ÉTUDES ÉCONOMIQUES SUR L’ANTIQUITÉ

 

CHAPITRE I. — DE L’IMPORTANCE DES QUESTIONS ÉCONOMIQUES DANS L’ANTIQUITÉ[1].

 

 

Les questions économiques avaient, dans les sociétés antiques comme dans la nôtre, une importance prépondérante. On est tenté de croire que, si le souci des intérêts matériels est de tous les temps, c’est dans les siècles modernes, notamment de nos jours, qu’il en est arrivé à primer tous les autres. A cet égard les Grecs et les Romains ne diffèrent en rien de nous, et même chez eux la politique était très souvent conduite par l’économie politique.

Les anciens, lorsqu’ils réfléchissaient là-dessus, s’en rendaient bien compte eux-mêmes. Dans les premiers chapitres de son histoire, quand Thucydide s’efforce de montrer ce qu’était la Grèce avant sa génération, il ne parle guère que de l’état du commerce, de l’industrie, de l’agriculture, de la navigation ; bien plus, c’est à une raison tirée de cet ordre d’idées qu’il attribue une des plus grandes révolutions du passé ; l’établissement de la tyrannie dans la plupart des cités helléniques est, à ses yeux, une conséquence directe de l’accroissement de la richesse. L’auteur inconnu de l’opuscule qui a pour titre le Gouvernement d’Athènes, examine pourquoi les Athéniens sont si fortement attachés à leurs institutions démocratiques ; il explique ce fait par les avantages matériels qu’elles leur assurent. Il va plus loin ; il affirme que, s’ils tiennent à conserver l’empire de l’Archipel, et spécialement le privilège de juger leurs alliés, c’est parce que l’affluence des étrangers dans leur ville est pour les particuliers comme pour le trésor public une source de beaux profits. Ils obéissent encore, dit-il, à un autre calcul. Maîtres de la mer, ils peuvent aisément se procurer au dehors tout ce que leur pays ne produit pas, et c’est ainsi que les meilleures denrées de la Sicile, de l’Italie, de Chypre, de l’Égypte, de la Lydie, du Pont, du Péloponnèse viennent se concentrer au Pirée. Leur puissance leur confère une sorte de monopole commercial, et elle s’exerce autant dans le domaine politique que dans le domaine économique.

On sait avec quel soin scrupuleux Platon dans ses Lois règle la distribution des terres entre les citoyens de l’État qu’il prétend fonder ; il semble que les destinées tout entières de cet État dépendent de la manière dont le sol sera possédé. Il n’est pas moins préoccupé de limiter la richesse mobilière, parce qu’il est convaincu que, si elle se développe librement, elle jettera un trouble profond dans la cité.

Les philosophes grecs qui écrivirent sur ces matières pensaient, comme lui, que les discordes intérieures avaient leur origine dans des questions d’intérêt. Aussi s’appliquaient-ils à organiser de la façon la plus équitable la propriété foncière. Tel était ce Phaléas de Chalcédoine qui avait inventé des combinaisons ingénieuses pour garantir à jamais l’égalité des biens ruraux. Hippodamos de Milet et Hippodamos le Pythagoricien poursuivirent un objet analogue. Les Stoïciens et les Cyniques semblent avoir préconisé le communisme. Tous ceux en un mot qui conçurent des plans de réformes politiques imaginèrent en même temps des plans de réformes sociales et économiques, comme s’ils estimaient que les deux choses étaient inséparables.

Mais nul n’a mieux réussi qu’Aristote à montrer le lien qui doit les unir. D’après lui, une certaine espèce de gouvernement n’est bonne que dans une certaine société ; ainsi le milieu le plus propice à une sage démocratie serait un État où dominerait la classe agricole. Il proclame ce principe que les changements politiques proviennent presque toujours d’une rupture d’équilibre entre les classes ; qu’une d’elles grandisse par le nombre ou par la richesse, et une nouvelle répartition des pouvoirs s’ensuit nécessairement. Il montre que les lois relatives à la propriété ont une influence capitale sur l’esprit et le fonctionnement des constitutions. Il prouve que les partis se disputent plus volontiers le gain que les honneurs, et que le vainqueur succombe le plus souvent parce qu’il est trop enclin à puiser dans la bourse de ses adversaires. Tout cela nous atteste qu’on n’a pas attendu jusqu’à nos jours pour comprendre que la satisfaction des appétits matériels est la première nécessité de l’homme, et que c’est là le plus puissant moteur de la machine sociale comme de la machine humaine.

Si les anciens avaient une notion précise de ces faits, il est naturel que leurs institutions en aient conservé la trace. C’est en effet ce que révèle aux moins attentifs la connaissance de la vie antique.

Les Grecs et les Romains avaient au plus haut degré le goût des affaires et l’esprit de spéculation. De bonne heure naquirent sur le pourtour de la mer Égée des places de commerce, telles que Corinthe, Égine, Milet, Chalcis, dont les opérations s’étendaient au loin, et finalement Athènes les éclipsa toutes au Ve siècle avant Jésus-Christ. Ces villes ne se contentaient pas d’avoir des relations les unes avec les autres et avec les contrées voisines ; leur trafic avait déjà u n caractère mondial, et pénétrait dans toutes les terres explorées, même en plein pays barbare. Sans doute leur champ d’action nous paraît très restreint, si nous le comparons au nôtre ; mais c’était une entreprise hardie pour une cité asiatique du vue et du vie siècle que d’envoyer ses produits au fond de la mer Noire, en Égypte, en Étrurie et en Espagne. Cela supposait une force d’expansion aussi grande que celle qui pousse nos négociants au Japon ou en Australie. L’horizon commercial des Grecs s’élargit encore après les conquêtes d’Alexandre, et plus tard la création de l’empire romain eut pour effet de déterminer un courant régulier qui amenait au cœur de la Méditerranée certains objets de l’Inde, de la Chine, de l’Afrique centrale et des bords de la Baltique. Rome jouait alors un rôle pareil à celui de Londres ou d’Hambourg, avec cette différence qu’elle ne cessait d’importer, sans exporter autre chose que de l’argent.

L’État ne négligeait rien, surtout en Grèce, pour favoriser les transactions. Il existait des droits de douane ; mais ils n’étaient ni prohibitifs ni protecteurs ; ils avaient pour but plutôt de procurer quelques ressources au Trésor que d’écarter la concurrence étrangère, et on les maintenait à un niveau très bas. En Attique, ils ne dépassaient pas 2 p. 100, et il est probable que le Pirée était un port franc ; en Gaule, sous l’Empire, ils atteignaient à peine 2 ½ p. 100. Aristote déclare que le devoir d’un bon gouvernement est de connaître les objets susceptibles d’être exportés ou importés, afin de former des arrangements diplomatiques à ce sujet[2]. C’est un point que les Athéniens ne perdirent pas de vue. Ils ne signèrent pas, à vrai dire, de traités de commerce, et il n’y avait pas lieu d’en signer, du moins si l’on entend par là un accord qui stipule la suppression ou la réduction réciproque des tarifs douaniers ; car on sait combien ces tarifs étaient faibles. Mais ils se firent parfois consentir des avantages spéciaux, par exemple la faculté d’acheter tout le vermillon de l’île de Kéos et de l’exporter en franchise[3]. Les princes du Bosphore Cimmérien leur octroyèrent un traitement de faveur en ce qui concerne le blé. De même les Chalcidiens reçurent du roi de Macédoine Amyntas III le privilège de se pourvoir chez lui de poix et de bois de construction[4]. Les Romains se lièrent aussi par des conventions commerciales. Quand l’État eut aménagé les salines d’Ostie, ils s’engagèrent à approvisionner de sel les Sabins[5]. A deux ou trois reprises avant les guerres puniques, des traités intervinrent entre eux et les Carthaginois, pour établir sous quelles conditions les navires marchands de chaque peuple auraient accès dans les possessions de l’autre[6]. Un pacte conclu avec Tarente leur interdit longtemps de naviguer au delà du cap Lacinien, sur la côte de la mer Ionienne[7]. Le plus grand obstacle au trafic était en Grèce l’extrême variété des systèmes monétaires. On essaya d’y remédier par des unions semblables à notre Union latine. La monnaie athénienne finit même par être acceptée librement comme instrument d’échange international, et dans la suite il en fut de même des monnaies frappées par Philippe et Alexandre. C’est, au contraire, par voie d’autorité que Rome chercha à réaliser l’unité monétaire dans son empire, en donnant partout cours légal à ses monnaies d’or et d’argent, et en adaptant au type romain les monnaies locales dont elle tolérait la fabrication.

La juridiction consulaire, qui ne date en France que de trois siècles et demi, fonctionnait déjà chez les Athéniens. Il y avait un tribunal, celui des juges maritimes, qui connaissait des contestations nées entre gens de mer et négociants, pour expéditions faites d’Athènes ou sur Athènes. Afin d’éviter toute perte de temps, les audiences ne se tenaient que pendant la mauvaise saison, de septembre à avril, quand la navigation était suspendue, et il fallait que la sentence fût prononcée dans le délai d’un mois. L’arrêt était aussitôt exécuté, et, tandis que la loi prohibait la contrainte par corps en matière civile, elle l’admettait en matière commerciale.

S’il est un genre de trafic qui semble propre aux sociétés modernes, c’est le commerce de l’argent. Les capitaux sont si abondants autour de nous, ils rendent tant de services, ils engendrent tant d’abus, ils occupent enfin une si large place dans les esprits, et ils influent tellement sur les événements, qu’on se figure volontiers, par une illusion très naturelle, que cette force est d’origine toute nouvelle, et que les anciens ne l’ont pas connue. Il est indubitable que ceux-ci avaient beaucoup moins d’argent à leur disposition ; mais qu’importe, si, alors comme aujourd’hui, il était, sous une forme infiniment plus restreinte, un des outils essentiels de l’activité humaine ?

Les Athéniens savaient à merveille tirer parti de leurs capitaux. Ils distinguaient l’argent oisif et l’argent qui travaille, et ils voulaient que leurs drachmes travaillassent le plus possible. Quiconque avait des économies s’évertuait pour découvrir un emprunteur ; aussi remarque-t-on que la plupart des successions comprenaient quelques créances. C’était en effet un appât bien séduisant que l’espoir de toucher un intérêt de 12, 18 et même, quand on courait un gros risque, de 30 p. 100. Presque toutes les villes avaient des banques, qui se livraient à des opérations très diverses : garde des titres et rédaction des contrats, paiements soit sur sommes déjà consignées, soit avec des avances de fonds, comptes courants, change de place, crédit. Il y avait même des banques d’État, investies par la loi d’un véritable monopole[8].

A Rome, l’amour du lucre était si répandu que les soldats spéculaient pendant les expéditions militaires. Caton détestait les usuriers, et pourtant il finit par les imiter. L’honnête Brutus prêtait à de malheureux provinciaux sur le pied de 48 p. 100. Une classe entière, celle des Chevaliers, ne se composait guère que d’hommes de finance. Les capitalistes ne demeuraient pas toujours isolés : ils s’associaient souvent entre eux et constituaient des compagnies organisées sur le modèle des nôtres, avec des actionnaires et des commanditaires, un directeur, un conseil d’administration, des employés de tout ordre, des livres de caisse et de correspondance. On verra plus loin ce qu’étaient ces manieurs d’argent, la nombreuse clientèle qu’ils groupaient autour d’eux, les bénéfices qu’ils faisaient, et l’action énorme qu’ils exerçaient sur tout le gouvernement.

Le problème des subsistances a partout une gravité exceptionnelle, et il n’est pas étonnant qu’à Athènes il ait hanté les esprits. L’Attique tirait du dehors une bonne partie du blé qu’elle consommait ; elle était donc intéressée à se ménager l’accès des contrées où il était le plus abondant, notamment de cette région du Bosphore Cimmérien qui correspondait à la Russie méridionale. C’est pour cette raison que Périclès eut soin d’y installer, sur quelques points fortifiés, des garnisons athéniennes. Après la guerre du Péloponnèse, on évacua ces postes lointains ; mais dès lors la politique constante d’Athènes fut d’entretenir les relations les plus cordiales avec les maîtres du pays. Nous avons toute une série de décrets rendus en l’honneur des souverains du Bosphore ; ils sont autant de témoignages du prix qu’on attachait à leur alliance. Ce n’était pas assez d’y demeurer fidèle ; il fallait encore que les communications fussent toujours libres entre le Pirée et les ports des terres à blé. Jamais les Anglais ne surveillèrent la route des Indes d’un œil plus jaloux que les Athéniens celle du Bosphore. Il y avait un passage qu’il importait surtout de garder, c’étaient les deux détroits qui relient la mer Égée au Pont-Euxin. Au temps de leur hégémonie maritime, les Athéniens s’étaient empressés de rattacher à leur autorité la ville de Byzance ; de plus, ils avaient envoyé dans l’Hellespont des commandants militaires, sans doute avec des troupes et une escadre, pour en faire la police ; enfin la Chersonèse de Thrace était tout entière une colonie d’Athènes, en relations permanentes avec la métropole. La victoire définitive de Sparte mit un terme à cet état de choses. Mais, aussitôt qu’ils se furent relevés de leur défaite, les Athéniens portèrent de nouveau leurs regards sur les détroits, et une des premières cités qu’ils incorporèrent à leur empire restauré fut Byzance. La Propontide était si bien pour eux le point vulnérable par excellence, que Philippe de Macédoine employa toutes les forces de son armée et toutes les ressources de sa diplomatie pour les y supplanter, et l’on vit Démosthène faire tout exprès lé voyage pour conquérir l’amitié des inconstants Byzantins.

Le blé joua un rôle tout différent, mais aussi considérable, dans les commencements de la République romaine. Deux raisons principales plaçaient à cet égard les pauvres dans un état d’infériorité par rapport aux riches. Quand une guerre éclatait, le plébéien était appelé sous les armes, et, en son absence, son champ restait inculte. Le patricien servait comme lui, mais il laissait sur son domaine des esclaves pour le travailler, et il était sûr ainsi d’avoir toujours sa récolte. S’il survenait une disette, le riche, qui seul avait des capitaux, pouvait tirer de l’étranger de quoi se nourrir et de quoi ensemencer. C’était là un grand avantage qu’il avait sur le pauvre. Celui-ci, en effet, le jour où le blé lui manquait, était forcé d’en emprunter au riche, et l’on sait combien était précaire la condition de l’homme que le malheur réduisait à cette extrémité. Si sa mauvaise fortune l’empêchait de se libérer à l’échéance, il courait le risque de perdre sa liberté, et il n’échappait à l’esclavage que pour tomber dans la plus affreuse misère. Ainsi se justifie la dangereuse popularité dont jouit Spurius Mœlius, pour avoir simplement distribué du blé à la plèbe ; on crut que c’était le prix dont il voulait payer la couronne royale, et peut-être en eut-il véritablement le dessein. Parfois le Sénat achetait sur les marchés voisins de grandes quantités de grain qu’on vendait ensuite aux citoyens pauvres. C’était se ménager un moyen commode d’arracher aux plébéiens des concessions politiques ou de vaincre leur résistance. Un jour que Rome souffrait de la faim, Coriolan proposa de leur livrer du blé à bon compte, pourvu qu’ils consentissent à l’abolition du tribunat[9]. Il lui en coûta cher, dit on, d’avoir tenu ce langage ; mais il est possible que dans d’autres circonstances le procédé ait été appliqué avec plus de perfidie et de succès. Ihering explique par là les brusques alternatives de hardiesse et de résignation que l’on observe dans la conduite de la plèbe[10] ; elle cédait quand elle n’avait rien à manger et qu’elle attendait son pain de la noblesse.

L’état de la propriété foncière entraîne, pour le régime politique d’un pays, de graves conséquences. A n’est pas indifférent, par exemple, que le sol soit très morcelé, ou, au contraire, concentré en un petit nombre de mains. Dans les cités aristocratiques de la Grèce, on avait multiplié les précautions pour que la terre demeurât à perpétuité dans les mêmes familles. La terre était considérée comme la propriété collective des générations qui se succédaient, et chacune d’elles n’en avait que la jouissance. Il était défendu de la vendre, de l’hypothéquer, de la léguer, de la donner, de l’aliéner enfin de quelque manière que ce fût ; elle passait de plein droit du père défunt au fils survivant, et elle avait les caractères d’un bien plutôt familial qu’individuel. Les idées sur ce point se modifièrent avec le temps, et des règles nouvelles prévalurent, notamment à Athènes depuis Solon. La vente de la terre fut autorisée, et rendue facile par la suppression de toute formalité gênante. La liberté de tester fut proclamée sous certaines réserves. L’usage de constituer une dot aux filles devint pour le père une obligation morale, qui se transforma en un devoir strict pour les parents riches d’une orpheline pauvre. La loi prescrivit le partage égal des successions, du moins entre les enfants mâles, et l’aîné n’eut droit à un préciput que si la volonté du père l’exigeait. Tout individu eut la faculté de donner sa terre en gage à ses créanciers, et l’hypothèque servit de garantie aux biens des mineurs et aux biens dotaux comme aux dettes ordinaires. La terre ne fit plus corps avec la famille, et il fut désormais possible de rompre les liens qui unissaient l’une à l’autre. Elle se mobilisa, pour ainsi dire, de plus en plus, et elle circula aisément de mains en mains. Elle fut un objet de commerce comme tout le reste, et il suffit, pour l’acquérir, de pouvoir le payer. Aussi remarque-t-on qu’à la fin du y° siècle la petite et la moyenne propriété dominaient en Attique. Les trois quarts des citoyens possédaient le sol, et il suffisait d’avoir un bien d’une trentaine d’hectares pour figurer parmi les grands propriétaires. C’est pour ce motif qu’Athènes eut un gouvernement démocratique. La nature de ses institutions politiques fut déterminée par la nature de ses lois civiles. Tous les Athéniens participaient, en théorie et dans la pratique, à l’exercice de la souveraineté, parce qu’il n’y en avait presque aucun qui dans la vie privée fût asservi à autrui. Leur dignité de citoyen prenait sa source dans l’orgueil naturel à l’homme qui se sent maître sur un coin de terre où il est vraiment roi, et les pauvres s’égalaient aux plus riches, parce que la condition des uns et des autres, prise en elle-même, était identique.

Rome fut une république aristocratique pour une raison analogue à celle qui fit d’Athènes une démocratie. Comme le sol resta longtemps chez elle la source presque unique de la richesse et qu’il en fut toujours la source principale, c’est sur lui que se portèrent de préférence les convoitises ; c’est lui que la haute et la basse classe se disputèrent avec acharnement ; et il arriva que dans ce conflit la dernière finalement succomba. La grande propriété se développa de deux façons. D’abord le petit paysan fut amené de gré ou de force à céder son patrimoine au voisin qui le guettait pour arrondir ses domaines ; souvent même il s’estima très heureux de s’en débarrasser, quand la concurrence de l’étranger diminua tellement les prix des denrées agricoles que la culture cessa d’être rémunératrice. De plus les terres publiques que l’État abandonnait au premier occupant, moyennant une faible redevance, furent accaparées par les riches. Les détenteurs, il est vrai, n’en avaient que l’usufruit ; mais tous leurs efforts tendirent à Ies transformer en propriétés privées, et ils y réussirent, du moins en Italie, vers la fin du IIe siècle av. J.-C. Ainsi se constituèrent ces immenses latifundia dont parle Pline. La concentration fut poussée si loin, qu’un tribun avait le droit de constater en plein Forum qu’il n’y avait pas dans Rome deux mille propriétaires[11], alors qu’Athènes, dont la population était bien moindre, on comptait quinze mille.

Pour comble de malheur, il n’existait pas au-dessous des possesseurs du sol une couche de tenanciers ou d’ouvriers libres, chargée de l’exploiter. Les Romains aimaient mieux se servir d’un personnel d’esclaves gouverné par un intendant. Ce n’est pas que les frais de main-d’œuvre fussent, dans ce cas, moins élevés ; on calcule, au contraire, que le travail servile est, en somme, plus cher que l’autre. Mais il offrait des avantages qui compensaient, et au delà, cet inconvénient, je veux dire l’autorité absolue du maître sur l’esclave, le droit qu’il avait de s’approprier tous ses gains, toutes ses économies, les profits enfin qu’il retirait du croît de son troupeau humain comme du croît de son bétail. Le paysan ne fut donc pas seulement privé de sa terre, il perdit même le droit d’utiliser ses bras, et il fut condamné simultanément à la pauvreté et à l’oisiveté. Entraîné vert Rome par l’attrait de l’inconnu, par les séductions de la ville, par le désir d’y chercher fortune, il y retrouva la misère et le désœuvrement qu’il fuyait. Il dut demander une partie de sa subsistance à l’État ; le reste lui fut fourni par l’aumône dédaigneuse du riche. Théoriquement, il garda toute sa liberté ; au fond, il fut assujetti, sous le nom de client, à l’homme qui le nourrissait ; il conserva les titres et les prérogatives du citoyen ; il n’en eut plus la dignité. Ce n’était plus lui qui votait dans les comices, c’était son patron qui votait sous son nom. On avait beau proclamer l’égalité politique de tous les Romains, et les admettre tous dans les assemblées où se faisaient les lois, où étaient élus les magistrats ; l’abaissement de la plèbe assurait la domination de la noblesse, et le jour où cette multitude, écoutant la voix des ambitieux, essaya enfin de s’émanciper, ce ne fut pas la démocratie qu’elle créa, ce fut l’anarchie et le despotisme.

Depuis Machiavel et Montesquieu, on a beaucoup disserté sur les raisons des conquêtes de Rome, et on les a surtout expliquées par la puissante organisation des légions et par l’habile diplomatie du Sénat. Il est une autre cause qui peut-être fut plus efficace encore. C’est un fait singulier que partout, en Italie, en Grèce, en Gaule, le parti aristocratique fut favorable aux Romains, tandis que le parti démocratique leur était hostile. Serait-ce que celui-ci avait un patriotisme plus ardent et un amour plus vif de l’indépendance ? Il n’y a pas apparence qu’il ait eu le monopole de ce double sentiment. Si la haute classe résista mollement aux armes de Rome, ce fut pour d’autres motifs. Dans l’intérieur de chaque cité, les hommes étaient divisés par un violent antagonisme d’intérêts ; ils se disputaient non le pouvoir, mais la richesse ; suivant que telle ou telle faction gouvernait, c’étaient les pauvres qui se voyaient opprimés, ou les riches qui se voyaient dépouillés. Ces derniers, étant perpétuellement menacés dans leurs biens, allèrent chercher au dehors la protection que leur refusaient les institutions locales, et une sympathie toute spontanée les rapprocha de la cité où l’oligarchie était maîtresse. Quand les hommes ont à choisir entre la liberté et leurs intérêts matériels, c’est toujours la liberté qu’ils sacrifient. D’ailleurs une obstination trop grande à se défendre contre Rome exposait tous ces privilégiés à des dangers redoutables qu’ils avaient à cœur de conjurer. Comme la guerre conférait au vainqueur tous les droits sur le vaincu, ils étaient menacés d’une spoliation totale, au cas où leur soumission ne viendrait qu’après une défaite. Il y en eut quelques exemples, qui étaient faits pour intimider les, plus hardis. Il était tout simple pourtant qu’ils produisissent une impression moins forte sur ceux qui, n’ayant rien, n’avaient aussi rien à perdre : Quant aux autres, j’entends ceux à qui la fortune procurait toutes les jouissances de la vie, on conçoit qu’ils n’aient pas voulu en faire l’enjeu d’une lutte incertaine contre une nation qui savait vaincre et châtier, et lorsque le Sénat leur promettait un traitement d’autant plus doux qu’ils seraient eux mêmes moins revêches, il était évident qu’un pareil argument les toucherait. Il arriva ainsi que, dans chacune de ses guerres, Rome n’eut à combattre que la moitié du peuple qu’elle attaquait, tandis que l’autre moitié désirait son succès, quelquefois même y contribuait.

On rencontre fréquemment dans l’histoire romaine la mention de lois agraires, et l’on sait qu’elles avaient pour objet non pas de diminuer le nombre des propriétaires, en leur Ôtant de force leurs biens, mais, au contraire, de l’augmenter par des concessions de terres publiques. Ces terres étaient déjà occupées par autrui, généralement par des riches. Il fallait donc commencer par les leur reprendre. Nul ne contestait ce droit à l’État. Il avait toléré qu’on s’y établit ; mais, tant qu’on ne les aliénait pas expressément, il avait la faculté de les revendiquer à tout moment, et la prescription ne lui était pas opposable. Or l’homme s’attache facilement à la terre ; il se forme assez vite entre elle et lui des liens d’affection et d’intérêt dont la rupture, au bout de quelque temps, lui est douloureuse, et il a une tendance invincible à considérer comme étant sa propriété le sol qu’on lui confie à titre précaire. Ajoutez que ces parcelles avaient été transmises par héritage, par donation, par vente, par hypothèque. On y avait même exécuté des travaux de construction, de défrichement et d’aménagement, parce qu’on était habitué à l’idée de les garder toujours. De là vient que l’annonce d’une loi agraire avait pour effet de jeter le trouble parmi les possesseurs de l’ager publicus, non seulement parce qu’elle les menaçait de les appauvrir, mais aussi parce qu’elle faisait revivre, avec une sanction nouvelle, les droits surannés de l’État.

Les motions de ce genre se reproduisirent souvent dans le dernier siècle de la République. La richesse immobilière, par suite, fut dans un état permanent d’instabilité, et elle subit une dépréciation proportionnelle aux risques qu’elle courait. On avait beau apporter ou promettre des tempéraments dans l’application des mesures agraires, offrir même de larges indemnités à ceux qu’on évinçait. Ces dépossessions, si légitimes qu’elles fussent en principe, avaient l’inconvénient de montrer que l’État ne renonçait pas à ses droits. En outre, toute terre qu’il réclamait pour y installer un propriétaire de son choix était à jamais perdue pour ceux qui auraient pu l’occuper ou l’affermer, et beaucoup de personnes avaient leurs intérêts engagés dans l’exploitation des terres domaniales. Il y eut là pour le régime républicain une cause réelle d’impopularité, et un historien ancien semble en faire l’aveu, lorsqu’il dit que l’Empire rendit à chacun la certitude de n’être pas inquiété dans la jouissance de ses biens[12]. Désormais, en effet, on n’aperçoit plus la moindre trace d’une loi agraire.

La terre provinciale, même restée aux mains de ses maîtres, étaient réputée terre d’État, uniquement parce qu’elle avait été conquise. Le possesseur qui l’avait reçue de ses ancêtres n’en était officiellement que l’usufruitier. Quoiqu’il en disposât à sa guise, fi n’en était pas vraiment le propriétaire ; et le tribut qu’il payait tous les ans était la marque de la servitude qui la frappait. L’Empire modifia un peu ces conditions. Dès le début on procéda au census du monde romain, à l’inventaire détaillé de la propriété foncière. Fustel de Coulanges prête à cet acte une importance excessive. On se tromperait fort, disait-il, si l’on croyait qu’il ne s’agit ici que de cette mesure d’administration que les modernes appellent un recensement ou un cadastre. Inscrire une terre sur les registres du cens, c’était reconnaître légalement que la terre n’appartenait pas à l’État et qu’elle était le domaine propre d’une famille. L’inscription au cens était un titre de droit. Le cens avait double effet ; en même temps qu’il servait de base à la répartition de l’impôt foncier, il assurait aux hommes la propriété complète et absolue de leur sol. Il y a dans ce langage une exagération évidente. Sous l’Empire, l’inscription au cens constituait un titre seulement à l’égard des tiers, mais non pas à l’égard de l’État. La preuve c’est que les jurisconsultes de cette époque ne laissent aux provinciaux que la jouissance de leurs immeubles et en attribuent la propriété à Rome. Toutefois il est notoire que le droit de l’État était purement nominal et que dans la pratique nul n’en souffrait, sauf au point de vue fiscal.

L’Italie faisait exception à cette règle, parce qu’elle n’était habitée que par des citoyens romains. Là le sol pouvait appartenir pleinement aux particuliers, et le signe de ce privilège était l’exemption de l’impôt foncier. Or les empereurs étendirent à quelques municipalités provinciales la faveur dont bénéficiaient les Italiens. En leur conférant le jus italicum, ils décidaient que dans ces cités le sol serait susceptible de devenir un objet de propriété et que par conséquent il serait affranchi de toute taxe. On devine la popularité qui résulta pour le régime impérial de cette consolidation définitive de la propriété privée, sinon partout, du moins sur certains points.

Il n’est pas d’institution, il n’est pas de conception politique dans l’antiquité qui n’ait subi le contrecoup des idées économiques du temps. De nos jours, un des articles du programme démocratique est l’extension, aussi large que possible, des droits du citoyen. Le suffrage universel présente des défauts qui sautent aux yeux de tous, et pourtant il n’est pas un démocrate qui songe à le supprimer. Bien plus, on parle par moments d’admettre les femmes au droit de voter, et il a été fait la proposition d’accorder l’électorat politique et l’éligibilité aux indigènes d’Algérie. En Grèce, on était beaucoup plus rigoureux. Sous l’administration de Périclès, à l’époque où la démocratie était dans tout son éclat, on décida que, pour être citoyen, il fallait être né d’un père athénien et d’une mère athénienne, et l’on raya des listes 5.000 individus qui ne remplissaient pas cette condition. Cette règle tomba en désuétude durant la guerre de Péloponnèse ; elle fut remise en vigueur après la paix. Un détail conservé par Plutarque nous fait saisir le caractère véritable de cette double mesure La première de ces lois fut adoptée pendant une disette dont souffrit l’Attique. Un prince égyptien avait envoyé un chargement de blé, et il s’agissait de savoir qui aurait part aux distributions. On restreignit tant qu’on put le nombre des citoyens, pour qu’il y eût moins de personnes appelées à recevoir du grain. Ce ne fut pas un principe théorique, ni même une raison politique qui dans ce cas détermina les limites du pays légal, ce fut un intérêt matériel, une question d’assistance publique.

Aucune cité oligarchique ne veilla sur son livre d’or avec plus de soin que la démocratique Athènes sur ses registres civiques. Pour créer un nouveau citoyen, il fallait d’abord prouver que l’homme avait rendu des services à l’État, et qu’il méritait une récompense nationale. Il fallait ensuite que le peuple votât la prise en considération de la demande, puis que, dans une assemblée spéciale, la faveur fût décernée à une très forte majorité ; cela fait, il était encore loisible à tout Athénien d’intenter à l’auteur de la motion une accusation d’illégalité, et, si le procès aboutissait à la condamnation de ce dernier, le décret était, du même coup, annulé.

Pourquoi toutes ces précautions, qui contrastent singulièrement avec la précipitation que l’on mettait parfois à expédier des affaires beaucoup plus graves ? Elles ne tiennent pas seulement à l’orgueil de race, à une espèce de mépris instinctif pour l’étranger, à l’idée très haute que l’on avait du titre de citoyen. Elles tirent aussi leur origine d’une source moins noble. La concession du droit de cité entraînait le droit de posséder la terre ; or il est clair que plus il y aurait d’étrangers autorisés à acquérir le sol attique, moins il resterait de place pour les Athéniens de naissance ; c’est pour éviter cette concurrence qu’on était, en ces matières, si peu généreux. A cette préoccupation s’en joignait une autre. L’art de la politique, dans les États helléniques, était trop souvent l’art d’exploiter les ressources publiques au profit exclusif de la classe dominante. On avait bien cette opinion que dans une république sagement ordonnée les charges doivent être en proportion des droits, mais il n’était pas rare que cette règle salutaire fût violée. Le budget athénien n’était pas uniquement consacré aux dépenses d’intérêt général ; il était également destiné à nourrir les pauvres et à les amuser. L’impôt affectait la forme d’un prélèvement opéré sur la fortune des riches au bénéfice des autres, et comme les revenus de l’État étaient forcément limités, on éprouvait le besoin de réduire, ou tout au moins de ne pas trop augmenter le nombre de ceux qui participaient à la curée, pour que les portions fussent plus grosses. Voilà pourquoi on faisait bonne garde autour du titre de citoyen. Qu’on en soit très prodigue chez nous, cela n’a qu’une importance politique. A Athènes, un pareil abus passait pour avoir des conséquences bien plus fâcheuses, du moment qu’il devait amener ce résultat de rogner la ration de chacun au banquet de la vie.

Une des questions qui troublèrent le plus la république romaine à son déclin, ce fut la question des Italiens. Il y avait là une masse énorme de populations qu’il était impossible de condamner plus longtemps à l’état de sujétion qu’on leur imposait, et quelques esprits clairvoyants étaient d’avis de leur conférer le droit de cité romaine. Plusieurs tentatives dans ce sens furent faites ou du moins conçues. L’aristocratie les combattit de son mieux, et, en agissant de la sorte, elle était dans son rôle ; car elle aimait peu d’ordinaire des transformations aussi brusques, et de plus elle craignait que l’introduction soudaine d’une si grande foule d’individus dans les comices n’en modifiât profondément l’esprit. Mais ce qui paraît, au premier abord, très étrange, c’est que la plèbe ne fut pas moins hostile à ce projet que le Sénat. Elle ne se contenta pas de refuser son appui aux Italiens, elle alla jusqu’à retirer son affection aux hommes qui la défendaient elle-même, du jour où elle les vit défendre également la cause de l’Italie, et l’on peut dire que cette grave question fut le principal obstacle où se brisa la popularité de Caïus Gracchus et du second Drusus. Une aberration semblable serait incompréhensible, si l’on oubliait qu’à Rome comme en Grèce c’était un avantage matériel d’être citoyen. Ici toutefois le budget de l’État n’était pas mis en coupe réglée par les affamés de la classe inférieure ; c’étaient plutôt les riches qui spontanément sacrifiaient à la populace une partie considérable de leur fortune, soit en lui distribuant des vivres, soit en lui offrant des spectacles pompeux, soit en achetant ses suffrages. A cela s’ajoutaient encore les cadeaux que de temps à autre elle recevait de la République : tantôt du blé livré gratis ou à bas prix, tantôt une part du butin enlevé à l’ennemi, tantôt des terres détachées du domaine public. Quelle que fût l’origine des biens qui lui tombaient ainsi dans les mains, la plèbe romaine ne se souciait nullement de les partager avec autrui. Elle n’examinait pas si l’intérêt de l’État n’était point de réparer enfin les injustices dont les Italiens étaient victimes ; elle avait une proie à dévorer, et son unique pensée était de la protéger contre les intrus qui essayaient d’y mettre la dent.

Ces divers exemples suffisent, je crois, pour démontrer la vérité que j’énonçais au début. L’homme, dans tous les temps, est conduit par deux mobiles, les idées et les appétits, et il semble que, tout compte fait, il obéit au second plus souvent qu’au premier. Même quand un peuple cède à une impulsion en apparence exclusive de tout calcul, même quand il poursuit un but de gloire ou de justice, et qu’il s’engage à la recherche d’une noble chimère, il se mêle presque toujours à ses sentiments et à ses pensées, parfois sans qu’il en ait conscience, des préoccupations d’ordre plus matériel. Il ne faut pas trop s’en plaindre ; car le souci du pain quotidien, entendu au sens le plus large du mot, est pour beaucoup dans la merveilleuse activité que déploie l’humanité, depuis qu’elle existe. Si la terre n’était peuplée que de fakirs, elle serait restée dans un état de complète barbarie, et il ne s’y serait accompli rien de beau ni de bon. Ce qui donne à l’homme sa force et sa dignité, c’est le travail et l’amour du travail ne s’empare de lui que sous l’empire de la nécessité. Les Grecs n’auraient pas propagé dans tout l’Orient leur langue et leur culture, s’ils n’avaient pas eu le génie du commerce, et les Romains n’auraient pas conquis le monde s’ils n’avaient pas été âpres au gain. On a dit que la guerre entretenait dans l’âme humaine quelques-unes de ses qualités les plus hautes. La lutte pour la vie est une guerre aussi, et si les bienfaits qu’elle engendre sont d’une tout autre nature, ils ne sont pas non plus à dédaigner. D’ailleurs, heureux ou non, les effets qu’elle produit sont réels, et par suite il y a là un fait qui mérite de solliciter l’attention. Le régime de la propriété, l’état du commerce et de l’industrie, la répartition de la richesse, l’organisation du travail, les systèmes d’impôts sont des sujets aussi dignes d’intérêt que le récit des batailles et des révolutions politiques. On peut par cette voie pénétrer dans les derniers replis de l’âme humaine et atteindre le fond même de l’histoire.

 

 

 



[1] Revue internationale de l’enseignement, 15 mars 1888 (remanié).

[2] Rhétorique, I, 4, 11.

[3] Corpus inscriptionum atticarum, II, 546.

[4] Michel, Recueil d’inscriptions grecques, 5.

[5] Pline, XXXI, 89.

[6] Polybe, III, 22-24. L’authenticité du premier traité (celui de 509 av. J.-C.) a été mise en doute.

[7] Appien, Sur les affaires Samnites, VII, 1.

[8] Th. Reinach, l’Histoire par les monnaies, p. 204-205.

[9] L’histoire de Coriolan est en partie légendaire ; mais elle doit reposer sur un fonds de vérité.

[10] Ihering, l’Esprit du droit romain, II, p. 234 (trad. franç.).

[11] Cicéron, De officiis, II, 21, 73.

[12] Velleius Paterculus, II, 89, 4.