L'ÉNIGME DE CHARLEROI

 

PAR GABRIEL HANOTAUX

de l'Académie Française

L'ÉDITION FRANÇAISE ILLUSTRÉE — PARIS

 

 

Préface.

I — La Manœuvre de Belgique. - Les Combats  de la Sambre (16 août-25 août 1914).

II — La Manœuvre en retraite. - Les Combats de la Sambre dans leurs rapports avec la Bataille des Flandres.

 

PRÉFACE

Le nœud stratégique de la Bataille des Frontières, —  qui fui le premier acte de la Guerre de 1914, — réside dans les Combats de la Sambre, connus sous l'appellation trop restreinte de Bataille de Charleroi.

L'intérêt principal de l'histoire militaire consiste à déterminer les mouvements des masses et la raison des rencontres, à reconstituer, par l'étude des faits et de la carte, l'opération intellectuelle qui range les armées, les amène aux lieux des combats, les jette les unes sur les autres et force la victoire.

Tout mouvement militaire est le fils d'une pensée : c'est cette pensée (secrète) qui, retrouvée en quelque sorte sur le terrain comme la plus belle des armes, illumine tout de son reflet. Par elle, resplendissent le mérite des chefs, la valeur des soldats ; par elle se découvre la grandeur de l'homme à qui une nation confia ses destinées et qui anima, tout ensemble, les corps et les âmes, le généralisateur par excellence, — le général.

Dans la première période de la guerre de 1914, tant que la pensée réciproque des deux commandements ne se fut pas révélée, le nœud même des événements militaires, c'est-à-dire la Bataille de Charleroi, parut une énigme.

On ne comprenait pas pourquoi les hostilités, commencées dans l'Est, avaient soudain sauté dans l'Ouest; on fut surpris, atterré par le mystérieux communiqué : ... de la Somme aux Vosges ; tout s'obscurcit dans l'émotion universelle pour Paris menacé. On ne reconnut pas la vaste tentative d' encerclement de nos armées par les deux ailes (selon les doctrines de von Schlieffen) et l'on suivit à peine la belle parade de Joffre qui, se dérobant dès la première rencontre, prenait du champ et, après avoir refoulé l'aile gauche des Allemands, dans l'Est, rétablissait son propre équilibre vers l'Ouest et attirait l'ennemi dans le piège où il allait le saisir à la Bataille de la Marne.

De cette obscurité résulta l'énigme ; or, c'est la solution de cette énigme militaire — décisive pour l'histoire du monde, — que j'essaie d'apporter dans ces pages qui ne sont qu'un court résumé des chapitres plus développés de mon Histoire de la Guerre. Mes éditeurs ont pensé  qu'il convenait de rendre le plus possible accessible au public un récit qui établit d'une façon incontestable la supériorité du commandement français. Il est permis, après trois ans, de lui rendre cette justice qui n'est que la constatation de la simple vérité.

Malgré leurs indéniables succès, les Allemands furent battus dès les premières semaines du conflit qu'ils avaient voulu par les raisons qui les avaient portés à le vouloir. L'invasion de la Belgique par la rive gauche de la Meuse, était le secret mûrement médité et savamment élaboré par leur état-major, secret sur lequel ils comptaient comme sur un gage de prompte et décisive victoire.

Or, c'est l'invasion de la Belgique qui les a perdus et qui les perd chaque jour. Par orgueil et pédantisme  infatué, ils ont qualifié ce forfait de génial. En réalité, ce fut, non seulement un crime, mais une faute, — une faute colossale et la cause de leur première et irrémédiable défaite.

La folie de cette conception, et, par contre, la sagesse pondérée et ingénieuse de la conception militaire française sont mises en présence dans les pages qui vont suivre.

L'opinion jugera sur des documents et des renseignements précis, sur des faits, désormais établis dans leur réalité.

Tout le monde, aujourd'hui, sait lire une carte, suivre une manœuvre, comprendre un exposé militaire ; combien peuvent dire : J'étais là ; telle chose m'advint ! C'est à ce public, qui a payé si cher une expérience si douloureuse, que nous soumettons cette étude. L'énigme de Charleroi trouve dans la suite des événements, sa solution lumineuse, la Victoire de la Marne.

G. H.

Paris, 6 septembre 1917.