HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

I. — LE GOUVERNEMENT DE M. THIERS

CHAPITRE III. — LA COMMUNE[1].

 

 

Les causes de l'insurrection du 18 mars. — Les partis révolutionnaires et l'armée du désordre. — Le Comité central et l'Internationale. Les Prussiens à Paris. — La journée du 18 mars. — Retraite du gouvernement à Versailles. — Vaines tentatives de conciliation. Les élections de Paris, du 26 mars. — En province et en Algérie. L'Assemblée nationale et la Commune. — M. Thiers se prononce pour la République. — L'armée de Versailles. — Le second siège de Paris. — Les affaires des 3 et 4 avril. — La Commune tente de s'organiser. — Son programme. — Le Comité de Salut public. Prise des forts d'Issy et de Vanves. — L'entrée des troupes dans Paris, le 21 mai. — La bataille des rues. — Les incendies. Exécution des otages. — Répression de la Commune.

 

I

Paris, depuis la signature de l'armistice, était, pour Paris après ainsi dire, abandonné à lui-même. Les gouvernants, les députés, les hommes influents, tout le monde l'avait quitté ; seuls, M. Jules Favre, M. Ernest Picard et M. Jules Ferry, maire de Paris, étaient restés, mais combien négligés et impopulaires ; ils laissaient la direction au général Vinoy, nommé commandant en chef de l'armée de Paris et au général d'Aurelle de Paladines, commandant supérieur des gardes nationales de la Seine. Ce dernier a sévèrement jugé les séances du conseil qui se tenaient chaque soir pendant cette période : Souvent, dit-il, il était onze heures que les membres du conseil n'étaient pas encore arrivés. On disait un mot des affaires publiques, des affaires de l'État, et, le reste du temps, c'étaient des lazzis, des plaisanteries faites par M. Picard, auquel on répondait quelquefois[2].

Paris attendait des ordres et des nouvelles de la province, lui qui avait l'habitude de donner l'impulsion.

Quoique la ceinture de ses murailles fût ouverte, il restait isolé et délaissé. La dissociation produite par le siège le surprenait. Il était comme dans le vide. Avant même que l'Assemblée de Bordeaux se fût prononcée sur son sort, la grande Ville se sentait décapitalisée.

L'Assemblée portait, aux yeux de Paris, cette première responsabilité. Non seulement elle dépouillait la grande ville de l'autorité, mais elle déchirait l'auréole. Paris avait fait son devoir ; il avait préparé sa légende ; il avait lutté cinq mois ; il avait souffert ; il n'avait capitulé que forcé par la famine, et la rage dans le cœur : et, de tout cet effort, on ne tenait nul compte. Le vote qui décida de transférer la capitale à Versailles aggrava une situation déjà tendue. Il n'y avait pas un habitant de Paris, propriétaire, commerçant, ouvrier, qui, pal' cette décision, ne fût frappé dans ses intérêts et dans l'opinion qu'il se faisait de lui-même.

Sur l'étendue d'une ville énorme comme est Paris, la vie normale, suspendue pendant de longs mois, ne se reprend pas facilement. Il faut une lente mise en train, pour que tous les rouages s'engrènent et produisent leur jeu naturel. Paris s'était déshabitué du travail. Comme le dit M. Thiers dans sa déposition devant la commission d'enquête sur l'insurrection du 18 mars, deux ou trois cent mille individus avaient passé plusieurs mois à ne rien faire ou à porter un fusil, dont ils ne se servaient pas beaucoup : ils vivaient des secours de l'administration municipale. Paris n'est pas paresseux, tant s'en faut. Mais il vit au jour la journée, et pour qu'il se remît au travail, encore fallait-il laisser au travail le temps de revenir vers lui.

On doit aussi reconnaître qu'à ce point de vue, de graves imprudences avaient été commises : un décret du 15 février avait restreint aux gardes nationaux qui justifieront du défaut de travail, l'allocation de 1 fr. 50 par jour. D'autre part, une décision de l'Assemblée, qui déclarait toutes les échéances, prorogées depuis sept mois, exigibles dans les quarante-huit heures, mettait, pour ainsi dire, tout le commerce de Paris en état de faillite. Du 13 au 17 mars, il y eut, dans la ville, cent cinquante mille protêts. Enfin, l'Assemblée avait refusé d'examiner la question du paiement des loyers non acquittés depuis l'investissement. Il fallait la méconnaissance de la vie de Paris, dont M. Jules Favre fait l'aveu dans sa déposition[3], pour laisser commettre des fautes si graves. Paris valait bien que l'on se préoccupât de ses embarras, de ses souffrances, de son lendemain.

Il n'est que juste d'observer que ce ne furent pas ces considérations d'intérêts qui emportèrent les esprits. Les nouvelles venues de Bordeaux, et qui, peu l peu, grossies par l'éloignement, provoquèrent le cri universel, c'est d'abord que la République était menacée et, ensuite, que les Prussiens entreraient dans Paris. Ce furent là les causes directes et immédiates du mouvement.

La République menacée, telle est la première alarme, la phrase décisive, répétée dans les conversations, affirmée dans les proclamations. Dès le 10 mars, on affiche, sur les murs de Paris, la parole qui va devenir le thème de tous les appels à la résistance : Soldats, enfants du peuple, unissons-nous pour sauver la République. Les rois et les empereurs nous ont fait assez de mal. Vive à jamais la République ! Comme le dit fort justement un des historiens les plus modérés de cette époque : Il est certain que la garde nationale, en grande majorité, entendait rester en armes pour la protection de la République[4].

Les bruits qui circulaient au sujet de la disposition des esprits dans la droite de l'Assemblée, excitaient des méfiances, accrues par une polémique ardente. Pour Paris qui, depuis dix ans, nommait des républicains, la République était sa chose. Tous ces hommes qui avaient lu l'Histoire d'un Crime, étaient résolus à ne pas laisser s'accomplir, sans résistance, un nouveau coup d'État.

Mais il y eut une autre émotion plus vive, plus immédiate : c'est celle qu'éprouva la grande ville, à peine délivrée du siège, quand elle connut la clause des préliminaires de la paix qui accordait l'entrée des Prussiens dans Paris. Laissons la parole à M. Thiers : Cette entrée des Prussiens dans Paris, dit-il encore dans sa déposition devant la commission d'enquête, a été une des causes principales de l'insurrection. Je ne dis pas que, sans cette circonstance, le mouvement ne se serait pas produit ; mais je soutiens que cette entrée des Prussiens lui a donné une impulsion extraordinaire.

A ce point de vue, le mouvement se caractérise vraiment comme une manifestation de l'état d'esprit obsidional. Le général Trochu, clans sa déposition, va jusqu'à attribuer un calcul machiavélique à M. de Bismarck : Ce qu'il voulait, disait-il, c'était l'émeute et l'anarchie[5]. En tout cas, le chancelier allemand escomptait le désordre à Paris ; il l'avait annoncé à M. Thiers, et la clause de la paix, stipulant l'entrée des troupes allemandes dans la ville, à laquelle le négociateur allemand s'attacha avec une insistance si singulière, produisit bien l'effet qu'il était facile de prévoir.

Paris, qui avait été vaincu par la faim, eût risqué, peut-être, une destruction complète pour ne pas laisser l'armée ennemie pénétrer dans ses 'rues. La sage disposition qui limita l'occupation momentanée au quartier des Champs-Élysées, et surtout la hâte que l'Assemblée et le gouvernement mirent à échanger les ratifications de la paix, évitèrent, peut-être, un grand malheur. De là vint, cependant, l'émotion suprême d'où jaillit la révolte.

Il ne manquait pas d'éléments capables de susciter, d'irriter et de précipiter ces dispositions. Dans cette crise universelle, où certains esprits, à Versailles, eussent cherché la restauration d'un absolutisme noir, d'autres esprits, à Paris, cherchaient les voies de l'anarchisme rouge. Les tendances diverses et confuses qui agitaient le pays aboutissaient ainsi, de part et d'autre, à leurs plus extrêmes conséquences.

Au premier rang des révolutionnaires, figurait un parti qui n'était pas inconnu des Parisiens, c'était le blanquisme : on pouvait le considérer comme le parti traditionnel de l'émeute, de la conspiration et de l'insurrection. Il n'avait guère, en politique, d'autre conception que celle de l'opposition à outrance, par tous les moyens, à tous les gouvernements. Il était républicain intégral, égalitaire, adversaire de l'ordre social, mais ni communiste, ni séparatiste, ni socialiste, au fond, anarchiste. Le blanquisme comptait, dans Paris, trois ou quatre mille adhérents. Il était plus révolutionnaire qu'adepte de la révolution.

La révolution traditionnelle, le jacobinisme, était représenté par un groupe au moins aussi nombreux et qui se subdivisait, selon les tendances de ses chefs, en cieux sections également influentes : les jacobins d'action, qui suivaient Delescluze, et les jacobins romantiques, qui suivaient Félix Pyat. Ces hommes étaient très voisins de ceux qui, au 4 Septembre, avaient occupé le pouvoir. Ils étaient partisans de la République une et indivisible, d'un gouvernement énergique, ennemis de la bourgeoisie, amis du peuple, mais surtout violents et autoritaires. Ils avaient été frustrés, en quelque sorte, par la décision qui, au 4 Septembre, n'avait fait place, dans le gouvernement, qu'aux députés de Paris. C'était le jacobinisme qui avait été vaincu, le 31 octobre 1870 et le 21 janvier 1871.

Il ne pardonnait pas aux membres du gouvernement de la Défense nationale le triple échec qu'ils lui avaient infligé, et, à Bordeaux, il avait, en escomptant les sentiments de la droite, réclamé la mise en accusation des hommes du fi Septembre. Après cette manifestation, sans noblesse et sans portée, les jacobins avaient compris que leur place n'était pas dans l'Assemblée : la plupart de ceux qui avaient été nommés députés, les Delescluze, les Félix Pyal, les Tridon, les B. Malon, avaient donné leur démission et étaient rentrés dans Paris, où l'insurrection couvait déjà. Il y avait, en eux, de grandes ambitions, de sourdes rancunes et des colères froides ou cauteleuses, longtemps comprimées.

Il était difficile à un esprit non attentif de ne pas Les socialistes confondre, avec les partis révolutionnaires proprement dits, d'autres éléments qui s'essayaient, dès lors, au rôle considérable qu'ils devaient jouer par la suite, les socialistes. Ceux-ci, soit qu'ils fussent les adeptes de nombreuses doctrines : saint-simonisme, fouriérisme, communisme, qui avaient vu le jour, en France, dans la première moitié du siècle, soit qu'ils adhérassent au système collectiviste, déjà né, de l'autre côté du Rhin, avaient pour programme la constitution d'une société nouvelle. Ils avaient leur place marquée partout où la lutte était engagée entre le travail et le capital, et notamment dans les grèves. La plupart d'entre eux étaient des ouvriers ou se rattachaient au prolétariat. La polémique redoutable et obscure de Proudhon leur fournissait, sinon des raisons, du moins des formules. Leur parti pris à l'égard de la bourgeoisie capitaliste ne les mettait pas toujours en méfiance contre l'habile et dangereuse flatterie des publicistes d'avant-garde et des orateurs de réunions publiques.

Le parti ouvrier se rattachait par mille liens à une vaste organisation cosmopolite : l'Internationale. Les délégués ouvriers français avaient été mis en relations avec elle, à Londres, lors de l'Exposition de 1862. Fondée, dit-on, sous les auspices de Karl Marx, elle avait son siège en Angleterre, elle avait des relations étendues en Allemagne, peut-être même avec les entours de M. de Bismarck, qui ne négligeait aucun moyen[6]. Bien accueillie en France par le parti libéral, ayant, au début, pour apologiste Henri Martin, et Jules Ferry pour avocat, elle s'était développée dans les dernières années de l'empire : peut-être le gouvernement impérial avait-il songé à s'appuyer sur cette organisation de la démocratie pour l'opposer à la bourgeoisie libérale. Peut-être aussi l'incertitude où l'on était sur les faits et gestes de l'internationale ajoutait-elle aux suppositions et aux soupçons.

On la disait riche et puissante. Il ne parait pas douteux qu'elle comptât 70 à 80.000 affiliés à Paris, en 1870. D'après ses propres procès-verbaux, elle paraissait plutôt pauvre et désorientée à la veille du 18 mars. Le comité directeur changeait souvent le lieu de ses séances ; cependant, il se réunissait, dans les derniers temps, en un local, qui devint célèbre : place de la Corderie, n° 6. Les fonds étaient entre les mains d'un certain Chatelain, demeurant rue Saint-Honoré, et qui passait pour un agent bonapartiste. Elle devait jouer un rôle prépondérant dans l'union de tous les partis révolutionnaires et dans l'organisation du Comité central.

Tous ces éléments, au début, étaient isolés. Souvent, ils se suspectaient. Ils se groupèrent par la lutte et pour la lutte, sans se préoccuper d'abord de dégager, avec précision, la théorie de leur action commune. Peu à peu, cependant, la plupart se rallièrent, avec une intelligence plus ou moins claire, une conviction plus ou moins ardente, à une idée qui s'élabora, en quelque sorte, au fur et à mesure des événements et qui devint le programme de l'insurrection et le mot d'ordre posthume, l'idée communaliste.

Si l'on considère cette doctrine dans son essence, elle apparaît comme l'application absolue de la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Pour aller au fond des choses, elle n'est rien que la conception suisse de l'organisation politique des sociétés. Dans le système, en effet, le corps social a pour molécule la commune et pour résultat la fédération. En principe, toute représentation est supprimée. Le pouvoir est rapproché du peuple pour que le peuple gouverne et fasse lui-même ses affaires. Et c'est pourquoi le système enferme, autant que possible, l'organisme politique dans les limites étroites de la commune : Le mal n'est pas  que l'État agisse au nom de tel ou tel principe, c'est qu'il soit[7].

La commune. La commune apparaît donc comme le rouage social primordial et presque unique ; agissant librement et hors de l'influence des autres communes, chaque commune vivra de sa vie propre et se séparera infailliblement. On retrouve, à travers ces idées, un vague souvenir des petites républiques antiques, où le peuple gouverne sur la place publique, des républiques italiennes, des communes de Flandre et, surtout, des cantons helvétiques. C'est de tout cela que s'était faite la doctrine de Jean-Jacques. Il déclarait, à demi mot, que son Contrat social aboutissait à la confédération. Ses disciples inconscients recevaient, par lui, la leçon qu'il avait empruntée, lui-même, à son pays d'origine[8].

Cependant, ils ajoutaient au système une conception nouvelle : celle de la révolution sociale. Le pouvoir étant exercé, clans chaque commune, directement par le peuple, il fera lui-même ses affaires en collectivant les richesses, les ressources, le travail. La nouvelle organisation de la société sera la suite naturelle de la nouvelle organisation de la cité. Tel était l'aboutissant infaillible du système communaliste.

Mais, pour arriver à ce résultat, il fallait, avant tout, briser l'unité nationale : Quoi que vous fassiez, l'Unité s'appelle Centralisation, et la Centralisation s'appelle l'Autorité. Changez l'étiquette, c'est toujours le despotisme. La formule du parti se résume, finalement, en ces trois termes : autonomie communale, fédération, collectivisme[9]. Il s'agit donc, comme au temps de la Ligue, de faire de la France une Suisse, mais une Suisse socialisée.

Cette doctrine, encore une fois, n'est apparue que très tardivement. Elle se dégagea des situations prises. Elle a été précisée, après coup, par des théoriciens de loisir, dans les réflexions de l'exil ; mais elle était au fond des esprits : elle inspirait sourdement les faits, les paroles et les gestes.

Il était naturel que, dans une crise analogue à celle que la France traversait, on entrevît, comme aboutissant ultime, la dissociation absolue et la dislocation complète du pays.

Les théories, en raison même de leur redoutable abstraction et de leur complexité, échappaient à la masse, ballottée par les événements, en proie à cette fièvre enthousiaste et sanglante qui couvait dans la grande ville abandonnée, humiliée, désespérée.

C'est cette masse qui, se portant d'un seul côté, provoqua la catastrophe, et c'est elle qu'il faudrait peindre : d'abord, la population elle-même de toutes classes, de toutes catégories, qui venait de souffrir les horreurs du siège, qui avait été tenue, pendant de longs mois, séparée du monde et comme séquestrée, se retrouvant libre, sortant de sa cellule, ainsi qu'on l'a dit, marchant éblouie dans le vide, trompée, depuis si longtemps, par l'erreur où on l'avait entretenue sur l'efficacité de la lutte et la certitude de la victoire, après avoir fait un rêve de gloire et d'héroïsme, se trouvant en présence de la défaite, de l'humiliation, tombant, comme on l'a dit encore, de l'empyrée sur la terre ![10]

L'élément viril avait fait le coup de feu. Tous les hommes étaient soldats ; on leur avait mis des fusils aux mains ; ce n'était pas leur faute si, selon le mot durement ironique de M. Thiers, ils ne s'en étaient guère servis.

A peine le siège achevé, cette population se disloque ; l'organisation embryonnaire qui s'était, tant bien que mal, ébauchée pendant le siège, se brise : plus de secteur, plus de service, plus de bataillon ; la partie aisée de la garde nationale — cent mille hommes, peut-être, — part pour la province rejoindre les familles dispersées ; les pauvres, les trente sous, restent à Paris, inactifs, sans mot d'ordre, sans consigne, sans occupation, ne sachant comment employer les journées, passant des cabarets aux clubs, errant dans les rues et sur les places publiques, ne tenant plus qu'à cet uniforme, à ce fusil qui donne une contenance et qui, par la solde, assure le pain.

Les troupes de l'armée active, les régiments de mobiles, licenciés soudainement, désarmés, en vertu des clauses mêmes de la capitulation, ont jeté sur le pavé 250 mille soldats et officiers, sans compter Lio mille hommes dans les hôpitaux. Ce sont 300 mille jeunes gens, sans famille et sans ressources pour la plupart, abandonnés à eux-mêmes, du jour au lendemain, dans cette grande ville vicie, après avoir tant souffert. On fait, il est vrai, le possible et l'impossible pour les rapatrier en masse. Le gouverneur de Paris y épuise ses forces. Mais les moyens manquent, On réquisitionne tous les trains ; on ramasse des troupeaux de 30 ou 40 mille hommes désarmés, auxquels on distribue un peu d'argent pour les décider à partir. Pourtant, ils sont libres, en somme, et le résidu fait, à lui seul, une bande qui, par son tumulte vaguant, suffirait pour tout mettre en péril.

De la province, au même moment, un afflux, en sens inverse, se produit sur Paris. Les régiments de mobiles, de mobilisés, de territoriaux, même ceux de l'armée active, sont licenciés ou voient leurs cadres s'éclaircir, une fois la paix faite. Les Parisiens libérés rentrent dans la ville. Par la disposition des voies ferrées, Paris est le point de rencontre nécessaire de la circulation qui se fait simultanément, dans un désordre effroyable, par toute la surface du pays.

Les mobiles désarmés prirent part, sans le savoir peut-être, aux premiers mouvements insurrectionnels. Personne ne retrouvait ni sa place ni son chemin. La folie obsidionale se doublait, pour tous, d'un universel égarement.

Il y en avait, pourtant, qui savaient ce qu'ils venaient faire. Ceux-là, une consigne occulte les appelait à Paris. De l'Est, notamment, arrivaient, par troupes, les débris de l'armée garibaldienne, des hommes à chemise rouge, avec une plume de paon derrière la tête, qui paraissaient obéir à un mot d'ordre et qui entraient dans la ville, l'air décidé, comme en pays conquis[11].

Et, tout au fond, un ramassis sans nom : durant les péripéties du siège, les prisons avaient été ouvertes plusieurs fois ; les échappés, les repris de justice, tout ce qui vit dans les repaires d'une grande ville comme Paris, tout ce monde s'était retrouvé, pendant les longs mois du siège, sous l'incognito de l'uniforme. Les fusils avaient été distribués sans contrôle. Flourens avait acheté des chassepots, peut-être de ses deniers, et, en tout cas, les avait donnés de sa propre autorité.

On affirme qu'il y avait douze mille repris de justice sur les listes de la garde nationale. Les faillis, les endettés, la bohème, la pègre, haute ou basse, toute cette tourbe était là, fidèle à la consigne du désordre, ralliée à la paye des trente sous.

C'étaient ces gardes nationaux qui, pendant le siège, refusaient de se battre, en prétendant qu'on voulait les faire sortir pour les livrer, par trahison, aux Prussiens. C'étaient les mêmes, d'ailleurs, qui criaient le plus fort et que les marins appelaient les à outrance. Ils étaient là, ceux de Paris, ceux de la province, et ceux des autres pays : Anglais, Polonais, Hongrois, Espagnols, Italiens, Belges, Allemands, tous étaient là !

L'aventure avait attiré les aventuriers ; la proie, les oiseaux de proie. De hautes complicités ou de froids calculs avaient jeté tout ce monde sur Paris. Enfin, elle allait périr, la fière ville, et se déchirer de ses propres mains ! Les bombes étaient forgées, — le 22 janvier, on en trouva 12.000 à la mairie de Montmartre[12], — le pétrole était prêt ; on la verrait flamber, de loin, sur son immense bûcher. Les incendiaires du monde entier étaient là, la torche à la main.

Mais, auparavant, il fallait que, dans une mêlée suprême, les Français s'entre-tuassent. Car, — ce qui ne s'est jamais vu dans l'histoire, — cette population exaltée, cet afflux de survenants et d'étrangers, ces hommes sincères et ces violents, ces soldats et ces civils, ces vieillards et ces enfants, irrités, affamés, livrés à eux-mêmes, étaient tous armés jusqu'aux dents. On avait distribué 450.000 fusils dans la capitale. Il y avait des poudrières partout, des cartouches par milliers, deux mille canons avec leurs approvisionnements. C'était une armée debout, sans but et sans adversaire. Elle occupait une ville immense, des remparts intacts, des forts, des bastions, de véritables citadelles comme la Butte-aux-Cailles, la Montagne Sainte-Geneviève, et, ressource suprême, elle élèverait, au besoin, dans l'enchevêtrement des rues, le réseau des barricades.

Depuis sept mois, on l'entraînait à la bataille. Désarmer cette masse, la disloquer, l'apaiser, entreprises pleines de péril, presque inexécutables à la réflexion. Eût-on pu le faire au moment de l'armistice ? Le prince de Bismarck souleva la question du désarmement. M. Jules Favre ne le crut pas possible. Il demanda pardon, plus tard, à Dieu et aux hommes[13].

La vaincre, la réprimer, œuvre plus redoutable encore, peut-être criminelle. Comment ne pas reculer devant la guerre civile, au lendemain de la guerre étrangère ? Tout le monde vivait dans l'angoisse, s'attendant au pire. Les hommes qui partagèrent les responsabilités de ces heures tragiques dirent que ce furent là les moments les plus affreux de leur existence.

M. Thiers déclare devant la commission d'enquête que, dès le premier instant, il avait compris qu'il aurait à soumettre Paris.

Avec quoi ? La capitulation laissait au gouvernement le droit de maintenir une garnison de 40.000 hommes dans la ville. En réalité, les régiments ayant dû congédier les libérables, l'armée ne se composait guère que de 25 à 30.000 hommes. Troupes jeunes, inexpérimentées, n'ayant pas vu le feu, ne connaissant pas Paris. Les soldats s'étaient habitués à passer la journée en famille, fraternisant dans les cafés et chez les marchands de vins. On ne pouvait guère compter que sur la troupe restreinte des gardes républicains, sur les gendarmes de la caserne Lobau, sur les marins qui, même à la fin, ayant quitté les forts, s'étaient trouvés comme en bordée, et sur la garnison de ces mêmes forts, tenue solidement par les officiers[14].

Que dire de la garde nationale ? C'était là qu'était le péril. A son sujet, M. Thiers, un peu empêché par les souvenirs de 1830, avait gardé, quelque temps, certaines illusions[15]. Maintenant, l'évidence l'accablait. Les meilleurs éléments avaient quitté Paris pour la province. Le reste s'organisait ostensiblement pour l'émeute.

C'est là que le premier vibrion du futur gouvernement insurrectionnel se mit à tourner. On vit se développer, tout à coup, dans les rangs de la garde nationale, l'influence et l'autorité du fameux Comité central. Il empruntait aux traditions révolutionnaires le mot populaire de fédération. Il apparaît dès le mois de septembre. A l'origine, il réunit les délégués des vingt arrondissements, et il se donne pour mission de surveiller les actes du gouvernement et ceux des chefs nommés régulièrement. Au lendemain de l'armistice, il s'attribue un rôle politique et se pose en défenseur de la République menacée. Composé d'hommes obscurs, choisis d'abord, selon les relations de quartier, il se reconstitue, le 15 février, et faisant l'union, le 10 mars, avec l'Internationale, il reçoit, de ce fait, un sang nouveau et une énergique impulsion. A partir du 11 mars, date des élections du Comité central définitif, il compte, parmi ses membres, Assi, Billioray, Edouard Moreau, Varlin, Jourde, Lullier, Ranvier, Fabre, Fougeret. Quelques-uns d'entre eux font partie de l'Internationale. Eudes, Duval, Bergeret, Raoul Rigault se rattachent dès lors à ce groupe. C'est l'embryon de la future Commune.

Les statuts du Comité central, adoptés le 21 février, contiennent la déclaration préalable suivante : La République est le seul gouvernement possible ; elle ne peut être mise en discussion. Chaque membre du Comité central recevait, lors de son élection, le mandat impératif suivant : S'opposer à l'enlèvement des canons, s'opposer à toute tentative de désarmement ; repousser la force par la force[16] C'était bien, sinon l'insurrection, du moins la préparation de l'insurrection.

La population de la ville, en partie gagnée d'avance aux idées insurrectionnelles, restait, en majorité, froide et indifférente. Les municipalités étaient, et surtout celles des quartiers de la périphérie, en des mains hésitantes ou suspectes. De partout, des donneurs d'avis, des conciliateurs surgissaient. Mais, quand ou en venait au fait, on les sentait sans autorité et sans action. Par leur entremise bien intentionnée, ils entretenaient l'illusion et cet optimisme, cet aveuglement universel qui avaient été le grand mal du siège et qui furent plus funestes encore dans les semaines qui précédèrent et préparèrent les événements[17].

Seule, la députation de Paris, connaissant mieux les éléments en présence et, par conséquent, la gravité du péril, prit, dès le début, une attitude significative. Les plus avancés avaient donné leur démission, comme Victor Hugo, à Bordeaux ; ou, un peu plus tard, au moment du vote des préliminaires de la paix. Mais la grande majorité, les Louis Blanc, les Brisson, les Henri Martin, se tint en groupe compact autour du drapeau national.

Cette attitude eût dû servir d'avertissement aux Parisiens. La raison qui décida ces hommes, ces représentants, ces républicains qui n'étaient pas suspects et qui, placés ainsi entre deux feux, exposaient leur personne et leur popularité, c'est qu'ils ne voulaient pas de la révolution devant les Prussiens, et que, quels que fussent les sentiments de Paris, ils craignaient d'attenter à l'unité nationale.

Beaucoup d'entre eux hésitèrent : les Tirard, les Méline, les Floquet, allèrent véritablement jusqu'à la limite des concessions pour ne pas rompre le fil. Faut-il rappeler encore le silence de Gambetta[18], les larmes de Jules Favre, l'inquiétude de Millière et de Benoît Malon, les sentiments mêlés de la province, où les grandes villes s'insurgent contre l'Assemblée et se lèvent pour la République ?

Faut-il rappeler, par contre, les terreurs, les imprudences et les fautes de l'Assemblée : la droite monarchiste cherchant, dans les événements qui se préparent, les moyens et la justification d'une prompte restauration, incriminant les faiblesses de M. Thiers, les compromissions des moins suspects, et réduisant au silence ceux dont la parole, écoutée, aurait été, peut-être, la seule efficace ?

Il faudrait embrasser d'un coup d'œil la perspective complexe et bizarrement agitée que présente alors la France, avec ce grand Paris, farouche et noir sur le ciel ensanglanté ; il faudrait se laisser emporter, par l'émotion du spectacle, jusqu'à cette vision soudaine qui pénètre les âmes et sonde les cœurs, pour saisir les causes profondes, multiples, humaines et surhumaines qui, dans cette heure unique, déterminèrent les foules et précipitèrent, une fois de plus, la France dans un des plus tragiques malheurs qu'ait connus l'humanité !

Les avertissements n'avaient pas manqué.

Le 31 octobre avait failli réussir aux cris de : Vive la Commune ! Blanqui, qui était l'âme de la journée, avait été arrêté et était détenu en prison. En novembre et en janvier, on avait arrêté Félix Pyat, Vermorel, Ranvier, Tridon, Vésinier, Flourens, Vallès, Minière, Lefrançais, Léo Meillet, Brunet, Delescluze, etc. Quatre-vingts individus avaient été mis sous les verrous. Des élargissements bien imprudents étaient intervenus.

A dater de l'armistice, les incidents les plus graves se  multiplièrent dans la ville : pillage de magasins d'armes et de munitions, construction de barricades, effervescence générale, manifestations journalières sur la place de la Bastille, pèlerinages où défilent, devant la colonne, avec des couronnes d'immortelles et des drapeaux rouges, une foule sans cesse renouvelée, où l'on voit des mobiles conduits par leurs fourriers, des gardes nationaux, des soldats, des marins, des chasseurs à pied[19] ! Des femmes vêtues de noir suspendent des bannières aux grilles du monument et chantent des complaintes funèbres. C'est l'obsession de la souffrance, la folie rouge, de véritables convulsions. Au cours d'une de ces manifestations, le 26 février, un agent de police est reconnu, brutalisé et ligoté, puis jeté à l'eau, avec des raffinements de cruauté inouïs.

Cependant, ces faits fussent restés isolés peut-être et ces alarmes se fussent dissipées, si la nouvelle ne s'était répandue, dans la nuit du 26 au 27 février, qu'en vertu des clauses de la convention préliminaire, les Prussiens entreraient à Paris. Une émotion indicible souleva la ville tout entière.

La grande colère se précise autour de cette honte suprême. Elle flottait encore incertaine, ne sachant où se prendre, quand le bruit se répand que deux parcs d'artillerie, constitués à Passy et à la place Wagram, n'avaient pas été enlevés et allaient être laissés aux Prussiens. Ces canons, la garde nationale les considère comme lui appartenant ; ils ont été achetés par souscription publique. Une pensée unanime gagne de proche en proche, comme une traînée de poudre. Le tocsin retentit, le rappel bat, les clairons sonnent. Les bataillons, la foule, se précipitent, s'attellent aux canons et transportent ceux de Passy au parc Monceau, ceux de la place Wagram — c'est-à-dire 227 canons de 7 et des mitrailleuses — à Montmartre, à Belleville, au boulevard Ornano, à la place des Vosges. C'est de là que vont naitre les grands événements.

Le 1er mars, les Prussiens entraient dans Paris. La convention limitait l'occupation au secteur compris entre la Seine et le faubourg Saint-Honoré, jusqu'à la place de la Concorde. Quelques escouades pénétrèrent, sans armes, dans la cour et les galeries du Louvre. Sur l'appel du gouvernement et du Comité central, la foule se contint. Les soldats prussiens l'aperçurent seulement à travers les grilles des guichets du Louvre. Les boutiques furent fermées, avec l'inscription pour cause de deuil public. Les rues des quartiers occupés furent évacuées, restant, devant l'ennemi, désertes et silencieuses. Les statues des villes, assises sur la place de la Concorde, avaient la figure couverte d'un voile noir.

Le 3 mars au matin, les troupes étrangères partirent, tournant le dos à ce singulier triomphe. Le comte de Bismarck était venu en voiture jusqu'à la place de la Concorde. L'empereur Guillaume renonça au projet de passer une revue aux Champs-Élysées.

Quinze jours s'écoulent, dans les alternatives de la crainte et de l'espérance. La question du gouvernement se posait à Bordeaux ; la question du désarmement se posait à Paris. Il fallait en finir. On se préparait de part et d'autre. L'attente.

Le 8 mars, Duval, le futur général de la Commune, établit un secteur insurrectionnel à la barrière d'Italie et s'organise pour la résistance. Le Comité central se rapproche de l'Internationale. Cependant. M. Jules  Ferry, maire de Paris, écrivait encore au gouvernement, le 5 mars : La cité est calme ; le péril est passé... Au fond de la situation ici, grande lassitude, besoin de reprendre la vie normale ; mais pas d'ordre durable à Paris sans gouvernement ni assemblée. L'Assemblée rentrant à Paris peut seule rétablir l'ordre, par suite, le travail, dont Paris a tant besoin ; sans cela, rien de possible. Revenez vite.

Arrivent les nouvelles relatives à la loi des échéances, à la question des loyers, au transfert de l'Assemblée à Versailles ; on affirme que le coup d'État se prépare.

M. Thiers rentre le 15 mars. Il s'installe au ministère des affaires étrangères. Le moment était venu d'agir. Il fallait procéder au désarmement. On ne pouvait laisser ainsi Paris, hors de lui, le fusil au poing.

Le nœud était à Belleville et à Montmartre. On réunit un conseil des ministres, le 17, au ministère des affaires étrangères. On délibère sur l'opportunité d'un coup d'autorité qui se précise en cette formule : reprendre les canons. M. Thiers dit : L'opinion générale voulait que l'on reprit les canons. Il dit encore : L'opinion était universellement prononcée dans le sens d'une action immédiate. Il dit encore : Beaucoup de personnes s'occupant de la question financière disaient qu'il fallait songer enfin à payer les Prussiens. Les gens d'affaires allaient répétant partout : Vous ne ferez jamais d'opérations financières si vous n'en finissez pas avec tous ces scélérats et si vous ne leur enlevez pas les canons. Il faut en finir, et alors, on pourra traiter d'affaires. Et il conclut : L'idée qu'il fallait enlever les canons était dominante, et il était difficile d'y résister... Ne pas agir dans la situation où étaient les esprits, avec les bruits et les rumeurs qui circulaient dans Paris, c'était se montrer faibles et impuissants[20].

Le coup de main fut décidé : il consistait à ramener, dans l'intérieur de Paris, les canons qui étaient gardés sur les hauteurs de Montmartre. On avait 20.000 hommes de troupes au plus pour l'exécuter.

Il fut convenu que l'on agirait dès deux heures du matin. Les dispositions furent, d'ailleurs, assez heureusement prises. M. Thiers, anxieux, était au Louvre, près du général Vinoy qui répondait du succès. L'opération parut réussir d'abord. Le général Lecomte occupe le plateau. Toute la colline est cernée. Mais il eût fallu des attelages en grand nombre, pour opérer, avant le jour, un si colossal déménagement. Or, les attelages manquaient. L'avinée n'avait plus de chevaux. Plusieurs jours étaient nécessaires pour enlever tous les canons. On s'aperçut alors que l'opération était mal conçue. 70 canons cependant furent emportés. Le reste est gardé par la troupe, qui attend l'arme au pied.

Peu à peu, la nouvelle se répand, dans Montmartre, que l'on enlève les canons. On sonne le tocsin. Quelques coups de feu sont tirés et mettent le quartier en éveil. La Butte et les régions environnantes sont sur pied. On crie au coup d'État. Les gardes nationaux se rassemblent. La foule, femmes, enfants, se presse autour des soldats qui gardent les canons : Vive la ligne ! s'écrie-t-on de toutes parts. Vous êtes nos frères. Nous ne voulons pas nous battre. On pénètre dans les rangs des soldats. On leur offre à boire. On les désarme. Ils lèvent la crosse en l'air, se débandent. Le général Lecomte est entouré de tous côtés et fait prisonnier avec son état-major.

M. Thiers rentre au ministère des affaires étrangères. A l'Hôtel de Ville, où le maire de Paris, M. Jules Ferry, se tenait en permanence, on attendait les nouvelles. Elles sont bonnes d'abord. Puis, elles se gâtent. A dix heures et demie, le désastre se précise ; la préfecture de police télégraphie : Très mauvaises nouvelles de Montmartre. Troupe n'a pas voulu agir. Les buttes, les pièces et les prisonniers repris par les insurgés qui ne paraissent pas descendre. Le Comité central serait au parc de la rue Basfroi !

 Au ministère des affaires étrangères, le gouvernement siège dans la grande galerie qui donne sur le jardin et qui a vue sur le quai. Les personnes qui apportent des nouvelles entrent et sortent. Les généraux délibèrent dans un coin.

Le vieux marquis de Vogüé était parmi les survenants. Il tirait de sa poche son écharpe de député de 1848 et il allait de l'un à l'autre, tout courbé, la voix cassée, disant : Je sais comment cela se passe. On se met cela autour du corps et on se fait tuer sur une barricade.

Le général Le Flô, ministre de la guerre, qui est allé jusqu'à la place de la Bastille pour se rendre compte des événements, revint vers midi ou une heure.

On décide de faire battre la générale pour réunir les bataillons de la garde nationale sur lesquels on croyait pouvoir compter : six cents hommes seulement se présentèrent.

M. Thiers, très ému, veut savoir du général Vinoy quelle est la situation militaire exacte. Déjà, vers midi ou une heure, il commençait à déclarer qu'il faudrait se résoudre à abandonner Paris. Dans son impatience, il se porte jusque sur le pont de la Concorde, au-devant des troupes qui se repliaient en bon ordre, ayant à leur tête le général Faron. Vers trois heures, il revient au quai d'Orsay.

Les nouvelles de Paris étaient de plus en plus mauvaises. Les casernes étaient prises ou évacuées. Cependant, l'Hôtel de Ville, appuyé sur les troupes de la caserne Lobau et occupé par Jules Ferry, qui ne voulait l'abandonner à aucun prix, l'Hôtel de Ville tenait encore.

M. Thiers était à peine rentré au palais du quai d'Orsay, qu'on entend les tambours et les clairons, et, des fenêtres, on voit passer, sur le quai, trois bataillons de fédérés ; c'étaient les gardes nationaux du Gros-Caillou qui allaient se joindre au mouvement. Dans l'hôtel, il n'y avait qu'un demi-bataillon de chasseurs à pied. Malgré les hésitations de MM. Jules Favre, Jules Simon et Picard qu'il était difficile de convaincre de la nécessité de cette retraite, le gouvernement comprend que le chef du pouvoir exécutif ne peut rester ainsi exposé. D'ailleurs, M. Thiers tranche la question. Il décide qu'il quittera Paris et se rendra à Versailles.

Il était quatre heures et demie ou cinq heures. Prévoyant cela, dit le général Vinoy, j'avais doublé mon escorte, j'avais fait préparer ma voiture et tout était prêt. Je dis à M. Thiers : Mettez votre pardessus, la porte du bois de Boulogne est gardée, votre sortie est assurée par là. J'y avais envoyé un escadron. Mais, avant de partir, il me donna l'ordre d'évacuer Paris. M. Thiers, en effet, évoquant, comme il l'a dit lui-même, le souvenir du 24 février 1848, et celui du maréchal Windischgraetz qui, après être sorti de Vienne, y était rentré victorieusement quelque temps après, était confirmé dans son sentiment par l'état de désorganisation et de démoralisation où il sentait l'armée.

Il insistait auprès du général Vinoy pour savoir quelles étaient les troupes sur lesquelles on pouvait compter. Le général lui dit qu'il n'y avait guère de sûre que la brigade Daudel. M. Thiers répète à plusieurs reprises : Qu'on m'envoie, à Versailles, la brigade Daudel. Il n'y eut pas d'ordre écrit.

Après le départ de M. Thiers, le général Le Flô, ministre de la guerre, insiste sur la nécessité de l'évacuation complète. Il affirme qu'on ne pourra tenir nulle part, pas même au Trocadéro et à Passy. Il signe l'ordre et en prend toute la responsabilité.

Or, la brigade Daudel occupe les forts, y compris le Mont-Valérien. Le hasard voulut que deux bataillons de chasseurs à pied, qu'on voulait éloigner de Paris, fussent consignés dans le fort ; ce fut, pendant un jour entier, toute la garnison.

Dans la nuit du dimanche au lundi, le général Vinoy, vers une heure du matin, écrit à M. Thiers une lettre que Mme Thiers lui lit sans qu'il se lève, et par laquelle il sollicite l'autorisation de faire réoccuper le Mont-Valérien. M. Thiers finit par consentir. Sinon, ce fort, comme ceux d'Issy, de Vanves et de Vincennes, était aux mains de la Commune. Le Mont-Valérien fut réoccupé le 20 mars au matin ; les fédérés s'y présentèrent quelques heures après et sommèrent inutilement le commandant de se rendre[21].

Cependant, dans Paris, le Comité central, d'abord surpris, fait battre le rappel. Montmartre, Belleville, les Buttes Chaumont sont en pleine insurrection. Le Panthéon, Vaugirard, les Gobelins se lèvent à la voix de Duval. Les bataillons des quartiers bourgeois ne répondent pas au rappel. A Montmartre, une scène tragique se produit et décide du caractère implacable de l'émeute.

Le général Lecomte, arrêté le matin, était gardé a vue dans la maison de la rue des Rosiers, n° 6. Clément 'Thomas, ancien général de la garde nationale, qui, en habit civil, s'était, bien imprudemment, mêlé à la foule, est arrêté et enfermé près de lui. Après quelques heures d'une affreuse angoisse, Clément Thomas est appréhendé le premier : on le fusille à bout portant, au moment où il descend l'escalier ; le général Lecomte est fusillé à son tour, dans le jardin, et, dit-on, par ses propres soldats. Le sang a coulé.

Dès le soir, M. Jules Favre jette à une délégation, composée de MM. Tirard, Vautrain, Vacherot, Bon-valet, Méline, Tolain, Millière, etc., qui essaye de s'interposer au nom des maires, la parole redoutable : On ne discute pas, on ne traite pas avec des assassins !

Le Comité central, jusqu'alors hésitant, donne des instructions pour que Paris soit envahi et occupé. A l'Hôtel de Ville, M. Jules Ferry tient encore. Il reçoit des ordres réitérés d'évacuer. A 9 h. 55 du soir, il quitte l'Hôtel de Ville, le dernier, emportant ses papiers et emmenant les gens de service. Il traverse tout le centre de Paris déjà aux mains des insurgés, escorté par les troupes du général Derroja, qui se font le chemin, baïonnette au canon.

Le palais et le jardin du Luxembourg, où était campé le 69e de marche, ne fut évacué que le 23 mars, et c'est le 30 mars seulement que le directeur des postes, M. Rampont, député de l'Yonne, quitta Paris.

 

II

C'est donc un nouveau siège de Paris qui va commencer ; l'insurrection, généralisée, occupant la ville et les forts du Sud et de l'Ouest, M. Thiers et l'Assemblée nationale à Versailles, les uns et les autres sous l'œil de l'armée allemande qui, conformément aux termes des préliminaires, garde les forts du Nord et de l'Est.

Après cette journée, où la fatalité avait eu une si grande part, il y eut un moment de stupeur, un temps d'arrêt, comme si, des deux côtés, on hésitait avant de consommer la détestable rupture.

Pendant une semaine, il se fait un grand effort pour arriver à une entente. Les maires de Paris, les députés, le colonel Langlois, nommé commandant de la garde nationale, l'amiral Saisset qui le remplace, tous s'efforcent dans le même sens. Les points précis sur lesquels on délibère visent la consécration de la forme républicaine, le maintien de la garde nationale avec le droit d'élire les officiers, la constitution d'un régime assurant à Paris les franchises municipales et, surtout, la fixation, à une date très rapprochée, des élections communales.

Mais l'entente ne peut se faire, parce que les colères grondent et que ceux de qui l'accord dépendrait sont déjà compromis. Les hommes sages, qui vont de Paris à Versailles, cherchant à remplir ce rôle d'intermédiaires, s'aperçoivent, avec effroi, que l'air qu'on respire, de part et d'autre, n'est pas le même.

Déjà, le 6 mars, le Comité central avait adhéré à la motion suivante : Que le département de la Seine se constitue en République indépendante, au cas où l'Assemblée décapitaliserait Paris. Cette idée a germé. On la retrouve, le 20 mars, dans un débat décisif, auquel prennent part les membres de la députation et des municipalités parisiennes faisant, auprès du Comité central, un suprême effort.

M. Clémenceau parle le premier, au nom des maires. Il admet la légitimité des réclamations de la capitale, regrette que le gouvernement ait soulevé des colères ; mais il dénie à Paris le droit de s'insurger contre la France. C'est à cette adjuration qu'un membre du Comité oppose une parole qui n'est que la traduction en acte de la motion antérieurement adoptée : Quant à la France, nous ne prétendons pas lui dicter des lois, — nous avons trop gémi sous les siennes, — mais nous ne voulons plus subir ses plébiscites ruraux. La révolution est faite. Voulez-vous nous aider ? Êtes-vous avec nous ou contre nous ?

Millière, député de Paris, intervient. Incertain et triste, comme il le fut durant toute cette crise, troublé peut-être par la vision du destin qui le frappera : Prenez garde, dit-il, si vous déployez ce drapeau, le gouvernement jettera toute la France sur Paris : j'entrevois, dans l'avenir, quelques fatales journées de juin. Maton, membre de l'Internationale, un des chefs les plus autorisés du socialisme, et qui, demain, prendra part à la Commune, parle dans le même sens. Mais les exigences des ardents ne cèdent rien au cours d'une discussion pressée et haletante. Elle se prolonge, tourne sur place. Il est minuit. La lassitude s'empare de tous. On ne voudrait pas se quitter sans conclure, tant les responsabilités sont lourdes.

Louis Blanc, jusque-là silencieux, se lève à la fin. Petit et pale, au milieu de cette assemblée épuisée, c'est le spectre de 1848 et de ces journées de juin, dont on vient d'évoquer le souvenir : Vous êtes, dit-il, des insurgés contre l'Assemblée la plus librement élue. Nous, mandataires réguliers, nous ne pouvons avouer une transaction avec des insurgés ! Nous voulons bien prévenir la guerre civile, mais non paraître vos auxiliaires aux yeux de la France ! La réunion se sépare après avoir, en vain, rédigé, avec Varlin, un dernier projet transactionnel que le Comité désavoue le lendemain[22].

Du côté de Versailles, le pendant de cette scène se produit. en pleine séance. L'Assemblée s'était réunie le 20 mars. Le 23, les maires et adjoints de Paris se présentent et demandent à être admis dans la salle des délibérations. Ils sont porteurs de propositions urgentes pour le rétablissement de l'ordre. L'Assemblée craint de renouveler les fameuses séances révolutionnaires, si elle les admet à sa barre. Il est décidé pie les membres de la délégation qui sont députés parleront en son nom, tandis que ses autres membres assisteront à la séance dans une des tribunes réservées au public. Le groupe compact, vêtu de noir et ceint de l'écharpe tricolore, apparaît dans- une des galeries. Un cri de Vive la République ! éclate parmi eux et est répété sur les bancs de la gauche. C'est le signal d'un tumulte indescriptible. La droite refuse de rien entendre, désormais. La séance est levée. Les propositions apportées par les représentants des municipalités parisiennes ne sont même pas discutées[23].

Dans l'intervalle de ces deux journées décisives, le 22, une nouvelle catastrophe avait marqué l'échec des tentatives de négociation.

Une manifestation pacifique, faite au nom des Amis de l'ordre, se dirigeait vers la place Vendôme, où le Comité central était maitre, de l'état-major ; une bagarre se produit, un coup de pistolet part, dit-on, des rangs de la foule. Les fédérés tirent à leur tour, et la manifestation se disperse, laissant sur le pavé une dizaine de morts et un grand nombre de blessés.

C'est fini. Maintenant, la guerre fratricide.

Le Comité central fixe les élections de la Commune au 26 mars. Il demande aux électeurs de sanctionner les initiatives qu'il a prises. Il profite de l'émotion universelle, de l'incertitude qui règne encore sur les intentions et. sur les actes, pour biner l'organisation de l'insurrection et lui donner, en quelque sorte, l'investiture. Parmi les municipalités, quelques-unes croient habile de conseiller le vote. Plusieurs députés, MM. Lockroy, Floquet, Clémenceau, Schœlcher, Tolain, Greppo, signent l'affiche qui convoque les électeurs. Ainsi, le nouveau gouvernement que, sous le nom de Commune, on va créer à Paris repose, à son début, sur une manifestation électorale qui ne compte pas moins de 224.000 votants. Le nombre des électeurs inscrits étant de 481.000, il y avait 257.000 abstentions ; mais il faut rappeler qu'un grand nombre d'électeurs avaient quitté Paris.

La confusion était telle qu'il y eut, au moment du vote, une heure d'apaisement et de joie. On crut que tout allait s'arranger. Paris se porta en foule, le 28, sur la place de l'Hôtel-de-Ville où eut lieu l'installation de la Commune. Ce fut une seconde fête de la Fédération. Une estrade, les drapeaux rouges, les bataillons de la garde nationale avec la frange rouge au fusil, les lignards et les marins, désarmés il est vrai, l'artillerie, les banderoles, la Marseillaise, le Chant du départ, l'enthousiasme de la foule, rien ne manqua.

Au nom du Comité central, Gabriel Ranvier remet solennellement les pouvoirs à la Commune. Paris défile ensuite, en un ordre et avec une confiance pacifiques qui arrachent un cri d'admiration, même aux spectateurs indifférents. Le Comité central affiche le soir : Aujourd'hui, Paris ouvre, à une page blanche, le livre de l'histoire et y inscrit son nom puissant...

A Versailles, M. Thiers ne perd pas de temps. Tous ses soins ont été d'abord pour le débris d'armée qui avait accompagné le gouvernement. Rien de moins sûr que ces hommes : la retraite sur Versailles avait paru d'abord une débandade. Les soldats, défilant, par une belle matinée de printemps, étaient incertains : On entendait, dans leurs rangs, les chansons révolutionnaires. Bientôt, l'ordre est rétabli. Les soldats sont tenus à l'écart, consignés dans les campements, où ils vivent avec leurs officiers, abondamment nourris, bien vêtus, à la fois surveillés et soignés. Ils se sentent les coudes et reprennent.

M. Thiers agit, eu même temps, sur l'Assemblée. Il craint son désordre, ses discussions maladroites, ses motions imprudentes. Pour éviter tout malentendu, il délimite nettement, devant elle, son propre programme. Il a réfléchi, en effet ; il a compris les nécessités de l'heure. Ce qu'il faut, c'est sauver le pays, l'unité nationale ; et pour sauver l'unité nationale, il faut maintenir la République. D'où la portée de son mot, qu'il va répéter sans cesse : C'est le gouvernement qui nous divise le moins. La leçon que lui donne Paris, son grand sens la saisit : toutes les grandes villes de la province lui parlent le même langage. Le mouvement de Paris, en effet, n'est pas isolé ; la plupart des villes sont républicaines. Les conseils municipaux de Rouen, Elbeuf, Le Havre, province. Dieppe, Quimper, Brest, Saint-Quentin, adressent à Versailles des déclarations très fermes contre toute entreprise de restauration monarchique.

Dans le Midi, les sentiments s'exaltent et des insurrections locales se produisent. Lyon est dominé pendant trois jours, du 22 au 25, par les fédérés descendus de la Guillotière, qui ne sont contenus que par la fermeté du préfet, M. Valentin, et celle du général Crouzat. A Saint-Etienne, l'émeute, qui éclate le 24 et dure jusqu'au 27, est ensanglantée par le meurtre du préfet, M. de l'Espée, et du garde Fillon. A Toulouse, le mouvement est vite comprimé. Narbonne est contenue par la fermeté conciliante de M. Marcou. Mais, à Marseille, la Commune est proclamée le 23 ; elle dure treize jours. L'émeute est provoquée et, clans une certaine mesure, modérée par Gaston Crémieux. Le général Espivent de la Villeboisnet ne reprend la ville, le 4 avril, qu'après une collision sanglante. A Limoges, un mouvement populaire, qui se produit le 4 avril, coûte la vie au colonel de cuirassiers Billet.

Enfin, pour achever un tableau si sombre, les villes de l'Algérie adressent à Versailles des protestations véhémentes, tandis que la colonie, elle-même, était menacée par la redoutable révolte du bach-aga de la Medjana, Si Mohammed El Mokrani.

M. Thiers a donc le sentiment très net du danger qui menace l'unité nationale. Dans la crise constitutionnelle universalisée, l'existence même du pays est en jeu. Il prend son parti. Il se prononce pour la République.

Le 27 mars, le lendemain du vote qui institue la Commune, il fait, à l'Assemblée, les déclarations suivantes :

Il y a des ennemis de l'ordre qui prétendent que nous nous préparons à renverser la République. Je leur donne un démenti formel ; ils mentent à la France... Nous avons trouvé la République établie comme un fait dont nous ne sommes pas les auteurs ; mais je ne détruirai pas la forme de gouvernement dont je me sers maintenant pour rétablir l'ordre J'affirme qu'aucun parti ne sera trahi par nous, que contre aucun parti il ne sera préparé de solution frauduleuse. Nous avons accepté cette mission : défendre l'ordre et réorganiser le pays... Quand tout cela sera rétabli, le pays aura la liberté de choisir comme il le voudra, en ce qui concerne ses futures destinées.

Ces dernières paroles allaient jusqu'à mettre en doute le pouvoir constituant de l'Assemblée. Quant aux déclarations favorables à la République, M. Thiers les précise encore, dans un entretien qu'il a avec les représentants de diverses municipalités de province venus pour lui soumettre leurs inquiétudes. Il leur déclare qu'il se trouvait sans doute dans l'Assemblée des membres favorables au rétablissement de la monarchie, mais qu'il n'existait aucun complot pour renverser le régime actuel ; qu'en tout cas, s'il existait un complot de cette nature, il ne se prêterait pas à son exécution. Selon sa propre expression, il s'engage.

D'ailleurs, la majorité de l'Assemblée sent qu'elle n'est pas en mesure de lutter contre la Commune, si elle prétend diriger elle-même la résistance. Une commission de quinze membres a été désignée, dès le 20 mars, pour assurer l'action commune de l'Assemblée et du pouvoir exécutif. Cette commission même s'efface devant la nécessité de l'action, de l'unité dans la direction : et, pour tout dire, devant l'activité et la compétence de M. Thiers, devant l'autorité qu'un homme, qui sait ce qu'il veut, prend infailliblement sur les esprits incertains, aux heures d'universel désarroi.

M. Thiers, qui a puisé dans ses études sur les guerres de Napoléon des connaissances militaires étendues, veille aux dispositions stratégiques. Ce siège est un peu son siège. Ces murailles, il les connaît : c'est lui qui les a élevées en 1840. Il passe de longues heures aux avant-postes, et il aime à suivre, avec une lorgnette, une main derrière le dos, les effets de l'artillerie. Lui-même désigne aux généraux le point faible, c'est-à-dire l'insuffisance des fortifications du côté de Saint-Cloud et de Meudon.

Les soldats prisonniers, rapatriés d'Allemagne, sont équipés et versés dans l'armée assiégeante. Le maréchal de Mac Mahon est nominé commandant en chef.

Les divers corps sont répartis autour de l'enceinte : Le premier, commandé par le général Ladmirault, à Courbevoie et au pont de Neuilly ; le quatrième, avec le général Douay, au Point-du-Jour ; le deuxième, commandé par le général de Cissey, sur la rive gauche, devant les forts d'Issy et de Vanves. Le général Clin-chant, à Satory, et le général Vinoy, avec l'ancienne armée de Paris, forment la réserve.

Si Paris se fût précipité sur Versailles, dans les premiers jours qui suivirent la rupture, c'en était fait peut-être du gouvernement ; mais l'heure était passée. Les points stratégiques sont occupés et fortement défendus. Le Mont-Valérien barre la route et appuierait, au besoin, l'armée assiégeante.

C'est ce qui se produit, le 3 avril, dans la seule opération tentée au dehors par les soldats de la Commune. Cette fameuse sortie en masse, tant réclamée, tant prônée pendant le siège, elle a lieu, d'ailleurs, trop tardivement. Mal préparée, mal conduite, elle échoue.

Arrêté dans les conciliabules de l'Hôtel de Ville, le plan consistait à attaquer Versailles, à la fois, par le Nord et par le Sud.

L'attaque du Nord, par Courbevoie et Asnières, devait se diriger sur Rueil et Bougival ; Bergeret et Flourens commandaient de ce côté.

L'attaque du Sud devait s'effectuer par Châtillon et Meudon ; Eudes et Duval dirigeaient cette colonne.

On se croyait sûr du succès. Dans la nuit du 2 au 3 avril, Flourens télégraphie : Il ne faut à aucun prix manquer d'aller ce soir à Versailles... Nous serons vainqueurs, cela ne peut même faire un doute...

Mais, à peine le mouvement est-il commencé, que les obus du Mont-Valérien arrêtent net la colonne de Bergeret. La panique est soudaine ; la débandade complète. Flourens se réfugie dans une maison de Rueil, où il est tué, d'un coup de sabre, par un capitaine de gendarmerie.

Duval est arrêté près de Villacoublay. Eudes, un peu plus heureux, occupe le Bas-Meudon, le Val-Fleury, une partie de Bellevue et du Haut-Meudon. Il tient toute la journée. Le soir, il est repoussé sur la redoute du plateau de Châtillon, où l'avait précédé Duval. Ils en sont chassés le lendemain. Duval, pris, est fusillé.

L'armée de Versailles fait un mouvement en avant et occupe Courbevoie. Paris est désormais enfermé derrière ses remparts. Les fédérés restent seulement maîtres du pont de Neuilly.

La Commune gouverne une place assiégée. Voici quel est son personnel : sur quatre-vingt-dix membres élus, quinze sont des modérés et sept des radicaux ; ils donnent leur démission ou ils ne siègent pas. En grande majorité, les partis révolutionnaires l'emportent. Les Jacobins comptent trente-deux membres. Le Comité central a fait passer treize membres. L'internationale dix-sept. Le parti socialiste compte une dizaine de membres, qui figurent, d'ailleurs, en général, sur les autres listes. Il y avait quelques doubles élections.

Rapidement, on voit se dessiner, dans l'assemblée, deux partis : un parti de gens de main, les Jacobins, et un parti de théoriciens, les socialistes. Ceux-ci sont relativement des modérés. Les violents se groupent autour de Delescluze et de Félix Pyat, les socialistes autour de Vermorel, de Tridon, d'Arthur Arnould et de Lefrançais.

La Commune compte des hommes de réelle valeur, comme Vallès, Malon, Varlin, l'ouvrier relieur, une des figures les plus intéressantes du parti ; Tridon, une sorte d'apôtre millionnaire, et ce Félix Pyat qui est, de l'avis de tous, l'âme ulcérée et un des acteurs les plus dangereux du draine ; elle compte des révolutionnaires de bonne foi, pour la plupart ouvriers, Theisz, Assi, Duval, Dereure, Jourde et J.-B. Clément ; des aventuriers, des réfractaires, comme Raoul Rigault, ce gamin sinistre, et Flourens, façon de héros romantique où le Fra Diavolo s'unit bizarrement au Don César de Bazan ; des âmes violentes et atroces, comme Ranvier et Ferré ; des vieilles barbes, comme Beslay et Gambon ; des hommes louches, comme Billioray et Pourville ; des déclassés, comme Eudes, et même de simples détraqués, comme Babick et Jules Allix.

Derrière la Commune, le Comité central continue à subsister et il surveille étroitement sa pupille.

Après l'échec de la sortie du 3 avril, la Commune comprend le besoin d'organiser la défense militaire. Les hommes d'action commencent à prendre le dessus. Lullier, Bergeret, suspects ou insuffisants, sont arrêtés. Cluseret, né Français, mais se disant citoyen et général américain, figure contrainte et fermée, âme froide et ambitieuse, est désigné comme délégué à la guerre. Il se fait appeler général et affecte de paraître en civil au milieu de son état-major galonné. Il prend pour chef d'état-major Rossel, jeune officier du génie, polytechnicien, qu'un jugement orgueilleux et fragile, l'ambition et le ressentiment ont jeté dans l'aventure.

Les événements se précipitent avec une rigoureuse logique. Les mesures révolutionnaires se multiplient. Au début, la Commune fait figure de gouvernement ; elle maintient, jusqu'à un certain point, l'ordre dans Paris et une sorte de méthode dans ses délibérations. On y trouve quelque chose qui ressemble à ce grain de raison qui lui est attribué par M. de Bismarck[24]. Mais, bientôt, elle tombe dans le plagiat grossier de la première Révolution. Le décret des otages copie la liste des suspects ; la guillotine est supprimée, on la brûle solennellement devant la statue de Voltaire, mais on la remplace par le fusil.

A défaut de réformes pratiques, on donne en pâture à la foule les violences antireligieuses : suppression du budget des cultes, séparation de l'Église et de l'État, arrestation de l'archevêque de Paris, Mgr Darboy, de plusieurs membres du clergé et des congrégations. La liberté de la presse est supprimée en fait. Chaudey, adjoint au maire du premier arrondissement, un des exécuteurs testamentaires de Proudhon et membre de l'Internationale, est arrêté au Siècle, dont il était rédacteur.

Les divisions, les haines s'exaltent entre tous ces désespérés. Le désordre, l'indiscipline sont partout. On ne s'entend plus, même pour agir, pour se défendre. Rigault, bohème ulcéré, gros garçon à carrure insolente, passant de la ripaille à la terreur, est comme un fou déchaîné à la préfecture de police. On finit par lui enlever le poste ; mais, plagiant Fouquier-Tinville, il se fait, nommer procureur de la Commune.

La violence ne s'arrête guère que devant la Banque de France, grâce à l'énergie de M. de Plœuc, à la modération relative du vieux Beslay et au sang-froid de Jourde, délégué aux finances. La Banque de France paye, d'ailleurs, en quelque sorte, sa rançon en avançant (avec l'autorisation du gouvernement de Versailles) l'argent nécessaire à la solde dès trente sous.

Paris a, enfin, ouvert les yeux. Le 18 avril, aux élections complémentaires, auxquelles onze arrondissements doivent prendre part, sur 258.000 électeurs inscrits, 53.000 seulement se rendent au vote ; 205.000 s'abstiennent, c'est-à-dire 80 % des électeurs inscrits. La moitié des sièges vacants ne sont pas occupés. Clément et Courbet appartiennent à cette fournée. Ce n'est plus désormais, dans la grande ville, que la plus évidente tyrannie.

Le programme de la Commune, lentement élaboré, parait le 20 avril. Les idées séparatistes et la révolution sociale sont affirmées. Paris prétend s'organiser en Commune libre. Quant à la grande administration centrale, — il s'agit du gouvernement de la France, — elle sera composée de la délégation des communes fédérées. La ville elle-même se réserve, à la faveur de son autonomie, d'opérer comme elle l'entendra, chez elle, les réformes administratives et économiques que réclame sa population... et qui tendent à universaliser le pouvoir et la propriété...

Le commandement confié aux étrangers. Pour se défendre, la Commune veut des hommes qui aient, pour ainsi dire, brûlé leurs vaisseaux. Elle fait appel aux étrangers. Dombrowski, Polonais, officiel' russe, puis insurgé, garibaldien, aventurier, au fond suspect, est nommé au commandement de la place. Son frère, Ladislas, est nommé colonel d'état-major. Wrobleski, autre Polonais, bon militaire, est nommé général ; de même, La Cecilia, officier italien. On compte, à peine, quelques Français : Brunet ancien lieutenant des chasseurs d'Afrique ; Matuzewics, capitaine d'infanterie de ligne, Hetzel, les Ockolowitz, presque tous d'origine à demi étrangère.

Les forces de la Commune. Dombrowski, d'une bravoure incontestable, commande entre le Point-du-Jour et Saint-Ouen, avec son quartier général à la Muette. Il a, dans son secteur, le point le plus menacé, où l'on se bat continuellement, la porte de Neuilly. Wrobleski est à Gentilly ; son commandement s'étend du Point-du-Jour à Bercy.

Il est difficile d'évaluer les forces qui furent réellement engagées du côté de la Commune. Cluseret avait pris l'initiative, qui lui fut d'ailleurs beaucoup reprochée, d'organiser méthodiquement la garde nationale : il avait constitué les compagnies de marche, formant ainsi une sorte d'armée active. Les compagnies sédentaires constituaient la réserve. On évalue l'effectif des premières à 80.000 hommes environ et celui des secondes à 75.000 hommes. Avec les services auxiliaires, la garde nationale fédérée pouvait donc atteindre un effectif total de 200.000 hommes.

Mais la décision prise par Cluseret a pour effet de réduire singulièrement le nombre réel des combattants. Les sédentaires restent chez eux. D'ailleurs, en général, les compagnies sont loin d'être au complet. Celles qui sont aux avant-postes se plaignent sans cesse de n'être jamais relevées. En réalité, il n'y eut guère, depuis le 3 avril jusqu'au 24 mai, plus de vingt mille combattants dispersés sur l'immense enceinte et occupant les forts.

M. Thiers, une fois Paris cerné, décide de faire le siège en règle. On attaquera les bastions du Point-du-Jour ; on réduira le fort d'Issy et on fera la brèche au rempart, pour prendre, au besoin, la ville d'assaut. Les diverses opérations qui se poursuivent méthodiquement, du 5 au 20 avril, ont toutes ce même objectif. Le 25 avril, une puissante artillerie occupait, à la place des batteries prussiennes, les terrasses de Meudon, de Breteuil, de Saint-Cloud, les hauteurs qui, de ce côté, entourent Paris et, aidée par l'artillerie du Mont-Valérien, accablait les forts et surtout Issy. Le fort d'Issy est même évacué dans la nuit du 29 au 30 ; mais aussitôt réoccupé par Cluseret. Versailles a bientôt la certitude d'une prochaine victoire.

L'Assemblée se montre assez libérale dans le vote de la loi municipale, et c'est l'insistance seule de M. Thiers qui la décide à insérer, dans la loi votée le 14 avril, l'amendement Batbie qui n'accorde le droit d'élire leurs maires qu'aux communes comptant moins de 20.000 âmes. Paris nommera son conseil municipal, mais les municipalités des vingt arrondissements seront désignées par le gouvernement. C'est ce que M. Thiers appelle le droit commun.

La confiance dans le succès prochain confirme la majorité et M. Thiers lui-même dans leurs sentiments peu favorables aux idées conciliatrices. La Ligue des droits de Paris arrache, un moment, aux deux adversaires, leur consentement à une suspension d'armes, qui ne dure que dix heures et n'aboutit pas. La franc-maçonnerie se décide à une intervention solennelle ; elle plante les bannières des loges sur le rempart, espérant arrêter ainsi le bombardement. Le bombardement, en effet, est interrompu pendant vingt-huit heures. M. Thiers reçoit une délégation des loges. Il l'écoute, mais l'écarte. Le bombardement reprend, le 29 ; les bannières sont atteintes. Les loges se prononcent solennellement pour la Commune.

La Commune s'affole. Divisions, méfiances, violences réciproques. Cluseret est mis en accusation. Il est remplacé par Rossel. Un grand débat s'engage, au sein de l'assemblée communale, sur la direction à donner à la lutte. Le parti jacobin l'emporte, tandis que le parti socialiste fait scission et se retire.

La majorité décide la création d'un Comité de salut public, composé de Ant. Arnaud, Léo Meillet, Ranvier, Ch. Gérardin et Félix Pyat. Ce sont les vieilles formules qui reparaissent, alors que les opposants à la création du Comité répètent, avec Vermorel : Votre Comité de salut public, ce n'est qu'un mot.

Sous le mot, il y a une arrière-pensée, la terreur. Il y a deux hommes : Félix Pyat, dangereux raté de la littérature, qui poussera hommes et choses à l'extrême, en prenant soin de se garder lui-même ; il y a aussi un autre homme, qui deviendra bientôt le chef occulte du Comité de salut public, le maître de la Commune expirante, le dictateur de son agonie, Delescluze.

Delescluze est un vétéran des partis révolutionnaires. Il avait fait ses premières armes pendant les journées de juillet 1830 et pris part aux émeutes des 5 et 6 juin 1832.

Poursuivi, en 1836, comme membre de la société des droits de l'homme, il se réfugia en Belgique. Quand éclata la révolution de 1848, son ami Ledru-Rollin le nomma commissaire du gouvernement provisoire dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, de même que Félix Pyat était commissaire dans le département du Cher. En mars, Delescluze, agissant révolutionnairement, dirigea, contre le roi Léopold, une expédition qui échoua au village belge de Risquons-Tout.

Après cet échec, il donna sa démission et vint à Paris, où il fonda la Révolution démocratique. Il est, alors, à la tête du parti d'action. Condamné à diverses reprises, il s'échappe et vit en Angleterre. De retour secrètement à Paris, en 1853, il est dénoncé, arrêté et condamné à quatre ans de prison et déporté à l'ile du Diable (Guyane).

L'amnistie de 1859 le libère, il rentre eu France. En 1868, il fonde le Réveil, et ouvre la fameuse souscription en faveur de Baudin, qui motiva les poursuites de l'empire, commença la fortuite politique de M. Gambetta, et valut six mois de prison à Delescluze.

Condamné, encore, en 1870, Delescluze passe en Belgique. Il revient en France après le 4 Septembre, prend part aux journées du 31 Octobre et du 22 Janvier. Il est arrêté de nouveau, ayant pour destinée de passer sa vie en prison ou en exil.

Cependant, il avait été élu maire du XIXe arrondissement. Aux élections du 8 février 1871, Paris l'envoya siéger à l'Assemblée nationale : il donna sa démission après le vote des préliminaires de la paix. Déjà vieilli, malade, mais énergique toujours, il use la fièvre qui le dévore dans la crise qui éclate au lendemain du siège et dont les fureurs vont couronner et achever sa tragique existence.

Delescluze et Rossel rendent une dernière énergie, le premier à la Commune et à la population civile, l'autre au commandement et aux combattants.

Le 29 avril, M. Thiers détermine, sur les hauteurs de Montretout, l'emplacement d'une nouvelle batterie, destinée à battre l'enceinte elle-même et à préparer la brèche. Le 8 mai, le feu est ouvert. Les obus portent dans toute la région occidentale, à Auteuil, à Passy et jusqu'aux Champs-Élysées. Le fort d'Issy est intenable. Le q mai, il est évacué et occupé par les troupes de Versailles.

La nouvelle de la prise du fort d'Issy tombe comme un obus sur les délibérations de la Commune désemparée. Rossel, après huit jours, est déjà renversé de son piédestal. On l'accuse, non sans motifs, d'aspirer à la dictature. Il est décrété d'arrestation ; c'est un petit Bazaine, un Bazaine blond, écrit Félix Pyat. On décide de nommer un délégué civil à la guerre : c'est Delescluze. On renouvelle le Comité de salut public. Les nouveaux choix, accentuant la note énergique, se portent sur Rainier, A. Arnaud, Gambon, Eudes et, encore, Delescluze.

Ces noms sont significatifs. Au moment où l'entrée des soldats dans la ville n'est plus qu'une question de jours, on commence à entrevoir les horreurs qui vont achever le drame : la guerre des rues, les assassinats, l'incendie, peut-être la destruction complète On dit Glue les égouts sont minés et que tout sautera. Les rangs des combattants, dans Paris, s'éclaircissent ; mais on commence à lire sur les visages une résolution farouche.

Les conciliateurs font un dernier effort. La Ligue des droits de Paris est encore reçue par M. Thiers. Elle demande un armistice. M. Thiers répète les déclarations, franchement républicaines, qu'il avait déjà faites aux délégués des municipalités provinciales. Mais il se refuse à traiter avec la Commune. Il faut qu'elle se rende à merci. D'ailleurs, celle-ci rejette de haut toute idée d'accord. Ce n'est plus seulement l'énergie révolutionnaire, c'est un aveuglement volontaire et désespéré. Paschal Grousset est applaudi quand il demande d'en finir avec les conciliateurs, et Léo Meillet fait approuver la réponse donnée à une délégation de la Ligue, que tout homme qui parle de conciliation est un traître.

A Versailles, l'Assemblée surveille les moindres actes de M. Thiers. Elle tient le succès, maintenant ; elle le veut complet, brutal, violent. Ce n'est plus seulement la Commune qu'elle vise, c'est Paris, c'est la République. Le i i mai, M. Mortimer-Ternaux, pourtant ami personnel de M. Thiers, interroge le chef du pouvoir exécutif au sujet du bruit qui s'est répandu qu'il avait promis aux délégués des municipalités provinciales de sauvegarder la République et d'user d'indulgence dans la répression, M. Thiers se sent menacé ; il est ému et un peu embarrassé même, constatant, pour la première fois, la méfiance de la majorité. Il s'irrite : Je refuse, dit-il, les explications qu'on exige de moi. Il attaque à son tour : Je ne puis plus gouverner, dit-il ; si je vous déplais, dites-le-moi. Il faut nous compter ici, et nous compter résolument ; il ne faut pas nous cacher derrière une équivoque. Je dis qu'il y a, parmi vous, des gens qui sont trop pressés. Il leur faut huit jours encore ; au bout de ces huit jours, nous serons à Paris ; il n'y aura plus de danger, et la tâche sera proportionnée à leur courage et à leur capacité... Le mot est inscrit dans l'histoire.

Il donne quelque répit à M. Thiers. Dans la séance du 13 mai, l'Assemblée vote l'urgence sur une proposition de M. de Cazenove de Pradines ayant pour objet de demander des prières dans toutes les églises de France pour supplier Dieu d'apaiser nos discordes civiles et de mettre un terme aux maux qui nous affligent.

Le 14 mai, le fort de Vanves était occupé. Le cerclé se resserre. Delescluze, mourant, est partout ; il essaye de ranimer les bataillons, dont les effectifs se réduisent. Le 16 mai, à la nuit tombante, la colonne Vendôme est précipitée de son piédestal et brisée. La minorité des vingt-deux membres se sépare de la majorité. Bientôt, elle se rapproche ; le 17 mai, il reste encore, à l'Hôtel de Ville, soixante- six membres présents l'appel nominal.

Les forts pris, les murailles vont céder. Il faut songer à la lutte classique de l'insurrection, la lutte des barricades. Mais les militaires de la Commune ; Cluseret, Rossel, engoués de leur idée de la grande guerre, n'ont rien préparé. On se sent pris au dépourvu. Que faire ? C'est alors que l'idée de la destruction, de l'écroulement de la ville sur les dernières heures de la catastrophe, commence à hanter -ces cerveaux tragiques. Delescluze et ses collègues du XIe affichent : Après nos barricades, nos maisons ; après nos maisons, nos mines. Vallès écrit : Si M. Thiers est chimiste, il nous comprendra.

 Une immense terreur se répand sur la ville, qui ne sait plus quel réveil l'attend. La population, qui a laissé l'aire, en est réduite, maintenant, à s'enfermer dans les appartements. Les gardes nationaux parcourent les rues vides, faisant ouvrir, I coups de crosse, les maisons ou les magasins suspects.

Quelques efforts timides se dessinent, de la part des gardes nationaux de l'ordre, pour préparer une résistance intérieure. M. Thiers reçoit de nombreux avis, des propositions de toutes sortes. Un jour, on lui promet de livrer une des portes de Paris. Il passe la mût avec le général Dortay, dans le bois de Boulogne, attendant le signal qui ne se produisit pas. Cependant, il est prévenu qu'il trouvera un contre-mouvement tout prêt, dès que les troupes franchiront l'enceinte. On prépare les brassards tricolores. La grande masse de la population attend, dans une anxiété terrifiée, l'entrée des troupes régulières.

La Commune se sent entourée d'ennemis. Elle décide d'instituer des listes de suspects. Amouroux rappelle qu'il existe une loi des otages et s'écrie : Frappons les prêtres. Rigault, le 19, inaugure les séances du jury d'accusation. De tous côtés, on commence à fusiller, au moment où le terrible contact va se produire.

Les travaux d'approche permettent, maintenant, de bombarder les portes de la Muette, d'Auteuil, de Saint-Cloud, du Point-du-Jour. Les troupes fédérées, accablées d'un effort sans rémission, refusent le service. La brèche est faite ; le mur d'enceinte, intenable sous la pluie de projectiles, est abandonné. L'assaut est décidé pour le 23.

Le 21, vers trois heures de l'après-midi, un homme se montre seul, sur le rempart, près de la porte de Saint-Cloud. Il agite un mouchoir blanc. Malgré les projectiles, il insiste, il appelle. Le capitaine du génie Garnier, de service à la tranchée, s'approche. L'homme affirme que la porte et la muraille sont sans défenseurs, que les troupes peuvent pénétrer, sans coup férir, dans la place. Il se nomme. C'est Ducatel, piqueur du service municipal.

On le croit, on le suit. La porte est franchie. Les troupes de Versailles cuiront dans Paris. Du haut de la batterie de Montretout, M. Thiers assistait à ce mouvement inattendu. Un instant, on vit ressortir les soldats, et on cria, autour de lui : Nous sommes repoussés. Mais on fut bientôt rassuré. Avec une lunette, on distinguait comme deux longs serpents noirs se coulant dans les sinuosités du terrain, présenter leur tête à la porte du Point-du-Jour, par laquelle ils entraient. Le commandement, averti, fait cesser le feu dirigé sur les remparts. Les troupes se glissent, de part et d'autre, à l'intérieur, le long de la muraille, sans pénétrer d'abord dans la ville.

 

III

Entrée des C'était un dimanche, une de ces charmantes journées de printemps, lumineuses et gaies. Il y avait une fête de charité au jardin des Tuileries, et la foule, heureuse d'une après-midi si douce, se pressait pour entendre la musique qu'accompagnait, au loin, la basse du canon. C'était l'ouverture de la pêche à la ligne, et nombre de Parisiens, fidèles au rendez-vous annuel, s'étaient rangés sur les quais. La vie est ainsi faite qu'il se constitue une sorte d'ordre au, milieu du désordre. Dans le centre, on n'avait aucune nouvelle de ce qui se passait sur l'enceinte ; à la tombée du jour, la foule des promeneurs se dispersa sans connaître le grand événement.

La Commune était en séance ; on jugeait Cluseret : Il avait à répondre aux accusations, plus nombreuses que précises, qui pesaient sur lui. Miot l'attaquait. Vermorel avait pris la parole pour le défendre. Tout à coup, Billioray, qui appartenait à la permanence du Comité de salut public, interrompt. Il tient un papier à la main : Concluez, dit-il, j'ai à faire à l'assemblée une communication de la plus haute importance et pour laquelle je demande le comité secret. On suspend la séance publique et, la main tremblante, il lit la dépêche de Dombrowski : Dombrowski à Guerre et au Comité de salut public : Les Versaillais sont entrés par la porte de Saint-Cloud. Je prends des dispositions pour les repousser. Si vous pouvez m'envoyer des renforts, je réponds de tout. Billioray annonce que les bataillons ont été envoyés. Après ces paroles, il disparaît : on ne le revit plus.

Une sorte de stupeur frappe l'assemblée. Elle n'est même plus capable d'arrêter sa volonté sur les résolutions nécessaires en cette heure extrême. On reprend, en hâte, la délibération relative à Cluseret. Il est acquitté. Aussitôt, comme par une entente tacite, l'assemblée se sépare. Ses membres disparaissent. La Commune, en tant que corps politique, a fini de vivre. Elle s'est évanouie.

Tout repose sur le Comité de salut public et sur Delescluze qui l'incarne.

Cluseret est libre à sept heures du soir. Il a raconté, lui-même, que, surpris de sa liberté non moins que de la catastrophe imminente, il voulut se rendre compte de ce qu'on avait préparé pour la défense de la ville. Il se dirigea donc vers le ministère de la guerre, où le Comité de salut public se tenait en permanence. Là, il se trouva en face de son adversaire implacable, Delescluze. J'entrai dans le grand salon aux tentures de soie jaune. Dans un angle, une petite table, une petite lampe et un petit vieux. C'était Delescluze. Il avait la tête appuyée dans les mains. Voûté, cassé, ratatiné. Il ne m'avait pas entendu. Je m'approchai. Il lève la tête. — Eh bien, Delescluze, où en êtes-vous ?Ah ! c'est vous, Cluseret, vous venez me remplacer ?Non. — Où en sommes-nous ? Je n'en sais rien. Delescluze s'exprimait avec une extrême difficulté ; sa voix râlait, on eût dit un revenant... C'était cet agonisant qui, par une série d'éliminations successives, avait assumé les responsabilités suprêmes. Désemparé, épuisé, il quittait bientôt le ministère pour l'hôtel de Ville, et peu de temps après encore, l'Hôtel de Ville pour le XIe arrondissement, qu'il représentait à la Commune.

 A partir de ce moment, c'est la guerre des rues, mais la guerre sans méthode, sans chef, la guerre en débandade, la lutte du désespoir. Chaque quartier, chaque groupe se bat pour son compte. Les positions qui ont été préparées pour la défense intérieure sont gardées ou abandonnées, au hasard.

Dans la nuit du dimanche au lundi, soixante-dix mille hommes de l'armée de Versailles s'étaient glissés, en quelque sorte, le long des fortifications, faisant un vaste demi-cercle de la Muette au Champ-de-Mars par le viaduc d'Auteuil. Le général Douay s'était avancé, par Auteuil et Passy, jusqu'au Trocadéro. On craignait que le sol ne fût miné. Mais Ducatel, marchant de quelques pas en avant du général, affirmait qu'il n'y avait rien à craindre.

Le lundi 22 mai, an matin, on affiche une proclamation de Delescluze qui annonce l'entrée des Versaillais. C'est un appel aux armes : Place au peuple, aux combattants aux bras nus. L'heure de la guerre révolutionnaire a sonné !... — derniers clichés du jacobinisme expirant.

Dans cette journée, les troupes de Versailles occupent Paris jusqu'au palais de l'Industrie, la rive gauche par le quai, le ministère des affaires étrangères, le Champ-de-Mars, l'École militaire, et, bientôt, Vaugirard, les Invalides, le Palais-Bourbon, la gare Montparnasse ; sur la rive droite, toute la région comprise entre la gare Saint-Lazare et la place Clichy. On dirait qu'on va pouvoir en finir d'un seul coup. M. Thiers télégraphie aux préfets, le 21 mai, à 6 h. 30 du soir :

La porte de Saint-Cloud vient de s'abattre sous le feu de nos canons. Le général Douay s'y est précipité, et il entre en ce moment dans Paris avec ses troupes. Les corps des généraux Ladmirault et Clinchant s'ébranlent pour le suivre.

Si les troupes de Versailles eussent précipité le mouvement, peut-être eussent-elles profité du désarroi des fédérés et enlevé rapidement toute la ville. Mais, on veut, à tout prix, éviter un échec ; on appréhende l'explosion des mines ; on s'entoure de précautions ; on avance prudemment, souvent à la sape et en fouillant les maisons suspectes.

Dans la nuit du lundi au mardi, les courages se relèvent parmi les fédérés. La résistance reprend quelque espoir. Un soleil brûlant éclaire la ville. Le tocsin sonne ; la générale bat. Les fédérés descendent des faubourgs. Ils viennent tous et, se sentant plus nombreux, s'encouragent. Les barricades sont occupées. On en construit de nouvelles. Il y en eut cinq cents, dit-on, dans Paris.

Les quartiers du centre font comme un bloc, ayant pour front les défenses formidables de la place de la Concorde, de la rue Royale, du boulevard Malesherbes, de la place Clichy sur la rive droite ; les barricades de la rue du Bac, de la rue Vavin, de la rue de Rennes, de la Croix-Rouge, du Panthéon sur la rive gauche ; et, comme réduit, Montmartre ; les Buttes-Chaumont, le Père-Lachaise, les Gobelins, la Butte-aux-Cailles. C'est une place forte dans une place forte. La vraie bataille va s'engager. L'état psychologique n'est plus le même. De part et d'autre, une abominable fureur arrache tous ces hommes à l'humanité.

Le mardi 23, à quatre heures du matin, les troupes qui ont bivouaqué dans les rues reprennent l'attaque. C'est Montmartre qui est visé. On s'attendait à un rude combat. La butte est enlevée, vers deux heures, presque sans coup férir. On dit que l'argent a facilité l'opération redoutable. Dombrowski, battu à la Muette, s'est replié. Il est blessé mortellement ; il meurt, ayant à la bouche ce mot qui indique une préoccupation suprême : Et ils disent que je les ai trahis ! Son corps est porté à l'Hôtel de Ville, déposé sur le lit de Mlle Haussmann, et les fédérés l'accompagnent, le lendemain, avec une sorte de pompe, jusqu'au Père-Lachaise.

La bataille est terrible au faubourg Saint-Honoré, au boulevard Malesherbes, à la Madeleine, à la rue Royale, à la terrasse des Tuileries. Là, commande Brunei qui, lui aussi, sort de prison.

Cependant, par la prise de Montmartre, cette formidable place d'armes est tournée. Brunel, exécutant les-ordres donnés par Delescluze, commence les incendies, eu mettant le feu aux maisons de la rue Royale qui avoisinent les barricades.

Les Tuileries et le Louvre sont cernés. Dans le grand salon des Tuileries, Bergeret tient un conseil de guerre. Il fait enduire les appartements de pétrole, fait amener des tonneaux de poudre et ordonne l'incendie du palais.

Sur la rive gauche, les troupes qui marchent sur le Panthéon sont arrêtées à la Croix-Rouge, à la rue de Rennes, à la caserne Bellechasse. Elles descendent pourtant jusqu'au quai, par la Légion d'honneur. Mais, avant de se replier, les fédérés ont mis le feu à la rue de Lille, au palais du Conseil d'État et de la Cour des Comptes, au palais de la Légion d'honneur, où le général Eudes, avant de déguerpir, n'oublie pas de faire sa main.

Après deux heures de lutte, les fédérés qui ont défendu la barricade de la rue Vavin se retirent ; mais, auparavant, ils font sauter la poudrière du Luxembourg. Toute la rive gauche est secouée comme par un tremblement de terre.

A la mairie du XIe, où Delescluze agonise, il parle encore d'une voix basse, et son aspect est si navrant, que, dans une telle journée, il émeut encore les assistants. D'après ses ordres, on prépare la défense du côté de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine.

La nuit venue, Brunei abandonne la rue Royale. A trois heures du matin, Bergeret fait sauter les Tuileries. Notre-Dame et l'Hôtel-Dieu ne sont sauvés que par le courage du personnel de l'hospice, dirigé par M. Brouardel. Tout brûle. Tout saute. Nuit affreuse.

La Porte Saint-Martin, l'église Saint-Eustache, la rue Royale, la rue de Rivoli, les Tuileries, le Palais-Royal, l'Hôtel de Ville, la rive gauche depuis la Légion d'honneur jusqu'au Palais de Justice et la Préfecture de police sont d'immenses brasiers rouges ; au - dessus, montent de hautes colonnes ardentes. Du dehors, tous les forts tirent sur Paris. Dans Paris, Montmartre, maintenant aux mains des troupes versaillaises, tire sur le Père-Lachaise ; le Point-du-Jour tire sur la Butte-aux-Cailles qui répond. Les artilleurs se canonnent à travers la ville et au-dessus de la ville. Les obus tombent partout. Tous les quartiers du centre se combattent. C'est un effroyable chaos ; corps et âmes se heurtent sur un monde qui s'écroule.

La nuit est obscure. Le ciel est noir. Un vent violent se lève. Il vient du sud et, crache, dans une rafale enflammée, toute la fumée, toute l'horreur de l'immense incendie vers l'ouest, vers l'ennemi, Versailles, et vers ces coteaux de Saint-Cloud, du haut desquels les membres du gouvernement, les membres de l'Assemblée, éclairés de loin par la sinistre lueur, viennent assister à une catastrophe où la ville va peut-être s'abîmer.

M. Thiers était rentré dans Paris, le lundi 22, à trois heures du matin, par la porte du Point-du-Jour. M. Jules Ferry, maire de Paris, avait accompagné le premier bataillon de chasseurs qui, suivant la rive gauche, avait occupé le ministère des affaires étrangères que venait de quitter M. Paschal Grousset. C'est là que siège le gouvernement ; c'est là que le maréchal de Mac Mahon établit son quartier général. Tous les ordres partent de là. M. Thiers, cependant, se tient en relation constante avec l'Assemblée nationale, qui continue à siéger à Versailles.

Le 18 mai, il avait dû faire un grand effort pour arracher à l'Assemblée, en discussion publique, le vote qui ratifiait la paix de Francfort[25].

Il vient presque chaque jour, tenant l'Assemblée au courant des faits, calmant les impatiences et prenant, peu à peu, le rôle de modérateur, qui va devenir si nécessaire.

Le 22 mai, il monte à la tribune et fait une communication émouvante, qui annonce l'entrée des troupes dans Paris. L'Assemblée vote d'acclamation et, à l'unanimité la motion suivante : L'Assemblée nationale déclare que les armées de terre et de mer, que le chef du pouvoir exécutif de la République française ont bien mérité de la patrie.

M. Thiers se montre très heureux, trop heureux peut-être ; il n'a plus soixante-quatorze ans, mais quarante au plus ! Les plus ardents le pressent de ne faire ni grâce ni merci. Les décisions de groupes, les démarches personnelles se multiplient auprès de lui, l'assaillent dans son cabinet. La nouvelle des désastres qui ruinent et ensanglantent Paris affole tous les esprits.

Quels doivent être les sentiments dans le fort du combat, les corps énervés, les âmes furieuses, quand, à l'abri du péril, un homme de sang-froid comme M. Martial Delpit, écrit à sa femme, le 24 mai, traduisant, en une seule phrase, les impressions unanimes : ... Il peut se faire que notre maison soit brûlée à cette heure. On affirme que les Tuileries, le ministère des finances, la Cour des Comptes n'existent plus. Les brigands ont mis le feu et se sont sauvés. C'est comme à Münster : ce sont des anabaptistes. Et on caressera ces misérables pour qu'ils infectent les générations futures ! M. Francisque Sarcey, homme de bon sens notoire, écrit : Des aliénés de cette espèce, et en si grand nombre, et s'entendant tous ensemble, constituent, pour la société à laquelle ils appartiennent, un si épouvantable danger, qu'il n'y a plus d'autre pénalité possible qu'une suppression radicale. M. Pessard dénonce ces brigands, les femelles aux mamelles pendantes. Le Paris-Journal attaque les tièdes, publie un article intitulé : l'Art de reconnaître les pétroleuses.

On demande à M. Thiers comment il entend organiser la répression. Le 22 mai, il déclare à l'Assemblée : C'est par les voies régulières que justice sera faite. Les lois seules interviendront ; l'expiation au nom de la loi et par la loi. On le presse. Le 25 mai, il renouvelle ses déclarations : La conscience publique doit être implacable ; mais elle doit l'être suivant la loi, avec la loi, par la loi. Les départements de la Seine et de Seine-et-Oise étant en état de siège, il appartenait à l'autorité militaire, en vertu de la loi du 9 août 1849 et aux termes du code de justice militaire, d'instruire et de poursuivre toutes les affaires se rattachant à l'insurrection.

Les prisonniers affluent déjà. Mais la Commune n'est pas encore vaincue. Dans la ville, toutes les fureurs sont déchainées. Au cours d'une lutte atroce, où toutes les Ames sont hors d'elles-mêmes, la folie du sang devient universelle. Les bruits les plus affreux se répandent : qu'on assassine les soldats, qu'on les empoisonne, que les pompiers mettent du pétrole dans les pompes. On affirme maintenant que la Commune, dans un dernier râle de fureur, a, assassiné les otages.

En effet, le mercredi 24, Chaudey, d'une part, des agents de police, des prisonniers sont fusillés de sang-froid à Sainte-Pélagie, par ordre du prétendu tribunal révolutionnaire présidé par Raoul Rigault. A la Roquette, dans la nuit du 24 au 25, sur l'ordre écrit de Ferré, transmis par Centon, juge d'instruction de la Commune, un peloton commandé par un capitaine fédéré, Vérig, a massacré l'archevêque de Paris, l'abbé Deguerry, les Pères Clerc, Ducoudray, Allard et M. Bonjean[26]. La mort est partout. Le mot, de part et d'autre, sera désormais : Pas de quartier. Le même jour, à dix heures du matin, quinze membres de la Commune sont réunis à l'Hôtel de Ville. Ils décident de le brûler. Le feu est mis dans les combles. Bientôt le vieil édifice municipal est en flammes.

Le 25, jeudi, la nouvelle ligne de la défense est au pont d'Austerlitz, appuyée sur Mazas ; elle couvre encore tout le sud-est de Paris. C'est un autre siège qui commence, un nouvel assaut qu'il faut donner. Les troupes sont épuisées. Mais les derniers combattants sont décidés à périr. Les femmes, les enfants sont sur les barricades et font le coup de feu. Une étrange fureur excite ces courages débiles. Ils luttent encore, quand les hommes quittent les barricades. A Mazas, les prisonniers de droit commun se révoltent. A l'avenue d'Italie, les dominicains d'Arcueil et leurs serviteurs sont massacrés par les gardes nationaux du Iole bataillon fédéré, commandé par Serizier.

Cependant, le pont d'Austerlitz est enlevé. La Butte-aux-Cailles, où Wroblewski a résisté avec énergie, est occupée. Toute la rive gauche est prise, jusqu'à la gare d'Orléans. On se bat encore au Château-d’Eau et à la Bastille. La place de la Bastille est tournée par le chemin de fer de Vincennes. Tous les survivants de la lutte, les hommes désespérés sont réunis à la mairie du XIe, au boulevard Voltaire, autour de Delescluze, que l'on écoute encore.

Vermorel, à cheval, ceint de l'écharpe rouge, parcourt les barricades, encourage les hommes, cherche et amène des renforts. A midi, vingt-deux membres de la Commune et du Comité central sont réunis. Arnold fait part d'une proposition de M. Washburne, ministre des États-Unis, proposant la médiation des Allemands. Delescluze se prête à cette négociation : il veut gagner la porte de Vincennes. Mais il est repoussé par les fédérés, qui l'accusent de défection. Il rentre, revient à la mairie. Il écrit à sa sœur une lettre d'adieu.

Vers sept heures du soir, Delescluze part, accompagné de Jourde et d'une cinquantaine de fédérés, marchant vers la place du Château-d'Eau. Il était vêtu correctement, chapeau de soie, pardessus clair, redingote et pantalon noirs, écharpe rouge autour de la ceinture ; il se distinguait, par son vêtement civil, de son entourage, aux uniformes en lambeaux. Il était sans arme et s'appuyait sur une canne. Il rencontre Lisbonne, blessé, que l'on rapportait dans une voiture à bras, puis Vermorel, blessé à mort, soutenu par Theisz et Avrial. Il lui dit quelques mots, le quitte. Le soleil se couchait derrière la place. Delescluze, saris regarder s'il était suivi, s'avance du même pas, le seul être vivant sur la chaussée du boulevard Voltaire. Il ne lui restait plus qu'un souille ; il se traînait. Arrivé à la barricade, il oblique à gauche et gravit les pavés. On vit apparaître sa figure avec sa courte barbe blanche, puis sa haute taille. Subitement, il disparut. Il venait de tomber foudroyé[27].

La nuit, tandis que le centre de Paris n'était qu'un immense brasier, l'incendie gagne les quartiers qui se défendent. Feu au Château-d'Eau, feu au boulevard Voltaire, feu au Grenier d'abondance. La Seine, dont le flot est déjà rougi par le sang, roule à travers Paris, comme un rouge lit de flammes ; les pailles du Grenier d'abondance, les papiers des diverses archives font, dans l'air, une pluie d'étincelles ; l'air est embrasé, empesté, on ne respire plus que l'incendie et le massacre.

A partir du jeudi 25, les exécutions se multiplient. Au séminaire Saint-Sulpice, une ambulance de fédérés, dirigée par le docteur Faneau, et où l'on dit que des combattants se sont réfugiés et ont tiré sur la troupe, est passée par les armes. Partout, sur les barricades, les gardes nationaux pris les armes à la main sont fusillés. On pénètre dans les maisons, ou les fouille ; tout ce qui est suspect, tout ce qui parait suspect est en danger. Les soldats, noirs de fumée, sont les instruments aveugles de la vindicte publique, parfois aussi, des vengeances particulières. Leurs chefs ne tiennent pas toujours :compte Lies ordres formels donnés par le maréchal de Mac Mahon et qui interdisent les violences inutiles. Souvent, aussi, les officiers essaient en vain de contenir la fureur des troupes exaspérées. Une vareuse de garde nationale, un pantalon à bandes rouges, des mains noires, une épaule paraissant meurtrie par la crosse du fusil, une paire de godillots aux pieds, une mine suspecte, l'âge, la taille, un mot, un geste suffisent.

Des cours martiales sont instituées au Châtelet, au Collège de France, à l'École militaire, dans plusieurs mairies. Les prisonniers, ramassés en foule sur tous les points où la résistance s'est produite, et on peut dire, dans toute la ville, sont envoyés devant ces tribunaux improvisés, qui procèdent à une classification sommaire. Soit dans les rues, soit même devant ces tribunaux, combien d'exécutions précipitées, combien de jugements qui valent ces exécutions[28] !

Le vendredi 26, la lutte est concentrée à Belleville d'abord, et à la place du Trône. A Belleville, à la mairie du XIe, ce qui reste du Comité central a repris, la direction, avec Varlin. On confie le commandement. à Hippolyte Parent. Ferré accomplit, jusqu'au bout, la mission horrible qu'il s'est donnée. Après une odyssée dans les rues, qui n'est qu'une longue agonie, quarante-huit otages, prêtres, sergents de ville, pères jésuites sont massacrés rue Haxo. Vers le soir, le banquier Jecker est fusillé au Père-Lachaise.

Par contre, au Panthéon, Millière, qui n'a pris parti qu'au dernier moment, Millière, qui, longtemps, s'est interposé, Millière, sur qui pèse une fatalité et peut-être une implacable haine, Millière est fusillé, les bras croisés, sur les marches du Panthéon.

La Bastille succombe vers deux heures. La Villette tient encore. B pleut. Des souffrances indicibles accablent les combattants épuisés. La bataille se concentre, maintenant, dans les quartiers extrêmes, non loin des grand'gardes de l'armée allemande, qui assistent, impassibles, à cc spectacle, se contentant de refouler les fuyards qui se précipitent de ce côté. Du haut des remparts, on voit les régiments prussiens sous les armes.

On se bat encore, le samedi 27. Il fait un temps affreux. Le ciel est livide. Le brouillard d'abord, puis une pluie torrentielle. On se bat à la Villette, on se bat à Charonne, on se bat à Belleville. Le centre de la résistance est toujours à la mairie du XIe et aux buttes Chaumont. Rue Haxo, Ranvier ramène aux barricades les derniers combattants. Ferré conduit une troupe de lignards prisonniers qu'il veut fusiller encore ; la foule les délivre. Il retourne à la Roquette pour emmener de nouvelles victimes, mais les trois cents hommes enfermés là résistent. Seuls, ceux qui essayent de s'échapper périssent, et bientôt Ferré s'enfuit, au galop de son cheval, sur le cri qui retentit : Voilà les Versaillais !

Le samedi soir, deux centres de résistance subsistent, au XIe et au XXe arrondissement. Cinq ou six membres de la Commune, Trinquet, Ferré, Varlin, Ranvier tiennent encore à Belleville. Quelques centaines de fédérés se sont jetés dans le Père-Lachaise, décidés à se battre et à mourir derrière les tombes.

Le dimanche, à quatre heures du matin, le Père-Lachaise est enlevé, après une courte lutte. Les deux ailes de l'armée de Versailles qui ont enveloppé Paris se rejoignent à la rue Haxo, où elles s'emparent de trente pièces d'artillerie des fédérés. La mairie du XIe est prise, après une résistance désespérée.

Les derniers groupes fédérés, conduits par Varlin, Ferré, Gambon, errent du XXe arrondissement au XIe. Rue Fontaine-au-Roi, Louis Piat arbore le drapeau blanc et se rend avec une soixantaine de combattants. La dernière barricade est rue Ramponneau. Un seul fédéré la défend. Il s'échappe. Les derniers coups de fusil sont tirés. A une heure tout est fini. Le drapeau tricolore flotte sur toute la ville.

Le 29, le fort de Vincennes, défendu par 375 hommes d'infanterie, dont 24 officiers, se rend, après avoir vainement tenté de négocier avec les Allemands. Le soir, dans les fossés, 9 officiers sont passés par les armes.

Le maréchal de Mac Mahon fait afficher la proclamation suivante, le dimanche à midi :

Habitants de Paris,

L'armée de la France est venue vous sauver. Paris est délivré. Nos soldats ont enlevé, à quatre heures, les dernières positions occupées par les insurgés.

Aujourd'hui, la lutte est terminée, l'ordre est rétabli, le travail et la sécurité vont renaître.

Maréchal DE MAC MAHON,

duc de Magenta.

Le même jour, à 'Versailles, l'Assemblée nationale assiste à la messe d'actions de grâces dite à l'église Saint-Louis. Un témoin écrit : Nous sortons de l'église Saint-Louis, où nous avait réunis la cérémonie des prières publiques. Chacun était ému et humilié, et, en vérité, les plus récalcitrants fléchissaient le genou. La cérémonie a été belle et imposante ; la musique était purement militaire et d'un effet grandiose. M. Thiers arrivant, vêtu de sa redingote noire, suivi du ministre de la guerre et d'un brillant état-major, avait assez grand air. Il a maigri à peine : sa contenance, mélange de douleur concentrée et de dignité, ne représentait pas mal le rôle du grand citoyen impassible au milieu des ruines et des plus affreuses calamités.

La lutte est finie ; les armes sont tombées. Ceux qui ont frappé sont frappés maintenant et ceux qui ont souffert de la folie des uns souffrent de la vengeance des autres.

Des soixante-dix-neuf membres de la Commune, siégeant au 21 mai, un seul était mort sur les barricades : Delescluze ; Jacques Durand et Raoul Rigault avaient été fusillés ; Brunei et Vermorel étaient grièvement blessés ; Protot, Oudet et Frankel, légèrement. Tous les autres étaient en fuite ou disparus. Varlin allait être bientôt dénoncé et passé par les armes. Félix Pyat, Vallès, Miot, Cluseret s'étaient enfuis.

On arrêta Jourde, Paschal Grousset, Assi, Ferré. Celui-ci, le plus criminel peut-être, devait être condamné et fusillé. Rossel fut condamné, également, et fusillé. On fut sans pitié pour Gaston Crémieux, qui mourut bravement. On fit aussi le procès d'Urbain, Billioray, Trinquet, Champy, Régère, Rastoul, Verdure, Descamps, Joseph Clément, Victor Clément, Courbet.

Si les chefs échappèrent pour la plupart, les satellites ou les simples gardes nationaux furent cruellement frappés. On évalue à dix-sept mille le nombre des hommes qui périrent, sans autre forme de procès, dans cette horrible mêlée. Les cimetières, les squares, les jardins particuliers ou publics virent s'ouvrir des tranchées, où furent déposés, sans contrôle et sans liste, par milliers, des cadavres anonymes.

Trente-cinq mille huit cents prisonniers furent dirigés sur Versailles, campés à Satory ou enfermés dans deux propriétés des environs et dans les prisons de la ville, puis, après un premier interrogatoire, évacués sur Brest, sur Lorient, sur Cherbourg, sur La Rochelle et Rochefort. Jusqu'en 1875, le nombre total des arrestations monta à quarante-trois mille cinq cent vingt et une. Vieillards, jeunes gens, hommes mûrs, femmes, enfants, toutes les conditions et tous les âges figuraient dans ces troupeaux pitoyables. Voici la page, trop élégante peut-être, où Théophile Gautier décrit la rencontre d'une de ces bandes :

Il faisait une chaleur horrible... Le soleil versait sur la terre des cuillerées de plomb fondu. Ces malheureux, amenés de Paris à pied, par des hommes à cheval qui les forçaient ; involontairement, de presser le pas, fatigués du combat, en proie à d'affreuses transes, haletants, ruisselants de sueur, n'avaient pu aller plus loin... Ils avaient dû s'accroupir et se coucher à terre, comme un troupeau de bœufs que leurs conducteurs arrêtent à l'entrée d'une ville. Autour d'eux, leurs gardiens formaient le cercle, accablés, comme eux, de chaleur, se soutenant à peine sur leurs montures immobiles et s'appuyant hi poitrine au pommeau de la selle... La foule des prisonniers râlait... Une soif ardente, inextinguible, brûlait ces misérables, altérés par l'alcool, le combat, la route, la chaleur intense, la fièvre des situations extrêmes et les affres de la mort prochaine, car beaucoup croyaient trouver la fusillade au terme de leur voyage. Ils haletaient et pantelaient comme des chiens de chasse, criant d'une voix enrouée et rauque : De l'eau, de l'eau, de l'eau !... Dans cet état, des bêtes même eussent inspiré la pitié !...

Ce fut l'exode forcé de toute une région de la grande ville. Ce fut la terreur et la suspicion répandues sur la ville tout entière. Il y eut 350.000 dénonciations. Personne n'était à l'abri. Les camps autour de Paris virent des souffrances sans nom. On jugea partout : Sur la proposition de M. Bérenger, 22 conseils de guerre supplémentaires furent institués ; 46.835 procès furent instruits et jugés. Il y eut 23.727 ordonnances de non-lieu ; 10.137 condamnations contradictoires : 95 condamnations à mort contradictoires et 120 par contumace ; outre Ferré, Rossel et Gaston Crémieux, Philippe et vingt-deux autres furent fusillés ; 1.169 déportations dans une enceinte fortifiée, 3.417 déportations simples, 1.247 détentions, 332 bannissements, 9.51 travaux forcés, dont 94 à perpétuité, 4.873 peines diverses ; 23.727 personnes, dont 623 femmes et 458 enfants, furent mises en liberté, bénéficiant d'une ordonnance de non-lieu. Il y eut 9.291 refus d'informer et 2.451 acquittements. Les jugements par contumace complètent le total. Sur les 9.600 individus condamnés contradictoirement, 1.891 bénéficièrent d'un avis favorable de la commission des grâces, instituée auprès de M. Thiers par l'Assemblée nationale (loi du 17 juin 1871). Les conseils de guerre ont cessé de fonctionner le 31 décembre 1875.

Pendant des années, la tribune elle-même se tut. Et pourtant, il y avait là des représentants de Paris, des hommes qui connaissaient cette population, ses fautes, ses violences, mais aussi ses illusions, ses souffrances, ses égarements. MM. Henri Brisson et Louis Blanc déposèrent, il est vrai, des propositions d'amnistie, en septembre 1871 et en juillet 1872. Mais, on considéra ces initiatives comme de simples manifestations. Il fallut la réunion d'une nouvelle assemblée. Il fallut la parole et l'autorité de Gambetta, pour que l'amnistie pleine et entière fût obtenue, neuf ans après.

L'indulgence était-elle donc impossible ? Les âmes étaient-elles inaccessibles à la pitié ? Non. Il faut trouver une explication à cette étrange immobilité des cœurs.

Quand une partie de la nation s'élève contre la nation elle-même, et cela, en présence de l'étranger, une fureur inouïe s'empare du corps social tout entier. Il craint de périr. Il se débat devant le danger qui le menace. Il frappe les éléments qui se séparent de lui. Il se frappe lui-même et se fait, aveuglément, les plus cruelles blessures. Sa colère est longue à s'apaiser.

Paris a expié cruellement l'erreur où des hommes légers et des hommes coupables le précipitèrent. Paris a perdu 80.000 citoyens.

Après l'héroïsme et les souffrances du siège, Paris ne méritait pas une si cruelle destinée.

 

 

 



[1] Principaux ouvrages consultés : Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars 1871, 3 vol. in-4° (publication de l'Assemblée nationale) ; Général APPERT, Rapport d'ensemble sur les opérations de la Justice militaire, relatives à l'insurrection de 1871, 1 vol. in-4° (publication de l'Assemblée nationale) ; Arthur ARNOULD, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Bruxelles, 1878, 3 vol. in-18 ; BESLAY, Mes Souvenirs, Paris, 1873, 1 vol. in-18, et La Vérité sur la Commune, Bruxelles, 1877, 1 vol. in-18 ; Maxime DU CAMP, Les Convulsions de Paris, Paris, 1878, 4 vol. in-8° ; CLUSERET, Mémoires, 3 vol. in-18 ; Paul CHASTEAU, Recueil des dépêches françaises officielles, du 16 février au 27 mai 1871, Paris, 1871, 1 vol. in-12 ; Jules FAVRE, Histoire du Gouvernement de la Défense nationale, Paris, 1871, 3 vol. in-8° ; Louis FIAUX, Histoire de la guerre civile de 1871, Paris, 1879, 1 vol. in-8° ; Fr. JOURDE, Souvenirs d'un membre de la Commune, Bruxelles, 1877, 1 vol. in-8° ; Journal officiel de la Commune (réimpression), 1 vol. in-4° ; LEFRANÇAIS, Étude sur le mouvement communaliste à Paris en 1871, Neuchâtel, 1871, 1 vol. in-16 ; LISSAGARAY, Histoire de la Commune de 1871, Bruxelles, 1876, 1 vol. in-16 ; Maréchal DE MAC MAHON, L'Armée de Versailles depuis sa formation jusqu'à la complète pacification de Paris (rapport officiel) ; Camille PELLETAN, La Semaine de Mai, Paris, 1880, 1 vol. in-16 ; V. ROSSEL, Papiers posthumes, Paris, 1871, 1 vol. in-8° ; Jules SIMON, Le Gouvernement de M. Thiers, Paris, 1878, 2 vol. in-8° ; Général VINOY, L'Armistice et la Commune, Paris, 1872, 1 vol. in-8° avec atlas.

[2] Enquête parlementaire sur le 18 mars, déposition du général D'AURELLE DE PALADINES.

[3] Je ne puis pas me donner comme une personne connaissant très bien Paris. Le Gouvernement de la Défense nationale (t. III, p. 37). — M. Rouher fait, quelque part, la même confidence sur lui-même. Tous deux allèguent, comme explication, leurs trop nombreuses occupations.

[4] LEFÈVRE, Histoire de la Ligue d'union républicaine des droits de Paris (p. 11).

[5] Enquête sur l'insurrection du 18 mars, déposition du général TROCHU (p. 31.)

[6] Déposition de M. CHOPPIN.

[7] Arthur ARNOULD, Histoire populaire et parlementaire de la Commune (t. III, p. 119).

[8] Contrat social, édit. Dreyfus-Brissac (p. 407 et suivantes). Voici quelques extraits de la première rédaction du Contrat social : Une règle fondamentale pour toute société bien constituée et gouvernée légitimement, serait qu'on en pût assembler aisément tous les membres toutes les fois qu'il serait nécessaire... Il suit de là que l'État devrait se borner à une seule ville tout au plus... Presque tous les petits États, république et monarchie indifféremment, prospèrent par cela seul qu'ils sont petits... Et encore : Appliquez-vous à étendre et à perfectionner le système des gouvernements fédératifs, le seul qui réunisse les avantages de grands et des petits États... Il y a un certain parti à tirer, au sujet des origines de la pensée de Jean-Jacques, d'un curieux ouvrage de M. Jules VUY : Origine des idées politiques de Jean-Jacques Rousseau, Genève, 1889. — V. aussi H. FAZY, La Constitution de la République de Genève, Genève, Georg, 1890.

[9] Arthur ARNOULD, Histoire populaire et parlementaire de la Commune (t. III, p. 137-156).

[10] Dépositions du maréchal DE MAC MAHON et de J. Jules FERRY.

[11] Déposition de M. CHOPPIN, délégué provisoire à la préfecture de police, après la démission de M. Cresson et avant la nomination du général Valentin.

[12] Déposition de M. CHOPPIN, délégué à la préfecture de police.

[13] Voir, sur cet incident, la brochure de Mme Jules FAVRE, La vérité sur les désastres de l'armée de l'Est et sur le désarmement de la garde nationale, in-8°, 1883.

[14] Général TROCHU, Mémoires (p. 582).

[15] VALFREY, Histoire du traité de Francfort (p. 10).

[16] Mémoire rédigé pour sa défense, par Nestor ROUSSEAU, membre du Comité central.

[17] Déposition du maréchal DE MAC MAHON.

[18] Je reviendrai sur les sentiments de Gambetta à l'égard du mouvement communaliste. Pour le moment, il suffit, pour les éclairer, de ce passage d'une lettre que lui écrit Spuller, le 11 avril 1871 : Pour moi, je crois que le mouvement communaliste sera défait... La République, il faut bien le dire, court les plus grands périls. Peut-être est-elle frappée à mort à l'heure qu'il est, et devrons-nous user notre vie à préparer une génération nouvelle capable de la fonder, après avoir espéré, un instant, la fonder nous-mêmes. Revue de Paris, 1er juin 1900 (p. 454).

[19] Général VINOY, L'Armistice et la Commune (p. 138).

[20] Déposition de M. THIERS dans l'Enquête sur le 18 mars.

[21] Général VINOY, L'Armistice et la Commune (p. 240).

[22] LISSAGARAY, Histoire de le Commune de 1871 (p. 121).

[23] Cf. le récit de LISSAGARAY et celui du vicomte DE MEAUX, n° du Correspondant du 10 mai 1902 (p. 440).

[24] Discours au Reichstag, du 2 mai 1871.

[25] Voir ci-dessous, le chapitre V.

[26] La Commune avait paru disposée à échanger Mgr Darboy contre Blanqui. L'archevêque lui-même avait supplié, par lettre, M. Thiers de consentir à l'échange proposé. Mais le gouvernement et la commission parlementaire, consultés, furent d'avis de rejeter ces offres, dans la crainte de voir s'opérer, dans Paris, des arrestations en masse ayant pour but d'assurer l'impunité des coupables.

[27] Récit de JOURDE dans ses Souvenirs et de LISSAGARAY dans son Histoire de la Commune.

[28] Il faut consulter, avec réserve toutefois, le livre de M. Camille PELLETAN, La Semaine sanglante, 1880.