HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIXIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — DEPUIS LE COMMENCEMENT DU SIÈGE DE SYRACUSE, PAR NIKIAS, JUSQU’A LA SECONDE EXPÉDITION ATHÉNIENNE SOUS DÉMOSTHENÊS, ET A LA REPRISE DE LA GUERRE GÉNÉRALE.

 

 

Les troupes athéniennes campées à Katane, fatiguées probablement de leur inaction, furent luises en mouvement au commencement du printemps (414 av. J.-C.), même avant l’arrivée des renforts- d7Atllènes, et firent -voile vers les murs abandonnés de Megara, non loin de Syracuse, où les Syracusains avaient récemment établi une garnison. Après avoir attaqué en vain la garnison syracusaine et dévasté les champs environnants, ils se rembarquèrent, débarquèrent de nouveau, pour des desseins semblables, è, l’embouchure du fleuve Terias ; puis, après une escarmouche insignifiante, retournèrent à Katane. Une expédition dans l’intérieur de l’île leur procura l’alliance de la ville sikel de Kentoripa ; et, la cavalerie étant alors arrivée d’Athènes ; ils se disposèrent à commencer les opérations contre Syracuse. Nicias avait reçu d’Athènes deux cent cinquante cavaliers complètement équipés, pour lesquels il devait se procurer dés chevaux en Sicile[1], — trente archers à cheval et trois cents talents en espèces. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour leur donner des chevaux d’Egesta et de Katane, ville de qui il redut également quelque autre cavalerie, de sorte qu’il fut bientôt en état de réunir six cent cinquante chevaux en tout[2].

Même avant que cette cavalerie pût être montée, Nikias opéra son premier mouvement pour s’approcher de Syracuse. En effet, les généraux syracusains de leur côté, informés de l’arrivée du renfort d’Athènes, et sachant que les opérations du siége étaient sur le point de commencer, jugèrent alors nécessaire de prendre la précaution d’occuper et de garder les routes amenant au terrain élevé d’Epipolæ qui, dominait leur ville extérieure.

Syracuse, à cette époque, se composait de deux parties, une ville intérieure et une ville extérieure. La première était comprise dans file d’Ortygia, l’établissement primitif fondé par Archias, et dans les limites duquel est enfermée aujourd’hui la ville moderne ; la seconde, ou ville extérieure, connue plus tard sous le nom d’Achradina, occupait le terrain élevé de la péninsule au nord d’Ortygia, mais ne, semble pas avoir rejoint la cité intérieure, ni avoir été comprise dans la même fortification. Cette cité extérieure était défendue, au nord et à l’est, par la mer, avec des rochers présentant de grandes difficultés pour un débarquement, — et par un mur aboutissant à la mer : de sorte que de ces côtés elle était à l’abri d’une attaque. Son mur du côté de la terre ; commençant à la mer un peu à l’est de l’entrée du ravin appelé aujourd’hui Santa Bonagia ou Panagia, courait d’abord ouest sud-ouest jusqu’à l’extrémité du terrain, élevé d’Achradina, et tournait ensuite à l’est le long des carrières de pierres connues actuellement sous le nom de carrières des Capucins et de Novanteris, où le terrain est en, partie si escarpé que probablement il fallait peu de fortification. Cette haute terre fortifiée d’Achradina constituait ainsi la ville extérieure ; tandis que le terrain plus bas, situé entre elle et la ville intérieure ou Ortygia, semble à cette époque n’avoir été enfermé dans les fortifications ni de l’une ni,de l’autre, mais était employé (et probablement l’avait été même dès le premier établissement dans l’île), en partie pour des processions religieuses, des jeux et autres cérémonies où se pressait la foule, — en partie pour l’enterrement des morts, qui, suivant la coutume invariable en Grèce, s’accomplissait en dehors des murailles de la ville. Des catacombes étendues restent encore pour marquer la longueur du temps pendant lequel cette ancienne Nekropolis servit à cet usage.

Au nord -ouest du mur de la ville extérieure, dans la direction du port appelé Trogilos, était un faubourg non fortifié, qui plus tard fut agrandi et devint la ville distincte de Tychê entourée de murs. A l’ouest de la partie méridionale du même mur dé la ville extérieure (presque au sud-ouest de la ville extérieure elle-même) se trouvait un autre faubourg,-connu et fortifié plus tard sous le nom de Neapolis, mais devant son nom, dans l’année 415 avant J.-C., à cette circonstance qu’il renfermait la statue et le terrain consacré d’Apollon Temenitês[3] (que l’on rencontrait après avoir gravi un lieu la pente de la colline d’Epipolæ), et s’étendant de là au sud dans la direction du Grand Port. Entre ces deux faubourgs, on trouvait un large espace ouvert, le terrain s’élevant en pente insensible à partir d’ Achradina, vers l’ouest, et diminuant de largeur à mesure qu’il s’élevait, jusqu’à ce qu’enfin il se terminât en un monticule conique appelé flans les temps modernes le Belvédère. Cette pente formait le versant oriental de la longue chaîne de terrain élevé, nommé Epipolæ. C’était un triangle sur un plan incliné, dont Achradina formait la base : au nord aussi bien qu’au sud, il était soudainement interrompu par des lignes de falaises de pierre calcaire (formant les côtés du triangle), hautes de quinze à vingt pieds environ, et tout à fait escarpées, excepté dans un petit nombre, d’ouvertures faites pour faciliter l’ascension. Du point occidental, ou sommet du triangle, la descente était aisée et insensible (à l’exception de deux ou trois hauteurs ou falaises spéciales) vers la ville, dont on apercevait le dedans du haut de cette pente extérieure[4].

Suivant la manière de faire la guerre dans ce temps, Nikias ne pouvait prendre la ville qu’en construisant un mur de circonvallation de façon à couper ses provisions par terre, et en même temps en la bloquant par mer. Or, en considérant la ville intérieure et la ville extérieure telles qu’elles sont décrites plus haut, au moment où il arriva pour la première fois en Sicile, nous voyons que — après avoir défait les Syracusains et les avoir refoulés clans leurs murs, ce qui devait être naturellement la première partie de l’opération —, il aurait pu mener son mur de blocus dans une direction presque méridionale à partir du point le plus intérieur du ravin de Santa Bonagia, entre le mur de la ville et le Temenitês, de manière à atteindre le Grand Port à un endroit peu éloigné à l’ouest de la jonction d’Ortygia avec le continent. Ou il aurait pu débarquer dans le Grand Port et exécuter le même mur, en commençant par l’extrémité opposée, ou bien il aurait pu préférer construire deux murs de blocus, un pour chaque ville séparément : un mur de peu d’étendue aurait suffi en face de l’isthme touchant à Ortygia, tandis qu’un mur séparé aurait pu être mené pour fermer la ville extérieure, à travers l’espace non fortifié constituant la Nekropolis, de manière à ne pas aboutir au Grand Port, mais à la cote de la Nekropolis opposée à Ortygia. Telles étaient les possibilités du cas à l’époque où Nikias arriva à Rhegium pour la première fois. Mais pendant les nombreux mois d’inaction qu’il avait laissé s’écouler, les Syracusains avaient écarté cette double possibilité, et grandement, augmenté les difficultés de son entreprise projetée. Ils avaient construit un nouveau mur, couvrant à la fois leur ville intérieure et leur ville extérieure, — s’étendant en travers de tout le front faisant face à la pente d’Epipolæ, depuis le Grand Port jusqu’à la mer opposée, près de Santa Bonagia, — et s’étendant à l’ouest de manière à comprendre dans son enceinte la statue et le terrain consacré d’Apollon Temenitês, avec la falaise adjacente connue sous le nom de falaise Téménite. Le but exprès de ce travail était d’allonger la ligne de circonvallation qui était indispensable aux assiégeants pour que leur mur bloquât complètement la ville[5]. Après qu’il fut achevé, Nikias ne pouvait pas commencer son blocus du côté du Grand Port, vu qu’il en aurait été empêché par la falaise méridionale escarpée d’Epipolæ. Il était dans la nécessité de faire partir son mur d’une portion du terrain plus élevé d’Epipolæ, et de le mener à la fois dans un plus grand espace, et plus haut sur la pente, jusqu’à ce qu’il touchât au Grand Port à un point plus éloigné d’Ortygia.

Syracuse étant par là devenue attaquable seulement du côté d’Epipolæ, la nécessité créée ainsi de porter les opérations beaucoup plus haut sur la pente, donna au sommet de cette éminence plus d’importance qu’elle n’en avait eu auparavant. Nikias, qui sans doute avait reçu des exilés de bonnes informations locales, semble avoir fait cette découverte plus tôt que les généraux syracusains, qui (ayant :été occupés à augmenter leurs défenses sur un autre point où ils étaient encore plus vulnérables) ne la firent qu’immédiatement avant l’ouverture de la campagne du printemps. Ce .fut à ce moment critique qu’ils annoncèrent -une revue générale, pour le lever du jour, dans la prairie basse située sur la rive gauche de l’Anapos. Après une inspection d’armes, et probablement une distribution finale des forces pour la prochaine lutte, un régiment d’élite de six cents hoplites fut placé sons les ordres d’un exilé andrien, nommé Diomilos, pour opérer comme garnison d’Epipolæ, aussi bien que pour être constamment prêt toutes les fois qu’il en serait besoin[6]. Ces hommes étaient destinés à occuper la forte position sur le sommet de la colline, et ainsi à en fermer toutes les diverses approches, vraisemblablement assez peu nombreuses, mais toutes étroites.

Mais avant qu’ils eussent encore achevé leur revue, pour marcher ap sommet, la nouvelle leur parvint que les Athéniens en étaient déjà maîtres. Nikias et Lamachos, embarquant leurs troupes à Katane, avaient fait voile la nuit précédente, vers un lieu de débarquement, non loin d’un endroit appelé Leôn ou le Lion, qui n’était qu’à douze ou quatorze cents mètres d’Epipolæ, et semble avoir été situé entre Megara et la péninsule de Thapsos. Ils y débarquèrent leurs hoplites, et mirent leur flotte en sûreté à l’abri d’une palissade en travers de l’isthme étroit de Thapsos, avant le jour et avant que les Syracusains fussent informés de leur arrivée. Leurs hoplites s’avancèrent immédiatement d’un pas rapide pour gravir Epipolæ, en montant vraisemblablement par le nord-est, du côté tourné vers Megara et le plus éloigné de Syracuse ; de sorte qu’ils parvinrent les premiers au point le plus haut appelé Euryalos, près du sommet du triangle décrit plus haut. De là ils commandaient la pente d’Epipolæ, au-dessous d’eux, et la ville de Syracuse, à l’est. Ils furent bientôt attaqués par les Syracusains, qui interrompirent leur revue dans la prairie aussitôt qu’ils en furent informés. Mais comme la route qu’ils avaient à suivre, abordant Euryalos par le sud-ouest, était sinueuse, et n’avait guère moins de trois milles (4 kilom. 800 mèt.) de longueur, — ils eurent la mortification de voir que les Athéniens étaient déjà maîtres de la position ; et quand ils se hâtèrent pour la reprendre, le lias accéléré avait mis tant de désordre dans leurs rangs que les Athéniens les attaquèrent avec un grand avantage, outre celui d’avoir le terrain le plus élevé. Les Syracusains furent repoussés dans leur ville avec perte, Diomilos s’étant retiré avec la moitié de son régiment ; tandis que les Athéniens restèrent maîtres du terrain élevé de l’Euryalos, aussi bien que de la portion supérieure de la pente d’Epipolæ[7].

Ce fut un avantage très important dans le fait vraisemblablement essentiel à la poursuite heureuse du siège. Il fut remporté par un plan a la fois bien conçu et bien exécuté, fondé sur la négligence des Syracusains à occuper un poste dont ils n’aperçurent pas d’abord l’importance, — et qui, en effet, ne dut son importance supérieure qu’au nouvel agrandissement donné par les Syracusains à leurs, fortifications. En conséquence, dans cette mesure, il dépendait d’un accident favorable auquel on n’aurait pas pu raisonnablement attendre. La prise de Syracuse était certaine, en supposant igue l’attaque et le siége de la ville eussent été commencés dès l’arrivée des Athéniens dans l’île, sans qu’on lui donnât le temps d’améliorer ses moyens de défense. Mais dès le moment qu’un tel délai était donné, le succès cessait d’être certain et dépendait plus ou moins de cette tournure favorable de l’accident. Les Syracusains firent réellement beaucoup pour créer aux assiégeants des difficultés de plus, et ils auraient pu faire davantage, surtout par rapport à l’occupation du terrain élevé au-dessus d’Epipolæ. S’ils avaient pris cette précaution, la poursuite efficace du siége aurait été rendue extrêmement difficile, — si elle n’avait pas été complètement rendue impossible.

Le lendemain matin, Nikias et Lamachos firent descendre à leur armée la pente d’Epipolæ, la conduisirent près des murs de Syracuse, et offrirent une bataille que l’ennemi n’accepta pas. Alors ils ramenèrent les troupes athéniennes ;, puis leur première opération fut de construire un fort sur la hauteur appelée Labdalon, près de l’extrémité occidentale des hautes falaises septentrionales confinant à Epipolæ, sur le bord de la falaise, et regardant au nord vers Megara. Ce fort était destiné à servir de lieu de sûreté où l’on pourrait déposer et les trésors et les provisions, de manière à laisser l’armée libre dans ses mouvements. La cavalerie athénienne étant complétée alors par les nouvelles arrivées d’Egesta, Nikias descendit de Labdalon vers une nouvelle position appelée Sykê, plus bas, en descendant sur Epipolæ, vraisemblablement à mi-chemin entre les falaises septentrionales et les méridionales. Là il construisit, aussi rapidement que possible, une enceinte entourée de murs, appelée le Cercle, destinée à servir de centre d’où le mur projeté de circonvallation devait partir pour aller au nord vers la mer, à Trogilos, et au sud vers le Grand Port. Ce cercle paraît avoir couvert un espace considérable, et de plus il était protégé par un ouvrage extérieur dont le front mesurait trois cents mètres[8]. Étonnés de la rapidité avec laquelle les Athéniens exécutaient cette construction[9], les Syracusains firent sortir leurs troupes et se préparèrent à livrer bataille pour l’interrompre. Mais lorsque les Athéniens, abandonnant l’ouvrage, se rangèrent de leur côté en ordre de bataille, — les généraux syracusains furent si frappés de leur supériorité manifeste dans l’arrangement militaire, en tant que comparé à l’état désordonné de leurs propres rangs, qu’ils firent rentrer leurs soldats dans la ville sans oser les engager ; ils laissèrent seulement un corps de cavalerie destiné à harceler les opérations des assiégeants et à les forcer de rester en masse. Toutefois la cavalerie athénienne, récemment acquise, fut appelée ici pour la première fois à livrer un combat effectif. Avec l’aide d’une tribu de ses propres hoplites, elle chargea la cavalerie syracusaine, la repoussa avec quelque perte, et éleva son trophée. C’est la seule occasion clans laquelle nous lisions que la cavalerie athénienne ait été appelée à combattre, bien que Nikias ait fait de l’absence de cavalerie le grand motif de son inaction prolongée.

Après avoir arrêté ainsi les tentatives d’interruption, Nikias continua ses opérations de blocus ; il acheva d’abord le Cercle[10], ensuite il commença son mur de circonvallation dans une direction septentrionale, à partir du Cercle, vers Trogilos. Dans ce dessein, une portion de ces forces fut employée à apporter des pierres et du bois, et à les déposer dans des endroits convenables le long de la ligne projetée. Hermokratês sentit si vivement l’infériorité des hoplites syracusains en rase campagne, qu’il dissuada de toute nouvelle action générale, et proposa de construire un ‘contre-mur ou mur transversal, traversant l’espace dans lequel la circonvallation athénienne devait être nécessairement continuée, de manière à en empêcher les progrès ultérieurs. Un contre-mur tenable, s’ils pouvaient avoir le temps de le conduire assez loin jusqu’à un point extrême susceptible d’être défendu, ruinerait complètement le dessein des assiégeants ; mais même si Nikias interrompait le travail par ses attaques, les Syracusains comptaient pouvoir fournir des forces suffisantes pour le repousser pendant le court intervalle de temps nécessaire pour construire à la hâte la palissade, soit l’ouvrage extérieur de face. Cette palissade leur servirait de défense temporaire, pendant qu’ils finiraient derrière elle le mur transversal qui demandait plus de soins ; et même, au pis aller, elle obligerait Nikias à suspendre tout ce qu’il était en train de faire et à employer toutes ses forces pour les déloger[11].

Conséquemment ils prirent leur point de départ de la poterne voisine du bois d’Apollon Temenitês, porte clans le nouveau mur élevé quatre ou cinq mois auparavant pour agrandir l’espace fortifié de la ville. De ce point, qui était plus bas sur la pente d’Epipolæ que le Cercle athénien, ils menèrent leur palissade et leur contre-mur, en montant la pente, dans une direction calculée de manière à couper la ligne projetée de la circonvallation de l’ennemi au sud du Cercle. La population maritime d’Ortygia put cure employée à cette entreprise, puisque la ville était encore complètement tranquille du côté de la mer, et maîtresse du Grand Port, — la flotte athénienne n’ayant pas quitté Thapsos. Outre cette foule active d’ouvriers, les oliviers sacrés dit bois Téménite furent coupés pour servir de matériaux, et grâce à ces efforts, on acheva bientôt le mur à une distance suffisante pour traverser et intercepter le mur de blocus destiné à venir au sud du Cercle. Il semble s’être terminé au bord de la falaise méridionale escarpée d’Epipolæ, ce qui empêchait les athéniens de le tourner et de l’attaquer en flanc ; tandis qu’il était défendu en face par une palissade, et, surmonté de tours de bois d’où l’on devait lancer des traits. On laissa une tribu d’hoplites pour le défendre, tandis que la foule des Syracusains qui avaient été employés soit au travail ; soit à la garde, retournèrent dans la ville.

Pendant toute cette opération, Nikias n’avait pas jugé prudent de les interrompre[12]. Occupé comme il semble l’avoir été au Cercle, et au mur partant du Cercle et se dirigeant vers le nord, il ne voulait pas traverser la pente d’Epipolæ, pour les attaquer avec la moitié de ses forces, en laissant ses derrières exposés à être attaqués par les nombreux. Syracusains de la ville, et son Cercle gardé seulement en partie. De plus, ce délai le mit à même de poursuivre sans obstacle sa propre partie de, la circonvallation, et de guetter une occasion d’attaquer le nouveau contre-mur avec avantage. Cette occasion se présenta bientôt, précisément au moment où il avait accompli le nouvel objet important, dont le but était de détruire les aqueducs qui fournissaient à la ville, du moins en partie, de l’eau pour boire. Les Syracusains paraissent avoir été remplis de confiance tant par l’achèvement de leur contre-mur, qui semblait un obstacle efficace opposé aux assiégeants, — que par son inaction. La tribu laissée à la garde du mur commença bientôt à se relâcher de sa vigilance : au lieu d’occuper le mur, on éleva, derrière, des tentes pour s’abriter du soleil du midi ; tandis que quelques-uns se permettaient même de prendre du repos, pendant cette heure, dans les murs de la ville. Cette négligence n’échappa point aux généraux athéniens, qui préparèrent en silence un assaut pour le midi. Trois cents hoplites d’élite, avec quelques troupes légères revêtues d’armures pour la circonstance, reçurent pour instructions de sortir soudainement et de courir droit attaquer la palissadé et le contre-mur ; tandis que le gros des forces athéniennes s’avançait en deux divisions, sous Nikias et Lamachos ; une moitié vers les murs de la ville pour empêcher tout secours de sortir des portes, -l’autre moitié vers la poterne Téménite, à partir de laquelle commençaient la palissade et le mur transversal. Le rapide mouvement en avant des trois cents hommes d’élite fût couronné d’un plein succès. Ils s’emparèrent et de la palissade et du contre-mur, faiblement défendus par leurs gardes, qui, pris par surprise, abandonnèrent leur poste et s’enfuirent en longeant leur mur par derrière, pour entrer dans la ville par la poterne Téménite. Toutefois, avant qu’ils y passent tous entrer, les trois cents qui les poursuivaient et la division athénienne qui marchait droit à ce point, s’étaient avancés en partie avec eux : de sorte que quelques-uns de ces assaillants s’introduisirent même avec eux, par la porte, slang l’intérieur du mur Téménite de la ville. Là, cependant, les forces syracusaines de l’intérieur étaient trop grandes pour eux : ces Athéniens et ces Argiens les plus avancés furent repoussés avec perte. Mais le mouvement général des Athéniens avait été complètement triomphant. Ils renversèrent le contre-mur, arrachèrent la palissade, et emportèrent les matériaux pour les faire servir à leur propre circonvallation.

Comme le récent contre-mur syracusain avait été mené jusqu’au bord de la falaise méridionale, ce qui le rendait inattaquable en flanc, — Nikias fut averti de la nécessité de devenir maître de cette falaise, de manière à priver les ennemis de la même ressource dans l’avenir. En conséquence, sans s’arrêter à finir son mur de blocus régulièrement et continûment à partir du Cercle, dans la direction du sud, en travers de la pente d’Epipolæ, il laissa le Cercle sous bonne garde, et se mit en marche sur-le-champ, pour s’emparer de la falaise méridionale, au point que le mur de blocus était destiné à atteindre. Ce point de la falaise méridionale, il le fortifia immédiatement comme position défensive, et par là il accomplit deux objets. D’abord, il empêchait les Syracusains d’employer de nouveau la falaise comme défense de côté pour un second contre-mur[13]. En second lieu, il acquérait le moyen d’avoir une : voie sûre et facile de communication entre le terrain élevé d’Epipolæ et le terrain bas et marécageux, situé au-dessous, qui séparait Epipolæ du Grand Port, et eu travers duquel le mur athénien de circonvallation devait nécessairement être bientôt conduit. Comme ses troupes devaient avoir à mener des opérations simultanées, en partie sur la hauteur au dessus, en partie sur le terrain bas au dessous, il ne :pouvait pas souffrir qu’elles fussent séparées les unes des autres par une falaise escarpée qui empêcherait une prompte assistance mutuelle. L’espace intermédiaire entre le Cercle et le point fortifié de la falaise fut provisoirement laissé avec un mur inachevé, en vue d’y revenir (ce qui fut fait effectivement plus tard, et cette partie du mur fut complétée à la fin). Pour le moment, le Cercle, bien qu’isolé, était assez fort pour résister à une attaque, et on y établit une garnison suffisante.

Ce nouveau mouvement enleva aux Syracusains la possibilité de mener un second contre-mur du même côté d’Epipolæ, puisque l’ennemi était maître de la falaise qui terminait le côté méridional de la pente. Ils tournèrent alors leurs opérations vers le terrain bas ou marais, entre la falaise méridionale d’Epipolæ et le Grand Port ; étant encore libres de ce côté, puisque la flotte athénienne n’avait pas quitté Thapsos. En travers de ce marais, — et vraisemblablement jusqu’au fleuve Anapos, pour servir de barrière de flanc, — ils résolurent de mener un ouvrage palissadé avec un, fossé, de manière à couper la ligne que les Athéniens devaient bientôt poursuivre en complétant la portion la plus septentrionale de la circonvallation. Ils poussèrent si activement le travail de cette nouvelle palissade transversale, commençant à la portion basse des murs de leur ville, et franchissant dans une direction sud-ouest le terrain bas pour gagner le fleuve Anapos, que dans le temps où la nouvelle fortification athénienne de la falaise était achevée, te nouvel obstacle syracusain l’était complètement aussi[14], et une palissade avec un fossé semblait empêcher les assiégeants d’arriver au Grand Port.

Lamachos surmonta la difficulté qu’il avait devant lui avec habileté et bravoure. Descendant inopinément, un matin avant l’aurore, de son fort sur la falaise, à Epipolæ, dans le terrain bas au dessous, — et munissant ses troupes de planches et de larges portes pour faire un pont par dessus le marais où il était à peine praticable, — il s’arrangea pour parvenir à la palissade et la surprendre aux premières lueurs du matin. Ordre fut en même temps donné pour que la flotte athénienne quittât Thapsos et se rendit dans le Grand Port, de manière à détourner l’attention de l’ennemi, et à aller sur les derrières du nouvel ouvrage palissadé. Mais avant que la flotte pût arriver, la palissade et le fossé avaient été emportés, et ses défenseurs chassés. Des forces syracusaines considérables sortirent de la ville pour les soutenir et la reprendre ; ce qui donna lieu à une action générale entre la falaise d’Epipolæ, le Port et le fleuve Anapos. La discipline supérieure des Athéniens leur donna l’avantage : les Syracusains furent défaits et repoussés de tous cotés ; de sorte que leur aile droite s’enfuit dans la ville, et leur aile gauche (comprenant la plus grande partie de leurs meilleures forces, les cavaliers), le long des rives du fleuve Anapos, pour gagner le pont. Exaltés par leur victoire, les Athéniens espérèrent leur couper cette retraite, et un corps l’élite de trois cents hoplites coururent rapidement, dans l’espoir de parvenir au pont les premiers. En exécutant ce mouvement précipité ils tombèrent dans un tel désordre glue la cavalerie syracusaine fit volte face pour se jeter sur eux, les mit en fuite et les refoula sur l’aile droite athénienne, à laquelle les fugitifs communiquèrent leur panique et leur désordre. Le sort de la bataille paraissait près de tourner contre les Athéniens, lorsque Lamachos, qui était à l’aile gauche, accourut à leur aide avec les hoplites argiens et autant d’archers qu’il en put réunir. Son ardeur l’entraîna imprudemment en avant, de sorte qu’il franchit un fossé avec un petit nombre de compagnons, avant que les autres troupes pussent le suivre. Là il fut attaqué et tué[15], dans un combat singulier avec un cavalier nommé Kallikratês ; mais les Syracusains furent repoussés quand ses soldats arrivèrent, et ils n’eurent que juste le temps de saisir et d’emporter son cadavre, avec lequel ils traversèrent le pont et se retirèrent derrière l’Anapos. Le mouvement rapide de ce vaillant officier fut ainsi couronné d’un plein succès, en rendant la victoire à son aile droite ; victoire chèrement achetée par la perte de sa propre vie[16].

Cependant, le désordre visible et la fuite momentanée de l’aile droite athénienne, et le départ de Lamachos de la gauche, allant pour la renforcer, donnèrent un nouveau courage à la droite syracusaine, qui avait fui dans la ville. Elle sortit de nouveau pour recommencer la lutte, tandis que ses généraux tentèrent une diversion en envoyant un détachement des portes au nord-ouest de la ville pour attaquer le Cercle athénien à mi-côte d’Epipolæ. Comme ce Cercle était complètement séparé et à une distance considérable de la bataille, ils espéraient trouver la garnison non prête pour une attaque, et l’emporter ainsi par surprise. Leur manœuvre, hardie et faite à temps, fut sur le point de réussir. Ils emportèrent, sans grande difficulté, l’ouvrage extérieur en avant, et le Cercle lui-même, probablement privé d’une partie de sa garnison envoyée pour renforcer les combattants dans le terrain bas, ne fut sauvé que par la présence d’esprit et l’expédient de Nikias, qui était malade dans l’intérieur. Il ordonna aux serviteurs de mettre le feu à une quantité de bois qui se trouvait avec les engins de siège de l’armée sur le devant du mur du Cercle ; de sorte que les flammes empêchèrent les assaillants d’avancer plus loin ; et les forcèrent de se retirer. Les flammes servirent aussi de signal aux Athéniens engagés dans la bataille au dessous, qui envoyèrent immédiatement des renforts au secours de leur général ; tandis qu’en même temps la flotte athénienne, qui venait d’arriver de Thapsos, entrait dans le Grand Fort. Ce dernier événement, qui menaçait les Syracusains d’un nouveau côté, attira toute leur attention sur la défense de leur ville. On il rappela les combattants du champ de bataille et le détachement du Cercle[17].

Si la récente tentative sur le Cercle eût réussi, entraînant avec elle la mort ou la prise de Nikias, et combinée arec la mort de Lamachos dans le combat du même jour, — les espérances des Syracusains eussent été grandement relevées, et le progrès ultérieur du siège eût même été arrêté, faute d’un commandant autorisé. Mais, malgré un danger si imminent, le résultat réel de la journée laissa les Athéniens complètement victorieux et les Syracusains plus découragés que jamais. Ce qui contribua essentiellement à leur découragement, ce fut l’entrée récente de la flotte athénienne dans le Grand Port, où elle fut dorénavant établie d’une manière permanente, en coopération avec l’armée, dans une station voisine de la rive gauche de l’Anapos.

La flotte et l’armée commencèrent alors toutes deux à N’appliquer sérieusement à la construction de la partie la plus méridionale du mur de circonvallation ; commentant immédiatement au-dessous du point de descente de la falaise méridionale d’Epipolæ fortifié par les Athéniens, et s’étendant à travers le terrain bas et marécageux jusqu’au Grand Port. La distance entre ces deux points extrêmes était d’environ huit stades ou presque un mille anglais (1 kilom. 600 m.). Le mur était double, avec des portes, et probablement des tours, à intervalles convenables, — renfermant un espace d’une largeur considérable, couvert sans doute en partie d’un toit, puisqu’il servit plus tard, à l’aide de la citadelle adjacente sur la falaise, d’abri et de défense pour toute l’armée athénienne[18]. Les Syracusains ne pouvaient interrompre cette opération, ni entreprendre un nouveau contre-mur à mi-côte d’Epipolæ, sans sortir pour engager une bataille générale, ce qu’ils ne se sentaient pas capables de faire. Naturellement le Cercle avait alors été mis en état de défier une seconde surprise.

Mais ils ne furent pas seulement forcés ainsi de regarder faire sans empêcher le mur de blocus du côté du port. Ce fut alors, pour la première fois, qu’ils commencèrent à éprouver la gêne et les privations réelles d’un siège[19]. Jusqu’à ce moment, leurs communications avec l’Anapos et le pays situé au delà, aussi bien qu’avec tous les côtés du Grand Port, avaient été ouvertes et libres ; tandis que maintenant l’arrivée de la flotte athénienne et le changement de position de l’armée athénienne les leur avaient coupées des deux côtés[20], de sorte qu’il ne pouvait leur arriver que peu ou point de nouvelles provisions, si ce n’est au risque d’être la proie des vaisseaux ennemis. Du côté de Thapsos, où la falaise méridionale d’Epipolæ ne présente que deux ou trois passages praticables d’ascension, ils avaient été bloqués auparavant par l’armée et par la flotte des Athéniens, et une portion de la flotte semble avoir encore été laissée à Thapsos. Il ne restait actuellement rien d’ouvert, si ce n’est une partie, surtout celle du nord, de la pente d’Epipolæ. Sans doute les assiégés, et surtout leur nombreuse cavalerie, profitaient de cette issue pour faire des excursions et rapporter des provisions. Mais elle était à la fois plus longue et plus détournée pour de tels objets que la plaine voisine du Grand Port et que la route Helôrine ; de plus, elle avait à passer par le haut et étroit défilé d’Euryalos, et pouvait ainsi être rendue, inutile pour les assiégés si Nikias jugeait bon d’occuper et de fortifier cette position. Malheureusement pour lui-même et pour son armée il négligea cette précaution facile, mais capitale, même au moment où il devait connaître l’approche de Gylippos.

Quant aux travaux entrepris à ce moment, on peut expliquer d’une manière satisfaisante l’ordre suivi par Nikias et Lamachos. Après avoir établi leur poste fortifié sur le centre de la pente d’Epipolæ, ils étaient en état de combattre toute opposition et d’attaquer tout contre-mur de quelque côté que l’ennemi l’élevât. Commençant en premier lieu l’exécution de la portion septentrionale de la ligne de blocus, ils y renoncèrent bientôt et tournèrent leur attention vers la portion méridionale, parce que c’était là que les Syracusains construisaient leurs deux premiers contre ouvrages. En attaquant le second contre ouvrage des Syracusains, élevé en travers du marais de l’Anapos, ils choisirent un moment convenable pour amener le gros de la flotte de Thapsos dans le Grand Port, en vue d’avoir sa coopération. Après avoir nettoyé le terrain bas, probablement ils jugèrent sage, afin d’établir une communication sûre et facile, avec leur flotte, que le double mur, traversant le marais, depuis Epipolæ jusqu’au Port, fût exécuté le premier ; il y avait pour cela une autre raison, — c’est que par là ils bloquaient la sortie et le canal de provisions les plus commodes pour Syracuse. Il y a ainsi des motifs plausibles pour expliquer pourquoi la portion septentrionale de la ligne de blocus, depuis le camp athénien sur Epipolæ jusqu’à la mer à Trogilos, fut laissée pour être exécutée en dernier, et fut trouvée ouverte, — du moins dans sa plus grande partie, — par Gylippos.

Tandis que les Syracusains commençaient ainsi à désespérer de leur situation, les espérances des Athéniens étaient plus grandes que jamais. Les rapports qui circulaient dans les villes voisines les représentaient tous dans une veine complète de succès, de sorte que beaucoup de tribus sikels, hésitant jusque-là, en vinrent à offrir leur alliance ; tandis que trois pentekontêres armés arrivaient également de la côte tyrrhénienne. En outre, d’abondantes provisions étaient fournies par les Grecs italiens en général. Nikias, actuellement seul commandant depuis la mort (le Lamachos, eut même la gloire de recevoir et de discuter des propositions venant de Syracuse pour une capitulation, — nécessité qui fut ouvertement et abondamment débattue dans l’intérieur de la ville elle-même. L’échec d’Hermokratês et de ses collègues les avait fait destituer récemment de leurs fonctions de généraux, — auxquelles on nomma Herakleidês, Euklês et Tellias. Mais ce changement n’inspira pas aux Syracusains assez de confiance pour hasarder une nouvelle bataille ; tandis que les esprits dans la ville, pendant cette période d’inaction forcée, étaient tristes au plus haut point. Bien que plusieurs propositions de reddition, peut-être non officielles, toutefois vraisemblablement sincères, fussent faites à Nikias, on ne put tomber d’accord sur riels de définitif quant aux conditions[21]. Si le gouvernement syracusain eût été oligarchique, la détresse présente aurait fait voir un corps considérable de mécontents sur lesquels il aurait pu agir avec avantage ; mais le caractère démocratique du gouvernement entretenait l’union à l’intérieur dans ce moment d’épreuve[22].

Nous devons remarquer particulièrement ces propositions, afin de comprendre la conduite de Nikias pendant l’intervalle critique actuel. Il avait été dès le commencement en correspondance secrète avec un parti de, Syracuse[23], qui, bien que ni nombreux, ni puissant en lui-même, était sans doute alors et plus actif et plus influent qu’il ne l’avait jamais été auparavant. Il recevait de lui des assurances constantes et non déraisonnables que la ville était sur le point de se rendre, et ne pouvait pas tenir. Et comme le ton d’opinion au dehors, aussi bien qu’à l’intérieur, conspirait à produire cette impression dans son esprit, il se laissa aller à une langueur et à une sécurité fatales quant à la poursuite ultérieure des opérations du siège. Les conséquences funestes de la mort de Lamachos devinrent alors évidentes. Depuis le moment du départ de Katane jusqu’à la bataille dans laquelle périt ce vaillant officier (période vraisemblablement d’environ trois mois, de mars à juin, 414 av. J.-C. environ), les opérations du siée avaient été menées avec une grande vigueur aussi bien qu’avec une persévérance incessante ; tandis que le travail ale construction en particulier avait été si rapidement exécuté qu’il avait rempli les Syracusains d’étonnement. Mais aussitôt que Nikias reste seul commandant, cette marche vigoureuse disparaît et fait place à la mollesse et à l’apathie. On aurait pu s’attendre à ce que le mur traversant le terrain bas près du Port avançât plus rapidement, vu que la position athénienne en général était plus forte, — que la chance d’opposition de la part des Syracusains était très affaiblie, et que la flotte avait été amenée dans le Grand Port pour coopérer. Toutefois, dans le fait, il semble avoir marché plus lentement : Nikias le construit d’abord comme un double mur, bien qu’il eût été possible de compléter la ligne entière de blocus avec un seul mur avant l’arrivée de Gylippos, et plus tard, s’il était nécessaire, de le doubler, soit complètement, soit en partie, au lieu de rester si longtemps à achever cette seule portion, et de permettre à Gylippos d’arriver avant qu’elle fût terminée, à peine moins de deux mois après la mort de Lamachos. Les assiégeants et leur commandant semblent maintenant considérer le succès comme certain, sans aucune chance d’interruption effective qui viendrait de l’intérieur, — et encore moins du dehors ; de sorte qu’ils peuvent prendre leur temps pour exécuter le travail, sans s’inquiéter s’il sera achevé définitivement un mois plus tôt, un mois plus tard.

Bien que telle fût la disposition actuelle des troupes athéniennes, Nikias aurait sans doute pu les aiguillonner et accélérer les opérations s’il avait lui-même été convaincu de la nécessité de le faire. Jusque-là, nous l’ayons vu toujours donner trop d’importance aux sombres éventualités de l’avenir, et disposé à compter sur la plus mauvaise chance possible. Mais une grande partie de ce qui passe pour prudence dans son caractère était dans le fait de la lenteur et de l’inertie de tempérament, aggravées par le triste surcroît d’une pénible maladie interne. S’il perdit dans l’indolence les six premiers mois qui suivirent son arrivée en Sicile, et s’il ne profita pas suffisamment des deux mois actuels de position triomphante devant Syracuse, ces deux fautes provinrent de la même cause, — la répugnance à agir, si ce n’est sous la pression et l’aiguillon de quelque nécessité évidente. Conséquemment il était toujours en arrière des événements ; mais quand la nécessité devenait terrible, de manière à abattre l’énergie d’autres hommes, — alors il se mettait en avant et déployait une vigueur inaccoutumée, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Niais à ce moment, délivré de toute urgence de danger apparent, et abusé par les espérances trompeuses qu’entretenait sa correspondance dans la ville, combinées avec l’atmosphère de succès qui remplissait d’une joie confiante son propre armement, — Nikias crut la reddition de Syracuse inévitable, et devint, pendant un court moment qui précéda sa fin calamiteuse, non seulement plein de confiance, mais même insouciant et présomptueux à l’excès. Il ne fallait rien moins que cette présomption pour laisser pénétrer son ennemi destructeur, Gylippos[24].

Cet officier, — nommé par les Lacédœmoniens commandant en Sicile, dans l’assemblée d’hiver à laquelle Alkibiadês avait parlé à Sparte, -s’était occupé à réunir des forces en vue de l’expédition. Niais les Lacédæmoniens, bien qu’assez stimulés par les représentations de l’exilé athénien pour promettre leur aide, ne s’empressaient pas d’accomplir leur promesse. Même les Corinthiens, décidément les plus ardents de tous en faveur de Syracuse, étaient cependant si lents qu’au mois de juin Gylippos était encore à Leukas, avec son armement non tout à fait prêt à partir. S’embarquer dans une escadre pour la Sicile contre la nombreuse et excellente flotte athénienne, qui y agissait alors, était un service qui ne séduisait personne, et qui demandait à la fois de l’audace et du dévouement personnels. De plus, chaque vaisseau venant de Sicile, entre mars et juin 414 avant J.-C., apportait la nouvelle d’un succès progressif de la part de Nikias et de Lamachos, — rendant ainsi les perspectives d’avoir pour auxiliaires les Corinthiens plus décourageantes encore.

Enfin, au mois de juin, arriva la nouvelle de la défaite des Syracusains dans laquelle fut tué Lamachos, et de ses importantes conséquences par rapport aux opérations des assiégeants. Quelque grandes que fussent ces conséquences, elles furent encore plus exagérées par le rapport. II fut affirmé avec confiance, par messager sur messager, que le mur de circonvallation avait été achevé et que Syracuse était actuellement investie de tous les côtés[25]. Gylippos et les Corinthiens furent également trompés au point de croire qu’il en était ainsi, et désespérèrent, en conséquence, d’être en état de prêter aucun secours efficace contre les Athéniens en Sicile. Mais comme il restait encore l’espoir de pouvoir sauver les villes grecques d’Italie, Gylippos jugea important d’y passer immédiatement avec sa propre escadre de quatre vaisseaux, — deux lacédæmoniens et deux corinthiens, et le capitaine corinthien Pythên, en laissant le gros de l’escadre corinthienne suivre aussitôt qu’il serait prêt. Comme il projetait alors d’agir en Italie, Gylippos ne craignit pas de rencontrer la flotte athénienne : il fit voile d’abord vers Tarente, ville amie et chaudement dévouée à sa cause. De là il entreprit une course vers Thurii, où son père Kleandridas, exilé de Sparte, avait naguère résidé comme citoyen. Après avoir essayé de profiter de cette ouverture dans le dessein de gagner les Thuriens, et n’avoir rencontré qu’un refus, il passa plus au sud, jusqu’à ce qu’il arrivât vis-à-vis du golfe Térinæen, près du cap sud-est de l’Italie. Là il fut surpris, à la hauteur de la terre, par un violent coup de vent qui exposa ses vaisseaux aux plus grands dangers, et le rejeta en pleine mer, jusqu’à ce qu’enfin, courant dans une direction septentrionale, il fût assez heureux pour trouver de nouveau refuge à Tarente[26]. Mais les avaries que les vaisseaux avaient éprouvées étaient telles, qu’il fut forcé d’y rester pendant qu’ils étaient tirés sur le rivage et en réparation[27].

Un retard si malencontreux menaçait d’arrêter complètement sa marche ultérieure. Car les Thuriens avaient donné avis de sa visite, aussi bien que du nombre de ses vaisseaux, à Nikias à Syracuse ; traitant avec mépris l’idée de quatre trirèmes venant attaquer la puissante flotte athénienne. Dans la phase confiante actuelle de son caractère, Nikias entra dans le sens flatteur du message, et ferma les yeux sur la gravité du fait annoncé. Il méprisa Gylippos comme un simple corsaire, et il ne prit même pas la précaution d’envoyer quatre vaisseaux de sa nombreuse flotte pour surveiller et arrêter le nouveau venu. En conséquence Gylippos, après avoir réparé ses vaisseaux à Tarente, avança vers le sud le long de la côte sans opposition jusqu’à la ville de Lokri Epizéphyrienne. Il y apprit pour la première fois, à sa grande satisfaction, que Syracuse n’était pas encore si -complètement bloquée, mais qu’une armée pouvait encore y arriver et lui porter secours en venant de l’intérieur, et en y entrant par l’Euryalos et les hauteurs d’Epipolæ. Après avoir délibéré s’il courrait la chance de faire entrer ses vaisseaux clans le port de Syracuse, en dépit de la surveillance de la hotte athénienne, ou s’il franchirait le détroit de Messine pour se rendre à Himera au nord de la Sicile, et de là lèverait une armée pour traverser l’île et secourir Syracuse par terre, — il se décida pour ce dernier parti, et franchit immédiatement le détroit, qu’il ne trouva nullement gardé. Après avoir touché tant à Rhegium qu’à Messênê, il arriva sans accident à Himera. Même à Rhegium, il n’y avait pas de forces navales athéniennes ; bien que Nikias, il est vrai, y eût envoyé quatre trirèmes athéniennes, après qu’il eut appris que Gylippos était arrivé à Lokri, — plutôt par excès de précaution, que parce qu’il le jugeait nécessaire. Mais cette escadre athénienne parvint trop tard à Rhegium : Gylippos avait déjà franchi le détroit, et la fortune, frappant son ennemi d’aveuglement, faisait descendre sans obstacle le général lacédæmonien sur le sol fatal de la Sicile.

L’aveuglement de Nikias paraîtrait en effet inexplicable, si ce n’est que nous aurons pire encore à raconter. Pour faire apprécier complètement son erreur, — et pour faire comprendre que nous ne le rendons pas responsable des résultats qu’il n’avait pas pu prévoir, -nous n’avons qu’à revenir à ce qui avait été dit six mois auparavant par l’exilé Alkibiadês à Sparte : — Envoyez sur-le-champ une armée en Sicile (conseillait-il aux Lacédæmoniens), — mais envoyez en même temps,ce qui sera encore plus précieux qu’une armée,un Spartiate pour prendre le commandement suprême. C’était pour avoir égard à cette recommandation, dont la sagesse sera abondamment prouvée, que Gylippos avait été nommé. Et fait-il même arrivé à Syracuse seul dans un bateau pêcheur, l’effet de sa présence, apportant le grand nom de Sparte avec la pleine assurance d’une intervention spartiate à venir, sans mentionner ses grands talents personnels, aurait suffi pour donner une nouvelle vie aux assiégés. Cependant Nikias, — ayant, par un heureux hasard, été averti à temps de son approche, quand une escadre de quatre vaisseaux l’aurait empêché d’arriver dans l’île, — dédaigne même cette précaution si facile, et le néglige comme un flibustier insignifiant. Cette négligence aussi est d’autant plus surprenante, que les tendances philo-lakoniennes bien connues de Nikias nous auraient amené à croire qu’il donnerait trop d’importance à l’ascendant imposant du nom spartiate plutôt que de ne pas lui en donner assez.

Gylippos, en arrivant à Himera, en qualité de commandant nommé par Sparte et s’annonçant comme précurseur de renforts péloponnésiens, trouva une réception cordiale. Les Himéræens consentirent à l’aider avec un corps d’hoplites, et à fournir des armures pour les marins de ses vaisseaux. En envoyant à Sélinonte, à Gela, et dans quelques-unes des tribus sikels de l’intérieur, il reçut des assurances également favorables : de sorte qu’il fut en état, dans un temps assez court, de réunir des forces respectables. L’intérêt pour Athènes chez les Sikels avait été récemment affaibli par la mort de l’un de ses partisans les plus actifs, le prince sikel Archonidês, — circonstance qui à la fois permit à Gylippos d’obtenir d’eux plus de secours, et facilita sa marche à travers l’île. Il put entreprendre cette marche dans l’intérieur des terres, d’Himera à Syracuse, à la tête de 700 hoplites de ses propres vaisseaux, marins et epibatæ réunis, — de 1000 hoplites et troupes légères, avec 100 chevaux d’Himera, et quelques chevaux et troupes légères de Sélinonte et de Gela, et de 1000 Sikels[28]. C’est avec ces forces, dont quelques-unes se joignirent à lui dans sa marche, qu’il atteignit Euryalos et les hauteurs d’Epipolæ au-dessus de Syracuse, — attaquant en route et prenant le fort sikel d1etie, mais sans rencontrer d’autre apposition.

Il arriva presque trop tard, — et il serait réellement arrivé trop tard, si l’amiral corinthien Gongylos n’était venu à Syracuse un peu avant lui. La flotte corinthienne de douze trirèmes, sous Erasinidês, — étant partie de Leukas plus tard que Gylippos, mais aussitôt qu’elle avait été prête, — était alors en route pour Syracuse. Mais Gongylos avait été retenu à Leukas par un accident, des rte qu’il ne partit qu’après tout le reste. Cependant il parvis le premier à Syracuse, probablement en suivant une route plus directe à travers la mer, et favorisé par le temps. Il pénétra sans accident dans le port de Syracuse, en échappant aux, vaisseaux île garde athéniens, dont la surveillance participait sans doute de la négligence générale des opérations du siège[29].

L’arrivée de Gongylos à ce moment fut un hasard d’une importance inexprimable, — et, dans le fait, elle ne fut rien moins que le salut de la ville. Entre toutes les causes du désespoir qui accablait l’esprit syracusain, il n’y en avait aucune de plus puissante que la circonstance qu’ils n’avaient encore entendu parler d’aucun secours arrivant du Péloponnèse, ni d’aucune intervention active de sa part en leur faveur. Leur découragement augmentant de jour en jour, et l’échange de propositions avec Nikias devenant plus fréquent, les choses en étaient venues à ce point qu’une assemblée publique était justement près d’être tenue pour sanctionner une capitulation définitive[30]. Ce fut dans cette conjoncture critique qu’arriva Gongylos, apparemment un peu avant que Gylippos parvînt à Himera. Il fut le premier à annoncer que la flotte corinthienne et un commandant spartiate étaient alors réellement en route, et pouvaient être immédiatement attendus, — nouvelle qui remplit les Syracusains d’enthousiasme et leur rendit le courage. Aussitôt ils rejetèrent toute idée de capitulation, et résolurent de tenir bon jusqu’à la fin.

Ce ne fut pas longtemps avant qu’ils reçussent avis que Gylippos était parvenu à Himera (ce que ne pouvait savoir Gongylos à son arrivée) et qu’il levait une armée pour traverser le pays et venir à leur secours. Après l’intervalle nécessaire pour ses préparatifs et pour sa marche (probablement pas moins de quinze jours à trois semaines), ils apprirent qu’il approchait de Syracuse par la route d’Euryalos et d’Epipolæ. On le vit bientôt venir, après qu’il eut gravi Epipolæ par Euryalos ; route par laquelle les Athéniens étaient venus de Katane au printemps, quand ils commencèrent le siège. Comme il descendait la pente d’Epipolæ, toute l’armée syracusaine sortit en corps pour saluer son arrivée et l’accompagner dans la ville[31].

Peu d’incidents dans tout le siège de Syracuse paraissent aussi inexplicables que ce fait, à savoir que les opérations et la marche de Gylippos, depuis son débarquement à Himera jusqu’au moment où il entra dans la ville, s’accomplirent sans la plus petite opposition de la part de Nikias. A partir de cet instant, les assiégeants passent d’une supériorité incontestable en rase campagne et d’une certitude apparente dans la perspective de prendre la ville, — à un état d’infériorité qui non seulement exclut toute espérance de la prendre, mais qui descend degré par degré jusqu’à une ruine absolue. Cependant Nikias était resté les yeux fermés et les bras croisés, sans faire le moindre effort pour empêcher l’accomplissement d’une chose si fatale. Après avoir méprisé Gylippos dans son voyage, le long de lit côte d’Italie, comme un flibustier, avec quatre vaisseaux, il le méprise maintenant non moins à la tête d’une armée partie d’Himera. S’il fut pris à l’improviste, comme il parait l’avoir été réellement[32], la faute en fut complètement à lui, et l’ignorance fut telle que nous devons presque l’appeler volontaire. Car il a dû bien connaître à l’avance l’approche de Gylippos. Il a dû apprendre, des quatre vaisseaux qu’il envoya à Rhegium, que Gylippos y avait déjà touché en traversant le détroit, en route pour Himera. Conséquemment, il a dû bien savoir que le but était de tenter de secourir Syracuse au moyen d’une armée venant de l’intérieur ; et sa correspondance avec les tribus sikels a dû, lui faire connaître l’équipement qui se faisait à Himera. De plus, si nous nous rappelons que Gylippos arriva à cette ville sans troupes ni armes, — qu’il eut à obtenir des forces, non seulement d’Himera, mais encore de Gela et de Sélinonte, — aussi bien qu’à sonder les villes sikels, qui n’étaient pas toutes amies ; — enfin, qu’il eut à traverser toute l’île, en partie par un territoire ennemi, — il est impossible d’accorder un intervalle moindre que quinze jours ou trois semaines entre son débarquement à Himera et son arrivée à Epipolæ. En outre, Nikias a dû apprendre, par ses intelligences à l’intérieur de Syracuse, la révolution importante qui s’était opérée dans l’opinion syracusaine, grâce à l’arrivée de Gongylos, même avant que le débarquement de Gylippos en Sicile fût connu : Il fut instruit, dés ce moment, qu’il avait à prendre des mesures, non seulement contre un renouvellement d’hostilité opiniâtre dans l’intérieur de la ville, mais contre un nouvel ennemi envahisseur venant du dehors. Enfin, cet ennemi avait d’abord à traverser toute la Sicile, marche pendant laquelle il aurait pu être gêné et peut-être défait[33] ; et il ne pouvait ensuite approcher de Syracuse que par une seule route — sur la hauteur d’Euryalos, à l’arrière des Athéniens, par des défilés peu nombreux, faciles à défendre, par lesquels Nikias lui-même s’était approché de la ville la première fois, et qu’il n’avait franchis que par un plan de surprise bien combiné. Cependant Nikias laisse ces défilés sans les occuper ni les défendre ; il ne prend aucune précaution nouvelle ; l’armée de secours entre dans Syracuse pour ainsi dire par une plaine large et libre.

Si nous sommes surpris de l’insouciance insolente avec laquelle Nikias dédaigna les précautions les plus ordinaires pour repousser l’approche connue à l’avance, par mer, d’un ennemi formidable même étant seul, — que devons-nous dire de cet inexplicable aveuglement qui l’amena à négliger le même ennemi quand il venait à la tête d’une armée de secours, et à omettre les moyens les plus évidents de défense dans une crise d’où dépendait son sort à venir ? Homère aurait appelé cette négligence un délire temporaire infligé par l’effrayante inspiration d’Atê : l’historien n’a pas un tel nom explicatif à donner, — il ne peut que la signaler comme un lamentable prélude, approprié aux malheurs qui ne sont que trop prochains.

Au moment où l’on laissait ainsi l’heureux auxiliaire spartiate entrer tranquillement dans Syracuse, le double mur athénien de circonvallation, entre la falaise méridionale d’Epipolæ et le Grand Port, de huit stades de long, était presque achevé : il ne manquait que quelques mètres à l’extrémité, près du port. Mais Gylippos eut soin de rie pas en interrompre l’achèvement. Il visait à de plus hauts objets, et il savait (ce que Nikias, par malheur, ne comprit jamais et n’apprit jamais pendant sa vie) l’immense avantage de profiter activement de cette première impression, de ce sentiment complet de confiance, que son arrivée venait de produire dans l’âme des Syracusains. A peine eut-il accompli sa jonction avec eux, qu’il rangea les forces combinées en ordre de bataille, et marcha aux lignes des Athéniens. Quelque surpris et interdits que fussent ces derniers par son arrivée inattendue, ils se formèrent aussi en ordre de bataille et attendirent son approche. Sa première démarche indiqua combien les avantages du jeu étaient changés E envoya un héraut leur offrir un armistice de cinq jours, à condition qu’ils rassembleraient leurs effets et se retireraient de l’île. Nikias dédaigna de faire réponse à cette insultante proposition ; mais sa conduite montra combien il sentait, aussi bien que Gylippos, que la fortune était actuellement changée. En effet, lorsque le commandant spartiate, remarquant alors pour la première fois l’état désordonné de ses hoplites syracusains, jugea à propos de se retirer dans le terrain plus ouvert, à une plus grande distance des murs, probablement afin d’avoir un espace meilleur pour sa cavalerie, — Nikias refusa de le suivre, et resta dans sa position tout près de ses fortifications[34]. Cette conduite équivalait à un aveu d’infériorité en rase campagne. C’était renoncer virtuellement à prendre Syracuse, — et admettre tacitement que les Athéniens ne pourraient à la fin espérer rien de mieux que l’offre humiliante que le héraut venait de leur faire. C’est ainsi que les deux parties semblent l’avoir compris ; car à partir de ce moment, et dorénavant, les Syracusains deviennent agresseurs, et continuent à l’être, les Athéniens restant toujours sur la défensive, si ce n’est pendant un court instant après l’arrivée de Demosthenês.

Après avoir fait retirer ses troupes et les avoir fait camper, pendant cette nuit sur la falaise Téménite (vraisemblablement dans l’enceinte fortifiée de Syracuse qui avait été ajoutée), Gylippos les fit sortir de nouveau le lendemain matin, et les rangea en face des lignes athéniennes, comme s’il se disposait à attaquer. Mais tandis que l’attention des Athéniens était occupée ainsi, il envoya un détachement pour surprendre le fort de Labdalon, qui n’était pas en vue de -leurs lignes. L’entreprise réussit complètement. Le fort fut pris, et la garnison passée au fil de l’épée ; tandis que les Syracusains remportèrent pendant le jour un autre avantage inattendu, en s’emparant de l’une, des trirèmes athéniennes qui surveillaient leur port. Gylippos poursuivit activement ses succès, en commençant immédiatement la construction d’un nouveau contre-mur, partant du mur de la ville extérieure, dans une direction nord-ouest, et gravissant de biais la pente d’Epipolæ, de manière à traverser la ligne projetée de la circonvallation athénienne, sur le côté nord de leur Cercle, et à rendre le blocus impossible[35]. Il profita, clans ce but, de pierres posées par les Athéniens pour leur propre circonvallation, et en même temps il les alarma en les menaçant d’une attaque sur le moins élevé de leurs murs (entre la falaise méridionale d’Epipolæ et le Grand Port), — qui venait alors d’être terminé, ce qui laissait leurs troupes disponibles pour l’action sur le terrain plus élevé. Il tenta une surprise nocturne contre une partie dé ce mur, qui semblait plus faible que le reste ; mais comme il trouva les Athéniens faisant bonne garde en dehors, il fut forcé de se retirer. Cette partie du mur fut alors exhaussée, et les Athéniens s’en chargèrent eux-mêmes, et répartirent leurs alliés le long du reste du retranchement[36].

Toutefois, ces attaques paraissent surtout avoir été destinées à servir de diversions, afin d’empêcher l’ennemi de s’opposer à l’achèvement du contre-mur. C’était alors le moment pour Nikias d’adopter de vigoureuses mesures agressives, tant contre le mur que contre les Syracusains en pleine campagne, — à moins qu’il ne préférât renoncer à tout espoir d’être jamais en état d’assiéger Syracuse. Et dans le fait, il semble réellement avoir abandonné cet espoir, même dès le début du siège, après qu’il eut semblé maître assuré de la ville. Car il entreprit alors une mesure tout à fait nouvelle, extrêmement importante en elle-même, mais indiquant un changement de plan dans sa politique : il résolut de fortifier le cap Plemmyrion, — le promontoire rocheux qui forme une des extrémités de l’entrée étroite du Grand Port, immédiatement au sud du point d’Ortygia, — et d’en faire une station principale et sûre pour sa flotte et ses provisions. La flotte avait été placée jusque-là dans le voisinage rapproché de l’armée de terre, dans une position fortifiée, à l’extrémité du double mur de blocus, entre la falaise méridionale d’Epipolæ et le Grand Port. De cette station dans l’intérieur du port, il était difficile pour les trirèmes athéniennes d’accomplir les devoirs dont elles étaient chargées, — à savoir de surveiller les deus ports de Syracuse (un de chaque côté de l’isthme qui réunit Ortygia à la terre ferme) de manière à empêcher toute sortie de vaisseaux du dedans, ou toute entrée de vaisseaux du dehors, — et d’assurer l’accès sans obstacle, par mer, aux provisions, pour leur propre armée. Pour ce double but, la station de Plemmyrion était beaucoup plus commode, et Nikias vit alors que dorénavant ses opérations seraient maritimes pour la plupart. Sans l’avouer ouvertement, il reconnaissait ainsi en pratique que la supériorité des forces de terre avait passé du côté de ses adversaires, et que poursuivre le blocus avec succès était devenu chose impossible[37].

Trois forts, l’un de dimensions considérables et deux subsidiaires, furent élevés sur le rivage du cap Plemmyrion, qui devint la station pour, les trirèmes et les gros bâtiments de charge. Bien que la situation fût trouvée commode pour toutes les opérations navales, elle présentait aussi de sérieux désavantages ; étant dépourvue de toute source d’eau, telle, que la mémorable fontaine d’Arethousa, sur l’île opposée d’Ortygia. De sorte que pour avoir de l’eau, ainsi que du bois, les équipages des vaisseaux avaient à franchir une distance considérable, exposés à être surpris par la nombreuse cavalerie syracusaine placée en garnison au temple de Zeus Olympios. De jour en jour on éprouvait des pertes de cette manière, outre les facilités plus grandes données à la désertion, qui bientôt diminua fatalement l’effectif de l’équipage de chaque vaisseau. Comme les espérances athéniennes de succès déclinaient actuellement, les esclaves et les nombreux étrangers qui servaient dans leur marine devinrent disposés à s’esquiver. Et bien que, jusqu’à cette époque, les vaisseaux de guerre eussent à peine’ été engagés dans une lutte réelle, cependant ils avaient été pendant bien des mois continuellement à flot et de garde, sans aucune occasion d’être tirés sur le rivage et réparés. Aussi l’armée navale, qui maintenant était sur le point d’être appelée à agir comme le principal espoir des Athéniens, se trouvait-elle déplorablement dégénérée de cette perfection fastueuse qu’elle avait déployée en partant du port de Peiræeus, quinze mois auparavant.

Si l’érection des nouveaux forts à Plemmyrion, en retirant les forces athéniennes, permit à Gylippos de poursuivre sans obstacle la construction de son contre-mur, elle l’enhardit en même temps par le déclin manifeste d’espérance qu’elle impliquait. Tous les jours il faisait sortir les Syracusains en ordre de bataille, et les plaçait près des lignes athéniennes ; mais les Athéniens ne montraient pas de disposition à attaquer. Enfin il profita de ce qu’il jugeait une occasion favorable pour attaquer lui-même ; mais le terrain était tellement entouré par divers murs, — les lignes fortifiées athéniennes d’un côté, le front syracusain ou fortification téménétique de l’autre, et le contre-mur actuellement en voie de construction sur un troisième, — que sa cavalerie et ses akontistæ n’eurent pas d’espace pour agir. En conséquence, les hoplites syracusains, ayant à combattre sans ces auxiliaires, furent battus et repoussés avec perte, le Corinthien Gongylos étant au nombre des morts[38]. Le lendemain, Gylippos eut la sagesse de prendre sur lui le blâme de cette défaite. C’était une conséquence de sa propre erreur (avouait-il publiquement), pour avoir fait choix d’un espace resserré, où ni cavalerie ni akontistæ ne pouvaient servir. Il leur fournirait bientôt (dit-il) une autre occasion, sur un terrain meilleur, et il les exhorta à montrer leur- supériorité naturelle comme Dôriens et Péloponnésiens, en chassant ces Ioniens avec leur vile foule d’insulaires hors de Sicile. Conséquemment, peu de temps après, il les ramena de nouveau en ordre de bataille, ayant soin, toutefois de rester dans un espace ouvert au-delà de l’extrémité des murs et des fortifications.

En cette occasion, Nikias ne refusa pas le combat, mais il s’avança dans l’espace ouvert à sa rencontre. Il se sentait probablement encouragé par le résultat du récent engagement ; mais il y avait un autre motif plus pressant. Le contre-mur d’intersection, que les Syracusains étaient en train de construire, était sur le point de couper la ligne athénienne de circonvallation, — de sorte qu’il était essentiel pour Nikias d’attaquer sans délai, à moins qu’il ne renonçât formellement à tout espoir ultérieur de réussir dans le siège. Et l’armée ne pouvait pas, malgré le ‘changement de fortune, s’interdire irrévocablement cette espérance, sans un combat de plus. Les deux armées furent donc rangées en ordre de bataille dans l’espace ouvert au-delà des murs, à mi-côte d’Epipolæ ; Gylippos plaçant sa cavalerie et ses akontistæ à la droite de sa ligne, sur le terrain le plus élevé et plus découvert. Au milieu de l’action engagée entre les hoplites des deux côtés, ces troupes de la droite chargèrent le flanc gauche des Athéniens avec une telle vigueur, qu’ils le rompirent entièrement. Toute l’armée athénienne essuya une défaite complète, et ne trouva d’abri que derrière ses lianes fortifiées. Et dans le courant de la nuit suivante même, le contre-mur syracusain fut poussé si loin qu’il traversa et dépassa la ligne projetée de blocus athénien, arrivant bientôt jusqu’à l’arête de la falaise septentrionale ; de sorte que Syracuse fut actuellement en sûreté, à moins que non seulement l’ennemi ne recouvrât sa supériorité en rase campagne, mais encore qu’il ne devint assez fort pour emporter d’assaut le mur nouvellement bâti[39].

Syracuse acquit une autre défense encore par l’arrivée sans accident de la flotte corinthienne, ambrakiotique et leukadienne de douze trirèmes sous Erasinidês, que Nikias avait tâché en vain d’intercepter. Il avait envoyé vingt voiles à la côte¢ méridionale de l’Italie ; mais les nouveaux venus furent assez heureux pour leur échapper.

Erasinidês et sa division prêtèrent leurs bras à l’exécution d’un ouvrage qui complétait le plan de défense pour la ville. Gylippos prit la précaution de construire un fort ou redoute sur le terrain élevé d’Epipolæ, de manière à commander l’approche de Syracuse de la hauteur d’Euryalos ; mesure à laquelle Hermokratês n’avait pensé que trop tard, et à laquelle Nikias n’avait jamais pensé du tout, pendant son époque de triomphe et de supériorité. Il éleva un nouveau fort[40] sur un point approprié du terrain élevé, l’appuya de trois positions fortifiées ou campements à des distances convenables sur ses derrières, destinées à des corps de troupes chargées de soutenir le poste avancé en cas d’attaque. Ensuite un mur continu fut mené de ce poste avancé jusqu’à la pente d’Epipolæ, de manière à atteindre et à rejoindre le contre-mur récemment construit ; par là ce contre-mur, qui déjà traversait et coupait la ligne athénienne de circonvallation, se trouva dans le fait prolongé en remontant toute la pente d’Epipolæ, et enleva ainsi aux Athéniens tout accès direct dans leurs lignes existantes jusqu’au sommet de cette éminence, aussi bien que jusqu’au haut de la falaise septentrionale. Les Syracusains eurent alors une seule ligne de défense continue et non interrompue : un long mur simple, s’appuyant à une extrémité contre le fort nouvellement bâti sur la hauteur d’Epipolæ, — à l’autre extrémité, contre le mur de la ville. Ce mur n’était que simple ; mais il était défendu dans toute sa longueur par les détachements permanents qui occupaient les trois diverses positions fortifiées ou campements qu’on vient de mentionner. Une de ces positions était occupée par des Syracusains indigènes ; une seconde par des Grecs siciliens ; une troisième par d’autres alliés. Tel fit le plan perfectionné et systématique de défense que le génie de Gylippos projeta d’abord, et qu’il mit à exécution au moment actuel[41] ; plan dont on appréciera toute l’importance quand nous en viendrons à décrire les opérations du second armement athénien sous Demosthenês.

Non content d’avoir mis les Syracusains hors des atteintes du danger, Gylippos profita du retour de leur confiance pour leur suggérer des projets de représaille contre l’ennemi qui les avait amenés si près de leur ruine. Ils se mirent à équiper leurs vaisseaux dans le port et à exercer leurs marins, dans l’espoir de se mettre en état de lutter avec les Athéniens même sur leur propre élément ; tandis que Gylippos lui-même quitta la ville pour visiter les diverses cités de l’île, et pour réunir de nouveaux renforts, navals aussi bien flue militaires. Et comme on prévoyait que Nikias, de son côté, demanderait probablement du secours à Athènes, — on envoya dans le Péloponnèse des députés, syracusains aussi bien que corinthiens, pour insister sur la nécessité de faire passer de nouvelles troupes, — même dans des bâtiments marchands, si l’on ne pouvait avoir de trirèmes disponibles pour les transporter[42]. Si le camp athénien ne recevait pas de renforts, les Syracusains savaient bien que chaque mois de retard diminuerait ses moyens d’action, tandis que leur propre force, malgré de lourdes dépenses et de grands efforts, allait grandissant avec leurs espérances plus grandes de succès.

Si cette double conviction était présente pour soutenir l’ardeur des Syracusains, elle n’était pas moins péniblement sentie dans le camp des Athéniens, bloqué actuellement comme une ville assiégée, et ne jouissant pas de libre mouvement, si ce n’est grâce à leurs vaisseaux et à leur empire sur la mer. Nikias vit que si Gylippos revenait avec des forces considérables de plus, l’attaque même dirigée contre lui par terre deviendrait trop puissante pour y résister, — outre la désorganisation croissante de sa flotte. Il finit par être pleinement convaincu que rester dans cet état était une ruine complète. Comme il n’y avait plus maintenant aucune possibilité de poursuivre le siège de Syracuse avec succès, un sain jugement lui aurait dicté que sa position dans le port était devenue inutile aussi bien que dangereuse, et que le meilleur parti serait de l’évacuer le plus tôt possible. Probablement Demosthenês aurait agi ainsi dans des circonstances semblables ; mais une telle prévoyance et une telle résolution n’étaient pas dans le caractère de Nikias, — qui redouta de plus le blâme que cette mesure attirerait sur lui à Athènes, sinon de la part de sa propre armée. N’osant pas quitter sa position sans ordres d’Athènes, il se détermina à y envoyer un exposé sincère de sa position critique, et à solliciter soit des renforts soit des instructions pour revenir.

On était, en effet, alors à la fin de septembre (414 av. J.-C.) ; de sorte qu’il ne pouvait espérer même de réponse avant le milieu de l’hiver, ni de renforts (si on devait lui en envoyer) avant que le printemps suivant fût très avancé. Néanmoins il se détermina à affronter ce péril et à se fier à de vigilantes précautions de sûreté pendant cet intervalle, — précautions qui furent bien près d’être insuffisantes, comme le montrera le résultat. Mais comme il était pour lui de la dernière importance de faire pleinement comprendre à ses compatriotes d’Athènes le grave danger de sa position, — il résolut de transmettre une dépêche écrite, ne se fiant pas à l’exposé oral d’un messager, qui pourrait manquer soit de courage, soit de présence d’esprit, soit d’expressions suffisantes, pour faire pénétrer la pleine et triste vérité dans l’esprit d’un auditoire peu disposé à se laisser convaincre[43]. En conséquence il envoya une dépêche qui semble être arrivée à Athènes vers la fin de novembre, et qui fut lue formellement dans l’assemblée publique par le secrétaire de la ville. Conservée mot pour mot par Thucydide, elle est un des restes les plus intéressants de l’antiquité, et mérite bien une traduction littérale.

Vous avez déjà appris, Athéniens, par beaucoup d’autres dépêches, ce que nous avons fait antérieurement[44] ; mais la crise actuelle est telle qu’elle demande que vous délibériez plus que jamais quand vous aurez appris la situation dans laquelle nous sommes. Nous avions vaincu dans de nombreux engagements les Syracusains, contre lesquels nous étions envoyés ; nous avions construit lés lignes fortifiées que nous occupons maintenant,quand le Lacédæmonien Gylippos est arrivé avec une armée en partie péloponnésienne, en partie sicilienne. Lui aussi fut défait dans la première action ; mais dans une seconde, nous filmes écrasés par une multitude de cavaliers et d’akontistæ, et forcés de nous retirer dans nos lignes. Et c’est ainsi que le nombre supérieur de nos ennemis nous a forcés de suspendre notre circonvallation, et de rester inactifs ; en effet, nous ne pouvons pas employer en rase campagne même toutes les forces que nous possédons, puisqu’une partie de nos hoplites est nécessairement exigée pour protéger nos murs. Cependant l’ennemi a conduit un contre-mur simple d’intersection au delà de notre ligne de circonvallation ; de sorte que nous ne pouvons plus continuer cette dernière pour l’achever ; à moins que nous n’ayons assez de forces pour attaquer le contre-mur et le prendre d’assaut. Et les choses en sont venues à ce point que nous, qui prétendons assiéger les autres, sommes nous-mêmes plutôt les assiégés,par terre du moins, puisque la cavalerie ne nous laisse pour ainsi dire aucune liberté de nous mouvoir. De plus, l’ennemi a envoyé des députés dans le Péloponnèse pour se procurer des renforts ; tandis que Gylippos en personne parcourt les villes siciliennes, essayant de pousser à agir celles d’entre elles qui sont actuellement neutres et d’obtenir des autres de nouvelles troupes de terre et de mer ; car l’ennemi est déterminécomme je l’ai apprisnon seulement à attaquer nos lignes sur le rivage avec son armée de terre, mais encore à nous attaquer par mer avec ses vaisseaux.

Ne vous offensez pas si je vous dis qu’il a l’intention de devenir agresseur même sur mer. Il sait bien que notre flotte était d’abord dans le meilleur état avec des vaisseaux secs[45] et d’excellents équipages ; mais maintenant les vaisseaux sont pourris pour être restés trop longtemps à flot, et les équipages sont ruinés. Et il n’y a pas moyen de tirer nos vaisseaux sur le rivage pour les réparer, puisque la flotte des ennemis, égale ou supérieure en nombre, parait toujours sur le point de nous attaquer. Nous les voyons s’exercer constamment, et ils peuvent choisir leur temps pour nous assaillir. En outre, ils peuvent plus que nous tenir leurs vaisseaux secs et sur terre, car ils ne sont pas occupés à veiller sur d’autres ; tandis que pour nous, qui sommes obligés de laisser toute notre flotte de garde, rien qu’une supériorité prodigieuse de nombre pourrait nous assurer la même facilité. Et si nous devions jamais nous relâcher le moins du monde, de notre vigilance, nous ne serions plus surs de nos provisions que nous amenons même actuellement avec difficulté au pied des murs de l’ennemi.

Nos équipages aussi ont été ruinés et continuent de l’être par diverses causes. Parmi les marins qui sont nos propres citoyens, beaucoup, en allant à distance pour avoir du bois et de l’eau, ou pour piller, sont interceptés par la cavalerie syracusaine. Ceux d’entre eux qui sont esclaves désertent, maintenant que nous avons perdu notre supériorité et que les chances sont devenues égales entre notre ennemi et nous ; tandis que les étrangers que nous avoirs forcés d’entrer à notre service, se réfugient dés qu’ils le peuvent clans quelques-unes des villes voisines. Et ceux qui vinrent, tentés par une pare élevée, plutôt dans l’idée dé s’enrichir par le trafic due de combattre, maintenant qu’ils voient l’ennemi entièrement capable de nous tenir tête sur mer aussi bien que sur terre, ou passent de soli cité comme déserteurs déclarés, ou s’en vont comme ils peuvent dans les vastes espaces de la Sicile[46]. Qui plus est, il y en a même quelques-uns qui, tout en trafiquant pour leur propre compte, obtiennent par des présents que les triérarques acceptent des esclaves hykkariens comme remplaçants, et détruisent ainsi la rigoureuse discipline de notre marine. Et vous savez aussi bien que moi qu’un équipage ne reste jamais longtemps en parfait état, et que la première classe de marins, qui met le vaisseau en mouvement et entretient l’uniformité dans le jeu des rames, n’est qu’une faible fraction de tout l’équipage.

Parmi tous ces embarras, le pire de tons, c’est que je ne puis, comme général, empêcher le dommage, tant vos esprits sont difficiles à gouverner,et que je ne puis avoir ailleurs de recrues supplémentaires, ce qu’il est facile à l’ennemi de faire dans beaucoup d’endroits qui lui sont ouverts.. Nous n’avons que le fonds primitif que nous avons apporté avec nous, tant pour réparer nos pertes que pour nous acquitter du devoir présent ; car Naxos et Katane, nos seules alliées actuelles, n’ont qu’une force insignifiante. Et si notre ennemi remporte un avantage de plus, — si les villes italiennes, d’où nous tirons maintenant nos provisions, tournent contre nous, sous l’impression de notre pénible état d’aujourd’hui, sans que nous recevions de vous des renforts, — nous serons réduits à la famine, et il donnera à la guerre une issue triomphante, même sans combat.

J’aurais facilement pu trouver des nouvelles plus agréables que celles-ci à vous envoyer ; mais assurément rien d’aussi utile, si l’on songe que la pleine connaissance de l’état des affaires ici est essentielle à votre délibération. De plus, j’ai cru que même la meilleure politique était de vous dire la vérité sans déguisement ; comprenant, comme je le fais, vos dispositions réelles, vous n’écoutez jamais volontiers que les assurances les plus favorables, et cependant vous êtes irrités à la fin si elles n’amènent que des résultats fâcheux. Soyez pleinement convaincus que par rapport aux forces contre lesquelles vous nous avez envoyés dans l’origine, vos généraux et vos soldats n’ont mérité aucun reproche. allais maintenant quo la Sicile est liguée contre nous, et qu’on attend de nouveaux renforts du Péloponnèse, vous devez prendre votre résolution en sachant bien que nous n’avons pas même la force de lutter contre nos difficultés présentes. Vous devez ou nous faire revenirou nous envoyer une seconde armée, composée de forces de terre aussi bien que de mer, et non inférieure à ce qui est actuellement ici, avec une somme considérable d’argent. Vous devez en autre envoyer un successeur à ma place ; car là néphrétique, dont je suis atteint, me rend incapable de travail. Je me crois autorisé à vous faire cette prière ; car- tant que ma santé a duré, je vous ai rendu de bons services dans divers commandements militaires. Mais quelle que soit votre intention, agissez dès le début du printemps sans aucun retard ; car les nouveaux secours que l’ennemi est en. train de réunir en Sicile seront bientôt ici,et ceux qui doivent tenir du Péloponnèse, bien qu’ils doivent tarder plus à arriver, cependant, si vous n’y veillez pas, ou vous échapperont ou vous préviendront comme ils l’ont déjà fait une fois[47].

Telle était la mémorable dépêche de Nikias qui fut lue dans l’assemblée publique d’Athènes vers la fin de novembre ou le commencement de décembre (414 av. J.-C.), — apportée par des officiers qui en fortifièrent l’effet par leurs communications orales, et répondirent à toutes les questions qui leur furent faites[48]. Nous avons bien lieu de regretter que Thucydide ne rende aucun compte du débat que provoqua une si sombre révélation. Il se borne à nous dire le résultat. Les Athéniens résolurent de satisfaire à la seconde partie de l’alternative posée par Nikias, non de rappeler à Athènes l’armement actuel, mais de le renforcer par un second armement puissant, tant de terre que de mer, destiné à poursuivre les mêmes objets. Mais ils rejetèrent son autre requête personnelle et insistèrent pour qu’il conservât le commandement. Toutefois ils rendirent un vote à l’effet de nommer Menandros et Euthydemos, officiers déjà dans l’armée devant Syracuse, commandants conjointement avec lui, chargés de l’assister dans l’accomplissement de ses laborieux devoirs. Ils se hâtèrent d’envoyer à Syracuse, vers le solstice d’hiver, Eurymedôn à la tête de dix trirèmes, portant cent vingt talents d’argent, avec les assurances d’un secours prochain pour l’armée en détresse. Et ils résolurent d’équiper une nouvelle et formidable armée, sous Demosthenês et Eurymedôn, qui s’y rendrait comme renfort dans les premiers mois du printemps. Demosthenês reçut ordre de s’occuper activement à préparer ces forces plus considérables[49].

Cette lettre de Nikias, — si authentique, — si remplie de faits. — et caractérisant si bien les coutumes du temps, — suggère plusieurs réflexions sérieuses, par rapport et à, lui-même et au peuple athénien. Quant à lui, il n’y a rien d’aussi remarquable que la sentence de condamnation qu’il prononce sur ses anciennes opérations en Sicile. Quand nous le voyons déplorer la détérioration de l’armement par suite d’usure et traiter de notoire le fait que même la meilleure armée navale pourrait seulement se conserver en bon état pendant un court espace de temps, — quelle condamnation plus grave pourrait-on porter contre ces huit mois qu’il perdit en mesures insignifiantes, après son arrivée en Sicile, avant de commencer le siège de Syracuse ? Quand il annonce que l’arrivée de Gylippos avec ses forces auxiliaires devant cette ville fit pour l’armée athénienne la différence entre un triomphe et quelque chose confinant à la ruine, — on se demande naturellement s’il avait fait tout ce qu’il avait pu pour prévoir l’arrivée du général spartiate, et quelles précautions il avait prises lui-même pour la prévenir. A cela on doit répondre que, loin de prévenir l’arrivée de nouveaux ennemis comme un danger possible, il les avait presque appelés du dehors par ses délais, — et qu’il n’avait pris absolument aucune précaution contre eux, bien que prévenu et ayant des moyens suffisants a sa disposition. La désertion et la démoralisation de son armée navale qui, sans cloute, n’étaient que trop réelles, furent, comme il le signale lui-même, principalement la conséquence de ce changement de fortune. et furent aussi le premier commencement de cette disposition indocile du soldat athénien, comptée parmi ses difficultés. Car ce serait une injustice a l’égard de cette malheureuse armée de ne pas reconnaître qu’elle acquiesça patiemment à l’inaction prolongée, parce que son général l’ordonnait, et qu’ensuite elle fit son devoir avec beaucoup de bravoure dans les opérations du siège, jusqu’à la mort de Lamachos.

Si même avec notre connaissance imparfaite du cas, nous pouvons distinctement attribuer la ruine dont se plaint Nikias à sa négligence et à, sa faute, telle, à bien plus forte raison, dut être la conviction des Athéniens intelligents, tant dans le camp que clans la ville, comme nous le verrons par la conduite de Demosthenês[50] qui sera racontée ci-après. Imaginons-nous la série de dépêches, auxquelles Nikias lui-même fait allusion comme ayant été transmises à Athènes, depuis la première jusqu’à la dernière. Nous devons nous rappeler que l’expédition partit d’Athènes dans l’origine avec des espérances du caractère le plus brillant, et avec la conscience d’efforts, extraordinaires près d’être récompensés par des triomphes proportionnés. Pendant quelques mois, les dépêches du général ne révèlent rien que des mouvements avortés ou peu glorieux ; ornées, il est vrai, d’une victoire stérile, mais accompagnées d’un avis indirect annonçant qu’il lui faut attendre jusqu’au printemps, et qu’on doit lui envoyer des renforts, avant qu’il puisse entreprendre l’opération réellement sérieuse. Bien que le désappointement occasionné à Athènes par cette nouvelle ait dû être mortifiant, néanmoins on satisfait à sa demande ; et les dépêches de Nikias, pendant le printemps et l’été de 414 avant J.-C., expriment plus d’espoir. Le siège de Syracuse est décrit comme avançant heureusement, et enfin, vers juillet ou août, comme étant sur le point d’aboutir à une issue triomphante, — malgré un aventurier spartiate nommé Gylippos, en train ale traverser la mer Ionienne avec des forces trop méprisables pour être mentionnées. Soudain, sans un pas intermédiaire pour adoucir la transition, arrive une dépêche annonçant que cet aventurier est entré dans Syracuse à la tête d’une puissante armée, et que les Athéniens sont forcés de se mettre sur la ‘défensive, sans pouvoir continuer le siège. Elle est suivie, peu de temps après, par la communication triste et presque désespérée, traduite plus haut.

Quand nous examinons ainsi la dépêche, non seulement telle qu’elle est isolément, mais comme rentrant dans la série de celles qui la précèdent, — l’effet naturel que nous supposerions qu’elle était propre à produire sur les. Athéniens devait être une violente explosion de colère et de mécontentement contre Nikias. D’après l’examen le plus sincère et le plus impartial, il ne méritait rien de moins. Et si nous considérons en outre le caractère généralement attribué par les historiens de la Grèce au peuple athénien ; si nous songeons qu’on le représente comme versatile, ingrat et irascible, par habitude permanente, comme abandonnant pour les motifs les plus frivoles’ ceux qu’il avait estimés une fois, oubliant tout service antérieur, punissant d’innocents généraux des malheurs inévitables de la guerre, et poussé seulement par des excitations démagogiques, — nous nous attendons naturellement à ce que le blâme réellement mérité par Nikias doive être exagéré au delà de toute mesure légitime, et éclater en une tempête de violence et de fureur. Cependant quelle est la résolution réelle prise par suite de cette dépêche, après le débat complet et libre de l’assemblée athénienne ? Il n’est prononcé aucun mot de blâme ni de mécontentement. Sans doute il a dû y avoir des orateurs individuels qui le censurèrent comme il le méritait. Supposer le contraire serait, à vrai dire, avoir une médiocre opinion de l’assemblée athénienne. Mais non seulement le vote général n’imputa aucun blâme, mais même il témoigna d’une confiance entière et constante. Le peuple refuse positivement de le délivrer du commandement, bien qu’il le demande lui-même d’une manière sincère et même touchante. Si grande est la valeur qu’il attache à ses services, si grande l’estime qu’il a pour son caractère, qu’il ne veut pas profiter de la facile occasion qu’il lui fournit lui-même de se débarrasser de sa personne.

Ce n’est pas comme compliment à l’adresse des Athéniens que je fais ces remarques sur leur présente conduite. C’est tout le contraire. La confiance mal placée des Athéniens en Nikias, — dans plus d’une occasion antérieure, mais surtout dans celle-ci, — trahit une incapacité d’apprécier les faits immédiatement sous leurs yeux, et un aveuglement à l’égard de preuves décisives et multipliées d’incompétence, ce qui est une des manifestations les moins honorables de Peur histoire politique. Mais nous apprenons clairement par là, comme leçon, que les défauts habituels du caractère athénien étaient très différents de ceux que les historiens leur imputent communément. Au lieu d’être versatiles, nous les voyons tenaces dans une extrême confiance une fois accordée, et dans les plans extrêmes où ils se sont une fois embarqués : au lieu d’ingratitude pour des services rendus réellement, nous les voyons honorer des services qu’un officier aurait dû rendre, mais n’a pas rendus : au lieu d’une susceptibilité véritable, nous découvrons une indulgence non seulement généreuse, mais même coupable, au milieu du désappointement et de l’humiliation : au lieu d’une assemblée publique, où, comme elle est habituellement dépeinte, les orateurs parlant pour incriminer étaient tout-puissants, et pouvaient faire condamner tout général malheureux, fût-il méritant, — nous voyons que des accusations graves et bien fondées ne font aucune impression sur le peuple en opposition à une estime personnelle préétablie, — et estime personnelle pour un homme qui non seulement n’était pas démagogue, mais à tous égards le contraire d’un démagogue, un oligarque par goût, par sentiment et par position, qui n’accordait à la démocratie rien de plus qu’une obéissance sincère, combinée avec de la douceur et de la munificence dans sa conduite privée. Si Kleôn avait commis seulement une faible partie de ces fautes capitales qui déshonorent la carrière militaire de Nikias, il aurait été irréparablement ruiné. Tant était plus faible son empire sur ses concitoyens, dû à des mérites démagogiques, en tant que comparés aux causes qui attiraient à Nikias leur confiance, — c’est-à-dire sa grande famille et sa grande position, ses richesses habilement dépensées, son incorruptibilité notoire à l’égard des présents, et même son absence relative d’ambition personnelle, son courage -personnel combiné avec une réputation de prudence, sa vie privée convenable et ses habitudes ultra religieuses. Tout cet assemblage de mérites négatifs et de bienséances dans la vie de chaque jour, dans un citoyen que sa position aurait pu mettre en état de se conduire avec l’insolence d’Alkibiadês, plaçait Nikias star une base beaucoup plus solide d’estime publique que ne l’aurait pu faire le simple pouvoir d’un talent d’incrimination dans l’assemblée publique ou le dikasterion. Il lui donnait droit à la plus grande indulgence, dans l’explication faites de toutes les preuves d’insuffisance qu’il avait données, et répandait un vernis fatal sur son incompétence manifeste pour tout commandement grave et responsable.

L’incident dont nous nous occupons actuellement est l’un des plus instructifs de toute l’histoire, en ce qu’il jette du jour sur le sentiment habituel et sur les causes les plus fortes d’erreur, qui dominaient dans la démocratie athénienne, — et en ce qu’il réfute ce tort exagéré qu’il est ordinaire d’imputer au personnage appelé un Démagogue. Il eût été heureux pour Athènes qu’elle eût alors Kleôn, ou tout autre démagogue de talent égal, présent à cette assemblée publique qui prit la déplorable résolution d’envoyer en Sicile de nouvelles forces et de continuer Nikias dans son commandement ! C’était un de ces cas dans lesquels l’éloquence du démagogue, prête à incriminer, était particulièrement nécessaire pour exposer la mauvaise direction donnée naguère réellement aux araires par Nikias, — pour détruire cette confiance imméritée dans son talent et sa prudence qui s’était changée en un sentiment de foi ou routine, — pour prouver combien de mal il avait déjà fait, et combien il en ferait davantage s’il était maintenu comme chef[51]. Malheureusement pour Athènes, elle n’avait pas alors de démagogue qui pût convaincre à l’avance l’assemblée de cette vérité, et l’empêcher de prendre la résolution la plus insensée et la plus destructive qui ait jamais été adoptée dans la Pnyx.

Ce qui rend la résolution si particulièrement déshonorante, c’est qu’elle fut adoptée au mépris de preuves claires et présentes. Persister à assiéger Syracuse, dans les circonstances actuelles, c’était une triste erreur ; y persister avec Nikias comme commandant, ce n’était guère moins que de la folie. La première expédition, bien que même celle-là, fût téméraire et mal conçue, présentait néanmoins des espérances séduisantes qui expliquent, sans l’excuser, la trop légère appréciation de l’impossibilité d’une possession durable. En outre, il y avait à cette époque une confusion, — entre les objets de peu d’importance se rattachant à Leontini et à Egesta, et les acquisitions plus considérables qui seraient à réaliser par le siège de Syracuse, — confusion qui empêchait l’esprit athénien de juger l’entreprise d’une manière claire et unanime. Mais actuellement, l’état des affaires en Sicile était parfaitement connu : les promesses mensongères d’Egesta avaient été révélées : on voyait l’inanité de l’espoir pour Athènes d’avoir des alliés dans l’île ; tandis que Syracuse, armée d’un général spartiate et de l’aide péloponnésienne, était non seulement devenue inexpugnable, mais encore avait pris l’agressive : enfin, la chance d’un renouvellement d’hostilités péloponnésiennes contre l’Attique s’était maintenant changée en certitude. Si donc, persévérer dans le siège de Syracuse, au milieu des circonstances si ingrates et de la nécessité de redoubler d’efforts à l’intérieur, était une déplorable imprudence en elle-même, — persévérer à employer Nikias transformait cette imprudence en ruine, que même l’adjonction d’un collègue énergique, dans la personne de Demosthenês, ne suffisait pas pour détourner. Ceux qui étudient la conduite du peuple athénien en cette occasion, ne seront pas disposés à répéter contre lui l’accusation de versatilité qui est un des reproches constants adressés à la démocratie. Son erreur ici provint (le la qualité tout à fait contraire, de l’incapacité de se délivrer de deux sentiments qui s’étaient profondément gravés dans son esprit, — les idées de la conquête de la Sicile, et la confiance en Nikias.

Si Athènes avait eu un peu plus de cette prétendue versatilité, — ou si elle avait facilement échappé aux anciennes associations d’idées et à la sensibilité à l’égard des circonstances actuelles, c’eût été pour elle, dans le moment présent, une qualité tutélaire. Elle aurait alors apprécié plus justement les dangers plus grands qui grossissaient autour d’elle tant en Sicile que chez elle. Une guerre avec Sparte, bien que non encore réellement déclarée, était devenue mena-~ante et inévitable. Même dans l’hiver précédent, les Lacédœmoniens avaient écouté favorablement la recommandation d’Alkibiadês[52] qui leur conseillait d’établir un poste fortifié à Dekeleia en Attique. Ils n’avaient pas, il est vrai, encore pu se déterminer à exécuter cette résolution ; car la paix entre eux et Athènes, bien que violée indirectement de bien des manières, existait encore de nom, et ils hésitaient à la violer ouvertement, en partie parce qu’ils savaient que la rupture de la paix avait été de leur côté au commencement de la guerre du Péloponnèse ; attribuant à cette faute leur malheur capital à Sphakteria[53]. Athènes, de son côté, avait aussi évité scrupuleusement une violation directe du territoire lacédæmonien, malgré beaucoup de sollicitations de la part de ses alliés d’Argos. Niais sa réserve sur ce point céda pendant le présent été, probablement à l’époque où ses espérances de prendre Syracuse paraissaient certaines. Les Lacédæmoniens ayant envahi et ravagé le territoire argien, trente trirèmes athéniennes furent envoyées pour concourir à sa défense, sous Pythodôros, avec deux collègues. Cet armement débarqua sur la côte orientale de la Laconie, près de Prasiæ et commit des dévastations : acte -direct d’hostilité qui, — s’ajoutant aux excursions en maraude de la garnison de Pylos, et au refus de redressement pacifique à Athènes, — convainquit les Lacédæmoniens que la paix avait été violée par leurs ennemis alors pour la première fois et d’une manière incontestable, de sorte qu’ils pouvaient en toute conscience recommencer la guerre[54].

Tel était l’état de sentiment entré les deux grandes puissances de la Grèce centrale, en novembre 414 avant J.-C., quand les députés arrivèrent de Syracuse, — députés de Nikias d’une part, de Gylippos et des Syracusains de l’autre, — chacun d’eux demandant instamment de nouveaux secours. Les Corinthiens et les Syracusains poussèrent vivement leur réclamation à Sparte ; Alkibiadês aussi renouvela ses instances pour l’occupation de Dekeleia. Ce fut en face de ce danger menaçant d’une nouvelle invasion péloponnésienne que les Athéniens prirent leur résolution, commentée plus haut d’envoyer une seconde armée à Syracuse et de poursuivre le siège avec vigueur. S’il restait encore quelque hésitation du côté des Lacédæmoniens, elle disparut aussitôt qu’ils connurent l’imprudente résolution d’Athènes, qui non seulement créait une impérieuse nécessité de soutenir Syracuse, mais encore rendait Athènes d’autant plus vulnérable chez elle, en éloignant la meilleure partie de ses forces. En conséquence, tout aussitôt après que le vote fut rendu à Athènes, une résolution également décisive pour des hostilités directes fut adoptée à Sparte. Il fut décidé qu’on préparerait immédiatement une armée d’alliés péloponnésiens, pour l’envoyer à Syracuse dès les premiers jours du printemps ; et qu’en même temps on envahirait l’Attique et qu’on fortifierait le poste de Dekeleia. On transmit aussitôt, à cet effet, des ordres à tout le corps des alliés péloponnésiens ; en particulier des réquisitions pour des outils, des matériaux et des ouvriers, destinés à la construction du fort projeté à Dekeleia[55].

 

 

 



[1] On élevait en Sicile une si grande quantité de chevaux, qu’on les exportait jusqu’en Attique et jusque dans la Grèce centrale, — Sophokle, Œdipe Kolon., 312.

S’il faut en croire le Scholiaste, les chevaux siciliens étaient d’une taille extraordinairement grande.

[2] Thucydide, VI, 95-98.

[3] A la ville voisine de Gela également, un peu en dehors des murs, il y avait une grande statue d’airain d’Apollon, — si sainte, si belle et si connue, que les Carthaginois, quand ils envahirent l’île (sept ans après le siége de Syracuse par Nikias), l’enlevèrent et la transportèrent à la ville de Tyr (Diodore XIII, 108).

[4] Par rapport à tous les détails topographiques, le lecteur est prié de consulter les deux plans de Syracuse annexés à la fin de ce volume avec l’appendice explicatif. La description très claire d’Epipolæ également, donnée par M. Stanley (comprise par le docteur Arnold dans l’appendice au troisième volume de son Thucydide), est particulièrement recommandée à son attention.

Dans l’appendice de ce volume, j’ai été forcé inévitablement de répéter une partie de la matière comprise dans mon récit général ; j’espère qu’on me pardonnera cette répétition.

Dans le plan I, les lettres A, B, C, D représentent le mur de la ville extérieure tel qu’il semble avoir été quand Nikias arriva pour la première fois en Sicile. Les lettres E, F représentent le mur de la cité intérieure au même moment.

[5] Thucydide, VI, 75.

Dans le plan I, les lettres G, H, I représentent cette fortification additionnelle ou avancée.

[6] Thucydide, VI, 96.

[7] Thucydide, VI, 97.

[8] Thucydide, VI, 97.

La position probable de ce Κύκλος ou Cercle athénien se trouvera sur les deux plans dans l’appendice, marquée par la lettre K.

[9] Les Athéniens semblent avoir surpassé tous les autres Grecs dans la promptitude et l’habileté avec lesquelles ils exécutaient des fortifications

V. quelques exemples, Thucydide, V, 75-82 ; Xénophon, Helléniques, IV, 4, 18.

[10] Le docteur Arnold, dans sa note sur Thucydide, VI, 98, dit qu’il est parlé du Cercle, dans un seul passage de Thucydide, comme s’il n’avait jamais été achevé. J’explique ce seul passage autrement que lui (VII, 2, 4), où je crois que τώ άλλω τού κύαλου est équivalent à έτέρωθι τοΰ κύκλου, — comme on le voit évidemment par la mention de Trogilos et de la mer septentrionale qui l’accompagne. Je suis persuadé que le Cercle fut fini, gt le docteur Arnold lui-même indique deux passages dans lesquels il en est parlé distinctement comme ayant été complété. V. l’appendice à la fin de ce volume.

[11] Thucydide, VI, 99. — La direction probable de ce premier contre-mur est marquée sur le plan I par les lettres N, O.

Le Scholiaste explique ici τάς έφόδους comme signifiant τά βάσιμα, — et il ajoute όλιγα δέ τά έπιβαθήναι δυνάμενα, διά τό τελματώδες εϊναι τό χώριον. Bien qu’il soit suivi ici par les meilleurs commentateurs, je ne puis croire que son explication soit exacte. Il suppose évidemment que ce premier contre-mur des Syracusains fut construit (comme nous verrons bientôt que le fut le second contre-mur) en travers du marais, ou terrain bas entre la falaise méridionale d’Epipolæ ; et le Grand Port. Le terrain étant généralement marécageux, il n’y avait que peu d’endroits où il pût être franchi. Mais je crois que cette supposition est erronée. Le premier contre-mur des Syracusains fut mené à ce qu’il me semble, sur la pente d’Epipolæ, entre le Cercle athénien et la falaise méridionale : il commandait au mur avancé syracusain récemment élevé, comprenant lé Temenitês. C’était un terrain dur, ferme, tel que les Athéniens pouvaient le traverser sur tout point : peut-être se rencontrait-il quelque aspérité, ça et là ; mais ce n’étaient que des exceptions au caractère général du terrain.

Il me semble que τάς έφόδους signifie simplement les attaques des Athéniens, — sans intention de désigner des points attaquables spéciaux : προκαταλαμβάνειν τάς έφόδους signifie prévenir les attaques (V. Thucydide, I, 57 ; V, 30). C’est, en effet, le sens le plus ordinaire de έφοδος (cf. VII, 5 ; VII, 43 ; I, 6 ; V, 35 ; VI, 63), attaque, approche, visite, etc. Il y a sans doute d’autres passages dans lesquels il signifie la voie ou route par laquelle se faisait l’attaque ; toutefois dans l’un de ceux-ci (VII, 51) les meilleurs éditeurs lisent tous maintenant έσόδου au lieu de έφόδου.

On verra qu’on a pris pour base d’arguments le sens inadmissible que le Scholiaste donne ici au mot έφοδοι : V. le docteur Arnold, Memoir on the Map of Syracuse, appendice à son édition de Thucydide, vol. III, p. 271.

[12] Thucydide, VI, 100.

[13] Thucydide, VI, 101.

Je donne dans le texte ce que je crois être le sens de cette phrase, bien que les mots άπό τοΰ κύκλου ne soient pas clairs et aient été expliqués différemment. Goeller, dans sa première édition, les a expliqués comme s’il y avait αοξάμενοι άπό τοΰ κύκλου : comme si la fortification commencée alors sur la falaise était continue et réellement rattachée au Cercle. Dans sa seconde édition, il semble abandonner cette opinion et les traduire comme le docteur Arnold, qui les regarde comme équivalents à άπό τοΰ κύκλου όρμώμενοι, mais n’impliquant nullement que le nouvel ouvrage accompli rejoignît le Cercle, — ce qu’il ne croit pas avoir été fait. S’ils étaient expliqués ainsi, les mots impliqueraient a partant du Cercle comme base d’opérations. . D’accord avec le docteur Arnold pour sa manière de concevoir l’événement signifié, j’incline, en expliquant les mots, à procéder d’après l’analogie de deux ou trois passages de Thucydide, I, 7 ; I, 46 ; I, 99 ; VI, 64. Dans ces passages, άπό est employé dans le même sens que nous trouvons άποθεν, IV, 125, signifiant à part de, à quelque distance de, mais n’impliquant aucune idée accessoire de mouvement ou de partir de, sait littérale, soit métaphorique.

Les Athéniens, commencèrent à fortifier, à quelque distance de leur Cercle, la falaise au-dessus du marais, etc.

[14] La direction et l’étendue (telles que je les conçois) de ce second contre-mur, de cette palissade et de ce fossé, se verront marquées sur le plan I par les lettres P, Q.

[15] Thucydide, VI, 102 ; Plutarque, Nikias, c. 18. Diodore, par erreur, place la bataille, dans laquelle Lamachos fut tué, après l’arrivée de Gylippos (XIII, 8).

[16] Thucydide, VI, 102.

[17] Thucydide, VI, 102.

[18] La partie méridionale de la ligne athénienne de circonvallation est marquée sur les plans I et II par les lettres K, L, M. Dans le premier plan, elle parait projetée et incomplète ; dans le second, elle paraît achevée.

[19] Thucydide, VI, 103.

[20] Diodore, cependant, a tort d’affirmer (XIII, 7) que les Athéniens occupèrent le temple de Zeus Olympios et la Polichnê ou hameau qui l’entourait sur la rive droite de l’Anapos. Ces postes restèrent toujours occupés par les Syracusains pendant toute la durée de la guerre (Thucydide, VIII, 4, 37).

[21] Thucydide, VI, 103.

[22] Thucydide, VII, 55.

[23] Thucydide, VII, 49-86.

[24] Plutarque, Nikias, c. 18.

[25] Thucydide, VI, 101. Plutarque, Nikias, c. 18.

On verra par Thucydide que Gylippos apprit cette nouvelle pendant qu’il était encore à Leukas.

[26] Thucydide, VI, 104.

Bien que tous les commentateurs expliquent ici les mots κατά Βορέαν έστηκώς comme s’ils s’accordaient avec ός ou άνεμος, je ne puis m’empêcher de croire qu’ils s’accordent réellement avec Γύλιππος. Gylippos est surpris par ce vent violent à la hauteur du rivage, tandis qu’il fait voile au sud le long de la côte orientale de ce qui est appelé aujourd’hui Calabre ultérieure : Dirigeant son vaisseau vers le nord ou courant nord (pour employer la phrase nautique anglaise), il est porté en pleine mer, d’où, avec de grandes difficultés, il revient à Tarente. Si Gylippos fut porté en pleine mer étant dans cette position et essayant d’aller à Tarente, il devait diriger naturellement sa course vers le nord. Quant à ce que signifient les mots κατά Βορέαν έστηκώς, en tant qu’appliqués au vent, j’avoue que je ne les comprends pas ; et les critiques ne jettent pas beaucoup de lumière sur cette difficulté. Toutes les fois qu’une aire de vent est mentionnée conjointement avec un vent quelconque, elle semble toujours vouloir dire le point d’où souffle le vent. Or, que κατά Βορέαν έστηκώς signifie un vent qui souffle constamment du nord, comme l’affirment les commentateurs, — c’est ce que je ne puis croire sans de meilleures autorités que celles qu’ils produisent. De plus, Gylippos n’aurait jamais pu songer à gagner Tarente, s’il v avait eu un vent violent dans cette direction ; tandis qu’un tel vent l’aurait poussé vers Lokri, la ville même où il avait besoin d’aller. La mention du golfe Térinæen est certainement embarrassante. Si les mots sont exacts (ce dont il est possible de douter), l’explication du docteur Arnold dans sa note semble la meilleure qu’on puisse présenter. En effet, il se peut — car bien qu’improbable, cela n’est pas complètement impossible — que Thucydide ait lui-même commis une inadvertance géographique, en supposant que le golfe Térinæen était sur le côté oriental de la Calabre. V. l’appendice à la fin de ce volume.

[27] Thucydide, VI, 104.

[28] Thucydide, VII, 1.

[29] Thucydide, VII, 2-7.

[30] Thucydide, VI, 103 ; VII, 2. Plutarque, Nikias, c. 19.

[31] Thucydide, VII, 2.

[32] Thucydide, VII, 3.

[33] Cf. un incident de cannée suivante, Thucydide, VII, 32. Les Athéniens, à un moment où ils étaient devenus beaucoup plus faibles qu’ils ne l’étaient alors, eurent assez d’influence parmi les tribus sikels pour susciter de l’opposition à la marche du corps venant de l’intérieur au secours de Syracuse. Ce corps auxiliaire fut défait et presque détruit dans sa marche.

[34] Thucydide, VII, 3.

[35] Thucydide, VII, 4. On verra la direction probable de ce troisième contre-mur syracusain dans le plan II, marqué par les lettres S, T, U.

[36] Thucydide, VII, 4.

[37] Thucydide, VII, 4.

[38] Thucydide, VII, 5 ; Plutarque, Nikias, c. 19.

[39] Thucydide, VII, 5, 6.

[40] Ce nouveau fort supérieur est marqué sur le plan II par la lettre V. Les trois campements fortifiés le sont par XXX.

[41] Thucydide, VII, 7. Le nouveau mur de jonction construit ainsi est marqué sur le plan II par les lettres V, W, T.

Ces mots de Thucydide sont très obscurs, et ils ont été expliqués par différents commentateurs de diverses manières. L’explication que j’en donne ici ne coïncide (autant que je sache) avec aucune d’elles ; cependant j’ose croire qu’elle est la plus plausible et la seule satisfaisante. Cf. le Mémoire du docteur Arnold sur sa Carte de Syracuse (Arn. Thucyd., vol. III, p. 273), et les notes de Poppo et de Goeller. Le docteur Arnold est, en effet, si peu satisfait des explications qui se sont présentées à lui, qu’il croit que quelques mots ont dû disparaître. Le lecteur trouvera une défense de mes vues dans l’appendice annexé au plan de Syracuse dans ce volume.

[42] Thucydide, VII, 7.

[43] Thucydide, VII, 8.

[44] Thucydide, VII, 9. Le mot dépêches, que j’emploie pour traduire έπιστολαϊς, n’est pas inapplicable aux messages oraux, aussi bien qu’aux messages écrits, et conserve ainsi l’ambiguïté comprise dans l’original ; car έπιστολαϊς, bien qu’impliquant habituellement des communications écrites, ne les implique pas nécessairement.

Les mots de Thucydide (VII, 8) peuvent certainement être expliqués comme impliquant que Nikias n’avait jamais, dans aucune occasion antérieure, envoyé de communication écrite à Athènes ; et c’est ainsi que le docteur Thirlwall les comprend, bien que non sans hésitation (Hist. Gr., ch. 26, vol. III, p. 118). En même temps je les crois conciliables avec la supposition que Nikias peut antérieurement avoir envoyé des dépêches écrites, bien que beaucoup plus courtes que la présente, — laissant à l’officier qui les portait le soin de suppléer les détails et les particularités.

Mitford avance directement le contraire de ce que comprend le docteur Thirlwall : — Nikias avait usé de la précaution d’envoyer souvent des dépêches écrites, avec un récit exact de chaque affaire (ch. 18, sect. V, vol. IV, p. 100).

Certainement cela n’est pas impliqué dans l’assertion de Thucydide.

[45] Il semble que dans la construction des vaisseaux en Grèce on préférait du bois humide et non séché à cause de sa facilité à être courbé pour recevoir la forme propre (Théoph., Hist. Plant., V, 7, 4).

[46] Thucydide, VII, 13.

Tous les commentateurs font de longues notes pour expliquer cette phrase έπ̕ αύτομολίας προφάσει άπέρχουται, mais je ne puis croire qu’aucun d’eux ait réussi. Il y en a même quelques-uns qui désespèrent du succès an point de vouloir changer αύτομολίας par conjecture : V. les citations dans une longue note de Poppo.

Mais assurément le sens littéral des mots est ici à la fois défendable et instructif : Quelques-uns d’entre eux s’en vont sous prétexte (ou déclaration) d’être des déserteurs passant à l’ennemi. Tous les commentateurs rejettent ce sens, parce que selon eux il est absurde de dire qu’un homme annonce à l’avance qu’il a l’intention de passer à l’ennemi, et qu’il donne cette intention comme excuse pour quitter le camp. Tel n’est pas ici (à mon avis) le sens du mot προφάσει : il n’indique pas ce qu’un homme disait avant de quitter le camp athénien (naturellement il ne devait rien dire de son intention à personne), mais la raison dont il colorait sa conduite après qu’il était arrivé dans les lignes syracusaines. II se présentait à eux comme déserteur passant dans leur parti ; il déclarait son désir de prendre part à la défense ; il prétendait être fatigué de la domination oppressive des Athéniens ; — car il faut se rappeler que tous ces déserteurs ou la plupart d’entre eux étaient des hommes appartenant aux alliés sujets d’Athènes. Ceux qui passaient dans les lignes syracusaines se recommandaient naturellement en faisant profession de telles dispositions, même quand ils n’en éprouvaient réellement aucune ; car leur raison réelle était que le service athénien était alors devenu pénible, peu profitable et dangereux, — tandis que la manière la plus facile de s’y soustraire était de passer à Syracuse comme déserteur.

Nikias distingue ces hommes d’autres, qui s’en allaient, à mesure qu’ils en pouvaient trouver l’occasion, dans une partie ou dans une autre de la Sicile. Ces derniers aussi tenaient secrète leur intention de partir, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés sains et saufs dans une ville sicilienne ; mais, une fois arrivés, ils ne faisaient point profession d’un sentiment qu’ils n’avaient pas. S’ils disaient quelque chose, ils avouaient toute la vérité ; à savoir qu’ils s’échappaient d’une position qui actuellement leur donnait plus de peine que de profit.

Il me semble que les mots έπ̕ αύτομολίας προφάσει ont parfaitement bien ce sens, et que c’est la pensée réelle de Nikias.

Même avant que la guerre du Péloponnèse fût commencée, le député corinthien à Sparte affirme que les Athéniens ne peuvent compter sur des marins constamment fidèles, puisque leur flotte était montée par des marins étrangers soudoyés plutôt que par des indigènes (Thucydide, I, 121). L’assertion de Nikias prouve que cette remarque était bien fondée dans une certaine mesure.

[47] Thucydide, VII, 11-15.

[48] Thucydide, VII, 10.

[49] Thucydide, VII, 16. Il y a ici un doute quant à la leçon, entre 120 talents — ou 20 talents.

Je suis d’accord avec le docteur Arnold et d’autres commentateurs pour croire que l’argent emporté par Eurymedôn était bien plus probablement la plus grande que la plus petite des deux sommes. La première leçon semble mériter la préférence. En outre, Diodore affirme qu’Eurymedôn emporta avec lui 140 talents : son autorité, il est vrai, ne compte pas pour beaucoup, mais elle compte pour quelque chose — en coïncidence avec une certaine force de probabilité intrinsèque (Diodore, XIII, 8).

Dans une occasion comme celle-ci, envoyer une somme aussi petite que 20 talents aurait produit un effet décourageant sur l’armement.

[50] Thucydide, VII, 42.

[51] Plutarque (Nikias, c. 20) nous dit que les Athéniens avaient été disposés à envoyer un second armement en Sicile, mais avant que la dépêche de Nikias leur parvint, mais qu’ils avaient été empêchés par certains hommes qui étaient jaloux (φθόνω) de la gloire et de l’heureuse fortune de Nikias.

Aucun jugement ne peut être plus incompatible avec les faits du cas que celui-ci, — faits racontés en termes généraux par Plutarque.

[52] Thucydide, VI, 93.

[53] Thucydide, VII, 18.

[54] Thucydide, VI, 105 ; VII, 18.

[55] Thucydide, VII, 18.