HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE I — GRÈCE CENTRALE : DEPUIS L’AVÈNEMENT DE PHILIPPE DE MACÉDOINE JUSQU’À LA NAISSANCE D’ALEXANDRE (359-356 AV. J.-C.).

 

 

Dans les derniers chapitres qui précédent, j’ai suivi l’histoire des Grecs siciliens pendant de longues années de despotisme, de souffrances et d’appauvrissement, jusqu’à elle époque de liberté renouvelée et de bonheur relatif, accomplie sous les auspices bienfaisants de Timoleôn, entre 344 et 336 avant J.-C. Il convient actuellement de reprendre le fil des événements dans la Grèce centrale, au point où je les ai laissés à la fin du troisième chapitre du quinzième volume,— c’est-à-dire à l’avènement de Philippe de Macédoine, en, 360-359 avant J.-C. La mort de Philippe arriva en 336 avant J.-C., et les années qui précédèrent sa mort nous mettront sorts les yeux les dernières luttes de la liberté hellénique complète, résultat qui forme un pénible contraste avec les exploits du libérateur contemporain Timoleôn en Sicile.

De pareilles luttes n’auraient pas pu paraître dans les  limites du possible, même au politique doué de la plus longue vue, soit de Grèce, soit de Macédoine, — au moment où Philippe monta sur le trône. Au milieu des espérances et des craintes de la plupart des cités grecques, la Macédoine passait alors totalement inaperçue : pour Athènes, Olynthos, Thasos, la Thessalia et quelques autres lieux, elle était un point non sans importance, mais qui toutefois n’était pas d’une grandeur de premier ordre.

Le monde hellénique était à ce moment (360-359 av. J.-C.) dans un état différent de tout ce qu’on avait vu depuis l’échec de Xerxès, en 480-479 avant J.-C. La défaite et. la dégradation de Sparte avaient délivré les États de l’intérieur des terres du seul État président qu’ils avaient jamais appris à considérer. Son ascendant souverain, qu’elle avait possédé longtemps et dont elle avait fait un grave abus, avait été abattu par les succès d’Epaminondas et des Thêbains. Elle n’était plus le chef d’un corps nombreux d’alliés subordonnés, envoyant des députés à ses assemblées périodiques, — soumettant à son influence leur politique étrangère, — plaçant leurs contingents militaires sous le commandement de ses officiers (xenagi), — et même administrant leur gouvernement intérieur au moyen d’oligarchies dévouées à ses desseins, avec le renfort, partout où il était nécessaire, d’un harmoste et d’une garnison spartiates. Elle ne trouvait plus sur sa frontière septentrionale une quantité de villages arkadiens détachés, régis chacun par des chefs dévoués à ses intérêts et lui fournissant de hardis soldats, et elle n’avait plus la cité amie de Tegea, liée à elle par une oligarchie philo-laconienne et par une tradition d’ancienne date. Par suite de la grande révolution qui s’opéra dans les sentiments après la défaite des Spartiates à Leuktra, les petites communautés arkadiennes, encouragées et guidées par Epaminondas, s’étaient concentrées dans la grande cité fortifiée de Megalopolis, actuellement centre d’une confédération panarkadienne, avec une assemblée (appelée les Dix Mille) qui s’y réunissait fréquemment pour décider des questions d’intérêt et de politique communes aux diverses sections du nom arkadien. Tegea aussi avait subi une révolution politique, de sorte que les deux cités, contiguës l’une avec l’autre et formant ensemble la frontière septentrionale de Sparte, transformèrent ses voisins arkadiens, de précieux instruments qu’ils étaient, en de formidables ennemis.

Mais cette perte de forces auxiliaires étrangères et clé dignité n’était pas ce que Sparte avait souffert de pire. Sur sa frontière nord-ouest (contiguë aussi avec Megalopolis) se trouvait la cité nouvellement établie de Messênê, représentant près d’une moitié du territoire et  de l’avoir de Sparte, qui lui était enlevée. La moitié occidentale et la plus fertile de la Laconie avait été séparée d’elle et était répartie entre Messênê et diverses, autres cités indépendantes : elle était labourée surtout par ceux qui avaient été jadis periœki et ilotes de Sparte.

Dans la phase de l’histoire grecque où nous somme maintenant sur le point d’entrer, — alors que le monde hellénique collectif, pour la première fois depuis l’invasion de Xerxès, était près d’être forcé de se défendre contre un ennemi étranger venant de Macédoine, — ce changement opéré dans la position de Sparte était une circonstance d’une grave importance. Non seulement les Péloponnésiens étaient désunis et privés de leur chef commun, mais encore Messênê et Megalopolis, connaissant l’hostilité intense de Sparte contre elles — et sa grande supériorité de force, même réduite comme elle l’était, à tout ce qu’ils pouvaient réunir, — vivaient dans une crainte perpétuelle de, son attaque. Leurs voisins les Argiens, ennemis permanents de Sparte, étaient bien disposés à les protéger ; mais une pareille aide était insuffisante pour leur défense, sans alliance en dehors du Péloponnèse. En conséquence, nous les :errons pencher vers l’appui soit de Thèbes, soit d’Athènes, quel que fût celui qu’elles pouvaient avoir, et finalement même bien accueillir les armes de Philippe de Macédoine, comme celles d’un protecteur contre l’hostilité acharnée dé, Sparte, Elis ; — placée par rapport à la Triphylia clans la même position que Sparte par rapport à Messênê, — se plaignait que les Triphyliens, qu’elle regardait comme des sujets, eussent été admis en qualité de citoyens dans la fédération arkadienne. Nous verrons Sparte s’efforcer d’engager Élis dans des combinaisons politiques destinées à assurer à l’une et à l’autre le recouvrement de leur ancienne domination[1]. Il sera parlé plus longuement ci-après de ces combinaisons ; à présent, je me borne à mentionner le fait général que la dégradation de Sparte, combinée avec sa menace perpétuelle d’agression contre Messênê et l’Arkadia, désorganisa le Péloponnèse et lui enleva ses moyens de défense panhellénique contre le nouvel ennemi étranger qui s’élevait alors lentement.

Le système péloponnésien jadis puissant fut de fait complètement brisé (360-359 av. J.-C.). Corinthe, Sikyôn, Phlionte, Trœzen et Epidauros, importantes comme États secondaires et comme alliées de Sparte, furent alors détachées de toute combinaison politique, et ne visèrent qu’à se garantir, chacune pour son compte, de toute part à une collision entre Sparte et Thèbes[2]. Il paraîtrait aussi que Corinthe avait été récemment opprimée et troublée par le despotisme temporaire de Timophanês, décrit dans mon dernier chapitre, bien que la date de cet événement ne puisse être établie d’une manière précise.

Mais les forces principales et prépondérantes de la Hellas résidaient actuellement, pour la première fois dans notre histoire, en dehors du Péloponnèse et non dans ses limites, à Athènes et à Thèbes. Ces deux cités étaient dans la plénitude de la vigueur et de la puissance. Athènes avait une flotte nombreuse, un commerce florissant, un corps considérable d’alliés maritimes et insulaires, qui envoyaient des députés à son congrès et contribuaient à un fonds- commun pour le maintien de la sécurité commune. Elle était de beaucoup la plus grande puissance maritime en. Grèce. J’ai raconté ailleurs comment son général Timotheos avait acquis pour elle l’importante île de Samos, en même temps que Pydna, Methônê et Potidæa, dans le golfe Thermaïque ; comment il échoua (comme Iphikratês avait échoué avant lui) dans plus d’une tentative sur Amphipolis ; comment il fit une conquête et établit des colons athéniens dans la Chersonèse de Thrace, territoire qui, après avoir été attaqué et mis en danger par le prince thrace Kotys fut regagné par les efforts continus d’Athènes, dans l’année 358 avant. J.-C. Athènes n’avait pas subi de pertes considérables pendant les luttes qui aboutirent à la pacification après la bataille de Mantineia, et sa condition parait en général avoir été meilleure qu’elle ne l’avait jamais été depuis ses désastres, subis à la fin de la guerre du Péloponnèse.

La puissance de Thêbes également était imposante et formidable. Elle avait, il est vrai, perdu beaucoup de ces alliés péloponnésiens qui formaient le déploiement de forces écrasant d’Épaminondas, quand il envahit la Laconie pour la première fois, en profitant du nouveau mouvement anti-spartiate qui suivit immédiatement la bataille de Leuktra. Elle ne conservait qu°Argos, avec Tegea, Megalopolis et Messênê. Ces trois dernières cités ajoutaient peu à sa force et avaient besoin qu’elle leur prêtât un appui :-vigilant, prix qu’Épaminondas avait été parfaitement disposé à payer pour l’établissement d’une forte frontière contre Sparte. Mais le corps des alliés en dehors du Péloponnèse groupés autour de Thèbes était encore considérable[3] ; c’étaient les Phokiens et les Lokriens, les Maliens, les Hêrakléotes, la plupart des Thessaliens et la plupart (sinon tous) des habitants de l’Eubœa, peut-être aussi les Akarnaniens, les Phokiens étaient, dans le fait, des alliés hésitants ; disposés — à circonscrire leurs obligations dans lès limites les plus, étroites d’une défense mutuelle en cas .d’invasion, et nous verrons bientôt les relations entre les deux États devenir positivement hostiles. Outre ces alliés, les Thêbains possédaient l’importante position d’Orôpos, sur la frontière nord-est de l’Attique, ville qui avait été enlevée à Athènes six années auparavant, à la profonde mortification des Athéniens.

Mais, outre des alliés en dehors de la Bœôtia, Thêbes avait prodigieusement accru la puissance de sa cité dans l’intérieur de cette contrée. Elle s’était approprié les territoires de Platée et de Thespiæ sur sa frontière méridionale, et ceux de Korôneia et d’Orchomenos près de sa frontière septentrionale, par conquête et par une expulsion partielle de leurs anciens habitants. Comment et quand ces acquisitions avaient-elles été effectuées, c’est ce qui a été expliqué déjà[4] ; ici je me borne à rappeler le fait pour apprécier la position de Thèbes en 359 avant J.-C., — à savoir que ces quatre villes, ayant été autonomes en 372 avant J.-C., — unies à elle seulement par les obligations définies de la confédération bœôtienne, — et en partie même en hostilité réelle contre elle, — avaient actuellement perdu leur autonomie avec leurs citoyens libres, et avaient fini par être absorbées dans son domaine et sa souveraineté. Ce domaine de Thèbes s’étendait ainsi à travers la Bœôtia depuis les frontières de la Phokis[5] au nord-ouest jusqu’à celles de l’Attique au sud.

La nouvelle position acquise ainsi par Thèbes en Bœôtia, et achetée au prix de l’anéantissement de trois ou de quatre cités autonomes, est un fait d’une grande importance par rapport à la période qui nous occupe maintenant, non seulement parce qu’elle agrandit et enfla la puissance des Thêbains eux-mêmes, mais encore parce qu’elle suscita partout contre eux dans l’esprit hellénique un sentiment fortement défavorable. Précisément dans le temps où les Spartiate avaient perdu presque une moitié de la Laconie, les Thêbains avaient annexé à leur propre cité un tiers du territoire bœôtien libre. La remise en vigueur du droit de cité messênien libre, après une existence suspendue de plus de deux siècles, avait récemment été accueillie avec une satisfaction universelle. Combien dut être choqué ce même sentiment, quand Thèbes anéantit, pour son propre agrandissement, quatre communautés autonomes, toutes de sa parenté bœôtienne, l’une de ces communautés encore étant Orchomenos, respectée tant à cause de son antiquité que de ses légendes traditionnelles ! On ne s’occupa guère de discuter les circonstances du cas, et de rechercher si Thêbes avait excédé la mesure de rigueur autorisée par le code de la guerre à l’époque. Dans les conceptions nationales et patriotiques de tout Grec, la Hellas consistait en un agrégat de communautés municipales, autonomes et fraternelles. L’anéantissement de l’une d’elles ressemblait à l’amputation d’un membre faite à un corps organisé. Une répugnance à l’égard de Thèbes, que fit naître cette conduite, affecta fortement l’opinion publique du temps, et se manifesta surtout dans le langage des orateurs athéniens, exagérée par la mortification que leur causait la perte  l’Orôpos[6].

Le grand corps des Thessaliens, aussi, bien que les Magnêtes et les Achæens Phthiotes, était au nombre de ceux qui obéissaient à l’ascendant de Thêbes. Même le puissant et cruel despote, Alexandre de Pheræ, était compté dans ce catalogue[7]. Les cités de la fertile Thessalia, possédées par de puissantes oligarchies avec de nombreux serfs dépendants, étaient généralement en proie à des luttes intestines et à une rivalité municipale ; le désordre y régnait aussi bien que l’absence de foi[8]. Les Aleuadæ, chefs à Larissa, — et les Skopadæ à Krannôn, — avaient été jadis les familles dominantes du pays. Mais dans les mains de Lykophrôn et de l’énergique Jasôn, Pheræ avait été élevée au premier rang. Toutes les forces de la Thessalia étaient réunies sous Jasôn comme tagos (général fédéral), avec une quantité considérable de tributaires circonvoisins, Macédoniens, Épirotes, Dolopes, etc., et en outre une armée permanente de volontaires bien organisée. Il pouvait rassembler huit mille chevaux, vingt, mille hoplites et des peltastes ou infanterie légère en quantité beaucoup plus considérable[9]. Une puissance militaire si grande, dans les mains d’un homme à la fois capable et ambitieux, causa une alarme universelle, et aurait sans doute été employée à quelque grand projet de conquête, soit en Grèce, soit au dehors, si Jasôn n’avait été enlevé soudainement par un assassinat en 370 avant J.-C. dans l’année qui suivit la bataille de Leuktra[10]. Ses frères, Polyphrôn et Polydôros, succédèrent à sa position comme tagos, mais non à ses talents ni à son influence. Le second, tyran brutal, mit à mort le premier, et fut tué à son tour, après un court intervalle, par un successeur pire encore, son neveu Alexandre, qui vécut et conserva le pouvoir à Pheræ pendant dix années environ (368-358 av. J.-C.).

Pendant une partie de ce temps, Alexandre lutta avec succès contre les Thêbains, et maintint son ascendant en Thessalia. Mais avant la bataille de Mantineia, en 362 avant J.-C., il avait été réduit à l’état d’allié dépendant de Thèbes et avait fourni un contingent à l’armée qui alla sous Épaminondas dans le Péloponnèse. Pendant l’année 362-361 avant J.-C., il tourna même ses hostilités contre Athènes, l’ennemie de Thèbes, et fit contre elle une guerre navale, non sans succès partiels et dommage pour son commerce[11]. Et comme l’ascendant de Thèbes à l’étranger fut probablement affaibli partout par la mort de son grand chef Épaminondas, Alexandre de Pheræ recouvra de la force, et il continua d’être le plus grand potentat de la Thessalia, aussi bien que le tyran le plus sanguinaire, jusqu’à sa mort au commencement de 359 avant J.-C.[12] Il périt alors dans la vigueur de l’âge et clans la, plénitude du pouvoir. Il pouvait assurer sa sécurité contre des sujets ou des voisins opprimés, au moyen de gardes mercenaires ; mais il périt par les artifices de son épouse Thêbê et sous les coups des frères de cette dernière, — mémorable explication de ce principe posé par Xénophon, à savoir que le despote ne pouvait compter ni sur la sécurité, ni sur l’affection en aucun lieu, et que ses plus dangereux ennemis devaient se trouver dans s ?L maison ou dans sa parenté[13]. La vie brutale d’Alexandre et la cruauté de ses actes avaient inspiré à sa femme un mélange de haine et de crainte, De plus, elle avait appris, par des mots qui étaient tombés de sa bouche dans un moment où il était ivre, qu’il avait l’intention de mettre à mort ses frères, Tisiphonos, Pytholaos et Lykophrôn, — et elle-même avec eux, en partie parce qu’elle n’avait pas d’enfant, et qu’il avait formé le projet de se remarier avec la veuve du dernier despote Jasôn, qui résidait à Thèbes. En conséquence, Thêbê, faisant connaître à ses frères le danger qui les menaçait, concerta avec eux le moyen d’assassiner Alexandre. La chambre à coucher qu’elle partageait avec lui était à un étage supérieur, accessible seulement par un escalier en échelle qu’on pouvait enlever, et au pied duquel était chaque nuit un dogue farouche enchaîné et un soldat thrace tatoué à la mode de son pays. De plus, toute la maison était régulièrement occupée par une compagnie de gardes, et l’on dit même que l’on fouillait chaque soir la garde-robe et les cabinets de Thêbê pour voir s’il n’y avait pas d’armes cachées. Toutefois ses ruses déjouèrent ces nombreuses précautions suggérées par la défiance. Elle plaça ses frères pendant toute la journée dans une cachette adjacente et sure. Le soir. Alexandre, arrivant ivre pour se coucher, tomba bientôt dans un profond sommeil ; alors Thêbê sortit de la chambre, — ordonna qu’on écartât. le chien du pied de l’escalier, sous prétexte que le despote désirait jouir d’un repos tranquille, — et appela ensuite ses frères armés. Après avoir répandu de la laine sur l’escalier, afin que leur pas ne fût pas entendu, elle remonta dans la chambre à coucher, et enleva l’épée d’Alexandre qui était toujours suspendue auprès de lui. Toutefois, nonobstant cet encouragement, les trois jeunes gens, alarmés encore de la grandeur du péril, hésitaient à monter ; et ils ne purent y être déterminés que par la menace distincte qu’elle leur fit que, s’ils reculaient, elle éveillerait Alexandre et les dénoncerait. A la fin, ils montèrent et entrèrent dans la chambre à coucher, où brûlait une lampe ; Thêbê, après leur avoir ouvert la porte, la referma, et se plaça de manière à tenir le verrou. Alors ses frères approchèrent du lit : l’un d’eux saisit le despote endormi par les pieds, l’autre par les cheveux, et le troisième le perça d’une épée[14].

Après avoir accompli d’une manière heureuse et sûre cet acte, populaire à cause du caractère odieux, du despote assassiné, Thêbê s’efforça de gagner lés troupes mercenaires, et d’assurer le sceptre à elle-même et à son frère aîné Tisiphonos. Après ce changement, il paraîtrait que la puissance des nouveaux princes ne fut pas si grande que l’avait été celle d’Alexandre, de sorte que des éléments additionnels de faiblesse et de discorde furent introduits en Thessalia. Ce fait est à signaler comme l’une dés circonstances qui frayèrent à Philippe de Macédoine la route pour acquérir de l’ascendant en Grèce, — comme on le verra ci-après.

Ce fut dans l’année 360-359 avant J.-C. que Perdikkas, frère aîné et prédécesseur de Philippe sur le trône de Macédoine, fut tué dans la fleur de l’âge. Il périt, suivant un récit, dans une bataille sanglante avec les Illyriens, où quatre mille Macédoniens tombèrent également ; suivant une autre assertion, sous les coups d’assassins gagnés perfidement par sa mère Eurydikê[15].

Nous savons peu de chose au sujet des exploits de Perdikkas pendant les cinq années de son règne. Il avait aidé le général athénien Timotheos dans une guerre contre la confédération olynthienne, et dans la, prise de Pydna, de Potidæa, de Torônê et d’autres villes voisines ; tandis que, d’autre part, il s’était opposé à la tentative faite par les Athéniens contre Amphipolis, en assurant cette place importante par une garnison macédonienne, tant contre eux que pour lui-même. Il fut engagé dans de sérieux conflits avec les Illyriens[16]. Il paraît aussi qu’il n’était pas sans quelque goût littéraire, — que c’était un admirateur des hommes d’intelligence et qu’il correspondait avec Platon à Athènes. Des philosophes ou des sophistes distingués, tels que Platon et Isocrate, jouissaient d’un renom combiné avec une certaine mesure d’influence dans tout le cercle du monde grec. Quarante années auparavant, Archélaos, roi de Macédoine, avait témoigné de la faveur à Platon[17], alors jeune homme, aussi bien qu’à son maître Sokratês. Amyntas, père et de Perdikkas et de Philippe, avait, pendant tout son règne, cultivé l’amitié des principaux Athéniens, en particulier d’Iphikratês et de Timotheos, dont il avait même adopté le premier comme fils ; Aristote, si éminent plus tard comme philosophe (fils de Nikomachos, le médecin de confiance d’Amyntas)[18], avait pendant quelque temps étudié à Athènes comme disciple de Platon ; de plus, Perdikkas, pendant son règne, avait auprès de lui un ami du philosophe, — Euphræos d’Oreus. Perdikkas se prêta beaucoup aux conseils d’Euphræos, qui le dirigea dans le choix de ses compagnons, et ne permit d’être ses hôtes qu’à des personnes d’habitudes studieuses ; et par là il excita beaucoup de dégoût parmi les Macédoniens belliqueux[19]. C’est là une preuve remarquable de la réputation de Platon, que ses avis fussent recherchés en même temps par Denys le Jeune à Syracuse, et par Perdikkas en Macédoine.

A la suggestion de Platon, portée par Euphræos, Perdikkas fut amené à accorder à son frère Philippe une portion de territoire ou apanage en Macédoine. En 368 avant J.-C. (pendant le règne d’Alexandre, frère aîné de Perdikkas et de Philippe), Pélopidas avait réduit la Macédoine à une soumission partielle et avait pris des otages comme gage de sa fidélité ; parmi ces otages était le jeune Philippe, âgé alors d’environ quinze ans. C’est en cette qualité que Philippe resta près de deux on trois années à Thêbes[20]. Comment et à quelle époque quitta-t-il cette cité, c’est ce que nous ne pouvons établir clairement. Il semble être retourné en  Macédoine après le meurtre d’Alexandre par Ptolémée Aloritês, probablement sans opposition de la part des Thébains, vu que sa valeur comme otage était diminuée alors. Il fut confié (en même temps que son frère Perdikkas), par sa mère Eurydikê, à la protection du général athénien. Iphikratês, alors sur la côte de Macédoine, — comme je l’ai raconté ailleurs. Cruel fut le sort de Philippe pendant la régence de Ptolémée Aloritês en Macédoine, c’est, ce que nous ignorons ; nous pourrions même soupçonner qu’il ait voulu retourner à Thèbes, comme étant une résidence plus sûre. Mais quand son frère Perdikkas, après avoir tué Ptolémée Aloritês, devint roi, Philippe résida en Macédoine et obtint même de Perdikkas (comme il a été dit), grâce aux conseils de Platon, un district séparé à gouverner comme .subordonné. Il y resta jusqu’à la mort de Perdikkas, en 360-350 avant J.-C., organisant des forces militaires séparées à lui — comme Derdas, en 382 av. J.-C., quand les Lacédæmoniens faisaient la guerre à Olynthos[21] —, et servant probablement à leur tête dans les guerres faites par son frère.

Toutefois, le temps que Philippe passa à Thèbes, depuis l’âge de quinze ans jusqu’à dix-huit, fut un événement de beaucoup d’importance, en ce qu’il détermina son futur caractère[22]. Bien que détenu à Thèbes, Philippe fut traité avec courtoisie et respect. Il résidait chez Pammenês, l’un des principaux citoyens ; probablement il eut un bols enseignement de rhétorique et de littérature, puisque, comme orateur, dans sa vie ultérieure, il possédait un talent considérable[23], et il peut également avoir reçu quelque instruction en philosophie, bien que dans la suite il ne manifestât aucun goût pour elle et que l’assertion qu’il a eu des pythagoriciens pour maîtres mérite peu de créance. Mais la leçon, la plus indélébile de toutes qu’il puisa à Thèbes fut tirée de la société et de l’exemple vivant d’hommes tels qu’Epaminondas et Pélopidas. Ils étaient au nombre des premiers citoyens et montraient ces qualités qui leur assuraient l’admiration constante d’une communauté libre, — et d’une communauté thêbaine, plus adonnée à l’action qu’à la parole ; de plus, ils étaient tous deux des chefs militaires distingués, — l’un d’eux était l’organisateur le plus capable et le tacticien le plus instruit de son temps. Le spectacle des forces militaires thêbaines, excellentes tant comme cavalerie que comme infanterie, exercées par un homme tel qu’Épaminondas, dut inspirer au plus haut point un jeune prince macédonien, et il devint encore plus efficace quand il s’y joignit des rapports personnels avec le vainqueur de Leuktra, — le premier homme que Philippe apprit à admirer et qu’il s’appliqua a imiter dans sa carrière militaire[24]. Son esprit fut enrichi de bonne heure des idées stratégiques les plus avancées de l’époque, et jeté dans la voie de la réflexion, de la comparaison et de l’invention, sur l’art de la guerre.

Quand il passa de Thèbes (363-365 av. J.-C.) au gouvernement subordonné d’un district en Macédoine, sous son frère aîné Perdikkas, Philippe organisa des, forces militaires, et en le faisant, il eut l’occasion de mettre en pratique, bien que d’abord sur une échelle restreinte, les leçons qu’il avait prises auprès des illustres Thêbains. Il était ainsi à la tète de troupes qui lui appartenaient et qu’il avait organisées lui-même, — quand la mort inattendue de Perdikkas lui ouvrit la perspective de succéder au trône Mais c’était une perspective pleine de doute et de hasards. Perdikkas avait laissé un fils enfant ; il existait en outre trois princes, Archélaos, Aridæos et Menelaos[25], fils d’Amyntas et d’une autre épouse ou maîtresse Gygæa, et par conséquent demi-frères de Perdikkas et de Philippe : il y avait aussi deux autres prétendants a, la couronne — Pausanias (qui avait auparavant aspiré au trône après la mort d’Amyntas), secondé par un prince thrace, — et Argæos, qui avait l’appui des Athéniens. A ces dangers il fallait ajouter une attaque des nations barbares voisines, Illyriens, Pæoniens et Thraces, — toujours prêtes à assaillir[26] et à piller la Macédoine à tout moment de faiblesse intestine. Il semblerait que Perdikkas, peu avant sa mort, avait subi une sérieuse défaite de la part des Illyriens et avait perdu quatre mille hommes ; il mourut bientôt, soit d’une blessure reçue alors, soit victime des machinations de sa mère Eurydikê. Il se peut que la blessure reçue dans la bataille et l’assassinat soient des faits réels[27].

Philippe prit d’abord le gouvernement du pays comme tuteur de son jeune neveu Amyntas, fils de Perdikkas. Mais les difficultés du moment étaient si formidables que les Macédoniens qui l’entouraient le forcèrent à prendre la couronne[28]. De ses trois demi-frères, il mit à mort l’un, sort dont la fuite seule sauva les autres, qui s’exilèrent : nous les verrons ci-après à Olynthos. Ils avaient trouvé ou l’on croyait probable qu’ils trouveraient un parti en Macédoine pour appuyer leurs prétentions à la couronne[29].

La succession au trône en Macédoine, bien qu’elle s’opérât dans une famille particulière, était exposée a des disputes fréquentes et sanglantes entre les membres individuels de cette famille, et tombait ordinairement au plus hardi et au moins scrupuleux d’entre eux. Aucun dans le fait, si ce n’est un homme énergique, ne pouvait bien s’y maintenir, surtout dans les circonstances de l’avènement de Philippe. La monarchie macédonienne a été appelée une monarchie limitée, et dans un sens large du mot, cette proposition est vraie. Mais quelles étaient les limitations et comment les rendait-on efficaces, c’est ce que nous ne savons pas. Qu’il y eût quelques formes et coutumes anciennes, que le roi respectait habituellement, nous n’en pouvons douter[30], comme il y en avait probablement aussi chez les tribus illyriennes, chez les Épirotes et chez d’autres parmi les nations belliqueuses voisines. Une assemblée générale était convoquée à l’occasion ; elle avait à consentir à quelque proposition importante ou à juger quelque personnage éminent accusé. Mais, bien que ces cérémonies fussent reconnues et se présentassent quelquefois, les occasions étaient rares dans lesquelles elles opposaient un obstacle constitutionnel sérieux a l’autorité royale[31]. Les faits de l’histoire macédonienne, autant que nous en pouvons juger, présentent les rois agissant d’après leurs propres sentiments et exécutant leurs propres plans, — consultant ceux qu’ils veulent et quand il leur plaît, — soumis seulement à la nécessité de ne pas offenser trop violemment les sentiments de la population militaire qu’ils commandaient. Philippe et Alexandre, quai combinaient une position royale avec de la capacité personnelle et des succès sans exemple, furent plus puissants qu’aucun de leurs prédécesseurs. Chacun d’eux exigea des efforts extraordinaires de ses soldats, qu’il fut par conséquent obligé de maintenir dans une obéissance et un attachement volontaires, précisément comme Jasôn de Pheræ l’avait fait auparavant avec son armée permanente de mercenaires[32]. Pendant le règne d’Alexandre, l’armée se montre comme le seul pouvoir à ses côtés, pouvoir auquel il est contraint de céder à l’occasion ; après sa mort, ce pouvoir devient pour un temps plus dominant encore. Mais autant que l’histoire de la Macédoine nous est connue, je ne vois pas de preuve de corps politiques coordonnés, ni d’appareil fixe (soit aristocratique, soit populaire) destiné à tenir en échec la puissance royale, — telle qu’elle justifie en aucune sorte la comparaison qu’un historien moderne établit entre la constitution macédonienne et la constitution anglaise.

Le premier acte de Philippe, en s’occupant de ses nombreux ennemis, fut de corrompre les Thraces par des promesses et des présents faits à propos, de sorte que la rivalité de Pausanias au sujet du trône cessa d’être dangereuse. Il restait comme assaillants les Athéniens avec Argæos du côté (le la mer et les Illyriens du côté de la terre.

Mais Philippe fit preuve d’une adresse et d’une énergie suffisantes pour faire tête à tout. Tandis qu’il se hâtait de réorganiser les forces du pays, d’étendre l’application de ces arrangements militaires perfectionnés dont il avait déjà fait l’essai dans sa province, et d’encourager ses amis et ses soldats par des harangues collectives[33], dans un style et un esprit tels que les Macédoniens n’en avaient jamais entendu auparavant de pareils dans une bouche royale ; — il réussit à retarder l’attaque des Athéniens jusqu’à un moment plus commode.

Il savait que la possession d’Amphipolis était le grand motif pour lequel ils avaient fait la guerre à la Macédoine pendant quelques années et qui leur faisait actuellement épouser la cause d’Argæos. En conséquence, il déclara qu’il était disposé à leur céder immédiatement cette dace importante, en retirant la garnison macédonienne à l’aide de laquelle Perdikkas l’avait tenue contre eux et en laissant la ville à ses propres citoyens. Les Athéniens interprétèrent probablement cet acte comme équivalent à une cession réelle ; car, même Amphipolis dût-elle encore tenir contre,eux, ils ne doutaient pas qu’ils ne pussent la réduire si-elle n’était pas secourue. De plus, Philippe expédia à Athènes des lettres exprimant un vif désir d’être reçu dans son alliance aux mêmes conditions d’amitié que son père Amyntas avant lui[34]. Ces actes semblent avoir eu pour effet de rendre les Athéniens tièdes dans la cause d’Argæos ; car Mantias, l’amiral athénien, bien qu’il transportât ce prince par mer à Methônê, s’arrêta toutefois dans le port de mer lui-même, tandis qu’Argæos s’avança dans l’intérieur des terres, — avec quelques exilés qui revenaient, un corps de mercenaires et quelques volontaires athéniens, jusqu’à Ægæ ou Edessa[35], espérant obtenir d’être admis dam cette ancienne capitale des Macédoniens. Mais tes habitants refusèrent de le recevoir, et en revenant à Methônê, il fut attaqué et complètement défait par Philippe. Ses troupes fugitives trouvèrent un refuge sur une éminence voisine ; mais elles furent promptement obligées de se rendre. Philippe en laissa partir la plus grande partie à certaines conditions ; il demanda seulement qu’Argæos et les exilés macédoniens lui fussent livrés. Il traita les citoyens athéniens avec une courtoisie particulière, leur conserva tout ce qu’ils possédaient, et les renvoya dans leurs foyers pénétrés de reconnaissance, avec des messages conciliants pour le peuple d’Athènes. Les exilés, et Argæos avec eux, étant devenus prisonniers, furent probablement mis à mort[36].

La clémence prudente que montra Philippe à l’égard des prisonniers athéniens, combinée avec l’évacuation d’Amphipolis, produisit l’effet le plus favorable sur les dispositions du public athénien et le disposa à accepter ses offres pacifiques. En conséquence, une paix fut conclue. Philippe renonça à toute prétention sur Amphipolis et reconnut cette ville comme une possession qui appartenait légitimement à Athènes[37]. Par cette renonciation, il n’abandonnait réellement pas de possession légitime ; car Amphipolis n’avait jamais appartenu aux rois macédoniens, et jamais un soldat macédonien n’y était entré avant les trois ou quatre années précédentes, alors que les citoyens avaient demandé à Perdikkas de prendre part à la défense de la ville contre les Athéniens. Mais ces derniers parurent avoir remporté le prix principal pour lequel ils avaient si longtemps lutté. Ils se félicitèrent dans l’espérance, que leur présentèrent probablement avec confiance les orateurs qui appuyèrent la paix, que les Amphipolitains seuls ne songeraient jamais à résister aux droits reconnus d’Athènes.

C’est ainsi que Philippe fut délivré d’ennemis sur la côte et qu’il eut les mains libres pour s’occuper des Illyriens et des Pæoniens de l’intérieur. Il s’avança dans le territoire des Pæoniens (vraisemblablement le long du cours supérieur du fleuve Axios), qu’il trouva affaiblis par la mort récente de leur roi Agis. Il défit leurs troupes et les réduisit à se soumettre à la suprématie macédonienne. Ensuite il se mit en devoir d’attaquer les Illyriens, — entreprise plus sérieuse et plus formidable. Les noms Illyriens, Pæoniens, Thraces, etc., ne désignaient pas des masses nationales unies, mais s’appliquaient à un grand nombre de tribus alliées par la parenté ou clans, chacune d’elles étant distincte, gouvernée séparément, et ayant son nom et ses usages particuliers. Les tribu illyriennes et pæoniennes occupaient un vaste espace de territoire au nord et au nord-ouest de la Macédoine, détendant sur la Bosnie moderne à peu près jusqu’aux Alpes Juliennes et à la Save. slip pendant le milieu dit quatrième siècle avant J.-C., il semble qu’il s’effectuait une vaste immigration de tribus gauloises venant de l’ouest, qui envahissaient le territoire des Illyriens et des Pæoniens les plus septentrionaux ; circonscrivaient leurs possessions et leur sécurité, et les refoulaient plus loin au sud ; parfois elles les forçaient à trouver  de la subsistance et du butin par des invasions en Macédoine ou par des pirateries maritimes contre le commerce gras dans l’Adriatique[38]. Les Illyriens étaient devenus pour la Macédoine des voisins plus dangereux qu’ils ne l’étaient à l’époque de Thucydide, et il semble qu’une récente coalition de leurs guerriers, faite dans des vues d’invasion et de pillage, était à ce moment au plus haut point de sa force. Ce fut sous un chef nommé Bardylis, qui s’était élevé au commandement de l’humble métier de charbonnier, homme renommé pour sa bravoure, mais plus encore pour sa conduite rigoureusement juste à l’égard de ses soldats, surtout dans le partage du butin[39]. Bardylis et ses Illyriens s’étaient rendus maître d’une portion considérable de la Macédoine occidentale (à l’ouest du mont Bermios) ; ils occupaient la plupart des villes, des villages et des plaines[40], et restreignaient les Macédoniens indigènes aux collines défendables, mais stériles. Philippe s’avança pour les attaquer, à la tête d’une arn1ùe qu’il s’était à ce moment arrangé pour porter au nombre de dix mille fantassins et de six cents chevaux. Bardylis avait un nombre presque égal ; cependant quand il apprit que Philippe approchait, il envoya offrir la paix, à la condition que chaque partie garderait ce qu’elle possédait actuellement. Sa proposition étant rejetée, les deux armées ne tardèrent pas à se rencontrer. Philippe avait réuni autour de lui, à l’aile droite, ses troupes macédoniennes d’élite, avec lesquelles il fit son attaque la plus vigoureuse ; en même temps, il manœuvrait avec un corps de cavalerie, de manière à attaquer l’aile gauche des Illyriens. La bataille, disputée avec le plus grand acharnement des deux côtés, fut pendant quelque temps indécise, et le roi de Macédoine ne put rompre le carré oblong en lequel ses ennemis s’étaient formés. Mais à la fin sa cavalerie put les charger d’une manière si efficace, en flanc et par derrière, que la victoire se déclara en sa faveur. Les Illyriens prirent la fuite, furent vigoureusement poursuivis, en perdant sept mille hommes, et ne se rallièrent jamais de nouveau. Bardylis demanda bientôt la paix et consentit à l’acheter en renonçant à toutes ses conquêtes en Macédoine, tandis que Philippe poussa sa victoire avec tant d’ardeur qu’il força à se soumettre toutes les tribus à l’est du lac Lychnidos[41].

Ces opérations contre les voisins de la Macédoine à l’intérieur des terres ont dû occuper une année ou deux (359-358). Pendant cet intervalle, Philippe laissa Amphipolis à elle-même, après en avoir retiré la garnison, macédonienne comme moyen de se concilier les Athéniens. Nous nous serions attendus qu’ils profiteraient sur-le-champ de l’ouverture et prendraient d’actives mesures pour regagner Amphipolis. Ils connaissaient l’importance de cette cité ; ils la considéraient comme leur appartenant de droits ; ils avaient désiré longtemps la recouvrer, et ils l’avaient même assiégée cinq années auparavant, bien que vraisemblablement avec une armée mercenaire seulement ; qui fut repoussée surtout grâce au secours de Perdikkas prédécesseur de Philippe. Il n’était pas probable qu’Amphipolis se rendit à eux volontairement ; mais une fois réduite à ses propres ressources, il se peut qu’elle eût été attaquée avec succès. Cependant ils restèrent u l’embouchure du Strymôn sans faire de tentative sur la contrée. Nous devons nous rappeler (comme on l’a déjà raconté)[42] que, pendant 359 avant J.-C. et la première partie de 358 avant J.-C., ils firent des opérations dans la Chersonèse de Thrace, contre, Charidêmos et Kersobleptês avec peu de succès et de honteux embarras. Il se peut que ces opérations vexatoires dans la Chersonèse, — péninsule dans laquelle beaucoup d’Athéniens avaient des intérêts, comme propriétaires privés, outré les droits publics de la cité, — aient absorbé complètement l’attention d’Athènes, au point de l’engager à ajourner l’acquisition d’Amphipolis jusqu’à ce qu’elles fussent terminées ; fin qui n’arriva (comme nous le verrons bientôt) qu’immédiatement avant qu’elle en vint à être plongée dans la dangereuse crise de la guerre Sociale. Je ne connais pas de meilleure manière d’expliquer pourquoi Athènes, bien que si désireuse, tant avant qu’après, de posséder Amphipolis, ne fit, chose singulière, aucune tentative pour l’acquérir pendant plus d’une année après son évacuation par Philippe ; à moins que nous ne devions ranger cette occasion parmi les nombreuses qu’elle perdit (selon Démosthène)[43] par pure négligence, soupçonnant peu avec quelle rapidité disparaîtrait, une pareille occasion.

En 358 avant J.-C., il se présenta aux Athéniens une ouverture qui leur permit de regagner leur influence en Eubœa ; et pour cette île, si rapprochée de leurs côtes, ils frappèrent un coup plus vigoureux que pour la possession éloignée d’Amphipolis. Lorsque la confédération maritime sous Athènes reprit naissance (immédiatement après 378 av. J.-C.), la plupart des cités de l’Eubœa s’y étaient jointes volontairement ; mais après la bataille de Leuktra (en 371 av. J.-C.), l’île passa sous la suprématie thêbaine. En conséquence, des Eubœens de toutes les cités servirent dans l’armée d’Epaminondas, tant lors de sa première que de sa seconde expédition dans le Péloponnèse (369-362 av. J.-C.)[44]. De plus, Orôpos, ville frontière de l’Attique et de la Bœôtia — située immédiatement en face de l’Eubœa, ayant été enlevée à Athènes[45] en 366 avant J.-C. par un corps d’exilés qui traversèrent le détroit en venant d’Eretria, grâce aux soins du despote érétrien Themisôn, — avait été remise à la garde des Thêbains, avec lesquels elle restait encore. Mais dans l’année 358 avant J.-C., un mécontentement commença dans les cités eubœennes (la cause nous en est inconnue) contre la suprématie de Thèbes ; sur quoi une puissante armée thêbaine fut envoyée dans l’île pour les réduire : il s’ensuivit une lutte sérieuse, dans laquelle si Thèbes avait réussi, Chalkis et Eretria auraient bien pu partager le sort d’Orchomenos[46]. Ces cités expédièrent de pressants messages pour demander du secours aux Athéniens, qui furent fortement agités par la crainte de voir leur voisine détectée Thèbes renforcée par une acquisition si considérable tout prés de leurs frontières. L’assemblée publique, déjà disposée à sympathiser avec les suppliants, fut enflammée jusqu’à l’enthousiasme par le brusque et expressif appel de Timotheos, fils de Konôn[47]. Comment ! Athéniens (dit-il), quand vous avez les Thêbains actuellement dans l’île, discutez-vous encore ici ce qui est à faire, ou comment vous agirez dans la circonstance ? Ne remplirez-vous pas la mer de trirèmes ? Ne vous lèverez-vous pas immédiatement pour courir au Peiræeus, et traîner les trirèmes jusqu’à l’eau ? Cette apostrophe animée, rapportée et entendue sans doute par Démosthène lui-même, trouva dans le peuple un écho sincère. Les forces  à Athènes, militaires aussi bien que navales, furent équipées avec une ardeur, et envoyées avec une promptitude, qui furent rarement égalées, L’enthousiasme général flet tel, que des citoyens se chargèrent volontairement pour la première fois de l’office dispendieux de triérarque, au lien d’attendre le procédé plus lent de désigner las hommes riches dont c’était le tour de servis, avec la chance d’un retard plus grand encore. par suite du procédé légal appelé antidosis ou échange de fortune[48], qu’employaient celles des personnes ainsi choisies qui pouvaient se croire lésées par la réquisition. Démosthène lui-même fut au nombre des triérarques volontaires ; lui et un citoyen nommé Philinos étant co-triérarques du même vaisseau. On nous dit qu’en trois ou cinq jours la flotte et l’armée athénienne, sous le, commandement de Timotheos[49], furent débarquées au grand complet sur le rivage de l’Eubœa, et que dans le courant de trente jours les Thêbains furent si complètement battus qu’ils furent forcés ale l’évacuer en vertu d’une capitulation. Un corps de mercenaires sous Charês contribua au succès athénien. Cependant il ne parait pas prouvé que ce succès ait été aussi aisé et aussi rapide que les orateurs aiment à l’affirmer[50]. Toutefois, leur vanterie, souvent répétée dans la suite, est bien fondée en ce sens, qu’Athènes remplit complètement son but ; qu’elle délivra les Eubœens de Thêbes, et reçut le témoignage de leur gratitude sous la forme d’une couronne d’or dédiée dans l’acropolis d’Athènes[51]. Les cités eubœennes, tout étant reconnues comme autonomes, continuèrent en même temps d’être inscrites comme membres de la confédération athénienne, envoyant des députés à l’assemblée à Athènes, et pour les desseins généraux de cette confédération elles payaient un tribut annuel, fixé à cinq talents pour chacune des deux villes Oreus (ou Histiæa) et Eretria[52].

A la fin de cette entreprise eubœenne (353 av. J.-C.), Charês avec ses mercenaires fut envoyé en Chersonèse, où il finit par arracher à Charidêmos et à Kersobl4eptès l’évacuation de cette péninsule et sa cession à Athènes, après une longue série de manœuvrés dilatoires et de mauvaise foi de leur part. J’ai, dans les précédents chapitres, décrit ces événements, en faisant remarquer en même temps qu’Athènes atteignit à ce moment l’apogée de son pouvoir à l’étranger et de sa seconde confédération renouvelés, qui avaient commencé en 378 avant J.-C.[53] Mais sa période d’élévation fut très courte. Elle ne tarda pas à être renversée par deux événements importants, — la guerre Sociale et les conquêtes de Philippe en Thrace.

La confédération athénienne, récemment renforcée par la délivrance de l’Eubœa, comptait parmi ses membres une portion considérable des îles de la mer Ægée aussi bien que les ports de mer grecs en Thrace. La liste comprenait les lies de Lesbos, de Chios, de Samos — cette dernière occupée actuellement en partie par un corps de klêruchi ou colons athéniens —, de Kôs et de Rhodes, avec l’importante cité de Byzantion. Ce fut peu après le récent suces en Eubœa que Chios, Kôs, Rhodes et Byzantion se révoltèrent de concert en soulevant contre Athènes une guerre sérieuse, connue sous le nom de Guerre Sociale.

Relativement aux causes prochaines de cette explosion nous ne trouvons par malheur que peu de renseignements. Il y avait alors, et il y avait toujours eu depuis 378 avant J.-C., une assemblée de députés de toutes les cités confédérées se réunissant habituellement à Athènes, telle qu’il n’en avait jamais existé sous le premier empire athénien dans sa pleine maturité. Jusqu’à quel point l’assemblée fonctionnait-elle effectivement, c’est ce que nous ignorons. Du moins elle doit avoir fourni aux alliés, s’ils étaient lésés, une belle occasion de faire entendre leurs, plaintes et de critiquer l’application du fonds commun auquel chacun d’eux contribuait. Mais la confédération athénienne qui avait commencé (378 av. J.-C.)[54] dans un esprit généreux et égal de défense maritime commune, en était venue à se pervertir graduellement, depuis l’humiliation de la grande ennemie Sparte à Leuktra, et à se tourner vers des desseins et des intérêts plus exclusivement athéniens. Athènes avait conquis l’île de Samos, — Pydna, Potidæa, et Methônê, sur la côte de la Macédoine et de la Thrace — et la Chersonèse de Thrace ; acquisitions faites toutes dans son seul intérêt, sans aucun avantage pour l’assemblée confédérée, — et faites encore en grande partie pour devenir la propriété privée de ses propres citoyens comme klêruchi, par une violation directe de sa résolution publique prise en 378 avant J.-C., de ne permettre aucune appropriation de terres par des citoyens athéniens hors de l’Attique.

A mesure qu’Athènes en vint à agir plus en vue de son agrandissement séparé, et moins pour les intérêts communs à toute la confédération, l’attachement des États confédérés les plus considérables devint de plus en plus forcé : mais ce qui contribua plus encore à les détacher d’Athènes, ce fut la conduite de ses armements de service, composés en grande partie de mercenaires, mesquinement et irrégulièrement payés, dont les exactions désordonnées et rapaces, en particulier aux dépens des confédérés d’Athènes, sont caractérisées en termes énergiques par tous les orateurs contemporains, — Démosthène, Æschine, Isocrate, etc. Le commandant, qui n’avait pas le moyen de payer les soldats, était souvent obligé d’obéir à leurs instincts de pillage et de les conduire à l’endroit le plus commode où l’on pouvait se procurer de l’argent : dans le fait quelques-uns des commandants, et en particulier Charês, n’étaient pas eux-mêmes moins disposés que leurs soldats à profiter de ces déprédations[55]. Aussi arrivait-il que les armements expédiés par Athènes voyaient peu l’ennemi qu’ils étaient chargés de combattre, préférant le procédé plus aisé et plus lucratif de lever des contributions sur des amis, et de biller les bâtiments marchands rencontrés en mer. Et il n’était pas possible à Athènes de prévenir cette mauvaise conduite, quand ses propres citoyens refusaient de servir personnellement, et quand elle employait des étrangers, soudoyés pour l’occasion, mais payés peu régulièrement[56]. Les souffrances, l’alarme et l’éloignement qui en résultèrent parmi les confédérés ne furent pas moins funestes que déshonorants pour Athènes. Nous ne pouvons douter qu’il ne s’élevât des plaintes nombreuses dans l’assemblée ; mais, elles doivent avoir été inutiles, puisque l’abus continua jusqu’à l’époque qui précéda de peu la bataille de Chæroneia.

Au milieu de ces dispositions apparentes de la part d’Athènes à négliger les intérêts de la confédération dans des vues personnelles, et à tolérer ou â. encourages les déprédations positives exercées sans cesse par des armements non payés, — le mécontentement grandit naturellement, et se montra avec plus de force chez quelques-unes des dépendances plus considérables près de la côte asiatique (358 av. J.-C.). Les îles de Chios, de Kôs et de Rhodes, en même temps que l’importante cité de Byzantion sur le Bosphore de Thrace, s’entendirent ensemble et se déclarèrent détachées d’Athènes et de sa confédération. Selon l’esprit de la convention jurée à Sparte, immédiatement avant la bataille de Leuktra, et de l’alliance subséquente, jurée à Athènes, quelques mois plus tard[57] — des confédérations obligatoires et indestructibles étaient en général condamnées parmi les Grecs, de sorte que ces îles étaient justifiées en se séparant simplement si elles le jugeaient bon. Mais leur séparation, à laquelle probablement Athènes aurait résisté, en toute circonstance, fut déclarée d’une manière hostile, et accompagnée de l’accusation qu’elle avait formé contre elles des projets perfides. Elle fut fomentée en outre par les intrigues aussi bien que par les armes du prince karien Mausôlos[58]. Depuis la paix d’Antalkidas, toute la côte asiatique avait été sous la domination irrésistible soit de satrapes, soit de princes subordonnés dépendants de la Perse, qui guettaient les occasions d’étendre leurs conquêtes dans les îles voisines. Mausôlos parait avoir occupé et Rhodes et Kôs, en provoquant dans la première de ces îles une révolution qui la plaça sous une oligarchie, non seulement dévouée à ses intérêts, mais de plus soutenue par la présence d’une armée considérable composée de ses troupes mercenaires[59]. Le gouvernement de Chios semble avoir été toujours oligarchique, fait qui était une des raisons de l’absence de sympathie entre ses habitants et Athènes. En dernier lieu, les Byzantins avaient aussi un motif spécial de mécontentement, vu qu’ils usurpaient le privilège de retenir et de taxer les navires de blé de l’Euxin dans leur passage par le Bosphore[60] — tandis qu’Athènes, comme chef de la confédération insulaire, réclamait ce droit pour elle-même, et en tout cas protestait contre l’usage que toute autre cité faisait de ce pouvoir pour son profit séparé.

Cette révolte, commencement de ce qu’on appelle la Guerre Sociale, fut un coup formidable porté à l’ascendant d’Athènes à l’étranger (358 av. J.-C.). De tous ses : confédérés, Chios était le plus puissant et le plus considérable, l’île entière étant sous un seul gouvernement. Des vieillards, comme Platon et Isocrate, pouvaient se rappeler peut-être l’effroi causé à Athènes cinquante-quatre ans auparavant (412 av. J.-C.) par la nouvelle de la première révolte de Chios[61], peu après le grand désastre essuyé devant Syracuse. Et probablement l’alarme ne fut pas beaucoup moindre, quand les Athéniens, furent informés en ce moment de la quadruple défection parmi leurs alliés près de la côte asiatique. L’armement combiné de tous les quatre fut réuni à Chios, où Mausôlos aussi envoya un renfort. Les Athéniens équipèrent une flotte avec des forces de terre à bord, afin d’attaquer l’île ; et, dans cette occasion critique, nous pouvons présumer que leurs citoyens durent triompher de leur répugnance à servir en personne. Chabrias eut le commandement en personne de la flotte, Charês de l’armée de terre ; ce dernier fut débarqué dans l’île, et on concerta une attaque commune sur la ville de Chios, par mer et par terre au même moment. Lorsque Charês s’avança jusqu’aux murs, les gens de Chios et leurs alliés se crurent assez forts pour sortir et pour hasarder une bataille qui n’eut pas de résultat décisif ; tandis que Chabrias essaya en même temps avec la flotte de s’ouvrir de vive force un chemin dans le port. Mais on avait pris des précautions efficaces pour la défense, et les marins de Chios étaient résolus Chabrias, dirigeant l’attaque avec l’impétuosité qui le caractérisait, s’embarrassa dans les navires de l’ennemi, fut attaqué de tous les côtés et tomba en combattant vaillamment. Les autres vaisseaux athéniens ou ne furent pas empressés à le suivre, ou ne purent produire aucun effet. Leur attaque échoua complètement, et la flotte fut obligée de se retirer avec peu de pertes en apparence, à, l’exception de celle du vaillant amiral. Charês ayant été rembarqué avec son armée de terre, les Athéniens s’éloignèrent de Chios sur-le-champ[62].

Cet échec subi à Chios fut un malheur sérieux pour Athènes (357 av. J.-C.). La disette des hommes de guerre et le déclin de l’esprit militaire étaient tels dans cette cité, que la perte d’un citoyen guerrier, hardi comme soldat et éprouvé comme commandant, tel que Chabrias, ne fut jamais réparée plus tard. Quant aux gens de Chios et à leurs alliés d’autre part, cet événement fut pour eux extrêmement encourageant. Ils purent non seulement se maintenir en révolte, mais même obtenir un nouvel appui, et attirer dans la même défection d’autres alliés d’Athènes, — et de ce nombre vraisemblablement Sestos et d’autres cités sur l’Hellespont. Pendant quelques mois, ils paraissent être restés maîtres de la mer, avec une flotte de cent trirèmes ; ils débarquaient et dévastaient les îles athéniennes de Lemnos, d’Imbros, de Samos et autres lieux, de manière à recueillir une somme qui défrayât leurs dépenses. Ils furent même assez forts pour assiéger étroitement Samos, jusqu’à ce qu’enfin les Athéniens, non sans retard et difficulté, réunissent une flotte de cent vingt trirèmes, sous le commandement combiné de Charês, d’Iphikratês, avec son fils Menestheus, et de Timotheos. Bien que Samos fût assiégée, les amiraux athéniens jugèrent prudent de diriger leurs premiers efforts vers la réduction de Byzantion ; probablement à cause de l’extrême importance qu’il y avait à maintenir ouverts les deux détroits entre le Pont-Euxin et la mer Ægée, pour que les navires de blé venant de la première de ces mers pussent passer en sûreté[63]. Afin de protéger Byzantion, les gens de Chios et leurs alliés levèrent le siège de Samos et firent voile immédiatement pour l’Hellespont, et les deux flottes se trouvèrent ; rassemblées dans ce détroit resserré, — comme l’avaient été les Athéniens et les Lacédæmoniens pendant les dernières années de la guerre du Péloponnèse. Les trois commandants athéniens m’aient concerté un plan d’engagement naval, et ils étaient sur le point de le mettre à exécution, quand survint une tempête soudaine qui, de l’avis d’Iphikratês et de Timotheos, rendait hardie et périlleuse la pensée de persister à vouloir l’exécuter. En conséquence, ils se tinrent à distance, tandis que Charês, qui jugeait différemment, somma les triérarques et les marins de le suivre, et se précipita au combat sans ses collègues. Il fut défait, ou du moins obligé de se retirer sans rien faire. Mais il fut si irrité contre ses deux collègues, qu’il écrivit à Athènes une dépêche où il les accusait de corruption et de lenteur coupable devant l’ennemi[64].

Les trois amiraux collègues dans le commandement se trouvèrent ainsi non seulement en opposition, mais encore en conflit acharné les uns à l’égard des autres (358 av. J.-C.). Au jugement de responsabilité, subi par eux tous peu de temps après à Athènes, Charês se mit en avant comme l’accusateur formel de ses deux collègues qui, à leur tour, l’accusèrent également. Il fut secondé dans son attaque par Aristophon, l’un des orateurs les plus exercés du temps. Tous deux accusèrent Iphikratês et Timotheos d’avoir reçu des présents des gens de Chios et de Rhodes[65], et d’avoir violé leur engagement en abandonnant Charès au moment critique, quand il avait été décidé à l’avance qu’on livrerait bataille et qu’on aurait pu remporter un important succès.

De quel côté était la justice, c’est ce que nous ne pouvons décider. Les caractères d’Iphikratês et de Timotheos don lient bien lieu de présumer qu’ils avaient raison et que leur accusateur avait tort. Cependant il faut se rappeler que le public athénien — et probablement il en eût été de même dans tout autre public, — ancien ou moderne, — romain, anglais ou français — dut naturellement éprouver de la sympathie pour l’amiral entreprenant et hardi qui marchait en tête afin d’entrer en action, sans craindre ni la tempête ni l’ennemi, et qui invitait ses collègues à le suivre. Iphikratês et Timotheos insistèrent sans doute sur la témérité de sa conduite, et firent valoir la violence du vent. Mais cette assertion dut être niée encore par Charês, et resta comme un point où la preuve était contradictoire, des capitaines et des marins étant produits comme témoins des deux côtés, et la, flotte étant probablement divisée en deux partis opposés. Le sentiment des dikastes athéniens pouvait naturellement être qu Iphikratês et Timotheos n’auraient jamais dû laisser leur collègue engager l’action sans être secouru, même bien qu’ils désapprouvassent la tentative. Iphikratês se défendit en partie en accusant la conduite de Charês, en partie en répondant amèrement à son autre accusateur Aristophon. Trahirais-tu la flotte pour de l’argent (demanda-t-il) ?Non, fut-il répondu. — Eh bien ! donc, toi, Aristophon, tu ne trahirais pas la flotte ; le ferai-je, moi, Iphikratês ?[66]

L’issue de cette cause importante fut qu’on acquitta Iphikratês, tandis que Timotheos fut reconnu coupable et condamné à l’amende considérable de cent talents. Sur quelles causes reposait cette différence dans la sentence, c’est ce que nous ne pouvons reconnaître qu’imparfaitement. Et il paraît qu’Iphikratês, loin de se décharger en rejetant le blâme sur Timotheos, assuma expressément la responsabilité de l’acte entier ; tandis que son fils Menestheus présentait un compté exact, dans les limites de sa connaissance, de tous les fonds reçus et déboursés par l’armée[67].

La cause assignée par Isocrate, l’ami personnel de Timotheos, est l’extrême impopularité de ce dernier dans la cité.  Bien que, comme général et de service a l’étranger, Timotheos se conduisît non seulement avec une justice scrupuleuse a l’égard de chacun, mais encore avec des ménagements rares a l’égard des alliés maritimes -que d’autres généraux tourmentaient et pillaient, — cependant à l’intérieur sa manière d’être était arrogante et blessante à un point intolérable, surtout envers les principaux orateurs qui prenaient part aux affaires publiques. Tout en étant reconnu comme un homme de talent et comme un général qui avait rendu d’importants services, il avait encouru ainsi une impopularité personnelle et s’était fait de nombreux ennemis, en particulier parmi ceux qui étaient le plus en état de lui faire du mal. Isocrate nous dit qu’il avait lui-même adressé souvent des remontrances à Timotheos (comme Platon avertissait Dion) au sujet de ce tort sérieux, qui obscurcissait sa capacité réelle, faisait qu’on se méprenait complètement sur son compte, et amassait contre lui un fonds de mécontentement populaire qui produirait à coup sûr un triste effet à quelque occasion favorable. Timotheos (suivant Isocrate), tout en admettant la justesse du reproche, ne pouvait triompher de sa disposition naturelle[68]. Si telle était la manière d’être de cet homme éminent, telle que la décrit son intime ami, nous pouvons juger combien elle devait irriter des hommes politiques hostiles, et même des personnes indifférentes qui ne le connaissaient que par ses dehors qu’ils voyaient. Iphikratês, bien que naturellement orgueilleux, était plus conciliant et plus discret dans sa conduite, et plus sensible au danger d’une haine politique[69]. De plus, il semble avoir été un puissant orateur[70] en public, et sa popularité parmi les hommes de guerre à Athènes était si prononcée que, dans ce procès même, beaucoup d’entre eux manifestèrent leur sympathie en paraissant en armes près du dikasterion[71]. Dans ces circonstances, nous pouvons facilement comprendre que Charês et Aristophon pussent trouver a propos de faire peser leur accusation plus particulièrement sur Timotheos que sur Iphikratês ; et que le dikasterion, tout en condamnant le premier, ait pu être moins convaincu de la culpabilité du second et plus content à nous égards de l’acquitter[72].

On dit que Timotheos fut condamné à une amende de cent talents, la plus considérable (suivant Isocrate) qui ait jamais été imposée à Athènes. Après sa condamnation, il se retira à Chalkis, où il mourut trois ans après, en 354 avant J.-C. Dans l’année qui suivit sa mort, sa mémoire était encore très impopulaire ; cependant il parait qu’on fit grâce de l’amende à sa famille, et que son fils Konôn fut autorisé à satisfaire à la réclamation par un compromis en déboursant la somme plus petite de dix talents, destinée à réparer les murs de la cité. Il semble évident que Timotheos, par sa retraite, échappa au payement de toute l’amende ; de sorte que son fils Konôn paraît, après lui, comme l’un des plus riches citoyens d’Athènes[73].

La perte d’un citoyen tel que Timotheos était un nouveau malheur pour elle. Il avait conduit ses armées avec un succès signalé, maintenu l’honneur de son nom dans les mers orientales et occidentales, et grandement étendu la liste de ses alliés étrangers. Elle avait récemment perdu Chabrias clans une bataille ; un second général, Timotheos, lui était actuellement enlevé, et le troisième, Iphikratês, bien qu’acquitté dans le dernier procès, semble, autant que nous pouvons le savoir, n’avoir jamais été employé dans la suite pour un commandement militaire. Ces trois hommes furent les trois derniers citoyens d’Athènes qui se firent distinguer à la guerre ; car Phokiôn, quoique brave et méritant, ne fut à comparer avec aucun d’eux. D’autre part, Charês, homme d’un grand courage personnel, mais n’ayant pas d’autre mérite, était alors en plein essor de réputation. La récente lutte judiciaire entre les trois amiraux athéniens avait été doublement funeste pour Athènes, d’abord en ce qu’elle avait décrédité Iphikratês et Timotheos, ensuite en ce qu’elle avait élevé Charês, auquel le commandement fut maintenant confié sans partage.

L’année suivante, 356 avant J.-C., Charês conduisit une autre puissante flotte pour attaquer les alliés révoltés. Toutefois, n’ayant pas reçu d’Athènes des fonds suffisants pour payer ses troupes, composées surtout de mercenaires, étrangers, il jugea à propos, sous sa propre responsabilité, d’accepter une offre d’Artabazos (satrape de Daskylion et de la région au sud de la Propontis), alors en révolte contre le roi de Perse[74]. Charês se joignit à Artabazos avec sa propre armée, renforcée par des corps additionnels de mercenaires licenciés récemment par les satrapes persans. Avec toutes ces forces, il livra bataille aux troupes du roi que commandait Tithraustês, et remporta une brillante victoire ; sur quoi Artabazos le récompensa avec tant de libéralité, que toute l’armée athénienne se trouva dans une abondance temporaire. Les Athéniens de la cité furent d’abord fort, mécontents de leur général, parce qu’il avait violé ses instructions, et enlevé son armée à sa tâche prescrite et légitime. Toutefois la nouvelle de sa victoire et de la récompense lucrative qui l’avait suivie les calma quelque peu. Mais bientôt ils apprirent que le roi de Perse, indigné de cette agression gratuite de leur part, équipait une flotte considérable pour seconder les opérations de leurs ennemis. Intimidés par la perspective d’une attaque des Perses, ils devinrent désireux de conclure la paix avec les révoltés qui, de leur côté, ne le furent pas moins de terminer la guerre. Des ambassades étant échangées et des négociations ouvertes, l’année suivante (355 av. J.-C., la troisième de la guerre) une paix fut jurée, par laquelle les Athéniens reconnaissaient l’autonomie complète des cités révoltées de Chios, de Rhodes, de Kôs et de Byzantion, et leur séparation de la confédération athénienne[75].

Telle fut la fin de la Guerre Sociale, qui affaiblit fatalement la puissance et amoindrit la dignité d’Athènes. Quelque imparfaitement que nous connaissions les événements, il semble clair que les efforts qu’elle fit pour affronter cette formidable révolte furent faibles et insuffisants, et prouvèrent un triste déclin d’énergie depuis l’année 412 avant J.-C., où elle avait lutté avec une vigueur extraordinaire contre des calamités semblables et même plus grandes, un an seulement après son désastre irréparable subi devant Syracuse. Quelque peu glorieux que fût le résultat de la Guerre Sociale, elle avait néanmoins été coûteuse et laissait Athènes pauvre. Les revenus annuels de sa confédération étaient fortement diminués par la séparation de, tant de cités importantes, et son trésor public était épuisé. C’est précisément à cette époque que commence l’activité de Démosthène comme conseiller public. Dans un discours prononcé cette année (355 av. J.-C.), il signale la pauvreté du trésor, et il y fait allusion dans des discours postérieurs, comme à un fait qui n’est que trop notoire[76].

Mais les malheurs que la Guerre Sociale causa à Athènes ne vinrent pas seuls. Elle eut encore pour effet de la rendre moins capable de se défendre contre les premières attaques ale Philippe de Macédoine.

Ce prince, pendant la première année de son avènement (359 av. J.-C.), avait cherché à se concilier. Athènes par diverses mesures, mais surtout en retirant sa garnison d’Amphipolis, tandis qu’il établissait sa force militaire dans l’intérieur contre les Illyriens et les Pæoniens. Il avait employé de cette manière une période qui parait être un peu moins de deux ans, et employé avec un succès tel, qu’il avait humilié ses ennemis dans l’intérieur et réuni des forces suffisantes pour des opérations offensives contre les cités de la côte. Pendant cet intervalle, Amphipolis resta une cité libre et indépendante ; Philippe y avait formellement renoncé, et elle ne fut pas attaquée par les Athéniens. Comment laissèrent-ils échapper cette occasion favorable d’imposer de nouveau par les armes des prétentions auxquelles ils attachaient tant de prix, c’est ce que j’ai expliqué plus haut en partie (bien que d’une manière qui n’est pas très satisfaisante). Philippe n’était pas homme à les laisser profiter de l’occasion, quand il pouvait l’empêcher, ni à ajourner le moment d’opérations actives ; comme ils le faisaient. Vers la fin de 358 avant J.-C., se trouvant les mains libres d’empêchements dans l’intérieur, il commença sur-le-champ le siège d’Amphipolis. Les habitants, dit-on, étaient défavorablement disposés à son égard, et lui avaient fourni plus d’une cause de guerre[77]. Il n’est pas facile de comprendre quelles ont pu être ces causes, si l’on songe que, si peu de temps auparavant, la ville avait eu une garnison macédonienne invoquée comme une protection contre Athènes, et que les habitants n’étaient nullement en état de prendre l’offensive contre Philippe.

Après avoir sommé en vain Amphipolis de se rendre, Philippe commença le siège avec vigueur, en attaquant les murs à l’aide de béliers et d’autres engins de guerre (358 av. J.-C.). Il devait bien connaître les points faibles de la fortification par ses soldats qui y avaient été récemment en garnison. Les habitants se défendirent avec énergie ; mais actuellement les choses étaient tellement changées, qu’ils furent forcés de demander le secours d’Athènes, leur ancienne ennemie, contre le prince macédonien. Leurs envoyés Hierax et Stratoklês, arrivant à Athènes peu après l’heureuse fin de l’expédition athénienne en Eubœa, se présentèrent devant l’assemblée publique, et prièrent instamment les Athéniens de venir sans retard et d’occuper Amphipolis, comme seule chance de la sauver de la domination macédonienne[78]. Nous ne sommes pas sûr que la Guerre Sociale eût déjà éclaté ; s’il en était ainsi, Athènes devait être trop pressée par les inquiétudes que faisait naître une révolte aussi formidable, pour avoir des moyens disponibles qui lui permissent de céder même à la tentation de recouvrer Amphipolis perdue depuis si longtemps. Mais, en tout cas, Philippe avait prévu et neutralisé les prières des Amphipolitains. Il envoya aux Athéniens une lettre courtoise pour leur apprendre qu’il assiégeait la ville, tout en la reconnaissant comme leur appartenant de droit, et en promettant de la leur rendre quand il aurait réussi à s’en emparer[79].

Une grande partie de l’histoire future de la Grèce dépendit de la manière dont Athènes agit avec ces deux messages contraires (358 av. J.-C.). La situation d’Amphipolis, qui commandait le passage sur le Strymôn, était non seulement de la dernière importance, — en ce qu’elle fermait la Macédoine à l’est et qu’elle ouvrait les régions aux mines d’or autour du mont Pangæos, — mais encore, elle était aisément défendable par les Athéniens par la mer, une ; fois acquise. S’ils eussent été clairvoyants dans l’appréciation des chances, et vigilants par rapport à une défense future, ils auraient pu en ce moment acquérir cette place importante et la conserver contre les plus grands efforts de Philippe, Mais cette fatale inaction, qui était devenue leur péché général et habituel, fut, dans la présente occasion, encouragée par quelques raisons plausibles, bien que trompeuses. La nouvelle du danger des Amphipolitains ne dut pas être mal accueillie à Athènes, — où l’on nourrissait coutre eux une forte aversion, comme occupants réfractaires d’un territoire qui ne leur appartenait pas, et comme ayant causé des pertes et des humiliations répétées aux armes athéniennes. Et les Athéniens ne pouvaient pas non plus changer immédiatement leur point de vue, de manière à considérer la question sous le rapport de la politique seule et à reconnaître ces anciens ennemis comme des personnes dont les intérêts en étaient venus actuellement à s’accorder avec les .leurs. D’autre part, les dispositions actuelles des Athéniens à l’égard de Philippe étaient extrêmement favorables. Non seulement ils avaient fait la paix avec lui l’année précédente, mais encore ils sentaient qu’il les avait bien traités et en évacuant Amphipolis et en renvoyant honorablement leurs citoyens qui avaient été faits prisonniers dans l’armée de son compétiteur Argæos[80]. Aussi étaient-ils prédisposés à ajouter foi à son assurance positive, que non seulement il désirait prendre la ville afin de chasser une population importune qui l’avait lésé et molesté, mais encore qu’il s’empresserait de la remettre à ses légitimes propriétaires, les Athéniens. Accéder à la demande de secours faite par les Amphipolitains dut ainsi paraître, à Athènes, rechercher aine nouvelle guerre et rompre avec un ami précieux, afin de protéger un odieux ennemi, et assurer une acquisition qui en tout cas leur reviendrait, même s’ils restaient tranquilles, grâce à la cession de Philippe. Il est nécessaire d’insister sur les motifs qui déterminèrent Athènes à s’abstenir d’intervenir en cette occasion, vu qu’il y eut probablement peu de ses résolutions qu’elle regrettât plus amèrement dans la suite. La lettre d’assurance de Philippe fut reçue et crue ; on congédia avec un refus les envoyés d’Amphipolis.

Privés de tout espoir de secours du côté d’Athènes, les Amphipolitains tinrent bon aussi longtemps qu’ils purent. Mais un parti dans la ville entra en correspondance avec Philippe pour la lui livrer, et la défense devint graduellement plus faible. A la fin, avec l’aide de partisans dans l’intérieur, il pratiqua dans les murs une brèche suffisante pour emporter la cité d’assaut, non sans une vaillante résistance de la part de ceux qui restaient encore fidèles. Tous les citoyens qui lui étaient hostiles furent chassés ou s’enfuirent ; les autres furent traités avec douceur ; mais on nous dit que Philippe montra peu de faveur à ceux qui avaient trempé dans la trahison[81].

Amphipolis fut pour Philippe une acquisition d’une importance inexprimable, non moins pour la guerre défensive glue pour l’offensive. C’était non seulement la station maritime la plus commode en Thrace, mais encore elle lui ouvrait tout le pays à l’est du Strymôn et en particulier la région aux mines d’or, près du mont Pangæos. Il s’établit fortement dans sa nouvelle position, qui continua d’être dorénavant, un des boulevards de la Macédoine, jusqu’à la conquête de ce royaume par les Romains. Il ne prit aucune mesure pour remplir sa promesse de céder la place aux Athéniens, qui sans doute envoyèrent des ambassades- pour la demander. Dans le fait, la guerre Sociale, qui éclata précisément à cette époque, absorbait tous leurs soins et toutes leurs forces, de sorte qu’ils ne purent, au milieu de leurs revers désastreux à Chios et ailleurs, prendre d’énergiques mesures par rapport à Philippe et à Amphipolis, Néanmoins, il ne refusa pas encore péremptoirement de la rendre ; mais il continua d’amuser les Athéniens arec des promesses trompeuses, suggérées par ses partisans, payés ou non, dans, l’assemblée publique.

Il était d’autant plus nécessaire pour lui d’ajourner toute rupture ouverte avec Athènes que les Olynthiens avaient conçu de sérieuses alarmes par suite de sa conquête d’Amphipolis, et qu’ils avaient envoyé négocier un traité d’amitié et d’alliance avec les Athéniens. Une pareille alliance, si elle eût été conclue, aurait empêché les plans ultérieurs de Philippe. Mais ses partisans à Athènes obtinrent le renvoi des députés olynthiens, par des assurances renouvelées que le prince macédonien était toujours l’ami d’Athènes e était encore disposé à lui céder Amphipolis comme sa légitime possession. Toutefois, ils représentèrent qu’il avait de bonnes raisons pour se plaindre qu’Athènes continuât de garder Pydna, ancien port de mer macédonien[82]. En conséquence, ils proposèrent d’ouvrir des négociations avec lui pour l’échange de Pydna contre Amphipolis. Mais comme on savait que les Pydnæens étaient opposés à cet échange, le secret était indispensable pour les opérations préliminaires, de sorte qu’Antiphôn et Charidêmos, les deux députés nommés, reçurent leurs instructions du sénat et firent leur rapport au sénat seulement. L’assemblée publique, étant informée que des négociations, inévitablement secrètes, étaient en train, en vile d’assurer l’acquisition d’Amphipolis, — fut persuadée de repousser les avances d’Olynthos et de considérer Philippe comme étant encore un ami[83].

L’alliance proposée des Olynthiens fut rejetée ainsi, comme l’avait été précédemment la demande de secours des Amphipolitains. Athènes eut bien lieu de se repentir de l’un et de l’autre refus. La négociation secrète ne la rapprocha pas de la possession d’Amphipolis. Elle n’aboutit à rien ou plutôt elle eut un résultat plus funeste, en ce qu’elle l’amusa avec de trompeuses espérances, tandis que Philippe entama un traité avec les Olynthiens, irrités naturellement de l’échec qu’ils avaient récemment éprouvé à Athènes. Jusqu’alors il avait entretenu des relations pacifiques avec les Athéniens, même tout en gardant Amphipolis contrairement à son engagement. Mais à ce moment il changea de politique et fit alliance avec les Olynthiens, dont il acheta l’amitié, non seulement en leur cédant le district d’Anthémonte — situé entre Olynthos et Therma, et disputé par les Olynthiens aux anciens rois macédoniens —, mais encore en conquérant l’importante possession athénienne de Potidæa et en la leur remettant[84]. Nous n’avons pas de détails au sujet de ces actes importants. Nos chétives autorités nous apprennent seulement que, pendant les deux premières années (358-356 av. J.-C.), tandis qu’Athènes était absorbée par sa désastreuse Guerre Sociale, Philippe commença à agir contre elle en ennemi déclaré. Il conquit sur elle non seulement Pydna et d’autres lieux pour lui-même, mais encore Potidæa pour les Olynthiens. On nous dit que Pydna fut livrée à Philippe par un parti de traîtres dans la ville[85], et probablement il profita des propositions secrètes faites par Athènes relativement à l’échange de Pydna contre Amphipolis pour exaspérer les Pydnæens contre sa mauvaise foi, vu qu’ils avaient bien lieu de s’indigner du projet de les échanger sous main, contrairement à leur inclination. Pydna fut la première ville assiégée et prise. Plusieurs de ses habitants, sous prétexte qu’ils avaient naguère offensé la Macédoine[86], furent tués, dit-on, tandis que même ceux qui avaient livré la ville furent traités avec, mépris. Le siège dura assez longtemps pour qu’on transmit la nouvelle à Athènes et qu’on eût pu recevoir des secours, si les Athéniens avaient agi avec la célérité convenable en envoyant des forces, Mais, soit la pression de la Guerre Sociale, — soit le peu de goût pour un service personnel aussi bien que pour un payement pécuniaire, — soit ces deux causes réunies, — firent qu’ils ne satisfirent pas à la demande. Plusieurs citoyens athéniens furent pris dans Pydna et vendus comme esclaves, et Démosthène en racheta quelques-uns de ses propres deniers ; cependant nous ne pouvons établir clairement qu’aucun secours ait été envoyé d’Athènes[87]. Si l’on en envoya, il arriva trop tard.

On montra la même lenteur pour le secours expédié à Potidæa[88], — bien que le siège, fait conjointement par Philippe et les Olynthiens, fût à la fois long et coûteux[89], — et qu’il y eût un corps de colons athéniens (klêruchi) qui y résidaient, et que la prise de la place chassa de leurs maisons et de leurs biens[90]. Même pour sauver ces concitoyens, il ne paraît pas qu’aucun Athénien indigène voulût se charger du poids d’un service personnel. Les forces envoyées au secours semblent avoir consisté en un général avec des mercenaires étrangers, qui, comme on ne les payait pas, sacrifièrent l’entreprise pour laquelle on les envoyait à la tentation de piller ailleurs pour leur propre profit[91]. Ce fut ainsi que Philippe, sans déclaration expresse de guerre, commença une série de mesures hostiles contre Athènes, et la priva de plusieurs possessions maritimes précieuses sur la côte de la Macédoine et de la Thrace, outre la violation de sa parole relativement à la cession d’Amphipolis[92]. Après ses pertes causées par la Guerre Sociale et son désappointement au sujet d’Amphipolis, elle fut encore plus mortifiée en voyant Pydna passer dans les mains du prince macédonien, et Potidæa (la possession la plus importante en Thrace après Amphipolis) dans celles d’Olynthos. Ses  colons appauvris retournèrent dans leur patrie sans doute, se plaignant amèrement de l’agression, mais aussi avec un juste motif de la lenteur de leurs compatriotes à envoyer du secours.

Ces deux années avaient été employées par Philippe de manière à faire faire à sa puissance et à son ; ascendant un pas prodigieux (358-356 av. J.-C.). Il avait enlevé à Athènes son empire sur le golfe Thermaïque, où elle semble n’avoir conservé alors que la ville de Methônê, au lieu de la série de ports autour du golfe acquise pour elle par Timotheos[93]. Il s’était concilié le bon vouloir des Olynthiens en leur cédant Anthémonte et Potidæa ; cette dernière place, située de manière à commander l’isthme de Pallênê, leur donnait l’empire sur cette péninsule[94] et assurait (ce qui pour Philippe était d’une grande importance) leur inimitié avec Athènes. Non seulement il améliora les avantages maritimes d’Amphipolis, mais encore il étendit ses acquisitions dans les régions aurifères du mont Pangæos, à l’est du Strymôn. Il se rendit maître de cette contrée productive, faisant face immédiatement à l’île de Thasos, où les Thasiens et les Athéniens avaient jadis lutté pour le droit d’exploiter les mines, et d’où, à ce qu’il parait, ils avaient tiré les uns et les autres un produit important. Dans l’intérieur de cette région, il fonda une nouvelle cité appelée Philippi, agrandie d’une ville antérieure appelée Krênides, récemment fondée par les Thasiens. De plus, il prit des mesures si efficaces pour augmenter les travaux des mines dans le voisinage qu’elles ne tardèrent pas à lui fournir un revenu considérable, non inférieur, suivant Diodore, à mille talents par an[95]. Il fit frapper une nouvelle monnaie d’or, portant un nom dérivé du sien. La nouvelle source de richesses ouverte ainsi fut pour lui de la plus grande importance, en ce qu’elle lui fournit le moyen dé faire constamment face aux dépenses de ses forces militaires. Il eut assez d’occupation pour tenir ses soldats en haleine ; car les nations de l’intérieur, — Illyriens, Pæoniens et Thraces, — humiliés, ruais non soumis, — reprirent les armes et essayèrent de nouveau de réclamer ensemble leur indépendance. L’armée de Philippe, — sous son général Parmeniôn, dont nous entendons parler en ce moment pour la première fois, — les défit et les réduisit de nouveau à la soumission[96].

Ce fut dans cet intervalle aussi que Philippe épousa Olympias, fille de Neoptolemos, prince des Molosses[97] et descendant des anciens rois molosses, qui se vantaient d’une généalogie æakide héroïque (356 av. J.-C.). Philippe l’avait vue aux mystères religieux de l’île de Samothrace, auxquels ils furent initiés tous deux en même temps. Par la violence du caractère, — par les dispositions jalouses, cruelles et vindicatives, — elle fait presque pendant aux reines persanes Amestris et Parysatis. Les femmes épirotes, aussi bien que les femmes thraces, étaient fort adonnées aux rites religieux des Bacchanales, célébrés en l’honneur de Dionysos avec une extase farouche au milieu des solitudes des montagnes[98]. C’est de cette espèce de transport religieux qu’Olympias était particulièrement susceptible. On dit qu’elle aimait à avoir des serpents apprivoisés, qui jouaient autour d’elle, et qu’elle se livrait à des cérémonies de magie et d’incantation[99]. Son naturel et son caractère devinrent, après peu de temps, un objet de dégoût et même d’alarme pour Philippe. Mais, dans l’année 356 avant J.-C., elle lui donna un fils, célèbre plus tard sous le nom d’Alexandre, le Grand. Ce fut dans l’été de cette année, peu après la prise de Potidæa, que Philippe reçut presque en même temps trois messagers arec de bonnes nouvelles : — la naissance de son fils, la défaite des Illyriens qu’avait vaincus Parmeniôn et le succès de l’un de ses chevaux de course aux jeux Olympiques[100].

 

 

 



[1] Démosthène, Orat. pro Megalopolit., p. 203, 204, s. 6-10 ; p. 206, s. 18, — et dans de fait tout le Discours, qui est un exposé instructif de politique.

[2] Xénophon, Hellenica, VII, 4, 6, 10.

[3] Xénophon, Hellenica, VI, 5, 23 ; VII, 5, 4. Diodore, XV, 62. Les Akarnaniens avaient été alliés de Thêbes à l’époque de la première expédition d’Épaminondas dans le Péloponnèse ; l’étaient-ils encore au moment de sa dernière expédition, c’est ce qui n’est pas certain. Mais comme l’ascendant de Thêbes sur la Thessalia était beaucoup plus grand à la dernière de ces deux époques qu’à la première, nous pouvons être surs qu’elle n’avait pas perdu son empire sur les Lokriens et les Maliens, qui (aussi bien que les Phokiens) étaient entre la Bœôtia et la Thessalia.

[4] Voir tome XIV, ch. 4 et tome XV, ch. 1-3 de cette Histoire.

[5] Orchomenos était contiguë avec le territoire phokien (Pausanias, IX, 39, 1).

[6] ) Isocrate, Or. VIII, De Pace, s. 21 ; Démosthène, adv. Leptinem, p. 490, s. 121 ; pro Megalopol., p. 208, s. 29 ; Philippiques, II, p. 69, s. 15.

[7] Xénophon, Hellenica, VII, 51 4 ; Plutarque, Pélopidas, c. 35. Waschsmuth affirme, à mon sens, d’une manière erronée, que Thêbes fut désappointée dans la tentative qu’elle fit pour établir son ascendant en Thessalia (Hellenisch. Alterthümer, vol. II, X, p. 328).

[8] Platon, Kritôn, p. 53 D ; Xénophon, Mémorables, I, 2, 24 ; Démosthène, Olynthiennes, I, p. 15, s. 23 ; Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 658, s. 133.

Pergit ire (le consul romain Quinctius Flamininus) in Thessaliam : ubi non liberandæ modo civitates erant, sed ex omni colluvion et confusione in aliquam tolerabilem formam redigendæ. Nec enim temporum modo vibis, ac violentiâ et licentiâ regiâ (i. e. les Macédoniens) turbati erant ; sed inquieto etiam ingenio gentis, nec comitia, nec conventum, nec consilium ullum, non per seditionem et tumultum, jam inde a principio ad nostram usque etatem, tradticentis (Tite-Live, XXXIV, 51).

[9] Xénophon, Hellenica, VI, 1, 19.

[10] Xénophon, Hellenica, VI, 4, 32.

[11] Démosthène, adv. Polyklem., p. 1207, s. 5, 6 ; Diodore, XV, 61-95. Voir tome XV, ch. 3 de cette histoire.

[12] Je suis d’accord avec M. Fynes  Clinton (Fast. Hellen., ad ann. 359 av. J.-C., et Appendice, c. 15) qui pense que c’est la date probable de l’assassinat d’Alexandre de Pheræ, événement qui est mentionné par Diodore (XV, I, 14) pour l’année 357-356 avant J.-C., toutefois conjointement avec une série d’événements subséquents, et d’une manière qui nous oblige à peine à croire qu’il voulût affirmer que l’assassinat même avait été commis dans cette année-là.

Aux arguments présentés par M. Clinton, on en peut ajouter un autre, emprunté de l’expression de Plutarque (Pélopidas, c. 35) όλίγον ΰστερον. Il dit que l’assassinat d’Alexandre arriva peu de temps après l’époque où les Thébains, vengeant la mort de Pélopidas, réduisirent ce despote à la soumission. Or ce dernier événement ne peut être placé plus tard que 363 avant J.-C. Conséquemment, cet intervalle que Plutarque appelle a peu de temps n sera de trois ans, si nous plaçons l’assassinat en 358 avant J.-C., de six ans, si nous le plaçons en 357-356 avant J.-C. Trois ans est une interprétation plus convenable des mots que six ans.

[13] Xénophon, Hierôn, I, 38 ; II, 10 ; III, 8.

[14] Xénophon, Hellenica, VI, 4, 36, 37 ; Plutarque, Pélopidas, c. 35 ; Conon, ap. Photium, Narr. 50, codex, 186 ; Cicéron, de Officiis, II, 7. Les détails de l’assassinat donnés par ces auteurs différents. J’ai suivi principalement Xénophon, et je n’ai rien admis qui soit positivement incompatible avec ses assertions.

[15] Justin, VII, 5 ; Diodore, XVI, 2. L’allusion dans le discours de Philotas immédiatement avant son exécution (Quinte-Curce, VI, 43, p. 591, Mützel) appuie l’affirmation de Justin — que Perdikkas fut assassiné.

[16] Antipater (général de Philippe et vice-roi de son fils Alexandre en Macédoine) laissa, dit-on, un ouvrage historique, Περδίκκου πράξεις Ίλλυρικάς (Suidas, v. Άντίπατρος), qui ne peut guère se rapporter à un Perdikkas autre que celui dont nous nous occupons actuellement.

[17] Athénée, XI, p. 506 E.

[18] Diogène Laërce, V, 1, 1.

[19] Athénée, XI, p. 506 E, p. 503 E. La quatrième des lettres de Platon (à laquelle fait allusion Diogène Laërce, III, 62) est adressée à Perdikkas, en partie pour recommander et vanter Euphræos. Il n’y a rien qui prouve qu’elle soit apocryphe ; mais qu’elle soit apocryphe ou authentique, le fait que Platon correspondait avec Perdikkas est suffisamment probable.

[20] Justin, VI, 9 ; VII, 5 : Philippus obses triennio Thebis habitus, etc.

Cf. Plutarque, Pélopidas, c. 26 ; Diodore, XV, 67 ; XVI, 2, et l’abondante note de Wesseling sur le dernier passage. Les deux passages de Diodore ne s’accordent pas très bien ; dans le second, il dit que Philippe avait été déposé à Thêbes par les Illyriens, auxquels son père Amyntas l’avait cédé comme otage. Cela est extrêmement improbable, aussi bien pour d’autres raisons (données par Wesseling), que parce que les Illyriens, si jamais ils le reçurent comme otage, ne durent pas l’envoyer à Thèbes, mais durent le garder en leur possession. La mémorable entrevue décrite par Æschine, — entre le général athénien Iphikratês et la reine macédonienne Eurydikê avec ses deux jeunes fils Perdikkas et Philippe, — doit avoir eu lieu quelque temps avant la mort de Ptolémée Aloritês, et avant l’avènement de Perdikkas. Les expressions d’Æschine ne nous forcent peut-être pas nécessairement à supposer que cette entrevue eut lieu immédiatement après la mort d’Alexandre (Æschine, Fals. Leg, p. 31, 32) ; cependant il est difficile, de concilier l’assertion de l’orateur avec la reconnaissance d’une résidence continue de trois années à Thêbes. Flathe (Geschichte Makedoniens, vol, I, p. 39-47) suppose qu’Æschine s’est permis un faux exposé oratoire, quand il dit que Philippe était présent en Macédoine à l’entrevue avec Iphikratês. C’est une manière peu satisfaisante d’échapper à la difficulté ; mais les assertions chronologiques, dans leur état actuel, peuvent difficilement être toutes exactes. Il est possible que- Philippe soit retourné à Thêbes, on ait été renvoyé, après l’entrevue avec Iphikratês ; nous pourrions obtenir ainsi un espace de trois ans pour son séjour, à deux reprises, dans cette cité. Mous ne devons pas supposer que sa condition à Thêbes fût un état d’emprisonnement et de mauvais traitement. Voir M. Clinton, Fast. Hellen., App. IV, p. 229.

[21] Athénée, XI, p. 506. Au sujet de Derdas, voir Xénophon, Hellenica, V, 2, 38.

[22] Ce fut dans les temps postérieurs un usage fréquent dans le sénat romain, quand il imposait des conditions de paix à des rois à demi vaincus, de demander des otages comme gage de fidélité, avec un jeune prince du sang royal dans le nombre ; et il arrivait ordinairement que ce dernier, après quelques années de séjour à Rome, retournait dans son pays changé en bien des points.

V. le cas de Demêtrios, le plus jeune fils du dernier Philippe de Macédoine et frère cadet de Perseus (Tite-Live, XXXIII, 13 ; XXXIX, 53 ; XL, 5) ; celui des jeunes princes parthes, Vononês (Tacite, Annales, II, 1, 2), Phraatês (Tacite, Annales, VI, 32), Meherdatês (Tacite, Annales, XII, 10, 11).

[23] Même de l’avis de juges très compétents. Voir Æschine, Fals. Leg., c. 18, p. 253.

[24] Plutarque, Pélopidas, c. 26.

[25] Justin, VII, 4. On affirme que Menelaos, père d’Amyntas et grand-père de Philippe, était un fils illégitime, tandis qu’Amyntas lui-même fut, dit-on, dans l’origine, serviteur ou esclave d’Æropos (Ælien, V. H., XII, 43). Nos renseignements relatifs aux relations des rois successifs et des prétendants au trône, en Macédoine, sont obscurs et peu satisfaisants. Justin (l. c.) est d’accord avec Ælien on appelant le père d’Amyntas Menelaos ; mais Dexippe (apud Syncellum, p. 263) l’appelle Ariadæos, tandis que Diodore (XIV, 92) l’appelle Tharraleos.

[26] Justin, XXIX, 1.

[27] Diodore, XVI, 2 ; Justin, VII, 5 ; Quinte-Curce, VI, 48, 26.

[28] Justin, VII, 5. Amyntas vécut pendant le règne de Philippe et fut ensuite mis à mort par Alexandre, qui l’accusa de conspirer. Voir Justin, XII, 6 ; Quinte-Curce, VI, 34,17, avec la note de Mützel.

[29] Justin, VIII, 3. Post hæc Olynthios aggreditur (Philippe) : receperant enim, per misericordiam, post cædem unius, duos fratres ejus, quos Philippus, ex novercâ genitos, velut participes regni, interficere gestiebat.

[30] Arrien, Exp. Alex., IV, 11.

[31] Le procès de Philotas, qui est accusé de conspiration par Alexandre devant une assemblée des soldats macédoniens près du quartier général, est l’exemple sur lequel on insiste le plus pour prouver l’existence de la coutume d’un justement public dans des accusations criminelles. Quinte-Curce dit (VI, 32, 25) : De capitalibus rebus vetusto Macedonum more inquirebat exercitus : in pave erat vulgi : et nihil potestas regum valebat, nisi prius valuisset auctoritas. Cf. Arrien, III, 26, Diodore. XII, 79, 80.

Que ce fut une ancienne coutume macédonienne, par rapport à des personnages éminents accusés de trahison, e’est ce que nous pouvons croire sans peine ; nous pouvoirs croire aussi qu’un officier du rang élevé et de la réputation militaire de Philotas, s’il était soupçonné de trahison, ne pouvait guère être traité autrement, S’il était condamné, tous ses proches et parents, impliqués ou non, étaient enveloppés dans la même condamnation. Plusieurs des parents de Philotas ou s’enfuirent ou se tuèrent ; et Alexandre rendit alors un édit qui leur pardonnait à tous, excepté à Parménion. Ce dernier était en Médie, et un ordre secret de le faire périr à l’instant fut envoyé par Alexandre. S’il faut accepter comme exact ce qui se fit contre Philotas, tel que le décrit Quinte-Curce, c’est un appel fait aux soldats par Alexandre, afin qu’ils consentent à ce qu’il tue un ennemi dangereux, plutôt qu’une recherche de culpabilité ou d’innocence.

Olympias, pendant les luttes intestines qui suivirent la mort d’Alexandre, semble avoir mis à mort autant de Macédoniens illustres qu’elle voulut, sans forme de procès. Mais quand son ennemi Kassandre eut la haute main, quand il la réduisit et la prit, il n’osa pas la mettre à mort sans obtenir le consentement d’une assemblée macédonienne (Diodore, XIX, 11, 51 ; Justin, XIV, 6 ; Pausanias, I, 11, 2). Ces assemblées macédoniennes, autant  que nous en pouvons juger a%près ce que nous en lisons, paraissent être convoquées surtout comme simples instruments destinés à sanctionner quelque dessein déterminé à i’avance du roi ou du chef militaire prédominant à l’époque. Flathe (Geschichte Makedon., p. 43-45) attache, à mon sens, trop de valeur aux droits et aux pouvoirs dont jouissait le peuple macédonien.

[32] Xénophon, Helléniques, VI, 1, 6, 16.

[33] Diodore, XVI, 2, 3.

[34] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 660, s. 144.

[35] Diodore, XVI, 3 ; Démosthène, cont. Aristokratês, p. 660, ut sup. Justin, VII, 6.

[36] Diodore, XVI, 3.

[37] Diodore, XVI, 4.

[38] Voir les remarques de Niebuhr sur les migrations de tribus gauloises de l’Ouest, et leur effet sur l’ancienne population établie entre le Danube et la mer Ægée (Niebuhr, Vertraege ueber alte Geschichte, vol. III, p. 225, 281, et l’ouvrage antérieur du même auteur — Kleine Schriften, Untersuchungen ueber die Geschichte der Skythen, 375).

[39] Théopompe, Fragm. 35, éd. Didot ; Cicéron, de Officiis, II, 11 ; Diodore, XVI, 4.

[40] Arrien, VII, 9, 2, 3.

[41] Diodore, XVI, 4-8. Frontin (Stratagèmes, II, 3, 2) mentionne une bataille gagnée par Philippe sur les Illyriens, dans laquelle, observant que leurs troupes d’élite étaient au centre, il plaça sa plus grande force à son aile droite, attaqua et battit leur aile gauche, ensuite prit leur centre en flanc et défit toute leur armée. Cette bataille-ci est-elle celle à laquelle il est fait allusion, c’est ce que nous ne pouvons dire. La tactique employée est la même que celle d’Epaminondas à Leuktra et à Mantineia : fortifier une aile particulièrement pour l’offensive et tenir le reste de l’armée sur la défensive.

[42] Voir tome XV, ch. 3 de cette Histoire.

[43] Démosthène, Orat. de Chersoneso, p. 98, s. 34.

[44] Xénophon, Helléniques, VI, 5, 23, et VII, 5, 4.

Winiewski, dans son instructif commentaire sur les faits historiques du Discours de Démosthène de Coronâ, affirme par erreur que l’Eubœa continua d’être dans la dépendance d’Athènes sans interruption depuis 377 jusqu’à 358 avant J.-C. (Winiewski, Commentarii historici et chronologici in Demosthenis Orationem de Coronâ, p. 30).

[45] Xénophon, Hellenica, VII, 4, 1 ; Diodore, XV, 76 ; Démosthène, de Coronâ, p. 259, s. 123.

[46] Démosthène, Orat. de Chersoneso, p. 108, s. 80. Cf. Démosthène, de Coronâ, p. 259, s. 123 ; et Æschine, cont. Ktesiphôn, p. 397, c. 31.

[47] Démosthène, Orat. de Chersoneso, p. 108, s. 80.

[48] Voir, comme explication de ces retards, Démosthène, Philippiques, I, p. 50, s. 42.

Tout citoyen qui croyait avoir été appelé hors de son tour légitime pour être triérarque ou remplir un autre devoir dispendieux, et qui pensait qu’un autre citoyen avait été indûment épargné, pouvait proposer à ce dernier un échange de fortune, en offrant de se charger du devoirs la fortune de l’antre lui était cédée. La personne a laquelle on faisait la proposition était obligée de faire une des trois choses suivantes : ou 1° de démontrer, par un procédé légal, que ce n’était ni son tour, ni son devoir ; 2° ou de soulager le citoyen qui lui faisait la proposition de la triérarchie qu’on venait de lui imposer ; 3° ou d’accepter l’échange en recevant la fortune de l’autre,et en lui cédant la sienne en retour, cas dans lequel le citoyen qui faisait la proposition se chargeait de, la triérarchie.

Cet échange obligatoire de fortune, avec le procédé légal qui y était attaché, s’appelait antidosis.

[49] Que Timotheos fût commandant, c’est ce qui n’est pas avancé distinctement par Démosthène, mais que l’on peut conclure de Plutarque, De Gloriâ Athen., p. 350 F. Έν ώ Τιμόθεος Εύβοικν ήλευθέρου, ce qui, dans le cas d’un militaire tel que Timotheos, ne peut guère faire simplement allusion au discours qu’il fit dans l’assemblée. Dioklês est mentionné par Démosthène comme ayant conclu la convention avec les Thêbains ; mais cela n’implique pas nécessairement qu’il fût commandant : V. Démosthène, cont. Meidiam, p. 570, s. 219.

Au sujet de Philinos comme collègue de Démosthène dans la triérarchie, V. Démosthène, cont. Meidiam, p. 566, s. 204.

[50] Diodore (XVI, 7) dit que la lutte en Eubœa dura pendant un temps considérable. Démosthène parle de l’expédition comme étant arrivée à sa destination en trois jours, Æschine en cinq jours ; le dernier dit également qu’en trente jours les Thêbains furent vaincus et chassés (Démosthène, Cont. Androtion, p. 597, s. 17 ; Æschine, Cont. Ktesiphôn, p. 397, c. 31).

Sur Charês et les mercenaires, V. Démosthène, cont. Aristokratês, p. 678, s. 206.

[51] Démosthène, cont. Androtion, p. 616, s. 89, cont. Timokratês, p. 756, s. 205.

[52] Æschine, Cont. Ktesiphôn, p. 401, 403, 404, c. 32, 33 ; Démosthène, pro Megalopolitan, p. 204, s. 16.

[53] Voir tome XV, ch. 3 de cette Histoire.

[54] Démosthène, De Rhodiorum Libertate, p. 194, s. 17.

[55] Diodore, XV, 95.

[56] Démosthène, Philippiques, I, p. 46, s. 28. Ibid. p. 53, s. 51 et p.  53, s. 53.

Cf. Olynthiennes, II, p. 26, s. 28 ; de Chersoneso, p. 95 T s. 24-27 ; cont. Aristokratês, p. 639, s. 69 ; De Republ. ordinand. Περί Συντάξεως, p. 167, s.7. Et Æschine, de Fals. Leg., p. 264, c. 24 ; Isocrate, de Pace, s.67, 160.

[57] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 18 ; VI, 52.

[58] Démosthène, De Rhodiorum Libertate, p. 191, s. 3.

[59] Démosthène, De Rhodiorum Libertate, p. 195, s. 17 ; p. 198, s. 34. De Pace, p. 63, s. 25 ; Diodore, XVI, 7.

[60] Démosthène, de Pace, p. 63, s. 25.

Cf. Démosthène, adv. Polyklês, p. 1207, s. 6 ; p. 1211, s. 22. Adv. Leptinem., p. 475, s. 68.

[61] Thucydide, VIII, 15.

[62] Le récit de cet événement nous arrive d’une manière maigre et défectueuse. Diodore, XVI, 7 ; Cornélius Nepos, Chabrias, c. 4 ; Plutarque, Phokiôn, c. 6.

Démosthène, dans une harangue prononcée trois ans plus tard, mentionne la mort de Chabrias et vante sa conduite à Chios parmi ses autres actions glorieuses ; mais il ne donne pas de détails (Démosthène, Cont. Leptin., p. 481, 482).

Cornélius Nepos dit que Chabrias n’était pas commandant, mais qu’il servait seulement à bord comme simple soldat. Cela me semble moins probable que l’assertion de Diodore, à savoir qu’il était collègue de Charês dans le commandement.

[63] Il parait qu’il y eut une disette de blé grande et générale pendant cette année 357 avant J.-C. Démosthène, adv. Leptinem, p. 467, s. 33. Ce discours fut prononcé en 355 avant J.-C.

[64] Je suis principalement le récit que fait Diodore de ces événements, tout maigre et peu satisfaisant qu’il soit (XVI, 21). Cornélius Nepos (Timotheus, c. 31) diffère de Diodore en plusieurs points. Il dit que et Samos et l’Hellespont s’étaient révoltés contre Athènes, et que l’endroit dans lequel Charês fit son attaque, contrairement à l’avis de ses deux collègues, était prés de Samos — et non dans l’Hellespont. Il affirme en outre que Menestheus, fils d’Iphikratês, fut nommé comme collègue de Charès, et qu’Iphikratês et Timotheos furent désignés comme conseils de Menestheus.

Quant à la dernière assertion — que Timotheos servait seulement comme conseil de son jeune parent et non comme général formellement nommé, cela n’est pas probable en soi, et ne s’accorde vraisemblablement pas avec Isocrate (De Permutat., s. 137), qui représente Timotheos comme subissant plus tard le jugement habituel de responsabilité. Et Cornélius Nepos ne peut être exact en disant que Samos s’était révoltée alors ; car nous la voyons encore au pouvoir d’Athènes après la Guerre Sociale, et nous savons qu’une nouvelle fournée dé klêruchi athéniens y fut envoyée ensuite.

D’autre part, je crois que Cornelius Nepos a probablement raison quand il affirme que l’Hellespont se révolta à ce moment (descierat Hellespontus). C’est un fait qui en lui-même n’est nullement improbable, et qui nous aide à comprendre comment il se fit que Charês conquit Sestos plus tard, en 353 avant J.-C. (Diodore, XVI, 34, et que les Athéniens reprirent, dit-on, alors la Chersonèse sur Kersobleptês.

Une histoire de Polyen (III, 9, 29) représente la répugnance d’Iphikratês à combattre comme s’étant manifestée près d’Embata, localité qui ne s’accorde ni avec Cornélius Nepos ni avec Diodore. Embata était sur le continent de l’Asie, dans le territoire d’Erythræ.

Voir relativement aux relations d’Athènes avec Sestos le 3ème chapitre du tome XV.

Nos preuves relativement à cette période sont si défectueuses, qu’on ne peut arriver à rien qui ressemble à la certitude.

[65] Dinarque, cont. Philoklês, s. 17. Cf. Dinarque, cont. Démosthène, s. 15, où il est fait allusion à la même accusation de corruption, bien que αύτός έφη, soit mis à la place de αύτός Άριστοφών έφη, vraisemblablement par une erreur du copiste.

[66] Aristote, Rhétorique, II, 24 ; III, 10. Quintilien, Institution Oratoire, V, 12, 10.

[67] Isocrate, Or. XV (Permutat.), s. 137.

[68] Isocrate, Or. XV (Permutat.), s. 146. — Isocrate s’étend avec quelque longueur sur ce sujet, de s. 137 à s. 147. Le discours fut composé vraisemblablement en 353 avant J.-C., environ une année après la mort de Timotheos, et quatre années après le jugement décrit ici.

[69] Démosthène, cont. Meidiam, p. 534, 535 ; Xénophon, Hellenica, VI, 2, 39.

[70] Denys d’Halicarnasse, Judicium de Lysiâ, p. 481 ; Justin, VI, 5. Aristote, dans sa Rhétorique, emprunte aux discours d’Iphikratês quelques exemples sur des points de rhétorique, mais aucun à ceux de Timotheos.

[71] Polyen, III, 9, 29. Que cette démarche ait pu être faite au su d’Iphikratês, et même à son instigation, c’est assez probable. Mais il me semble que tout dessein évident d’intimider le dikasterion eût été de nature à lui faire plus de mal que de bien.

[72] Rehdantz (Vitæ Iphicratis, Chabriæ et Timothei, p. 224 sqq.), tout en réunissant et en discutant d’une manière instructive tous les faits relatifs a ces deux commandants, place la date de ce mémorable procès dans l’année 354 avant J.-C., trois ans après les événements auxquels il se rapporte et deux ans après la paix qui termina la Guerre Sociale. M. Clinton (Fast. Hellen., 354 av. J.-C.) présente la même assertion. Je diffère de leur opinion quant à la date, et je crois que le procès doit avoir été jugé très peu de temps après la bataille avortée dans l’Hellespont, — c’est-à-dire en 357 avant J.-C. ou 356 av. J.-C., pendant que la Guerre Sociale, durait encore.

Rehdantz et M. Clinton s’appuient sur l’assertion de Denys d’Halicarnasse (De Dinarcho Judicium, p. 667). Parlant d’un discours attribué faussement à Dinarque, Denys dit qu’il fut prononce avant la maturité de l’orateur : — τού μετά Καλλίστρατον, ότε καί.... Ce sont les derniers mots du MS. de sorte que la phrase est incomplète ; M. Clinton supplée έτελεύτησεν, ce qui est très probable.

L’archontat de Diotimos est en 354-353 avant J.-C. ; de sorte que Denys avance ici que le procès fut jugé en 354 avant J.-C. Mais d’autre part, le même Denys, dans un autre passage dit que le même procès eut lieu pendant que la Guerre Sociale durait encore, c’est-à-dire à quelque moment entre 358 et 355 avant J.-C. De Lysiâ. Judicium, p. 480. Les archontats d’Agathoklês et d’Elpinês occupent l’intervalle entre le solstice d’été de 357 avant J.-C. et celui de 355 avant J.-C.

Il est évident que ces deux passages de Denis se contredisent l’un l’autre. Rehdantz et M. Clinton signalent la contradiction ; mais, selon eux, le passage cité le premier contient la vérité, et l’autre est erroné, Je ne puis m’empêcher de croire que le passage cité en dernier lieu a droit à plus de confiance, et que la vraie date du procès fût 357-356 avant J.-C., et non 351 avant J.-C. Quand Denys affirme que le procès fut jugé pendant que la Guerre Sociale durait encore, il ajoute comme  c’est évident d’après le discours lui-même. Ici donc il n’y avait pas possibilité d’être égaré par des tables erronées ; la preuve est directe et complète, tandis, qu’il ne nous ait pas d’après quelle autorité il avança l’autre assertion, au sujet de l’archonte de Diotimos. Ensuite, il est certainement improbable que le combat  avorté dans l’Hellespont et la violente querelle entre Charês et ses collègues, accompagnée probablement d’une grande émotion dans la flotte, aient pu rester trois années sans recevoir une décision judiciaire. En dernier lien, en admettant que le renseignement au sujet de l’archontat de Diotimos soit une erreur, nous pouvons facilement voir comment elle s’est produite. Denys a confondu l’année dans laquelle Timotheos mourut avec celle de son jugement. Il semble être mort en 354 avant J.-C. ; j’ajouterai que le texte de ce passage n’est pas à l’abri du soupçon.

[73] Cornélius Nepos, Timotheos, c. 4 ; Rehdantz, Vit. Iph., Chab. et Timoth., p. 235 ; Isocrate, Or. XV (Permutat.), s. 108, 110, 137.

[74] Diodore, XVI, 22. Démosthène (Philippiques, I, p. 46, s. 28) a un passage expressif, qui fait allusion à cet acte de Charês ; il le représente comme un résultat nécessaire de la négligence des Athéniens, qui ne voulaient ni servir personnellement eux-mêmes ni fournir de l’argent à leur général pour payer ses troupes étrangères, — et comme une mesure que le général ne pouvait pas éviter. Cf. les Scholies sur le même discours, passage qui se rencontre un peu avant, p. 44, s. 22.

Il semble évident, d’après ce passage, que les Athéniens furent d’abord mécontents de ce dérangement apporté au but régulier de la guerre, bien que le payement reçu d’Artabazos les ait apaisés en partie plus tard, ce qui est un peu différent de l’assertion de Diodore.

D’après une inscription (citée dans Rehdantz, Vitæ Iphieratis, Chabriæ, etc., p. 158), nous reconnaissons que Charês, Charidêmos et Phokiôn commandaient ensemble la flotte athénienne près de Lesbos vers cette époque, et qu’ils étaient en négociation pour des secours pécuniaires avec le Perse Orontês sur le continent. Mais  l’inscription est si mutilée, qu’on ne peut établir aucun fuit distinct d’une manière certaine.

[75] Diodore, XVI, 22. J’ai peu de confiance dans l’argument mis en tête du discours d’Isocrate, De Pace. Autant que je puis comprendre les faits de cette obscure période, il me parait que l’auteur de cet argument les a réunis par erreur et a mal saisi la situation.   

L’assertion de Démosthène, dans le discours contre Leptinês (p. 481, s. 90), relativement à la conduite des gens de Chios à l’égard de la mémoire de Chabrias, semble plutôt impliquer que la paix avec Chios avait été conclue avant que ce discours fût prononcé. Il le fut dans l’année même de la paix, 355 avant J.-C.

[76] Démosthène, adv. Leptinem, p. 464, s. 26, 27, et de Coronâ, p. 305, s. 293.

[77] Diodore, XVI, 8.

[78] Démosthène, Olynthiennes, I, p. 11, s. 8.

[79] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 659, s. 138. Et le discours De Halonneso, p. 83, s. 28.

[80] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 660, s. 144.

[81] Diodore, XVI, 8, avec le passage de Libanius cité dans une note de Wesseling. Démosthène, Olynthiennes, I, p. 10, s. 5.

Hierax et Stratoklês étaient les députés amphipolitains envoyés à Athènes pour demander du secours contre Philippe. Il reste encore une inscription, qui rappelle la sentence de bannissement perpétuel prononcée contre Philôn et Stratoklês. V. Bœckh, Corp. Inscr., n° 2008.

[82] Thucydide, I, 61, 137 ; Diodore, XIII, 49, Pydna avait été acquise à Athènes par Timotheos.

[83] Démosthène fait une brève allusion à cette négociation secrète, au sujet de l’échange de Pydna contre Amphipolis, et il paraît que Théopompe l’avait mentionnée entièrement (Démosthène, Olynthiennes, II, p. 19, s. 6, avec les commentaires d’Ulpien ; Théopompe, Fr. 189, éd. Didot).

[84] Démosthène, Philippiques, II, p. 71, s. 22.

[85] Démosthène, adv. Leptin., p. 476, s. 71. Cf. Olynthiennes, I, p. 10, s. 5.

Ce discours fut prononcé en 355 avant J.-C., et il sert ainsi à prouver la date assignée à la reddition de Pydna et de Potidæa.

Quels étaient les autres lieux auxquels Démosthène fait ici allusion (outre Pydna et Potidæa), nous l’ignorons. Il paraît par Diodore (XVI, 31) que Methônê ne fut pas prise avant 354-353 avant J.-C.

[86] Les conquêtes de Philippe sont toujours énumérées par Démosthène dans l’ordre suivant : Amphipolis, Pydna, Potidæa, Methônê, etc. Olynthiennes, I, p. 11, s. 9 ; p. 12, s. 13. Philippiques, I, p. 41, s. 6 ; De Coronâ, p. 248, s. 85.

V. Ulpien ad Demosth., Olynthiennes, I, p. 10, s. 15, et Diodore, XVI, 8 ; et une note de Wesseling.

[87] Dans le vote public de reconnaissance rendu bien des années après à l’égard de Démosthène par l’assemblée athénienne, sis mérités sont énumérés ; et entre autres nous trouvons cette contribution pour le rachat de captifs à Pydna, à Methônê et à Olynthos (Plutarque, Vit. X. Orator., p. 851).

[88] Cf. Démosthène, Olynthiennes, I, p. 11, s. 9 ; Philippiques, I, p. 50, s. 40 (où il mentionne l’armement envoyé à Potidæa comme étant arriva trop tard, sans faire mention d’aucune expédition destinée à secourir Pydna).

[89] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 656, s. 128 (Philippe, au siège de Potidæa). Dans ce discours (prononcé en 352 av. J.-C.) Démosthène considère la prise de Potidæa comme étant surtout l’œuvre de Philippe ; dans la seconde Olynthienne, il parle comme si Philippe avait été un agent secondaire, un accessoire utile aux Olynthiens dans le siége, — i. e. la puissance macédonienne était προσθήκη τις ού σμικρά.. La première manière d’exposer les faits, qui précéda la seconde de deux ou trois années, est sans doute la plus exacte.

[90] Démosthène, Philippiques, II, p. 71, s. 22. Le passage du discours de Halonneso (p. 79, s. 10) fait allusion à cette même expulsion et expropriation des klêruchi athéniens, bien que Voemel et Franke (par erreur, je pense) supposent qu’il fait allusion au traitement que Philippe fit subir à ces klêruchi quelques années plus tard, quand il prit Potidæa pour lui-même. Nous pouvons être sûrs qu’il ne fut permis à aucun klêruchos athénien de rester à Potidæa, même après la première prise.

[91] La description générale faite dans la première Philippique de Démosthène, des άπόστολοι d’Athènes, peut sans doute être appliquée à l’expédition destinée à secourir Potidæa. — Démosthène, Philippiques, I, p. 46, s. 28 ; p. 53, s. 52 ; et la teneur générale du discours.

[92] Diodore (XVI, 8), en mentionnant la prise de Potidæa, considéra comme une preuve des bonnes dispositions de Philippe et de son grand respect pour la dignité d’Athènes qu’il ait épargné les personnes de ces Athéniens dans la ville, et qu’il leur ait permis de partir. Mais ce fut une grande injustice, dans les circonstances, qu’il les chassât et les expropriât, quand il n’avait reçu aucune offense, et qu’il n’y avait pas de guerre formelle (Démosthène, Or. de Halonneso, p. 79, s. 10).

Diodore dit aussi que Philippe donna aux Olynthiens Pydna, aussi bien que Potidæa, ce qui n’est pas exact.

[93] Démosthène, Philippiques, I, p. 41, s. 6.

[94] Démosthène, Philippiques, II, p. 70, s. 22.

[95] Diodore, XVI, 48 ; Harpocration, v. Δάτον. Hérodote, IX, 74.

[96] Diodore, XVI, 22 ; Plutarque, Alexandre, c. 3.

[97] Justin, VII, 6.

[98] Plutarque, Alexandre, c. 2, 3. Les Bacchæ d’Euripide contiennent une description frappante de ces cérémonies si propres à exciter.

[99] Plutarque, Alexandre, c. 2. Cf. Duris apud Athenœum, XIII, p. 560.

[100] Plutarque, Alexandre, c. 3 ; Justin, XII, 19.