est rapporteur général. La manière prudente et réservée du premier, le talent un peu vague et superficiel du second ne sont pas de nature à projeter de la lumière sur ces difficiles obscurités. Les spécialistes seuls s'y complaisent, quitte à s'embrouiller dans les chiffres et les statistiques contradictoires. L'Assemblée, appliquée, sérieuse, voulant comprendre et jugeant avec sa bonne foi, mais aussi avec ses préjugés, est décidée surtout à faire face aux engagements pris par la France : elle recherche, un peu à tâtons, l'équilibre si difficile à obtenir parmi tant d'oscillations diverses.

M. Magne commence par rayer, sur le budget de M. Léon Say, tout ce qui se rattachait au système de M. Thiers.

L'impôt sur les matières premières, établi par la loi du 26 juillet 1872, est une atteinte portée à l'activité de notre grande industrie, — on se souvient des incidents que le projet avait soulevés en janvier 1872. M. Thiers avait dit jouer de sa démission pour faire voter l'impôt. — On reconnaît que maintenir cette loi, c'est engager le système de nos relations économiques extérieures ; c'est rompre avec l'Angleterre et provoquer des difficultés avec la plupart des autres puissances.

Le haut commerce, la haute banque joignent leurs doléances à l'action diplomatique.

On avait prévu 93 millions au budget : on est en présence d'une recette de 1.800.000 francs. La loi est reconnue inapplicable. Dès le 17 juillet 1873, le nouveau cabinet en demande l'abrogation.

Même résultat négatif pour la surtaxe de pavillon. Les Etats-Unis[3], l'Autriche[4], l'Angleterre, le Danemark, protestent ou exercent des représailles. On les écoute. Les représentants des ports se plaignent très haut de ce barrage artificiel élevé à grands frais devant nos fleuves et devant nos ports. Le cabinet n'est pas fâché de remporter ce succès rétroactif sur M. Thiers et dans une courte semaine — 20-28 juillet, — la Chambre vole à la fois la suppression des droits sur les matières premières, la remise en vigueur des conventions de commerce et de navigation passées sous l'empire avec l'Angleterre et la Belgique, et, enfin, l'abolition de la surtaxe de pavillon[5].

C'est toute une révolution économique enlevée en fin de session et qui, dans le tumulte des querelles politiques, passe presque inaperçue.

En tenant compte de quelques autres modifications dans le tableau des recettes, un déficit de 134 millions apparait dans le budget. D'autre part, des insuffisances d'évaluation au chapitre des dépenses montent à 43.800.000 francs. Il faut donc trouver 175 millions de francs pour assurer l'équilibre du nouveau budget.

Ces 175 millions de francs ne peuvent provenir que de la création d'impôts nouveaux. Ici, M. Magne se rapproche de M. Thiers. La majorité conservatrice ne lui permettrait pas de s'adresser à la terre, à la richesse acquise, au capital constitué, au revenu plus ou moins déclaré. Il ne reste qu'une ressource, les contributions indirectes et les impôts de consommation. C'est bien dans ce sens que vont se porter les efforts de M. Magne et de la commission du budget. Le budget de M. Magne, ménageant à la fois la propriété terrienne et la haute industrie, la fortune, l'épargne et le mouvement financier, frappant surtout la consommation qui, par sa diffusion même, ignore la charge et multiplie incidemment la recette, le budget de M. Magne est, par excellence, le budget néo-bourgeois.

La guerre d'escarmouches entre les intérêts divers se prolonge pendant tout le mois de décembre, mais elle ne pouvait aboutir à des résultats décisifs dans un délai aussi court. C'est pour la forme que la loi du 30 décembre 1873 promulgue le budget de 1874. En approuvant ce budget, l'Assemblée sait qu'il s'en faut de plus de 40 millions qu'il soit en équilibre.

D'un commun accord, on remet aux premiers mois de l'année 1874 le vote nécessaire des impôts complémentaires. En fait, les impôts nouveaux ne furent  adoptés qu'à la suite de longues discussions.

Les matières éminemment imposables : alcools,  pétroles, sel, sucres, furent l'objet de discussions très  serrées où les principes de la science financière moderne se dégagèrent lentement.

Le régime successoral fut visé par une proposition de M. Méline réclamant la refonte des droits de mutation par décès selon la tarification suivante : en ligne directe 1 fr. 25 ; entre frères et sœurs, etc., 7 fr. 50 ; entre grands-oncles, petits-neveux, etc., 9 francs ; entre héritiers au douzième degré, 12 francs ; entre étrangers 15 francs. Cette proposition et celle de M. Raoul Duval fixant le droit successoral en ligne directe à 2 francs, décimes compris, provoquèrent une levée de boucliers de la part des défenseurs de la propriété héréditaire. Les disciples de Le Play abondaient dans l'Assemblée. Les arguments philosophiques appuyèrent les arguments économiques. Ce furent de belles passes d'armes, un peu théoriques et sans résultat immédiat.

On alla au plus pressé et au plus court. Les trois lois du 30 décembre 1873, du 19 février 1874, du 21 mars 1874, caractéristiques du budget de M. Magne et modificatrices du système de M. Thiers, visèrent surtout les contributions indirectes et frappèrent les objets de grande consommation.

Loi des 30 et 31 décembre 1873 : Droits d'enregistrement, 16 millions ; — demi-décime sur les contributions indirectes, 15 millions et demi ; — sucres, 6.200.000 ; — huiles minérales, 1.500.000 ; — huiles-végétales, 6.200.000. — droit sur les savons, 7.000.000 ; — stéarine et bougies, 9 millions ; — augmentation sur les droits d'entrée, 10 millions, etc.

Loi du 19 février 1874 : Augmentation des droits fixes sur les actes extra-judiciaires, 5 millions ; timbre proportionnel des effets de commerce, 13 millions, etc.

Loi du 21 mars 1874 : Réduction de la tolérance à 20 litres d'alcool pour les bouilleurs de cru, 2 millions ; — augmentation du droit sur la petite vitesse, 21 millions.

Depuis sa réunion jusqu'à cette date, l'Assemblée nationale avait voté près de 700 millions d'impôts nouveaux.

Des mesures sages préparèrent la réfection éventuelle du cadastre. On soumit les raffineries de sucre et de pétrole à l'exercice. On fit surveiller de plus près le rendement des taxes sur le timbre et sur les effets de commerce, sur les bouilleurs de cru.

Malgré tout, les sacrifices demandés au pays étaient trop lourds et le désaccord entre les intérêts trop irréductible pour qu'on bouclât ce budget difficile. M. Magne ne put obtenir l'équilibre recherché par son adroite ingéniosité et l'exercice 1874 resta en déficit de 21.440.000 francs.

III

Ces débats n'intéressaient guère ce qu'on appelle l'opinion. Elle était comme suspendue au drame qui se déroulait alors à Trianon. Le procès du maréchal Bazaine inaugurait la série de ces grandes assises judiciaires qui marqueront d'un trait si particulier l'histoire de la troisième République.

Goût du scandale ou besoin de vérité ; foi dans une sanction suprême, la justice, ou satisfaction d'un instinct naturel aux foules, la suspicion ; croyance, illusoire peut-être, à l'efficacité des procédures juridiques, tous ces sentiments mêlés produisent le recours si fréquent, dans les choses de la politique, à l'enquête publique ou à l'autorité des magistrats.

Un peuple qui garde pour lui l'exercice du pouvoir veut savoir. Par la publicité des débats, il se constitue lui-même juge. Tout homme public relève de lui. L'inquisition, la dénonciation permanente deviennent des services d'État. C'est en passant sans cesse à l'étamine ceux qui prétendent le conduire que le peuple les tient. Les bons mêmes doivent accepter ce contrôle : plus suspects parce qu'ils sont meilleurs.

Celle surveillance jalouse, cette enquête constante sont funestes, dit-on, au secret d'État : oui, s'il y a un secret d'État. Mais, parmi la foule qui se presse aux avenues du pouvoir, dans ce vacarme de la publicité et des cent mille voix de la presse, dans cette bousculade des dix mille se disputant l'autorité, dans la rivalité continuelle et exaspérée des cercles, des partis, des comices, alors que l'information de tous est le ressort indispensable à l'action de tous, comment un mystère quelconque pourrait-il exister, durer ? L'homme politique moderne doit, avoir son âme à nu et son procédé à découvert. La franchise et la droiture sont ses voies. Qui dit mandat public dit comptes publics. Comment les ministres sont-ils responsables si ce n'est devant l'opinion ?

Ainsi, l'enquête — judiciaire ou parlementaire — n'est peut-être que le premier embryon d'un organisme indispensable au régime démocratique. L'Égypte jugeait ses rois ; Athènes pratiquait l'ostracisme : Aristide, bon citoyen, inscrivait lui-même son nom sur la coquille. La recherche inquisitoriale de la vérité et des responsabilités est la sanction suprême et logique d'un système qui n'a d'autre principe et d'autre sauvegarde que la lumière.

 

Après la guerre, l'Assemblée, répondant à la volonté de la nation, institua les commissions parlementaires chargées de découvrir la cause des désastres politiques et militaires. Le champ si vaste des malheurs publics sur la guerre fut fouillé ; les responsabilités se précisèrent.

La législation militaire stipule impérativement que tout officier qui a perdu une place forte doit rendre compte de sa conduite devant un conseil d'enquête[6].

Tous les officiers généraux ou autres, signataires de capitulations avec l'ennemi, passèrent donc devant le conseil, d'enquête constitué, le 30 novembre 1871, sous la présidence du maréchal Baraguay d'Hilliers.

Les signataires de la capitulation de la place de Metz et de l'armée du Rhin étaient soumis à l'application de la loi. Un fait aussi grave, ayant eu de telles conséquences, l'inutilisation et le lent anéantissement d'une des plus belles armées françaises, 160.000 hommes livrés à l'ennemi, la reddition d'une place frontière de premier ordre, de tels faits pouvaient-ils être soustraits à l'investigation publique ?

D'ailleurs, l'opinion était saisie. A peine la guerre était-elle finie que les officiers, rentrant d'Allemagne, propageaient partout la plainte, les doutes, les soupçons qui ; même avant la capitulation, s'étaient répandus presque invinciblement dans les rangs de l'armée. sont saisis

Des officiers distingués, le colonel de Villenoisy et le colonel Lewal ; d'autres, un certain Valcourt, le colonel d'Andlau[7] qui finirent tous deux en police correctionnelle, avaient fait appel à la vindicte publique, soit par des rapports sévères adressés au de gouvernement, soit par des publications retentissantes, soit par des pétitions soumises directement à l'Assemblée. Les habitants de l'illustre et malheureuse ville détachée de la France par la paix de Francfort avaient dénoncé, avec une colère touchante, les fautes, les erreurs, les calculs peut-être, dont ils étaient les victimes[8] ; un article, signé de M. A. Mézières, paru dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1871, était une longue accusation dont un homme public devait chercher à se laver[9]. Enfin, Gambetta, ministre de la guerre, avait poussé le fameux cri : Bazaine a trahi !

Le silence pouvait-il se prolonger ? La gravité du désastre n'était-elle pas une raison légitime de l'attente universelle ? Certaines obscurités qui planaient sur le parti pris par le, maréchal de rester sous Metz et sur des négociations singulières ne devaient-elles pas être éclaircies ? Puisque le maréchal réclamait des juges, devait-on les lui refuser ?

Le 29 mai 1871, l'Assemblée discutant le rapport du comte Rampon sur une pétition du colonel du génie Cosson de Villenoisy demandant une enquête sur la capitulation de Metz, le général Changarnier prétend venger l'armée du Rhin des calomnies indignes répandues sur sa conduite. M. Thiers intervient annonçant que le maréchal Bazaine sollicite formellement des juges[10] ; puis le ministre de la guerre déclare que tous les commandants de place avant capitulé seront traduits devant un conseil d'enquête.

Le 12 avril 1872, le conseil d'enquête rend son avis sur la capitulation de Metz. Il blâme sévèrement le maréchal Bazaine.

M. Thiers était opposé, dit-on, au projet de traduire le maréchal devant un conseil de guerre. La sagesse un peu timorée de l'illustre président reculait devant les conséquences d'un tel acte. Pourtant, le 7 mai 1872, le ministre de la guerre, général de Cissey, ordonne d'informer contre le commandant en chef de l'armée du Rhin. A l'ouverture de l'instruction, qui est confiée au général Séré de Rivière, le maréchal Bazaine se constitue prisonnier.

L'instruction dure de longs mois. Elle est close à la fin de mars 1873. Par décision du 24 juillet suivant, le maréchal Bazaine est renvoyé devant un conseil de guerre, sous les chefs d'accusation suivants :

1° Avoir capitulé avec l'ennemi et rendu la place de Metz, dont il avait le commandement supérieur, sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient. le devoir et l'honneur ;

2° Avoir, comme commandant en chef de l'armée devant Metz, signé en rase campagne une capitulation qui a eu pour résultat de faire poser les armes 'a ses troupes ;

3° N'avoir pas fait, avant de traiter verbalement et par écrit, tout ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur.

Ce fut une véritable difficulté, pour le général du Barail, ministre de la guerre, ancien commandant de la cavalerie à Metz, sous les ordres du maréchal Bazaine, de constituer le conseil de guerre.

L'article 2 de la loi militaire de 1857 portait que pour juger un général de division ou un maréchal de France, les maréchaux devaient être appelés suivant l'ordre de l'ancienneté à siéger dans le conseil de guerre. L'article 36 spécifiait qu'aucun des généraux ayant été sous ses ordres ne peut faire partie du conseil de guerre.

Ces deux prescriptions rendaient impossible la constitution du conseil chargé de juger le maréchal Bazaine. A ce moment, l'armée ne comprenait que quatre maréchaux ; deux d'entre eux, les maréchaux Lebœuf et Canrobert, avaient servi Metz ; restaient les maréchaux Baraguay d'Hilliers[11] et de Mac Mahon. Le premier, avant présidé le conseil d'enquête, se trouvait exclu par l'article 24 de la loi. Quant au maréchal de Mac Mahon, il était chef de l'État.

L'Assemblée nationale dut modifier la législation. Elle vota, le 16 mai 1872, une loi permettant aux généraux ayant commandé en chef devant l'ennemi de siéger dans un conseil de guerre chargé de juger un maréchal de France[12].

Il parut que le duc d'Aumale, l'un des plus anciens généraux de division, ancien commandant en chef des  forces d'Algérie, réintégré dans ses grades et honneurs par un décret de mars 1872, avait seul la situation et l'autorité nécessaires pour conduire cette difficile affaire.

Le duc d'Aumale hésita beaucoup. Il disait : Je ne veux pas être le Laubardemont du maréchal, ni rentrer dans l'armée par cette porte-là. Cependant, il finit par céder à la nécessité de la situation et aux instances du ministre de la guerre[13]. Les amis du maréchal Bazaine, et le maréchal lui-même, ne se sont pas fait faute de dire que le tribunal ainsi présidé avait son opinion arrêtée d'avance et que le procès était le résultat d'une entente entre les orléanistes libéraux et les républicains, décidés à porter le dernier coup à la légende impériale[14].

Il est difficile parfois aux consciences les plus délicates de distinguer, dans les motifs qui les déterminent, entre la passion politique et le souci du bien public. Le poids de l'opinion qui chargeait alors le maréchal créait une poussée presque irrésistible contre lui. Les débats devaient nécessairement s'ouvrir sous cette impression. Aussi, de tels procès sont de ceux qui ont toujours, en dernière analyse, leur appel devant l'histoire.

Le conseil de guerre fut ainsi constitué : Généraux ayant commandé en chef ; — Président : le duc d'Aumale ; de La Motterouge, de Chabaud La Tour, Tripier. Généraux ayant commandé une division : de Martimprey, Princeteau, Martineau. Commissaire du gouvernement : le général Pourcet, ancien aide de camp du général Changarnier. Rapporteur : le général Séré de Rivière, qui avait commandé, en Italie, le génie de la division Bazaine[15].

On décida que les séances du conseil de guerre se tiendraient au palais de Trianon. Sous les ombrages déjà jaunis du parc de Versailles, le pavillon aux pilastres de marbre rose vit s'ouvrir un drame non moins émouvant que ceux qu'évoque son royal passé.

Le 6 octobre, à midi, le conseil entre en séance. Le duc d'Aumale, président, portant le grand-cordon de la Légion d'honneur, déclare l'audience ouverte et donne l'ordre au brigadier de service d'aller chercher le maréchal Bazaine.

A midi quinze, le maréchal en grand uniforme et portant le grand-cordon de la Légion d'honneur est introduit. Il s'incline devant le bureau du conseil de guerre et se dirige vers le fauteuil qui lui est réservé. Le général président dit au maréchal Bazaine : — Maréchal, asseyez-vous. Lecture est donnée de l'arrêt qui renvoie l'affaire devant le conseil de guerre en désignant les membres qui doivent le composer.

Après cette lecture, le général président s'adressant à l'accusé lui dit, d'un ton assez sec : — Accusé, levez-vous ! Quel est votre nom ?

R. — Henri-Achille Bazaine.

D. — Quelle est votre profession ?

R. — Maréchal de France.

D. — Quel est votre âge ?

R. — Soixante-deux ans.

D. — Quel est votre lieu de naissance ?

R. — Versailles[16].

Ainsi, la même ville assistait aux deux extrémités de cette carrière si étrangement contrastée.

On lut les états de services du maréchal : Il s'était engagé soldat au 38e de ligne, le 28 mars 1831 ; il avait été fait colonel par Louis-Philippe, général et maréchal de France par l'empire. Il avait soixante-sept campagnes, six blessures ; il avait été cité treize fois à l'ordre du jour ; il était grand-croix de la Légion d'honneur et titulaire de la médaille militaire ; il avait quarante-deux ans et demi de services dont trente-cinq de guerre. En additionnant, selon la règle, les années de services et les campagnes, il avait cent neuf ans et demi de services.

Ce soldat était maintenant l'accusé.

Le maréchal avait choisi pour défenseur Me Lachaud. Une grande affluence de public suivit les péripéties du procès. Au cours de son interrogatoire, le maréchal Bazaine parut calme, un peu lourd et apathique, parfois à demi somnolent et comme indifférent. Il ne se réveillait et ne faisait tête que s'il s'agissait d'une polémique personnelle ou d'un de ces faits mystérieux où l'accusation insistait, par exemple le fait Régnier.

L'acte d'accusation est lu par le général Séré de Rivière. Il est long, minutieux, âpre. La première partie du rapport est consacrée aux opérations qui précèdent le siège de Metz et notamment à la bataille de Forbach : on reproche au maréchal Bazaine d'avoir inauguré, dès lors, la tactique systématiquement expectante qui devait perdre son armée en n'envoyant pas à temps le secours réclamé par le général Frossard, le professeur.

La seconde partie du rapport suit le maréchal Bazaine depuis le 12 août, jour où l'empereur Napoléon III, sous la pression de l'opinion, le nomme commandant en chef. Il porte, dès lors, la responsabilité de tous les actes qui décident du sort des armées de l'Est, non seulement de celle de Metz, mais aussi de celle de Sedan, puisqu'il est généralissime et que son projet de sortie formulé à diverses reprises jusqu'au 23, dans ses dépêches au gouvernement et à l'empereur, attire vers lui l'armée de Mac Mahon[17].

Bazaine s'accroche à Metz : les batailles sanglantes et presque victorieuses que livrent ses lieutenants, on dirait qu'il s'en désintéresse. A Borny, à Rezonville, à Saint-Privat, la préoccupation suprême du maréchal parait être surtout de ne pas quitter Metz. Ses ordres sont toujours confus, obscurs. Sa volonté claire ne se dégage pas. Son attitude, ses actes révèlent une apathie inexplicable, une résignation froide et silencieuse qui cache on ne sait quoi, calcul ou impéritie. S'il parle, c'est pour se plaindre de ses troupes qui, pourtant, combattent héroïquement, ou de leurs chefs qui, pourtant, lui obéissent aveuglément. Il est le maître.

Le conseil de guerre qu'il consulte, sans pouvoir abriter derrière lui sa responsabilité de général en chef, ne fait, en somme, que suivre les inspirations qu'il lui donne. Si la mauvaise humeur existe dans l'armée, et elle s'accroît peu à peu, elle ne provoque aucune manifestation sérieuse, aucun acte. L'armée se laisse mener, sans savoir, sans comprendre, à l'issue terrible ; c'est à peine si, au fur et à mesure que les yeux se dessillent, on sent bondir tant de braves cœurs gonflés de rage dans l'impuissance et le silence.

La troisième partie du rapport est consacrée aux tentatives si rares du maréchal pour communiquer avec le dehors et aux efforts faits du dehors pour communiquer avec lui, à l'attitude ambiguë prise par le maréchal à l'égard du gouvernement de la Défense nationale, aux relations avec l'impératrice, au trouble que les considérations politiques jettent

dans l'accomplissement du devoir militaire, aux négociations avec l'état-major général allemand où s'enlise peu à peu le maréchal, au rôle de Régnier, à la mission du général Bourbaki, à celles du général Boyer, à la lente capitulation qui se prolonge, en quelque sorte, du 7 au 29 octobre, pour aboutir au désastre.

L'acte d'accusation poursuit en ces termes :

C'est ainsi que finit l'armée du Rhin, victime des menées ambitieuses de son chef ; c'est ainsi que fut entraînée dans la ruine de l'armée la place de Metz, qui, abandonnée à elle-même, aurait pu opposer une résistance prolongée à l'ennemi, de manière à attendre le moment de l'armistice. C'est ainsi que la Lorraine devint prussienne.

... Au moment où la pénurie des vivres, pénurie qu'il aurait si facilement pu prévenir, força le maréchal Bazaine à capituler, se rassemblaient sur la Loire, entre Nevers et Blois, cinq corps d'armée français. La cohésion manquait assurément à ces nouvelles levées, mais leur effectif était très considérable, et les Allemands n'auraient eu à leur opposer, retenus qu'ils étaient par les nécessités du blocus de Paris, que des forces très inférieures en nombre. Si l'armée du prince Frédéric-Charles, dont les premières troupes commencèrent à s'ébranler dès le 21 octobre, et qui atteignit Fontainebleau et Pithiviers vers le 25 novembre, avait été retenue sous les murs de Metz, les conditions de la lutte auraient été tout autres devant Orléans. On ne peut hasarder à ce sujet que des conjectures, mais le succès remporté à Coulmiers par deux corps d'armée français, qui ne furent même pas engagés en entier, permet de penser que, sans l'intervention de l'armée du prince Frédéric-Charles, il eût été possible de dégager Paris... Sedan, Metz, Orléans, le nom du maréchal Bazaine demeurera éternellement attaché à ces trois grands désastres de la guerre de 1870[18].

L'interrogatoire du maréchal occupa une semaine entière, du 13 au 19 octobre. Il se défendit avec retenue et modération, non sans une réserve dédaigneuse, n'accusant personne, circonspect et parfois obscur dans ses réponses comme il l'avait été dans ses ordres et dans sa conduite. Sa défense, le maréchal l'avait exposée déjà dans un livre où il avait fait usage des archives officielles qu'il garda d'abord par devers lui[19]. Souvent il alléguait la difficulté de se souvenir de tous les détails d'une si vaste entreprise.

Son point de vue était le suivant : dans la position où était la France, le plus sage était de lui conserver une armée capable de tenir jusqu'à la conclusion de la paix ; en la gardant intacte, on pesait sur les prochaines négociations et, la paix une fois conclue, on était en mesure d'assurer l'ordre et la tranquillité publics. Or, la meilleure manière de sauver cette armée, dans l'état on elle était après les premières défaites de la frontière, c'était de l'appuyer sur une place forte comme Metz et de menacer ainsi les derrières et les communications de l'ennemi. Ce plan était, en somme, inspiré par celui de Napoléon dans la seconde partie de la campagne de France. L'armée manquait de la confiance et des ressources nécessaires pour entreprendre sérieusement de faire une trouée et de se lancer à travers la France ayant sur ses talons l'armée allemande supérieure en nombre : les munitions eussent fait défaut dès la seconde journée, même si la première rencontre dit été une victoire. Le plus sage était donc de garder Metz et de tenir l'ennemi en haleine par une lutte incessante et désespérée, et, selon le mot du maréchal Canrobert, de se défendre à coups de griffes.

D'ailleurs, tous les généraux qui commandaient sous les ordres du maréchal avaient connu les moyens de défense, les projets, les résolutions. Aucune contradiction sérieuse ne s'était produite. Ils n'avaient ignoré ni les nouvelles, ni les négociations, ni les conditions de l'ennemi. Tout le monde avait fait pour le mieux, et si l'on avait été vaincu, c'est que, dès le premier jour, la partie était désespérée.

En prétendant faire du chef de l'armée de Metz le bouc émissaire des désastres, on cachait à la nation la première chose qu'on lui devait, la vérité sur elle-même.

Les négociations entamées à diverses reprises, même par ce Régnier, — agent suspect ou intermédiaire utile, — n'avaient pour but que de conserver, dans des conditions honorables, une armée intacte à la France : J'espérais obtenir des conditions avantageuses pour l'armée, pour elle et pour l'intérêt du pays, dit le maréchal. L'armée serait sortie et aurait pris position dans une zone neutre déterminée, où elle se serait tenue à la disposition de l'ordre social menacé.

C'est sur cette observation que s'engage entre le général président du conseil de guerre et le maréchal ce court dialogue resté célèbre :

BAZAINE. — Ma situation était, en quelque sorte, sans exemple. Je n'avais plus de gouvernement ; j'étais, pour ainsi dire, mon propre gouvernement à moi ; je n'étais dirigé par personne ; je n'étais plus dirigé que par ma conscience.

LE GÉNÉRAL PRÉSIDENT. — Ces préoccupations de négociation, alors, étaient donc plus puissantes sur votre esprit que la stricte exécution de vos devoirs militaires ?

R. — Oui ; j'admets parfaitement que ces devoirs soient stricts quand il y a un gouvernement légal, quand on relève d'un pouvoir reconnu par le pays ; mais non pas quand on est en face d'un gouvernement insurrectionnel ; je n'admets pas cela.

D. — La France existait toujours[20].

Ces paroles vives touchent au nœud du débat.

L'audition des témoins commença le 20 octobre et dura jusqu'au 3 décembre. Elle révéla l'état moral et l'état matériel de l'armée, les chances de succès, les directions, les ordres, la mentalité de ces troupes dont dépendait le salut du pays. Cruelle dissection ! La défaite devrait avoir sa pudeur ; on déchira tous les' voiles. On s'attarda sur des points de détail diversement importants, parfois passionnants, parfois indifférents ou obscurs. L'optique des passions aggrave encore ce que la difficulté des choses complique assez.

On donna lecture d'une déposition écrite du maréchal de Mac Mahon, qui, par un étrange contraste, était à la tête de l'État quand son vieux compagnon d'armes et son chef à une date si récente comparaissait devant les juges.

La déposition du maréchal Canrobert, simple et franche, permit d'apprécier tout ce qu'on pouvait attendre du héros de Gravelotte et des troupes qu'il commandait. D'autres chefs apportèrent devant le tribunal le spectacle de leurs hésitations, de leurs erreurs, de leurs incohérences. On eut l'occasion d'admirer la foule des actes héroïques ignorés.

L'audience recueillit l'écho des colères qui agitaient l'armée et des plaintes que soulevaient, parmi les officiers les plus énergiques, l'attitude expectante du haut commandement. Un nom était sur toutes les lèvres, celui de Rossel. Mais, en somme, la discipline l'avait emporté, même dans cet acte final et terrible laissé en quelque sorte par le maréchal au hasard des événements, la destruction des approvisionnements et l'incinération des drapeaux.

Certains incidents furent mal éclaircis. On ne sut comment apprécier le fait si grave qu'une dépêche adressée au maréchal de Mac Mahon, arrivée jusqu'au colonel Stoffel, attaché à la personne du maréchal, n'eût pas été remise à celui-ci[21]. On resta dans le doute sur le rôle d'un des officiers d'ordonnance du maréchal Bazaine, le colonel Magnan, qui, le 17 août, avait été envoyé vers l'empereur et le maréchal de Mac Mahon et qui ne put rentrer dans la place.

Les communications du maréchal Bazaine avec l'état-major allemand, la fréquente visite de parlementaires par l'intermédiaire d'un certain Arnous-Rivière, commandant de francs-tireurs et placé aux avant-postes, furent mal expliquées. Régnier avait refusé de comparaitre : son rôle demeura mystérieux[22].

Certains détails de la mission confiée au général Boyer, la note que lui avait remise le général Bazaine comme point de départ tics pourparlers à engager avec l'état-major allemand furent des charges accablantes. Le système de l'accusation n'était-il pas corroboré par le texte même de cette note :

Au moment où la société est menacée par l'attitude qu'a prise un parti violent et dont les tendances ne saliraient aboutir à une solution que cherchent les bons esprits, le maréchal commandant l'armée du Rhin, s'inspirant du désir qu'il a de sauver son pays, et de le sauver de ses propres excès, interroge sa conscience et se demande si l'armée placée sous ses ordres n'est pas destinée à devenir le palladium de la société. La question militaire est jugée. Les armées allemandes sont victorieuses... L'intervention d'une armée étrangère, même victorieuse dans les affaires d'un pays aussi impressionnable que la France, dans une capitale aussi nerveuse que Paris, pourrait manquer le but, surexciter outre mesure les esprits et amener des malheurs incalculables. L'action d'une armée française encore constituée, ayant bon moral... rétablirait l'ordre et protégerait la société, dont les intérêts sont communs avec ceux de l'Europe. Elle donnerait à la Prusse, par l'effet de cette même action, des gages, qu'elle pourrait avoir à réclamer dans le présent, et, enfin, elle contribuerait à l'avènement d'un pouvoir régulier et légal, avec lequel les relations de toute nature pourraient être reprises sans secousse et naturellement[23].

Cette note, datée du Ban Saint-Martin, le 10 octobre 187o, et destinée à être placée sous les yeux de l'ennemi, alors que Metz pouvait tenir trois semaines, alors que la France devait résister plus de trois mois encore, mettait le sort de l'armée et du pays entre les mains de ses vainqueurs. Les considérations militaires paraissaient donc bien s'être subordonnées dans l'esprit du maréchal Bazaine aux considérations politiques. Du moins, c'est sur ce point que le commissaire du gouvernement, le général Pourcet, insista dans son réquisitoire[24].

 La raison déterminante de la conduite du maréchal Bazaine était là, selon lui. Il releva, à travers les erreurs du commandement, dans le parti pris de rester à Metz, dans le mauvais vouloir à l'égard du nouveau gouvernement, dans l'isolement volontaire, et dans la série des incidents obscurs, les indices d'un plan arrêté. Éloignant l'empereur d'abord, ne reconnaissant pas un gouvernement qui avait mis à sa tête un autre général, le général Trochu, recevant de l'impératrice, par l'intermédiaire d'un agent louche des communications qui passaient au préalable par l'état-major général allemand, le maréchal aurait conçu le dessein de restaurer, en France, l'autorité de l'impératrice-régente après la signature de la paix, et de devenir maitre de ce gouvernement en raison même du service rendu.

 Ce dessein aurait échoué pour une double cause : parce que l'impératrice aurait refusé de souscrire aux conditions, au blanc-seing réclamé par le prince de Bismarck et aussi parce que la France, après la défaite des armées impériales, avait organisé une seconde défense et que le sort des armes avait été tenu en suspens plus longtemps que le maréchal ne l'avait prévu.

Paris et la province, en luttant près de quatre mois encore, avaient enlevé au maréchal Bazaine le rôle d'arbitre que son calcul ambitieux avait rêvé.

Tel était, dans ses grandes lignes, le réquisitoire du général Pourcet.

Le rôle de la défense était difficile. M. Lachaud n'avait peut-être pas le genre d'autorité que réclamait une telle cause. Il se perdit un peu dans le détail[25]. Il tira ses principaux effets de la belle carrière du maréchal Bazaine, de la modération de celui-ci, du concours unanime que ses compagnons d'armes avaient prêté à tous les actes de la défense, y compris la capitulation. Il attaqua avec véhémence les indisciplinés, la conjuration civile et militaire des troueurs, qui s'était formée contre le commandant en chef ; il célébra l'héroïsme des troupes et le courage personnel de leur chef qui, plusieurs fois, exposa sa vie ; il déplora les jalousies, les suspicions, les animosités, filles de la défaite et des discordes intestines ; il railla les généraux en chambre, prit à partie M. Gambetta pour sa phrase : Le maréchal Bazaine a trahi !

Il cita les lettres que le maréchal malheureux avait reçues de ses collègues et subordonnés, une du maréchal Canrobert, une du général Trochu ; il lut même cieux lettres du prince Frédéric-Charles ; il plaida la cause de l'impératrice et celle de l'empereur, celle de l'armée vaincue avec honneur. Il jeta un voile sur le rôle de Régnier, qu'il parut ménager en s'abritant derrière la parole de M. Routier C'est un homme instruit, un homme habile, un homme qui a la parole facile, qui a même une certaine éloquence (et M. Rouher se connaît en éloquence). Son rôle est resté dans l'esprit de M. Rouher comme un rôle de conciliateur[26].

Il ne fit qu'indiquer, en raison de l'auditoire auquel il s'adressait, la thèse que devait soutenir, par la suite, le maréchal Bazaine, à savoir que celui-ci était une victime, sacrifiée d'avance à la haine des partis opposés à l'empire. Il cita la parole de M. Thiers : Le maréchal Bazaine, j'en suis convaincu, a été cruellement calomnié.

Toute sa plaidoirie se résumait en cette phrase où il rappelait habilement l'invective infamante de Gambetta : Quant au Maréchal, dire de lui, parce qu'il a succombé, c'est un traitre. Non ! S'il a eu une ambition, elle fut de sauver son pays ! S'il eût sauvé Metz, il eût été le sauveur de la France !

Après un échange de répliques, le président du conseil s'adresse au maréchal Bazaine :

Monsieur le maréchal, dit-il, avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ? Le maréchal se lève vivement et, la main sur sa médaille militaire, il dit : — Je porte sur ma poitrine ces mots : Honneur et Patrie. Je n'ai pas manqué à cette noble devise pendant les quarante-deux ans que j'ai servi loyalement mon pays, ni à Metz ni ailleurs, je le jure devant le Christ ! Le général président dit alors d'une voix brève : — Les débats sont clos. S'adressant au commandant Thiriet : — Emmenez l'accusé. Il était quatre heures trente cinq[27].

A huit heures trente-cinq, le conseil rentre en séance. Le général président, d'une voix lente et grave, lit le jugement qui, invoquant les articles 210 et 209 du code de justice militaire, condamne, à l'unanimité des voix, François-Achille Bazaine, maréchal de France, à la peine de mort avec dégradation militaire.

Le maréchal Bazaine attendait dans une salle voisine. Le général Pourcet lui communiqua le jugement. Il l'écouta sans donner aucun signe d'émotion ; puis quand le greffier eut fini, il dit au général Pourcet : — Est-ce tout ? Sur une réponse affirmative, il ajouta : — Fusillez-moi le plus tôt possible, je suis prêt.

Aussitôt après le prononcé du jugement, le président et les juges s'étaient réunis et ils avaient tous signé une lettre préparée par le duc d'Aumale et adressée au ministre de la guerre. Cette lettre, invoquant les glorieux services du maréchal et les difficultés inouïes dans lesquelles il avait reçu le commandement, priait le président de la République de ne pas laisser exécuter la sentence[28].

Le lendemain, à l'issue du conseil des ministres, le Journal officiel publia une note aux termes de laquelle la peine de mort prononcée contre le maréchal Bazaine était commuée en vingt années de détention, avec dispense des formalités de la dégradation militaire.

Le général du Barail fit notifier cette décision au maréchal Bazaine par un officier d'ordonnance. Le maréchal, prévenu de son arrivée, se leva, s'habilla et s'avança en lui disant avec calme :Commandant, vous venez m'annoncer l'heure et le lieu de l'exécution ?Au contraire, je viens vous donner connaissance d'un décret qui prononce une commutation de peine. — Ah ! Voyons. — L'officier lut le décret, le fit lire au maréchal, et celui-ci se retira sans prononcer une parole[29].

Il fut décidé que l'ancien chef de l'armée du Rhin subirait sa peine dans le fort de File Sainte-Marguerite située en face de Cannes. Mm° Bazaine fut autorisée, avec ses enfants, à rejoindre son mari.

Le jugement qui condamnait le maréchal Bazaine avait un caractère exclusivement militaire. Les questions qui obtinrent des réponses unanimes portaient sur les opérations du blocus et sur la double capitulation de l'armée et de la place. Telle est la portée exacte de la sentence. Bazaine ne fut ni accusé ni condamné pour avoir trahi, mais pour n'avoir pas fait tout son devoir de commandant en chef devant l'ennemi.

Ainsi s'explique la renonciation qu'il fit de lui-même à la procédure du pourvoi et le mot qu'il écrivit au maréchal de Mac Mahon en apprenant la commutation de peine : Par la demande en grâce qu'ils vous ont adressée, mes juges ont vengé mon honneur.

Bazaine, après s'être évadé du fort Sainte-Marguerite, dans la nuit du 9 au 10 août 1874[30], mourut à Madrid en 1888, pauvre, abandonné de tous, même de sa femme, obligé, dit-on, de vendre ses derniers habits pour vivre.

Le débat qui reste ouvert devant l'histoire et devant l'opinion est celui-ci : la condamnation du maréchal Bazaine, dans les termes mêmes où les questions furent posées, était-elle juste ? N'a-t-elle pas été influencée par les circonstances politiques qui entouraient le procès ? Tous les autres chefs des armées impériales ayant échappé à la responsabilité de leurs défaites, la poursuite intentée contre Bazaine seul était-elle justifiée ? oui ou non, forfait à son devoir de soldat ?

S'il s'agit d'apprécier la capacité du général en chef, il appartient aux écrivains de l'histoire militaire de porter un jugement. La publication officielle des archives françaises et allemandes met sous leurs yeux les pièces du procès. Mais, quelle que soit leur opinion, un général n'est pas coupable parce qu'il est battu.

 La conception militaire de Bazaine, celle que les faits lui imposèrent peut-être, à savoir de s'appuyer sur une place forte comme Metz pour sauver celle-ci et pour menacer les communications de l'ennemi, n'avait rien de déraisonnable. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'avec l'issue probable d'une capitulation eu niasse, elle était anormale et singulièrement risquée.

 Bazaine avait-il le choix ? La retraite de l'armée de Mac Mahon sur Nancy et sur Châlons avait découvert son aile droite et laissé le chemin libre à l'ennemi qui se portait sur ses derrières. Bousculé, enserré, pouvait-il prendre, un autre parti dans les quatre jours de bataille qui décidèrent de son sort et du sort du pays ? Faut-il lui attribuer un calcul ambitieux quand la précipitation des événements, le malheur des temps et peut-être une insuffisance militaire, excusée chez d'autres, suffiraient à tout expliquer ?

 On lui reproche d'avoir tout sacrifié à des considérations politiques. Le point de vue auquel il se plaçait n'est-il pas admissible ? II voulait conserver intacte la plus belle armée de la France ; il comptait, il est vrai, la mettre au service d'une restauration impériale. Mais la fidélité du maréchal Bazaine au gouvernement qu'il avait servi et dont il connaissait mal la destinée n'est pas un crime. Il croyait à la paix immédiate ; il entrevoyait un rôle utile c'est peut-être une erreur de jugement ; ce n'est pas, en soi, une faute contre le devoir et contre l'honneur.

Ces objections sont nées, dans certains esprits, au fur et à mesure que les passions qui ont entouré les événements de la guerre se sont apaisées. On dirait que, dans le ballottement perpétuel des opinions humaines, un retour tend à se produire en faveur du maréchal. Sa vieillesse misérable, sa mort lamentable ont plaidé pour lui. Les désastres, le Mexique, la guerre, les désespoirs, les fureurs, tout s'oublie. Bazaine bénéficie, lui aussi, du temps et de la résignation, succédant à de si longues colères[31].

Pour une juste appréciation des actes de Bazaine, il convient de se reporter à cette haute idée du devoir spécial imposé à l'homme qui, s'arrachant lui-même au rang de citoyen, accepte l'honneur et la responsabilité du métier de soldat.

Le devoir du soldat, le devoir du prêtre sont plus rigides en raison de l'autorité sociale qui leur est remise et de la confiance qui leur est faite.

Devant l'ennemi, le devoir du soldat est tracé par des règles sévères : ces règles lui interdisent notamment toute communication, toute collusion permettant à l'adversaire de mesurer la force de résistance morale ou physique qu'il doit rencontrer[32].

Cette prudence, celte réserve prescrites par les règlements, combien ne doit-elle pas s'exagérer encore quand il s'agit d'un chef tenant le sort d'une armée nombreuse, espoir suprême de la patrie, et d'une place forte, capitale d'une province convoitée par l'ennemi ?

Les lois militaires sont formelles. Mais le devoir militaire et le devoir politique ne sont pas moins clairs. Bazaine n'ignorait pas les exemples fameux de ces places fortes assiégées pendant les guerres de Napoléon et qui, jusqu'à la dernière heure, avaient refusé d'entrer en pourparlers avec l'ennemi.

Ce ne sont pas ces exemples qui l'inspirent : dès le début, son attitude et son commandement manquent de fermeté et de netteté. Au cours du procès, Me Lachaud a cité les lettres du prince Frédéric-Charles couvrant de son estime de vainqueur la conduite du vaincu. Mais il y a des faits plus précis et qui pèsent plus que ces lettres.

Dès le 5 septembre, au lendemain même de Sedan, l'état-major prussien porte sur le maréchal Bazaine, pour des raisons qui nous échappent, une appréciation peu favorable et qui aura ses conséquences sur les dispositions militaires prises à son égard.

Dans un ordre adressé à cette date, 5 septembre, au major-général de Stiehle, alter ego du prince Frédéric-Charles, le maréchal de Moltke écrit en propres termes : Une révolution est inévitable depuis que l'empereur a quitté la terre de France. Bazaine est une de ses créatures et aura peut-être en vue des considérations plus particulières que l'intérêt de la France... Encore une fois, ces paroles si graves sont écrites par le chef le plus autorisé et le plus perspicace des armées allemandes, dès le 5 septembre.

Sur quoi repose cette opinion que l'état-major allemand s'est faite au sujet du maréchal Bazaine ?

Ce qui est certain c'est que les dispositions réelles de celui-ci sont connues ; elles décident du plan de l'ennemi ; il comprend que les négociations lui serviront autant que les armes. Puisque Bazaine et son armée inclinent vers le régime impérial, on les entretiendra dans l'espoir d'une restauration ; ainsi, la France sera divisée et on opposera sans cesse l'un à l'autre, dans les négociations, les deux partis qui se disputent le pouvoir.

Peut-être avait-on eu vent d'un échange de vues qui s'était produit entre le gouvernement de l'impératrice et le maréchal Bazaine et auquel celui-ci a fait allusion dans son entretien du 30 septembre avec le maire de Metz : Soyez persuadé que le campement actuel n'est pas de mon choix ; on me l'a assigné en me déclarant que l'on considérait son abandon comme compromettant pour la dynastie. J'eusse préféré, et M. le général ici présent (Coffinières de Nordeck) le sait parfaitement, l'établir sur les plateaux de Haye, dans le triangle formé par les deux routes de l'Allemagne, d'où l'on peut si facilement porter des corps de troupes sur les rives droite et gauche de la Moselle[33].

Cette influence mystérieuse, connue ou devinée depuis le 5 septembre par l'état-major allemand, se retrouve dans l'incident Régnier. A Ferrières, le 19 septembre, jour où il reçoit M. Jules Favre pour la seconde fois, M. de Bismarck tient Régnier en réserve ; il le désigne presque ; il dit à son interlocuteur : — J'attends un envoyé du maréchal Bazaine et de l'impératrice, qui est prêt à accepter nos conditions[34].

Voilà le double jeu qui va surprendre Bazaine et le conduire insensiblement à la plus lamentable des issues.

Il n'était pas impossible selon nous, dit un autre document allemand, que l'armée française pût arriver, le 16, jusqu'à Verdun. Mais une volonté ferme et bien arrêtée avait fait place à une hésitation énigmatique. Qu'on considère, d'une part, la situation politique de la France, la position ébranlée de l'empereur ; d'autre part, la pensée qui pouvait traverser l'esprit de Bazaine qu'en conservant cette armée, dont il était le chef absolu, il serait appelé à jouer un rôle considérable au milieu des sombres destinées du pays, et on comprendra la question posée de bien des côtés : Bazaine, le 16 août, a-t-il cherché à se conduire en soldat ou en homme politique, égoïste et ambitieux ? Lui seul peut donner la réponse... Quoi qu'il en soit, le maréchal ne restera jamais exempt de reproche aux yeux du monde pour la conduite qu'il a tenue depuis le 14 jusqu'au 18 août... Il ne montra jamais une volonté ferme de remplir son devoir et il n'expliqua jamais clairement ses projets et ses intentions[35].

Il est patent que l'état-major allemand, par des moyens qui ne sont pas divulgués jusqu'ici, a été renseigné, depuis et après le 5 septembre, sur les dispositions du maréchal ; il le suit pour ainsi dire pas à pas et lui tend la main.

Selon les prescriptions de la communication adressée par le général de Moltke à M. de Stiehle, l'état-major prussien fait afficher, dans les communes occupées sous Metz, la proclamation suivante : Les gouvernements allemands pourraient entrer en négociation avec l'empereur Napoléon dont le gouvernement est, jusqu'à présent, le seul reconnu, ou avec la régence instituée par lui. Ils pourraient également traiter avec le maréchal Bazaine, qui tient son commandement de l'empereur. Mais il est impossible de comprendre de quel droit les gouvernements allemands pourraient négocier avec un pouvoir qui ne représente jusqu'ici qu'une partie de la gauche de l'ancien corps législatif[36].

Voilà la tentation.

Le 13, le maréchal Bazaine, qui, probablement, a eu connaissance de cette proclamation, envoie à l'état-major du prince Frédéric-Charles le général Boyer pour obtenir des renseignements sur la signification et l'importance des événements à Paris. On connaît la réponse, à la fois courtoise et calculée, du prince Frédéric-Charles, peignant sous les couleurs les plus noires ce qui se passe en France et ajoutant que la République n'est pas reconnue partout en France. Les lettres du général de Moltke nous renseignent encore, avec un peu moins de précision seulement, sur ce qui se passe alors. Une simple note pourtant, donne à réfléchir : Le commandement supérieur de l'armée de Metz avait porté à la connaissance du maréchal Bazaine le changement complet qui s'était produit dans la situation de la France à la suite des événements de Sedan. Il espérait pouvoir provoquer ainsi des pourparlers. Cela ne réussit pas cependant. Le général de Stiehle en rendit compte par une lettre du 17 septembre[37].

La lettre du général de Stiehle n'est pas publiée. Mais c'est à partir de ce moment qu'intervient Régnier. Il avait préparé ses batteries par divers entretiens avec l'entourage de l'impératrice. Il avait vu M. Rouher : peut-être même avait-il été en relation avec l'empereur. Il portait une photographie du palais de Hastings avec une signature du prince impérial qui l'accréditait auprès de Napoléon III. Prétendre qu'il agit an hasard et proprio motu est un enfantillage.

Quoi qu'il en soit, il attendait l'heure opportune : Je vis dans l'Observer du dimanche 18 septembre, écrit-il, que Jules Favre avait obtenu, pour le lendemain lundi, un rendez-vous à Meaux, dans lequel il devait traiter de l'armistice avec M. de Bismarck. Le moment me sembla suprême. Je rentrai promptement chez moi, j'embrassai ma famille ; à neuf heures du soir, j'étais dans le train pour Calais.

Le 20 septembre, à dix heures du matin, Régnier était reçu, avec une facilité singulière, par le comte de Bismarck, à Ferrières[38]. Il avait avec celui-ci un long entretien et le vendredi soir, 23 septembre, muni d'un laissez-passer allemand, il était près du maréchal Bazaine.

La simultanéité des pourparlers avec M. Jules Favre, avec l'impératrice, avec le maréchal Bazaine, établit trop clairement le parti que M. de Bismarck comptait tirer du double jeu au cours des négociations. L'intérêt et le calcul de la Prusse sont démontrés par la parfaite connexité des efforts du chancelier et de l'état-major.

Quels sont, par contre, à cette heure décisive, les sentiments du maréchal Bazaine ? Nous les connaissons par le plus dramatique de tous les aveux. Il faut lire, dans la Vie de Mgr Dupont des Loges, le récit d'un entretien que le maréchal eut, précisément le 22 septembre, avec l'évêque. On eût dit qu'à la veille du jour où Régnier allait entrer dans Metz, le maréchal cherchait un témoin dont la parole ne pût être mise en doute.

Il se rend, pour la première fois, à l'évêché. voit le prélat et, lui fait des confidences dont le récit nous a été transmis par un des assistants :

Aujourd'hui, dit le maréchal, on attend tout de moi ; on voit avec impatience que l'armée demeure jusqu'à ce jour sous les murs de Metz... Sans doute l'armée peut quitter Metz et je sortirai quand je voudrai et par où je voudrai. Là n'est pas la difficulté. Il suffit pour cela que je me risque à faire casser la tête à sept ou huit mille hommes... Et moi, une fois sorti, que deviendrai-je ? J'aurai toujours les Prussiens sur les talons et, devant moi, j'aurai à combattre les ennemis de l'ordre social, qui ont partout relevé la tête...[39]

... Le gouvernement que Paris a imposé à la France est sans autorité, ni pour organiser la défense ni pour traiter avec le vainqueur. Partout, c'est la division et l'anarchie. Mes renseignements ne me permettent pas d'en douter. Il n'y a presque pas de jour on des communications indispensables ne soient échangées entre les quartiers généraux des deux armées. Pour nous, disent les Allemands, le maréchal, à la tête de son armée, représente seul la France. Qu'il entre enfin en arrangement, ses propositions seront accueillies avec empressement et les deux peuples lui devront leur salut. Jusqu’à présent, j'ai agi comme si j'ignorais ces confidences, ajoute le maréchal, mais le moment viendra où je ferai mes conditions et elles seront certainement acceptées. L'armée de Metz, après avoir obtenu une paix honorable, sera ensuite seule capable d'assurer il la France la liberté et la tranquillité nécessaires à l'établissement d'un gouvernement qui ne lui est pas moins nécessaire que la paix...[40]

Cependant, la négociation essayée par l'intermédiaire de Régnier, le voyage du général Bourbaki n'aboutissent pas ; il est facile, d'après les mêmes documents authentiques, de comprendre pourquoi. D'une part, on voulait que l'impératrice traitât de la paix dans son ensemble ; on lui soumit les conditions que la Prusse considérait dès lors comme nécessaires, c'est-à-dire le démembrement de la France, la cession de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, alors que Strasbourg, Metz et Paris tenaient encore. C'est ce que l'impératrice elle-même a appelé le blanc-seing. Ni elle ni le maréchal ne consentirent.

L'incident Régnier est clos. Bourbaki, désespéré d'avoir échoué, met son épée au service de la Défense nationale. Mais le maréchal Bazaine garde son idée.

Le 10 octobre, il envoie à l'état-major le général Boyer ; il le munit de la note citée précédemment et où il s'offre pour être en France le palladium de la société et le garant de la paix. Les pourparlers sont repris encore une fois avec l'impératrice : le général Boyer se rend à Londres. Nouvel échec[41].

Ce sont encore les documents d'origine allemande qui nous disent pourquoi. D'une part, les conditions de la paix étaient les mêmes, et, d'autre part, avant de traiter avec Bazaine on exigeait une manifestation de lui et de son armée en faveur de l'impératrice régente ; c'est-à-dire qu'on imposait, avec une paix honteuse, la guerre civile. Une restauration tentée dans de telles conditions eût été une pure folie.

L'impératrice et M. Rouher qui la conseillait, crurent devoir faire, cependant, un dernier effort.

Un familier de M. Rouher, ancien sous-préfet de l'empire, M. Théophile Gautier fils, quitta Londres avec la mission de voir le comte de Bismarck et de traiter avec lui, au nom de la régente, des conditions de la paix. M. Th. Gautier, muni d'une lettre de l'impératrice pour le roi Guillaume, fut reçu par le comte de Bismarck, le 24 octobre. Il y eut deux entretiens. La conversation s'ouvre par l'examen du rôle éventuel de l'armée de Bazaine pour la conclusion de la paix et la restauration de l'empire. Le comte de Bismarck fait observer, une fois de plus, que l'Allemagne n'a reçu et ne peut recevoir aucune garantie sur la fidélité avec laquelle Bazaine et son armée tiendraient leurs engagements : donc rien sa faire.

 L'envoyé de M. Rouher n'en propose pas moins, selon ses instructions, certaines conditions de paix : il parle de la neutralisation de l'Alsace, d'une indemnité de deux milliards et de la cession de la Cochinchine. Le comte de Bismarck se récrie : — Si le Roi et moi rentrions à Berlin sans rapporter l'Alsace, nous serions reçus à coups de pierres. Il fait allusion également à une cession d'une partie de la Lorraine. On était au 26 octobre.

Le 27 octobre, pendant la nuit, on célèbre. à Versailles, la nouvelle de la capitulation de l'armée de Getz. L'envoyé de l'impératrice et de M. Rouher conclut son récit par ce triste souvenir et ajoute : Je n'avais plus qu'à me retirer[42].

L'armée de Bazaine n'ayant pas fait sa manifestation, — ce sont les propres expressions du comte de Bismarck, — n'avait pu conclure la paix : elle n'avait d'autre issue que la capitulation[43].

 

Par la revue de ces témoignages, les faits s'enchaînent avec une rigueur telle qu'ils laissent désormais bien peu de place au doute[44].

Bazaine, conformément à ce qui lui est reproché dans le réquisitoire du général Pourcet, subordonna aux considérations politiques les considérations militaires. Nourri dans les bureaux arabes, avant passé plusieurs années de sa jeunesse en Espagne, ayant joué un rôle politique considérable au Mexique, il avait pris l'habitude de mener de front les combats et les négociations.

Esprit non vulgaire, mais complexe, personnel et cauteleux, fataliste et obscur, sans franchise et sans autorité, il n'avait foi ni en son armée, ni en ses propres aptitudes militaires, ni dans la victoire. Il recourut à des procédés où il se croyait passé maitre. Son calcul se heurta à un calcul plus fin et plus profond.

Son erreur sacrifia la plus belle armée de la France, décida du sort d'une province et de la destinée du pays. Plus sage, plus habile et plus honnête, s'il eût fait bout uniment son devoir de soldat.

 

 

 



[1] Voir le récit du duc DE BROGLIE dans les Mémoires de Gontaut-Biron et, ci-dessous, la lettre du duc Decazes.

[2] Vicomte DE MEAUX (p. 616).

[3] Par mesure de rétorsion, le gouvernement de Washington avait remis en vigueur une surtaxe ad valorem de 10 % sur les marchandises importées aux Etats-Unis par des navires français. Ce droit rut aboli en même temps que la surtaxe de pavillon. — Documents diplomatiques, 1873 (p. 197).

[4] La surtaxe de pavillon était en contradiction avec l'article premier de la convention franco-autrichienne du 11 décembre 1866, convention dont le bénéfice s'étendait à l'Italie, à l'Allemagne, et indirectement à la Grande-Bretagne. L'Autriche refusa d'annuler l'acte du 11 décembre 1866.

[5] En ce qui concerne la Grande-Bretagne, après la dénonciation du traité de 1860, survenue le 15 mars 1872, un nouveau traité avait été conclu, le 5 novembre suivant, mais il n'avait pas été ratifié.

Quand le cabinet de Londres eut la certitude que la surtaxe de pavillon serait abolie, il reprit les négociations, et un traité fut signé le 23 juillet 1873, rétablissant pour quatre ans le régime des conventions de 186o.

Le même jour fut signé avec la Belgique un autre traité annulant l'acte de dénonciation du 28 mars 1872 et replaçant les deux pays sous le régime du traité du 1er mai 1861.

Ces deux traités devaient expirer le 1er août 1877, époque à laquelle la France recouvrait une complète liberté d'action dans ses relations économiques internationales.

[6] La procédure devant les conseils d'enquête est réglée par le décret du 13 octobre 1863 sur le service dans les places de guerre (art. 264 à 267).

[7] On a su, dès l'époque du procès, que le livre : Metz, combats et capitulations, est du colonel D'ANDLAU.

[8] Le Blocus de Metz, publication du CONSEIL MUNICIPAL, Metz, in-8°.

[9] Un premier article avait paru dans la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1870. — Voir aussi la polémique qui se produisit dans les numéros d'octobre et novembre 1871.

[10] Dès le 26 novembre 1870, son compagnon d'armes, le maréchal Canrobert, lui écrivait de Stuttgart lui suggérant l'idée de réclamer la constitution d'un conseil d'enquête.

[11] Il y avait entre le maréchal Baraguay d'Hilliers et le maréchal Bazaine des causes d'hostilité qui remontaient à la guerre d'Italie. — Voir D'HÉRISSON, La légende de Metz (p. 212), et Ernest DAUDET, Le duc d'Aumale (p. 276).

[12] Souvenirs du général DU BARAIL (t. III, pp. 447 et suivantes).

[13] Sur les opinions diverses au sujet de la désignation du duc d'Aumale, cf. Ernest DAUDET, Le duc d'Aumale (pp. 270 et suivantes) ; D'HÉRISSON, La légende de Metz (pp. 226 et suivantes) ; DU BARAIL (t. III, p. 558).

[14] Pascal Duprat, député à l'Assemblée nationale, écrit (sans date) : Vous recevrez sous peu quelques notes que je prendrai dans les dossiers du conseil d'enquête sur les capitulations. A propos de toutes ces hontes, vous devez être content de la manière dont je mène, dans la commission, les lâches et les traîtres qui nous ont perdus. Sans moi, Bazaine ne serait pas aujourd'hui devant un conseil de guerre, Je travaille, dans ce moment, à faire déférer à un tribunal militaire la capitulation de Sedan et je compte y réussir. Nous montrerons aux bonapartistes la sale guenille de César. — TOUSSAINT-NIGOUL, Pascal Duprat, in-8° (p. 145).

[15] Les amis du maréchal disaient du général Séré de Rivière qu'il était l'ami de Gambetta et que M. Challemel-Lacourt avait collaboré à son rapport.

[16] Procès du maréchal Bazaine. Compte rendu des débats, Ghio, 1874, in-8° (p. 2).

[17] L'appréciation des responsabilités est si complexe dans ces grands événements militaires, qu'on ne peut s'étonner que les avis les plus autorisés diffèrent. On lira avec intérêt la récente étude inspirée par la publication des documents inédits du Ministère de la guerre : La Psychologie militaire de Bazaine pendant la guerre de 1870, et spécialement du 5 au 15 août, par le général BONNAL, Revue des Idées du 15 février 1904.

[18] Compte rendu des débats (pp. 38-110).

[19] L'armée du Rhin depuis le 12 août jusqu'au 29 octobre 1870, par le maréchal BAZAINE, Plon, 1872, in-8°. — Plus tard, le maréchal Bazaine entreprit une nouvelle justification et il publia, en 1883, le livre intitulé : Épisodes de la guerre de 1870 et le Blocus de Metz, par l'ex-maréchal BAZAINE, Madrid, Gaspard, 1883, in-8°.

[20] Compte rendu des débats (p. 91).

[21] Une polémique très vive, en plein conseil, entre le colonel Stoffel et le rapporteur général Séré de Rivière, eut pour suite une instruction qui aboutit à une ordonnance de non-lieu ; le colonel Stoffel s'est expliqué sur l'ensemble de l'incident dans une brochure : La Dépêche du 20 août 1870 du maréchal Bazaine au maréchal de Mac Mahon, par le colonel baron STOFFEL. Paris, Lachaud, 1874. — La question a été soulevée de nouveau par un article de M. L.-N. BARAGNON, dans la Revue blanche du 15 novembre 1897. M. Baragnon affirme que le colonel Clappier, chargé de l'enquête, avait constitué un dossier établissant que la dépêche aurait été détournée sur l'ordre de l'impératrice Eugénie. Le colonel Stoffel a répondu en demandant la publication de ce rapport.

[22] Voir, à ce sujet : Quel est son nom : M. ou N. ? Une étrange histoire dévoilée, par RÉGNIER, Bruxelles, 1870. — Joindre la lettre écrite au président du conseil de guerre par RÉGNIER, dans Procès du maréchal Bazaine, Ghio (p. 28). — Réponse au livre « l'Armée du Rhin » par l'auteur de « Quel est son nom : M. ou N. ? » (RÉGNIER), Ghio, 1873, in-8°. — Lettre et pièces adressées à M. le duc d'Aumale, par E.-V. RÉGNIER, Ghio, 1873, in-8°.

[23] Compte rendu des débats (p. 87).

[24] Compte rendu des débats (p. 401).

[25] Compte rendu des débats (pp. 564 et suivantes).

[26] Compte rendu (p. 367 et p. 594). — M. Rouher déclara aussi qu'il avait vu par hasard le personnage.

[27] Compte rendu des débats (p. 635).

[28] V. le texte de la lettre dans DU BARAIL (t. III, p. 451).

[29] DU BARAIL (t. III, p. 454).

[30] V. La Vérité sur l'évasion de l'ex-maréchal Bazaine, par Marc MARCHI, ancien directeur de la maison de détention de l'île Sainte-Marguerite, in-18°, 1883.

[31] V. notamment la brochure d'Élie PEYRON : Bazaine fut-il un traitre ? Paris, Stock, 1904. — Cf. l'article du général BONNAL, cité ci-dessus.

[32] V. le Règlement sur le service en campagne, art. 255 du décret du 13 octobre 1863 : ... Le commandant d'une place de guerre doit rester sourd aux bruits répandus par la malveillance et aux nouvelles que l'ennemi lui ferait parvenir, résister à toutes les insinuations et ne pas souffrir que son courage ni celui de la garnison qu'il commande soient ébranlés par les événements... Jusqu'à la capitulation, il a le moins de communications possible avec l'ennemi ; il n'en tolère aucune... — V. colonel DE SAVOYE, Règlement sur le service des armées en campagne, in-8°, 1873 (pp. 738 et suivantes).

[33] Le Blocus de Metz en 1870, publication du CONSEIL MUNICIPAL. Entretien de M. le maréchal Bazaine avec M. le maire de Metz. Note de M. Maréchal, maire de Metz (p. 249). — Cette indication si précise, émanant du maréchal Bazaine et qui révèle, au sujet de Metz, une intervention du gouvernement analogue à celle qui a décidé de la marche sur Sedan, est confirmée par un passage du discours prononcé à l'Assemblée nationale par le général Changarnier dans la séance du 28 mai 1871 : Un grand dessein avait été conçu ; 200.000 hommes devaient être concentrés au plateau des haies (sic) entre Nancy et Toul ; il eût été difficile de les expulser de là ; les déborder en leur prêtant le flanc eût été périlleux. Pour des raisons dont je ne veux pas discuter ici la puissance, ce projet ayant été abandonné...

[34] Le prince de Bismarck avait dit, la veille, à M. Jules Favre : Puisque je parle de Metz, il n'est pas hors de propos de vous faire observer que Bazaine ne vous appartient pas. J'ai de fortes raisons de croire qu'il demeure fidèle à l'empereur et par là même qu'il refuserait de vous obéir. — V. Jules FAVRE, Histoire du Gouvernement de la Défense nationale (t. I, p. 180). — Cf. la brochure de RÉGNIER, sur sa présence à Ferrières.

[35] Étude sur le maréchal Bazaine parue dans les Militärische Blätter, 1872 (pp. 30-31). — Cf., pour le point de vue contraire, la brochure du général HANNEKEN, Opérations militaires autour de Metz.

[36] Félix KLEIN, Vie de Mgr Dupont des Loges, évêque de Metz (p. 275 et suivantes).

[37] Correspondance militaire du maréchal DE MOLTKE, Guerre de 1870-1871. Traduction autorisée, in-8° (t. II, p. 583).

[38] Quel est son nom : M. ou N. ? par RÉGNIER (p. 20).

[39] Ces indications sur la possibilité et les conditions d'une trouée concordent avec celles qui furent données par le maréchal Bazaine au maire de Metz dans l'entretien du 30 septembre. Le Blocus de Metz, publication du CONSEIL MUNICIPAL (p 240). — On a discuté sur la possibilité d'une trouée victorieuse. L'état-major allemand la prévoyait, prenait ses dispositions pour s'y opposer et le maréchal de Moltke la considérait comme dangereuse si elle s'effectuait par Nancy. — Correspondance (t. II, loc. cit.).

[40] Il faut lire avec soin le compte rendu complet de l'entretien, dont il n'y a ci-dessus qu'un extrait, dans Félix KLEIN, Vie de Mgr Dupont des Loges (pp. 275 et suivantes).

[41] Le récit du grand état-major prussien est lumineux : Quand le général Boyer arriva à Versailles muni de ces instructions (faculté pour l'arillée du Rhin de quitter Metz librement avec les honneurs de la guerre), le grand quartier général lui répondit en demandant tout d'abord quelle était, dans la situation actuelle de la France, la personnalité ayant caractère pour contracter un engage-nient qui nid le pays. Le général Boyer déclara que, pour sa part, l'armée du Rhin n'avait pas cessé de se considérer comme engagée par son serment de fidélité envers l'empereur et que, par conséquent, elle ne reconnaissait d'autre pouvoir que la régence établie par Sa Majesté. Mais en présence du premier refus de l'impératrice d'entrer en pourparlers, et de l'absence de toute garantie de l'adhésion de la France aux conventions qui pourraient être stipulées, le comte de Bismarck exigeait comme condition préalable de négociations ultérieures que l'impératrice se déclarât disposée à signer un traité et que l'armée du Rhin témoignât, d'une manière précise et formelle, son intention de rester fidèle à la régence.

Le général Boyer rentra à Metz avec cette réponse ; puis, sur l'avis conforme du conseil de guerre convoqué à nouveau, il se rendait en Angleterre, auprès de l'impératrice. Cette dernière faisait savoir à Sa Majesté le roi qu'elle souhaitait un armistice de quinze jours avec faculté de ravitailler Metz, mais qu'elle ne souscrirait jamais à un démembrement du territoire français. Le roi répondait à ces ouvertures qu'il était animé lui-même du sincère désir de rétablir la paix, mais que l'incertitude actuelle de la situation ne permettant pas de prévoir si, dans l'éventualité d'un traité, la France et l'armée du Rhin en reconnaîtraient la validité, il ne croyait pas pouvoir continuer, pour le moment, de plus longues négociations... — La Guerre franco-allemande, rédigée par LA SECTION HISTORIQUE DU GRAND ÉTAT-MAJOR PRUSSIEN, deuxième partie (t. III, pp. 290 et suivantes.)

[42] Théophile GAUTIER fils, Une visite au comte de Bismarck en octobre 1870. — Revue de Paris du 15 août 1903.

[43] Voir les lettres de l'empereur Guillaume et du prince de Bismarck, lues par Me Lachaud. Compte rendu (p. 616).

[44] Ne trouve-t-on pas comme un aveu dans l'explication bien vague que le maréchal Bazaine donne au conseil municipal de Metz quand, dans sa lettre du 26 octobre, il lui fait part de la nécessité où il est de capituler : M. le général Coffinières a été invité à donner au conseil municipal les explications nécessaires pour que la ville soit au courant des négociations qui ont toujours eu pour but d'améliorer la grave situation dans laquelle se trouve le pays, but que, malheureusement, nous n'avons pu atteindre. — Publication du CONSEIL MUNICIPAL (p. 213).