Texte mis en page par Marc Szwajcer
INTRODUCTION DU RECUEIL DES HISTORIENS DES CROISADES – Documents Arméniens – tome I
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Dieu, Thangri |
Barbe, sakh’hal |
Agneau, gh’ourgh’an |
Lièvre, thapelgh’a[66] |
Arc, némou |
Homme, êré [67] |
Figure, iauz-niour [68] |
Chèvre, iman |
Oiseau, thakkia |
Flèche, sémou |
Femme, iré [69] |
Bouche, aman |
Cheval, môri |
Colombe, k’au-katchia |
Roi, mélik (ar.) |
Père, èzga |
Oreilles, tchik’ïn |
Mulet, louça (mantchou) |
Aigle, gh’ousch
[70] |
Prince, nouïn |
Mère, ak’a |
Dent, sitoun |
Chameau, thaman |
Eau, ouçoun |
Grand prince, ëk-nouïn |
Frère, agh’a |
Pain, ôthmank[71] |
Chien, naukha |
Vin, dara-çou |
Terre, êl [72] |
Sœur, ak’adji |
Huile, ak’ar |
Loup, zina |
Mer, dankez (turc)[73] |
Soleil, naran |
Tête, thirôn |
Vache, ounên |
Ours, aïtkh’ou |
Fleuve, oulan-çou[74] |
Lune, sara |
Yeux, nidoun |
Brebis, gh’onïna |
Renard, haunk’an |
Épée, khôldou |
Astres, sargh’a |
Lumière, aûdour[75] |
Nuit, souïni |
Écrivain, pithik tchki |
Satan, par’ah’our [76] |
Ciel, k’ouk’o (ce qui est bleu) |
et autres noms aussi barbares qui nous ont été inconnus pendant longtemps, et que maintenant nous avons appris malgré nous.
Leurs chefs les plus considérables, placés au dessus de tous les autres, sont les suivants: le commandant suprême de l’armée, Tcharmagh’an-nouïn chargé en outre de rendre la justice, et ses assesseurs.
Israr-nouïn,[77] Gh’outoun-nouïn,[78] Douthoun-nouïn, et Djagataï[79] qui dirigeait l’armée et qui fut tué par les Mehalidé.
Ils avaient aussi beaucoup d’autres généraux et les troupes étaient innombrables.
XVII. La divine Providence, qui veut toute ses créatures conservent la vie, suscita par sa bonté, au milieu des Tartares, un homme craignait Dieu et pieux, Syrien de nation, nommé Siméon. Il portait le titre de père de leur souverain, c’est-à-dire du Khakan, comme ils appellent ce prince, ou rabban-atha; en syriaque rabban signifie docteur, et atha en tartare veut dire père. Cet homme ayant appris que les chrétiens étaient impitoyablement massacrés, se présenta devant le Khakan, et lui demanda un rescrit adressé aux troupes et leur enjoignant de ne point exterminer indistinctement des populations innocentes désarmées, qui n’opposaient aucune résistance, et de leur laisser la vie pour qu’ils devinssent des sujets obéissants. Le Khakan le congédia avec une pompe magnifique, et en le chargeant pour le général en chef d’un ordre écrit, dans lequel il intimait à tous de se conformer aux volontés du docteur syrien. Siméon étant parti pour remplir sa mission, devint d’un grand secours aux chrétiens, en les arrachant à la mort et à l’esclavage. Il bâtit des églises dans des villes musulmanes où l’on n’osait point auparavant prononcer le nom du Christ, principalement à Tauris., et à Nakhdjavan, où les infidèles nous étaient, plus que partout ailleurs, hostiles. Dans ces villes, les chrétiens n’osaient ni se montrer, ni circuler publiquement, encore moins élever des églises ou des croix. Siméon éleva des croix et des églises; il voulut que le jamahar,[80] retentît de nuit comme de jour, que l’on conduisit ostensiblement les morts à la sépulture avec la croix et l’Evangile et l’appareil de la liturgie, suivant le rite des chrétiens. Tous ceux qui s’y opposeraient devaient être mis à mort. Aussi personne n’osait enfreindre cet ordre bien plus, les troupes tartares avaient pour lui la même déférence que pour leur souverain, et ne prenaient ou n’exécutaient aucune résolution sans le consulter. Tous ses compatriotes livrés au commerce, et pourvus de son tamga, c’est-à-dire d’un écrit revêtu de sa signature circulaient partout librement. Personne n’osait toucher à ceux qui invoquaient son nom. Les généraux tartares lui offraient des présents pris sur le butin qu’ils avaient fait. C’était un homme modeste de caractère, tempérant dans le boire et le manger; il ne prenait qu’un peu de nourriture vers le soir. C’est ainsi que Dieu par le ministère de Siméon, consola son peuple errant dans l’exil. Il baptisa nombre de Tartares. Sa vie admirable inspirait à chacun le plus profond respect et la crainte. Lorsque je traçais ces lignes, nous étions en 690 de l’ère arménienne (20 janvier 1241 - 19 janvier 1242). Le roi des Arméniens était le pieux Héthoum;[81] le brave Sempad, son frère, était généralissime; le prince des princes était Constantin, leur père; le catholicos qui occupait le siège de saint Grégoire était Constantin, vertueux vieillard, qui résidait à Hr’om-gla’; le seigneur Basile, frère du roi Héthoum, était archevêque et successeur désigné du catholicos; le catholicos des Agh’ouans était le seigneur Nersès, homme doux et bon, lequel, à cette époque, habitait le couvent de Khamisch, dans le district de Miaph’or;[82] Jean, son neveu (fils de frère), était archevêque, nouvellement consacré; les Tartares avaient la domination universelle, et moi je comptais quarante ans d’âge, un peu plus ou un peu moins.
XVIII. Au commencement de l’année 691 de l’ère arménienne (20 janvier 1241 - 19 janvier 1242), un édit du Khakan parvint à ses troupes et au général d’Orient, pour leur annoncer qu’il remplaçait dans le commandement suprême Tcharmagh’an, devenu muet, par un des officiers de son armée, nommé Batchou Gh’ourtchi,[83] auquel le sort avait dévolu ces hautes fonctions; car ils décidaient de tout par la magie. Dès que celui-ci fut entré en fonctions, il rassembla des troupes parmi toutes les nations qui relevaient de son autorité, et marcha vers la partie de l’Arménie qui dépendait du sultan de Roum. Parvenu dans le district de Garin, il mit le siège devant Théodosiopolis, aujourd’hui Garin. Après l’avoir investie, il envoya des parlementaires aux habitants pour les engager à se rendre. Non seulement ils s’y refusèrent, mais ils les chassèrent ignominieusement, sur leurs murailles, ils se mirent à injurier les Tartares. Ceux-ci, ayant vu leurs propositions pacifiques repoussées, reçurent de leurs généraux l’ordre de se partager le rempart sur toute son étendue, afin qu’il fût abattu à la fois. Se mettant aussitôt à l’œuvre, ils dressèrent de nombreuses balistes, et le rempart fut détruit. Pénétrant alors dans l’intérieur, ils firent un massacre général, sans accorder de quartier. Après avoir pillé la ville, ils y mirent le feu. Cette cité était remplie d’une nombreuse population de chrétiens et de Dadjigs, auxquels s’étaient joints les habitants du district. On y trouva une quantité innombrable de Bibles de grand et de petit format; les ennemis, s’en étant emparés, les vendirent aux chrétiens qui faisaient partie de l’armée [tartare] donnant à vil prix ce qui avait une grande valeur. Ceux-ci prirent ces volumes avec joie, et les envoyèrent chacun dans son pays, en cadeau aux églises et aux monastères. Ils rachetèrent aussi beaucoup de captifs, hommes, femmes et enfants, évêques, prêtres et diacres, autant qu’ils le purent. Les princes Avak, Schahenschah et Ak-bouga, fils de Vahram, Grégoire de Khatchên, fils de Touph’,[84] qui était un homme animé de la crainte de Dieu, ainsi que leurs troupes (que le ciel les récompense!), rendirent la liberté à tous leurs captifs, les laissant maîtres d’aller où ils voudraient. Les Tartares saccagèrent non seulement Garïn, mais encore une foule de districts appartenant au sultan de Roum. Ce dernier était impuissant à y porter remède, car il s’était sauvé et se tenait caché par la crainte des Tartares. On prétendait même qu’il était mort. Après cette expédition, l’armée tartare, chargée de butin, et dans l’allégresse, retourna dans l’Agh’ouanie occuper ses campements d’hiver dans la belle et fertile plaine de Mough’an, et elle y passa la mauvaise saison.
XIX. Tandis que les Mongols étaient campés tranquillement dans les plaines de l’Arménie et de l’Agh’ouanie, des envoyés vinrent de la part du sultan Ghiâth ed-din [Keï Khosrou] et firent entendre des paroles hautaines et menaçantes, comme c’est la coutume des Dadjigs. « Pensez-vous, dirent-ils, que, parce que vous avez ruiné une de nos villes, vous ayez vaincu le sultan et abattu sa puissance? Mes cités sont innombrables, et mes soldats ne peuvent se compter; Demeure, attends-moi où tu es, et j’irai en personne te rendre visite, les armes à la main. » Ils ajoutèrent sur le même ton beaucoup de choses qui montraient leur orgueil. L’ambassadeur assura que le sultan se proposait de venir passer l’hiver prochain dans la plaine de Mough’an, avec ses femmes et son armée. Ces paroles n’excitèrent aucun mouvement d’impatience chez les Tartares; ils ne répondirent rien. Leur chef Batchou-nouïn se contenta de dire: « Vous avez parlé d’une manière bien fière; la victoire sera à qui Dieu l’accordera.» C’est ainsi que des envoyés arrivèrent successivement pour les provoquer; mais les Tartares ne se pressèrent pas davantage. Ils réunirent lentement leurs troupes, et tous ceux qui relevaient d’eux et qui étaient venus, accompagnés de leur suite en Arménie, engraisser leurs chevaux dans des contrées abondantes en pâturages. Ensuite ils s’acheminèrent à petites journées vers le lieu où campait le sultan, dans la partie de l’Arménie qui appartenait à ce prince, non loin d’un bourg appelé Acetchman-Gadoug,[85] où il s’était arrêté avec une multitude immense, avec ses femmes, ses concubines, apportant de l’or et de l’argent, et tous les insignes du pouvoir. Il avait traîné cet attirail ainsi que des bêtes sauvages nourries pour les plaisirs de la chasse, un grand nombre de reptiles, et jusqu des rats et des chats. Il voulait, en effet, témoigner à ses troupes qu’il était sans appréhension. Ce pendant le général en chef Batchou, avec l’habileté consommée des Tartares, divisa les siens en plusieurs corps qu’il confia à ses plus vaillants officiers, et distribua dans leurs rangs les auxiliaires accourus de divers points, afin d’une trahison. Puis il choisit les plus braves et en composa l’avant-garde. Les Tartares, en étant venus aux mains avec le sultan, le mirent en fuite, et ce prince se sauva à grand-peine, laissant ses bagages sur le lieu même de l’action. S’étant mis à sa poursuite, ils massacrèrent ses troupes et les passèrent impitoyablement au fil de l’épée; après quoi ils revinrent dépouiller les morts. Ayant pénétré dans le camp du sultan, ils virent que ce prince était déjà parti et que son armée était complètement en déroute. Ils commencèrent à se répandre ça et là, pillant et saccageant une foule de localités. Après avoir rassemblé de l’or, de l’argent, des vêtements de grand prix, des chameaux, des chevaux, des mulets et des bestiaux en quantité immense, ils allèrent investir Césarée de Cappadoce. Les habitants n’ayant pas voulu se rendre, ils prirent la ville d’assaut, les passèrent au fil de l’épée, enlevèrent leurs trésors et laissèrent leurs murs déserts. De là ils se dirigèrent vers Sébaste; mais, comme les habitants vinrent au-devant d’eux avec des présents, ils leur firent grâce de la vie, et se contentèrent d’une partie de leurs richesses. Après y avoir établi leur autorité et des officiers chargés de l’exercer en leur nom, ils se retirèrent. De là ils marchèrent sur la ville d’Ezenga, contre laquelle ils tentèrent des attaques réitérées. Comme la résistance était vigoureuse et meurtrière, ils entreprirent d’attirer par ruse les habitants hors des murs, sous prétexte de faire la paix. Ceux-ci, se voyant dépourvus de secours, y consentirent. Aussitôt les Tartares, se jetant sur eux, les massacrèrent tous, hommes et femmes. Quelques jeunes garçons ou filles seulement furent épargnés et emmenés en esclavage. Après avoir ainsi dévasté une quantité de provinces, ils arrivèrent en vue de la ville de Téphricé. Les habitants, persuadés que toute résistance était impossible, se soumirent volontairement. Les Tartares les dépouillèrent d’une grande partie de leurs richesses, et les laissèrent sans leur faire d’autre mal. Chargés de butin et triomphants, ils reprirent le chemin de leurs campements d’hiver en Arménie et dans le pays des Agh’ouans. Ils étaient en parfait état, et n’avaient éprouvé aucune perte; car c’était le Seigneur qui envoyait cette ruine et ce fléau aux populations. Les chrétiens qui combattaient dans leurs rangs rendirent la liberté, soit publiquement, soit en cachette, à une multitude de captifs, parmi lesquels étaient des prêtres et des moines. Les grands princes Avak, Schahenschah Vahram et son fils Ak-bouga, Djélal Haçan de Khatchên et ses troupes, Grégoire, fils de Touph’ et de la sœur de la mère de Djélal, ainsi que d’autres chefs et leurs hommes, en firent autant dans la mesure de leur pouvoir. Ceci se passa en 692 de l’ère arménienne (20 janvier 1243 – 19 janvier 1244).
XX. Lorsque ces événements s’accomplirent ? Héthoum, roi de la Cilicie et des contrées qui en dépendent, voyant le sultan [de Roum] vaincu par les Tartares, leur envoya des ambassadeurs avec des présents magnifiques, afin de faire avec eux un traité de paix et leur offrir sa soumission. Les ambassadeurs, étant arrivés à la grande Porte, furent présentés à Batchou-nouïn et à Elthina-Khatoun, femme de Tcharmagh’an, et aux grands officiers, par le prince Djélal. Après les avoir écoutés sur le but de leur mission et avoir vu les dons du roi, ils demandèrent que ce prince .leur remît la mère du sultan sa femme et sa fille, qui avaient cherché un asile auprès de lui. Cette exigence causa un vif chagrin au roi Héthoum. J’aurai préféré, dit-il, qu’ils m’eussent demandé mon fils Léon. Mais comme il les redoutait, et qu’il craignait qu’un refus ne lui attirât de grands malheurs, il remit, bon gré, mal gré, ces princesses entre leurs mains. En même temps il se montra très libéral envers ceux qui étaient venus les chercher, et qui, à leur retour, les présentèrent à Batchou et aux autres généraux. Ceux-ci, en les voyant en leur possession, furent dans la joie; ils comblèrent d’honneurs les envoyés du roi, et leur assignèrent des rations, pour eux et leurs chevaux, pendant la saison de l’hiver; ils se proposaient, en effet, au printemps, de les accompagner à leur retour en Cilicie. Ils conclurent donc un traité d’amitié avec le roi, et remirent à ses envoyés un écrit conçu d’après leur religion, et appelé par eux al-tamga.[86] Ils attendirent ainsi jusqu’au printemps, pour entreprendre une nouvelle campagne contre le sultan et son royaume.
XXI. Lorsque le roi Léon II vivait, il y avait dans ses Etats une forteresse imprenable, appelée Lampron.[87] Le prince qui en était possesseur, et qui se nommait Héthoum, se révolta contre Léon. Celui-ci, malgré ses efforts réitérés, n’avait pu le faire rentrer dans le devoir; mais ayant fini par réussir à le tromper, sous prétexte d’une alliance avec lui, et comme s’il voulait donner en mariage la fille de son frère (R’oupên III) au fils de Héthoum, nommé Ôschïn, il se saisit de lui et de ses fils, et, à force de tortures, leur arracha la cession de leur forteresse. Léon en ayant pris possession, y plaça sa mère, la Reine des reines,[88] et consigna par écrit des anathèmes, sous la menace desquels il s’engageait à ne céder jamais cette place qui que ce soit et la conserver comme un apanage royal; « car, disait-il, ses maîtres se sont toujours révoltés, se fiant à la solidité de leurs murailles. » Léon étant mort, et sa fille Isabelle (Zabel) lui ayant succédé, Constantin, prince des princes, s’entendit avec le catholicos Jean (‘Ohannès) et autres grands personnages, et mit sur le trône son fils Héthoum, encore tout jeune, en le mariant à la fille de Léon, à la place de [Philippe] fils du prince d’Antioche, qui avait été jeté en prison. Constantin ayant voulu s’assurer le concours du fils de Héthoum, lequel s’appelait comme lui-même Constantin, et était son beau-frère (frère de sa femme),[89] lui rendit Lampron comme un apanage de famille, et lui conféra la charge de thakatir,[90] de son fils. Mais Constantin, au bout de quelque temps, fidèle aux habitudes paternelles se révolta contre le fils de sa sœur, le roi Héthoum, et, malgré tous leurs efforts, Constantin, père du roi, et le roi lui-même, ne purent parvenir à le réduire. Le rebelle, fort de l’appui du sultan de Roum, persistait dans sa désobéissance. Celui-ci ayant été mis en fuite par les Tartares, le roi soumit les villages et les campagnes aux environs de Lampron, à l’exception de cette place, où se maintenait Constantin. Ce prince envoya des ambassadeurs au roi pour lui demander la paix promettant de lui remettre ses fils en otage et pour être à son service, à condition qu’il conserverait la forteresse Héthoum ne voulut point y consentir. Constantin renouvela son message deux et trois fois, et roi et son père lui opposèrent les mêmes refus. Constantin s’étant rendu à Iconium, et, s’étant adjoint les troupes du sultan de Roum, ennemi déclaré du roi, parce que ce dernier avait livré la mère du sultan aux Tartares, il arriva tout à coup, au moment où l’armée royale était dispersée dans ses cantonnements, pénétra dans l’intérieur de la Cilicie, dévasta nombre de bourgs et de campagnes par l’incendie, le massacre et l’esclavage; il tua et dépouilla quantité de chrétiens, et fit beaucoup de mal, par esprit de vengeance. Témoin de ces désastres, le roi réunit ses forces, et, fondant vaillamment sur cette multitude, l’extermina entièrement. Le rebelle seul parvint à s’échapper et s’enfuit avec une poignée d’hommes. Le roi le battit ainsi sept fois, et Constantin, se renferma dans sa forteresse et n’osa plus en sortir ni s’en écarter d’un pas.
XXII. La nation des archers (des Tartares), à l’esprit fertile en inventions et en ruses, envoya maintes fois à la reine de Géorgie, R’ouçoudan, pour la presser de venir les trouver, ou de leur remettre son jeune fils David avec un corps auxiliaire; mais la reine n’en fit rien, et se contenta de leur envoyer un faible détachement. Par l’intermédiaire d’Avak, fils d’Ivanê, qui servait dans l’armée tartare, elle leur fit dire que l’ambassadeur qu’elle avait fait partir vers le Khakan, leur souverain, n’étant point encore de retour, elle ne pouvait se rendre auprès d’eux. Les Tartares ayant défié le sultan de Roum, gendre de la reine,[91] et lui ayant enlevé quantité de villes, députèrent vers ce dernier le prince Vahram pour l’inviter à venir faire sa soumission. En revenant, Vahram se fit accompagner du fils de Giorgi Lascha, frère de la reine, envoyé jadis par elle traîtreusement, en compagnie de sa fille, au sultan de Roum, pour que celui-ci le périr, car elle craignait que ce prince n’ourdît un complot pour lui enlever le trône. Il était en ce moment chez le sultan; qui le retenait en prison. Vahram l’ayant ramené, déclara aux Tartares que c’était le fils de son roi, et qu’il avait été privé de ses Etats. Ceux-ci, par esprit d’opposition contre la sœur du père de ce prince, le reconnurent comme souverain, et ordonnèrent que, suivant l’usage des chrétiens, il serait sacré, que tous les chefs qui relevaient autrefois de son père lui obéiraient, et, de plus, qu’il tiendrait sa cour à Dèph’kis’. Les chefs les plus considérables au service des Tartares, Avak, qui avait le rang de général, Schahenschah, fils de Zak’arê; Vahram, et son fils Ak-bouga, ayant conduit le prince à Mèdzkhitha, appelèrent le catholicos de Géorgie et le firent sacrer. Son nom était David. Sa tante R’ouçoudan, apprenant ce qui venait de se passer, s’enfuit dans l’Aph’khazêth et le Souanêth, avec sou fils, qui se nommait aussi David; de là, elle envoya des ambassadeurs à un autre général tartare, Bathou, parent du khan[92] et chef de l’armée, qui occupait le pays des Russes, l’Ôssêth et Derbend, et le second par le rang après le khan, pour lui offrir de reconnaître son autorité. Bathou décida qu’elle résiderait à Dèph’kis’; les Tartares n’y mirent aucun obstacle, parce qu’à cette époque le khan venait de mourir.
XXIII. Tandis que l’armée tartare hivernait dans les plaines de l’Arménie et des Agh’ouans, le docteur syrien dont il a été question plus haut entendit parler du catholicos des Agh’ouans, et le fit connaître à Elthina-Khathoun, femme de Tcharmagh’an, laquelle avait la direction des affaires depuis que son mari était devenu muet; il lui représenta que le chef des chrétiens de ces contrées vivait éloigné de son siège et ne venait pas rendre visite au Tartares. Alors ils lui transmirent ce message: « Pourquoi toi seul entre tous ne viens-tu pas nous voir? Arrive immédiatement, et si ce n’est pas de bon gré, nous te ferons venir de force et d’une manière ignominieuse pour toi. » Comme le catholicos résidait dans le district de Miaph’or, au couvent de Khamisch, et se trouvait sous la juridiction d’Avak, il n’osa pas partir sans lui en avoir demandé l’agrément, dans la crainte qu’on n’attachât une grande importance à ce voyage. Il se cacha donc des envoyés, et dit à ses serviteurs de prétexter qu’il n’était pas chez lui, et qu’il était allé trouver Avak. Les Tartares envoyèrent une seconde et une troisième fois, en faisant entendre des menaces pour le contraindre à: se mettre en route. Cependant le catholicos, avant pris les ordres d’Avak, partit pour le camp tartare dans la plaine de Mough’an, apportant des présents dans la proportion de ses facultés. Le docteur syrien était alors absent; car il était allé à Tauris. Arrivé à la grande Porte, le catholicos se présenta à Elthina-Khatoun, qui l’accueillit avec bienvenue, le combla d’honneurs et le fit asseoir au-dessus des officiers les plus considérables réunis auprès d’elle à l’occasion des noces de son fils Bôra-nouïn,[94] elle le mariait avec la fille d’un chef d’un haut rang Gh’outoun-nouïn et en même temps elle donnait à sa fille un autre chef des plus qualifiés, appelé Ouçour’ nouïn.
Il y avait grande fête chez les Tartares dans ce moment témoin des réjouissances d’une noce. La princesse s’adressant au catholicos: « Tu es arrivé, lui dit-elle, dans un moment propice. — Effectivement, répondit celui-ci avec un à-propos parfait, j’ai choisi l’instant où vous êtes dans la joie pour venir. » Elle le confia, lui et ses serviteurs, à ses frères Içategh’-agh’a, et Ikorkoz, qui étaient chrétiens, et nouvellement arrivés de leur pays, pendant qu’elle-même vaquerait aux soins qu’exigeaient les fêtes nuptiales.
Ceux-ci traitèrent le catholicos avec les plus grands égards. Une fois qu’elle-même fut un peu dégagée de ses occupations, elle lui fit remettre des présents et des al-tamga, portant défense absolue de le molester. On lui donna en même temps, pour lui servir d’escorte un Tartare-Mongol qui le ramena dans le pays des Agh’ouans et sous la protection duquel il parcourut son diocèse; car il y avait longtemps que lui et ses prédécesseurs n’osaient s’y montrer, par la crainte que leur inspirait la cruelle et féroce race des Dadjigs. Le catholicos, après avoir visité ses ouailles, rentra tranquillement chez lui au couvent de Khamisch.
XXIV. Au commencement de la seconde année, après qu’ils eurent mis en fuite le sultan Ghiâth ed-din, les Tartares s’avancèrent vers le district de Pèznounik’ contre Khélath; s’étant emparés de cette ville, ils la donnèrent à Thamta, sœur d’Avak, laquelle elle appartenait auparavant, lorsque cette princesse était la femme de Mélik-Aschraf, captive par le sultan du Khorazm, Djélal ed-din, elle était passée des mains de ce souverain dans celles des Tartares, qui l’avaient envoyée au khan, chez lequel elle resta plusieurs années. La reine de Géorgie, R’ouçoudan, ayant député le prince ‘Emad eddaula, vers le khan, ce prince, sur le point de s’en retourner, demanda Thamta au monarque. Il la ramena avec lui, muni d un ordre écrit de la part du khan, enjoignant que l’on rendît à cette princesse ses possessions qu’elle avait lorsqu’elle était la femme de Mélik-Aschraf. Les Tartares, se conformant à cet ordre, remirent à Thamta Khélath et les districts environnants. Après quoi ils poussèrent de divers côtés dans la Mésopotamie syrienne à Amid, Édesse, Nisibe, et dans le pays de Schampïn, ainsi que dans beaucoup d’autres contrées. Mais cette expédition fut pour eux sans résultat; car, quoiqu’ils n’eussent rencontré aucune résistance, cependant les chaleurs de l’été leur furent fatales, en faisant périr nombre d’hommes et de chevaux. Alors ils rentrèrent dans leurs campements d’hiver habituels. D’après l’ordre qu’ils donnèrent de rebâtir Garin, c’est-à-dire Théodosiopolis, les habitants dispersés ou cachés, et ceux qui avaient échappé à la servitude, furent réunis. Ils rappelèrent aussi l’évêque de cette ville, le seigneur Sarkis, que ramena le prince Schahenschah, fils de Zak’arê; dès qu’il fut venu, on se mit à relever cette cité détruite et en ruines.
XXV. Ce pontife, voyant l’Arménie désolée et les tribulations qu’infligeaient aux populations les exacteurs et les troupes tartares, comprit par ses réflexions, que les péchés de hommes étaient la cause de ces désastres; car chacun n’avait d’autre souci que de vivre sa guise. Les saintes lois du mariage n’étaient plus respectées; et les païens, des gens issus du même sang, des parents, contractaient union; ils quittaient leurs femmes par caprice et prenaient celles qui leur plaisaient. Ils ne s’inquiétaient en rien de l’observance dès jeunes Ils avaient commerce indistinctement avec les païens; et, ce qui est pire que tout cela, les évêques donnaient la consécration à prix d’argent, vendant les dons de Dieu à des indignes; des enfants, des ignorants qui ne savaient pas même parler correctement en public, étaient choisis par eux pour être les intermédiaires entre Dieu et l’homme; des prêtres indignes, des adultères, des entreteneurs avérés de femmes perdues remplissaient les fonctions sacrées; sans compter les autres iniquités que tous commettaient, grands et petits, au point que les prêtres et le peuple à la fois vivaient dans la démence sans qu’il y eût personne pour le leur reprocher. Le catholicos mit toute sa diligence à composer une lettre encyclique et des canons généraux, dont il chargea le savant et habile vartabed Vartan[95] Celui-ci était allé en pèlerinage à Jérusalem, pour faire ses adorations dans ces lieux vénérés où se sont accomplis les mystères de la vie du Sauveur, et pour visiter la terre consacrée par la mémoire des saints. Vartan étant venu en Cilicie, auprès du roi Héthoum, couronné par Jésus-Christ, et de ses frères, se rendit chez le saint catholicos, qui fut enchanté de le voir et de le garder longtemps auprès de lui. Ils se lièrent ensemble d’une étroite amitié, et le catholicos ne voulut jamais se séparer de lui. Il l’employa dans cette circonstance en l’envoyant, avec plusieurs de ses serviteurs, dans les villes, les bourgs et les principaux monastères, ainsi qu’auprès des chefs les plus considérables, auxquels il écrivit d’observer fidèlement les canons qu’il avait établis pour le salut des âmes, et d’accueillir, comme son représentant, ce vartabed qu’il leur députait, parce que lui-même était déjà vieux. Vartan et ceux que le catholicos lui avait adjoints, étant arrivés dans l’Arménie orientale, en parcoururent les différents districts, visitant les évêques, les monastères et les chefs; ils communiquèrent à tous les prescriptions du patriarche, et exigèrent de chacun une adhésion écrite. Mais comme ils étaient tous détournés de la bonne voie, et gangrenés par la passion de l’avarice et l’amour de l’argent, ces prescriptions leur parurent très dures. Cependant ils n’osèrent point les repousser; ils firent semblant, au contraire, de les recevoir avec respect, et donnèrent leur signature et leur serment, s’obligeant, sous peine d’anathème, à les exécuter. Ceux qui souscrivirent sont: Sarkis, évêque de Garin; un autre Sarkis, évêque d’Ani; Jacques, évêque de Gars; les évêques de Pedchni, Vanagan et Grégoire; Jean-Baptiste, évêque d’Anpert;[96] Hamazasb, évêque de Hagh’pad, et autres prélats de divers lieux; les principaux monastères, Sanahïn, Kédig, Havardzin, Guetchar’ous,[97] Havouts-Thar,[98] Aïrivank’,[99] ‘Ohannou-vank’,[100] Sagh’mosa-vank’,[101] Hor’omoci-vank’[102] et les autres couvents des environs; le seigneur Nersès, catholicos des Agh’ouans, surnommé Douetsi, l’illustre et célèbre docteur Vanagan; Avak, prince des princes, et autres chefs. Le docte vartabed Vartan ayant recueilli toutes ces adhésions, les fit parvenir au catholicos Constantin, à Hr’omgla’. Après cette tournée, il passa dans la vallée de Gaïan, et il rentra dans son couvent, placé sous l’invocation de saint André, et qui s’élève en face de la forteresse de Gaïan; il termina là ses courses, se consacrant à instruire les nombreux disciples qui accouraient pour entendre ses savantes leçons.
L’année suivante, 696 de l’ère arménienne (19 janvier 1247 - 18 janvier 1248), le vertueux catholicos Constantin envoya en présent aux églises de l’Orient des ornements de soie de couleurs variées, de dalmatiques de grand prix pour la célébration de la sainte messe. Il avait confié à Théodose, l’un de ses serviteurs, ces objets destinés aux couvents les plus vénérés. Il y joignit une encyclique relative au tombeau de l’apôtre saint Thaddée, pour qu’on y rattachât en donation les districts et les villes d’alentour, et que l’on consacrât de fortes sommes à la reconstruction du portique qu’avait entrepris de restaurer le vartabed Joseph, et qui, après avoir été ruiné par les Turks, et dan les incursions des Géorgiens, était resté inhabité et désert depuis longtemps. Joseph s’étant rendu auprès d’un général tartare nommé Ankourag-nouïn, qui pendant l’été résidait non loin du tombeau de saint Thaddée, obtint la permission de purifier l’église et d’en faire la dédicace. Il rebâtit le couvent et y réunit nombre de religieux.[103] Ce Tartare laissa à ceux qui voulaient aller en dévotion à ce monastère le passage libre de toutes parts au milieu de ses troupes. Il défendit par un ordre très sévère d’empêcher ou de molester aucun d’eux; lui-même était plein de déférence pour les moines. Une foule d’entre les siens y allaient et faisaient baptiser leurs fils et leurs filles. Nombre de possédés du démon et de malades étaient guéris, et le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ était glorifié. Toutes les troupes tartares, loin de se montrer hostiles à la Croix et l’Église les vénéraient au contraire, et apportaient des présents. En effet, elles n’étaient point animées du zèle d’une religion contraire.
XXVI. Lorsque le khan Koyouk, fut investi de la suprême autorité sur les Tartares, dans la région qui est le Centre de leur empire ? Aussitôt il fit partir des collecteurs de deniers publics, pour se rendre auprès de ses armées disséminées dans les contrées soumises sa domination afin de prélever le dixième de ce que les troupes possédaient, et d’exiger le tribut des populations et des souverains qui avaient été vaincus, la Perse, les Dadjigs, les Turks, les Arméniens, les Géorgiens et les Agh’ouans. Ces officiers étaient les plus impitoyables, les plus rapaces des exacteurs. L’un d’eux, qui était au-dessus de tous, s’appelait Arghoun; le second, nommé Bouga, était pire encore que ce Bouga qui, sous le règne du khalife [Motéwakkel] Djafar, l’ismaélite, envahit l’Arménie et saccagea une foule de provinces.[104] Ce second Bouga, étant arrivé au camp des Tartares, entrait dans les habitations des principaux d’entre eux, et y enlevait sans miséricorde ce qui lui convenait, sans que personne osât dire un mot; car il avait réuni autour de lui une bande de brigands, Perses et Dadjigs, qui remplissaient leur ministère de spoliation avec une rigueur inouïe. Mais c’est surtout aux chrétiens qu’ils en voulaient; aussi irritèrent-ils Bouga contre le pieux prince Haçan, surnommé Djélal. Il se saisit de lui à la grande Porte, en présence de tous les chefs; et lui fit subir des tortures multipliées. Il démolit ses imprenables forteresses, celle qui porte en langue perse le nom de Khôïakhan, ainsi que Têt, Dzirana’-k’ar,[105] et ses autres places fortes. Il les ruina tellement, qu’aucun vestige n’aurait pu indiquer qu’il y avait eu là des constructions. C’est à peine si Haçan, après avoir été forcé de lui livrer une masse d’or et d’argent, échappa à la mort. Les plus puissants ne purent lui venir en aide en rien, tant Bouga inspirait de terreur ceux qui étaient témoins de ses cruautés. Il tenta pareillement de se saisir du prince des princes, Avak, et de le soumettre aux tortures et à la flagellation; mais les chefs les plus considérables le prévinrent et lui dirent: « Ne crains rien, réunis toutes tes troupes, et avec elles va lui rendre visite, et, s’il tente de s’emparer de toi, saisis-le toi-même. Avak suivit ce conseil et alla trouver Bouga avec des forces imposantes. Celui-ci, à cette vue, eut peur, et dit à Avak: Quelle est cette multitude de soldats? Es-tu en révolte contre le khan, et es-tu venu pour me tuer?» Avak lui répondit: Toi-même, pourquoi as-tu rassemblé cette bande de malfaiteurs perses? Tu es venu en traître pour mettre la main sur nous. » Bouga, voyant que sa perfidie était connue d’Avak, lui parla d’un ton pacifique, mais il conservait toujours dans son esprit des desseins hostiles, et nourrissait l’espoir de trouver l’occasion de les exécuter. Taudis qu’il était dans ces mauvaises dispositions, le juste jugement de Dieu le frappa. Un ulcère se déclara tout coup à son gosier, et il mourut étouffé. Le méchant périt ainsi avec sa malice; l’impie fut enlevé de ce monde, et il ne contemplera pas la gloire de Dieu.
XXVII. À cette époque, la Géorgie avait été réduite en servitude. Ce royaume, qui un peu auparavant était dans l’éclat de la puissance se courbait maintenant sous le joug des Tartares d’Orient[106] commandés par Batchou-nouïn depuis la mort de Tcharmagh’an. Les Géorgiens étaient en ce moment gouvernés par une femme, la reine R’ouçoudan, qui s’était réfugiée et cachée dans les parties inaccessibles du Souanêth. Des ambassadeurs tartares vinrent des deux côtés, de la part du grand général qui occupait la région du nord, Bathou, proche parent du khan, le monarque suprême et dont le consentement était nécessaire pour que celui-ci pût monter sur le trône; et de la part du général qui commandait en Arménie, Batchou. Ces messages invitaient la reine à se rendre auprès de ces deux généraux, et de ne régner que sous leur autorité.
Comme elle était jolie, elle n’osa aller trouver aucun des Tartares, dans la crainte de n’être pas respectée. Elle se contenta d’envoyer à Bathou son fils David, encore tout jeune, à qui elle avait cédé la couronne. Les chefs qui étaient avec Batchou dans les pays d’Orient, et qui s’étaient emparés de tous les États de la reine ainsi que ceux qui dépendaient autrefois de cette princesse , et qui vivaient auprès des Tartares, voyant qu’elle refusait de venir, et qu’elle avait fait partir seulement son fils vers Bathou, envoyèrent dans leur mécontentement à Ghiath ed-din, sultan de Roum, et firent venir de chez lui le fils de Giorgi Lascha , roi de Géorgie, frère de R’ouçoudan ce même David qu’elle avait envoyé avec sa fille, femme du sultan Ghiâth ed-din, et que celui-ci avait mis en prison; afin qu’il ne conspirât pas pour détrôner la reine de Géorgie, belle-mère du sultan. Les Tartares, l’ayant ainsi mandé, lui rendirent les États de son père et l’envoyèrent vers leur souverain pour être confirmé dans sa royauté; puis ils expédièrent en toute hâte à R’ouçoudan message sur message, pour lui enjoindre d’arriver bon gré mal gré. De son côté, Bathou fit partir le fils de R’ouçoudan pour la cour du khan, tandis qu’il invitait la reine venir elle auprès de lui. Celle-ci, tourmentée des deux côtés, prit du poison et se délivra de la vie. Elle avait fait un testament dont elle confia l’exécution à Avak en lui laissant le soin de veiller sur son fils, s’il revenait de chez le khan.
Les deux princes étant arrivés à la cour de Koyouk firent accueillis avec bienveillance; le khan décida qu’ils occuperaient le trône l’un après l’autre, c’est-à-dire, que le plus âgé, David, fils de Giorgi Lascha, régnerait le premier, et qu’il aurait pour successeur l’autre David, fils de R’ouçoudan, et son cousin (fils de la sœur de son père), si celui-ci lui survivait. Le khan fit trois parts du trésor royal de Géorgie: il voulut qu’on lui envoyât un trône magnifique et d’une valeur inestimable, et une couronne merveilleuse dont aucun souverain ne possédait la pareille. Cette couronne avait appartenu à Khosrov [le Grand], père de Tiridate,[107] le puissant roi d’Arménie, et avait été apportée en Géorgie; où elle s’était conservée à cause de la sûreté du lieu où on l’avait déposée. Elle était échue aux souverains géorgiens qui l’avaient possédée jusqu’alors. Il y avait d’autres objets précieux dans ce trésor, que le khan réclama; il voulut que le reste fût partagé entre les deux princes. A leur retour, ils exécutèrent cette décision, sous la médiation d’Avak, fils d’Ivanê. David, fils de Lascha, résida à Dèph’khis, et l’autre David, dans le Souanêth.
XXVIII. Le roi d’Arménie Héthoum, qui régnait en Cilicie, envoya son frère, le généralissime Sempad, au khan, avec des présents magnifiques.[108] Sempad arriva à sa destination tranquillement; après un long voyage, et fut reçu et traité avec de grands honneurs. Il en rapporta des lettres patentes et bien en règle qui lui concédaient nombre de districts et de forteresses ayant autrefois appartenu au roi Léon, et que le sultan de Roum, avait enlevés aux Arméniens après la mort de ce prince. Le sultan Ghiâth ed-din mourut, laissant deux fils tout jeunes[109] et en rivalité l’un contre l’autre. L’un d’eux alla trouver le khan et reçut l’investiture des États de son père. Il retourna avec le généralissime des Arméniens, Sempad et ils se rendirent tous deux auprès de Batchou-nouïn et, des autres chefs tartares, qui, pour assurer l’exécution des ordres de leur souverain, fournirent aux deux princes des troupes chargées de les conduire dans les contrées qui leur avaient été attribuées. Parvenus à Ezenga, ils apprirent que le frère du sultan Ghiâth ed-din avait épousé la fille de Lascaris, empereur des Romains[110] qui régnait Éphèse, et qu’avec l’aide de ce dernier il était devenu sultan d’Iconium, tandis que le second des deux frères occupait Alaïa,[111] son apanage particulier. Le nouvel arrivé, craignant d’aller plus avant, s’arrêta à Ezenga afin de voir quelle serait l’issue de ces événements.
XXIX. Tandis que notre pays se relevait un peu des maux que lui avaient causés ces incursions et des ravages de l’incendie qui avait dévoré le monde; tandis que les hommes se fiaient plus aux Tartares qu’à Dieu, que les grands se livraient leurs instincts de pillage et spoliaient les pauvres pour acheter avec ces dépouilles les vêtements précieux dont ils se paraient, qu’ils mangeaient et buvaient, et se montraient enflés d’orgueil, comme c’est la coutume de Géorgiens présomptueux, Dieu permit qu’ils fussent humiliés et abaissés, et qu’ils connussent la mesure de leur faiblesse. Ceux qui n’avaient pas été corrigés par les calamités précédentes virent Satan soulever contre eux les hommes en qui ils espéraient. Par suite d’une résolution qui fut prise subitement par les principaux de l’armée tartare, toutes les troupes s’armèrent et se préparèrent à la guerre.
Leur but était d’exterminer les populations de l’Arménie et de la Géorgie quoiqu’elles leur fussent fidèles. Leur prétexte était que le roi de Géorgie et ses grands voulaient se révolter, et qu’ils se réunissaient pour marcher contre eux. Cette intention semblait en effet résulter de ce qui se passa. Les chefs géorgiens étaient accourus avec leurs troupes auprès de leur roi David, à Déph’khis, et tandis qu’ils étaient à boire, et que le vin avait échauffé et exalté leurs têtes, quelques-uns, dépourvus de jugement, tinrent ce propos: « Pourquoi subissons-nous le joug de ces gens-là nous qui avons des forces si considérables? Allons, tombons sur eux à l’improviste, nous les anéantirons et nous reprendrons nos possessions. Le grand prince Avak arrêta cette proposition. Des soldats tartares qui se trouvaient sur les lieux en prévinrent leurs chefs. Dès que les troupes des princes géorgiens se furent séparées pour rentrer dans leurs provinces respectives les Tartares firent, comme nous l’avons dit, des préparatifs pour un massacre général. Ceux des chefs géorgiens qu’ils avaient auprès d’eux furent mis en prison, et ceux qui étaient éloignés furent sommés de rentrer immédiatement. Mais Dieu, dans sa miséricorde, ne permit pas que ces projets d’extermination s’accomplissent; il les empêcha, et voici comment. L’un des principaux Tartares, Djaghataï, commandant de toute l’armée, était l’ami d’Avak. Se plaçant au milieu des troupes en armes, il leur dit: « Nous n’avons pas l’ordre du khan de massacrer des gens qui nous sont obéissants, qui vivent sous notre autorité, et qui paye tribut à notre souverain. Si vous les exterminez sans son ordre, c’est vous qui lui en répondrez. Cette observation suspendit les informations qu’ils prenaient au sujet de cette affaire. Khotchak’,[112] mère d’Avak, s’étant rendue auprès des Tartares, se porta garante de son fils, et promit qu’il reviendrait sous peu, comme cela eut lieu en effet. Ce prince, étant arrivé aussitôt, leur prouva sa fidélité par maints témoignages. Le roi David vint pareillement, ainsi que les chefs de son royaume. Les Tartares leur ayant lié à tous les pieds et les mains, avec des cordes minces, très fortement, suivant leur usage, les laissèrent trois jours dans cet état, leur prodiguant la raillerie et l’insulte, pour leur faire expier leur orgueil et leurs idées d’indépendance. Ensuite, ayant exigé qu’ils leur remissent: leurs chevaux et une rançon pour leur vie, ils les laissèrent libres. Néanmoins ils fondirent sur le territoire géorgien et envahirent une foule de districts, sans distinguer s’ils s’étaient révoltés ou non. Ils tuèrent quantité de monde, et en firent prisonniers encore davantage, hommes et femmes. Ils précipitèrent dans les rivières une multitude innombrable d’enfants. Ces événements eurent lieu en 698 de l’ère arménienne (18 janvier 1249 – l7 janvier 1250). Ils furent suivis de la mort du prince des princes, Avak. On l’ensevelit à Bégh’èn tzahank’, dans le tombeau de son père Ivanê. Sa principauté fut donnée à Zak’arê, fils de Schahenschah, fils du frère du père d’Avak; car Avak n’avait pas de fils, mais une fille en bas âge, et, de plus, un fils issu d’une union illégitime, qui était aussi encore tout jeune, et qu’après la mort d’Avak on dit lui appartenir. La sœur d’Avak s’était chargée de l’élever; mais ensuite Zak’arè, le lui ayant retiré, le confia à la femme d’Avak, qui se nommait Kontsa’.
XXX. Le grand général Bathou avait fixé sa résidence dans les contrées du nord, sur les bords de la mer Caspienne et du fleuve Athèl (Volga), qui n’a pas de rival sur toute la terre; car il s’épanche comme une mer à travers les steppes qu’il sillonne. Bathou occupait la vaste plaine des Kiptchaks (Khutchakh) avec une armée immense. Ils campaient là, sous des tentes, que dans leurs migrations ils emportent sur des chariots traînés par de longues files de bœufs et de chevaux. Bathou devint très puissant, et supérieur à tous; il soumit toutes les contrées et les contraignit à lui payer tri but. Les princes de sa famille reconnaissaient sa suprématie, et celui d’entre eux qui montait sur le trône et qui prenait le titre de khan avait besoin de son assentiment. En effet, Koyouk-khan étant mort, et la famille impériale ayant discuté dans son sein la question de savoir lequel de ses membres lui succéderait, tous déférèrent cet honneur à Bathou, ou le choix de celui qu’il lui plairait de désigner. Ils lui envoyèrent dire de venir des contrées du nord dans leur pays prendre le pouvoir suprême. Il partit donc dans l’intention de donner un successeur à Koyouk, après avoir remis à son fils Sarthakh le commandement de son armée. Arrivé au terme de son voyage, il ne monta pas sur le trône; il y plaça un membre de sa famille, nommé Mangou[113] et s’en retourna vers ses troupes. Quelques-uns de ses parents virent ce choix avec déplaisir; car ils espéraient, ou que lui-même régnerait, ou qu’il donnerait la couronne au fils de Koyouk, qui se nommait Khodja-khan. D’abord ils n’osèrent pas manifester leur mécontentement; mais dès qu’il fut de retour chez lui, ils se mirent en révolte ouverte contre Mangou khan. A cette nouvelle, Bathou ordonna de mettre à mort nombre de ses parents et de chefs, parmi lesquels s’en trouvait un d’un très haut rang, nommé Eltchikata[114] qui avait été nommé par Koyouk khan général de l’armée tartare d’Orient et d’Arménie, en remplacement de Batchou-nouïn. Au moment où ce général traversait la Perse, il reçut la nouvelle de la mort de Koyouk khan. Il s’arrêta aussitôt, afin de savoir qui le remplacerait. Il fut dénoncé à Bathou par les chefs de l’armée d’Orient, qui ne voulaient pas l’avoir à leur tête, parce qu’il était hautain. Ayant représenté à ce prince qu’il était un des officiers qui refusaient de reconnaître Mangou khan, Bathou ordonna de le lui amener chargé de chaînes; conduit devant lui, il périt au milieu des supplices. Dès lors commencèrent à accourir auprès de Bathou les rois, les princes, les chefs et les marchands, et tous ceux qui avaient été molestés et dépouillés de leurs biens. Il leur rendait justice avec impartialité, faisant rentrer chacun dans la possession de ses États, de on patrimoine ou de sa puissance. Il traitait air quiconque allait s’adresser à lui; il lui faisait délivrer un écrit revêtu de son sceau, et personne n’osait enfreindre ses ordres. Il avait un fils nommé Sarthakh, dont nous avons déjà parlé, qui fut élevé par des gouverneurs chrétiens. Ce jeune prince, lorsqu’il eut grandi, embrassa le christianisme, et fut baptisé par les Syriens, qui avaient eu soin de son éducation. Il fit beaucoup de bien à l’Eglise et aux chrétiens.
Du consentement de son père, il rendit un édit qui affranchissait d’impôts les prêtres et les églises. Il fit proclamer partout des menaces et la peine de mort contre quiconque exigerait un tribut de l’Eglise et de ses ministres, à quelque nation qu’ils appartinssent. Il étendit le même privilège aux mosquées et à ceux qui les desservaient. Confiants en cette protection déclarée, des vartabeds, des évêques et des prêtres venaient à lui. Il les accueillait avec bienveillance, et leur accordait tout ce qu’ils lui demandaient. Sarthakh vivait dans la crainte de Dieu et la piété, faisant transporter continuellement avec lui une tente qui servait d’église, et où l’on célébrait assidûment les saints mystères. Parmi ceux qui allèrent le trouver fut le grand prince Haçan, que l’on appelait familièrement Djélal, et qui était plein de religion et de modestie, et Arménien de nation. Sarthakh le reçut avec amitié et la plus grande considération, ainsi que ceux qui l’accompagnaient Djélal, le prince Grégoire, appelé habituellement Dgh’a’ « enfant », et qui était alors avancé en âge; le prince Téçoun,[115] vertueux jeune homme; le vartabed Marc, et l’évêque Grégoire. Sarthakh conduisit avec de grands honneurs Djélal à son père, qui lui rendit ses possessions, Tcharapert, Agana’, et Gargar’,[116] qui précédemment lui avaient été enlevées par les Turks et les Géorgiens. Il reçut aussi un diplôme en faveur du catholicos des Agh’ouans, le seigneur Nersès, exemptant d’impôts ses propriétés et tous ses biens et les déclarant libres, et lui concédant la faculté d’aller à sa volonté dans tous les diocèses de son patriarcat, avec défense à qui que ce fût de lui contrevenir en rien. Djélal s’en revint fort satisfait; mais au bout de quelque temps, tourmenté par les exacteurs et par Arghoun, il se rendit auprès de Mangou khan. Ce souverain monta sur le trône en 700 de l’ère arménienne (18 janvier 1251 - 17 janvier 1252)
XXXI. En l’an 703 de l’ère arménienne (17 janvier 1254 - 16 janvier 1255), Mangou khan et le grand général Bathou envoyèrent comme commissaire, Arghoun lequel avait reçu déjà de Koyouk khan la surintendance des impôts royaux dans les pays soumis par les Tartares, ainsi qu’un autre chef attaché à la maison de Bathou, et nommé K’oura-agh’a,[117] avec beaucoup d’agents qui les accompagnaient, ils étaient chargés de recenser les nations qui étaient sous la domination tartare. Munis de cet ordre, ils parcoururent toutes les contrées pour accomplir leur mandat. Ils arrivèrent dans l’Arménie, la Géorgie et le pays des Agh’ouans, ainsi que dans les contrées environnantes, comptant et inscrivant toutes les personnes à partir de l’âge de dix ans, à l’exception des femmes, et exigeant avec rigueur de chacun un tri au-dessus de ses ressources. Les populations commençant tomber dans la misère, ils leur infligeaient des tourments et des tortures, et le supplice des ceps. Quiconque se cachait était arrêté et mis à mort. Celui qui ne pouvait pas payer se voyait arracher ses enfants, qu’ils prenaient en compensation de ce qu’il devait; car ces agents se faisaient escorter de Perses professant l’islamisme. Les chefs indigènes eux-mêmes, seigneurs de districts, se rendaient leurs coopérateurs en les aidant à maltraiter et à pressurer les habitants, et afin de faire leur profit. Ces exactions ne leur suffirent pas; ils assujettirent à l’impôt tous les artisans, soit dans les villes, soit dans les villages, ainsi que les étangs et les lacs, où l’on faisait la pêche, les mines de fer, les forgerons et les maçons. Mais qu’ai-je besoin d’entrer dans ces détails? Ils coupèrent tous les canaux qui alimentaient la richesse, et eux seuls restèrent riches; ils s’emparèrent des mines de sel de Gogh’p,[118] et d’autres lieux; ils gagnèrent aussi considérablement avec les marchands, auxquels ils extorquaient des trésors en or, en argent et en pierres précieuses. C’est ainsi qu’ils réduisirent tous les pays à la misère. Les plaintes et les gémissements retentissaient de toutes parts. Après quoi, ils laissèrent des agents pour lever chaque année les mêmes sommes. Toutefois, il y eut un homme opulent qui fut traité avec égards. C’était un marchand nommé Oumég,[119] et par eux, Acil, homme de bien, dont nous avons déjà fait mention. Dans le sac de la ville de Garin par les Tartares, il fut sauvé par ses fils Jean et Étienne. Il avait reçu le titre de père du roi de Géorgie, David, et de grands honneurs, par un édit du khan et des principaux chefs tartares.
Ayant offert des présents considérables à Arghoun et aux officiers qui l’accompagnaient, il fut traité par eux très honorablement. Les agents tartares épargnèrent les ecclésiastiques et n’exigèrent d’eux aucun impôt, parce qu’ils n’en avaient pas l’ordre du khan. Il en fut de même des fils de Saravan,[120] de Schnorhavor, (gracieux), et de Méguérditch, (Jean-Baptiste), lesquels étaient fort riches et puissants.
XXXII. Le fervent ami du Christ Héthoum qui régnait en Cilicie, dans la ville de Sis, avait précédemment envoyé son frère Sempad, le généralissime, à Koyouk khan avec de magnifiques présents. Sempad était revenu, après avoir été reçu très honorablement et avoir obtenu des diplômes d’investiture. Lorsque Mangou khan fut monté sur le trône, le grand général Bathou, qui avait le titre de père du roi, et qui habitait les contrées du nord avec des troupes innombrables, sur les bords du fleuve immense et profond appelé Ethil, lequel se jette dans la mer Caspienne, envoya un message au roi Héthoum pour l’inviter à venir le visiter, ainsi que Mangou khan. Héthoum, qui redoutait Bathou, partit, mais en secret et sous un déguisement; car il craignait les Turks ses voisins, dont le souverain était ‘Ala ed-din, sultan de Roum, et qui lui en voulaient beaucoup de ce qu’il était l’allié des Tartares. Ayant traversé rapidement les Etats du sultan, en douze jours il arriva à Gars, et ayant rendu visite à Batchou-nouïn, général de l’armée tartare d’Orient, ainsi qu’à autres grands officiers, il fut traité par eux avec beaucoup de considération. Il s’arrêta dans le district d’Arakadz-ödën,[122] en face de la montagne d’Ara’, au village de Varténis, dans la maison d’un chef appelé K’ourth, Arménien d’origine et chrétien, dont les deux fils se nommaient Vatché et Haçan, et la femme Khôrischah, laquelle était de la famille des Mamigoniens, fille de Marzban et sœur d’Arslan-beg et de Grégoire. Le roi fit halte dans ce lieu, jusqu’à ce qu’on apportât de chez lui les objets destinés à être offerts par lui en cadeaux, et que lui envoyèrent son père Constantin, prince des princes, alors avancé en âge, et ses deux fils, Léon et Thoros. Il leur avait laissé le soin de le remplacer pendant son absence, car la reine sa femme, la pieuse Zabêl, c’est-à-dire Élisabeth, nom qui signifie le sabbat de Dieu, était morte. Elle justifiait bien son nom, car elle était le repos des volontés de Dieu, bienfaisante, charitable amie des pauvres; elle était la fille du grand roi Léon, le premier de nos souverains qui ait porté la couronne. Le catholicos Constantin ayant su que Héthoum était parvenu heureusement dans la Grande Arménie, où il s’était arrêté, lui envoya le vartabed Jacques, habile et docte discoureur, qui autrefois avait été député pour rétablir l’union [entre l’Église arménienne et l’Eglise grecque] vers le puissant empereur Jean, maître des contrées de l’Asie, et vers le patriarche des Grecs. Ce docteur, par de savants raisonnements tirés de l’Ecriture Sainte, réfuta toutes les objections des Grecs, réunis en assemblée, et qui nous reprochaient de croire qu’il n’y a qu’une nature en Jésus-Christ , et nous traitaient d’eutychéens. Jacques, par de solides arguments, leur montra, en s’appuyant sur le témoignage de l’Ecriture, que Jésus-Christ possédait les deux natures, divine et humaine, toutes deux parfaites, par une union ineffable, sans perdre sa divinité et sans absorber son humanité, glorifié en une seule essence, agissant comme Dieu et comme homme. Il traita pareillement le sujet du cantique: O Dieu saint! (le trisagion), que nous adressons au Fils de Dieu, d’après l’évangéliste saint Jean. Il éclaircit aussi ce qui choquait les Grecs dans notre profession de foi, en employant d’excellents raisonnements théologiques et des citations de l’Écriture. Ayant rectifié leur opinion, il les ramena à l’amitié et à l’union avec notre nation; Après quoi il s’en revint, congédié très honorablement. Le catholicos fit partir en outre le seigneur Étienne, évêque. Le cortège du roi s’accrut du vartabed Mèkhithar de Sgûévr’a,[123] où il était venu de l’Orient; de Basile, qui était l’envoyé de Bathou, et avec qui était venu Thoros, prêtre non marié de Garabed, (Jean Baptiste), chapelain du roi, homme de mœurs douces et très instruit, ainsi que de quantité de chefs que Héthoum avait amenés avec lui. Ayant rassemblé son cortège, il se dirigea par le pays des Agh’ouans et la porte de Derbend, qui est la forteresse de Djor, vers le camp de Bathou et de son fils Sarthakh, qui était chrétien. Ceux-ci l’accueillirent parfaitement et lui montrèrent beaucoup d’égards. Ensuite ils le firent partir pour la résidence de Mangou khan, par une route très longue, au-delà de la mer Caspienne. Ayant quitté ces princes le 6 de maréri, c’est-à-dire le 13 mai,[124] le roi et sa suite traversèrent le fleuve Yaïk, et parvinrent à l’endroit qui forme[125] la moitié du chemin entre Bathou et Mangou khan. Après avoir franchi le fleuve Irtisch, ils entrèrent dans le pays des Naïman, puis, étant passés dans le Kara Khitaï, et de là dans le Thatharasdan (Tartarie), le 4 de hor’i ou 13 septembre, pour la fête de l’Exaltation de la Croix, ils arrivèrent auprès de Mangou khan, et le virent siégeant sur son trône dans toute sa majesté. Héthoum lui ayant offert ses présents, Mangou lui remit un diplôme revêtu de son sceau, et portant défense absolue de rien entreprendre contre sa personne ou ses États. Il lui donna aussi un diplôme qui affranchissait partout les églises. Héthoum quitta Mangou le cinquantième jour, 23 de sahmi, ou 1er novembre. En trente jours il parvint avec son cortège à Gh’oumsgh’our, puis à Ber-balekh,[126] et à Bisch-balekh et dans le pays sablonneux habité par des hommes sauvages nus, ayant du poil seulement à la tête, et par des femmes aux mamelles grosses et très longues. Ces populations étaient à l’état de brutes.
Elles ont des chevaux sauvages, couleur rousse et noire; des mulets blancs et noirs et plus grands que le cheval et l’âne; des chameaux sauvages à deux bosses. De là les Arméniens passèrent à Yarlekh, (‘Arlekh); à Koulloug, à Éngakh, à Djam-balekh,[127] à Khouthaph’a’,[128] à Yangui-balekh. Puis ils entrèrent dans le Turkestan, arrivèrent à Egoph’rog,[129] à Tinga-balekh, à Ph’oulad,[130] et traversèrent la Mer de lait. Ils parvinrent à Aloualekh,[131] à Ilan-balekh.[132] Après avoir traversé la rivière Ilan-çou, et une branche du Taurus,[133] ils atteignirent Talas,[134] et arrivèrent auprès de Houlagou (Houlavou), frère de Mangou khan, lequel avait pris pour apanage l’Orient. Ayant ensuite tourné de l’ouest vers le nord, ils touchèrent à Khouthoukhtchïn, à Ber-kend (Ber-k’ant); Sough’oulgh’an, à Oroso-gh’an, à Kaï-kend, (Kai-k’anth); à Kouzakh qui est K’amots, à Khèntakhouïr, et à Skhénakh,[135] qui est la montagne Khartchoukh,[136] d’où les Seldjoukides sont originaires, et qui commence à partir du Taurus et va jusqu’à Ph’artchin, où elle finit. De là ils rejoignirent Sirthakh, fils de Bathou, qui se rendait auprès de Mangou-khan, et atteignirent Signak (Sengh’akh’),[137] Savran, qui est très grand; Kharatchoukh, Açoun, Savri, et Otrar, (Ôthrar); ensuite Zour’noukh,[138] Tizag[139] et enfin en trente jours Samarkande, (Sèmèrkhent); Sôriph’oul, Kerminié (Kêrman),[140] et Bokhara. Ayant traversé le grand fleuve Dji-houn (Dchehoun), ils passèrent à Mermen,[141] Sarakhs, et Thous, (Dous), qui est en face du Khoraçan, nommé R’ôgh’asdan. Ils entrèrent dans le Mazandéran, et vinrent à Bistau (Besdan), de là dans l’irak [persique], puis les frontières des Melahidé; ensuite à Thamgh’an (Damgh’an); à Reï, la grande ville; Kazwïn, Abher, Zenguian, (Zankiau); Miana. En douze jours ils parvinrent à Tauris; en vingt-six ils furent sur les bords de l’Araxe, (Eraskh), qu’ils traversèrent. Etant arrivés à Sician, auprès de Bathou-nouïn, général de l’armée tartare, celui-ci fit conduire le roi vers Khodja-nouïn, auquel il avait laissé le commandement à sa place, parce que lui-même, ayant pris avec lui le gros de l’armée, allait à la rencontre de Houlagou, qui s’avançait vers l’Orient. Cependant le pieux roi Héthoum étant arrivé chez le prince K’ourth, au village de Varténis, où il avait laissé sa suite et ses bagages, y attendit le retour du prêtre Basile, qu’il avait envoyé vers Bathou, afin de lui communiquer les lettres et le diplômes que lui avait remis Mangou khan, et pour que Bathou donne des ordres en conséquence. Ensuite arrivèrent les vartabeds Jacques, qu’il avait laissé ici pour s’occuper des affaires de l’Église, Mèkhithar, qu’il fit revenir de chez Bathou avant que celui-ci fût parvenu auprès de Mangou khan; des évêques, d’autres vartabeds, des prêtres et des seigneurs chrétiens, qui vinrent visiter le roi et qu’il accueillit tous avec bienveillance; car c’était un prince affable, et en même temps savant et versé dans la science de l’Écriture. Il donnait des présents et renvoyait chacun content. Il leur fit cadeau de vêtements sacerdotaux destinés à l'ornement des églises; car il aimait beaucoup la messe et les cérémonies religieuses.[142] Il accueillait avec bonté les chrétiens de toutes nations, et les conjurait de vivre dans un amour mutuel, comme des frères et des membres du Christ, suivant le précepte du Seigneur, qui a dit: «On connaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres. » (S. Jean, xiii, 35). Il nous racontait, au sujet des nations barbares, une foule de choses étonnantes et inconnues qu’il avait vues ou entendu rapporter. Il disait qu’il existait au delà du khataï, une contrée où les femmes ont la figure humaine et sont douées de raison, et où les hommes ont la forme de chiens, et sont sans raison, grands et velus. Ces chiens ne laissent pénétrer personne sur leur territoire, vont à la chasse et se nourrissent, ainsi que les femmes, du gibier qu’ils prennent. Les mâles nés du commerce de ces chiens avec les femmes ressemblent à des chiens et les femelles à des femmes. Il y a une île sablonneuse où croit en forme d’arbre un os d un grand prix, que l’on nomme dent de poisson. Lorsqu’on le coupe, il en pousse un autre au même endroit, à la manière des bois du cerf. Là sont une foule de contrées dont les habitants sont idolâtres et adorent des statues d’argile, très grandes, appelées sâkya-mouni, et qu’ils disent être dieu, depuis trois mille quarante ans. Ce dieu a encore à subsister trente cinq toumans d’années (un touman vaut dix mille); après quoi il perdra sa divinité. Il y a encore un autre dieu nommé Mâïtréya, auquel ils élèvent des statues d’argile, d’une grandeur prodigieuse, dans un magnifique temple. Toute cette race, hommes, femmes et enfants, se compose de prêtres, qui sont nommés touïn, ils ont les cheveux et la barbe rasés; ils portent un manteau jaune à l’instar des chrétiens, avec cette différence qu’il leur couvre la poitrine et non les épaules. Ils sont tempérants dans leur nourriture et dans les rapports sexuels. Ils se marient vingt ans; jusqu’à trente, ils s’approchent de leurs femmes trois fois par semaine; jusqu’à quarante, trois fois par mois; jusqu’à cinquante, trois fois par an; et lorsqu’ils ont passé la cinquantaine ils cessent tout rapport. Le savant roi Héthoum racontait sur ces peuples barbares bien d’autres choses que nous omettons, de peur qu’elles ne paraissent superflues. Huit mois après son départ de chez Mangou khan, il rentra en Arménie. C’était en 704 de notre ère (17 janvier 1255 - 16 janvier 1256).
XXXIII. Au commencement de l’année arménienne 705 (17 janvier 1256 - 16 janvier 1257) mourut Bathou, commandant de l’armée tartare du nord, tandis que son fils Sarthakh était en chemin pour se rendre auprès de Mangou khan. Sarthakh ne revint point sur ses pas pour aller rendre les derniers devoirs à son père; il continua sa route. Mangou khan, enchanté de son empressement, vint au-devant de lui, et le traita avec la plus grande distinction. Il lui accorda les États de son père Bathou, les mêmes pouvoirs militaires, la domination sur tous les pays que possédait ce dernier, avec le titre de second de l’empire, et le privilège de dicter des ordres en souverain. Après quoi il le congédia. Avec Sarthakh se trouvait le pieux prince de Khatchên, Djelâl qui était venu faire connaître au maître du monde les persécutions que lui avait suscitées l’ösdigan Argh’oun, qui voulait le tuer, à l’instigation des Dadjigs, et auquel il avait échappé avec peine: Mangou lui conféra, par un diplôme, l’investiture de sa principauté, le pouvoir de la gouverner en prince indépendant, et une sécurité complète contre toute agression; car Sartakh l’aimait beaucoup, et le traitait avec une extrême considération. Sarthakh périt empoisonné par ses parents (oncles) Béréké, et Barkadjar qui étaient musulmans. Ce fut une grande douleur pour les chrétiens, et principalement pour Mangou khan et pour son frère Houlagou, qu régnait sur les contrées d’Orient. Antérieurement à ces événements, le premier des généraux tartares, Houlagou, qui avait le rang de khan, donna l’ordre aux troupes d’Orient, commandées par Batchou-nouïn, de prendre leurs bagages et tout ce qu’elles avaient, et de quitter la région où elles stationnaient et où avait été fixée leur résidence, la plaine de Mough’an, le pays des Agh’ouans, l’Arménie et Géorgie, de passer chez les Romains[143] et de se substituer à eux dans ces contrées fertiles. En effet Houlagou était arrivé avec une armée si considérable, que l’on prétend qu’elle mit presque un mois entier à traverser le fleuve Djihôun.
D’ailleurs quelques-uns des parents de Houlagou arrivèrent au pays de Bathou et de Sarthakh, de ce côté-ci de la porte Derbend, à la tête de forces innombrables. C’étaient de puissants personnages, d’un rang considérable, Balaka, Toutar, Kouli.[144] Nous les avons vus nous-même; ils étaient petits-fils de Tchinguiz khan; et on leur donnait le titre de fils de Dieu. Ils aplanirent et rendirent praticables tous les défilés par où ils passaient; car ils allaient en chariots. Leur voyage fut signalé par les calamités, les exactions et les déprédations qu’ils firent subir aux habitants, mangeant et buvant avec une avidité insatiable. Les populations se virent partout conduites aux portes de la mort. Outre les impôts multipliés qui avaient été établis par Argh’oun comme le mali,[145] et le kharschouri,[146] Houlagou donna l’ordre d’en exiger un autre, qu’ils appellent thagh’ar, c'est-à-dire capitation Quiconque était inscrit sur les registres royaux devait fournir cent livres de froment, cinquante livres de vin, deux livres de riz, deux sacs[147] de dzendzad, deux cordes et une pièce d’argent,[148] une flèche, un fer à cheval, sans compter les présents offerts pour gagner ces gens-là; de plus, une tête de bétail sur vingt, et vingt pièces d’argent. Celui qui n’avait pas de quoi s’acquitter se voyait enlever ses fils et ses filles en compensation de l’impôt. C’est ainsi que ces contrées furent pressurées et désolées. Comme les Tartares avaient beaucoup de peine à quitter les lieux où ils étaient établis, ils partirent avec répugnance, et seulement à cause de la crainte que leur inspirait Houlagou; car ils le redoutaient à l’égal du khan. Ils marchèrent donc contre les Romains. Le sultan, impuissant à leur résister, se sauva dans l’île d’Alaïa.[149] Les Tartares passèrent au fil de l’épée les populations de ses États, jusqu’à la mer Océane[150] et celle du Pont, étendant partout le massacre et te pillage. Ils exterminèrent les habitants de Garin, d’Êzénga, de Sébaste, de Césarée, d’Iconium, et des districts environnants; puis, sur l’ordre de Houlagou ayant renvoyé leurs bagages dans l’endroit où étaient leurs campements. Ils étendirent leurs incursions de divers côtés. A ces expéditions prit part le roi d’Arménie, de retour de sa visite chez Mangou khan, Sarthakh et Houlagou.
Il accompagnait Batchou-nouïn, qui ensuite le renvoya dans ses États, en Cilicie, à Sis, en le faisant escorter par un détachement considérable. Héthoum, par les présents et les forces qu’il fournit à Batchou-nouïn, lui témoignait son dévouement, ainsi qu’aux troupes qui étaient sous les ordres de ce général. Il mérita même qu’une lettre d’éloges et de félicitations pour lui fût adressée à Houlagou. Ce dernier; prince belliqueux ayant réuni toutes ses forces, marcha vers la contrée des Melahidé, contre Alamouth, et s’empara de cette place, que depuis plusieurs années les troupes royales tenaient. Les fils de ‘Ala-eddin (prince des Ismaéliens), tué leur père, s’étaient réfugiés auprès de Houlagou. Il fit détruire toutes les fortifications d’Alamouth. Cette expédition terminée, il donna l’ordre son armée et à toutes les nations qui étaient sous la domination tartare de se réunir pour marcher contre Bagdad, cette grande métropole (le mot Bagdad signifie le milieu; entre les Perses et les Syriens), car cette ville n’avait point encore subi les coups des Tartares. Le khalife, dont elle était la résidence, descendait de Mahomet ( Mahmêd); le mot khalife signifie en effet successeur. Tous les sultans qui professaient l’islamisme, ceux des Turks, des Kurdes, des Perses, des Élyméens, et autres, reconnaissaient son autorité. Il était le chef suprême de tous les peuples qui avaient accepté sa loi, et les sultans étaient rattachés à lui par les liens des traités, de l’obéissance et du respect, comme au parent et au descendant de leur législateur, le premier de leurs imposteurs. Au rendez-vous assigné par Houlagou accoururent les chefs les plus considérables des contrées de Bathou, savoir: Kouli, Balaka, Toutar, Kada-khan,[151] lesquels avaient pour Houlagou le même respect, la même soumission et la même crainte que pour le khan.
XXXIV. En 707 de l’ère arménienne (16 janvier 1258 – 15 janvier 1259), le grand monarque maître du monde, Mangou ayant rassemblé une armée innombrable, s’avança vers un pays éloigné dans la direction du sud-est, contre une nation nommée Naïnkas,[152] qui s’était révoltée contre lui et refusait le tribut qu’acquittaient les autres peuples, car cette nation était belliqueuse, protégée par la forte situation du territoire où elle est. Elle était idolâtre; elle mangeait les vieillards, hommes et femmes. Les familles se réunissaient, fils, petits-fils et petites-filles, et écorchaient leurs parents avancés en âge, en commençant par la bouche, et retiraient la chair et les os, qu’ils faisaient cuire et dont ils se repaissaient sans laisser de restes; puis, faisant de la peau une outre, ils l’emplissaient de vin; tous ses descendants, à l’exclusion des étrangers, y buvaient par le membre viril, comme tirant leur naissance de là, et comme si ce repas et cette manière de boire étaient pour eux un privilège. Ils entouraient d’or le crâne, qui leur servait de coupe toute l’année. Mangou khan ayant donc attaqué les Naïnkas les mit vaillamment en déroute et les fit rentrer sous le joug. De retour chez lui, il fut saisi d’une maladie mortelle, et il expira, laissant pour lui succéder son frère Arik-boùga.
Cependant le puissant Houlagou, son autre frère chargé du commandement de l’armée, prescrivit à tous ceux qui relevaient de lui de marcher contre la métropole des Dadjigs, la ville royale de Bagdad.
Le souverain qui y régnait ne portait pas le titre de sultan ou de mélik, comme les tyrans des Turcs, des Perses et des Kurdes, mais celui de khalife, c’est-à-dire successeur de Mahomet. Houlagou se mit en marche avec des forces immenses, où figuraient toutes les nations soumises aux Tartares. Il choisit l’époque de l’automne et de l’hiver, afin d’éviter la chaleur intense qui se fait sentir dans ces climats mais, avant de se mettre en campagne, il enjoignit à Batchou-nouïn et aux troupes qui, avec ce chef, avaient envahi le pays des Romains, d’accourir, et de franchir le grand fleuve du Tigre, sur lequel est bâtie Bagdad; afin que personne ne pût échapper de cette ville en se jetant dans des embarcations pour se réfugier à Ctésiphon, ou à Bassora, place très forte. Cet ordre fut exécuté immédiatement; les Tartares établirent un pont de bateaux sur le Tigre, et fixèrent dans des passages, sur toute la largeur du fleuve, des crochets et des broches de fer attachés au fond, afin qu’on ne pût sauver à la nage, et que rien ne transpirât au loin. Le khalife Mosta’cem, qui régnait à Bagdad, plein d’orgueil et de confiance en lui-même, envoya contre ceux qui gardaient le fleuve, un corps considérable, sous les ordres d’un chef nommé Tautar,[153] préfet de son palais. Celui-ci vainquit d’abord les Tartares et tua environ trois mille hommes. Le soir, cet homme se mit à manger et à boire sans aucun souci; il envoya un message au khalife, pour lui annoncer qu’il avait battu les ennemis et que le petit nombre de ceux qui avaient survécu au combat serait exterminé le lendemain. Cependant les Tartares, à l’esprit inventif et rusé, ayant passé la nuit à s’armer et à s’équiper de pied en cap, entourèrent le camp des Dadjigs. Avec ces Tartares se trouvait le prince Zak’arê, fils de Schahènschah. A l’aurore ils se précipitèrent, le glaive à la main, sur les Dadjigs, les massacrèrent et les précipitèrent dans le fleuve; il n’en échappa qu’un petit nombre. En même temps, dès le point du jour, le grand Houlagou investit Bagdad en assignant à chaque soldat une brasse de rempart à renverser, et à garder avec vigilance afin que personne ne se sauvât. Il députa le brave Br’osch et d’autres vers le khalife pour le sommer de venir faire acte de soumission et se déclarer tributaire du khan. D’abord le khalife répondit par des mensonges et des outrages. Il dit qu’il avait les titres de porte-flambeau, seigneur de la mer et de la terre; qu’il se glorifiait de l’étendard de Mahomet, « qui est ici ajouta-t-il, et si je l’agite, vous périrez tous, toi et le monde entier. Toi, tu es un chien turc; pourquoi te payerais-je tribut ou me courberais-je sous ton joug ? » Cependant Houlagou ne s’irrita pas de ces insultes; il n’écrivit au khalife rien qui sentît l’orgueil. Il se contenta de répondre: « Dieu sait ce qu’il fait. » Il commanda alors d’abattre le rempart, qui fut détruit en totalité; puis de le relever et faire bonne garde. Cet ordre fut exécuté. La ville était remplie de troupes et d’une population nombreuse. Pendant sept jours, les Tartares veillèrent aux remparts, sans que nul lançât de flèches, ou mît l’épée à la main, soit dans la ville soit parmi eux. Après le septième jour, les habitants commencèrent à demander la paix et à se rendre vers Houlagou, dans des dispositions pacifiques et de soumission. Il ordonna de les laisser faire. Des flots de peuple sortaient par les portes de Bagdad, cherchant à qui accourrait le premier vers lui. Il distribua ces gens à ses troupes, et commanda de les éloigner de la ville et de les massacrer en secret, afin que les autres n’en sussent rien. Tous furent exterminés. Au bout de quatre jours arriva le khalife Mosta’cem en personne, avec ses deux fils et tous les grands de sa cour, apportant avec lui de l’argent, de l’or, des pierres précieuses, en quantité et des vêtements de grand prix, pour les offrir à Houlagou et aux chefs tartares. Houlagou le traita d’abord honorablement, tout en lui reprochant d’avoir tardé de venir au lieu de se présenter aussitôt Puis il lui dit: « Es-tu un dieu ou un homme? » Le khalife répondit: « Je suis un homme, serviteur de Dieu. » Houlagou reprit: « Dieu t’a-t-il prescrit de m’injurier, de m’appeler chien, et de ne point me donner, à moi le chien de Dieu, à manger et à boire Eh bien! moi, le chien de Dieu qui suis affamé, je te dévorerai. » Et il le tua de sa propre main, en disant: « C’est un honneur pour toi que je te donne la mort, et que je n’aie pas laissé le soin de cette exécution à tout autre. » Il ordonna à son fils de mettre à mort pareillement un des fils du khalife, et de précipiter le second dans le Tigre:[154] « Car il ne nous a fait aucun mal, dit-il; au contraire, il a été notre coopérateur dans l’extermination de ces révoltés. »
Il ajouta [parlant du khalife]: « Cet homme est cause, par son orgueil, que beaucoup de sang a été répandu. Qu’il aille en répondre à Dieu; quant à nous, nous n’en serons pas comptable. » Il fit périr aussi les grands personnages; puis il commanda aux troupes qui gardaient le rempart d’en descendre et de massacrer les habitants, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. Les Tartares, pareils à des moissonneurs qui font tomber les épis sous la faux, tuèrent successivement une multitude immense d’hommes, de femmes et d’enfants. Le carnage dura quarante jours. Les égorgeurs s’étant lassés, et leurs bras tombant de fatigue, ils reçurent un salaire pour exterminer ce qui restait, et qui fut immolé sans miséricorde. L’épouse de Houlagou, sa première femme, qui était chrétienne et se nommait Dôkouz-khathoun, réclama les chrétiens de l’hérésie nestorienne, ou de toute autre nation qui se trouvaient à Bagdad, et implora pour eux de son mari la vie sauve. Houlagou les épargna et leur laissa ce qu’ils possédaient. Il abandonna le pillage de la ville à ses soldats qui se chargèrent d’or, d’argent, de pierres précieuses, de perles et de vêtements de prix; car cette cité était extrêmement riche, et sans rivale sur la terre. Houlagou se réserva les trésors du khalife; il en emporta trois mille six cents charges de chameau; avec une quantité innombrable de chevaux, de mulets et d’ânes. Quant aux autres magasins où les trésors étaient accumulés, il y apposa son sceau, et les laissa sous la surveillance de gardiens; il ne pouvait tout enlever, tant ce butin était immense. II y avait cinq cent quinze ans que cette ville avait été fondée par [Abou-] Djafar, l’ismaélite. En 194 de l’ère arménienne (24 mai 745 – 23 mai 746), elle fut bâtie sur le Tigre, au-dessus de Ctésiphon, à une distance d’environ sept journées de marche de Babylone. Pendant tout le temps qu’elle conserva l’empire, pareille à une sangsue insatiable, elle avait englouti le monde entier; elle rendit alors tout ce qu’elle avait pris, en 707 de l’ère arménienne (16 janvier 1258 - 15 janvier 1259). Elle fut punie pour le sang qu’elle avait versé, pour le mal qu’elle avait fait, lorsque la mesure de ses iniquités fut comble devant Dieu qui connaît tout et qui donne la rétribution avec équité, sans acception de personnes et avec exactitude. La domination belliqueuse et violente des Dadjigs dura et se maintint six cent quarante sept ans. Bagdad fut prise le premier jour de carême, un lundi, le 20 de navaçart, suivant le calendrier vague (4 février).[155] Nous tenons ce récit du prince Haçan, surnommé Br’ôsch, fils de Vaçag, le pieux fils de Bagh’pag, lequel Haçan était frère de Babak’ et de Mègtêm, et père de Mègtêm, de Babak’, de Haçan et de Vaçag. Ce prince, vit de ses propres yeux ce qui se passa, et entendit de ses propres oreilles ce qui fut dit.
XXXV. Après le sac de Bagdad, le grand Houlagou, au retour du printemps, convoqua ses troupes et les confia à son fils cadet, nommé Dchiasmouth,[156] en lui adjoignant l’intendant en chef de sa maison, Ilikia-nouin; il les envoya vers l’Euphrate, comme en partie de plaisir, pour dévaster et piller ces contrées et les réduire. Comme ils passaient auprès de la ville des Martyrs, autrement appelée Mèïafarékîn, les habitants les appelèrent pour leur offrir leur soumission, leur proposer des troupes et le payement d’un tribut, sous la condition qu’ils vivraient tranquilles. Le sultan auquel appartenait cette ville, et qui était de la famille des Adéliens,[157] refusa de ratifier cette convention, et ayant rassemblé ses troupes, se mit à la poursuite des Tartares et leur tua quelques hommes; puis, s’étant renfermé dans la ville, il s’y fortifia et la mit en état de défense. Les Tartares, ayant laissé des forces pour l’assiéger, continuèrent leur marche jusqu’au grand fleuve Euphrate, vers la Mésopotamie, où ils firent du butin; puis ils revinrent grossir l’armée assiégeante. Ils envoyèrent annoncer à Houlagou la résistance de Martyropolis. Ce prince fit partir des forces considérables, qu’il confia à un général nommé Djagataï, arrivé précédemment avec des troupes tartares et avec le prince chrétien Br’ôsch, surnommé Haçan, tous deux braves et illustres guerriers. Il leur avait recommandé d’investir la ville de tous côtés, sans y laisser pénétrer ou en sortir personne. A leur arrivée, ces deux généraux attaquèrent vigoureusement la place; ils disposèrent des balistes et autres machines de siège et détournèrent la rivière qui traverse Martyropolis. La défense ne fut pas moins opiniâtre; un grand nombre de Tartares et de chrétiens qui combattaient avec eux furent tués. Ce siège durait depuis plus de deux ans lorsque la famine commença à faire sentir ses rigueurs aux habitants. Ils furent forcés de se nourrir de toutes sortes d’animaux purs et impurs, et ensuite, poussés par la faim, de créatures humaines; es faibles devinrent la proie des forts. Lorsque les gens misérables vinrent à leur manquer, ils se jetèrent les uns sur les autres; les pères dévoraient leurs fils, les mères leurs filles; l’ami méconnut son ami; tout sentiment de tendresse s’évanouit. Dans cette pénurie, une livre de chair humaine se vendait 78 tahégans;[158] enfin elle fit défaut tout à fait. Cette affreuse famine régnait non seulement dans la ville, mais encore dans beaucoup de districts environnants; car la contrée, soumise aux Tartares, fut accablée d’exactions et de violences, ayant à fournir des vivres aux assiégeants. Une foule de gens moururent du froid excessif occasionné par la neige qui couvrait les montagnes à cette époque de l’hiver. Le pays de Saçoun,[159] fortifié par la nature, fit aussi sa soumission, par la médiation du prince Satoun, fils de Schèrparok’ et petit-fils de Satoun, lequel était chrétien, et jouissait d’un grand crédit auprès de Houlagou; car c’était un robuste et vaillant guerrier, à tel point que Houlagou l’avait placé dans les premiers rangs. Il lui donna le district de Saçoun; mais plus tard les Tartares, violant leur serment, y firent beaucoup de massacres. Lorsque la famine eut anéanti la population de Martyropolis, les Tartares y pénétrèrent et exterminèrent les malheureux qu’ils trouvèrent, et que la faim avait exténués. Quant au sultan et à son frère, ils les conduisirent vivants à Houlagou, qui les fit égorger comme indignes de vivre, et comme coupables de tout le sang versé par la faute du sultan. Les églises furent respectées, ainsi que les innombrables reliques de saints que le bienheureux Maroutha avait rassemblées là de tous les pays; les chrétiens qui combattaient avec les Tartares leur firent connaître la vénération que méritaient ces reliques, en leur racontant les nombreuses apparitions de saints qui s’étaient fait voir sur le rempart, de lumières éclatantes qu’on avait aperçues, d’hommes qui s’étaient manifestés avec un corps lumineux. Martyropolis fut prise en 709 arménienne (16 janvier 1260 - 15 janvier 1261), à l’époque du grand jeûne de la sainte quarantaine.[160]
XXXVI. Le grand Houlagou réunit de nouveau toutes ses troupes, et se dirigea vers la Syrie, contre Alep, Damas, Khar’an, Édesse, Amid, et autres localités dans lesquelles il fit des incursions. Lui-même entreprit le siège d’Alep. Le sultan maître de cette ville était de la famille de Youçouf Saladin, le conquérant de Jérusalem;[161] il se prépara à la résistance, et refusa de se tendre. Ayant fermé les portes de la ville il combattit vigoureusement. Ce pendant Houlagou investit Alep de tous côtés, et, au bout de quelques jours, l’ayant emportée de vive force, les Tartares commencèrent le massacre des habitants. Le sultan et les grands attachés à son service, qui s’étaient retranchés dans la citadelle, entreprirent de fléchir Houlagou en lui offrant, leur soumission. Houlagou y consentit et fit arrêter le carnage; la ville dut s’engager à reconnaître son obéissance et à lui payer tribut. De là il s’avança sur Damas, dont les habitants accoururent au-devant de lui avec des présents et des objets d’une valeur considérable. Le prince tartare les accueillit avec bienveillance et leur imposa ses lois, prit Émesse, et Hama et beaucoup d’autres cités. Il fit partir des troupes pour Merdïn, place forte qui ne fut prise qu’avec peine. Plusieurs jours après, les Tartares détruisirent une bande de brigands, qui attaquaient les gens de toute nation et étaient le fléau des voyageurs. Ces brigands appelés Djagh’ari,[162] étaient Turcs d’origine; ils vivaient protégés par d’épaisses forêts dans des lieux sauvages et de difficile accès; ils étaient très nombreux et entièrement indépendants. Cette tourbe, recrutée de tous côtés, se rendait redoutable, surtout aux chrétiens. Les Tartares en tuèrent une foule et en firent captifs encore davantage. Houlagou, ayant laissé environ vingt mille hommes pour garder la contrée, partit pour aller passer l’hiver dans la plaine de Héwian. Cependant le sultan d’Égypte [Kotouz] à la tête d’une armée considérable, marcha contre les troupes laissées en garnison par Houlagou, et qui avaient pour chef un officier d’un haut rang, appelé Kith-Bouga, lequel était chrétien et de la nation Naïman.
Kith-Bouga alla à la rencontre du sultan, et lui tint tête vaillamment; mais il eut le dessous et périt avec tous les gens; car les Égyptiens étaient nombreux. L’action eut lieu au pied du mont Thabor. Un corps considérable d’Arméniens et de Géorgiens qui prit part à ce combat avec Kith-Bouga succomba avec lui. Cette défaite eut lieu en 709 de l’ère arménienne (16 janvier 1260 -15 janvier 1261).
XXXVII. Le roi de Géorgie David, fils de Lascha, qui régnait sous la suzeraineté des Tartares, fatigué des exactions: fréquentes qui lui étaient imposées, ainsi qu’aux grands et aux populations de ses États, exactions extrêmement lourdes et devenues intolérables, quitta sa ville de Dèphkhis, renonça au trône et à tout ce qui lui appartenait, et s’enfuit dans l’Aph’khazie intérieure, et dans les parties inaccessibles du Souanèth. Il état accompagné des principaux seigneurs de districts, qui, pour suffire aux avanies dont il étaient accablés, avaient vendu et mis en gage leurs villes et leurs possessions sans pouvoir assouvir l’avidité des Tartares, non moins insatiables que la cruelle sangsue. Le roi ne put emmener sa fille, la reine Kontsa, ni son fils nouveau-né, Dimitri, il ne prit avec lui que Giorgi, son fils aîné. Cependant le grand préfet Argh’oun, avec des forces considérables, se mit à la poursuite du roi David, afin de se saisir de lui. N’ayant pu l’atteindre, il envahit plusieurs provinces géorgiennes, dont il massacra impitoyablement ou fit captifs les habitants. Il saccagea et détruisit de fond en comble Gélath,[163] lieu de la sépulture des souverains géorgiens ainsi qu’Adzgh’or, résidence du catholicos. Mais voilà que tout coup survint un détachement de cavaliers géorgiens qui firent éclater leur bravoure en exterminant nombre de soldats d’Argh’oun. On eût dit un incendie qui se répand dans un champ de roseaux. Les Géorgiens s’en retournèrent sains et saufs; ils étaient, environ quatre cents. Argh’oun, effrayé de cet échec, n’osa plus s’aventurer à la recherche des Géorgiens; il rentra auprès de Houlagou, et, ayant machiné une malice dans son cœur, il mit en prison la reine de Géorgie Kontsa, sa fille Khotchak’, le grand prince Schahènschah, Djelâl-Elaçan, seigneur de Khatchên, et beaucoup d’autres, sous prétexte qu’ils devaient encore le tribut. Il leur extorqua des sommes considérables, et ce fut à ce prix qu’ils échappèrent à la mort. Le pieux et vertueux prince Djelâl eut surtout à endurer de sa part les plus cruelles tortures. Argh’oun exigea de lui des sommes énormes, bien supérieures à ce que Djelâl pouvait acquitter. Il lui fit mettre au cou une pièce de bois, et les fers aux pieds. Il le traitait ainsi parce que Djelâl était un chrétien fervent Celui-ci avait contre lui tous les musulmans, qui poussaient Argh’oun à le faire mourir. Ils lui disaient, « Celui-là est le plus grand ennemi de notre religion et de notre loi, » or Argh’oun était lui-même musulman. Il conduisit Djelâl à Khazwïn. Ce prince infortuné supportait tous ces tourments en bénissant le Seigneur, car il était profondément versé dans la connaissance de l’Écriture sainte, observateur de l’abstinence, assidu à la prière tempérant dans ses repas; il aspirait à la mort des martyrs. Cependant la fille de Djelâl, R’ouzoukan, qui avait épousé Béra-nouïn, fils de Tcharmagh’an, l’ancien chef des Tartares, alla trouver Dokhouz-khatoun, femme de Houlagou, pour la prier de délivrer son père des mains d’Arghoun. Cet infâme préfet, ayant eu vent de cette démarche, envoya aussitôt des bourreaux, qui mirent à mort pendant la nuit ce juste, ce saint serviteur de Dieu. Ils lui découpèrent le corps membre par membre, comme on fit à saint Jacques, martyr, aux tourments duquel il fut ainsi associé. Qu’il soit jugé digne de partager aussi sa couronne par le Christ notre Dieu. Telle fut la fin de ce digne prince. Il accomplit sa carrière, en se conservant ferme dans la foi, en 710 de l’ère arménienne (15 janvier 1261 - 14 janvier 1262). Son fils Athabag envoya des gens de confiance enlever furtivement les restes mortels de son père, qui avaient été jetés dans une citerne sans eau. Le Perse qui avait tenu Djelâl en garde dans sa maison fut témoin d’un miracle que Dieu opéra en sa faveur; car, dès qu’on l’eut mis à mort, une éclatante lumière descendit sur lui, et ce Perse, voulant prendre soin de son corps, le jeta dans cette citerne, avec l’intention de lui rendre, au bout de quelques jours, les honneurs de la sépulture. Il le découvrit à ceux qui le cherchaient, et leur raconta sa merveilleuse vision. Ceux-ci, ayant recueilli avec empressement ces restes vénérés, les rapportèrent la maison du martyr, et les ensevelirent au couvent de Kantzaçar[164] dans le tombeau de ses pères. Ces hommes virent se reproduire le même prodige d’une lumière éclatante qui était descendue sur le corps du prince. Son fils Athabag hérita de sa principauté, d’après l’assentiment de Houlagou et d’Argh’oun. Athabag, nourri dans des sentiments de piété, était continent, humble, adonné à la prière comme un saint anachorète; car ses parents l’avaient élevé dans ces principes. Houlagou fit périr le prince Zak’arê, fils de Schahènschah, lequel avait été auprès de lui l’objet de dénonciations calomnieuses.
Cette année mourut en Jésus-Christ le charitable et bon catholicos des Agh’ouans, le seigneur Nersès, après avoir occupé le siège vingt-sept ans. Il eut pour successeur le seigneur Etienne, qui était encore tout jeune.
XXXVIII. Le grand prince Schahènschah, fils de Zak’arê, donna sa principauté à son fils aîné, Zak’arê. Il avait un grand nombre de fils, Zak’arê, Avak, Sârkis, Ardaschir et Ivané. Schahènschah administrait sa maison, tandis que Zak’arê servait dans l’armée tartare. La bravoure dont il faisait preuve lui avait valu l’estime du grand Houlagou et du préfet Argh’oun. Lorsque Argh’oun, avec une armée considérable, se trouvait en Géorgie, il avait avec lui Zak’arê. Ce prince, en cachette d’Argh’oun et des troupes, alla voir sa femme, qui était chez le père de celle-ci, Sarkis, prince d’Oukhthik,[165] lequel partageait la révolte du roi de Géorgie David. Argh’oun en ayant été instruit, en prévint Houlagou, qui commanda qu’on lui amenât Zak’arê chargé de chaînes, et qui imagina une masse d’autres accusations contre lui. Il le condamna à mort, en le faisant écarteler, et ses membres furent jetés aux chiens. Lorsque Schahènschah, père de Zak’aré, eut appris cette triste nouvelle dans le village d’Ôtzoun,[166] il tomba dans un si profond chagrin, qu’il expira. On le transporta et on l’ensevelit à K’opaïr’,[167] que sa femme avait pris aux Arméniens.
XXXIX. Les puissants chefs et les grands généraux qui occupaient l’Orient et le Nord étaient parents de Mangou khan, qui mourut après la guerre contre les Nainkas.[168] Ses deux frères, Arik-bouga et Koubilaï, se disputèrent la couronne les armes à la main. Koubilaï détruisit entièrement l’armée de son concurrent, le força de s’enfuir hors du pays et monta sur le trône. Houlagou, qui était leur frère et aussi celui de Mangou khan, soutenait Koubilaï; Béréké, qui commandait dans le nord, s’était déclaré pour Arik-bouga, avec un autre de leurs parents. Un des chefs tartares, fils du khan Djagataï, le fils aîné de Tchinguiz-khan et appelé Algh’ou était en hostilité avec Béréké, parce que, à l’instigation de celui-ci et des siens, Mangou khan avait exterminé sa famille. Il envoya proposer à Houlagou de venir à son secours, en se dirigeant du sud vers la porte de Derbend. Cependant Houlagou qui avait auprès de lui les plus considérables et les plus puissants princes tartares, d’un rang égal au sien, et qui étaient venus des contrées de Bathou et de Béréké, Kouli, Bal Toutar, Megh’an, fils de Kouli, Katakhan, et bien d’autres, les fit exterminer sans pitié, ainsi que leurs troupes; tous, vieillards et enfants, furent passés au fil de l’épée, car ils étaient alors sous sa main, et ils se fréquentaient entre eux librement. Quelques-uns échappèrent; mais sans leurs femmes, leurs enfants, et ce qui leur appartenait; ils se réfugièrent auprès de Béréké et de leurs autres parents. Ce. Dernier, apprenant ce qui s’était passé, rassembla des forces immenses pour aller venger les siens immolés par Houlagou. De son côté, Houlagou réunit ses troupes, qui étaient aussi fort nombreuses,[169] et les partagea trois corps. Il confia le premier au fils d’Abaka, en lui adjoignant le préfet Argh’oun, et les envoya dans le Khoraçan au secours d’Algh’ou, d’un côté; il posta le second corps à la porte des Alains (défilé de Dariel) et, prenant avec lui le reste de ses troupes, il franchit la porte de Derbend; car il y a là deux entrées, l’une chez les Alains, et l’autre à Derbend.
Il ravagea les États de Béréké, et parvint jusqu’au fleuve large et profond qu’alimentent un grand nombre d’affluents, et que l’on appelle Ethil, fleuve qui coule comme une mer, et se jette dans la mer Caspienne. Béréké vint hardiment lui faire face, et l’action s’engagea sur les bords du grand fleuve. Il y eut un horrible carnage de part et d’autre, mais surtout dans les rangs de Houlagou, dont les soldats étaient gelés par la neige et l’intensité du froid. Une foule d’entre eux furent précipités dans le fleuve, Houlagou battit en retraite par la porte de Derbend. Cependant l’un de ses généraux et de ses plus intrépides guerriers, nommé Schirémoun, lequel était fils de Tcharmagh’an, l’ancien chef des Tartares, tint bon à la tête des siens contre Béréké, et le fit reculer. Les fuyards, s’étant ralliés à lui, furent sauvés; puis, reculant peu et faisant bonne contenance, il franchit la porte de Derbend, où une garnison fut postée. Les Tartares rentrèrent dans la plaine de Mough’an occuper leurs quartiers d’hiver. C’est ainsi que les deux partis se firent la guerre pendant cinq ans, depuis l’an 710 (15 janvier 1261 - 14 janvier 1262) jusqu’à 715 de l’ère arménienne (14 janvier 1266 - 13 janvier 1267). Chaque année, réunissant leurs troupes, ils se combattaient pendant l’hiver, car durant l’été la guerre était impossible à cause des chaleurs et du débordement des rivières.
A cette époque. Houlagou entreprit de bâtir dans la plaine de Kar’ni une ville vaste et capable de contenir une nombreuse population. Il imposa à toutes les nations soumises à son empire la corvée d’apporter du bois en abondance pour construire les maisons et les palais de cette cité, qu’il destinait à lui servir de résidence d’été, pour aller respirer le frais. Gens et bêtes étaient contraints à un rude labeur par des agents plus impitoyables que ceux qu’avait préposés Pharaon, sur les enfants d’Israël. Cent paires de bœufs attelés à une pièce de bois ne pouvaient pas la faire mouvoir, tant étaient lourdes et grandes les charpentes que l’on employait, et les distances étaient considérables et les chemins difficiles, à travers fleuves et montagnes. Sous les coups de ces agents chargés des travaux succombaient les hommes et les animaux. Houlagou y fit élever de grands temples ses idoles. Il avait fait venir tous les ouvriers travaillant la pierre ou le bois, et des peintres. Les magiciens tartares qui faisaient parler les chevaux, les chameaux et les idoles de feutre,[170] et qui pratiquent l’art des sortilèges, sont tous prêtres; ils ont la tête rasée et portent un manteau jaune attaché sur la poitrine. Ils adorent tout les objets mais principalement Sakya-mouni, et Maïtrêya. Ils abusèrent Houlagou en l’assurant qu’ils le rendraient immortel. Ce prince se réglait sur leurs paroles, et faisait halte, se mettait en marche ou montait à cheval d’après leurs volontés, auxquelles il s’était abandonné sans réserve. Il s’inclinait et se prosternait plusieurs fois par jour devant leur chef. Il mangeait des mets consacrés dans le temple des idoles, et traitait ces prêtres avec plus de considération que personne. Aussi prodiguait-il les dons pour orner les temples. La première de ses femmes, Dôkhouz-khathoun qui était chrétienne, lui en fit des reproches réitérés; mais elle ne put le détourner de ces magiciens. Cette princesse, qui vivait dans la pratique de la religion, était la protectrice et le soutien des chrétiens.
En 714 notre ère (14 janvier 1265 – 13 janvier 1266), un phénomène remarquable apparut dans les cieux: un astre se montra dans la direction du nord au levant; il projetait en avant, vers le sud, des rayons de lumière en forme de colonne. L’astre lui-même était petit; sa marche était rapide; il se montra pendant un mois, après quoi il disparut tout à fait. Il ne ressemblait à une comète qui apparaît par intervalles, en se dirigeant de l’ouest au nord. Il laissait échapper des rayons qu’il lançait au loin, et qui augmentèrent de jour en jour jusqu’à ce qu’il s’éteignit. En ce temps moururent Houlagou et sa femme Dôkhouz-khathoun. Il eut pour successeur son fils Abaka, en 714 de l’ère arménienne Ce jeune prince épousa la fille de l’empereur des Romains, nommée Despina-khathoun, qui arriva avec une pompe magnifique, escortée du patriarche d’Antioche et de plusieurs évêques Elle était conduite par le seigneur Sarkis. Evêque d’Ëzénga, et le vartabed Pènèr.[171] Après avoir baptisé Abaka, ils le marièrent à cette princesse. Abaka, ayant formé une armée considérable, marcha contre Béréké. Les troupes de ce dernier, après avoir franchi la porte de Derbend, s’établirent sur le bord du fleuve [Gour]. Les deux partis campaient chacun sur la rive opposée, qu’ils fortifièrent par des murailles et des tranchées.
Ici s’arrête le récit brusquement et se termine l’ouvrage de Guiragos dans nos deux manuscrits les plus étendus, A et B. L’auteur a été empêché de continuer pour une cause quelconque qu’il nous a laissé ignorer. Comme ces deux manuscrits, de provenance toute différente, finissent par le même mot, on peut croire qu’ils reproduisent en entier la composition de l’historien arménien. Je n’ose point cependant affirmer d’une manière absolue que l’on ne puisse point retrouver un jour quelque copie plus complète.
[1] Le couvent de
Kédig s’élevait dans le voisinage de deux autres monastères non moins renommés
comme centres d'études au moyen âge, Sanahïn et Hagh'pad. Il était situé dans
le district de Tzoraph’or, province de Koukark dans le nord-est de la Grande
Arménie, non loin de la forteresse de Gaïan. Ce couvent ayant été détruit par
un tremblement de terre, son supérieur, Mékhithar Kôsch, bien connu par son
recueil de fables et par sa compilation du code arménien, le rebâtit sous le
nom de Nouveau Kédig, un peu plus loin, dans un lieu appelé Dantzouda'-tzor
la vallée de Dantzoud. Cf. Indjidji, Arménie ancienne)
[2]On fit dans la Chronographie de
Samuel d'Ani, à l'année 564 de l'ère arménienne (21 février 1115- 22 février
1116) Kizil [-Arslan] s'empara de la ville de Lor’ê et brûla les saints couvents
de Hagh’pad et Sanahïn. Et un peu plus loin, sous la date de 567 (20 février
1118-21 février 1119): « le tyran scythe Kizil, mot qui signifie le Rouge, fut
tué à la prise de Tévïn, par les Perses, qui avaient assiégé cette ville
pendant six mois.
[3] Le catholicos
Pierre Ier siégea de 1019 à 1058; contemporain des deux frères Jean
et Kakig II, souverains bagratides d'Ani, il eut des démêlés avec eux et
contribua avec les nobles de l'Arménie à livrer ce pays aux Grecs. Son
existence fut très agitée; il quitta et reprit son siège et finit par se
retirer à Constantinople et ensuite à Sébaste, en Cappadoce, ou il mourut et ou
il fut enterré dans le couvent de la Sainte-Croix. Il exerça une très grande
influence politique qu'il employa malheureusement à précipiter la chute de la
monarchie des Bagratides et à soumettre sa patrie à un asservissement dont elle
ne se releva jamais. Mal gré cela les Arméniens le tiennent en grand honneur
pour un miracle qu'ils lui attribuent. Pendant que l'empereur Basile II
hivernait dans la Chaldée Politique, Pierre s'étant rendu auprès de lui, en
qualité d'ambassadeur du roi Jean, Basile l'invita à célébrer la cérémonie de
la bénédiction de l'eau, le jour de l'Epiphanie, suivant le rite arménien, en
présence des grands de sa cour et du clergé grec. Au moment où Pierre plongeait
sa croix dans le fleuve, les eaux s'arrêtèrent tout à coup, et lorsqu'il y
répandit le saint chrême, des rayons de lumière éclatèrent aux yeux de tous. Ce
prodige est rappelé avec complaisance par les historiens arméniens, comme une
manifestation de la vérité de leur croyance nationale contre les Grecs, qui les
«rusaient et les accusent encore d'hérésie; il valut à Pierre le surnom de
« qui fait remonter en arrière ou arrête un fleuve », sous
lequel il est toujours désigné. (Cf. Arisdaguès Lasdiverdtsi, éd. de Venise,
1844; le Ménologe arménien, 6 janvier, et Tchamitch, Hist. d'Arménie,
IV, lvi, t. II, p. 908.)
[4] Pour la position de la
forteresse de Dzovk, voir p. 198, note 2.
[5] Kakig II, dernier roi d'Ani
(cf. ci-dessus, page 30, note 1), était de la race royale des Bagratides et non
de la famille des princes Ardzrounis, comme notre auteur le prétend. Cette
spoliation du souverain arménien est racontée dans tous ses détails par
Matthieu d'Édesse, à l'année 493 (11 mars 1043 — 13 mars 1044) (cf. t. Ier
de la Biblioth. histor. armén. chap. lxv
et lxvi), ainsi que sa fin tragique,
qui fut une vengeance des traitements ignominieux et de la mort affreuse que
Kakig avait fait subira Marc, métropolite grec de Césarée. On peut voir
ci-dessus, p. 97-100, la manière dont le prince Thoros Ier punit les
meurtriers de Kakig. Ce prince laissa un fils qui ne tenta jamais de recouvrer
les États de son père, et qui mourut jeune encore.
[6] L'auteur
commet un anachronisme évident, en anticipant considérablement ces événements
qui appartiennent au règne de l'empereur Manuel: 1° l'expédition d'Andronic
Comnène contre Thoros II, qui est de 1152 (cf. Grégoire le Prêtre. chap. cxiii. p. 168), et 2° le meurtre de
Sdéph'ané qui eut lieu en 1163 (cf. ibid. ch. cxxxiii,
p. 209; il faut donc lire ici Manuel au lieu d'Alexis.
[7] Cf. ci-dessus Matthieu
d'Édesse, chap. lxi, p. 103, et
ibid. note 2.
[8] Les auteurs
varient de trois ans environ sur la durée du pontificat de Grégoire III,
Bahlavouni. Elle fut de cinquante-trois ans, d'après le chronographe Mékhithar
d'Aïrivank (édition de M. Emin. Moscou, 1860, p. 17) et l'auteur de la Vie
de saint Nersès Schnorhali (Petite Biblioth. armén.). Sacré en 562
de l'ère arménienne (21 février 1113-20 février 1114) suivant Matthieu d'Edesse
(cf. ci-dessus, p 108. ch. lxiv),
il mourut, comme l'affirme l'historien Vartan en 617 (8 février 1168-6 fév.
1169); ce qui nous donne une durée de cinquante-cinq ans; ou en 613 (9 février
1164-7 février 1165), si l'on s'en rapporte au biographe précité de saint
Nersès. et nous n'aurions plus alors qui cinquante ou au plus cinquante et un
ans (cf. Tchamitch, Histoire d'Arménie). Mais il existe, en traduction
arménienne, une lettre de Manuel Comnène adressée à Grégoire et datée de
Constantinople, septembre, indiction xv
(1166). (Œuvres en prose de saint Nersès Schnorhali, Saint-Pétersbourg, in-4°,
1788). Lorsque l'officier du palais qui en était porteur, nomme Sempad, fut
parvenu à Hrom-Gla, le patriarche venait de mourir depuis quelques mois et
avait été remplacé par son frère cadet saint Nersès. La mort de Grégoire eut
donc lieu réellement en 1166, ou 615 de l'ère arménienne dans la
cinquante-troisième année en cours de son pontificat (cf. ci-dessus, p. 76.
note 2); par suite il faut introduire dans le texte de Vartan la correction si
souvent nécessitée par l'erreur des copistes du 7 en 5, et lire 615, et non
617.
[9] Notre auteur confirme ainsi la
date assignée à ce tremblement de terre par Ibn Alathir, qui le place à l'année
534 de l'hégire (1139-1140) (cf. M. Defrémery, Fragments d'historiens arabes
et persans inédits relatifs aux anciens peuples du Caucase et de la Russie
méridionale, p. 37-38 du tirage à part du Journal asiatique, 1849).
Ibn el Djouzi, Aboulfaradj, Dzéhebi, Aïni et Hadji Khalfah avancent cet
événement d'une année.
[10] Voir, au sujet du roi de
Géorgie, Dimitri Ier, ci dessus, page 137, note 6. Ses deux fils,
David III et Giorgi III, dont il a été question précédemment, page 193, note 4,
et pages 196, 197, 200, 201, 353, 354 et 356, lui succédèrent. Le premier n'eut
qu'un règne très court, le second occupa le trône pendant vingt-huit ans, de
1156 à 1184. (Cf. M. Brosset, Hist. de la Géorgie, part. I).
[11] Un des battants de cette porte
en fer se trouve aujourd'hui au couvent de Gelât, en Iméreth, dans une petite
chapelle de saint Georges. On connaît le travail si complet que feu M. de
Fraehn a publié sur l'inscription arabe gravée sur ce monument. (Cf. Mémoires
de l'Académie des sciences morales et politiques de Saint-Pétersbourg, t.
III, et le précis du travail de M. de Fraehn, consigné dans le Journ.
asiatique. IIIe série, t. II). Suivant la tradition géorgienne,
ce monument proviendrait de Derbend, d'où il aurait été emporté par le roi
David le Réparateur. Mais M. Brosset a montré, d'après ce même passage de notre
historien, par le témoignage de Vartan, et une inscription géorgienne recueillie
par lui, à Gelât, que la porte conservée dans ce monastère est bien celle dont
parle Guiragos, comme d'un trophée pris à Kantzag par le roi Dimitri Ier,
la treizième année de son règne. (Voir le Journal français de
Saint-Pétersbourg, n° du 16-28 mars 1847, et Histoire de la Géorgie,
Ire partie, p. 368, note 3.)
[12] En arabe, Hérek, forteresse à
une journée de marche de Kantzag, décrite par Kazwini. Cf. M. Dorn, Geographica
Caucasica,
Saint-Pétersbourg, 1847, in-4°, p. 30 et 67-68.)
[13] Suivant une tradition
conservée avec vénéra lion par les Arméniens et qui remonte au ive siècle, le roi Tiridate
II, qui avait embrassé le christianisme vers 300 ou 302, du temps de Dioclétien
(cf. mes Recherches sur la chronologie armén.), ayant appris la
conversion de Constantin, résolut d'aller l'en féliciter; il partit accompagné
de douze de ses satrapes les plus considérables, emmenant avec lui saint
Grégoire l’Illuminateur, le fils de ce dernier, Arisdaguès, et Albianus, évêque
du district de Hark, dans la province de Douroupéian. Après une longue
pérégrination, ils arrivèrent en Italie et rencontrèrent l'empereur à Rome.
(Constantin et Tiridate, le pape saint Sylvestre et saint Grégoire
contractèrent une alliance qui fut cimentée par des traités. Une circonstance
dont cette tradition s'est accrue postérieurement est celle de la consécration
de saint Grégoire par saint Sylvestre, comme patriarche d'Arménie. (Cf.
Tchamitch, II) Mais si cette entrevue des deux monarques et des deux pontifes
est un fait incontestable, puisqu'il est affirmé par deux écrivains
contemporains, Zénob de Klag (éd. de Venise, in-8°, 1832) et Agathange,
secrétaire de Tiridate, ch. cxxvi
(édit. de Venise, in-18, 1835), et par un historien du ve siècle, Elisée (éd. de Venise, in-18, 1842), la
circonstance racontée par Tchamitch est loin d'avoir le même caractère
d'authenticité, puisque saint Grégoire avait déjà reçu l'imposition des mains
de saint Léonce, évêque de Césarée. De même, si l'existence des traités en
question ne saurait être révoquée en doute, puisque Elisée nous apprend que,
lors de l'ambassade envoyée par les Arméniens à Théodose le Jeune, on apporta,
à l'audience que les députés obtinrent de l'empereur, les registres, où étaient
transcrits ces traités, on peut, par contre suspecter la le production de ces
antiques documents, telle que nous l'offre le livre connu aujourd'hui. Le
voyage de saint Grégoire à Rome est la preuve péremptoire de la primitive union
de l'Eglise arménienne avec l'Eglise occidentale, et des bons rapports qui les
rattachaient alors l'une à l'autre; ces rapports cessèrent bientôt après, et
les Arméniens s'isolèrent, vers le milieu du ve
siècle, par leur schisme particulier qui leur a fait une position mal définie
entre les Grecs et les Latins. Leurs relations avec l'Occident ne
recommencèrent d'une manière suivie qu'a l'époque et a l'occasion des
croisades; il est vrai de dire que toutes les tentatives, plutôt politiques au
fond que religieuses, des princes de la Petite Arménie pour opérer l'union avec
le siège de Rome ne produisirent, par suite de l'opposition et de l’antipathie
de la majorité de la nation contre les Latins, que des résultats éphémères.
[14] Guiragos fait allusion à un
jeu de mots reproduit d'une manière plus explicite par Samuel d'Ani, sur le nom
de l'empereur Manuel Comnène. Emmanuel, nobiscum
Deus, est le
nom de Jésus-Christ, tandis que Minuel (Manuel) peut signifier longe
a nobis Deus.
[15] Notre auteur veut parler du
comte de Saint-Gilles et de la découverte miraculeuse de la sainte lance dans
l'église de Saint-Pierre d'Antioche (cf. Matthieu d'Édesse, ch. vi et xi);
seulement il a arrangé ce récit à sa manière.
[16] Il s'agit ici évidemment du
célèbre Nour ed-din; mais Guiragos se trompe en lui attribuant le titre de
sultan que Nour ed-din ne prit jamais, même a l'apogée de sa puissance, se
contentant du titre plus modeste d'Atabek; notre auteur est aussi dans l'erreur
en plaçant sous la même autorité Alep et Merdïn, puisque, à cette époque, cette
dernière ville appartenait à Houram ed-din Timourtasch. Ortokide, fils du
célèbre Ilgazi.
[17] Ceci est encore une erreur.
Guy de Lusignan, après avoir perdu son royaume par la prise de Jérusalem, ne
quitta point la Syrie; il dirigea d'abord le siège de Ptolémaïs, mais déjà,
avant que cette ville tombât au pouvoir des croisés, il avait perdu toute
importance et avait fini par s'effacer, jusqu'au moment où il obtint le royaume
de Chypre, en 1192.
[18] Les Adéliens sont la
famille des princes ayyoubides, ainsi nommés de Malek Adel ou Mélik el-'Adel,
frère de Saladin et l'un de ses plus célèbres successeurs. Cette famille forma
plusieurs branches, en Egypte, à Alep, Damas, Hama, Hêms, Khélath, Meïafarékïn,
et dans l'Yémen.
[19] Il est ici
question, sans aucun doute, du fils de Saladin, El-Mélik eddhaher Ghiâth ed-din
Gazi, qui, à la mort de son père, arrivée le 27 de séfer 589 (4 mars 1193),
s'établit à Alep et régna dans cette ville jusqu'en 1216. Mais Guiragos se
trompe en lai attribuant la possession de Damas qui appartenait à un de ses
frères, El-Mélik el-Afdhal Nour ed-din Ali, et dont s'empara ensuite le frère
de Saladin, Mélik el-'Adel.
[20] Ces paroles de Léon au clergé
arménien sont l'expression de la politique artificieuse qu'il suivit a l'égard
des Latins, et qui fut celle aussi de ses successeurs; elle est peu honorable
et peu digne au fond, mais elle était commandée en quelque sorte par leur situation
difficile et ambiguë. Placés entre les exigences des papes qui réclamaient
l'unité dans le dogme et sur plusieurs points de la discipline, et qu'ils
avaient le plus grand intérêt à ménager comme arbitres de la chrétienté, et
entre, la formidable opposition du clergé arménien et de la nation, qui
repoussaient les prétentions des Latins, les souverains de la Cilicie se virent
toujours forcés de louvoyer. Ceux d'origine latine, comme Philippe d'Antioche
et les deux premiers Lusignan, Jean, dit Constantin III, et Guy, son frère, qui
ne craignirent pas de heurter les préjugés nationaux, finirent d'une manière
tragique.
[21] Isabeau, princesse de la
maison d'Antioche. On verra dans la Chronique de Sempad les causes de la
rupture de Léon II avec cette princesse et des violences auxquelles il se livra
envers elle.
[22] Sibylle, fille du second fit
d'Amaury, roi de Chypre et d'Isabeau de Plantagenêt, reine de Jérusalem. (Cf.
Sempad, ad annum 659).
[23] C'est le même prince dont il a
été question précédemment, p. 421, note 3. El-Mélik eddhaher Ghiâth ed-din
Gazi, fils de Saladin.
[24] Ce fleuve est probablement le
Djeyhân, ou Pyramus, qui est le plus rapproché des frontières de la Cilicie
vers la Syrie.
[25] Le catholicos Jean VIII, dit
le Magnanime, d'abord archevêque de Sis, appartenait à la famille des
Héthoumiens, qui était sans cesse en désunion et en rivalité avec celle des
Roupéniens. Jean, imbu de l'esprit de sa famille, une fois sur le siège (1203),
affecta de braver les ordres du roi, et s'attira son mécontentement. Léon
résolut de le déposer; mais, craignant que cette mesure n'occasionnât du
mécontentement dans la nation, il prit le parti de la patience. Enfin, ne
pouvant plus supporter l'arrogance du prélat, il fit élire, dans une assemblée
d'évêques et de docteurs, David III d'Ark'agagh'în (1206). A la mort de David,
arrivée en 1208, Jean, qui s'était réconcilié avec son souverain, fut rétabli
et se maintint jusqu'à sa mort arrivée en 1225, sous la régence du grand baron
Constantin, Italie (tuteur) de son fils mineur, le roi Héthoum Ier.
[26] Un des principaux griefs
imputés à Philippe, et le plus grave aux yeux des Arméniens, était d'avoir
manqué à l'engagement qu'il avait pris de respecter leurs dogmes et leurs
rites, et d'avoir montré de la partialité pour l'Église latine.
[27] On verra plus loin, dans mes
note» sur la Chronique de Sempad, les détails intimes et très curieux que
fournit Aboulfaradj sur la vie privée du roi Philippe d'Antioche, sur la
révolution de palais qui détrôna ce prince, arraché de sa couche nuptiale pour
être jeté en prison, et sur les dispositions de la reine Isabeau pour lui et
ensuite pour son second mari.
[28] C'est le connétable Sempad,
l'historien.
[29] Sans doute Oschin, le préféré
de son père, et auquel celui-ci avait donné en fief le comté de Gorigos, malgré
l'opposition et tes réclamations de l'aîné, le connétable Sempad. Des six fils
du grand baron Constantin, deux, ce même Sempad et le roi Héthoum, ont été déjà
nommés et nous sont connus; un autre, Basile, seigneur du couvent de Trazarg,
était ecclésiastique et, par conséquent, inhabile à être investi du titre de prince
du royaume; deux autres encore, Ligos et Léon, ne remplirent qu'un rôle
obscur et presque ignoré. Nous sommes ainsi conduits par exclusion à croire
qu'il s'agit ici d'Oschin, fils cadet de Constantin.
[30] D'après les calculs du
connétable Sempad, le règne de Héthoum Ier aurait commencé deux ans
plus tard, en 675 de l'ère arménienne (24 janvier 1226 — 23 janvier 1227).
C'est cette dernière date qui est la vraie, puisque Aboulfaradj (Chron. Syr.)
fixe d'une manière précise l’avènement de Héthoum au lundi de la Pentecôte, 14
du mois de Haziran (juin), 1537 de l'ère des Grecs (1226); seulement le
chroniqueur syrien s'est trompé sur le quantième mensuel, puisque, en 1226, la
Pâque étant tombée le 19 avril, la Pentecôte se rencontra le 7 juin, et le
lendemain lundi fut par conséquent le 8. La différence entre Guiragos et Sempad
peut du reste s'expliquer par le fait que Héthoum, encore à peine entré dans
l'adolescence, fut accepté pour roi par le catholicos Jean et les grands, sur
la présentation et d'après les instances de son père le grand baron Constantin,
mais que ce ne fut qu'au bout de deux ans, et après la mort de Jean, qu'il fut
marié à Isabeau et proclamé officiellement par le nouveau catholicos. Constantin
Ier.
[31] J’ai expliqué (Récit de la
première croisade, ch. i, note 9) le sens que les Arméniens attachent au
mot Dadjig, par lequel ils désignaient anciennement tous les peuples
nomades en général, et qu’ils ont appliqué depuis à toutes les nations
musulmanes, Arabes, Persans et Turcs. L’auteur fait ici allusion aux courses et
aux dévastations que les Géorgiens, profitant de la négligence d’Euzbeg, atabek
de l’Azerbaïdjan, avait faites précédemment dans cette contrée, dans l’Aran, le
Schirwan et le territoire d’Erzeroum.
[32] Le mot gabidj est un nom de
mesure pour les grains ainsi que pour les substances liquides. Le gabidj
répondait au congius
et au sextarius des Romains. Ananira de Schirag, mathématicien et
computiste arménien qui vivait au ve
siècle, assimile, dans son Traité des poids et mesures, le gabidj à la moitié
d’un boisseau. (Cf. Pascal Aucher, Explication des poids et mesures des anciens,
en arménien, Venise, 1821 in-4°)
[33] C’est la leçon que donnent les
manuscrits A et C; le manuscrit B lit Pélougoun, et Tchamitch (Hist.
d’Arménie, t. III, p. 201), Pélougoum. C’est une localité de
l’Agh’ouanie arménienne, au sud de Bardav.
[34] Ivanê, qui portait le titre
d’atabek du royaume de Géorgie, avait succédé vers 1212, à son frère Zak’aré,
dans le commandement des armées géorgiennes. Il était de l’illustre famille des
Mekharguerdzel d’origine kurde, d’après notre auteur et Vartan. Cette famille
s’attacha au service des rois de Géorgie et remplit un rôle considérable après
la ruine des Orbélians. Cf. M. Brosset, Hist. de la Géorgie, Additions,
p. 415-417).
[35] La forme mongole de ce nom est
Soubeguetaï Baghatour, c’est un des plus anciens généraux de Tchinguiz
khan, et il appartenait à la tribu Ourianguite.
[36] District de la province
d’Artsakh, dans l’Arménie septentrionale de la Géorgie.
[37] M. Brosset, dans son Histoire
de la Géorgie, Additions, p.123, a traduit ainsi ce passage: « Il
(Ivanê) rassembla une armée nombreuse pour marcher contre le sultan, armée
composé de Persans de Tadjiks et Turcs. » Il ajoute en note qu’il ne
s’explique point la composition d’une pareille armée. Je le crois bien; mais la
faute n’en est pas à l’auteur arménien, qui est ici parfaitement clair.
[38] Dans l’est de la province
d’Ararad.
[39] Les manuscrits A et C portent
cette leçon; le manuscrit B, Thoun ier than dchah.
[40] L’auteur se sert de cette
expression pour désigner un instrument de musique usité chez les anciens
Arméniens, et qui était une sorte de lyre dont on tirait des sons avec une
baguette ou un archet. Mais nous en ignorons aujourd’hui la véritable forme; on
peut voir ce que j’ai dit à ce sujet dans mes Etudes sur les chants
historiques et les traditions populaires de l’ancienne Arménie, cahier de
janvier 1852, p. 33, note 2.
[41] Cette plaine, où se trouvait
le campement d’hiver des Mongols, s’appelait aussi, plaine de Taran ou Tarïn,
ou bien encore, plaine de Hémian. Elle occupe le vaste delta formé par
l’Araxe après sa jonction avec le Cour ou Cyrus.
[42] C’est le nom par lequel les
historiens arméniens désignent habituellement les Mongols.
[43] Des quatre fils qu’avait eus
Tchinguiz-khan, Djoutchi, Tchagataï, Ogotaï et Touloui, le premier était mort
du vivant son père.
[44] Il y a dans le texte un nom
dont la forme se rapproche de celle de Khitan. Ce nom peut être traduit:
les non-Khitans, c’est les peuples étrangers par leur origine à ceux du
Khataï.
[45] Transcription du mongol nouïan,
seigneur, prince.
[46] Ce mot, où se trouve une
suffixe déterminative arménienne, me parait être le persan impérial.
[47] Vahram, fils de Plou-Zak’ar,
de la famille des princes arméniens de Khatchên possédait tout ce district, et
la ville de Schamk’or, qu’il avait enlevée aux Turcs.
[48] Ces trois forteresses étaient
non loin de Schamk’or, dans le district de Kartman qui fait partie de
l’Agh’ouanie arménienne. Tchamitch (Hist. d’Arm., t. III, index, p. 148)
place Ërkèvank’ dans le voisinage et à l’ouest de Kartman. Indjidj (Armén.
Anc., p. 538) range Derounagan dans le nombre de localités dont la position
ne nous est pas exactement connue aujourd’hui. Il fixe Ërkévank’ (p. 316) dans
la province d’Artsakh, et Madznapert (p. 381) dans la province d’Oudi.
[49] Goriguê IV appartenait à la
dynastie des princes Bagratides de Daschir qui avait pour capitale la ville de
Lor’ê. Cette dynastie remontait à Kourken, fils d’Aschod III, dit le
Miséricordieux, roi Bagratide d’Ani, et son commencement datait de la fin
du xe siècle.
[50] Forteresse et district du pays
d’Oudi.
[51] Forteresse du territoire de
Kartman, près du district de Khatchên, suivant Tchamitch; placée par Indjidj
dans sa liste des localités dont la position est incertaine. C’est aujourd’hui
Mamr’od, à ce que l’on suppose. (Cf. Topographie de la grande Arménie,
par le R. P. Léonce Alischan, en arménien).
[52] Forteresse du même district de
Kartman, aujourd’hui en ruines. (Léonce Alischan, ibid.).
[53] Ces quatre forteresses, qui
faisaient partie du domaine des princes de Khatchên, sont énumérées par
Indjidji dans le nombre des localités dont le site n’est point aujourd’hui
parfaitement déterminé; les circonscriptions provinciales dans lesquelles elle
étaient comprises, Artsakh, Oudi et Koukark’, ayant sans doute varié dans leurs
limites à différentes époques.
[54] Jean Vanagan, un des plus
célèbres docteurs de l’Église arménienne, élu dans le monastère de Kédig, sous
la direction de Mekhitar Kosch l’auteur des Fables arméniennes. Il fonda le
monastère de Khoranaschad dans la province d’Artsakh, où il compta de nombreux
disciples. Il mourut en 1251, suivant l’historien Vartan. Feu Mgr
Soukias Somal, dans la notice qu’il a donnée de cet écrivain (Quadro della
storia letteraria di Armenia, p. 107-109), brouille les principaux de sa
vie.
[55] Couvent de l’Arménie
orientale, renommé au moyen âge comme centre d’études religieuses et littéraire
situé auprès des deux monastères non moins célèbres de Sanahïn et de Hagh’pad;
il était dans la vallée de Dantzoud, district de Tzoro’phor près de Koukark’.
Ce monastère était connu sous le nom de Kédig ou nouveau Kédig, et a été bâti
par Mékhithar Kosch, non loin de l’ancien de couvent de Kédig, Hin Kédig,
lorsque ce dernier, qui avoisina la forteresse de Gaïan, eut été détruit.
[56] Capitale du district de
Daschir, dans la province de Koukark’. Elle fut fondée dans le xie siècle ou peut-être
restaurée seulement, par David Anhogh’ïn (sans terre), fils de Kourkên, et le
second de la dynastie des princes de la dynastie des Goriguians.
[57] Ou Témanis et Schamschoulde
de la province de Koukark sur les confins de la Géorgie.
[58] Forteresse du district de
Tzoro’ph’ or, dans la province de Koukark’, mentionnée déjà au vie
siècle par Jean Catholicos.
[59] Appelé aussi autrefois par les
Arméniens mer de Kegh’am ou lac de Sécan, aujourd’hui Mer
Bleue, par les Turcs, Belle Mer, par les Persans.
[60] Place forte de la province
d’Ararad, située dans ce district de Djagadk’, suivant Thomas de Medzoph’.
[61] Dans le chapitre suivant, Guiragos
écrit tout au long le nom de ce prince Djélal ed-din, Dchalalatin,
« l’illustration de la religion » et Vartan, Djélal eddaula,
« l’illustration de l’empire. »
[62] Sans doute par suite d’une
attaque de paralysie.
[63] Manuscrit B, c’est un surnom
familier sous la forme d’un diminutif. Vartan dit que cette princesse
s’appelait Khorischah.
[64] Ou Khôïakhanapert. La
forteresse Khôïa-khan ou Khôkhan, dans la province d’Artsakh, était située en
face de celle de Kantzaçar, qui appartenait aussi à Haçan, et où se trouvait un
couvent du même nom, qui était le lieu le la sépulture des princes de cette
famille.
[65] Cette liste étant le plus
ancien spécimen de la langue mongole que nous possédions, je la reproduis ici;
les noms en regard desquels manque le mot mongol sont ceux que je n’ai pu
retrouver dans les dictionnaires de MM. Schmidt et Kowaleski. Quelques-uns
appartiennent au turc, à l’arabe, et un a été retrouvé en mandchou par M.
Stanislas Julien. Je dois aussi à l’obligeance de ce savant sinologue
l’identification de cinq mots mongols.
[66] Ms. B. thoula
[67] Ma. B. harérian
[68] Ms. B. iôgh
[69] Ms. B. aph’dchi
[70] Ms. B. pourk’ouï
[71] Ms. B. aurmag
[72] Ms. B. irgan (monde)
[73] Ms. B. naour
[74] Ms. B. moran
[75] Ms. B. koudoud
[76]
Ms. B. éléb
[77]
Ms. B. Khsrar-nouïn
[78] Ms B. Tchor’thoun-nouïn
[79] Le manuscrit B omet ce nom.
[80] Crécelle ou instrument de bois
qui, par le bruit qu’il produit lorsqu’il est agité ou frappé à un autre
morceau de bois, sert en Orient à appeler les fidèles à la prière.
[81] Le roi Héthoum Ier
régna d’après la Chronique de Sempad de Cilicie, de 1226 à 1270.
[82] Ce district était compris,
suivant Tchamitch, dans la province de Koukark’. Indjidji (Arm. anc., p.
527-528) le place, d’après l’autorité d’Etienne Orbélian, entre la province
d’Artsakh, le district de Kartman, qui faisait partie de cette province, et les
bords du lac de Kegh’am.
[83] Il est appelé Baïdjou
dans d’Ohsson (Hist. des Mongols, liv. IV, ch. II).
[84] Dans le manuscrit B, fils de
Tov.
[85] Dans la plaine qui s’étend
entre la ville de Garin et Ezenga, province de la haute Arménie.
[86] C’est-à-dire un diplôme
portant l’empreinte en or, du sceau du grand khan.
[87] Lampron, aujourd’hui Nimroun-Kalessi,
à deux journées de marche au nord-ouest de Tarse, dans une des gorges du
Taurus. Elle appartenait à une famille de princes appelés Héthoumiens,
qui étaient vassaux de l’empire grec, et sur l’origine et la généalogie
desquels on trouvera des détails dans mes Recherches sur la Chronologie
arménienne, t. I, IIe partie (Anthologie chronologique, n°
LXXXV.)
[88] Ritha (Marguerite), fille de
Sempad, seigneur de Bahar’on, de la famille des princes Héthoumiens. Elle avait
épousé Sdéph’ané père de Léon II.
[89] M. Brosset, dans ses Rapports
sur un Voyage archéologique exécuté en Géorgie et en Arménie en 1847-1848, 1ère
livraison, p. 28- 29, a transcrit un mémorial métrique, œuvre du copiste de la
Bible conservée, sous le numéro 3, parmi les manuscrits de la Bibliothèque du
couvent patriarcal d’Edchmiadzïn. Dans ce mémorial, il est question de
Constantin et du baron Geoffroy (Djoufrè), tous deux fils de Héthoum, seigneur
de Lampron, et beaux-frères de Constantin, prince des princes, père du roi Héthoum
Ier, r de Cilicie. Mais, par une singulière confusion, ce savant a attribué au
roi Héthoum comme fils, ses deux oncles maternels, Constantin et Geoffroy. Il
est à regretter que nous ne possédions pas une copie plus exacte de ce texte,
précieux comme spécimen du dialecte arménien vulgaire usité en Cilicie au moyen
âge, et par les renseignements historiques qu’il fournit. M. Brosset a lu la
date de la mort du baron Geffroy, 807 de l’ère arménienne, ou 1358 de J. C. et
cette date e reproduite dans le tableau généalogique construit par lui (ibid.
p. 29), avec celle de la mort du roi Héthoum, prétendu père de Geoffroy, le
mardi 8 octobre 1270. Or, comme il est dit formellement dans notre Mémorial que
Geoffroy vécut dans le monde l’espace de trente-quatre ans, il en
résulte qu’en admettant la leçon, il serait né cinquante-quatre ans après que
son père avait terminé ses jours. La copie précitée nous offre ce qui suit: il
était fils du seigneur Héthoum, rambla de la Grande Arménie.
Il
y a là une double faute; d’abord il ne saurait être question de la Grande
Arménie, depuis longtemps et tout entière au pouvoir des infidèles, et où les
rois et les chefs de la Cilicie n’avaient alors rien à prétendre; ensuite, le
mot rambla, n’est point arménien et ne signifie rien. En évitant de
confondre, comme l’a fait M. Brosset, on doit lire chambellan,
expression que les Arméniens avaient empruntée aux Francs de la Syrie, avec la
dignité qu’elle désigne, et l’on doit transcrire et traduire ainsi: grand
chambellan d’Arménie.
[90] Littéralement poseur de
couronne. Ce titre appartenait à l’un des grands officiers du palais, qui avait
pour attribution de placer le diadème sur le front des souverains d’Arménie
lors de leur avènement. Cette charge et le titre qui la désigne remontent à une
haute antiquité, puisque nous voyons, dan le iie
siècle avant Jésus-Christ, Valarsace, premier roi arsacide d'Arménie en investir
le prince bagratide Pakarad, dans la famille duquel ces fonctions se
perpétuèrent jusqu’à l’extinction des Arsacides arméniens, en 1128 de notre
ère. (Moïse de Khoren. II, ii et vii.) Ces fonctions avaient été
introduites à la cour des rois d’Arménie, à l’imitation du cérémonial suivi
chez les Arsacides de Perse. (Ibid. ch. vii
et viii).
[91] La princesse géorgienne
qu’avait épousée Ghiâth ed-din et qui était fille de R’ouçoudan, se nommait Thamar.
[92] Guiragos transcrit le titre
des empereurs mongols; tantôt sous la forme khan, ou ghan, et
tantôt sous celle de Khakan.
[93] Nersès III, 63e
catholicos des Agh’ouans, siégea depuis 684 de l’ère arménienne (22 janvier
1235 - 21 janvier 1236) jusqu’en 710 (15 janvier 1261 - 14 janvier. 1262),
suivant Guiragos, ou jusqu’en 711 (15 janvier 1262 -14 janvier 1263) de sa
mort, suivant Vartan. (Cf. Schahkhathouni, Description de la cathédrale d’Edchmiadzïn
et des cinq districts de l’Ararat, t II, p. 341-342) imprimerie du couvent
patriarcal d’Edchmiadzïn, 1842.)
[94] Manuscrit B, Basra-nouïn.
[95] L’historien Vartan, de
Partzerpert, dit le Grand, qui avait fait ses études au couvent de Kédig avec
Guiragos, sous la direction de Jean Vanagan.
[96] Tchamitch place Anpert dans
l’Arakadz-öden district de la province d’Ararad, et Indjidji (Arménie
ancienne, p. 503-504), parmi les localités de cette province dont la
position est aujourd’hui incertaine.
[97] Célèbre monastère qui
existait, à ce qu’il parait, dans le voisinage de la ville de Guétchror,
province d’Ararad.
[98] Autre couvent situé en face de
la ville de Kar’ni, dans le district de Kegh’ark’ouni, province de Siounik’,
sous le vocable d’Aménaphèrguitch (le Rédempteur du monde).
[99] Le monastère d’Aïrivank’
s’élevait au nord-est de Kar’ni suivant l’historien Jean Catholicos, tandis que
Guira (apud Indjidji, Arm. anc. p. 268) semble le placer dans
cette ville même. Il était connu aussi sous le nom de Couvent de la Sainte
Lance, comme nous l’apprenons par le continuateur anonyme des Tables de Samuel
d’Ani.
[100] L’ordre dans lequel se
succèdent les noms des monastères dans cette énumération semble indiquer qu’il
s’agit ici du couvent de Saint-Jean, appelé aussi Agsikoms, que
l’historien Etienne Açogh’ig (III , ix) place dans le district de Pacèn,
province d’Ararad.
[101] Dans l’Ararad, district
d’Arakadz-öden suivant Tchamitch, ou dans un district aujourd’hui inconnu de
cette province, d’après Indjidji (Arm. anc. p. 503).
[102] Dans l’Ararad, district de
Schirag. Ce couvent fut bâti sous le règne du roi bagratide Apas (928-952).
[103] C’est le célèbre couvent de
Saint Thaddée, situé dans le district d’Ardaz, province de Vasbouragan, dans le
voisinage et au sud du mont Macis ou Ararad.
[104] Ce premier Bouga, qui nous est
parfaitement connu par les récits fils de Jean Catholicos, Étienne Açogh’ig et
Thomas Ardzrouni, était un des officiers de la milice turque attachée au
service des khalifes de Bagdad, sous Motéwakkel dans le ixe siècle.
C’est le même qui était gouverneur d’Arménie pour les Persans, à ce que
nous assure M. Brosset, dans son Précis de l’histoire des invasions des
Mongols à la fin du tome XVII de l’Histoire du Bas-Empire, de Lebeau p.
459.
[105] Les forteresses de Têt et de
Dzirana’-K’ar étaient dans le voisinage de Khoïakhanapert. (Cf. le cahier
précédent, page 227, note 2.)
[106] Dans le langage des Arméniens
cette expression l’Orient ou la Nation orientale, signifie la
Grande Arménie. Elle leur a été suggérée par la situation du pays qu’ils
habitent par rapport à l’empire grec, qui est à l’ouest pour eux. Elle ne
paraît pas remonter plus haut que le xiie
siècle, au temps de la domination des princes Roupéniens de la Petite Arménie.
[107] Tiridate II, premier roi
chrétien de l’Arménie, monta sur le trône en 287, la troisième année de
Dioclétien. (Voir mes Recherches sur la Chronologie arménienne, t. I, I partie,
p. 45.)
[108] En route, et avant de se
rendre auprès de Koyouk, le connétable Sempad écrivit la relation de la
première partie de son voyage dans une lettre qu’il adressa, en date de 1248, à
Henri Ier, roi de Chypre que nous a conservée. Guillaume de Nangis,
p. 360 dans le Recueil des historiens de France, publié par l’Académie des
inscriptions, t. XX.
[109] L’auteur aurait du dire trois:
‘Ala ed-din Kei Kobad II, qui avait pour mère la princesse géorgienne Thamar;
Azz ed-din Kei Kaous et Rokn ed-din Kilidj Arslan, nés d’un autre mariage.
[110] Ce frère du sultan Ghiâth ed-din,
dont Guiragos ne nous fournit pas le nom, n’est mentionné, que je sache, par
aucun autre historien. Les empereurs grecs qui régnèrent à Nicée de 1206 à
1261, pendant l’occupation de Constantinople par les Francs, sont Théodore Lascaris
et les trois Vatatzès, Jean III, Théodore II et Jean IV, appelés, d’une manière
générique, par les auteurs orientaux du nom de Lascaris. En tenant compte des
dates, on doit croire que c’est la fille de Jean III (1222-1255) qu’épousa le
frère de Ghiâth ed-din.
[111] Sur la côte sud de l’Asie
Mineure, dans la Karamanie.
[112] Manuscrit B, Khoschak’
[113] Son cousin au second degré,
Bathou étant le petit-fils de Tchinguiz-khan par Djoutchi, comme Mangou par Touloui.
[114] Dans M. d’Ohsson, Iltchikadaï;
c’était le gouverneur mongol de la Perse (liv. II, ch. v).
[115] Manuscrit B, Ztécoum.
[116] La position précise de ces
trois forteresses ne saurait être déterminée aujourd’hui; mais elle était très
certainement dans le district de Khatchên, province d’Artsakh, où se trouvaient
les possessions de la famille à laquelle appartenait le prince Djélal. La
forteresse de Gargar’ doit être distinguée de celle du même nom qui s’élevait
dans la Petite Arménie, à l’ouest et non loin de l’Euphrate.
[117] Manuscrit B. Thôra-agh’a.
[118] District de la province de
Daïk’, au pied des monts Barkhar.
[119] Manuscrit B, R’aneg.
[120] Manuscrit B, Daravan.
Ces deux leçons offrent chacune un sens particulier et paraissent être des mots
persans, conducteur de chameaux, et portier.
[121] Ce chapitre a déjà été publié
dans le cahier d’octobre 1835, traduit par Klaproth d’après une version russe
qu’il fit faire, à ce qu’il raconte, sur le texte original de Guiragos, pendant
son séjour à Tiflis par un Arménien nommé Joseph Toutouloff. Cette
traduction, assez fidèle, offre cependant parfois des omissions, des contresens
et des non-sens, ils sont évidemment l’œuvre de M. Toutouloff, ou qui
proviennent du texte défectueux et unique qu’il a eu sous les yeux. Je l’ai
refaite sur mes deux manuscrits A et B en même temps j’ai profité des notes de
Klaproth sur l’itinéraire du roi Héthoum dans l’Asie centrale, tout en les
contrôlant ou en les complétant par les indications que j’ai recueillies dans
les travaux les plus récents sur cette partie du globe, et, entre autres, dans
l’ouvrage de M. Alex. de Humboldt, intitulé: Asie centrale, Paris, 1843 vol. in
8°.
[122] Dans le nord-est de la
province d’Ararad.
[123] Couvent de la Cilicie, situé
non loin de la forteresse de Lampron, et très célèbre au temps des rois roupéniens.
[124] Les dates indiquées dans cette
relation du voyage de Héthoum sont calculés d’après le calendrier fixe de Jean
Diacre, calendrier où le 1er du mois de navaçart, c’est-à-dire le
commencement de l’année arménienne, correspond au 11 août julien. (Cf. mes Recherches
sur la Chronologie Arménienne, t. I, Ire partie, chap. iii; IIe partie, Anthologie
chronologique, n° XCI; et IIIe partie, tableau F).
[125] Il a dans le texte une
locution vulgaire composée de la répétition du pronom relatif qui, lequel,
et dont la signification est là où, à l’endroit où. Le traducteur
russe de Klaproth a pris le premier des deux relatifs, pour un nom de localité
que ce dernier s’est évertué à chercher, bien entendu inutilement.
[126] On voit qu’en partant de
Karakorum pour s’en retourner dans ses Etats, le roi Héthoum prit la direction
sud-ouest. La position de Gh’oumsgh’our n’a pu être déterminée. Klaproth a fixé
celle de Ber-balekh au sud du lac Barkoul, dont cette ville porte aujourd’hui
le nom chez les Mongols, sur le versant septentrional de la chaîne du grand Altaï.
[127] Assimilée par Klaproth à la
forteresse actuelle de Dzing ou en chinois Fung jun fou, sur la rivière Dzing
ou Dzeng, l’un des affluents du lac Khaltar ousiké noor où Boulkatsi
noor; cette place appartient au district de Kour Kara Ousaou.
[128] Klaproth: Khouthauia’
ou Khouthavia.
[129] Manuscrit B. Ergoph’roug.
[130] La ville de Ph’oulad ou Boulad
était dans le voisinage du lac Soud-Goul, « Mer de lait. »
[131] Probablement Ili-balekh, l’Almaligh
des écrivains musulmans, Armalecco de Pegolotti, en mongol Gouldja-kouré,
sur la rive droite de l’Ili, au nord-est de l’Isse-goul. (Cf. Klaproth, Magasin
asiatique, II p. 173 et 214; de Humboldt, Asie centrale, t. III, p.
395).
[132] Ou Ville des serpents.
Elle a disparu aujourd’hui, mais probablement sa position se trouvait au
sud-ouest d’Almaligh, dans le voisinage de la rivière Ilan-bachçou qui doit
être la même que Ilan-çou ou Rivière des serpents de l’auteur arménien,
affluent de la rive gauche du Tchoui.
[133] Klaproth conjecture que ce
sont les hautes montagnes nommées actuellement Khoubakhaï qui séparent le
bassin du Tchoui, et son affluent le Khorkhotou de celui du Talas.
[134] Ville située sur la rive
méridionale du fleuve du même nom, qui se jette dans le Talas-goul.
[135] Manuscrit B et Klaproth,
Sengh’akh’.
[136] C’est, suivant Klaproth, la
montagne appelée actuellement Kara-Tau, au nord de Taraz et dont
sortent, les rivières Karaçou et Atchigan, entre lesquelles cette ville est
située, au-dessus de Savran, au nord du Sihoun ou Iazarte.
[137] Manuscrit B, C’est Saghnakh ou
Sighnakh, sur le Mouskan, affluent de la rive droite du Sihoun. — Savran ou Sabran
parait être à l’ouest de Sighnakh, sur la rivière de l’Ard, l’un des affluents
de la rive droite du Sihoun. — Les trois autres positions jusqu’à Ôtrar me sont
inconnues.
[138] Ou Zarnoukh, ville située
au-dessous d’Othrar sur la rive gauche du Sihoun.
[139] Ou Debzak, ville comprise dans
le territoire de Setrouchteh ou Osrouchnah et, par conséquent, dans la plaine
entre Zarnoukh et Samarcande.
[140] De ces deux stations entre
Samarcande et Boukhara, la seconde, qui est la seule connue, peut être
assimilée à la ville de Kerminié, dans le Ma-wara-ennahar.
[141] Manuscrit B, Marmïn. Klaproth
a assimilé cette ville à Merv-Schadkàn mais ce rapprochement est tout à fait
conjectural. Ce qu’il y a de certain, c’est que Mermen doit se trouver sur la
route de Bokhara à Sarakhs.
[142] M. Toutouloff, el Klaproth,
d’après lui, traduisent: Parce qu’il était un grand ami de la messe et des
péchés.
[143] C’est-à-dire dans les États du
sultan d’Iconium ou le pays de Roum.
[144] Ces trois princes descendaient
de Djoutchi; Balaka était son petit-fils, Toutar, son arrière petit-fils, et
Kouli, son petit-fils par Ourda, l’aîné des quatorze fils de Djoutchi.
[145] Je pense que le mot mali
est le même que le mongol mal, qui signifie « bestiaux de toute
espèce, » et qui peut être entendu ici dans la sens d’impôt prélevé sur
les bestiaux par les Tartares.
[146] Manuscrit B, Khaph’schouri.
[147] Manuscrit B, trois sacs.
[148] Il y a dans le texte blanc,
qui m’a paru être le nom d’une monnaie d’argent. On dit aujourd’hui dans le
même sens, à Constantinople, argent blanc, pour exprimer d’une manière
générale la monnaie d’argent.
[149] L’auteur commet ici une
erreur: Alaïa n’est point une île, mais une forteresse située sur un cap, le Coracesium promontorium.
[150]. Comme je l’ai dit (dans la
note 14 du chapitre Ier, Récit de la première croisade), les
Arméniens donnent aussi à la Méditerranée le nom d’Océan, principalement à la
partie qui baigne la côte occidentale de l’Asie Mineure ou mer Égée, et la côte
méridionale ou mer de Syrie.
[151] Manuscrit B, Tchadagh’an.
[152] Manuscrit B, Ankas. Il
s’agit ici du pays appelé par les Mongols Nankias et Nankiad,
dans Ssanang Ssetsen, p. 210; dans le Nozhet-el-Koloub (cf. Rachid ed-din
traduit par Ét. Quatremère, Vie de Rachid ed-din, p. 86-87 et ibid. note
155). C’est le Manzi ou Matchïn, nom qui désignait cette époque la Chine
méridionale.
[153] C’était Moudjahid ed-din
Eïbeg, le petit Dévatdar. Lui et le général Feth ed-din Ibn Korer avaient
établi leur camp entre Ya’kouba et Sadjéni, sur la route de Holvan. Ils
s’avancèrent à la rencontre de l’avant-garde mongole, qui arrivait à l’ouest du
Tigre, et qui était commandée par son goundjak. (d’Ohsson III, p. 330.)
[154] Il est certain que le second
fils du khalife Mosta’cem Ahmed fut mis à mort le lendemain de l’exécution de
son père et de son frère aîné, ‘Abd-er rahman. On lit dans d’Ohsson (IV; 5, t.
III, p. 243), que Mosta’cem et ‘Abderrahman furent renfermés dans des sacs et
foulés aux pieds des chevaux jusqu’à ce qu’ils expirassent. Le langage que
notre historien met dans la bouche de Houlagou ordonnant la mort d’Ahmed peut
s’expliquer par la raison que le conquérant mongol regardait peut-être comme
moins rigoureux le genre de supplice auquel il condamna ce prince, en comparaison
de la mort sanglante que subirent, suivant notre récit, le khalife et son fils
aîné.
[155] En 1258, année qui eut VII du
cycle solaire et pour lettre dominicale F, Pâques tomba le 24 mars; le dimanche
de la Quinquagésime, le 3 février et le lendemain lundi 4, jour de la prise de
Bagdad et premier jour du carême arménien, correspondit au 20 de navaçart,
puisque ce mois avait commencé le 16 janvier. Cet accord des dates du
calendrier pascal avec le quantième mensuel du calendrier vague arménien prouve
que la concordance de ce dernier calendrier avec notre ère chrétienne, vainement
cherchée jusqu’à présent, et telle que je l’ai établie dans mes Recherches
sur la chronologie arménienne, est désormais à l’abri de toute discussion.
Dans cet ouvrage, qui ne tardera pas à paraître, on trouvera les dates de la
fondation et de la prise de Bagdad amplement discutées. M. Brosset, dans son Histoire
de la Géorgie, Additions et Eclaircissements, p. t3 a vainement essayé
de les expliquer. Il répète, en copiant la table fautive de Surm que l’année
arménienne 707 commença le 17 janvier 1258, et ajoute que cette année fut
bissextile mais la plus simple, la plus vulgaire notion du calendrier suffit
pour savoir que le bissexte affecta 1256 et non 1258.
[156] Manuscrit B, Dchiasmath;
Yschmouth dans d’Ohsson.
[157] Mélik el Kamel Nacer ed-din
Mohammed, fils de Mélik el Modhaffer Schehâb ed-din Gazi, et neveu de Mélik el
Adel, frère de Saladin. Il était de la famille des Ayyoubides, que l’auteur
appelle Etliank’, du nom de Mélik el Adel, souverain de l’Egypte.
[158] Cf. sur la valeur du tahégan,
qui est assimilé quelquefois au dinar des Arabes, mes Recherches sur la
Chronologie arménienne.
[159] Forme vulgaire de Sanasçoun,
qui est le nom d’un district montagneux de la province d’Agh’ètznik’, au nord
de la Mésopotamie arménienne.
[160] Pâques, en 1260, étant tombé
le 4 avril, nous avons pour la durée du carême, l’intervalle compris entre
cette date et le 14 février, lundi du dimanche de la quinquagésime, où commence
le jeûne dans l’Église arménienne.
[161] Alep est alors sous le
commandement de Moa’ïthan Touran schah; qui descendait du grand Saladin; cette
ville appartenait au prince ayyoubide Mélik ennacer Selah ed-din Youçouf, qui
s’était rendu maître de Damas et de presque toute la Syrie.
[162] Manuscrit B, Gh’adjari.
[163] Gélath, célèbre couvent et
église de l’Iméreth, sous l’invocation de la sainte Mère de Dieu, fondés par le
roi David le Réparateur. (Cf. Wakchoucht, Géographie, trad. par M.
Brosset, p. 357-359.} Adzgh’or, ville et forteresse du Samtzkhé, sur le bord du
Mtkouar, le Gour ou Cyrus, habitée par des musulmans, qui étaient les
principaux de la ville, et par des marchands meskhes, arméniens et juifs.
(Ibid. p. 83.)
[164] Monastère où était la
sépulture des princes de Khatchên, situé sur une montagne aux environs de la
ville de Kantzag province d’Artsakh.
[165] Bourg et district de la
province de Daïk’, que David le Curopalate laissa par son testament, avec cette
province, l’empereur Basile II.
[166] Village du district de
Daschir, province de Koukark’, non loin de la ville de Lôr’é.
[167] Couvent dans le district de
Daschir.
[168] Manuscrit B, Nenkrank’.
[169] Marco Polo nous apprend le
nombre des combattants engagés de part et d’autre dans cette guerre, et ce
renseignement lui avait été fourni par son père, Nicolas Polo, et son oncle,
Mafeo Polo, qui étaient à cette époque auprès de Béréké. Car nous savons certainement
fait dire le voyageur vénitien à Béréké, qu’ils n’ont que trois cents mille
hommes à chevaux, et nous avons trois cents cinquante mille d’aussi bonnes gens
con il sunt e meior. (Chap. ccxxii,
p. 76, .édition de la Société de géographie)
[170] Les idola ou imagines de
filtre de Rubruquis et de Plan Carpin, le dreu de freutre et de dras
de Marco Polo.
[171] Manuscrit B, Théner