HISTOIRE DE LA GRÈCE

SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE VI — ACTES DE LA CONFÉDÉRATION SOUS ATHÈNES COMME CHEF. - PREMIÈRE FORMATION ET EXPANSION RAPIDE DE L’EMPIRE ATHÉNIEN.

 

 

J’ai déjà raconté, dans le chapitre précédent, comment les Grecs asiatiques, débarrassés du Spartiate Pausanias, prièrent Athènes d’organiser une nouvelle confédération et de prendre le rôle de cité présidente (Vorort), — et comment cette confédération, formée non seulement pour des objets communs et urgents, mais aussi sur des principes de droits égaux et de contrôle constant de la part des membres, obtint bientôt l’adhésion spontanée d’une partie considérable de Grecs, insulaires ou maritimes, près de la mer Ægée. Je mentionnais aussi cet événement comme donnant naissance à une nouvelle ère dans la politique grecque. Car s’il y avait eu auparavant une tendance, non pas très forte, cependant en général constante et croissante, vers une sorte de ligue unique de tous les Hellènes sous la présidence de Sparte, — dorénavant cette tendance disparaît et une bifurcation commence. Athènes et Sparte se partagent le monde grec, et appellent un nombre plus considérable de ses membres à coopérer, soit avec l’une, soit avec l’autre, qu’on ne l’avait jamais vu auparavant.

Thucydide marque d’une manière précise, autant que le permettent des termes généraux, le caractère de la nouvelle confédération pendant les premières années qui suivirent ses débuts. Mais malheureusement il ne nous donne guère de faits particuliers ; et, dans l’absence de telles preuves propres à servir de contrôle, l’habitude s’est établie de décrire d’une manière vague la période entière qui s’écoule entre 477 et 405 avant J.-C. (la dernière date est celle de la bataille d’Ægos-Potami) comme constituant l’empire athénien. Ce mot désigne assez exactement là dernière partie, peut-être les quarante dernières années des soixante-douze ans indiqués ; mais il trompe quand on l’applique à la première partie ; et à vrai dire l’on ne peut trouver un seul mot qui caractérise fidèlement aussi bien une partie que l’autre. Un grand et sérieux changement s’était opéré, et nous déguisons le fait de ce changement si nous parlons de l’hégémonie ou suprématie athénienne comme portion de l’empire athénien. Thucydide distingue les deux avec soin, en parlant des Spartiates comme ayant perdu et des Athéniens comme ayant acquis, non l’empire, mais la suprématie ou hégémonie[1].

La transition de l’hégémonie athénienne à l’empire athénien fut sans doute graduelle, de sorte que l’on me pourrait pas déterminer d’une manière précise où finit l’une et où commence l’autre ; mais elle avait été accomplie avant la trêve de trente ans, qui fut conclue quatorze ans avant la guerre du Péloponnèse, — et elle fut, en effet, la cause réelle de cette guerre. Athènes en vint alors à posséder l’empire, — en partie comme un fait établi, reposant sur un acquiescement plutôt que sur de l’attachement ou un consentement dans l’esprit des sujets, — en partie comme une conséquence de la nécessité d’union combinée avec ses forces supérieures ; tandis que ce dernier point, supériorité de forces comme titre légitime, devenait de plus en plus saillant et dans le langage de ses orateurs et dans les conceptions de ses citoyens. Bien plus, les orateurs athéniens du milieu de la guerre du Péloponnèse osent affirmer que leur empire avait toujours eu ce même caractère depuis l’échec des Perses : inexactitude si manifeste que, si nous pouvions supposer que le discours fait par l’Athénien Euphêmos, à Kamarina, en 415 avant J.-C., eût été entendu par Themistoklês ou par Aristeidês cinquante ans auparavant, il aurait également choqué la prudence de l’un et la justice de l’autre.

La condition souveraine d’Athènes, telle qu’elle l’occupa au commencement de la guerre du Péloponnèse, époque où ses alliés (excepté Chios et Lesbos) étaient des sujets tributaires, et où la mer Ægée était un lac athénien, — cette condition, disons-nous, fut naturellement la période de sa plus grande splendeur et -de sa plus grande action sur le monde grec. Ce fut aussi la période qui fit le plus d’impression sur les historiens, les orateurs et les philosophes ; elle suggéra l’idée d’un seul État exerçant la domination sur la mer Ægée, comme condition naturelle de la Grèce, de sorte que si Athènes perdait cette domination, elle serait transférée à Sparte ; elle offrit les Grecs maritimes dispersés comme une proie tentante pour les plans agressifs de quelque nouveau conquérant, et même elle introduisit par association dans les imaginations des hommes le Minos mythique de Krête et autres, comme ayant été maîtres de la mer Ægée dans des temps antérieurs u Athènes.

Même ceux qui vivaient sous l’empire athénien parvenu u son complet développement n’avaient pas sous les yeux de bonnes relations des événements entre 479-450 avant J.-C. Car nous pouvons conclure de ce que donne à entendre Thucydide, aussi bien que de sa stérilité sous le rapport des faits, que, s’il y avait des chroniqueurs tant pour l’invasion des Perses que pour les temps qui la précédaient, personne ne s’occupa des temps qui la suivirent immédiatement[2]. Aussi le peu de lumière qui est tombé sur cette lacune a-t-il été emprunté en entier (si nous exceptons le soigneux Thucydide) d’une époque subséquente ; et l’hégémonie athénienne a été considérée comme étant simplement le commencement de l’empire athénien. On a fait honneur à Athènes d’une ambition à longue vue, visant dès la guerre des Perses à des résultats qu’il se peut que Themistoklês[3] ait devinés en partie ; mais que le temps seul et des accidents successifs révélèrent même à un spectateur éloigné. Mais cette anticipation systématique de résultats subséquents est fatale à toute intelligence exacte soit des agents réels, soit de l’époque réelle : on doit les expliquer tous deux par les circonstances précédentes et réellement présentes, en s’aidant, bien qu’avec mesure et précaution, de la connaissance que nous avons de ce qui était alors un avenir inconnu. Quand Aristeidês et Kimôn congédièrent l’amiral lacédæmonien Dorkis et chassèrent Pausanias- de Byzantion à sa seconde arrivée, ils avaient à résoudre le problème qui se  présentait, immédiatement à eux. Ils avaient à achever la défaite de la puissance persane, encore formidable, — et à créer et à organiser une confédération qui n’était encore qu’ébauchée. C’était tout à fait suffisant pour occuper leur attention, sans leur attribuer des vues éloignées d’un empire maritime athénien.

Dans cette brève esquisse des incidents qui précèdent la guerre du Péloponnèse, et que Thucydide présente comme une digression dans son récit[4], il ne donne ni ne déclare donner une énumération complète de tout, ce qui arriva réellement. Pendant l’intervalle qui s’écoule entre le moment où les alliés asiatiques abandonnent pour la première fois Pausanias pour Athènes, en 477 avant J.-C., — et la révolte de Naxos, en 466 avant J.-C., — il rapporte trois incidents seulement : d’abord le siège et la prise d’Eiôn sur le Strymôn, avec sa garnison persane, — ensuite la prise de Skyros, et l’appropriation de l’île aux Klêruchi athéniens ou citoyens du dehors ; — en troisième lieu, la guerre avec Karystos en Eubœa, et la réduction de la place par capitulation. Ç’a été trop l’usage, de raisonner comme si ces trois événements étaient l’histoire entière de dix ou de onze années. En considérant ce que dit Thucydide relativement à l’obscurité de cette période,, nous pourrions soupçonner que ce fût tout ce qu’il put apprendre à son sujet sur de bonnes autorités : et ce sont tous, en vérité, des événements qui trouvent, un appui prochain et spécial dans l’histoire subséquente d’Athènes elle-même, car Eiôn fut le premier marchepied à l’important établissement d’Amphipolis, et Skyros, à l’époque de Thucydide, était la propriété de citoyens athéniens résidant au dehors ou Klêruchi. Cependant on nous laisse dans une ignorance presque absolue de la conduite d’Athènes, en tant que dirigeant les forces confédérées nouvellement établies ; car il est certain que les dix premières années de l’hégémonie athénienne ont dû être des années de guerre très active contre les Perses. Un seul témoignage positif à cet effet nous a été conservé accidentellement par Hérodote, qui mentionne que, avant l’invasion de Xerxès, il y avait partout, en Thrace et dans l’Hellespont, des commandants perses et des garnisons persanes[5], que les Grecs vainquirent tous après cette invasion, excepté seulement Maskamês, gouverneur de Doriskos, qui ne put jamais être pris, bien que les Grecs eussent fait maintes tentatives sur cette forteresse.

Aucune de ces villes, qui furent prises par les Grecs, ne fit une défense suffisante pour attirer l’admiration de Xerxès, excepté Bogês, gouverneur d’Eiôn. Bogês, après s’être bravement défendu et avoir refusé des offres de capitulation, vit ses provisions épuisées et toute résistance ultérieure impraticable. Alors il alluma un immense bûcher funèbre, — tua, ses épouses, ses enfants, ses concubines et sa famille, et les y jeta, — lanças ses effets précieux par-dessus le mur dans le Strymôn, — et enfin se précipita dans les flammes[6]. Son vaillant désespoir fut l’objet d’éloges enthousiastes chez les Perses, et ses parents en Perse furent libéralement récompensés par Xerxès. La prise d’Eiôn, effectuée par Kimôn, a été mentionnée, (comme nous l’avons déjà dit) par Thucydide ; mais Hérodote nous donne ici à entendre qu’elle fit partie seulement d’une série d’entreprises, dont Thucydide ne signale aucune, faites contre les Perses. Bien plus, ses paroles feraient croire, que Maskamês se maintint à Doriskos pendant tout le règne de Xerxès, et peut-être plus longtemps, repoussant des assauts grecs successifs.

L’importante indication, citée ici d’après Hérodote, serait à elle seule une preuve suffisante que les premières années de l’hégémonie athénienne furent remplies d’hostilités : actives et heureuses contre les Perses. Et, en vérité, c’est ce à quoi nous devions nous attendre. Les batailles de Salamis, de Platée et de Mykale chassèrent les Perses de la Grèce et triomphèrent de leurs principaux armements ; mais elles ne les éloignèrent pas d’un seul coup de tous les divers postes qu’ils occupaient d’une extrémité à l’autre de la mer Ægée et de la Thrace. Sans doute les Athéniens eurent à purger les côtes et les îles d’un grand nombre de détachements persans, opération ni courte ni facile, avec les moyens imparfaits de siège à cette époque, comme nous pouvons le voir par les cas de Sestos et d’Eiôn, ni, à vrai dire, toujours praticable, comme nous l’apprend le cas de Doriskos. La crainte de ces Perses, restant encore dans le voisinage[7], et même la chance d’un nouvel armement persan, destiné à une troisième invasion, étaient pour les cités grecques une raison urgente de former la nouvelle confédération, tandis que l’expulsion de l’ennemi lui donnait ces villes qu’il avait occupées. Ce fut par ces années d’opérations actives sur mer contre l’ennemi commun, que les Athéniens établirent[8] pour la première fois dans leurs équipages maritimes cette éducation constante, systématique et laborieuse qui se transmit avec des perfectionnements continuels jusqu’à la guerre du Péloponnèse. Ce fut par elles, combinées avec une crainte présente, qu’ils furent mis en état d’organiser la confédération la plus considérable et la plus efficace qui ait jamais été connue parmi les Grecs, — de réunir des députés délibérants, d’établir leur propre ascendant comme chargés d’imposer les résolutions collectives, — et de lever une taxe énorme au moyen d’une contribution universelle. Enfin ce fut par les mêmes opérations, poursuivies assez heureusement pour éloigner l’alarme présente, qu’ils finirent par fatiguer les membres de la confédération plus tièdes et moins actifs, et par créer en eux un désir soit de changer un service personnel en contribution pécuniaire, soit d’échapper à l’obligation de servir de quelque manière que ce fut. Les Athéniens n’auraient jamais acquis leur éducation navale, — la confédération n’aurait jamais fonctionné réellement, — la fatigue et les mécontentements n’auraient jamais pris naissance parmi ses membres, — s’il n’y avait eu une crainte réelle des Perses et une nécessité urgente d’opérations vigoureuses et organisées contre -eux, pendant les dix années qui s’écoulèrent entre 477 et 466 avant J.-C.

Ainsi, quant à ces dix années, nous ne pouvons nullement admettre que les incidents particuliers mentionnés par Thucydide au sujet d’Eiôn, de Skyros, de Karystos et de Naxos, constituent la somme totale des événements. Pour contredire cette supposition, j’ai déjà insinué une preuve suffisante, bien qu’indirecte, qu’ils n’étaient qu’une partie de ce que renfermait une période très active,-dont nous sommes condamnés à ignorer les autres détails, indiqués comme digression par Thucydide dans son langage général et large. Nous rie sommes pas non plus admis à assister à l’assemblée de Dêlos qui, pendant tout ce temps, continua ses réunions périodiques : bien qu’il eût été extrêmement intéressant de suivre les phases par lesquelles une institution, qui promettait d’abord de protéger non moins les droits séparés des membres que la sécurité du corps entier, manqua si tristement son but. Nous devons nous rappeler que cette confédération, formée pour des objets communs à tous, limitait à une certaine mesure l’autonomie de chaque membre ; elle conférait à la fois des droits définis et imposait des obligations définies. Jurée solennellement par tous, et par Aristeidês au nom d’Athènes, elle était destinée à lier les membres à jamais, — ce que marquait même la formalité du serment, accomplie en jetant dans la mer de lourds morceaux de fer, qu’on ne devait jamais revoir[9]. Comme cette confédération était à la fois perpétuelle et obligatoire ; qu’elle liait chaque membre au reste sans permettre ni retraite ni défaite, il était essentiel qu’elle fût soutenue par une autorité déterminante et par une sanction qui put imposer. L’autorité déterminante fut fournie par l’assemblée à Dêlos, la sanction qui devait imposer fut exercée par Athènes, en qualité de présidente. Et il y a tout lieu de présumer que, pendant longtemps, Athènes remplit ce devoir d’une manière légitime et honorable, agissant en exécution des résolutions de l’assemblée, ou du moins en pleine harmonie avec ses desseins généraux. Elle exigea de chaque membre la quote-part fixée d’hommes ou d’argent, employant la coercition contre les récalcitrants, et punissant par des châtiments l’abandon du devoir militaire. Dans toutes ces demandes, elle s’acquittait seulement de ses fonctions appropriées comme chef choisi de la confédération. Il ne peut y avoir lieu de douter raisonnablement que l’assemblée générale ne la soutint cordialement[10] dans la rigueur à montrer à l’égard de ceux qui obtenaient protection sans supporter leur part du fardeau.

Mais après un petit nombre d’années, plusieurs des confédérés, finissant par se fatiguer du service militaire personnel, obtinrent des Athéniens qu’ils fourniraient à leur place des vaisseaux et des hommes, et s’imposèrent en échange un payement en argent d’une quantité convenable. Ce changement, introduit probablement d’abord pour obvier à quelque cas spécial où il leur était difficile de fournir ce contingent, se trouva être tellement du goût de toutes les parties, qu’il s’étendit graduellement à la plus grande portion des confédérés. Pour des alliés peu belliqueux, haïssant la peine et les privations, ce fut un soulagement heureux ; tandis que pour les Athéniens, pleins d’ardeur et supportant la fatigue aussi bien que la discipline pour l’agrandissement de leur pays, il leur procura une paye constante pour une flotte plus nombreuse que celle qu’autrement ils auraient pu garder à flot : Il est évident, d’après l’attestation de Thucydide, que ce changement dans la pratique fut introduit sur la demande des confédérés eux-mêmes, et non par suite d’une pression ou d’un stratagème de la part d’Athènes[11]. Mais bien que telle fût sa source réelle, il n’en dégrada pas moins fatalement les alliés par rapport à Athènes, et éteignit le sentiment primitif d’égalité de droits et de société dans la confédération, avec une communauté de danger aussi bien que de gloire, qui les avait unis naguère. Les Athéniens en vinrent à se considérer comme chefs militaires et comme soldats, avec un corps de sujets payant tribut, sur lesquels ils étaient autorisés à dominer et qu’ils pouvaient retenir, à la fois quant à la politique étrangère et au gouvernement intérieur, dans la mesure qu’ils jugeaient utile, — mais qu’ils étaient aussi obligés de protéger contre les ennemis étrangers. Les forces militaires de ces Etats sujets furent ainsi en grande partie transférées à Athènes de leur propre fait, précisément comme celles de tant de princes indigènes dans l’Inde ont été cédées aux Anglais. Mais la puissance militaire de la confédération contre les Perses s’accrut beaucoup,à mesure que les résolutions vigoureuses d’Athènes[12] furent de moins en moins paralysées par les luttes et l’irrégularité d’une assemblée ; de sorte que la guerre fut poursuivie avec un plus grand succès que jamais, tandis que ces motifs d’alarme qui avaient servi d’abord de stimulant pressant à la formation de la confédération finirent par s’éloigner de plus eh plus chaque année.

C’est dans ces circonstances que plusieurs des États confédérés se fatiguèrent même de payer leur tribut, — et devinrent contraires à l’idée de rester comme membres. Ils firent des essais successifs pour se séparer ; mais Athènes, agissant vraisemblablement de concert avec l’assemblée, réprima leurs tentatives les unes après les autres, — elle vainquit les révoltés, leur imposa des amendes et les désarma ; ce qu’elle fit d’autant plus aisément que, dans la plupart des cas, leurs forces navales lui avaient été transmises en grande partie. Comme ces événements arrivèrent, non pas tout d’un coup, nais successivement en différentes années, — le nombre des simples alliés pavant tribut aussi bien que de révoltés soumis croissant continuellement, — il n’y eut jamais un seul moment de changement apparent dans le caractère de la confédération. Les alliés passèrent insensiblement, et sans en avoir conscience,à l’état de sujets ; tandis qu’Athènes, sans aucun plan déterminé à l’avance, de chef devint despote : En imposant rigoureusement les obligations du pacte aux membres mal disposés, et en employant la coercition contre les révoltés, elle était devenue impopulaire à mesure qu’elle acquérait une nouvelle puissance, — et cela aussi sans aucune faute de sa part. Dans cette position, même si elle avait incliné à relâcher sols empire sur les ‘sujets tributaires, des considérations de sûreté personnelle l’auraient détournée de le faire ; car il y avait lieu de craindre qu’ils ne missent leurs forces à la disposition de ses ennemis. Il est très certain qu’elle n’y inclina jamais. Il aurait fallu une moralité publique plus disposée à l’abnégation que ne l’a jamais pratiquée aucun État, soit ancien, soit moderne, même pour concevoir l’idée d’abandonner volontairement un immense ascendant aussi bien qu’un revenu lucratif ; il était encore moins vraisemblable qu’une telle idée fût conçue par des citoyens athéniens, dont l’ambition grandissait avec leur pouvoir, et chez qui l’amour de l’ascendant athénien était en même temps de la passion et du patriotisme. Mais bien que les Athéniens fussent à la fois disposés et aptes à pousser tous les avantages offerts et même à en chercher de nouveaux, — nous ne devons pas oublier que les fondements de leur empire reposaient sur les causes les plus honorables : invitation volontaire, — efforts à la fois infatigables et heureux contre un ennemi commun, — impopularité encourue dans l’accomplissement d’un devoir impératif, — et impuissance de rompre la confédération sans se mettre en danger eux-mêmes et sans laisser la mer Egée ouverte aux Perses[13].

Il y eut deux autres causes ; outre celle qui vient d’être signalée, de l’impopularité d’Athènes souveraine. D’abord, l’existence de la confédération, imposant des obligations permanentes, était en lutte avec l’instinct général de l’esprit grec, qui tendait vers une autonomie politique séparée de chaque cité, — aussi bien qu’avec le tour particulier de l’esprit ionien, incapable de cet effort personnel et constant, qui était nécessaire pour maintenir l’assemblée de Dêlos sur sa première base large et’ égale. Ensuite, — et c’est là la principale cause, — Athènes, après avoir défait les Perses, et les avoir repoussés au loin, commença à employer les forces et le tribut de ses alliés sujets à faire aux Grecs une guerre où ces alliés n’avaient rien à gagner à la suite du succès, — avaient tout à craindre après la défaite, — et une bannière à défendre, blessante pour des sympathies helléniques. C’est sous ce rapport que les alliés sujets eurent tout lieu de se plaindre, pendant les guerres prolongées de Grecs contre Grecs en vue de soutenir la prééminence athénienne. Mais sous celui de griefs ou d’oppression pratiques, il y eut peu de motifs pour être mécontents, et ils éprouvèrent peu de mécontentement réel, comme je le montrerai ci-après d’une manière plus complète. Dans le corps général de citoyens des cités alliées et sujettes, le sentiment à l’égard d’Athènes était plutôt de l’indifférence que de la haine. Le mouvement de révolte contre elle partit de petites fractions d’hommes importants, agissant à part des citoyens, et en général avec des vues particulières d’ambition pour eux-mêmes. La haine positive envers elle fut ressentie surtout par ceux qui n’étaient pas ses sujets.

Il est probable que le même éloignement pour un effort personnel, qui poussa les confédérés de Dêlos à offrir un payement en argent à la place d’un service militaire, les engagea aussi à négliger l’assiduité à l’assemblée. Mais nous ne savons pas les phases par lesquelles passa cette assemblée, qui fut d’abord une réalité effective, pour ne devenir graduellement qu’une pure formalité et pour finir par disparaître. Toutefois, rien ne peut montrer plus fortement la différence de caractère entre les alliés maritimes d’Athènes et les alliés péloponnésiens de Sparte que ce fait, — que tandis que les premiers reculaient devant un service personnel et jugeaient avantageux de se taxer pour le remplacer, — les derniers étaient suffisamment prêts de leurs personnes, mais inflexibles et intraitables quant aux contributions[14]. Le mépris ressenti par ces hommes de terre Dôriens pour la capacité militaire des Ioniens revient souvent, et parait même avoir dépassé ce que justifiait la réalité. Mais quand nous songeons à la conduite de ces dernières vingt années antérieures à la bataille de Ladê, dans la crise même de la révolte ionienne contre la Perse[15], — nous découvrons le même défaut d’énergie, la même impuissance quant à la peine et aux efforts personnels que ceux qui rompirent la confédération de Délos avec toutes ses avantageuses promesses. Pour apprécier complètement l’activité et l’audace infatigables, en même temps que la patience à endurer une laborieuse éducation maritime, qui caractérisaient les Athéniens de cette époque, — nous n’avons, qu’à les mettre en contraste avec ces confédérés si remarquablement dépourvus de ces qualités. Avec des inégalités si frappantes de mérite, de capacité et de pouvoir, maintenir une confédération de membres égaux était impossible. Il était dans la nature des choses que la confédération se brisât ou bien qu’elle se transformât en un empire athénien.

J’ai déjà mentionné que la première imposition collective de tribut, proposée par Aristeidês et adoptée par l’assemblée de Dêlos, était de quatre cent soixante talents en argent. A cette époque, bien des confédérés payaient leur quote-part, non en argent, mais en vaisseaux. Mais cette coutume diminua graduellement, à mesure que se multiplièrent les changements cités plus haut, d’argent à la place de vaisseaux, tandis que le tribut collectif devint naturellement plus considérable. Il ne dépassait pas six cents talents[16] au commencement dé la guerre du Péloponnèse, quarante-six ans après la première formation de la confédération : d’où nous pouvons conclure qu’il ne fut jamais augmenté an détriment de membres individuels pendant cet intervalle. Car la différence entre quatre cent soixante talents et six cents peut entièrement s’expliquer par les nombreux changements de service en argent, aussi bien que par les acquisitions de nouveaux membres, que sans doute Athènes eut plus ou moins l’occasion de faire. On ne doit pas s’imaginer que la confédération ait atteint son maximum comme nombre à la date de la première imposition du tribut : il a dû y avoir diverses cités, telles que Sinopê et Ægina, ajoutées subséquemment[17].

Sans un exposé préliminaire semblable à celui que nous venons de faire, relativement au nouvel état de la Grèce entre la guerre des Perses et celle du Péloponnèse, commençant avec le commandement ou hégémonie athénienne, et finissant avec l’empire athénien, — le lecteur aurait de la peine à comprendre la portée de ces événements particuliers que nos autorités nous mettent à même de raconter ; événements peu nombreux par malheur, bien que la période ait dit être pleine d’action, — et mal constatés quant aux dates. La première entreprise des Athéniens que nous connaissions dans leur nouvelle qualité (fut-ce absolument la première ou non ? c’est ce que nous ne pouvons déterminer), entre 476 et 466 avant J.-C., fut la conquête du poste important d’Eiôn sur le Strymôn, où le gouverneur persan Bogês, réduit par la faim, après une résistance désespérée, — au lieu de capituler, aima mieux se détruire avec sa famille et ses effets précieux, — comme nous l’avons déjà dit. Les événements suivants que l’on cite sont leurs entreprises contre les Dolopes et les Pélasges dans l’île de Skyros (vraisemblablement vers 470 av. J.-C.), et contre les Dryopes dans la ville et le district de Karystos, en Eubœa. Ces derniers, qui étaient d’une race différente dé celle des habitants de Chalkis et d’Eretria, et qui ne reçurent d’eux aucune aide, obtinrent une capitulation : les premiers furent traités avec plus de rigueur et chassés de leur île. Skyros était stérile et avait peu de chose qui la recommandât, si ce n’est une bonne position maritime et un excellent port ; tandis que ses habitants, vraisemblablement parents des Pélasges résidant à Lemnos antérieurement à l’occupation de cet endroit par les Athéniens, étaient à la fois adonnés à la piraterie et cruels. Quelques marchands thessaliens, récemment pillés et emprisonnés par eux, avaient porté plainte contre eux devant l’assemblée amphiktyonique, qui condamna l’île à faire une restitution. La masse des insulaires rejeta la charge sur ceux qui avaient commis le crime : et ces hommes, afin d’échapper au payement, invoquèrent Kimôn avec l’armement athénien. Il s’empara de l’île, en chassa les habitants, et la peupla de colons athéniens.

Cet acte qui purgeait l’île fut utile et approprié au nouveau caractère d’Athènes, comme gardienne de la mer Ægée contre la piraterie ; mais il semble aussi se rattacher à des plans athéniens. L’île était très commode pour la communication avec Lemnos (que les Athéniens avaient sans doute occupée de nouveau après l’expulsion des Perses)[18], et elle devint, aussi bien que Lemnos, une adjonction reconnue ou portion avancée de l’Attique. De plus, il y avait d’antiques légendes qui rattachaient les Athéniens à elle, comme tombe de leur héros Thêseus, dont le nom, en qualité de champion mythique de la démocratie, était en faveur particulière à l’époque qui suivit immédiatement le retour de Salamis. C’était dans l’année 476 avant J.-C. que l’oracle leur avait ordonné, d’apporter de Skyros à. Athènes les ossements de Thêseus, et de préparer pour ce héros une sépulture et un monument magnifiques dans leur nouvelle cité. Ils avaient essayé de le faire ; mais les mœurs insociables des Dolopes avaient empêché toute recherche, et ce ne fut qu’après que Kimôn eut pris cette île qu’il trouva ou prétendit trouver le corps. Il fut apporté à Athènes dans l’année 469 avant J.-C.[19] Et après avoir été bien accueilli par le peuple dans une procession solennelle et joyeuse, comme si le héros fût revenu lui-même, il fut déposé dans l’intérieur de la ville. A l’endroit même on construisit le monument appelé le Thêseion, avec son enceinte sacrée, investi du privilège de servir de sanctuaire à des hommes de condition pauvre qui pouvaient avoir des raisons pour craindre l’oppression des gens puissants, aussi bien qu’à des esclaves soumis à de cruels traitements[20]. Telles étaient les fonctions tutélaires du héros mythique de la démocratie ; dont l’installation est intéressante en ce qu’elle marque l’intensité croissante du sentiment démocratique à Athènes depuis la guerre des Perses.

Ce fut environ deux ans, ou plus, après cet incident, que l’union de la confédération de Naxos se rompit pour la première fois. L’importante île de Naxos, la plus vaste des Cyclades, — île qui, trente ans auparavant, s’était vantée d’avoir une marine considérable et huit mille hoplites, — se révolta ; sur quel motif particulier ? c’est ce que nous ignorons ; mais il est probable que les îles plus grandes se croyaient plus en état de se passer de la protection de la confédération que les plus petites, — en même temps qu’elles étaient plus jalouses d’Athènes. Après un siége dont la durée est inconnue, par Athènes et l’armée confédérée, elle fut forcée de se rendre, et réduite à la condition de sujette soumise à un tribut[21] ; sans doute ses vaisseaux armés furent enlevés et ses fortifications rasées. Une amende ou une peine ultérieure fut-elle imposée ? c’est ce qu’on ne nous dit pas.

Nous ne pouvons douter que la réduction de cette île puissante, bien que fâcheuse dans ses effets sur le caractère égal et indépendant de la confédération, n’ait augmenté ses forces militaires en mettant toute la flotte naxienne avec de nouvelles contributions pécuniaires entre les mains de son chef. Il n’est pas non plus surprenant d’apprendre qu’Athènes chercha à la fois à employer ces nouvelles forces et à effacer le dernier acte de sévérité par un redoublement d’efforts contre l’ennemi commun. Bien que nous ne connaissions pas de détails relativement aux opérations contre la Perse depuis l’attaque d’Eiôn, ces opérations ont dd continuer ; mais l’expédition sous Kimôn, entreprise peu de temps après la révolte naxienne, fut suivie de résultats mémorables. Ce commandant, ayant sous ses ordres 200 trirèmes d’Athènes et 100 des divers confédérés, fut envoyé pour attaquer les Perses sur la côte sud et sud-ouest de l’Asie Mineure. Il attaqua plusieurs de leurs garnisons et les chassa de divers établissements grecs, tant en Karia qu’en Lykia ; entre autres, l’importante cité commerçante de Phasêlis, bien que d’abord elle résistât et soutint même un siége, fut décidée par les suggestions amicales de ceux de Chios qui étaient dans l’armement de Kimôn, à payer une contribution de dix talents et à se joindre à l’expédition. Le long temps occupé dans ces diverses entreprises avait permis aux satrapes persans de réunir une armée puissante, tant de mer que de terre, près de l’embouchure du fleuve Eurymedôn, en Pamphylia, sous le commandement de Tithraustês et de Pherendatês, tous deux de sang royal. La flotte, principalement phénicienne, semble avoir consisté en 200 vaisseaux ; mais on attendait un autre renfort de 80 vaisseaux phéniciens, qui étaient alors près de là, de sorte que les commandants n’étaient pas disposés à hasarder une bataille avant son arrivée. Kimôn, désireux pour la même raison de hâter le combat, les attaqua vigoureusement. En partie à cause de l’infériorité du nombre, en partie par suite du découragement que leur causa l’absence du renfort, ils ne semblent pas avoir fait une vaillante résistance. Ils furent mis en fuite et poussés à la côte si promptement, et avec si peu de pertes du côté des Grecs, que Kimôn put débarquer ses hommes sur-le-champ et attaquer l’armée de terre, qui était rangée sur là rivage pour les protéger. La bataille sur terre fut longue et bravement disputé ; mais Kimôn finit par remporter une victoire complète, dispersa l’armée, fit une foule de prisonniers, et prit ou détruisit la flotte entière. Quand il se fut assuré de sa victoire et de ses prisonniers, il fit voile vers Kypros, dans le dessein d’intercepter le renfort de quatre-vingts vaisseaux phéniciens dans sa marche, et il fut assez heureux pour l’attaquer pendant qu’il ignorait encore les victoires sur l’Eurymedôn. Ces vaisseaux aussi furent tous détruits, bien qu’il semblé que la plus grande partie des équipages se sauva sur la côte de l’île. Deux grandes victoires, une sur mer et l’autre sur terre, comptèrent avec raison parmi les plus glorieux de tous les exploits grecs, et furent célébrées comme telles dans l’inscription placée sur l’offrande commémorative à Apollon, composée du dixième des dépouilles[22]. Le nombre des prisonniers, aussi bien que le butin pris par les vainqueurs, fut immense.

Une victoire aussi remarquable, qui rejeta les Perses dans le pays à l’est de Phasêlis, fortifia sans doute considérablement la position de la confédération athénienne contre eux. Mais elle ne contribua pas moins à élever la réputation d’Athènes, et même à la populariser auprès des alliés en général, à cause de la quantité considérable du butinà partager entre eux. Probablement cette augmentation de puissance et de popularité lui fut avantageuse clans toute sa lutte prochaine avec Thasos, en même temps qu’elle explique l’accroissement de la crainte et du mécontentement des Péloponnésiens.

Thasos était membre de la confédération de Dêlos ; mais sa querelle avec Athènes semble être née de causes tout à fait distinctes de rapports entre confédérés. Nous avons déjà dit que les Athéniens avaient dans les quelques dernières années chassé les Perses du poste important d’Eiôn sur le Strymôn, le poste le plus commode à cause de la contrée voisine de Thrace, qui n’était pas moins distinguée par sa fertilité que par sa richesse en mines. Pendant qu’ils possédaient ce poste, les Athéniens avaient eu le temps d’apprendre à connaître le caractère productif du pays adjacent, occupé surtout par des Thraces Édoniens, et il est extrêmement probable que beaucoup de colons particuliers arrivèrent d’Athènes dans le dessein dé se procurer des concessions ou de faire leur fortune en s’associant avec des Thraces puissants pour l’exploitation des mines d’or qui entouraient le mont Pangæos. En agissant ainsi, ils ne tardèrent pas à se trouver en conflit avec les Grecs de file du mont Thasos placée en face, qui possédaient une bande considérable de terre avec diverses villes dépendantes sur le continent de Thrace, et tiraient un revenu abondant des mines de Skaptê Hylê, aussi bien que d’autres, dans lé voisinage[23]. La condition de Thasos à cette époque (vers 465 av. J.-C.), nous indique les progrès que les États grecs de la mer Ægée avaient faits depuis qu’ils étaient délivrés de la Perse. Elle avait été privée tant de ses fortifications que de ses forces navales par ordre de Darius, vers 491 avant J.-C., et doit être restée dans cet état jusqu’après l’échec de Xerxès ; mais nous la trouvons actuellement bien fortifiée et possédant de puissantes forces maritimes.

De quelle manière exacte la querelle entre les Thasiens et les Athéniens d’Eiôn se manifesta-t-elle, relativement au commerce et aux mines de Thrace ? c’est ce que nous ignorons. Mais elle en vint à un tel point que les Athéniens furent amenés à envoyer un puissant armement contre l’île, sous le commandement de Kimôn[24]. Après avoir vaincu l’armée thasienne sur mer, ils débarquèrent, gagnèrent diverses batailles, et bloquèrent la ville aussi bien par terre que par mer. Et en même temps ils entreprirent, — ce qui semble avoir été une partie du même plan, — l’établissement d’une colonie plus considérable et plus puissante sur la terre de Thrace à peu de distance d’Eiôn. Sur le Strymôn, à environ trois milles (4 kil. 800 m.) au-dessus d’Eiôn, près de l’endroit où le fleuve se rétrécit de nouveau après une large expansion de la nature d’un lac, était située la ville édonienne ou colonie appelée Ennea Hodoi (Neuf Routes), un peu au-dessus du pont qui servait ici de communication importante pour tous les peuples de l’intérieur. Histiæos et Aristagoras, les deux despotes milésiens, avaient été tentés tous deux, par les avantages de ce lieu, d’y commencer un établissement : tous deux avaient échoué, et un troisième échec sur une échelle plus grande encore était alors sur le point d’être ajouté aux deux premiers. Les Athéniens y envoyèrent un corps considérable de colons, au nombre de dis mille, composé en partie de leurs propres citoyens, en partie de leurs alliés : les tentations de l’emplacement appelèrent probablement de nombreux volontaires. En ce qui concernait Ennea Hodoi, ils réussirent à la conquérir et à en chasser les possesseurs édoniens. Mais en essayant de s’étendre plus loin à l’est, jusqu’à un endroit appelé Drabêskos, commode à cause de la région des mines, ils rencontrèrent une résistance plus formidable de la part d’une ligue puissante de tribus thraces, qui étaient venues au secours des Édoniens en hostilité prononcée avec la nouvelle colonie, — probablement non sans y avoir été poussées parles habitants de Thasos. Tous les dix mille colons, ou la plupart d’entre eux, furent tués dans cette guerre, et la nouvelle colonie fut pour le moment complètement abandonnée. Nous la trouverons reprise ci-après[25].

Tout désappointés que fussent les Athéniens dans cette entreprise, ils n’abandonnèrent pas le blocus de Thasos, qui tint plus de deux axis et ne se rendit que dans la troisième année. Ses fortifications furent rasées ; ses vaisseaux de guerre, au nombre de trente-trois, emmenés[26] ; ses possessions et ses établissements de mines sur le continent opposé furent abandonnés. En outre, on demanda aux habitants une contribution immédiate en argent, outre le payement annuel qui leur fut imposé pour l’avenir. La réduction de cette île puissante fut une autre phase dans la domination croissante d’Athènes sur ses confédérés.

Toutefois, l’année qui précéda celle où les Thasiens se rendirent, ils avaient fait une démarche qui mérite une mention particulière, comme indiquant les nuages qui commençaient à se former dans l’horizon politique de la Grèce. Ils .s’étaient adressés secrètement aux Lacédæmoniens pour obtenir du secours, les suppliant de détourner l’attention d’Athènes par une invasion en Attique ; et les Lacédœmoniens, à l’insu d’Athènes, qui s’étaient réellement engagés à accéder à leur requête, ne furent empêchés de remplir leur promesse que par un grave et terrible malheur survenu chez eux[27]. Bien qu’un hasard seul se soit opposé à sort accomplissement, cette promesse hostile est un événement des plus significatifs. Elle marque les progrès de la crainte et de la haine de la part de Sparte et des Péloponnésiens à l’égard d’Athènes, uniquement sur les motifs généraux de la grandeur de son pouvoir et sans aucune provocation spéciale. Bien plus, Athènes n’avait fait aucune provocation ; mais elle était encore effectivement comprise comme membre de l’alliance lacédæmonienne, et nous la verrons bientôt appelée en cette qualité et agissant comme telle. Nous entendrons tellement parler d’Athènes, et cela aussi avec vérité comme entreprenante et agressive, — et de Sparte comme sédentaire et se tenant sur la défensive, — qu’il devient important de faire remarquer l’incident que nous venons de mentionner. La première pensée d’une hostilité gratuite et même perfide, — germe de la future guerre du Péloponnèse, — est conçue par Sparte et réduite par elle en un engagement.

Plutarque nous dit que les Athéniens, après que Thasos se fut rendue et que l’armement fut libre, avaient attendu de Kimôn quelques autres conquêtes en Macedonia, — et que même il était réellement entré dans ce dessein en promettant si bien le succès que l’accomplissement en était certain aussi bien que facile. Il l’abandonna dans ces circonstances et retourna à Athènes ; aussi fut-il accusé par Periklês et par d’autres d’avoir été acheté par des présents du roi macédonien Alexandre ; mais il fut acquitté après un jugement public[28].

Pendant la période qui s’était écoulée entre la première formation de la confédération de Dêlos et la prise de Thasos (treize ou quatorze ans environ, 477-463 av. J.-C.), les Athéniens semblent avoir été occupés presque entièrement à leurs opérations maritimes, surtout contre les Perses, — avant été délivrés de tout embarras immédiatement autour de l’Attique. Mais cette liberté ne devait pas durer beaucoup plus longtemps. Pendant les dix années suivantes, leurs relations étrangères près de chez eux deviennent à la fois actives et compliquées ; tandis que leur force s’étend d’une manière si merveilleuse qu’on les trouve en état de remplir à la fois leurs obligations sur les deux côtés de la mer Ægée, à distance aussi bien que dans le voisinage.

Quant aux incidents qui étaient survenus dans la Grèce centrale pendant les douze ou quinze années qui suivent immédiatement là bataille de Platée, nous n’avons guère de renseignements sur ce point. Les sentiments du temps, entre ceux des Grecs qui avaient appuyé l’envahisseur persan et ceux qui lui avaient résisté, doivent être restés hostiles, même après la fin de la guerre ; tandis que la seule occupation de la nombreuse armée des Perses doit avoir causé un sérieux dommage, tant à la Thessalia qu’à la Bœôtia. A la réunion de l’assemblée amphiktyonique qui suivit l’expulsion des envahisseurs, on mit à prix la tête du Mêlien Ephialtês, qui avait livré à Xerxès le sentier de la montagne sur l’Œta, et causé ainsi la ruine de Léonidas aux Thermopylæ. De plus, si nous pouvons en croire Plutarque, Lacédæmone proposa même que tous les Grecs qui mêdisaient fussent chassés de l’assemblée[29], — proposition à laquelle résistèrent heureusement les vues de Themistoklês à plus longue portée. Même la mesure plus radicale de raser les fortifications de toutes les villes en dehors du Péloponnèse, dans la crainte qu’elles ne fussent employées à aider quelque invasion future, s’était présentée à l’esprit des Lacédæmoniens, — comme nous le voyons par leur langage à l’occasion de la reconstruction des murailles d’Athènes. Quant à la Bœôtia, il parait que l’hégémonie de Thèbes, aussi bien que la cohérence de la fédération, fut pour le moment presque suspendue. Les villes détruites de Platée et de Thespiæ furent réparées, et la dernière repeuplée en partie[30], sous l’influence d’Athènes. Le sentiment général du Péloponnèse, aussi bien que d’Athènes, aurait soutenu ces villes contre Thèbes, si cette dernière avait essayé à cette époque de leur imposer sa suprématie au nom de l’ancien droit et usage bœôtien[31]. Le gouvernement thêbain était alors en discrédit à cause de son mêdisme antérieur, même aux yeux des Thêbains[32] ; tandis que le parti opposé à Thèbes dans les autres villes était si puissant que beaucoup d’entre elles se seraient probablement séparées de la confédération pour devenir alliées d’Athènes comme Platée, si l’intervention des Lacédæmoniens n’avait arrêté une telle tendance. Lacédæmone était dans toutes les autres parties de la Grèce ennemie d’un agrégat organisé de villes, soit égales, soit inégales, et elle était constamment appliquée à tenir séparées les petites communautés autonomes[33] : par là elle devenait quelquefois par accident la protectrice des cités plus faibles contre une alliance obligatoire que leur imposaient les plus fortes. L’intérêt de son propre ascendant était sous ce rapport analogue à celui des Perses quand ils dictèrent la paix d’Antalkidas, — des Romains dans l’administration de leurs conquêtes étendues, — et des rois de l’Europe du moyen âge quand ils brisaient l’autorité des barons sur leurs vassaux. Mais bien que telle fût la politique de Sparte ailleurs, sa crainte d’Athènes, qui s’accrut pendant les vingt années suivantes, la fit agir différemment à l’égard de la Bœôtia. Elle n’avait pas d’autre moyen de conserver ce pays comme son allié et comme l’ennemi d’Athènes, si ce n’est en organisant la fédération d’une manière efficace, et en fortifiant l’autorité de Thèbes. C’est à cette révolution dans la politique spartiate que Thèbes dut de recouvrer son ascendant[34], — révolution marquée si évidemment que les Spartiates même aidèrent à agrandir son enceinte et à perfectionner ses fortifications. Ce ne fut pas sans difficulté qu’elle maintint cette position, même quand elle l’eut recouvrée, contre le dangereux voisinage d’Athènes, — circonstance qui fit d’elle non seulement un partisan ardent de Sparte, mais même qui lui inspira contre Athènes une antipathie plus furieuse que celle des Spartiates, jusqu’à la fin de la guerre du Péloponnèse.

La révolution que nous venons de signaler dans la politique spartiate à l’égard de la Bœôtia, ne se manifesta qu’environ vingt ans après le commencement de la confédération maritime athénienne. Dans le cours de ces vingt années, nous savons que Sparte avait eu plus d’une bataille à soutenir en Arkadia contre les villes et les villages de ce pays, et qu’elle fut victorieuse ; mais nous n’avons pas de détails relativement à ces incidents. Nous savons aussi que peu d’années après l’invasion des Perses, les habitants de l’Elis, quittant de nombreux municipes dispersés, se concentrèrent dans la seule ville principale d’Elis[35] ; et il semble probable que Lepreon en Triphylia, et une ou deux des villes de l’Achaïa, furent ou fermées ou agrandies par un procédé semblable presque à la même époque[36]. Une telle agrégation de villes, formée de villages séparés préexistants, n’était ni conforme aux vues, ni favorable à l’ascendant de Lacédæmone. Mais il n’y a galère lieu de douter que sa politique étrangère après l’invasion des Perses n’ait été à la fois gênée et discréditée par la mauvaise conduite de ses deux rois contemporains, Pausanias (qui bien que régent seulement équivalait en pratique à un roi) et Léotychidês, — pour ne pas mentionner le rapide développement d’Athènes et de Peiræeus.

De plus, dans l’année 464 avant J.-C. (année qui précède la reddition de Thasos se soumettant à l’armement athénien), un malheur d’une importance plus terrible encore vint frapper Sparte. Un violent tremblement de terre se fit sentir dans le voisinage immédiat de Sparte elle-même, et détruisit une portion considérable de la ville et un nombre immense d’hommes, dont beaucoup étaient des citoyens spartiates. C’était un châtiment infligé par Poseidôn, le dieu qui ébranle la terre (dans la pensée des Lacédæmoniens eux-mêmes), à cause d’une violation récente de son sanctuaire à Tællaros, d’où l’on avait arraché peu de temps auparavant, pour les punir, certains Ilotes suppliants[37] : — c’étaient assez probablement quelques-uns de ces Ilotes que Pausanias avait poussés à la révolte. Le sentiment des Ilotes, de tout temps hostile à l’égard de leurs maîtres, paraît à ce moment avoir été extraordinairement inflammable : de sorte qu’un tremblement de terre à Sparte, surtout un tremblement de terre expliqué comme une vengeance divine pour du sang d’Ilotes récemment versé, suffit pour en faire révolter un grand nombre avec quelques-uns même des Periœki. Les insurgés prirent les armes et marchèrent directement sur Sparte, dont ils furent sur le point de se rendre maîtres pendant les premiers moments de consternation, si la présence d’esprit et la bravoure du jeune roi Archidamos n’eussent ranimé les citoyens survivants et repoussé l’attaque. Mais, bien que refoulés, les insurgés ne furent point réduits. Ils tinrent la campagne contre l’armée spartiate, parfois avec un avantage considérable, puisque Aeimnêstos (le guerrier sous les coups duquel. Mardonios avait succombé à Platée) fut défait et tué avec trois cents compagnons dans la plaine de Stenyklêros, accablé par la supériorité du nombre[38]. Quand à la fin ils furent défaits, ils occupèrent et fortifièrent la mémorable colline d’Ithômê, l’ancienne citadelle de leurs ancêtres messêniens. Ils y firent une défense longue et obstinée, se procurant sans doute leur subsistance par des incursions dans toute la Laconie. La défense dans le fait n’était pas difficile, si l’on songe que les Lacédæmoniens étaient à cette époque, de leur aveu, incapables d’attaquer même la fortification de la nature la plus imparfaite. Après que le siège eut duré quelque deux ou trois ans, sans aucune perspective de succès, les Lacédæmoniens, commençant à désespérer de pouvoir suffire seuls à l’entreprise, invoquèrent l’aide de leurs divers alliés, au nombre desquels nous trouvons spécifiés les Æginètes, les Athéniens et les Platæens[39]. Les troupes athéniennes, dit-on, consistaient en quatre mille hommes, sous le commandement de Kimôn, Athènes étant encore comprise dans la liste des alliés lacédæmoniens.

Les moyens d’attaquer les murailles à cette époque étaient si imparfaits, même pour les Grecs les plus intelligents, que cette augmentation de forces ne produisit pas d’effet immédiat sur la colline fortifiée d’Ithômê. Et quand les Lacédæmoniens virent que leurs alliés athéniens n’étaient pas plus heureux qu’ils ne l’avaient été eux-mêmes, ils passèrent bientôt de la surprise au doute, à la méfiance et à l’appréhension. Les troupes n’avaient fourni aucun motif pour un tel sentiment, tandis que l’attachement de Kimôn, leur général, pour Sparte, était notoire. Cependant les Lacédæmoniens ne purent se défendre de suspecter l’énergie et l’ambition toujours en éveil de ces étrangers ioniens qu’ils avaient introduits dans l’intérieur de la Laconie. Se rappelant leur promesse, — bien que secrète sans doute, — d’envahir l’Attique peu de temps auparavant, dans l’intérêt des Thasiens, — ils commencèrent même à craindre de voir les Athéniens se tourner contre eux et prêter l’oreille aux sollicitations qui leur étaient faites d’épouser la cause des assiégés.’ C’est sous l’influence de ces appréhensions qu’ils congédièrent sur-le-champ le contingent athénien, sous prétexte qu’ils n’avaient plus besoin de lui, tandis qu’ils retinrent tous les autres alliés, et que le siège en blocus continua comme auparavant[40].

Ce renvoi, extrêmement peu gracieux, et probablement rendu plus blessant par la rudesse habituelle : de la conduite spartiate, excita la plus violente exaspération chez les soldats athéniens et dans le peuple athénien, — exaspération augmentée par des circonstances qui le précédaient immédiatement. Car la résolution d’envoyer des auxiliaires en Laconie, quand les Lacédæmoniens s’adressèrent à eux pour la première fois, n’avait pas été prise sans de grands débats à Athènes. Le parti de Periklês et d’Ephialtês, habituellement en opposition avec Kimôn, favorable au mouvement démocratique avancé, l’avait fortement désapprouvée et avait conjuré ses compatriotes de ne pas aider à faire renaître et à fortifier leur rival le plus formidable. Peut-être l’engagement antérieur qu’avaient pris les Lacédæmoniens d’envahir l’Attique en faveur des Thasiens était-il venu à leur connaissance, bien que non assez formellement pour motiver un refus. Et même, en supposant que cet engagement fût resté inconnu de tous à cette époque, il ne manquait pas d’autres motifs pour rendre plausible la politique de refus. Mais Kimôn, — avec une ardeur que même le philolaconien Kritias appelait dans la suite un sacrifice de la grandeur d’Athènes à l’intérêt de Lacédæmone[41], — employa tout son crédit et toute son influence à appuyer la demande. Maintenir l’alliance avec Sparte sur un pied d’égalité, — entretenir la paix entre les grandes puissances de la Grèce et faire en commun la guerre à la Perse, — tout en empêchant tout nouveau changement démocratique en Attique, — tels étaient les principaux points de sa profession de foi politique. Jusqu’à ce moment son ascendant tant personnel que politique l’emportait encore sur ses rivaux ; jusqu’à ce moment on n’avait pas encore vu se manifester ce conflit qui ne venait de commencer à se montrer que dans le cas de Thasos, entre la puissance maritime d’Athènes et l’union des forces de terre sous Sparte ; et Kimôn pouvait encore considérer ces deux phénomènes comme des nécessités coexistantes du bien-être hellénique. Bien qu’il ne se distinguât nullement comme orateur, il entraîna l’assemblée athénienne en faisant appel à un patriotisme large et généreux qui lui interdisait de souffrir que Sparte fût humiliée. Ne consentez pas à voir la Hellas boiter d’une jambe et Athènes tirer le joug sans son compagnon d’attelage[42]. Tel fut son langage, comme nous l’apprend son ami et compagnon le poète de Chios, Iôn ; et dans la bouche de Kimôn il fut efficace. C’est un discours d’un intérêt presque triste, puisqu’il se passa quatre-vingt-dix ans avant qu’un tel appel fût jamais adressé de nouveau à une assemblée athénienne[43]. L’envoi des auxiliaires fut dicté ainsi par un généreux sentiment, au mépris de ce qui pouvait paraître de la prudence politique. Et nous pouvons nous imaginer la violente réaction qui s’opéra dans le sentiment des Athéniens, quand les Lacédæmoniens les récompensèrent en isolant leurs troupes de tous les autres alliés comme un objet de soupçon insultant. Nous pouvons nous imaginer le triomphe de Periklês et d’Ephialtês, qui s’étaient opposés à la mesure, — et la perte considérable d’influence que fit Kimôn, qui l’avait fait réussir, — quand Athènes reçut dans son assemblée publique les hoplites renvoyés d’Ithômê.

 

À suivre

 

 

 



[1] Thucydide, I, 94, i. e. sous l’hégémonie spartiate, avant que les Athéniens fussent invités à prendre l’hégémonie. Cf. I, 77, et Hérodote, VIII, 2, 3. Ensuite nous avons (I, 95) les Ioniens. De plus, quand les Spartiates envoyèrent Dorkis à la place de Pausanias, voir ce qu’il dit des alliés. Puis, quant à la conduite suivante des Athéniens voir I, 96, cf. aussi I, 75 et VI, 76.

Ensuite la transition de l’ήγεμονία à l’άρχή (I, 97).

Thucydide ensuite continue en disant qu’il mentionne ces nombreux pas en avant, que fit Athènes, en partant de sa première hégémonie, de manière à montrer de quelle façon l’empire athénien ou άρχή fut formé dans l’origine. La même transition de l’ήγεμονία à l’άρχή est décrite dans le discours de l’ambassadeur athénien à Sparte, peu avant la guerre du Péloponnèse (I, 75). Mais comme il était plutôt de l’intérêt de l’orateur athénien de confondre la différence entre ήγεμονία et άρχή, après qu’il a clairement exposé dans quel rapport Athènes avait été d’abord à l’égard de ses alliés, et comment dans la suite ce rapport finit par changer totalement, Thucydide le fait glisser sur cette distinction, et dire : σΰτως ούδ̕ ήμεϊς θαυμαστόν ούδέν πεποιήκαμεν.... εί άρχήν τε διδομένην έδεξάμεθα καί ταύτην μή ανεϊμεν, etc. ; et il continue ensuite à défendre le droit d’Athènes au commandement en raison de ses forces et de son mérite supérieurs ; raisons que quelques années plus tard les orateurs athéniens avancent d’une manière plus nue et plus choquante encore. Lire aussi les parole de l’Athénien Euphêmos à Kamarina (VI, 82), où parait une confusion semblable, comme étant appropriée à l’argument.

Il faut se rappeler que le mot hégémonie ou commandement est extrêmement général ; il dénote un cas où l’on suit un chef, ou d’obéissance, toutefois temporaire, adoucie, ou à vrai dire guère plus qu’honorifique. Il est employé ainsi par les Thêbains pour exprimer leur relation à l’égard des villes confédérées bœôtiennes (ήγεμονεύεσθαι ύφ̕ ήμών, Thucydide, III, 61, où le Dr Arnold attire l’attention sur la distinction entre ce verbe et άρχειν, et tient relativement à l’άρχή athénienne un langage plus précis que celui que l’on trouve dans sa note Ad Thucydidem, I, 94), et par les Corinthiens pour exprimer leurs droits comme métropole de Korkyra, droits qui en réalité n’étaient guère plus qu’honorifiques (Thucydide, I, 38) : cf. VII, 55. Il est vrai, il signifie seulement quelquefois un guide (III, 98 ; VII, 50).

Mais les mots άρχή, άρχειν, άρχεσθαι, voix pass., sont plus propres dans leur signification, et impliquent à la fois une dignité supérieure et une autorité coercitive dans une mesure plus ou moins grande : cf. Thucydide, V. 69 ; II, 8, etc. La πόλις άρχήν έχουσα est analogue à άνήρ τύραννος.

Hérodote est moins soigneux que Thucydide à distinguer le sens de ces mots. V. la discussion de l’ambassadeur lacédæmonien et de l’athénien avec Gelôn, (VII, 155-162). Mais il est à remarquer qu’il fait demander à Gelôn l’ήγεμονία et non l’άρχή, — mettant la demande sous la forme la moins blessante. Cf. aussi la demande des Argiens pour l’ήγεμονία (VII, 148).

[2] Thucydide, I, 97.

Ainsi Hellanicus n’avait rien fait de plus que de toucher les événements de cette période ; et il trouvait si peu de bons renseignements à sa portée, qu’il tombait dans des bévues chronologiques.

[3] Thucydide, I, 93.

Le Dr Arnold dit dans sa note : Εύθύς signifie probablement aussitôt après la retraite des Perses. Je crois qu’il se rapporte à une période plus ancienne, — à ce moment où Themistoklês conseilla pour la première fois aux Athéniens la construction de la flotte, ou au moins où il leur conseilla d’abandonner leur cité et de se confier entièrement à leurs vaisseaux. C’est seulement par cette supposition que nous obtenons un sens raisonnable pour les mots έτόλμησε επίεϊν, il fut le premier qui osa dire ce qui implique un conseil d’une hardiesse extraordinaire. Car il fut le premier qui osa leur donner l’avis de vouloir s’emparer de la mer, et, dès ce moment, il contribua à établir leur empire. Le mot ξυγκατεσκεύαζε semble indiquer une conséquence indirecte, non pas vue directement, bien que devinée peut-être par Themistoklês.

[4] Thucydide, I, 97.

[5] Hérodote, VII, 106, 107.

Il faut peu se fier à la chronologie vague de Plutarque, mais lui aussi reconnaît la durée de l’occupation persane de points en Thrace, avec l’aide des indigènes, jusqu’à une époque postérieure à la bataille de l’Eurymedôn (Plutarque, Kimôn, c. 14).

C’est une erreur de supposer, avec le Dr Arnold, dans sa note sur Thucydide, VIII, 62, que Sestos fut presque la dernière ville occupée par les Perses en Europe.

Weissenborn (Hellen, oder Beitraege zur genaueren Erforschung der altgriechischen Geschichte, Iéna, 1844, p. 144, note 31) a fait attention à cet important passage d’Hérodote, aussi bien qu’à celui de Plutarque ; mais il ne voit pas combien il embarrasse toute tentative tendant à établir une chronologie certaine pour ces deux ou trois événements que Thucydide nous donne entre 476-466 avant J.-C.

[6] Kutzen (De Atheniensium Imperio Cimonis atque Periclis tempore constituto, Grimæ, 1837. Commentatio I, p. 8) doute à bon droit du stratagème attribué à Kimôn par Pausanias (VIII, 8, 2) pour la prise d’Eiôn.

[7] C’est à ces opérations qui restaient à faire contre les Perses, que fait allusion l’ambassadeur athénien à Lacédæmone, dans son discours antérieur à la guerre du Péloponnèse, Thucydide, I, 75, et encore, III, 11. Cf. aussi Platon, Menexen, c. 11.

[8] L’éducation navale des Athéniens commence directement après l’échec des Perses, Thucydide, I, 142.

[9] Plutarque, Aristeidês, c. 24.

[10] Ce concours de l’assemblée générale est impliqué en fait dans le discours que Thucydide fait tenir aux ambassadeurs mitylénæens à Olympia, dans la troisième année de la guerre du Péloponnèse ; discours prononcé par des personnes entièrement hostiles à Athènes (Thucydide, III, 11).

[11] Thucydide, I, 97-99.

[12] V. les méprisantes remarques de Periklês sur les débats des alliés lacédæmoniens à Sparte (Thucydide, I, 141).

[13] Le discours de l’ambassadeur athénien, à Sparte, un peu avant la guerre du Péloponnèse, expose le développement de l’empire athénien, en général, avec une justesse parfaite (Thucydide, I, 75, 76). Il admet et même exagère son impopularité, mais montre que cette impopularité était, dans une grande mesure et certainement quant à son origine première, inévitable aussi bien qu’imméritée. Naturellement il omet, comme on pouvait s’y attendre, ces autres actes par lesquels Athènes l’avait aggravée elle-même.

Tout le discours mérite bien une étude attentive. Cf. aussi celui de Periklês à Athènes, dans la seconde année de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, II, 63).

[14] Thucydide, I, 141.

[15] V. Hérodote, VI, 12, et le tome VI, ch. 4 de cette Histoire.

[16] Thucydide, II, 13.

[17] Thucydide, I, 108 ; Plutarque, Periklês, c. 20.

[18] Xénophon, Helléniques, 5, 1, 31.

[19] M. Fynes Clinton (Fasti Hellenic., ad ann. 476 avant J.-C.) place la conquête de Skyros par Kimôn dans l’année 476 avant J.-C. Après avoir cité un passage de Thucydide, I, 98, et un de Plutarque, Thêseus, c. 36, aussi bien qu’une correction proposée par Bentley, qu’il rejette avec raison, il dit : L’île fut réellement conquise dans l’année de l’archonte Phædon, 476 avant J.-C. C’est ce que nous savons par Thucydide, I, 98, et par Diodore. XI, 41-48, en combinant leur témoignage. Plutarque nommait l’archonte Phædon par rapport à la conquête de l’île ; ensuite, par une négligence qui n’est pas rare chez lui, il rattachait l’oracle à ce fait, comme un événement contemporain, bien qu’en réalité on n’obtînt l’oracle que six ou sept ans plus tard.

Plutarque a à répondre de bien des fautes contre l’exactitude chronologique ; mais l’accusation portée ici contre lui n’est pas méritée. Il dit que l’oracle fut rendu dans l’année (476 av. J.-C.) de l’archonte Phædon, et que le corps de Thêseus fut rapporté à Athènes dans l’année (469 av. J.-C.) de l’archonte Aphepsion. Il n’y a rien qui contredise l’une ou l’autre de ces affirmations ; et les passages de Thucydide et de Diodore que cite M. Clinton ne prouvent pas ce qu’il avance. Les deux passages de Diodore n’ont en effet aucun rapport avec l’événement ; et en tant que Diodore peut dans le cas actuel servir d’autorité, il est contraire à M. Clinton car il dit que Skyros fut conquise en 470 avant J.-C. (Diodore, XI, 60). Thucydide nous dit seulement que les opérations contre Eiôn, Skyros et Karystos se firent dans l’ordre indiqué ici, et à quelque moment entre 476 et 466 avant J.-C. ; mais il ne nous met pas à même de déterminer positivement la date de chacune d’elles. D’après quelle autorité M. Clinton dit-il que l’on n’obtint l’oracle que six ou sept ans plus tard (i. e. après la conquête) ? c’est ce que j’ignore : le renseignement de Plutarque prouve plutôt qu’il fut obtenu six ou sept ans avant la conquête, et l’on peut s’en contenter jusqu’à ce qu’il se présente un témoignage meilleur qui le contredise. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous n’avons pas de témoignage quant à l’année de la conquête, si ce n’est celui de Diodore, qui la place en 470 avant J.-C ; mais, comme il attribue et la conquête d’Eiôn et les expéditions de Kimôn contre la Karia et la Pamphylia avec les victoires d’Eurymedôn, toutes à la même année, nous ne pouvons nous fier beaucoup à son autorité. Néanmoins j’incline à le croire quant à la date de la conquête de Skyros, parce qu’il me semble très probable que cette conquête s’effectua l’année qui précéda immédiatement celle dans laquelle le corps de Thêseus fut apporté à Athènes, événement que l’on peut rapporter avec grande confiance à l’an 469 avant J.-C., par suite de l’intéressante anecdote que raconte Plutarque au sujet du premier prix gagné par le poète Sophokle.

M. Clinton a donné dans son appendice (n° VI, — VIII, p. 248-253) deux dissertations relatives à la chronologie de la période qui s’étend depuis la guerre des Perses jusqu’à la fin de celle du Péloponnèse. Il a rendu un grand service en corrigeant l’erreur de Dodwell, de Wesseling et de Milford (fondée sur une explication inexacte d’un passage d’Isocrate), et qui consiste à supposer, après l’invasion des Perses en Grèce, une hégémonie spartiate, durant dix années, avant le commencement de l’hégémonie athénienne. Il a démontré qu’on doit calculer la dernière comme commençant en 477 on 476 avant J.-C., immédiatement après le soulèvement des alliés contre Pausanias, — dont cependant il n’est pas nécessaire de restreindre péremptoirement le commandement à une seule année, comme M. Clinton (p. 253) et Dodwell le soutiennent ; car les mots de Thucydide, έν τήδε τή ήγεμονίς, n’impliquent rien quant à la durée annuelle, et désignent simplement l’hégémonie qui précéda celle d’Athènes.

Mais la réfutation de cette erreur ne nous met à même d’établir aucune bonne chronologie positive pour la période entre 477 et 466 avant J.-C. Il ne sera pas possible d’expliquer πρώτον μέν (Thucydide, I, 98) par rapport à la conquête d’Eiôn par les Athéniens, comme s’il devait nécessairement signifier l’année après 477 avant J.-C. Si nous pouvions imaginer que Thucydide nous ait dit toutes les opérations militaires entre 477 et 466 av. J.-C., nous serions forcés d’admettre une grande partie de cet intervalle d’inaction contre lequel M. Clinton proteste si fortement (p. 252). Malheureusement Thucydide ne nous a dit qu’une petite portion des événements qui arrivèrent réellement.

M. Clinton compare les diverses périodes de durée assignées par des auteurs anciens à ce qui est improprement appelé « l’empire » athénien — entre 477-405 avant J.-C. (p. 248, 249). J’avoue que je suis plutôt d’accord avec le docteur Gillies, qui admet la contradiction entre ces auteurs ouvertement et sans déguisement, qu’avec M. Clinton, qui cherche à les mettre dans un accord relatif. Son explication n’est heureuse que par rapport à l’un d’eux, — Démosthène ; deux assertions, comme il le prouve (quarante-cinq ans dans un endroit, et soixante-treize dans l’autre), sont d’accord l’une avec l’autre aussi bien que justes sous le rapport chronologique. Mais assurément il n’est pas raisonnable de corriger le texte de l’orateur Lykurgue en substituant έβδομήκοντα à έννενήκοντα, et de dire ensuite que Lykurgue peut être ajouté au nombre de ceux qui disent que la période est de soixante-dix ans (p. 750). Nous ne devons pas mettre Andocide en harmonie avec d’autres, en supposant que son calcul monte jusqu’à la bataille de Marathôn, événement à partir duquel (490 av. J.-C.), jusqu’à la bataille d’Ægos-Potami, s’écoulent juste quatre-vingt-cinq ans (ibid.). Et nous ne devons pas justifier un calcul de soixante-cinq ans fait par Démosthène, en disant qu’il se termine à la défaite athénienne en Sicile (p. 249).

La vérité est qu’il y a plus ou moins d’inexactitude chronologique dans tous ces passages, excepté dans ceux de Démosthène, et de l’inexactitude historique dans tous, sans même excepter ces derniers. Il n’est pas vrai que les Athéniens ήρξαν τής θαλάσσηςήρξαν τών Έλλήνωνπροστάται ήσαν τών Έλλήνων — pendant soixante-treize ans. Le langage historique de Démosthène, de Platon, de Lysias, d’Isocrate, d’Andocide, de Lykurgue, demande à être soigneusement examiné avant qu’on s’y fie.

[20] Plutarque, Kimôn, c. 8 ; Thêseus, c. 36.

[21] Thucydide, I, 98. J’ai déjà dit dans le chapitre précédent que Themistoklês, comme fugitif, passa tout près de Naxos pendant qu’elle était assiégée, et courut grand risque d’être pris.

[22] Pour les batailles sur l’Eurymedôn, V. Thucydide, I, 100 ; Diodore, XI, 60-62 ; Plutarque, Kimôn, 12, 13.

Les récits des deux derniers écrivains paraissent tirés surtout d’Éphore et de Kallisthène, auteurs du siècle suivant, et de Phanodêmos, auteur encore plus récent. Je leur fais peu d’emprunts, et je prends seulement ce qui est compatible avec le bref exposé de Thucydide. Le récit de Diodore est excessivement confus, et, à vrai dire, il n’est guère intelligible.

Phanodêmos portait le nombre de la flotte persane à six cents vaisseaux ; Éphore à trois cent cinquante. Diodore (qui suit le dernier) donne trois cent quarante. Plutarque mentionne le renfort attendu de quatre-vingts vaisseaux phéniciens ; ce qui me parait une circonstance très croyable, qui explique la facile victoire navale de Kimôn à l’Eurymedôn. Par Thucydide, nous savons que la flotte vaincue à l’Eurymedôn ne comprenait pas plus de deux cents vaisseaux. Car c’est ainsi que je me hasarde à expliquer les mots de Thucydide, malgré l’autorité du docteur Arnold — Καί είλον (Άθηναϊοι) τριήρεις Φοινίκων καί διέφθειραν τάς πάσας ές (τάς) διακοσίας. Sur ce, le docteur Arnold fait observer : montant en tout à deux cents, c’est-à-dire que le nombre total des vaisseaux pris ou détruits fut de deux cents,et non pas que la flotte entière n’en comprenait pas davantage. En admettant l’exactitude de cette explication, (qui peut être défendue par VIII, 21), nous pouvons faire remarquer que la flotte phénicienne défaite, selon l’usage universel dans l’antiquité, se jeta à la côte pour être protégée par l’armée de terre qui l’accompagnait. Lorsque donc cette armée de terre était elle-même défaite et dispersée, les vaisseaux tombaient tous naturellement au pouvoir des vainqueurs ; ou s’il s’en échappait, c’était simplement par accident. En outre, le plus petit nombre dans le cas actuel se rapproche plus vraisemblablement de la vérité, en ce que nous devons supposer une facile victoire navale, afin de laisser de la force pour une bataille acharnée sur terre le même jour.

Il est remarquable que l’inscription commémorative spécifie seulement a cent vaisseaux phéniciens avec leurs équipages, comme ayant été pris (Diodore, XI, 62). Les cent autres furent probablement détruits. Diodore représente Kimôn comme ayant pris trois cent quarante vaisseaux, bien qu’il cite lui-même l’inscription qui n’en mentionne que cent.

[23] Sur Thasos, V. Hérodote, VI, 46-48 ; VII, 118. La position de Raguse dans l’Adriatique, par rapport aux despotes de Servie et de Bosnie au quinzième et au seizième siècle, ressemblait beaucoup à celle d’Athènes et de Thasos par rapport aux princes thraces de l’intérieur. Dans l’histoire de Raguse d’Engel, nous trouvons un relevé des gains considérables faits dans cette ville par ses contrats pour exploiter les mines d’or et d’argent appartenant à ces princes (Engel, Geschichte des Freystaates Ragusa, sect. 36, p. 163. Wien, 1807).

[24] Thucydide, I, 100, 101. Plutarque, Kimôn, c. 14 ; Diodore, XI, 70.

[25] Thucydide, I, 101. Philippe de Macédoine, dans la dispute qu’il eut plus d’un siècle après cette époque avec les Athéniens relativement à la possession d’Amphipolis, prétendait qu’un de .ses ancêtres, Alexandre, avait été le premier à acquérir la possession de l’endroit après que les Perses avaient été chassés de la Thrace (V. Philippi Epistola, ap. Demosthen. p. 164, R.). Si cette prétention avait été vraie, la ville d’Ennea Hodoi aurait été la possession des Macédoniens au moment où fut faite sur elle la première tentative athénienne ; mais le renseignement de Thucydide prouve que c’était alors un municipe édonien.

[26] Plutarque, Kimôn, c. 14. Galêpsos et Œsymê étaient au nombre des établissements thasiens sur le continent de Thrace (Thucydide, IV, 108).

[27] Thucydide, I, 101.

[28] Plutarque, Kimôn, c. 14.

[29] Plutarque, Themistoklês, c. 20.

[30] V. le cas de Sikinnos, la personne par laquelle Themistoklês communiqua avec Xerxès avant la bataille de Salamis, et à laquelle il procura ensuite l’admission dans la fournée de nouveaux citoyens introduits à Thespiæ (Hérodote, VIII, 75).

[31] Thucydide, III, 61-65.

[32] Thucydide, III, 62.

[33] V. entre beaucoup d’autres preuves le cas remarquable de la confédération olynthienne (Xénophon, Helléniques, V, 2, 16).

[34] Diodore, XI,-81 ; Justin, III, 6.

[35] Diodore, XI, 54 ; Strabon, VIII, p.337.

[36] Strabon, VIII, p. 337, 348, 356.

[37] Thucydide, I, 101-128 ; Diodore, XI, 62.

[38] Hérodote, IX, 64.

[39] Thucydide, I, 102 ; III, 54 ; IV, 57.

[40] Thucydide, I, 102.

M. Fynes Clinton (Fast. Hellen., ann. 464-461 av. J.-C.), suivant Plutarque, reconnaît deux requêtes lacédæmoniennes adressées à Athènes, et deux expéditions athéniennes envoyées au secours des Spartiates, toutes les deux sorts Kimôn : la première en 464 avant J.-C., immédiatement après le tremblement de terre et la révolte qui le suivit ; — la seconde en 461 avant J.-C., après que la guerre avait duré pendant quelque temps.

A mon avis, il n’y a pas de raison pour supposer plus d’une demande faiteà Athènes, et plus d’une expédition. La duplication a sa source dans Plutarque, qui a expliqué trop comme une réalité historique l’exagération comique d’Aristophane (Aristophane, Lysistrata, 1138 ; Plutarque, Kimôn, 16). L’héroïne de ce dernier, Lysistrata, désirant faire la paix entre les Lacédœmoniens et les Athéniens, et rappelant à chacun des deux peuples les services qu’il a reçus de l’autre, pouvait se permettre de dire aux Lacédæmoniens : Votre ambassadeur Perikleidas vint à Athènes, pâle de terreur, et il se plaça comme suppliant à l’autel pour solliciter notre aide comme question de vie et de mort, tandis que Poseidôn était encore en train d’ébranler la, terre et que les Messêniens vous pressaient rudement ; alors Kimôn, avec quatre mille hoplites, vint et acheva votre salut complet. Tout cela est très significatif et très frappant, comme portion de la pièce d’Aristophane ; mais il n’y a pas de vérité historique, si ce n’est le fait d’une demande adressée et, d’une expédition envoyée en conséquence.

Nous savons que le tremblement de terre se produisit à l’époque où le siège de Thasos durait encore, parce que ce fut la raison qui empêcha les Lacédœmoniens de secourir les : assiégés au moyen d’une invasion en Attique. Mais Kimôn commandait au siège de Thasôs — (Plutarque, Kimôn, c. 14) ; conséquemment il n’aurait pu aller comme commandant en Laconie à l’époque ou on prétend que fut entreprise cette première expédition.

Ensuite Thucydide ne reconnaît pas plus d’une expédition ; et dans le fait Diodore non plus (XI, 64), bien que ceci soit de conséquence moindre. Or, le silence seul de Thucydide, par rapport à des événements d’une période qu’il déclare seulement examiner brièvement, n’est pas toujours un argument négatif très fort. Mais dans le cas actuel, son récit de l’expédition de 461 avant J.-C., avec ses conséquences très importantes, est tel qu’il exclut la supposition qu’il connaissait une première expédition antérieure de deux ou trois ans. S’il en avait connu une, il n’aurait pas composé le récit qui est actuellement dans le texte. Il insiste spécialement sur la prolongation de la guerre, et sur l’impuissance où sont les Lacédæmoniens d’attaquer des murs, comme étant les raisons qui les déterminèrent à invoquer les Athéniens aussi bien que les autres alliés ; il implique que la présence des derniers en Laconie fut un incident nouveau et menaçant ; en outre, quand il nous dit combien les Athéniens furent irrités de leur renvoi, brusque et plein de méfiance, il n’aurait pas omis de mentionner, comme une aggravation de ce sentiment, que seulement deux ou trois ans auparavant, ils avaient sauvé Lacédæmone sur le penchant de sa ruine. Ajoutons que supposer Sparte, la première puissance militaire en Grèce, et distinguée par son incessante discipline, réduite tout d’un coup à un tel état d’extrême impuissance qu’elle dut son salut à une intervention- étrangère, — c’est en soi extrêmement improbable, et inadmissible, si ce n’est sur de très bonnes preuves.

Pour les raisons exposées ici, je rejette la première expédition en Laconie mentionnée dans Plutarque.

[41] Plutarque, Kimôn, c. 16.

[42] Plutarque, Kimôn, c. 16.

[43] V. Xénophon, Helléniques, VI, 3. — Vers 372 av. J.-C., un peu avant la bataille de Leuktra.