HISTOIRE DE LA GRÈCE

DOUZIÈME VOLUME

CHAPITRE I — DE LA BATAILLE DES ARGINUSÆ AU RÉTABLISSEMENT DE LA DÉMOCRATIE À ATHÈNES, APRÈS L’EXPULSION DES TRENTE.

 

 

La victoire des Arginusæ donna pour le moment l’empire décisif des mers asiatiques à la flotte athénienne ; et on dit même qu’elle découragea les Lacédæmoniens au point de les amener à envoyer à Athènes des propositions de paix (406 av. J.-C.). Mais cette assertion est très douteuse, et je regarde comme fort probable qu’il ne fut fait aucune proposition de ce genre[1]. Toute grande que fût cette victoire, nous cherchons en vain des résultats positifs obtenus par Athènes. Après une tentative malheureuse sur Chios, la flotte victorieuse alla à Samos, où il semble qu’elle resta jusqu’à l’année suivante, sans faire d’autres mouvements que ceux qui lui, étaient nécessaires pour se procurer de l’argent.

Dans l’intervalle, Eteonikos, qui recueillait à Chios les restes de la flotte péloponnésienne défaite ; étant laissé par Cyrus sans secours d’argent, se trouva très gêné, et fut forcé de ne pas payer ses marins. Pendant le dernier été et le dernier automne, ces hommes se suffirent à eux-mêmes en travaillant pour un salaire sur les terres de Chios ; mais quand vint l’hiver, cette ressource cessa, de sorte qu’ils se trouvèrent hors d’état de se procurer même des vêtements ou des chaussures. Dans cette condition désespérée, beaucoup d’entre eux formèrent une conspiration pour attaquer et piller la ville de Chios ; un jour fut fixé pour l’entreprise, et on convint que les conspirateurs se reconnaîtraient les uns les autres en portant une paille ou un roseau. Instruit de ce dessein, Eteonikos fut en même temps intimidé par le nombre de ces porteurs de paille : il vit que s’il agissait avec les conspirateurs ouvertement et ostensiblement, il se pourrait faire qu’ils courussent aux armes et réussissent à piller la ville : en tout cas, il s’élèverait un conflit dans lequel beaucoup d’entre les alliés seraient tués, ce qui produirait le plus mauvais effet sur toutes les opérations futures. En conséquence, ayant recours à un stratagème, il prit avec lui une garde de quinze hommes armés de poignards, et traversa la ville de Chios. Bientôt il rencontra un de ces porteurs de paille, — homme qui avait mal aux yeux, et qui sortait de la maison d’un médecin ; — et il ordonna à ses gardes de le mettre à mort sur-le-champ. Il se rassembla à l’entour une foule, pleine d’étonnement aussi bien que de sympathie, qui demanda pour quelle raison cet homme était mis à mort : alors Eteonikos ordonna a ses gardes de répondre que c’était parce qu’il portait une paille. La nouvelle s’étant répandue, les autres personnes qui portaient des pailles conçurent une telle alarme qu’elles les jetèrent aussitôt[2].

Eteonikos profita de cette panique pour demander de l’argent aux gens de Chios, comme condition à laquelle il emmènerait son armement affamé et dangereux. Après avoir obtenu d’eux un mois de paye, il embarqua immédiatement ses troupes, et s’appliqua à les encourager et à leur faire croire qu’il ne savait rien de la récente conspiration.

Les gens de Chios et les autres alliés de Sparte se réunirent bientôt à Ephesos pour délibérer, et résolurent, conjointement avec Cyrus, de dépêcher des ambassadeurs aux éphores, pour demander que Lysandros fût envoyé une seconde fois comme amiral. Sparte n’était pas dans l’habitude d’envoyer le même homme comme amiral une seconde fois, après son année de service. Néanmoins les éphores accédèrent en substance à la requête ; ils désignèrent Arakos comme amiral, mais avec lui Lysandros sous le titre de secrétaire, investi de tous les pouvoirs réels du commandement.

Lysandros, étant arrivé à Ephesos vers le commencement de 405 avant J.-C., s’appliqua immédiatement avec vigueur à faire renaître et le pouvoir lacédæmonien et sa propre influence. Les partisans dans les diverses villes alliées dont il avait assidûment cultivé la faveur pendant sa dernière année de commandement, les associations et les unions factieuses qu’il avait organisées et stimulées au point d’en faire une société d’ambition mutuelle, — saluèrent tous son retour avec transport. Découragés et abattus par le patriotisme généreux de son prédécesseur Kallikratidas, ils se relevèrent alors, reprirent une nouvelle activité, et devinrent jaloux d’aider Lysandros à équiper de nouveau sa flotte et à l’augmenter. Et Cyrus ne fut pas moins sincère dans sa préférence qu’auparavant. En arrivant à Ephesos, Lysandros se hâta d’aller lui rendre visite à Sardes, et sollicita un renouvellement de l’aide pécuniaire. Le jeune prince répondit que tous les fonds qu’il avait reçus de Suse avaient déjà été dépensés, avec beaucoup d’autres en plus ; comme preuve, il présenta une spécification des sommes fournies à chaque officier péloponnésien. Néanmoins sa partialité pour Lysandros était telle, qu’il accorda même la demande additionnelle faite alors, de manière à le renvoyer satisfait. Ce dernier put ainsi retourner à Ephesos avec les ressources nécessaires pour remettre la flotte en état de combattre. Il solda immédiatement tous les arriérés- de paye dus aux marins, établit de nouveaux triérarques, — appela de Chios Eteonikos avec la flotte ainsi que toutes les autres escadres dispersées, — et ordonna qu’on mît immédiatement de nouvelles trirèmes sur les chantiers à Antandros[3].

Dans aucune des villes grecques l’effet de la seconde arrivée de Lysandros ne se fit sentir avec plus de violence qu’à Milêtos. Il y avait une puissante faction ou association d’amis, qui avaient fait de leur mieux pour embarrasser et molester Kallikratidas dès son arrivée, niais qui avaient été réduits au silence, et même forcés de faire parade de’ zèle, par la résolution sans détour de cet amiral au noble cœur. Impatients de se dédommager de cette humiliation, ils formèrent alors une conspiration, au su de Lysandros e. avec son concours, afin de s’emparer du gouvernement pour eux-mêmes. Ils se décidèrent (s’il faut en croire Plutarque et Diodore) à renverser la démocratie existante, et à établir une oligarchie à sa place. Mais nous ne pouvons croire qu’il ait pu exister une démocratie à Milêtos, qui avait été pendant cinq ans dans la dépendance de Sparte et des Perses conjointement. Nous devons plutôt comprendre ce mouvement comme un conflit entre deux partis oligarchiques ; les amis de Lysandros étant plus complètement égoïstes et antipopulaires que leurs adversaires, — et peut-être même les décriant, par comparaison, comme étant une démocratie. Lysandros se prêta au projet, — excita l’ambition des conspirateurs, qui étaient à un moment disposés à un compromis, et même trompa le gouvernement en lui inspirant une fausse sécurité, par des promesses d’appui qu’il n’avait pas l’intention de remplir. A la fête des Dionysia, les conspirateurs, se levant en armes, saisirent quarante de leurs principaux adversaires dans leurs maisons, et trois cents en plus dans la place du marché ; tandis que le gouvernement, — confiant dans les promesses de Lysandros, qui affectait de réprouver Ies insurgés, mais qui continuait secrètement à les exciter, — ne fit qu’une faible résistance. Les trois cent quarante chefs saisis ainsi, hommes probablement qui avaient été sincèrement pour Kallikratidas, furent tous mis à mort, et un nombre encore plus considérable de citoyens, pas moins de mille, s’enfuirent en exil. Milêtos passa ainsi complètement dans les mains des amis et partisans de Lysandros[4].

Il paraîtrait que des mouvements factieux dans d’autres villes, moins révoltants sous le rapport de l’effusion du sang et de la perfidie, toutefois encore d’un caractère semblable à celui de Milêtos, signalèrent la réapparition de Lysandros en Asie, et placèrent les villes plus ou moins entre les mains de ses partisans. Pendant qu’il acquérait ainsi un plus grand ascendant parmi les alliés, Lysandros reçut de Cyrus une invitation à le visiter à Sardes. Le jeune prince venait d’être appelé à aller voir son père Darius, qui était à la fois âgé et dangereusement malade en Médie. Sur le point de partir dans ce dessein, il poussa sa confiance en Lysandros jusqu’à lui déléguer l’administration de sa satrapie et de ses revenus entiers. Outre son admiration pour l’énergie et la capacité supérieures du caractère grec, qu’il n’avait appris à connaître que récemment, et outre son estime pour le désintéressement personnel de Lysandros, attesté comme il l’avait été par la conduite de ce dernier lors de sa première visite et du banquet à Sardes, — Cyrus fut probablement amené à cette démarche par la crainte de se susciter un rival, s’il confiait le même pouvoir à quelque grand d’entre les Perses. En même temps qu’il remettait tous ses fonds réservés et ses tributs à Lysandros, il l’assurait de son amitié constante à l’égard de lui-même et des Lacédæmoniens ; et il termina en le priant de ne vouloir à aucun prix en venir à une action générale avec les Athéniens, à moins qu’il ne leur fût de beaucoup supérieur en nombre. La défaite des Arginusæ ayant confirmé sa préférence pour cette politique dilatoire, il promit que non seulement les trésors persans, mais encore la flotte phénicienne, seraient employés activement dans le dessein d’écraser Athènes[5].

Armé ainsi de l’administration du trésor perse mis à sa disposition, ce qui ne s’était jamais vu, et secondé par des factions jouissant de l’ascendant au sein de toutes les villes alliées, Lysandros était plus puissant qu’aucun commandant lacédæmonien ne l’avait été depuis le commencement de la guerre (405 av. J.-C.). Ayant sa flotte bien payée, il pouvait la conserver réunie et la diriger où il voulait sans être obligé de la disperser en escadres errantes dans le dessein de lever de l’argent. C’est probablement à une nécessité pareille que nous devons attribuer l’inaction de la flotte athénienne à Samos : car nous n’entendons parler d’aucune opération sérieuse entreprise pax elle, pendant toute l’année qui suivit la victoire des Arginusæ, bien qu’elle fût sous les ordres d’un homme capable et énergique, Konôn, — avec Philoklês et Adeimantos ; auxquels on ajouta, pendant le printemps de 405 avant J.-C., trois autres généraux ; Tydeus, Menandros et Kephisodotos. Il paraît que Theramenês aussi fut proposé et élu comme l’un des généraux, mais qu’il fut rejeté quand on le soumit à l’épreuve indispensable appelée la dokimasia[6]. La flotte comprenait cent quatre-vingts trirèmes, — nombre un peu plus grand que celui de Lysandros et elle lui offrit en vain la bataille près de la station à Éphesos. Ne se trouvant pas disposée à une action générale, elle semble s’être dispersée pour, piller Chios, et diverses portions de la côte asiatique ; tandis que Lysandros, tenant sa flotte réunie, fit voile d’abord au sud en partant d’Ephesos, prit d’assaut et pilla une ville semi-hellénique dans le golfe Kerameikos, nommée Kedreiæ, qui était dans l’alliance d’Athènes, et de là se dirigea vers Rhodes[7]. Il fut même assez hardi pour faire une excursion en traversant la mer Ægée jusqu’à la côte d’Ægina et de l’Attique ; où il eut une entrevue avec Agis, qui vint de Dekeleia à la côte[8]. Les Athéniens se préparaient à l’y suivre quand ils apprirent qu’il avait traversé de nouveau la mer Ægée, et bientôt après il parut avec toute sa flotte à l’Hellespont, passage important qu’ils avaient laissé sans le garder. Lysandros alla droit à Abydos, encore la grande station péloponnésienne dans le détroit ; occupée par Thorax en qualité d’harmoste avec une armée de terre ; et immédiatement il se mit en devoir d’attaquer, tant par mer que par terre, la ville voisine de Lampsakos, qui fut prise d’assaut. Elle était riche de toute manière, et abondamment approvisionnée de pain et dé vin, de sorte que les soldats firent un butin considérable : mais Lysandros laissa les habitants libres sans leur faire aucun mal[9].

La flotte athénienne, semble avoir été occupée à piller Chios quand elle reçut la nouvelle que le commandant lacédæmonien était à l’Hellespont occupé au siège de Lampsakos. Soit par manque d’argent, soit par d’autres causes que nous ne comprenons pas, Konôn et ses collègues furent en partie inactifs, en partie en arrière de Lysandros, pendant tout cet été. Ils le suivirent alors jusqu’à l’Hellespont, en naviguant sur le côté de Chios et de Lesbos qui regarde la mer, loin de la côte asiatique, qui leur était entièrement hostile. Ils arrivèrent à Elæonte, à l’extrémité méridionale de la Chersonèse, avec leur puissante flotte de cent quatre-vingts trirèmes, juste à temps pour apprendre, pendant qu’ils prenaient leur repas du matin, que Lysandros était déjà maître de Lampsakos ; alors ils remontèrent immédiatement le détroit jusqu’à Sestos, et de là, après ne s’y être arrêtés que le temps nécessaire pour réunir quelques provisions, ils allèrent un peu plus haut, jusqu’à un endroit appelé Ægospotami[10].

Ægospotami ou fleuve de la Chèvre, — nom qui résonnait fatalement aux oreilles de tous les Athéniens dans les temps postérieurs, — était un lien qui n’avait rien qui le recommandât, si ce n’est qu’il était directement opposé à Lampsakos, séparé par un détroit d’environ un mille trois quarts de large (= 1.900 mètres). C’était une plage ouverte, sans port, sans bon mouillage, sans maisons ; ni habitants, ni provisions, de sorte qu’il fallait aller chercher tout ce qui était nécessaire pour cette armée considérable à Sestos, éloignée d’environ un mille trois quarts même par terre, et  plus éloignée encore par mer, puisqu’on était obligé de doubler un cap. Cette station était extrêmement incommode et dangereuse pour un armement naval dans l’antiquité, sans commissariat organisé ; car les marins, étant obligés de s’éloigner de leurs vaisseaux afin de se procurer leurs — aliments, n’étaient pas faciles à rassembler. Cependant telle  fut la station choisie par les généraux athéniens, dans le dessein bien arrêté de forcer Lysandros à livrer bataille. Mais l’amiral lacédæmonien, qui était à Lampsakos dans un bon port, avec une ville bien approvisionnée derrière lui et une armée de terre prête a coopérer, n’avait pas l’intention d’accepter le défi de ses ennemis au moment qui était à leur convenance. Quand les Athéniens traversèrent le détroit le lendemain matin, ils trouvèrent tous ses vaisseaux complètement garnis de leurs équipages, — les hommes ayant déjà pris leur repas du matin, — et rangés en ordre de bataille parfait, l’armée de terre disposée sur le rivage pour prêter assistance, mais avec l’ordre rigoureux d’attendre l’attaque et de ne pas faire un mouvement en avant. N’osant pas l’attaquer dans cette position, et ne pouvant pas cependant le faire sortir du port en manœuvrant toute la journée, les Athéniens furent enfin obligés de retourner à Ægospotami. Mais Lysandros ordonna à quelques bons voiliers parmi ses vaisseaux de les suivre, et il ne voulut pas laisser ses hommes débarquer jusqu’à ce qu’il se fût assuré ainsi que leurs marins s’étaient alors dispersés sur le rivage[11].

Cette scène se répéta pendant quatre jours de suite, les Athéniens devenant chaque jour plus confiants dans la supériorité de leur force et plus remplis de mépris pour la lâcheté apparente de l’ennemi. Ce fut en vain qu’Alkibiadês — qui de ses forts privés dans la Chersonèse voyait ce qui se passait, — vint à la station, blâma les généraux d’exposer ainsi la flotte sur ce rivage ouvert, et leur conseilla d’une manière pressante de se rendre à Sestos, où ils seraient à la fois près de leurs provisions et à l’abri d’une attaque, comme Lysandros l’était à Lampsakos, — et d’où ils pourraient s’avancer pour combattre partout où ils voudraient. Mais les généraux athéniens, en particulier Tydeus et Menandros, dédaignèrent cet avis, et même ils renvoyèrent Alkibiadês avec l’outrage insultant que c’étaient eux qui commandaient en ce moment, et non pas lui[12]. Restant ainsi dans leur position exposée, les marins athéniens devinrent tous les jours plus insouciants à l’égard de leur ennemi et plus empressés à se disperser dès qu’ils revenaient à leur rivage. Enfin, le cinquième jour, Lysandros ordonna aux vaisseaux vedettes, qu’il envoyait en avant pour surveiller les Athéniens à leur retour, d’élever un bouclier brillant comme signal aussitôt qu’ils verraient les vaisseaux à leur mouillage et les équipages à terre en quête de leur repas. Dès qu’il aperçut ce bienheureux signal, il donna l’ordre à sa flotte entière de ramer aussi vite que possible de Lampsakos à 1Egospotami, tandis que Thorax marchait le long de la plage avec l’armée de terre en cas de besoin. Rien ne put être plus complet ni plus décisif que la surprise de la flotte athénienne. Toutes les trirèmes furent prises amarrées à la côte, quelques-unes entièrement abandonnées, d’autres avec un ou au plus deux tiers des rameurs qui formaient leur équipage complet. Sur le total de cent quatre-vingts, on n’en trouva que douze dans un état et un ordre passables[13] ; la trirème de Konôn lui-même, avec une escadre de sept sous ses ordres immédiats, — et le vaisseau consacré appelé Paralos, toujours. Monté par des marins athéniens d’élite, étant du nombre. Ce fut en vain que Konôn, en voyant approcher la flotte de Lysandros, fit les plus grands efforts pour garnir sa flotte d’hommes et pour la mettre en état de faire quelque résistance. La tentative manqua, et tout ce qu’il put faire fut de s’enfuir avec la petite escadre de douze, comprenant la Paralos. Toutes les autres trirèmes, au nombre de cent soixante-dix environ, furent prises sur le rivage par Lysandros’ salis défense et vraisemblablement sans qu’il fut fait la moindre tentative de résistance. Il débarqua et fit prisonniers la plupart des équipages à terre, bien que quelques-uns parvinssent a s’enfuir et à trouver asile dans les forts voisins. Cette victoire prodigieuse et sans exemple fut obtenue, non seulement sans la perte d’un seul vaisseau, mais presque sans celle d’un seul homme[14].

Sur le nombre des prisonniers faits par Lysandros, — qui doit avoir été très grand, puisque le total des équipages des cent quatre-vingts trirèmes n’était pas au-dessous de trente-six mille hommes[15], — nous n’entendons parler que de trois mille ou de quatre mille Athéniens indigènes, bien que ce chiffre ne puisse représenter tous les Athéniens indigènes de la flotte. Les généraux athéniens Philoklês et Adeimantos furent certainement pris, et vraisemblablement tous, excepté Konôn. Quelques hommes de l’armement défait se réfugièrent à Sestos, qui cependant se rendit au vainqueur avec peu de résistance. Il les admit à capitulation, à condition qu’ils retourneraient immédiatement à Athènes, et nulle part ailleurs ; car il désirait multiplier autant que possible le nombre assemblé dans cette ville, sachant bien qu’elle n’en serait que plus tôt pressée par la famine. Konôn aussi n’ignorait pas que retourner à Athènes, après la ruine de la flotte entière, c’était devenir un des prisonniers certains dans une ville condamnée, et courir en outre au-devant de l’indignation de ses concitoyens, si bien méritée par les généraux collectivement. Conséquemment il résolut de chercher asile chez Evagoras, prince de Salamis, dans l’île de Kypros, envoyant la Paralos avec quelques autres des douze trirèmes fugitives pour faire connaître à Athènes la fatale nouvelle. Mais, avant de s’y rendre, il traversa le détroit, avec une singulière audace dans les circonstances, — et alla au cap Abarnis, dans le territoire de Lampsakos, où se trouvaient vraisemblablement, sans être gardées, les grandes voiles des trirèmes de Lysandros (que l’on enlevait toujours quand on préparait une trirème pour le combat). Il emporta ces voiles, de manière à ôter en partie à l’ennemi les moyens de le poursuivre, et ensuite il se dirigea le plus vite qu’il put vers Kypros[16].

Le jour même de la victoire, Lysandros envoya pour l’annoncer à Sparte le corsaire milésien Theopompos, qui, en ramant avec une rapidité merveilleuse, y arriva et y apprit la nouvelle le troisième jour après son départ. On remorqua les vaisseaux pris, et on transporta les prisonniers à Lampsakos, où fut convoquée une assemblée générale des alliés victorieux, pour déterminer de quelle manière on traiterait les prisonniers. Dans cette assemblée, les inculpations les plus amères furent avancées contre les Athéniens, quant à la conduite qu’ils avaient tenue récemment à l’égard de leurs captifs. Le général athénien Philoklês, après, avoir capturé une trirème corinthienne et une andrienne, avait mis les équipages à mort en les précipitant du haut d’un précipice. Il n’était pas difficile, dans la guerre grecque, pour chacune des parties belligérantes, de citer des précédents de cruauté contre l’autre. Dans ce débat, quelques orateurs affirmèrent que les Athéniens avaient délibéré sur ce qu’ils feraient de leurs prisonniers, dans le cas où ils auraient été victorieux à Ægospotami, et qu’ils avaient décidé, — surtout sur la motion de Philoklês, mais en dépit de l’apposition d’Adeimantos, — qu’ils couperaient la main droite de tous ceux qui seraient pris. Quelque opinion que Philoklês ait exprimée personnellement, il est extrêmement improbable qu’une détermination pareille ait été jamais prise par les Athéniens[17]. Toutefois, dans cette assemblée des alliés, outre tout ce qu’on put dire de vrai contre Athènes, sans douté les mensonges les plus extravagants furent crus sans difficulté. Tous les Athéniens faits prisonniers à Ægospotami au nombre de trois ou quatre mille, furent massacrés sur-le-champ, — Philoklês lui-même le premier[18]. Ce dernier, auquel Lysandros reprocha avec insulte la cruelle exécution des équipages de la trirème corinthienne et de l’andrienne, dédaigna de faire une réponse, et se plaça, couvert de vêtements remarquables, à la tête des prisonniers qu’on menait à la mort. Si nous pouvons en croire Pausanias, on laissa même sans sépulture les corps des prisonniers.

Jamais une victoire ne fut plus complète en elle-même, plus accablante dans ses conséquences, ou plus entièrement honteuse pour les généraux défaits pris collectivement, que celle d’1Egospotami. Fut-elle en réalité très glorieuse pour Lysandros, c’est douteux ; car l’opinion générale plus tard, non seulement à Athènes, mais vraisemblablement dans d’autres parties de la Grèce aussi, — fut que la flotte athénienne avait été vendue et ruinée par la trahison de quelques-uns de ses propres commandants. Ce soupçon n’atteint ni Konôn ni Philoklês. Adeimantos fut nommé comme le principal traître, et Tydeus avec lui[19]. Konôn même accusa Adeimantos dans ce sens[20], probablement par une lettre envoyée de Kypros et adressée à ses concitoyens, et peut-être par une déclaration formelle faite plusieurs années après, quand il revint à Athènes comme vainqueur à la bataille de Knidos. La vérité de l’accusation ne peut être positivement démontrée ; mais toutes les circonstances de la bataille tendent à la rendre probable, aussi bien que le fait, que Konôn seul parmi tous les généraux se trouva convenablement prêt. Et même nous pouvons ajouter que l’impuissance et l’inertie extrême de la nombreuse flotte athénienne, pendant tout l’été de 405 avant J.-C., conspirent à suggérer une semblable explication. Et Lysandros, maître comme il l’était de tous les trésors de Cyrus, ne pouvait pas en appliquer une partie d’une manière plus efficace qu’à corrompre un des six généraux athéniens ou plus, de manière à annihiler tolite l’énergie et tout le talent de Konôn.

La grande défaite d’Ægospotami fut infligée vers septembre 405 avant J.-C. La nouvelle en fut apportée au Peiræeus par la Paralos, qui y arriva pendant la nuit, venant directement de l’Hellespont. Jamais on n’avait éprouvé à Athènes un tel moment de détresse et de douleur. Le terrible désastre essuyé en Sicile n’avait été connu du peuple que par degrés, sans un messager autorisé, mais ici c’était le courrier officiel, nouvellement arrivé du théâtre de l’action, ne permettant pas de révoquer en doute la grandeur du désastre ou la ruine irréparable qui menaçait la ville. Les gémissements et les cris de douleur, commentant d’abord au Peiræeus, furent transmis a la ville par les gardes postés sur les Longs Murs. Pendant cette nuit (dit Xénophon), personne ne dormit ; non seulement à cause du chagrin que causait le malheur passé, mais encore a cause de la terreur qu’inspirait aux citoyens le sort futur dont ils étaient eux-mêmes menacés, châtiment de ce qu’ils avaient eux-mêmes infligé aux Æginètes, aux Méliens, aux Skionæens et à d’autres. Après cette nuit d’angoisses, ils se réunirent le lendemain en assemblée publique, et résolurent de faire les meilleurs préparatifs qu’ils pourraient pour un siège, de mettre les murs en état complet de défense, et de bloquer deux de leurs trois ports[21]. Pour Athènes ; renoncer ainsi à son influence maritime, gloire et orgueil constants de la ville depuis la bataille de Salamis, — et se confiner a une attitude défensive dans l’intérieur de ses murs, — c’était une humiliation qui ne laissait rien de pire à endurer, si ce n’est une famine ou une reddition réelle.

Lysandros n’était point pressé de passer de l’Hellespont à Athènes. Il savait que cette ville ne recevrait plus maintenant de nouveaux vaisseaux de blé venant du. Pont-Euxin, et qu’il ne lui arriverait que peu de provisions d’autres côtés ; et que le pouvoir qu’aurait la ville de soutenir un blocus devait nécessairement être très limité ; d’autant plus que le nombre d’hommes accumulé dans son sein serait plus considérable. En conséquence, il permit aux garnisons athéniennes qui capitulaient d’aller seulement à Athènes, et nulle part ailleurs[22]. Sa première mesure fut de se rendre maître de Chalkêdon et de Byzantion, où il plaça le Lacédæmone Sthenelaos en qualité d’harmoste avec une garnison. Ensuite il passa à Lesbos, où il fit de semblables arrangements, à Mitylênê et dans d’autres villes. Là, aussi bien que dans les autres places qui tombèrent alors en son pouvoir, il établit une oligarchie de dix citoyens indigènes, choisis parmi ses partisans les plus hardis et les moins scrupuleux, appelée dékarchie ou dékadarchie, pour gouverner conjointement avec l’harmoste lacédæmonien. Eteonikos fut envoyé dans les villes thraces qui avaient été dépendantes d’Athènes pour y introduire de semblables changements. Toutefois, à Thasos, ce changement fut souillé par beaucoup de sang versé ; il y avait un nombreux parti favorable aux Athéniens, parti que Lysandros fit attirer dans le temple d’Hêraklês, en le faisant sortir du lieu où il s’était réfugié, sur la fausse assurance d’une amnistie ; une fois réunis en vertu de cette garantie, tous ces hommes furent mis à mort[23]. Des actes sanguinaires du même caractère, dont un grand nombre fut commis en présence de Lysandros lui-même, avec l’expulsion sur une grande échelle des citoyens odieux à ses nouvelles dékarchies, signalèrent partout la substitution de l’ascendant spartiate à l’ascendant athénien[24]. Mais nulle part, excepté à Samos, les citoyens ou le parti favorable à Athènes dans les villes ne continuèrent d’hostilité ouverte, ni ne résistèrent par la force à l’entrée de Lysandros et à ses changements révolutionnaires. A Samos, toutefois, ils tinrent bon : le peuple redoutait trop cette oligarchie, qu’il avait chassée dans l’insurrection de 412 avant J.-C., pour céder sans un nouvel effort[25]. A cette seule exception près, toutes les villes alliées ou dépendantes d’Athènes se soumirent sans résistance tant à la suprématie qu’aux mesures subversives de l’amiral lacédæmonien.

L’empire athénien fut ainsi anéanti, et Athènes laissée complètement seule.

Et ce qui ne fut guère moins pénible, — tous ses klêruchi ou citoyens du dehors qu’elle avait précédemment établie à Ægina, à Mélos, et ailleurs dans toutes les îles, aussi bien que dans la Chersonèse, furent alors privés de leurs propriétés et forcés de rentrer dans leur paye[26]. Les principaux partisans d’Athènes aussi, à Thasos, à Byzantion, et dans d’autres villes dépendantes[27], furent forcés d’abandonner leurs patries dans le même état de dénuement, et de chercher asile à Athènes. Tout contribuait ainsi à aggraver l’appauvrissement et les souffrances de toute sorte, physiques aussi bien que morales, dans l’intérieur de ses murs. Toutefois, nonobstant la pression du malheur présent et les perspectives pires encore pour l’avenir, les Athéniens se préparèrent du mieux qu’ils purent à faire une honorable résistance.

Une de leurs premières mesures fut de pourvoir au rétablissement de la concorde, et d’intéresser tout le monde à la, défense de la ville, en faisant disparaître les incapacités de toute sorte, sous le coup desquelles, à ce moment, pouvaient se trouver des citoyens individuellement. En conséquence, Patrokleidês, — après avoir d’abord obtenu du peuple une permission spéciale, sans laquelle il eût été inconstitutionnel de proposer l’abrogation de sentences judiciairement rendues, ou l’élargissement de débiteurs régulièrement inscrits sur les registres publics, Patrokleidês, dis-je, soumit un décret tel qu’il n’en avait jamais été discuté depuis l’époque où Athènes était dans un état également désespéré, pendant que Xerxês s’avançait vers la Grèce. Tous les débiteurs de l’Etat, soit récents, soit de longue date, — tous les personnages publics alors soumis à l’examen des logistæ ou sur le point d’être amenés devant le dikasterion pour la reddition habituelle des comptes après l’exercice d’une charge, — toutes les personnes qui étaient en train de liquider par versements partiels des dettes à l’égard de l’État, ou qui avaient donné caution pour des sommes dues ainsi, — toutes celles qui avaient été condamnées soit à une perte totale de leurs droits, ou frappées de quelque incapacité spéciale, — bien plus, toutes celles qui, après avoir été membres ou auxiliaires des Quatre Cents, avaient été jugées plus tard, et avaient été condamnées à l’une des peines mentionnées plus haut ; — toutes ces personnes, dis-je, obtinrent leur pardon et furent élargies : on ordonna que tout registre sur lequel était inscrite la peine ou la condamnation fût détruit. De ce pardon compréhensif furent exceptés : — ceux des Quatre Cents qui avaient fui d’Athènes sans attendre leur jugement, — ceux qui avaient été condamnés à l’exil ou à la mort par l’aréopage ou par tout antre tribunal constitué pour homicide ou pour subversion de la liberté publique, non seulement on donna ordre de détruire les registres publics (le toutes les condamnations effacées ainsi, mais il fut défendu, sous des peines sévères, à tout simple citoyen d’en garder une copie, ou de faire allusion à ces malheurs[28].

Conformément à l’amnistie et au pardon compréhensifs adoptés par le peuple dans le décret de Patrokleidês, le corps général des citoyens s’engagea par un serment solennel, dans l’acropolis, à observer une mutuelle harmonie[29]. La réconciliation introduite ainsi leur permit mieux de supporter leur détresse[30], surtout, en ce que les personnes qui profitaient de l’amnistie n’étaient pas, pour la plupart, des hommes mal disposés, comme les exilés. Rétablir ces derniers, c’était une mesure à laquelle personne ne songeait ; dans le fait, une grande partie d’entre eux — avaient été et étaient encore à Dekeleia, assistant les Lacédæmoniens dans leur guerre contre Athènes[31]. Mais même les mesures intérieures les plus prudentes ne pouvaient faire que peu de chose pour Athènes par rapport a sa difficulté capitale, — celle de se procurer de la nourriture pour la nombreuse population renfermée dans les murs et augmentée chaque jour par,des garnisons et des citoyens rentrant dans la ville. Longtemps la garnison de Dekeleia lui avait coupé les produits de l’Attique ; elle n’obtenait mien de l’Eubœa, et depuis la dernière défaite d’Ægospotami, rien du Pont-Euxin, de la Thrace ni des îles. Il se pouvait que quelque blé y fût arrivé venu de Kypros, et la petite marine qui lui restait fit son possible pour maintenir le Peiræeus approvisionné[32], malgré les prohibitions menaçantes de Lysandros, précédant son arrivée et le moment où il la bloquerait efficacement ; mais accumuler un fonds pour un siège était absolument impossible.

Enfin, vers novembre 405 avant J.-C., Lysandros arriva au golfe Saronique, après avoir à l’avance donné avis tant à Agis qu’aux Lacédæmoniens qu’il approchait avec une flotte de deux cents trirèmes. L’armée complète lacédæmonienne et péloponnésienne (à l’exception des Argiens seuls), sous le roi Pausanias, entra en Attique pour le rencontrer, et campa dans l’enceinte d’Akadêmos, aux portes d’Athènes ; tandis que Lysandros, venant d’abord à Ægina avec sa flotte écrasante de cent cinquante voiles, — puis ravageant Salamis, bloqua complètement le port de Peiræeus. Une de ses premières mesures fut de réunir les restes qu’il put trouver de la population des Æginètes et des Méliens, qu’Athènes avait chassée et détruite, et de la rétablir en possession de ses anciennes îles[33].

Bien que tout espoir se fût évanoui à ce moment, l’orgueil, la résolution et le désespoir d’Athènes mirent encore ses citoyens en état de résister ; et ce ne fut que lorsque quelques hommes commencèrent réellement à mourir de faim qu’ils envoyèrent des propositions pour demander la paix ; et même, à ce moment elles ne furent pats dépourvues de dignité. Ils offrirent à Agis de devenir alliés de Sparte, en conservant leurs murs entiers et leur port fortifié de Peiræeus. Agis renvoya les ambassadeurs aux éphores à Sparte, auxquels il transmit en même temps un exposé de leurs propositions. Mais les éphores, ne daignant pas même admettre les ambassadeurs à une entrevue, dépêchèrent des messagers qui devaient les rencontrer à Sellasia, sur la frontière de la Laconie ; ils leur firent dire de s’en aller et de revenir avec quelque chose de plus admissible, — et les informèrent en même temps qu’on ne recevrait aucune proposition, si elle ne comprenait la démolition des Longs Murs, dans une longueur continue de dix stades. C’est avec cette triste réponse que les ambassadeurs revinrent. Nonobstant toutes les souffrances de la ville, le sénat et le peuple ne voulurent pas même consentir à prendre en considération des conditions aussi humiliantes. On mit en prison un sénateur, nommé Archestratos qui conseilla de les accepter, et un vote général fut émis[34], sur la proposition de Kleophôn, interdisant à l’avenir toute motion pareille.

Ce vote démontre la patience courageuse tant du Sénat que du peuple, matis par malheur il n’offrait pas de meilleures perspectives, tandis que les souffrances dans l’intérieur des murs continuaient à s’aggraver de plus en plus. Dans ces circonstances, Theramenês offrit d’aller comme ambassadeur auprès de Lysandros et à Sparte, affirmant qu’il parviendrait à découvrir quelle était l’intention véritable des éphores par rapport à Athènes, — s’ils avaient réellement la pensée d’en extirper la population et de la vendre comme esclave. Il prétendit en outre posséder une influence personnelle, fondée sur des circonstances qu’il ne pouvait divulguer, telles que probablement elles assureraient un adoucissement à son sort. En conséquence, il fut envoyé malgré les énergiques protestations du sénat de l’aréopage et d’autres, toutefois sans pouvoirs exprès pour conclure, mais simplement pour prendre des informations, et les rapporter. Nous apprenons avec étonnement qu’il resta plus de trois mois comme compagnon de Lysandros, qui (prétendait-il) l’avait retenu tout ce temps-là, et ne lui avait fait connaître qu’au commencement du quatrième mois que les éphores seuls avaient le pouvoir d’accorder la paix. Il semble que Theramenês, par ce long délai, ait eu pour objet de lasser la patience des Athéniens, et de les amener à un état de souffrance intolérable tel qu’ils consentiraient à se soumettre à toute condition de paix, pourvu qu’il leur fût permis ainsi d’introduire des provisions dans la ville. Il réussit complètement dans ce dessein ; et si l’on considère combien les privations du peuple étaient grandes, même au moment de son départ, il n’est pas facile de comprendre comment il a pu soutenir une famine prolongée et croissante pendant trois mois de plus[35].

Nous ne reconnaissons que peu de chose de distinct relativement à ces derniers moments de la souveraine Athènes. Nous trouvons seulement une patience héroïque déployée, à un point tel qu’un certain nombre d’hommes moururent réellement de faim, sans qu’elle offrit de se rendre à des conditions humiliantes[36]. Au milieu de l’acrimonie générale, et des antipathies spéciales exaspérées que faisait naître cet état de misère, les principaux personnages qui insistaient le plus énergiquement sur une résistance prolongée devinrent successivement victimes des persécutions de leurs ennemis. Le démagogue Kleophôn fut condamné et mis à mort, accusé d’avoir échappé à son devoir militaire ; le sénat, dont il avait dénoncé les dispositions et la conduite, se constituant une portion du dikasterion qui le jugeait — contrairement tant aux formes qu’à l’esprit de la justice athénienne[37]. Toutefois ces actes, bien que dénoncés par des orateurs dans les années subséquentes comme ayant contribué à livrer la ville aux mains de l’ennemi, paraissent avoir été sans influence sérieuse sur le résultat qui fut amené purement par la famine.

Au moment où Theramenês revint, après sa longue absence, les maux étaient devenus si terribles, qu’on l’envoya de nouveau avec des instructions pour conclure la paix à n’importe quelles conditions. Quand il arriva à Sellasia, et qu’il eut informé les éphores qu’il apportait avec lui des pouvoirs illimités pour traiter de la paix, on lui permit de venir à Sparte, où était réunie l’assemblée de la confédération péloponnésienne, pour fixera quelles conditions la paix serait accordée. Les principaux alliés, en particulier les Corinthiens et les Thêbains, recommandèrent qu’on n’entrât dans aucun arrangement avec cet ennemi détesté, actuellement en leur pouvoir, et qu’an n’eût plus pour lui aucun ménagement ; mais que le nom d’Athènes fût effacé, et les habitants vendus comme esclaves. Parmi les autres alliés, beaucoup appuyèrent les mêmes vues, qui auraient probablement déterminé une majorité, sans l’opposition résolue des Lacédæmoniens eux-mêmes, qui déclarèrent d’une manière non équivoque qu’ils ne consentiraient jamais à anéantir ni à asservir une ville qui avait rendu à toute la Grèce des services si importants à l’époque du grand danger commun dont la menaçaient les Perses[38]. Lysandros, en outre, en traitant ainsi Athènes, comptait en faire une dépendance de Sparte à part de ses alliés, et un instrument pour augmenter son pouvoir. La paix fut conséquemment accordée aux conditions suivantes : on détruirait les Longs Murs et les fortifications du Peiræeus ; les Athéniens évacueraient toutes leurs possessions étrangères, et se borneraient à leur propre territoire ; ils livreraient tous leurs vaisseaux de guerre ; ils permettraient à tous leurs exilés de rentrer ; ils deviendraient alliés de Sparte, suivant son commandement, tant sur mer que sur terre, et reconnaissant les mêmes ennemis et les mêmes amis[39].

C’est avec ce document, écrit suivant l’usage lacédæmonien sur une skytalê — ou rouleau destiné à entourer un bâton et fait en copie double, dont le commandant lacédæmonien avait toujours l’une et les éphores l’autre — que Theramenês revint à Athènes. Quand il entra dans la ville, une foule misérable afflua autour de lui, agitée par la terreur et par la crainte que sa mission n’eût échoué complètement. Les morts et les mourants étaient devenus alors si nombreux, que la paix à tout prix était un bienfait ; néanmoins, quand il fit connaître à l’assemblée les conditions dont il était porteur, en recommandant fortement la soumission à l’égard des Lacédæmoniens comme la seule conduite à tenir actuellement, — il y eut encore une minorité animée d’une noble ardeur qui fit sa protestation, et préféra la mort par la famine à ce déshonneur insupportable. Toutefois la grande majorité les accepta, et on fit connaître la décision à Lysandros[40].

Ce fut le 16 du mois attique Munychion[41] (vers le commencement d’avril 404 av. J.-C.) que ce commandant victorieux entra dans le Peiræeus, — vingt-sept ans (presque exactement) après la surprise de Platée par les Thêbains, qui ouvrit la guerre du Péloponnèse. Avec lui vinrent les exilés athéniens, dont quelques-uns paraissaient avoir servi dans son armée[42] et l’avoir aidé de leurs conseils. ourla population d’Athènes en général, son entrée fut un soulagement immédiat, malgré la cruelle dégradation, ou, à vrai dire, l’extinction politique dont elle était accompagnée Du moins elle détournait les souffrances et les horreurs de la famine, et permettait d’enterrer décemment les nombreuses et malheureuses victimes qui avaient déjà péri. Les Lacédæmoniens, tant en troupes de mer que de terre, seins Lysandros et Agis, continuèrent d’occuper Athènes jusqu’à ce que les conditions de la pais eussent été remplies. Toutes les trirèmes qui se trouvaient dans le Peiræeus furent emmenées par Lysandros, excepté douze, qu’il perdit aux Athéniens de garder : les éphores, dans leur skytalê, avalent laissé à sa discrétion le nombre qu’il devait ainsi accorder[43]. On brûla dans les chantiers les vaisseaux non achevés, et on ruina les arsenaux eux-mêmes[44]. Démolir les Longs Murs et les fortifications du Peiræeus était toutefois un travail qui demandait quelque temps, et on accorda aux Athéniens un certain nombre de jours dans lequel on exigeait qu’il fût achevé. Au commencement du travail, les, Lacédæmoniens et leurs alliés prêtèrent tous leurs bras, avec tout l’orgueil et toute l’exaltation de vainqueurs, au milieu de femmes jouant de la flûte, de danseurs portant des -couronnes et des exclamations joyeuses, des alliés péloponnésiens, qui s’écriaient que c’était le premier jour de la liberté grecque[45]. Combien de jours furent accordés pour l’humiliant devoir imposé à des mains athéniennes de démolir les ouvrages imposants, tutélaires et faits avec tant de soin par leurs ancêtres, — c’est ce qu’on ne nous dit pas. Mais la tâche ne fut pas achevée dans l’intervalle désigné, de sorte que les Athéniens ne remplirent pas les conditions à la lettre, et avaient donc, si on les prenait à la rigueur, perdu leur titre à la paix accordée[46]. Toutefois l’intervalle semble avoir été prolongé : on considéra probablement que, pour le travail matériel, aussi bien que pour le triste caractère de l’ouvrage à faire, on avait accordé dans le principe un temps trop court.

Il paraît que Lysandros, après avoir assisté à la cérémonie solennelle où l’on commença à -démolir les murs, et avoir fait à Athènes une brèche qui la laissait sans aucun moyen réel de résistance, ne resta pas pour achever le travail, mais se retira avec une portion de sa flotte afin d’entreprendre le siège de Samos, qui tenait encore, en laissant le reste pour veiller à ce que les conditions imposées fussent remplies[47]. Après avoir enduré si longtemps une extrême misère, sans doute la population générale ne songeait qu’à être soulagée de la famine et de ses accessoires, sans aucune disposition à lutter contre la volonté de ses vainqueurs. Si quelques hommes au noble cœur formaient une exception à l’abaissement dominant, et conservaient encore leur courage pour de meilleurs jours, — il y avait en même temps un parti d’un caractère totalement opposé, aux yeux duquel l’état de prostration d’Athènes était une source de vengeance pour le passé, de transports pour le présent et d’ambitieux projets pour l’avenir. C’était en partie le reste de la faction qui avait établi (sept ans auparavant) l’oligarchie des Quatre Cents, — et, plus encore, les exilés, comprenant plusieurs membres des Quatre Cents[48], qui actuellement affluaient de tous les côtés. Beaucoup d’entre eux avaient longtemps servi à Dekeleia, et avaient formé une partie de l’armée qui bloquait Athènes. Ces exilés revoyaient à ce moment l’acropolis comme vainqueurs, et contemplaient avec délices le plein accomplissement de cette occupation étrangère, à laquelle un- grand nombre d’entre eux avaient visé sept ans auparavant, quand ils construisaient la forteresse d’Eetioneia, comme moyen d’assurer leur pouvoir. Bien que les conditions imposées détruisissent a la fois le caractère souverain, la ; puissance maritime, l’honneur et l’indépendance d’Athènes, ces hommes étaient aussi ardents que Lysandros à les amener toutes à exécution, parce que la durée de la démocratie athénienne était alors à sa merci, et que l’installation faite par lui d’oligarchies dans les autres villes soumises donnait clairement a entendre ce qu’il ferait dans ce grand foyer du mouvement démocratique grec.

Au nombre (le ces exilés se trouvaient Aristodêmos et Aristotelês, — tous les deux vraisemblablement des personnages d’importance ; le premier ayant été dans un temps un des hellenotamiæ, la première charge financière de la démocratie souveraine, et le second un membre actif des Quatre Cents[49] ; Chariklês aussi, qui s’était tant distingué pour sa violence dans les recherches relatives aux Hermæ, — et un autre homme, que nous apprenons, maintenant, pour la première fois, à connaître historiquement en détail, — Kritias, fils de Kallæschros. Il avait été du nombre des personnes accusées d’avoir pris part à la mutilation des Hermæ, et semble avoir eu pendant longtemps de l’importance dans le monde politique, littéraire et philosophique d’Athènes. Ses talents le rendaient propre à honorer ces trois scènes. Sa poésie dans la veine solonienne ou morale, — et son éloquence, dont il restait à l’époque d’Auguste des spécimens publiés, — n’avaient pas un mérite ordinaire. Sa fortune était considérable, et sa famille au nombre des plus anciennes et des plus remarquables d’Athènes : l’un de ses ancêtres avait été l’ami et le compagnon du législateur Solôn. Il était lui-même l’oncle maternel du philosophe Platon[50], et il avait tellement fréquenté la société, de Sokratês, que son nom était intimement associé dans l’esprit public à celui de cet homme remarquable. Nous ne savons ni la cause, ni même la date de son exil ; nous savons seulement qu’il ne fut pas banni immédiatement après la révolution des Quatre Cents, — et qu’il était en exil à l’époque où les généraux furent condamnés après la bataille des Arginusæ[51]. Il avait passé le temps, ou une partie du temps de son exil, en Thessalia, où il prit une part active aux querelles sanglantes entretenues entre les partis oligarchiques de cette contrée, qui ne connaissait pas de loi. Il avait embrassé, dit-on, avec un chef nommé (ou surnommé) Promêtheus, ce qui passait pour le côté démocratique en Thessalia, et avait armé les penestæ ou serfs contre leurs maîtres[52]. Quelles avaient été la conduite et les dispositions de Kritias avant cette époque, c’est ce que nous ne pouvons dire. Mais à ce moment, en revenant d’exil, il apportait avec lui non seulement un désir illimité et immoral de pouvoir, mais encore une disposition rancunière à la spoliation et à l’effusion, du sang qui dépassait même son ambition, et qui finit par ruiner son parti et lui-même[53].

De tous ces exilés de retour, animés d’un mélange de vengeance et d’ambition, Kritias fat décidé ment le principal, comme Antiphôn parmi les Quatre Cents, en partie à cause de ses talents, en partie à causez de la violence supérieure avec laquelle il traduisit en acte le sentiment commun. Dans la circonstance présente, lui et ses compagnons d’exil devinrent les personnages les plus importants de la ville, comme jouissant, le plus de l’amitié et de la confiance des vainqueurs. Mais le parti oligarchique à l’intérieur ne leur, céda ni en servilité, ni en ferveur révolutionnaire, et l’intelligence s’établit bientôt entre les uns et les autres, Probablement l’ancienne faction des Quatre Cents, bien que renversée, n’avait pas péri complètement. En tout cas, les hetæriæ, ou associations politiques dont elle était composée, duraient encore, prêtes à coopérer de nouveau quand un moment favorable serait venu ; et la catastrophe d’Ægospotami avait rendit évident pour tout là monde que ce moment n’était pas bien éloigné. Conséquemment une portion considérable, sinon la majorité des sénateurs, se trouva disposée à se prêter à la destruction à la démocratie, et désireuse seulement de s’assurer des places dans l’oligarchie en perspective[54], tandis que le souple Theramenês, — reprenant sa place comme chef oligarchique, et abusant de sa mission d’ambassadeur pour lasser la patience de ses compatriotes à moitié affamés, — avait pendant son absence de trois mois, dans la tente de Lysandros, concerté des arrangements avec les exilés pour des opérations futures[55]. Aussitôt que la ville se rendit, et pendant que s’effectuait le travail de démolition, le parti oligarchique commença à s’organiser. Les membres des associations politiques se rapprochèrent de nouveau, et nommèrent un comité administrateur de Cinq, appelés éphores, — compliment à l’adresse des Lacédæmoniens, — chargé de diriger les opérations générales du parti, de convoquer les réunions quand il serait nécessaire, et de déterminer quelles propositions devaient être soumises à l’assemblée publique[56]. Au nombre de ces cinq éphores étaient Kritias et Eratosthenês ; probablement Theramenês aussi.

Mais le parti oligarchique, bien qu’organisé et s’élevant ainsi, avec un sénat complaisant et un peuple découragé, et avec un ennemi auxiliaire réellement maître, — ne se crut cependant pas assez puissant pour effectuer ses changements projetés, s’il ne s’emparait pas des plus résolus d’entre les chefs démocratiques. En conséquence, un citoyen nommé Theokritos porta au sénat une accusation contre le général Strombichidês, ainsi que contre plusieurs autres des généraux et taxiarques démocratiques ; accusation appuyée par la déposition d’un homme esclave ou de basse naissance ; nommé Agoratos. Quoique Nikias et plusieurs autres citoyens essayassent de décider Agoratos à quitter Athènes, lui fournissent les moyens de fuir, et lui offrissent de partir eux-mêmes avec lui de Munychia jusqu’à ce que l’état politique d’Athènes eût repris une assiette plus assurée[57], — cependant il refusa de se retirer, parut devant le sénat, et accusa les généraux d’avoir pris part a une conspiration poux détruire la paix, prétendant être lui-même complice. Sur sa déclaration, faite devant le sénat et devant une assemblée à Munychia, les généraux, les taxiarques, et plusieurs autres citoyens, hommes de haute valeur et courageux patriotes, furent mis en prison, aussi bien qu’Agoratos lui-même, pour comparaître plus tard devant un dikasterion composé de deux mille membres. Une des personnes accusées ainsi, Menestratos, autorisée par l’assemblée publique (sur la proposition d’Hagnodôros, beau-frère de Kritias) à devenir témoin à charge, nomma plusieurs autres complices, qui furent emprisonnés sur-le-champ[58].

Bien que les défenseurs les plus résolus de la constitution démocratique fussent ainsi éliminés, Kritias et Theramenês assurèrent encore plus le succès de leurs propositions en priant Lysandros de revenir de Samos. La démolition, des murs avait été achevée, le gros de l’armée de blocus licencié, et la pression immédiate de la famine écartée, quand on tint une assemblée pour déterminer les modifications futures de la constitution. Un citoyen nommé Drakontidês[59] proposa qu’on nommât un conseil de Trente, chargé de faire des lois pour le gouvernement futur de la ville, et d’administrer provisoirement les affaires publiques, jusqu’à ce que cette tâche fût accomplie. Parmi les trente personnes proposées, arrangées à l’avance par Theramenês et les cinq éphores oligarchiques, les noms les plus saillants étaient ceux de Kritias et de Theramenês : il y avait en outre Drakontidês lui-même ; Onomaklês, l’un des Quatre Cents qui s’était échappé ; Aristotelês et Chariklês, deux exilés nouvellement de retour ; Eratosthenês, et d’autres que nous ne connaissons pas, mais parmi lesquels plusieurs probablement avaient également été exilés ou membres des Quatre Cents[60]. Bien que ce fût une abrogation complète de la constitution, cependant les conspirateurs avaient tellement conscience de leur force, qu’ils ne jugèrent pas nécessaire de proposer la suspension formelle de la Graphê Paranomôn, comme on l’avait fait avant l’installation de la première oligarchie. Toutefois, nonobstant l’arrestation des chefs et l’intimidation générale qui dominait, on entendit s’élever un murmure bruyant de répugnance dans l’assemblée à la motion de Drakontidês. Mais Theramenês se leva pour défier le murmure, en disant à l’assemblée que la proposition comptait de nombreux partisans, même parmi les citoyens, et que de plus elle avait l’approbation de Lysandros et des Lacédœmoniens. Ce fut bientôt confirmé par Lysandros lui-même, qui parla à l’assemblée en personne. Il lui dit, d’un ton, de mépris et de menace, qu’Athènes était actuellement à sa merci, puisque les murs n’avaient pas été démolis avant le jour spécifié, et que conséquemment les conditions de la paix promise avaient été violées. Il ajouta que si elle n’adoptait pas la recommandation de Theramenês, elle serait forcée de songer à sa sûreté personnelle, au lieu de s’occuper de sa constitution politique. Après une notification à la fois si claire et si accablante, toute résistance était vaine. Les opposants quittèrent tous l’assemblée pleins de tristesse et d’indignation ; tandis qu’un reste, — suivant Lysias, peu considérable en nombre aussi bien que peu respectable par le caractère, — demeura pour voter l’acceptation de la motion[61].

Sept années auparavant, Theramenês avait fait, conjointement avec Antiphôn et Phrynichos, une motion semblable pour l’installation des Quatre Cents, en extorquant l’adhésion par un terrorisme domestique aussi bien que par des assassinats multipliés. Actuellement, de concert. avec Kritias et les autres, il détruisait une seconde- fois la constitution de son pays, par l’humiliation plus grande encore d’un vainqueur étranger dictant des conditions au, peuple athénien assemblé dans sa propre Pnyx. Après avoir vu les Trente régulièrement constitués, Lysandros se retira d’Athènes pour activer le siège de Samos, qui tenait encore. Bien que bloqués par terre et par mer, les Samiens se défendirent obstinément quelques mois de plus, jusqu’à la fin de l’été. Ce ne fut qu’à la dernière extrémité qu’ils capitulèrent, obtenant la permission pour tout citoyen de partir, en sûreté, mais sans autre chose qu’un seul vêtement. Lysandros abandonna la ville et les -biens aux anciens citoyens, — c’est-à-dire à l’oligarchie et a ses partisans, qui avaient été en partie chassés, en partie privés de leurs droits, dans la révolution huit ans auparavant. Mais il plaça le gouvernement de- Samos, comme il l’avait fait dans d’autres cités, entre les mains de l’une de ses dékarchies, ou oligarchie de dix Samiens choisis par lui-même ; et il laissa Thorax en qualité d’harmoste lacédæmonien, et sans doute une armée sous ses ordres[62].

Après avoir ainsi terminé la guerre et éteint la dernière étincelle de résistance, Lysandros retourna à Sparte couvert de gloire. Jamais il n’arriva a aucun Grec d’avoir un triomphe aussi imposant, soit avant, soit après. Il amenait avec lui toutes les trirèmes enlevées au port de Peiræeus, à l’exception de douze laissées aux. Athéniens comme concession ; il apportait les ornements de la proue de tous les vaisseaux pris à Ægospotami et ailleurs ; il était chargé de couronnes d’or, que lui avaient votées les diverses villes ; et de plus il présentait une somme d’argent non inférieure à quatre cent soixante-dix talents, reste de ces trésors que Cyrus lui avait, remis pour la continuation de la guerre[63]. Cette somme avait été plus grande, mais elle avait été diminuée, dit-on, parla déloyauté de Gylippos, à la garde duquel on l’avait confiée, et qui souilla par un si vil péculat les lauriers qu’il avait si glorieusement gagnés à Syracuse[64]. Et ce n’étaient pas seulement les preuves triomphantes d’exploits anciens qui ornaient actuellement le retour de l’amiral. Il portait en outre une étendue de pouvoir réel plus grande qu’aucun Grec individuel, soit avant, soit après. Sparte souveraine, — comme elle l’était devenue alors, — était pour ainsi dire personnifiée dans Lysandros, qui était maître de presque toutes les villes asiatiques et thraces insulaires, au moyen des harmostes et des dékarchies indigènes nommés par lui-même et choisis parmi ses créatures. Nous reviendrons bientôt à cet état de choses, quand nous aurons raconté l’histoire si remplie d’événements des Trente à Athènes.

Ces Trente hommes, — pendant des dékarchies que Lysandros avait établies dans les autres villes, — étaient destinés au même dessein, c’est-à-dire à maintenir la cité dans un état d’humiliation et de dépendance à l’égard de. Lacédæmone, et de Lysandros comme représentant de Lacédæmone. Bien que nommés dans la pensée prétendue de tracer un plan de lois et de constitution pour Athènes, ils n’étaient pas pressés de se mettre à la tâche. Ils instituèrent un nouveau sénat, composé de personnes complaisantes, sûres et oligarchiques, comprenant beaucoup des exilés de retour qui avaient été jadis au nombre des Quatre Cents, et beaucoup également des sénateurs précédents qui étaient disposés à servir leurs desseins[65]. Ils nommèrent de plus de nouveaux magistrats et do nouveaux officiers ; un nouveau conseil des Onze, pour administrer les affaires de la police et de la force publique, avec Satyros, l’un de leurs partisans les plus violents, comme chef ; un conseil de Dix, pour gouverner le Peiræeus[66] ; un archonte pour donner le nom à l’année, Pythodôros, — et un second archonte ou archonte roi, Patroklês[67], pour offrir les sacrifices accoutumés au noie de la ville. Tandis qu’ils assuraient ainsi leur propre ascendant, et qu’ils plaçaient tout le pouvoir entre les mains des partisans oligarchiques les plus violents, ils commencèrent à professer les principes réformateurs de la vertu la plus rigide, dénonçant les abus de l’ancienne démocratie, et annonçant leur détermination de purger la ville des méchants[68]. Le philosophe Platon, — alors jeune homme d’environ vingt-quatre ans, professant une politique antidémocratique et neveu de Kritias, fut d’abord égaré ; avec divers autres, par ces magnifiques déclarations. Il conçut l’espoir de jouer un rôle actif dans la nouvelle oligarchie, et il y fut même encouragé par ses parents[69]. Bien qu’il ne tardât pas à reconnaître combien peu ses sentiments étaient conformes aux leurs, cependant au début sans doute ces illusions honnêtes contribuèrent à fortifier leurs bras.

Pour exécuter leur dessein d’extirper les méchants, les Trente commencèrent par mettre la main sur quelques-uns des politiques les plus odieux sous l’ancienne démocratie, — hommes (dit Xénophon) qui au vu et au su de tout le monde, vivaient en faisant des accusations calomnieuses (appelées sykophantia), et dont l’inimitié à l’égard des citoyens oligarchiques était déclarée. Jusqu’à quel point la plupart de ces hommes avaient-ils été honnêtes ou déshonnêtes dans leur conduite politique antérieure sous la démocratie, c’est ce que nous n’avons pas le moyen de déterminer. Mais de ce nombre furent Strombichidês et les autres officiers démocratiques qui avaient été emprisonnés sur la déclaration d’Agoratos : hommes dont le principal crime consistait dans un attachement ferme et inflexible à la démocratie. Les personnes arrêtées ainsi furent amenées pour être jugées devant le nouveau sénat nommé par les Trente, — contrairement au vote du peuple, qui avait décrété que Strombichidês et ses compagnons seraient jugés par un dikasterion composé de deux mille citoyens[70]. Mais le dikasterion, aussi bien que les autres institutions démocratiques, fut alors abrogé, et il ne resta aucun corps judiciaire, si ce n’est le sénat nouvellement constitué. Les Trente ne voulurent pas confier même à ce sénat, bien que composé de leurs partisans, le jugement des prisonniers, avec le vote secret qui, comme on le savait bien à Athènes, était essentiel à l’expression libre et vraie du sentiment. Toutes les fois qu’on jugeait des prisonniers, les Trente étaient présents eux-mêmes dans la salle du sénat, siégeant sur les bancs qu’occupaient antérieurement les prytanes : deux tables étaient placées devant eux, l’une signifiant la condamnation, — l’autre l’acquittement ; et chaque sénateur devait déposer son caillou, ouvertement devant eux, sur l’une ou sur l’autre[71]. Ce n’était pas simplement un jugement du sénat, — mais bien un jugement du sénat sous la pression et l’intimidation exercées par les Trente tout-puissants. Il semble probable qu’on n’accordait ni semblant de défense, ni témoins à décharge ; mais même, si l’on ne se dispensait pas complètement de ces formalités, il est certain qu’il n’y avait pas de jugement réel, et qu’une condamnation était assurée à l’avance. Parmi le grand nombre de prévenus que les Trente amenèrent devant le sénat, il n’y est pas un seul homme acquitté, à l’exception du dénonciateur Agoratos, qui fut jugé comme complice avec Strombichidês et ses compagnons, mais qui fut mis en liberté en récompensé de la révélation qu’il avait faite contre eux[72]. L’assertion d’Isocrate, de Lysias et d’autres, — à savoir, que les victimes des Trente, même quand on les amenait dans le sénat, furent mises à mort sans jugement, est authentique et digne de foi ; il y en eut même beaucoup qui le furent sur un simple ordre des Trente eux-mêmes, sans que le sénat en connût[73].

Toutefois, quant aux personnes jugées d’abord, — soit que nous les considérions, ainsi que Xénophon le donne à entendre, comme ayant été notoirement méchantes, soit comme les victimes innocentes de la vengeance réactionnaire des exilés oligarchiques de retour, comme celât, certainement le cas pour Strombichidês et les officiers accusés avec lui,-il n’était guère nécessaire que les Trente employassent la contrainte à l’égard du sénat. Ce corps lui-même partageait le sentiment qui dictait la condamnation, et il agit comme un instrument volontaire tandis que les Trente eux-mêmes étaient unanimes, — Theramenês étant même plus zélé que Kritias dans ces exécutions, afin de prouver son antipathie sincère pour la démocratie éteinte[74]. Jusque-là aussi, comme toutes les personnes condamnées (justement ou injustement) avaient été des politiques marquant, — tous les autres citoyens qui n’avaient pas pris part à la politique, même s’ils désapprouvaient la condamnation — n’avaient pas été amenés à concevoir d’appréhension au sujet d’un sort semblable pour eux-mêmes. Ici donc Theramenês et avec lui une portion des Trente aussi bien que du sénat, inclinaient à s’arrêter. Tandis qu’il avait été assez fait pour rassasier leurs antipathies, par la mort des chefs les plus odieux de la démocratie, — ils croyaient en même temps que le gouvernement oligarchique était sûrement établi, et ils prétendaient que verser plus de sang ne ferait que compromettre sa stabilité, en répandant l’alarme, en multipliant les ennemis, et en lui aliénant les amis aussi bien que les neutres.

Mais telles n’étaient les vues ni de Kritias ni des Trente en général, qui regardaient leur position d’un tout autre œil que le mobile et rusé Theramenês, et qui avaient rapporté avec eux de l’exil un long arriéré de vengeance encore à assouvir. Kritias savait bien que la nombreuse population d’Athènes était sincèrement attachée à sa démocratie, et qu’elle avait de bonnes raisons pour l’être ; que le gouvernement actuel lui avait été imposé de force, et ne pouvait être maintenu que par la force ; que ses amis étaient une petite minorité, incapable de le soutenir contre la multitude qui les entourait tout armée ; qu’il y avait encore maints ennemis formidables dont il fallait se débarrasser, de sorte qu’il était indispensable d’invoquer l’aide d’une garnison lacédæmonienne permanente dans Athènes, comme seule condition non seulement de leur stabilité comme gouvernement, mais même de leur sûreté personnelle. Malgré l’opposition de Theramenês, — on envoya à Sparte Æschinês et Aristotelês, deux des Trente, pour demander du secours à Lysandros ; celui-ci leur procura une garnison lacédæmonienne sous Kallibios comme harmoste, qu’ils s’engagèrent à entretenir sans aucun frais pour Sparte, jusqu’à ce qu’ils eussent assuré leur propre gouvernement en écartant les méchants[75]. Non seulement Kallibios fut installé comme maître de l’acropolis, — remplie comme elle l’était des souvenirs de la gloire athénienne, — mais les Trente le caressèrent encore et le gagnèrent, au point qu’il se prêta à tout ce qu’ils demandèrent. Ils eurent ainsi des forces militaires lacédæmoniennes constamment à leurs ordres, outre une troupe organisée de jeunes satellites et d’assassins, prêts à tout acte de violence ; et ils se mirent à saisir et à mettre à mort maints citoyens, qui se distinguaient assez par leur courage et leur patriotisme pour qu’on les crût propres à servir de chefs au mécontentement public. Plusieurs des hommes les meilleurs d’Athènes périrent ainsi successivement, tandis que Thrasyboulos, Anytos et beaucoup d’autres, craignant un sort semblable, s’enfuirent de l’Attique, laissant les oligarques confisquer et s’approprier leurs biens[76] ; et ces derniers rendirent un décret d’exil contre eux dans leur absence, aussi bien que contre Alkibiadês[77].

Theramenês s’opposa avec chaleur à cos actes, successifs de vengeance et de violence, tant dans le conseil des Trente que dans le sénat. Les personnes exécutées jusqu’alors (dit-il) avaient mérité leur mort, parce que non seulement elles étaient des politiques signalés dans la démocratie, mais qu’elles étaient hostiles d’une manière prononcée aux hommes oligarchiques. Mais infliger le même sort à d’autres, qui n’avaient pas manifesté une hostilité pareille, simplement parce qu’ils avaient joui de l’influence sous la démocratie, serait injuste : Même toi et moi (rappela-t-il à Kritias), avons, dit-il, fait bien des choses en vue de la popularité. Mais Kritias répondit : Nous ne pouvons nous permettre d’être scrupuleux ; nous sommes engagés dans un plan d’ambition agressive, et nous devons nous débarrasser de ceux qui sont le plus en état de nous faire obstacle. Bien que nous soyons trente, et non pas un,notre gouvernement n’en est pas moins un despotisme, et doit être gardé par les mêmes précautions jalouses. Si tu penses autrement, il faut en vérité que tu sois simple d’esprit. Tels étaient les sentiments qui animaient la majorité des Trente non moins que Kritias, et qui la poussaient à une série d’arrestations et d’exécutions sans fin. Ce ne furent pas seulement les politiques démocratiques les moins odieux qui devinrent leurs victimes, mais des hommes courageux, riches, et d’un rang élevé, dans toute veine de sentiment politique ; même des hommes oligarchiques, ceux de ce parti qui avaient les principes les meilleurs et les plus nobles, partagèrent le même sort. Au nombre des victimes les plus distinguées furent Lykurgos[78], appartenant à l’une des gentes sacrées les plus éminentes de l’Etat ; un homme riche nommé Antiphôn, qui avait consacré sa fortune au service public avec un patriotisme exemplaire pendant les dernières années de la guerre, et qui avait fourni deux trirèmes bien équipées à ses frais ; Leôn, de Salamis ; et même Nikeratos (fils de Nikias, qui avait péri à Syracuse), homme qui hérita de son père non seulement d’une fortune considérable, mais d’une répugnance connue pour la politique démocratique, et avec lui son oncle Eukratês, frère du même Nikias[79]. Ce n’étaient là que quelques-unes des nombreuses victimes qui furent saisies,-déclarées coupables par le sénat ou par les Trente eux-mêmes, — livrées à Satyros et aux Onze, — et condamnées à périr par le supplice ordinaire de la ciguë.

Les circonstances qui accompagnèrent l’arrestation de Leôn méritent d’être particulièrement signalées. En le mettant à mort avec les autres victimes, les Trente avaient plusieurs objets, en vue, tendant tous à la stabilité de leur domination. D’abord, ils se débarrassaient ainsi de citoyens connus et estimés généralement, dont ils savaient eux-mêmes mériter l’aversion, et qu’ils craignaient comme propres à diriger le sentiment public contre eux. En second lieu, les biens de ces victimes, qui toutes étaient riches, étaient saisis avec leurs personnes, et étaient employés à payer les satellites dont le concours était indispensable pour ces violences, — en particulier Kallibios et les hoplites lacédæmoniens dans l’acropolis. Mais, outre le meurtre et la spoliation, les Trente avaient un autre but encore plus exécrable, s’il est possible. Dans l’opération de saisir leurs victimes, non seulement ils employaient les mains de ces satellites payés, mais encore ils envoyaient avec eux des citoyens respectables et de condition élevée, qu’ils forçaient par la menace et l’intimidation à prêter leur aide personnelle à un service si complètement odieux. Au moyen d’une pareille participation, ces citoyens étaient compromis et souillés par le crime, et pour ainsi dire parties consentantes aux yeux du public à tous les projets des Trente[80], exposés à la même haine générale que ces derniers, et intéressés pour leur propre sûreté à maintenir la domination existante, conformément à leur plan général d’impliquer des citoyens malgré eux dans leurs actes coupables, les Trente envoyèrent chercher cinq citoyens au Tholos ou palais du gouvernement, et leur ordonnèrent, avec de terribles menaces, de se rendre à Salamis et de ramener Leôn prisonnier. Quatre d’entre eux obéirent ; le cinquième était le philosophe Sokratês, qui refusa tout concours et retourna dans sa maison, tandis que les quatre autres allaient à Salamis et prenaient part à l’arrestation de Leôn. Bien qu’il bravât ainsi toute la colère des Trente, il parait qu’ils jugèrent à propos de le laisser sans lui faire de mal. Mais le fait de l’avoir désigné pour une telle atrocité, lui, vieillard d’une vertu éprouvée, tant privée que publique ; et de supériorité intellectuelle, bien qu’en même temps impopulaire sous ce rapport, montre jusqu’à quel point ils poussaient leur système de se faire par la contrainte des complices involontaires ; tandis que l’autre circonstance qu’il fut la seule personne qui eût le courage de refuser, entre quatre autres qui cédèrent à l’intimidation, prouve que cette politique réussissait dans le plus grand nombre de cas[81]. L’inflexible résistance de Sokratês en cette occasion est un digne pendant à sa conduite comme prytane dans l’assemblée publique tenue pour juger les généraux après la bataille des Arginusæ (comme nous l’avons raconté dans le chapitre précédent), où il refusa obstinément de concourir à mettre aux voix une question illégale.

Ces cas multipliés d’exécution et de spoliation remplirent naturellement la ville de surprise, d’indignation et de terreur. Des groupes de mécontents se formèrent et les exilés volontaires devinrent de plus en plus nombreux. Toutes ces circonstances fournirent une ample matière à la véhémente opposition de Theramenês et contribuèrent à augmenter son parti ; non pas, il est vrai, parmi les Trente eux-mêmes, mais jusqu’à un certain point dans le sénat, et plus encore dans la masse des citoyens. Il avertit ses collègues qu’ils s’exposaient journellement à une plus grande somme de haine publique, et qu’il n’était pas possible que leur gouvernement se soutint, s’ils n’admettaient à y participer un nombre suffisant de citoyens, ayant un intérêt direct à sa conservation. Il proposa que tous ceux que leurs biens rendaient aptes à servir l’État, soit à cheval, soit avec une armure pesante, fussent constitués citoyens ; en laissant encore privés de tout droit tous les hommes libres pauvres, dont le nombre était bien plus considérable[82]. Kritias et les Trente rejetèrent cette proposition ; ils étaient sans doute convaincus, — ce que les Quatre Cents avaient senti sept ans auparavant, quand Theramenês leur demandait de convertir leur total fictif de Cinq Mille en une liste réelle d’autant de personnes vivantes, — que enrôler un si grand nombre d’associés équivalait à une vraie démocratie[83]. Mais en même temps ils ne furent pas insensibles à la justesse de son avis ; en outre, ils commencèrent à le craindre personnellement, et à le soupçonner d’être capable de se mettre à la tête d’une opposition populaire contre eux, comme il l’avait fait antérieurement contre ses collègues les Quatre Cents. Ils résolurent donc de suivre en partie ses recommandations, et ils préparèrent en conséquence une liste de trois mille personnes à investir de droits politiques, choisies, autant que possible, dans leurs partisans connus et dans les citoyens oligarchiques. Outre ce corps, ils comptaient aussi sur l’attachement des Cavaliers, parmi les citoyens les plus riches de l’État. Ces Cavaliers ou Chevaliers, en les prenant comme classe, — les mille hommes de bien d’Athènes, dont Aristophane présente les vertus dans un contraste hostile avec les prétendus vices démagogiques de Kleôn, — restèrent les fidèles appuis des Trente pendant toutes les énormités de leur carrière[84]. Quels privilèges ou quelles fonctions furent assignés aux trois mille hommes choisis, c’est ce qu’on ne nous dit pas, si ce n’est qu’ils ne pouvaient être condamnés sans l’autorisation du sénat, tandis que tout autre Athénien pouvait être mis à mort par la simple volonté des Trente[85].

Un corps d’associés choisis ainsi, — non seulement d’un nombre fixe, mais de sentiments oligarchiques purs, — n’était nullement l’addition que désirait Theramenês. Tout en commentant la folie de supposer qu’il y eût un charme quelconque dans le nombre de trois mille, — comme si ce nombre comprenait tout le mérite de la cité, et rien que le mérite, — il les avertit que c’était encore insuffisant pour leur défense : leur gouvernement reposait purement sur la force, et il était encore inférieur en force à ceux sur lesquels il s’exerçait. Les Trente agirent de nouveau d’après son conseil, mais d’une manière très différente de celle à laquelle il songeait. Ils annoncèrent une revue générale et une inspection des armes pour tous les hoplites d’Athènes. Les trois mille furent rangés en armes tous ensemble sur la place du marché ; mais les autres hoplites furent disséminés en petites compagnies dispersées et dans des lieux différents. Quand la revue fut finie, ces compagnies dispersées allèrent à leur demeure pour prendre leur repas, laissant leurs armes entassées aux divers endroits où la revue s’était faite. Mais les adhérents des Trente, ayant été avertis à l’avance et tenus réunis, furent envoyés au moment convenable, avec les mercenaires lacédæmoniens, avec l’ordre de saisir les armes abandonnées, que l’on déposa dans l’acropolis sous la garde de Kallibios. Tous les hoplites d’Athènes, excepté les Trois Mille et les autres adhérents des Trente, se trouvèrent ainsi désarmés par cette artificieuse manœuvre, malgré les inutiles remontrances de Theramenês[86].

Kritias et ses collègues, délivrés alors de toute crainte, soit de Theramenês, soit de toute autre opposition intérieure, s’abandonnèrent, avec moins de ménagements que jamais, à leur malveillance et à leur rapacité ; ils mirent à mort un grand nombre d’ennemis privés et de victimes riches dans une pensée de spoliation. On dressa une liste de personnes suspectes, dans laquelle chacun de leurs adhérents fut autorisé à insérer les noms qu’il voulait, et où l’on prenait les victimes en général[87]. Parmi les dénonciateurs qui livraient ainsi des noms à la mort, on remarqua Batrachos et Æschylidês[88]. La soif du pillage aussi bien que de l’effusion du sang qui animait Kritias. ne fit qu’augmenter, à mesure qu’elle fut satisfaite[89] ; et ce ne fut pas seulement pour payer leurs mercenaires, mais encore cour s’enrichir séparément, que les Trente étendirent partout leur, action meurtrière, qui moissonna alors les metœki aussi bien que les citoyens. Theognis et Peisôn, deux des Trente, affirmèrent qu’il y avait beaucoup de metœki hostiles à l’oligarchie, outre qu’ils étaient des hommes. Opulents. En conséquence, il fut résolu que chacun des gouvernants désignerait — telle de ces victimes qui lui conviendrait, pour qu’on l’exécutât et qu’on pillât ses biens ; on prit soin de comprendre dans l’arrestation un petit nombre de personnes pauvres, afin que le but réel des spoliateurs fût faiblement déguisé.

Ce fut quand on exécuta ce plan que l’orateur Lysias et son frère Polemarchos furent tous deux mis en prison. Tous deux étaient metœki, hommes riches et exploitant une manufacture de boucliers, où ils employaient cent vingt esclaves. Theognis et Peisôn, avec quelques autres, saisirent Lysias dans sa maison, pendant qu’il avait quelques amis- à dîner ; Theognis, après avoir chassé ses hôtes, le laissa sous la garde de Peisôn, envoya ses compagnons avec l’ordre d’enregistrer et de s’approprier ses esclaves de prix. Lysias essaya de décider Peisôn à accepter un présent et à le laisser s’échapper, ce que ce dernier commença par-lui promettre de faire ; et après avoir ainsi obtenu accès à la caisse du prisonnier, il fit main basse sur tout son contenu ? qui montait à environ trois ou quatre talents. C’est en vain que Lysias demanda avec prière qu’il lui laissât quelque chose pour ses besoins : la seule réponse qu’il plat obtenir, c’est qu’il devait s’estimer heureux s’il sauvait sa vie. Il fat ensuite mené a la maison d’une personne nommée Damnippos, où se trouvait déjà Theognis, qui avait sous sa garde d’autres prisonniers. Sur l’instante prière de Lysias, Damnippos essaya d’amener Theognis à conniver à sa fuite, au prix d’un beau présent ; mais pendant que cette conversation durait, le prisonnier profita d’un moment on il n’était pas surveillé pour sortir par la porte de derrière, — qui par bonheur était ouverte, ainsi que par deux autres portes par lesquelles il fallait nécessairement passer. Après avoir obtenu d’abord un refuge dans la maison d’un ami au Peiræeus, il s’embarqua sur un bateau, la nuit suivante, pour Megara. Polemarchos, moins heureux, fut arrêté dans la rue par Eratosthenês, l’un des Trente, et immédiatement mis en prison, où on lui administra la fatale coupe de ciguë, sans délai, sans jugement, et sans la liberté de se défendre. On pilla dans sa maison un fonds considérable d’or, d’argent, de meubles et de riches ornements ; — on arracha les boucles d’or des oreilles de sa femme ; on confisqua sept cents boucliers, avec cent vingt esclaves, ainsi que l’atelier et les deux maisons d’habitation ; et cependant les Trente ne voulurent pas accorder au mort de décentes funérailles, mais ils firent emporter de la prison son corps sur un brancard loué, avec une couverture et quelques chétifs accessoires fournis par,la sympathie d’amis privés[90].

Au milieu de ces atrocités, qui croissaient en nombre et tournaient de plus en plus au pillage éhonté, le parti de Theramenês gagnait journellement du terrain, même dans le sénat, dont beaucoup de membres ne tiraient aucun profit en rassasiant la cupidité privée des Trente, et commençaient à se lasser d’un système si révoltant, aussi bien qu’à s’alarmer de la multitude d’ennemis qu’ils se créaient insensiblement. En proposant la récente arrestation des metœki, les Trente avaient prié Theramenês de choisir dans cette classe une victime quelconque, qui serait mise à mort et pillée à son profit. Mais il repoussa la suggestion avec énergie, et dénonça l’énormité de la mesure dans les termes pleins d’indignation qu’elle méritait. Si grande était l’antipathie de Kritias et de la majorité des Trente contre lui, déjà acrimonieuse par suite d’une opposition prolongée, et exaspérée par ce refus, — ils craignirent tant d’encourir eux-mêmes le blâme de ces mesures, tandis que tout l’honneur de l’opposition était a Theramenês, — ils étaient tellement convaincus que leur gouvernement ne pourrait se maintenir avec ce dissentiment entre ses propres membres, qu’ils résolurent de se défaire de lui a tout prix. Après avoir sondé autant de sénateurs qu’ils purent, afin de leur persuader que Theramenês conspirait contre l’oligarchie, ils ordonnèrent aux plus hardis de leurs satellites de se trouver un jour dans la salle du sénat, prés de la grille qui enfermait les sénateurs, avec des poignards cachés sous leurs vêtements. Aussitôt que Theramenês parut, Kritias se leva et le dénonça au sénat comme ennemi public, dans une harangue que Xénophon donne fort, au long, et qui est si remplie de preuves instructives, quant au sentiment politique grec, que j’en extrais ici les points principaux en l’abrégeant :

S’il en est parmi vous, sénateurs, qui, pensent qu’il périt plus de gens que l’occasion ne le demande, songez que cela arrive partout en temps de révolution,et que cela doit surtout arriver dans l’établissement d’une oligarchie à Athènes, la ville la plus peuplée de la Grèce, et où la population a été le plus longtemps habituée à la liberté. Vous savez aussi bien que nous combien la démocratie est pour nous et pour vous un gouvernement intolérable, aussi bien qu’incompatible avec tout ferme attachement aux Lacédæmoniens nos protecteurs. C’est sous leurs auspices que nous sommes en train d’établir l’oligarchie actuelle, et que nous faisons disparaître, autant que nous le pouvons, tout homme qui en arrête la marche ; ce qui devient surtout indispensable, si cet homme se trouve être un des membres de notre corps. Voici l’hommeTheramenêsque nous vous dénonçons aujourd’hui comme votre ennemi non moins que le nôtre. Ce qui prouve qu’il en est ainsi, ce sont ses critiques sans mesure sur nos actes, les difficultés qu’il jette sur notre route toutes les fois que nous avons à nous défaire de l’un des démagogues. Si telle avait été sa politique dès le commencement, il aurait à la vérité été notre ennemi : toutefois nous n’aurions pas pu avec justice dire de lui que c’est un misérable. Mais c’est lui qui, le premier, a créé l’alliance qui nous lie à Sparte,qui a porté le premier coup à la démocratie,qui nous a surtout poussés à mettre à mort la première fournée de personnes accusées ; et maintenant que nous avons, vous et nous, encouru la haine manifeste du peuple, il fait volte-face et attaque nos actes, afin de se mettre lui-même en sûreté, et de nous laisser en porter la peine. Il doit être traité non seulement comme un ennemi, mais comme un traître à votre égard aussi bien qu’au nôtre ; un traître achevé, comme toute sa vie le prouve. Bien qu’il jouît, grâce à son père Agnôn, d’une position honorable dans la démocratie, il fut le premier à la renverser et à élever les Quatre Cents : dés qu’il vit l’oligarchie assiégée de difficultés, il fut le premier à se mettre à la tête du peuple contre elle ; toujours prêt à changer dans les deux directions, et complice empressé de ces exécutions qu’amènent avec eux les changements de gouvernement. C’est lui aussi qui, ayant reçu l’ordre des généraux, après la bataille des Arginusæ, de recueillir les hommes sur les vaisseaux désemparés, et ayant négligé d’accomplir cette tâche,accusa ses supérieurs et les amena à la mort, afin de se tirer lui-même du danger. On l’a avec raison surnommé le Brodequin, qui va aux deux jambes, mais qui ne reste ni à l’une ni à l’autre ; il s’est montré indifférent à l’honneur et à l’amitié, ne cherchant que son avancement égoïste ; et c’est à nous maintenant de nous tenir en garde contre son double jeu, afin qu’il ne puisse pas nous jouer le même tour. Nous le citons devant vous comme un conspirateur et un traître, contre vous aussi bien que contre nous. Songez à votre propre sûreté, et non à la sienne. Songez que, si vous le laissez échapper, vous donnez à vos ennemis les plus dangereux un puissant encouragement ; tandis que si vous,-Ie condamnez, vous anéantirez leurs meilleures espérances, tant à l’intérieur qu’au dehors de la ville.

Probablement Theramenês n’était pas sans être préparé à quelque attaque de ce genre. En tout cas, il se leva pour y répondre sur-le-champ :

Avant tout, sénateurs, je toucherai l’accusation qui a été portée contre moi, et que Kritias a mentionnée en dernier,celle d’avoir accusé les généraux, et de les avoir amenés à la mort. Ce n’est pas mai qui les ai accusés le premier, ce sont eux qui l’ont fait contre moi. Ils ont dit qu’ils m’avaient commandé ce devoir, et que j’avais négligé de l’accomplir ma défense fut que cet ordre ne pouvait être exécuté à cause de la tempête ; le peuple me crut et m’acquitta, mais les généraux furent justement condamnés sur leur propre accusation, parce qu’ils disaient que le devoir, aurait pu être accompli,tandis qu’il était resté sans l’être. Dans le fait, je ne m’étonne pas que Kritias ait avancé de tels mensonges contre moi ; car, au moment où se passa l’affaire, il était exilé en Thessalia, occupé à élever- une démocratie et à armer les Penestæ, contre leurs maîtres. Passe le ciel que rien de ce qu’il y fit n’arrive à Athènes ! Je suis, à la vérité, d’accord avec Kritias sur ce point ; c’est que quiconque désire détruire votre gouvernement et appuie ceux qui conspirent contre vous, mérite à bon droit le châtiment le plus sévère. Mais à qui cette accusation s’applique-t-elle le mieux ? À lui ou à moi ? Examinez la conduite de chacun de nous, et ensuite jugez par vous : mêmes. D’abord nous fûmes tous d’accord, quant à1a condamnation des démagogues connus et gênants. Mais lorsque Kritias et ses amis se mirent à arrêter des hommes d’un rang élevé, ce fut alors que je commençai à m’opposer à eux. Je savais que l’arrestation d’hommes tels que Leôn, Nikias et Antiphôn, vous créerait des ennemis parmi les hommes les, meilleurs de la ville. Je m’opposai à l’exécution des metœki, sachant bien qu’elle vous aliénerait tout ce corps. Je m’opposai à ce qu’on désarmât les citoyens, et à ce qu’on prit à gage des gardes étrangers. Et quand je vis que les ennemis à l’intérieur et les exilés au dehors se multipliaient contre vous, je vous dissuadai de bannir Thrasyboulos et Anytos, car cette mesure ne servait qu’à donner aux exilés des chefs capables. L’homme qui vous donne cet avis, et qui vous le donne ouvertement, est-il un traître, ou n’est-il pas plutôt un véritable ami ? C’est toi et tes adhérents, Kritias, qui, par vos meurtres et vos vols, donnez de la force aux ennemis du gouvernement et trahissez vos amis. Sois persuadé que Thrasyboulos et Anytos sont beaucoup plus satisfaits de ta politique qu’ils ne l’étaient de la mienne. Tu m’accuses d’avoir trahi les Quatre Cents ; mais je ne les ai abandonnés que quand ils furent eux-mêmes sur le point de livrer Athènes à ses ennemis. Tu m’appelles le Brodequin, comme si je tâchais d’aller aux, deux partis. Mais comment t’appellerai-je, toi, qui lie vas ni à l’un ni à l’autre ? qui sous la démocratie, haïssais le plus violemment le peuple, et qui, sous l’oligarchie, es devenu aussi violent, en ce que tu hais le mérite oligarchique ? Je suis, et ai toujours été, Kritias ; l’ennemi et d’une extrême démocratie et d’une tyrannie oligarchique. Je désire composer notre communauté politique de ceux qui peuvent la servir à cheval et avec une armure pesante :je l’ai proposé une fois, et je m’y tiens encore. Je ne penche ni vers les démocrates ni vers les despotes, à l’exclusion des citoyens d’un rang élevé. Prouve que je suis maintenant, ou que jamais j’ai été coupable de ce crime, et j’avouerai moi-même que je mérite une mort ignominieuse.

Cette réponse fut reçue par la majorité du sénat avec des acclamations et des applaudissements qui montraient qu’elle était résolue à l’acquitter. Pour les antipathies farouches de Kritias mortifié de la sorte, l’idée d’un échec était intolérable : dans le fait, il avait alors poussé son hostilité à un point tel, que l’acquittement de son ennemi aurait été sa propre ruine. Après avoir échangé un petit nombre de mots avec les Trente, il se retira pendant quelques moments, et ordonna aux Onze, qui étaient à la tête de satellites armés, de s’approcher tout près des barres de bois qui enfermaient les sénateurs, — tandis que la cour devant la salle du sénat fut remplie d’hoplites mercenaires. Ayant ainsi ses forces sous la main, Kritias revint et parla de nouveau au sénat : — Sénateurs (dit-il), je regarde comme un devoir pour un bon président, quand il voit tromper ses amis autour de lui, de ne pas les laisser suivre leur propre inclination. C’est ce que je me propose de faire maintenant : dans le fait, ces hommes qui, comme vous le voyez, nous pressent du dehors, nous disent clairement qu’ils ne supporteront pas l’acquittement d’un homme qui travaille manifestement à la ruine de l’oligarchie. C’est un article de notre nouvelle constitution, qu’aucun des Trois Mille hommes choisis ne sera condamné sans votre vote ; mais que tout homme non compris dans cette liste peut être condamné pax les Trente. Or je prends sur moi, avec l’assentiment de tous mes collègues, d’effacer ce Theramenês de cette liste, et, de notre autorité, nous le condamnons à mort.

Bien que Theramenês se fût déjà occupé deus fois d’abattre la démocratie, cependant l’habitude qu’avaient tous les Athéniens de chercher une protection dans les formes constitutionnelles était telle, que probablement il se croyait sauvé par le verdict favorable du sénat, et qu’il n’était pas préparé à la monstrueuse et despotique sentence qu’il entendait alors prononcer par son ennemi. Il se précipita aussitôt sur le Foyer sénatorial, — autel et sanctuaire dans l’intérieur du palais du sénat, et s’écria : — Moi aussi, sénateurs, je suis votre suppliant, ne demandant que la simple justice. Ne laissez pas au pouvoir de Kritias d’effacer de la liste mon nom ni celui de tout autre qu’il voudra :que la sentence qui me frappera, aussi bien que celle qui pourra vous frapper, soit rendue suivant la loi que ces Trente ont faite eux-mêmes. Je ne sais que trop bien que cet autel ne me servira pas de défense ; cependant je prouverai du moins que ces hommes sont aussi impies envers les dieux qu’ils sont scélérats à l’égard des hommes. Quant à vous, clignes sénateurs, je m’étonne que vous ne fassiez rien pour votre sûreté personnelle, puisque vous devez bien savoir que vos noms peuvent être effacés de la liste des Trois Mille tout aussi facilement que le mien.

Mais le sénat resta passif et stupéfié par la crainte, malgré ces paroles touchantes, qui peut-être ne furent pas parfaitement entendues, puisqu’il ne pouvait pas être dans la pensée de Kritias de permettre à son ennemi de parler une seconde fois. Ce fut probablement pendant que Theramenês prononçait ces mots, que l’on entendit la voix forte du héraut qui appelait les Onze pour qu’ils vinssent le prendre afin de le conduire en prison. Les Onze s’avancèrent dans le sénat, conduits par leur chef brutal Satyros, et suivis de leurs aides habituels. Ils allèrent droit à l’autel, d’où Satyros, assisté de ses aides, l’arracha de vive force, tandis que Kritias leur disait : Nous vous livrons ce Theramenês, condamné en vertu de la loi. Saisissez-le, menez-le en prison, et faites-y le nécessaire. Sur quoi, Theramenês fut arraché hors de la salle du sénat et conduit en prison, à travers la place du marché, se récriant à haute voix contre le traitement atroce qu’il souffrait. Tais-toi (lui dit Satyros) où il t’en arrivera mal. — Et si je ne me tais pas (répliqua Theramenês), ne m’en arrivera-t-il pas mal également ?

Il fut mené à la prison, où on lui servit bientôt la coupe habituelle de ciguë. Quand il l’eut avalée, il restait au fond de la coupe une goutte qu’il jeta sur le plancher — suivant la coutume badine des festins, appelée le Kottabos, qui, supposait-on, donnait un présage par le son que la liqueur produisait en tombant, et après lequel la personne qui venait de boire remettait le gobelet à l’hôte dont c’était ensuite le tour : — Voilà (dit-il) pour l’aimable Kritias[91].

 

À suivre

 

 

 



[1] L’assertion repose sur l’autorité d’Aristote, auquel s’en réfère le Scholiaste sur le dernier vers des Ranæ d’Aristophane. Et c’est là, que je sache, la seule autorité ; car lorsque M. Fynes Clinton (Fast. Hellen, ad ann. 406) dit qu’Æschine (de Fals. Legat., p. 38, c. 24) mentionne les ouvertures de paix, — je pense qu’en examinant le passage, personne n’inclinera à fonder sur lui quelque conclusion.

Nous pouvons faire observer contre cette assertion :

1° Xénophon ne la mentionne pas. C’est quelque chose, bien que ce soit loin d’être concluant, quand cela est seul.

2° Diodore ne la mentionne pas.

3° Les conditions que l’on prétend avoir été proposées par les Lacédœmoniens sont exactement les mêmes que l’on dit avoir été proposées par eux après la mort de Mindaros à Kyzikos, savoir :

Evacuer Dekeleia — chaque partie belligérante devant rester dans l’état où elle était. Non seulement les conditions sont les mêmes, — mais encore la personne qui était en avant comme s’y opposant est dans les deux cas la même : Kleophôn. Les ouvertures après la bataille des Arginusæ sont en fait une seconde édition de celles qui suivirent la bataille de Kyzikos.

Or, la supposition que dans deux occasions différentes les Lacédæmoniens aient fait des propositions de paix, et que Xénophon les laisse toutes deux sans les signaler, me parait extrêmement improbable. Par rapport aux propositions qui suivirent la bataille de Kyzikos, le témoignage de Diodore l’emportait, à mon avis, sur le silence de Xénophon ; mais ici Diodore se tait également.

De plus, la ressemblance exacte des deux événements allégués me fait croire que le second n’est qu’une répétition du premier, et que le Scholiaste, en citant d’après Aristote, prenait la bataille des Arginusæ pour celle de Kyzikos, qui fut de beaucoup la plus décisive des deux.

[2] Xénophon, Helléniques, II, 1, 1-4.

[3] Xénophon, Helléniques, II, I, 10-13.

[4] Diodore, XIII, 104 ; Plutarque, Lysandros, c. 8.

[5] Xénophon, Helléniques, II, 1, 14 ; Plutarque, Lysandros, c. 9.

[6] Lysias, Orat. XIII, Cont. Agoratos, sect. 13.

[7] Xénophon, Helléniques, II, 1, 15, 16.

[8] Cette visite rapide à travers la mer Ægée, aux côtes de l’Attique ou d’Ægina, n’est pas mentionnée dans Xénophon ; mais on la voit et dans Diodore et dans Plutarque (Diodore, XIII, 104 ; Plutarque, Lysandros, c. 9).

[9] Xénophon, Helléniques, II, 1, 18, 19 ; Diodore, XIII, 104 ; Plutarque, Lysandros, c. 9.

[10] Xénophon, Helléniques, II, 1, 20, 21.

[11] Xénophon, Helléniques, II, I, 22-24 ; Plutarque, Lysandros, c. 20 ; Diodore, XIII, 105.

[12] Xénophon, Helléniques, II, 1, 25 ; Plutarque, Lysandros, c. 10 ; c. 36.

Diodore (XIII, 105) et Cornélius Nepos (Alcibiade, c. 8) représentent Alkibiadês comme désirant être admis de nouveau à partager le commandement de la flotte, et comme promettant, si on lé lui accordait, de rassembler un corps de Thraces, d’attaquer Lysandros par terre, et de le forcer à combattre ou à se retirer. Plutarque (Alkibiadês, c. 37) parle aussi de promesses de cette sorte faites par Alkibiadês.

Toutefois il n’est pas vraisemblable qu’Alkibiadês ait avancé quelque chose aussi évidemment impossible. Comment pouvait-il amener une armée de Thraces pour attaquer Lysandros qui était sur le côté opposé de l’Hellespont ? Comment pouvait-il faire traverser le détroit à une armée de terre en face de la flotte de Lysandros ?

Ce que rapporte Xénophon (que j’ai suivi dans mon texte) est clair et intelligible.

[13] Xénophon, Helléniques, II, 1, 29 ; Lysias, Orat. XXI (Άπολ. Δωροδ.), 5. 12.

[14] Xénophon, Helléniques, II, 11 28 ; Plutarque, Lysandros, c. 11 ; Alkibiadês, c. 36 ; Cornélius Nepos, Lysandre, c. 8 ; Polyen, I, 45, 2.

Diodore (XIII, 106) représente différemment cette importante opération militaire ; il est beaucoup moins clair et moins digne de confiance que Xénophon.

[15] Xénophon, Helléniques, II, 1, 28.

[16] Xénophon, Helléniques, II, 1, 29 ; Diodore, VIII, 106. Cependant ce dernier diffère sur bien des points.

[17] Xénophon, Helléniques, II, 1, 31. Ce récit est donné avec des variantes dans Plutarque, Lysandros, c. 9, et par Cicéron, De Offic., III, 11. Là, c’est le pouce droit qui doit être coupé, — et il est prétendu que la détermination fut prise par rapport aux Æginètes.          

[18] Xénophon, Helléniques, II, 1, 32 ; Pausanias, IX, 32, 6 ; Plutarque, Lysandros, c. 13.

[19] Xénophon, Helléniques, II, 1, 32 ; Lysias, cont. Alkibiadês, A. s. 38 ; Pausanias, IV, 17, 2 ; X, 9, 5 ; Isocrate, ad Philipp., Or. V, sect. 70. Lysias, dans son Λόγος Έπιτάφιος (sect. 58), parle de la trahison, non pas toutefois comme chose certaine. Nous ne pouvons reconnaître distinctement combien il y eut de généraux athéniens pris à la bataille d’Ægospotami.

Cornélius Nepos (Lysandre, c. 1 ; Alcibiade, c. 8) signale seulement le désordre de l’armement athénien, et non la corruption des généraux, comme ayant causé sa défaite. Diodore ne mentionne pas non plus la corruption (XIII, 105).

Ces deux auteurs semblent avoir copié Théopompe, en décrivant cette bataille. Sa description diffère en bien des points de celle de Xénophon (Théopompe, Fragm. 8, éd. Didot).

[20] Démosthène, de Fals. Legat., p. 401, c. 57.

[21] Xénophon, Helléniques, II, 2, 3 ; Diodore, XIII, 107.

[22] Xénophon, Helléniques, II, 2, 2 ; Plutarque, Lysandros, c. 13.

[23] Cornélius Nepos, Lysandre, c. 2 ; Polyen, I, 45, 4. Il semblerait que c’est le même incident que Plutarque (Lysandros, c. 19) raconte comme si les victimes étaient les Milésiens, et non les Thasiens. Toutefois il est difficile que ce soient les Milésiens, — si nous comparons le ch. 8 de la Vie de Lysandros, par Plutarque.

[24] Plutarque, Lysandros, c. 13.

[25] Xénophon, Helléniques, II, 2, 6.

Selon moi, les mots σφαγάς τών γνωρίμων ποιήσαντες se rapportent à la violente révolution de Samos, décrite dans Thucydide, VIII, 21, — par laquelle l’oligarchie fut dépossédée et un gouvernement démocratique établi. Le mot σφαγας est employé par Xénophon (Helléniques, V, 4, 14) dans un passage subséquent pour décrire la conspiration et la révolution effectuées par Pélopidas et ses amis à Thêbes. Il est vrai que nous nous serions plutôt attendus au participe passé πεποιηκότες qu’à l’aoriste ποιήσαντες. Mais cet emploi du participe aoriste dans un sens passé n’est pas rare dans Xénophon : I, 1, 31 ; I, 7, 11 ; II, 2, 20.

Il me paraît extrêmement improbable que les Samiens aient choisi cette occasion pour faire un nouveau massacre de leurs citoyens oligarchiques, comme le représente M. Mitford. Les Samiens démocratiques ont dû être alors humiliés et intimidés, en voyant approcher leur réduction ; et déterminés seulement à tenir bon en se voyant déjà si gravement compromis par la première révolution. Et Lysandros ne les aurait pas épargnés personnellement plus tard, comme nous verrons qu’il le fît quand il les eut réellement en son pouvoir (II, 3, 6), s’ils avaient commis en ce moment un nouveau massacre politique.

[26] Xénophon, Mémorables, II, 8,1 ; II, 10, 4 ; Xénophon, Symposion, IV, 31. Cf. Démosthène, cont. Lept., c. 24, p. 491.

Un grand nombre de nouveaux propriétaires acquirent des terres dans la Chersonèse, grâce à l’empire lacédæmonien, sans doute à la place de ces Athéniens dépossédés ; peut-être en les achetant à bas prix, mais très probablement en se les appropriant sans achat (Xénophon, Helléniques, IV, 8, 5).

[27] Xénophon, Helléniques, I, 2, 1 ; Démosthène, cont. Leptin., c. 24, p. 474. Ekphantos et les autres exilés thasiens reçurent le don d’άτέλεις ou immunité des charges particulières imposées aux metœki à Athènes.

[28] Ce décret ou psêphisma intéressant de Patrokleidês est donné tout au long dans le discours d’Andocide, De Mysteriis, I, 76-80.

[29] Andocide, de Mysteriis, s. 76.

[30] Xénophon, Helléniques, II, 2, 11.

[31] Andocide, De Mysteriis, s. 80-101 ; Lysias, Orat. XVIII, De Bonis Niciæ Fratr., s. 9.

A quel moment particulier avait été rendu par l’assemblée athénienne le sévère décret de condamnation contre les exilés servant avec la garnison lacédæmonienne à Dekeleia, — c’est ce que nous ignorons. Le décret est mentionné par Lykurgue, cont. Leokrat., s. 132, 123, p. 164.

[32] Isocrate, adv. Kallimachum, s. 71. Cf. Andocide, De Reditu suo, s. 21, et Lysias, cont. Diogeit., Orat. XXXII, s. 22, au sujet de Kypros et de la Chersonèse, comme sources ordinaires de la fourniture de blé pour Athènes.

[33] Xénophon, Helléniques, II, 219 ; Diodore, XIII, 107.

[34] Xénophon, Helléniques, II, 2, 12-15 ; Lysias, cont. Agoratos, s. 10-12.

[35] Xénophon, Helléniques, II, 2, 16 ; Lysias, Orat. XIII, cont. Agoratos, s. 12 ; Lysias, Orat. XII, cont. Eratosthenês, s. 65-71.

V. une explication de la grande souffrance pendant le siège, dans Xénophon, Apolog. Sokratês, s. 18.

[36] Xénophon, Helléniques, II, 2, 15-21 : cf. Isocrate, Areopag., Or. VII, s. 73.

[37] Lysias, Orat. XIII, cont. Agoratos, s. 15, 16, 37 ; Orat. XXX, cont. Nikomach., s. 13-17.

Ce semble être l’histoire la plus probable quant à la mort de Kleophôn, bien que les récits ne s’accordent pas tous, et que l’assertion de Xénophon, en particulier (Helléniques, I, 7, 35), ne puisse pas être conciliée avec Lysias. Xénophon croyait que Kleophôn avait péri plus tôt que cette époque, dans une sédition, avant que Kallixenos eût fui en abandonnant la caution donnée. Il n’est guère possible que Kallixenos ait pu être encore sous le coup d’un jugement, le condamnant à fournir caution, pendant cette période de souffrance entre la bataille d’Ægospotami et la prise d’Athènes. Il doit avoir échappé avant cette bataille. La longue captivité d’une personne accusée avant le procès, — ni un long ajournement de ce dernier, quand l’accusé était sous le coup à un pareil jugement, — n’étaient en aucune sorte dans les habitudes athéniennes.

[38] Xénophon, Helléniques, II, 2,19 ; VI ; 5,35-46 ; Plutarque, Lysandros, c. 15.

Les Thêbains, peu d’années après, quand ils sollicitaient l’aide des Athéniens contre Sparte, désavouèrent cette proposition de leur délégué Erianthos, qui avait été le chef du contingent bœôtien servant sous Lysandros à Ægospotami, et qui à, ce titre avait eu l’honneur de voir sa statue élevée à Delphes, avec les autres chefs alliés qui prirent part à, la bataille, et avec Lysandros et Eteonikos (Pausanias, X, 9, 4).

C’est une des exagérations fréquentes dans Isocrate, pour servir un dessein actuel, de dire que les Thêbains furent les seuls parmi tons les confédérés péloponnésiens, qui rendirent ce vote cruel anti-athénien (Isocrate, Orat. Plataïc., Or. XIV. s. 34).

Démosthène dit que les Phokiens rendirent leur vote dans la même assemblée contre la proposition thébaine (Démosthène, De Fals Legat., c. 22, p. 361).

Il parait d’après Diodore, XV, 63, et Polyen, I, 451 5, aussi bien que d’après quelques passages de Xénophon lui-même, que les motifs des Lacédæmoniens, eu résistant ainsi à la proposition des Thébains contre Athènes, étaient fondés sur la politique plutôt que sur la générosité.

[39] Xénophon, Helléniques, II, 2, 20 ; Plutarque, Lysandros, c. 14 ; Diodore, XIII, 107. Plutarque donne les termes exprès du décret lacédæmonien, dont quelques-uns sont très embarrassants. La conjecture de G. Hermann a été adoptée dans le texte de Plutarque par Sintenis, quoiqu’elle semble très incertaine.

[40] Xénophon, Helléniques, II, 2. 23. Lysias (Orat. XII, cont. Eratosthenês, sect. 71) rejette le blâme de cette paix malheureuse et humiliante sur Theramenês, que l’on ne doit évidemment pas en rendre responsable : cf. Lysias, Orat. XIII, Cont. Agoratos, s. 12-20.

[41] Plutarque, Lysandros, c. 15. Il dit cependant que ce fut aussi le jour dans lequel les Athéniens gagnèrent la bataille de Salamis. C’est inexact : cette victoire fut remportée dans le mois Bœdromion.

[42] Xénophon, Helléniques, II, 2, 18.

[43] Xénophon, Helléniques, II, 2 ; 20 — II, 3, 8 ; Plutarque, Lysandros, c. 14.

[44] Plutarque, Lysandros, c.1.5 ; Lysias, cont. Agoratos, sect. 50.

[45] Xénophon, Helléniques, II, 2, 23. Plutarque, Lysandros, c. 15.

[46] Lysias, Cont. Eratosthenês, Or. XII, sect., 75, p. 431 R ; Plutarque, Lysandros, c. 15 ; Diodore, XIV, 3.

[47] Lysandros dédia à Athênê, dans l’acropolis, une couronne d’or qui est marquée dans les inscriptions parmi les articles appartenant à la déesse.

V. Bœckh, Corp. Inscr. Attic., n° 150-152, p. 235.

[48] Lysias, Or. XIII, cont. Agoratos, sect. 80.

[49] Xénophon, Helléniques, II, 2,18 - II, 3, 46 ; Plutarque, Vit. X. Orator., Vit. Lycurg., init.

M. E. Meier, dans son Commentaire sur Lykurgue, explique différemment de passage de Plutarque, de sorte que la personne qui y est spécifiée comme exilée serait, non Aristodêmos, mais le grand-père de Lykurgue. Mais je ne crois pas dette explication justifiée. V. Meier, Comm. De Lycurgi Vita, p. IV. (Halle, 1847).

Relativement à Chariklês, V. Isocrate, Orat. XVI, De Bigis, s. 52.

[50] V. la préface de Stallbaum au Charmidês de Platon, sa note sur le Timée de ce philosophe, p. 20 E, et les Scholies sur le même passage.

Kritias est présenté comme prenant une part remarquable à quatre des dialogues platoniques, — Protagoras, Charmidês, Timée et Kritias (le dernier, tel qu’il existe aujourd’hui, n’est qu’un fragment), — pour ne pas mentionner l’Eryxias.

On trouvera dans Schneidewin les faibles restes de la poésie élégiaque de Kritias, Delect. Poet. Græc., p. 136 sqq. Cicéron (De Orat., II, 22, 93) et Denys d’Halicarnasse (Judic. de Lysiâ, c. 2, p. 454 ; Jud. de Isæo, p. 627) signalent tous les deux ses compositions historiques.

Au sujet de la part de Kritias dans la mutilation des Hermæ, telle que l’affirmait Diognêtos, V. Andocide, De Mysteriis, s. 47. II était cousin germain d’Andocide, du côté maternel.

[51] Xénophon, Helléniques, II, 3, 35.

[52] Xénophon, Helléniques, II, 3, 35 ; Mémorables, I, 2, 24.

[53] Xénophon, Helléniques, II, 2.

[54] Lysias, cont. Agoratos, Or. XIII, s. 23, p, 132.

[55] Lysias, cont. Eratosthenês, Or. XII, s.78, p. 128, voyez comment Theramenês est représenté dans sa défense subséquente.

Le récit général de Xénophon, quelque maigre qu’il soit, s’accorde avec celui-ci.

[56] Lysias, cont. Eratosthenês, Or. XII, s. 44, p. 124.

[57] Lysias, cont. Agorat., Or. VIII, s. 28, p. 132 ; s. 35 ; p. 133.

Lysias représente l’accusation des généraux, et cette conduite d’Agoratos, comme étant survenues avant la reddition de la ville, mais après le retour de Theramenês rapportant les conditions définitives imposées par les Lacédæmoniens. Il colore ainsi le fait, qu’Agoratos, en éloignant les généraux fat la cause réelle pour laquelle on accepta la paix dégradante apportée par Theramenês. Si les généraux étaient restés libres (affirme-t-il), ils auraient empêché l’acceptation de cette paix dégradante, et auraient pu obtenir des Lacédæmoniens de meilleures conditions (V. Lysias, cont. Agorat., s. 16-20).

Sans contester en général les faits exposés par Lysias dans ce discours (prononcé longtemps après, V. s. 90), je crois qu’il les date mat, et qu’il les représente comme s’étant passés avant la reddition, tandis qu’ils se passèrent réellement après. Nous savons par Xénophon que quand Theramenês revint la seconde fois avec la paix réelle, le peuple était dans un tel état de famine, qu’attendre davantage était impossible ; la paix fût acceptée aussitôt que proposée : quelque cruelle qu’elle fat, le peuple fut content de l’avoir (Xénophon, Helléniques, II, 2, 22). En outre, comment Agoratos aurait-il pu être transporté avec deux vaisseaux hors de Munychia, quand le port était étroitement bloqué ? Et quel est le sens de έως τά πράγματα κατασταίη, rapporté à un moment précédant immédiatement la reddition ?

[58] Lysias, cont. Agorat., Or. XIII, s. 38, 60, 68.

[59] Lysias, cont. Eratosthenês, Or. XII, s. 74 ; cf. Aristote, ap. Schol. ad Aristophane, Vesp., 157.

[60] Xénophon, Helléniques, II, 3, 2.

[61] Lysias, Cont. Eratosthenês, Or. XII, s. 74-77.

[62] Xénophon, Helléniques, II, 3, 6-8.

[63] Xénophon, Helléniques, II, 2, 8.

[64] Plutarque, Lysandros, c. 16 ; Diodore, XIII, 106.

[65] Xénophon, Helléniques, II, 2111 ; Lysias, cont. Agorat., Orat. XIII, s. 23-84.

Tisias, le beau-frère de Chariklês, était membre de ce sénat (Isocrate, Or. XVI, De Bigis, s. 53).

[66] Platon, Epist. VII, p. 324 B ; Xénophon, Helléniques, II, 3, 54.

[67] Isocrate, cont. Kallimach., Or. XVIII, s. 6, p. 372.

[68] Lysias, Orat. XII, Cont. Eratosthenês, s. 6 p. 121.

[69] Platon, Epist. VII, p. 324 B. C.

[70] Lysias, cont. Agorat., s. 38.

[71] Lysias, cont. Agorat., s. 40.

[72] Lysias, cont. Agorat., s. 41.

[73] Lysias, cont. Eratosthenês, s. 18 ; Xénophon, Helléniques, II, 3, 51 ; Isocrate, Orat. XX, cont. Lochit., s. 15, p. 397.

[74] Xénophon, Helléniques, II, 3, 12, 28, 38.

[75] Xénophon, Helléniques, II, 3, 13.

[76] Xénophon, Helléniques, II, 3, 15, 23, 42 ; Isocrate, cont. Kallimach., Or. XVIII, s. 30, p. 375.

[77] Xénophon, Helléniques, II, 3, 42 ; II, 4, 14.

Isocrate, Orat. XVI, De Bigis, s. 46, p. 355.

[78] Plutarque, Vit. X. Orat., p. 838.

[79] Xénophon, Helléniques, II, 3, 39-41 ;            Lysias, Orat. XVIII, De Bonis Niciæ fratris, s. 5-8.

[80] Platon, Apol. Socrat., c. 20, p. 32.

Isocrate, cont. Kallimach., Or. XVIII, 23, p. 374. Cf. aussi Lysias, Or. XIII, cent. Eratosthenês. s. 32.

Nous apprenons par Andocide, de Myster., s. 91, que Melêtos fût un de ceux qui arrêtèrent Leôn à ce moment, et l’amenèrent pour être condamné. Il n’est pas probable que ce fût la même personne qui accusa Sokratês plus tard. C’était peut-être bien son père, qui portait le même nom ; mais il n’y a rien pour déterminer ce point.

[81] Platon, Apolog. Sokrat., ut sup. ; Xénophon, Helléniques, II, 4,9-23.

[82] Xénophon, Helléniques, II, 3, 17, 19, 48. Par la section 48, nous voyons que Theramenês fit réellement cette proposition.

Cette proposition, faite par Theramenês et rejetée par les Trente, explique le commentaire qu’il fit plus tard quand ils dressèrent leur catalogue ou rôle spécial de 3.000 ; commentaire qui autrement parait peu approprié.

[83] Thucydide, VIII, 89-92.

[84] Xénophon, Helléniques, II, 3, 18, 19 ; II, 4, 2, 8, 24.

[85] Xénophon, Helléniques, II, 3, 51.

[86] Xénophon, Helléniques, II, 3, 20,41 : c£. Lysias, Orat. XII, cont. Eratosth., s. 41.

[87] Xénophon, Helléniques, II, 3, 21 ; Isocrate, adv. Euthynum, s. 5, p. 401 ; Isocrate, cont. Kallimach., s.23, p. 375 ; Lysias, Or. XXV. Δημ. Καταλ. Άπολ., s. 21, p. 173.

Les deux passages d’Isocrate désignent suffisamment ce qu’a dû être cette liste ou κατάλογος ; mais le nom dont il l’appelle — ό μετά Αυσάνδρου (ou Πεισάνδρου) κατάλογος — n’est pas facile à expliquer.

[88] Lysias, Or. VI, cont. Andoc., s. 46 ; Or. XII, cont. Eratosth., s. 49.

[89] Xénophon, Mémorables, I, 2, I2.

[90] Lysias, Or. XII, cont. Eratosth., s. 8, 21. Lysias poursuivit Eratosthenês devant le dikasterion quelques années après, comme ayant causé la mort de Polemarchos. Les détails qui précèdent se trouvent dans le discours prononcé aussi bien que composé par lui-même.

[91] Xénophon, Helléniques, II, 3, 56.