HISTOIRE DE LA GRÈCE

SIXIÈME VOLUME

CHAPITRE VIII — AFFAIRES DE LA GRÈCE DEPUIS LA BATAILLE DE MARATHÔN JUSQU’À L’ÉPOQUE DU COMBAT DES THERMOPYLÆ.

 

 

Ce que nous savons relativement aux affaires de la Grèce immédiatement après l’échec des Perses à Marathôn est très peu de chose.

Kleomenês et Léotychidês, les deux rois de Sparte — le premier appartenant à la branche aînée ou Eurysthénide, le second à la branche cadette ou Proklide —, avaient conspiré dans le dessein de détrôner l’ancien roi proklide Demaratos, et Kleomenês était même allé jusqu’à tenter de corrompre la prêtresse de Delphes dans ce but. Ses intrigues étant trahies peu après, il fut si effrayé du mécontentement des Spartiates, qu’il se retira en Thessalia, et de là en Arkadia, où il employa l’influence puissante de son caractère royal et de son lignage héroïque pour armer le peuple arkadien contre sa patrie. Les Spartiates, alarmés à leur tour, l’invitèrent volontairement à revenir avec une promesse d’amnistie. Mais son bail renouvelé ne dura pas longtemps. Sa violence habituelle de caractère s’aggrava et devint, une folie prononcée, au point qu’il frappait de son bâton tous ceux qu’il rencontrait ; et ses parents furent forcés de l’enchaîner et de l’enfermer sous la garde d’un ilote. Un jour, par de sérieuses menaces, il contraignit cet homme à lui donner son épée, se mutila d’une manière effrayante et périt. Une mort si affreuse devait certainement recevoir une interprétation religieuse ; cependant il y avait un point difficile à déterminer : celui de savoir lequel, parmi les méfaits de sa vie, avait attiré la colère divine. La plupart des Grecs l’imputaient au péché d’avoir corrompu la Pythie[1]. Mais les Athéniens et les Argiens étaient disposés à faire chacun une hypothèse particulière ; — les premiers croyaient que les dieux avaient puni ainsi le roi spartiate pour avoir coupé du bois dans le bosquet d’Eleusis ; — les seconds reconnaissaient la main vengeresse du héros Argos, dont Kleomenês avait brûlé le bois sacré, avec tous les guerriers suppliants qui y avaient cherché asile. Sans prononcer entre ces différentes suppositions, Hérodote se contente d’exprimer sort opinion, c’est que la mort misérable de Kleomenês fut une expiation de sa conduite à l’égard de Demaratos. Mais ce qui nous étonne le plus, c’est d’apprendre que les Spartiates, habituellement plus disposés que les autres Grecs à rapporter tout phénomène frappant à une action divine, ne reconnurent en cette occasion qu’une cause physique vulgaire : Kleomenês était devenu fou (affirmaient-ils) par suite de l’habitude de s’enivrer, que lui avaient apprise quelques ambassadeurs scythes qui étaient venus à Sparte[2].

La mort de Kleomenês et le discrédit jeté sur son caractère enhardirent les Æginètes à porter une plainte à Sparte, relativement à leurs dix otages que Kleomenês et Léotychidês avaient emmenés de l’île, un peu avant l’invasion de l’Attique par les Perses sous Datis, et déposés à Athènes comme garantie donnée aux Athéniens contre une agression de la part d’Ægina à ce moment critique. Léotychidês avait aidé. Kleomenês à réclamer ces otages ; et comme il survivait à son collègue, ce fut contre lui que les Æginètes portèrent plainte. Bien que l’acte fût incontestablement avantageux à la cause générale de la Grèce[3], cependant le mécontentement réel des Lacédæmoniens contre le roi décédé et contre ses actions était si grand, que le roi survivant, Léotychidês, fut soumis à un jugement public, et condamné à être livré aux Æginètes comme prisonnier, en expiation de sa conduite. Ces derniers se disposaient à emmener leur prisonnier, quand un Spartiate d’un rang élevé, nommé Theasidês, leur signala le danger auquel ils s’exposaient par une telle indignité à l’égard de la personne royale. Les Spartiates (faisait-il observer) avaient rendu leur sentence sous l’influence d’un courroux momentané, qui se changerait probablement en sympathie s’ils la voyaient mise à exécution.

En conséquence, les Æginètes se contentèrent de stipuler que Léotychidês les accompagnerait à Athènes et redemanderait leurs otages qui y étaient retenus. Les Athéniens refusèrent de les rendre, malgré les termes énergiques dont se servit le roi spartiate pour leur exposer l’obligation sacrée de restituer un dépôt[4]. Ils justifièrent en partie ce refus en disant que le dépôt avait été fait conjointement par les deux rois, et qu’il ne pouvait être rendu à l’un des deux seul. Mais probablement ils se rappelaient que les otages étaient placés chez eux moins comme un dépôt que comme une garantie contre l’hostilité des Æginètes, — garantie qu’ils n’étaient pas disposés à abandonner.

Léotychidês ayant été obligé de se retirer sans succès, les Æginètes résolurent d’adopter des mesures de représailles par eux-mêmes. Ils attendirent l’époque d’une fête solennelle célébrée tous les cinq ans à Sounion ; occasion dans laquelle un vaisseau, équipé d’une manière particulière et portant quelques-uns des principaux Athéniens comme theôres ou envoyés sacrés, s’y rendait d’Athènes. Ils trouvèrent moyen de capturer ce vaisseau, et ils emmenèrent tous ceux qui étaient à bord prisonniers à Ægina. Un échange s’opéra-t-il, les prisonniers et les otages des deux côtés furent-ils mis à mort, c’est ce que nous ignorons. Mais la conséquence de leur conduite fut une guerre active et déterminée entre Athènes et Ægina[5], qui commença vraisemblablement vers 488 ou 487 avant J.-C., et qui dura jusqu’en 481 avant J.-C., l’année précédant l’invasion de Xerxès.

Un citoyen æginète nommé Nikodromos profita de cette guerre pour fomenter un complot contre le gouvernement de l’île. Ayant été banni auparavant (injustement, à ce qu’il croyait), il organisa alors une révolte du peuple contre l’oligarchie régnante, et concerta avec les Athéniens une invasion simultanée à l’appui de son plan. Conséquemment, le jour fixé, il se leva avec ses compagnons en armes et prit possession de la vieille ville, — position forte qui, avec le cours du temps, avait été supplantée par la cité plus moderne sur le bord de la mer, moins protégée, bien que plus commode[6]. Mais il ne parut pas d’Athéniens, et sans eux il n’était pas en état de s’y maintenir. Il fut obligé de s’échapper de l’île, après avoir été témoin de la défaite complète de ses partisans, dont un corps considérable, au nombre de sept cents, tomba au pouvoir du gouvernement, et fut conduit hors des murs pour être exécuté. Un seul d’entre ces prisonniers brisa ses chaînes, s’enfuit au sanctuaire de Dêmêtêr Thesmophoros, et fut assez heureux pour saisir la poignée de la porte avant d’être atteint. Malgré tous les efforts qu’on fit pour l’en arracher de force, il s’y attacha avec une étreinte convulsive. Ceux qui le poursuivaient n’osèrent pas le mettre à mort dans cette position, mais ils séparèrent les mains du corps, ensuite l’exécutèrent et laissèrent les mains suspendues encore à la poignée de la porte et s’y cramponnant[7], et il paraît qu’elles y restèrent longtemps sans être enlevées. Le meurtre des sept cents prisonniers ne semble avoir attiré sur l’oligarchie Æginétaine ni vengeance de la part des dieux ni blâme de la part de leurs contemporains. Mais la violation du sanctuaire, dans le cas de ce seul infortuné dont les mains furent coupées, était un crime que la déesse Dêmêtêr ne pardonna jamais. Plus de cinquante ans après, dans la première année de la guerre du Péloponnèse, les Æginètes, après avoir été vaincus d’abord par Athènes, furent finalement chassés de leur île : cette expulsion était la punition des dieux pour cette ancienne impiété, qu’un demi-siècle de sacrifices expiatoires continus n’avait pas suffi à effacer[8].

Les Athéniens qui auraient dû assister Nikodromos arrivèrent à Ægina un jour trop tard ; leur mouvement avait été retardé par la nécessité d’emprunter vingt trirèmes aux Corinthiens, outre cinquante trirèmes athéniennes ; avec ces soixante-dix voiles ils défirent les Æginètes, qui les rencontrèrent avec une flotte d’égal nombre, — puis ils débarquèrent dans l’île. Les Æginètes demandèrent du secours à Argos ; mais cette ville était ou trop mécontente d’eux, ou trop épuisée par la défaite qu’elle avait essuyée de la part du Spartiate Kleomenês pour l’accorder. Néanmoins mille volontaires argiens, sous un champion distingué du pentathlon nommé Eurybatês, vinrent à leur aide, et une guerre acharnée fut faite, avec des chances diverses, contre l’armement athénien.

Sur mer, les Athéniens essuyèrent une défaite ; ils furent attaqués à un moment où leur flotte était en désordre, de sorte qu’ils perdirent quatre vaisseaux avec leurs équipages ; sur terre, ils furent plus heureux, et il survécut peu de volontaires argiens pour retourner dans leur patrie. Le général de ces derniers, Eurybatês, confiant dans sa grande force et sa grande habileté personnelles, provoqua les meilleurs des guerriers athéniens à un combat singulier. Il en tua trois successivement, mais le bras du quatrième, Sôphanês de Dekeleia, fut victorieux et lui devint fatal[9]. A la fin les envahisseurs furent obligés de quitter l’île sans résultat décisif, et la guerre semble s’être poursuivie par des descentes et des courses de corsaires fréquentes des deux côtés, — auxquelles Nikodromos et les exilés æginétains, établis par Athènes sur la côte de l’Attique près de Sounion, prirent une part active[10] ; l’avantage, en général, resta du côté d’Athènes.

Le cours général de cette guerre, et particulièrement l’insuccès de l’entreprise concertée avec Nikodromos résultant du retard causé par suite de l’emprunt de vaisseaux corinthiens, étaient bien faits pour imprimer dans l’esprit des Athéniens la nécessité d’augmenter leurs forces navales. Et c’est à partir du moment présent que nous trouvons chez eux le premier développement de cette tendance prononcée à l’activité maritime, qui coïncida d’une manière si heureuse avec l’expansion de leur démocratie, et ouvrit une phase nouvelle dans l’histoire grecque, aussi bien qu’une nouvelle carrière pour eux-mêmes.

Nous avons insisté, dans un précédent chapitre, sur l’effet excitant que produisit sur eux l’échec des Perses à Marathôn. Miltiadês, le vainqueur dans cette bataille, ayant été écarté de la scène dans des circonstances déjà décrites, Aristeidês et Themistoklês devinrent les principaux personnages d’Athènes, et le premier fut choisi comme archonte pendant l’année suivante. Sa droiture exemplaire dans les fonctions de magistrat lui assurèrent une haute estime de la part du public en général, non sans un certain nombre d’ennemis actifs, dont quelques-uns étaient les victimes de sa justice. Naturellement ces ennemis devinrent les partisans de son rival Themistoklês, qui avait tous les talents nécessaires pour les amener à lui prêter leur concours. La rivalité entre les deux chefs devint si amère et si menaçante, que même Aristeidês dit, à ce que l’on rapporte : Si les Athéniens étaient sages, ils nous précipiteraient tous deux dans le barathron. Dans de telles circonstances, ce n’est pas trop dire que d’avancer que la paix du pays fut conservée surtout par l’institution appelée ostracisme, dont j’ai expliqué le véritable caractère. Après trois ou quatre années de rivalité politique continue ; les deux chefs firent appel à un vote d’ostracisme, et Aristeidês fut banni.

Quant aux points particuliers sur lesquels roulait leur rivalité, nous n’avons par malheur que peu de renseignements. Mais il est extrêmement probable que l’un d’eux était le changement important de politique auquel il a été fait allusion plus haut, — la conversion d’Athènes, qui, de puissance de terre qu’elle était, devint puissance maritime, -le développement de cet élément nouveau et excitant dans l’esprit du peuple. D’après toutes les autorités, ce changement de politique est attribué principalement et spécialement à Themistoklês[11]. C’est à cet égard, sinon pour d’autre raison, qu’Aristeidês se trouvait probablement en opposition avec lui ; mais c’était en outre un changement peu en harmonie avec cet hellénisme suranné, cette uniformité constante de vie, et ce cercle étroit d’expérience et de devoirs actifs, qu’Aristeidês semble avoir approuvés en commun avec les philosophes subséquents. Le marin tenait naturellement plus du voyageur et du cosmopolite que le soldat pesamment armé : le marin grec moderne, même au moment actuel, se distingue ainsi à un degré remarquable par la variété de ses idées et la promptitude de son intelligence[12]. Le service de terre était un type de fermeté, d’inflexibilité dans les rangs ; le service de mer, de mutabilité et d’aventures. Telle était l’Idée fortement conque par Platon et par d’autres philosophes[13] ; bien que nous puissions faire remarquer qu’ils ne rendent pas justice au marin athénien. Son éducation était beaucoup plus parfaite et plus laborieuse, et ses habitudes d’obéissance beaucoup plus complètes[14] que celles de l’hoplite ou du cavalier athénien ; éducation commençant avec Themistoklês, et atteignant toute sa perfection vers le commencement de la guerre du Péloponnèse.

En recommandant des efforts extraordinaires pour créer une marine aussi bien que pour acquérir la pratique de la science nautique, Themistoklês déploya toute cette appréciation sagace des circonstances et des dangers du temps, dont Thucydide lui fait honneur ; et l’on ne’ peut douter qu’Aristeidês, bien que le politique le plus honnête des deux, ne fût dans cette crise particulière le moins essentiel à son pays. Non seulement il y avait la lutte avec Ægina, puissance maritime égale ou plus qu’égale, et en vue du port athénien, — mais il y avait aussi dans le lointain une éventualité plus formidable encore contre laquelle il fallait se mettre en garde. L’armement persan avait été honteusement chassé d’Attique en Asie ; mais le monarque persan restait encore avec des moyens entiers d’agression aussi bien qu’avec une soif accrue de vengeance ; et Themistoklês savait bien que le danger de ce côté reviendrait plus grand que jamais. Il pensait que ce danger reparaîtrait encore de la même manière, par une expédition qui traverserait la mer Ægée, comme celle de Datis arrivant à Marathôn[15] ; expédition contre laquelle on trouverait la meilleure défense dans une flotte nombreuse et bien exercée. Les immenses préparatifs de Darius pour renouveler l’attaque ne pouvaient pas non plus rester inconnus à un observateur vigilant, puisqu’ils s’étendaient sur tant de Grecs soumis à l’empire persan. Cet avertissement positif était plus que suffisant pour stimuler le génie actif de Themistoklês, qui décida ses compatriotes à commencer avec énergie l’œuvre des préparatifs maritimes, aussi bien contre Ægina que contre la Perse[16]. Non seulement on construisit deux cents nouveaux vaisseaux, et on exerça les citoyens comme marins, — mais, pendant l’année ou Themistoklês fut ou archonte ou général, on commença le travail important de fortifier un nouveau port pour Athènes à Peiræeus, au lieu de l’ancienne baie ouverte de Phalêron. Cette dernière était, il est vrai, un peu plus près de la ville, mais Peiræeus, avec ses trois ports naturels séparés[17], pouvant être fermé et fortifié, était incomparablement supérieur sous le rapport de la sécurité aussi bien que sous celui de la commodité. Ce n’est pas trop dire, avec Hérodote, que de prétendre que la guerre avec les Æginètes fut, le salut de la Grèce, en obligeant les Athéniens à se transformer en puissance maritime[18]. Toute l’efficacité de la résistance faite postérieurement à Xerxès dépendit de ce nouveau mouvement dans l’organisation d’Athènes, à laquelle un heureux concours de hasards permit d’atteindre un état suffisamment complet ; car l’important délai de dix années, entre la défaite de Marathôn et la nouvelle invasion destinée à la venger, fut en vérité le résultat du hasard. D’abord, la révolte de l’Égypte, puis la mort de Darius ; en troisième lieu, l’indifférence de Xerxès au commencement de son règne à l’égard des affaires helléniques, — reculèrent jusqu’en 480 avant J.-C. une invasion qui, naturellement, aurait été entreprise en 487 ou 486 ayant J.-C., et qui à ce moment aurait trouvé Athènes sans ses murs de bois, — le grand moyen de son salut subséquent.

Un autre secours accidentel, sans lequel on n’aurait pu construire la nouvelle flotte, — une augmentation considérable de l’argent public, — fut aussi par une bonne fortune à la disposition des Athéniens. C’est d’abord dans un passage expressif du poète Æschyle, et ensuite par Hérodote à l’occasion présente, que nous apprenons l’existence des mines d’argent de Laureion[19], en Attique, et l’important produit qu’elles rendaient à l’État. Elles étaient situées dans la partie méridionale du territoire, pas très loin du’ promontoire de Sounion[20], au milieu d’un district de collines basses, s’étendant en travers d’une grande partie de l’espace qui était entre la mer orientale de Thorikos et la mer occidentale à Anaphlystos. A quelle époque commencèrent-elles à être exploitées pour la première fois, c’est ce qu’on ne nous apprend pas ; mais il ne semble guère possible qu’elles aient pu l’être avec quelque ardeur ou quelque résultat profitable, si ce n’est après l’expulsion d’Hippias et l’établissement de la constitution démocratique de Kleisthenês. Ni les puissantes factions locales, qui opposaient les unes aux autres les différentes portions de l’Attique avant l’époque de Pisistrate, — ni le règne de ce despote et de ses deux fils, ses successeurs, — n’étaient de nature à donner de la confiance et de l’encouragement. Mais quand la démocratie de Kleisthenês, pour la première, fit de l’Attique un tout systématique et compréhensif, avec des droits égaux assignés à chaque partie et avec un centre commun à Athènes, — le pouvoir de ce gouvernement central sur la richesse minérale du pays, et les moyens qu’il avait d’obliger tout le peuplé à respecter des conventions faites avec des entrepreneurs individuels, donnèrent un nouveau stimulant à la spéculation privée dans le district de Laureion. C’était l’usage du gouvernement athénien, soit de vendre, soit de louer à long terme des districts particuliers de cette contrée productive à des individus -ou à des compagnies, à la condition soit d’une somme d’argent une fois payée en espèces, soit d’une rente réservée égale à un vingtième du produit brut.

Hérodote nous dit qu’à l’époque où Themistoklês fit sa proposition d’accroître les forces navales, il y avait dans le trésor athénien une somme considérable[21], provenant des mines de Laureion, dont on était sur le point de faire une distribution entre les citoyens, — dix drachmes par tête. Cette grande somme disponible a dû être probablement le produit du prix d’achat ou de sommes d’argent reçues à la suite de ventes récentes, puisque la petite rente réservée par année n’a pu guère être accumulée pendant beaucoup d’années successives. On doit supposer que des entreprises nouvelles et plus grandes dans les mines avaient été récemment commencées par des individus en vertu d’un contrat avec le gouvernement : autrement, il eût été difficile qu’il y eût eu au moment un trésor si surabondant, ou des moyens suffisants pour la distribution spéciale .projetée. Themistoklês se prévalut de cette précieuse opportunité, — il exposa les besoins de la guerre avec Ægina, et la menace plus formidable encore du grand ennemi asiatique, — et il décida le peuple à renoncer à la distribution promise dans le dessein d’obtenir une marine puissante[22]. Il a dû y avoir, sans aucun doute, beaucoup d’orateurs qui tachèrent de se rendre populaires en s’opposant à cette proposition et en appuyant la distribution ; si bien que le pouvoir qu’a le peuple en général de sentir la force d’un motif éloigné comme supérieur à un gain présent mérite d’être signalé comme étant un gage de sa grandeur prochaine.

En effet, immense fut la récompense que valut cette abnégation, non seulement à Athènes, mais à la Grèce en général, quand les préparatifs de Xerxès en vinrent à être achevés, et que l’on comprit que son armement approchait. Les ordres pour l’équipement de vaisseaux et le rassemblement des provisions, donnés par le grand roi à ses sujets grecs en Asie, dans la mer Ægée et la Thrace, finissaient naturellement par être connus d’une extrémité à l’autre de la Grèce propre, particulièrement l’immense travail consacré au canal du mont Athos, qui était le thème d’entretiens étonnants avec tout citoyen thasien ou akanthien qui visitait les jeux aux fêtes du Péloponnèse. Toutes ces preuves servant d’avertissements par avance étaient assez publiques, sans qu’il y eût besoin de ce stratagème compliqué, à l’aide duquel l’exilé Demaratos transmit, à ce que l’on prétend, en secret, de Suse à Sparte, l’avis de l’expédition prochaine[23]. Les proclamations formelles de Xerxès désignaient toutes Athènes comme l’objet spécial de sa colère et de sa vengeance[24]. D’autres cités grecques pouvaient espérer ainsi échapper sans dommage ; de sorte que la perspective de la grande invasion ne provoqua pas d’abord parmi elles des dispositions unanimes à la résistance. En conséquence, quand les premiers hérauts expédiés de Sardes par Xerxès dans l’automne de 481 avant J.-C., un peu avant sa marche vers l’Hellespont, s’adressèrent aux différentes villes pour leur demander la terre et l’eau, un grand nombre d’entre elles étaient disposées à y consentir. Il ne fut dirigé de hérauts ni vers Athènes, ni vers Sparte ; et ainsi, dés le commencement, l’intérêt et la nécessité de la défense identifièrent ces deux villes. Toutes deux, dans ce moment critique, elles envoyèrent consulter l’oracle de Delphes, tandis qu’en même temps elles s’accordèrent pour rassembler un congrès panhellénique à l’isthme de Corinthe, en vue d’organiser la résistance contre l’envahisseur attendu.

Dans les chapitres précédents, j’ai dit comment les États séparés de la Grèce furent successivement et dans différentes phases amenés, même contre leurs propres instincts naturels, à quelque chose qui se rapprochait davantage de l’union politique. Le congrès actuel, réuni sous l’influence de la crainte commune inspirée par la Perse, offre un caractère panhellénique plus que tout événement politique qui se soit encore présenté dans l’histoire grecque. Il s’étend bien au delà du cercle de ces États péloponnésiens qui constituent les alliés immédiats de Sparte : il comprend Athènes, et est même convoqué en partie par son énergique incitation : de plus, il cherche à réunir toutes les villes de race et de langue helléniques, quelque éloignées qu’elles soient, qui peuvent être amenées à y prendre part, — même les Krêtois, les Korkyræens et les Siciliens. Il est vrai que tous ces États ne viennent pas en réalité, — mais d’ardents efforts sont faits pour les engager à venir. Les frères dispersés de la famille hellénique sont suppliés de se placer dans les mêmes rangs pour un dessein politique commun[25], — la défense de la métropole et du foyer communs de la race. C’est là dans l’histoire grecque un fait nouveau ; il ouvre des perspectives et des idées différentes de tout ce qui s’est présenté auparavant, — il accroît prodigieusement les fonctions et les devoirs se rattachant à cette hégémonie de la Grèce, qui avait été jusqu’alors entre les mains de Sparte, mais qui est sur le point de devenir trop compréhensive pour qu’elle puisse la diriger, — et ainsi il introduit de plus grandes habitudes de coopération parmi les États subordonnés, aussi bien que des espérances rivales d’agrandissement parmi les chefs. Le congrès de l’isthme de Corinthe marque ce nouveau pas dans les tendances de la Grèce à la centralisation, et semble d’abord promettre une marche en avant dans la même direction : mais la promesse ne se trouvera pas réalisée.

Sa première démarche eut en effet une valeur inestimable. Si la plupart des députés présents venaient prêts, au nom de leurs cités respectives, à jurer fidélité et fraternité réciproques, ils appliquaient aussi tous leurs efforts à apaiser les querelles et lès dissensions qui régnaient entre les membres particuliers de leur propre assemblée. De ces dissensions, la plus saillante, aussi bien que la plus dangereuse, était la guerre qui dorait encore entre Athènes et Ægina. La dernière n’était pas à l’abri, même alors, du soupçon de mêdiser[26] (i. e. d’embrasser la cause des Perses), qu’elle avait fait naître en donnant à Darius la terre et l’eau dix ans auparavant. Mais sa conduite actuelle ne justifie pas un tel soupçon : elle prit la part la plus active au congrès aussi bien qu’aux mesures combinées de défense, et elle consentit volontairement à accommoder son différend avec Athènes[27]. C’est dans cette oeuvre de l’arrangement des querelles, si essentielle au salut de la Grèce, que l’Athénien Themistoklês prit une part remarquable, aussi bien que Cheileos de Tegea, en Arkadia[28]. Le congrès commença par envoyer des ambassadeurs aux villes qui étaient ou douteuses ou indifférentes, particulièrement à Argos ; à Korkyra et aux Grecs krêtois et siciliens, et il sollicita leur concours ; et en même temps il dépêcha des espions par mer à ‘Sardes, afin de con naître l’état et les vues de l’armée assemblée.

Ces espions revinrent bientôt ; ils avaient été découverts et condamnés à mort par les généraux persans, mais relâchés par ordre formel de Xerxès, qui ordonna qu’on leur montrât toute la force de son armement rassemblé, afin d’augmenter ainsi la terreur des Grecs. La mesure était bien calculée pour ce dessein ; mais le découragement était déjà extrême dans toute la Grèce, à ce moment critique où l’orage était sur le point d’éclater sur elle. Même aux Grecs intelligents et animés de bons sentiments, à plus forte raison aux insouciants, aux timides ou aux traîtres, — Xerxès, avec son armée innombrable, paraissait un être auquel on ne pouvait résister, et à vrai dire au-dessus de l’humanité[29]. Naturellement cette impression était encouragée par le nombre considérable de Grecs déjà ses tributaires ; et nous pouvons même reconnaître la manifestation, d’un désir d’être débarrassé complètement des Athéniens comme étant le principal objet de la vengeance des Perses et le principal obstacle à une soumission tranquille. Ce désespoir au sujet de la durée de la vie et de l’autonomie helléniques éclate même au sanctuaire de la religion hellénique, le temple de Delphes, et en part, quand les Athéniens, dans leur détresse et leur incertitude, envoyèrent consulter l’oracle. A peine leurs deux ambassadeurs avaient-ils accompli les sacrifices accoutumés, et s’étaient-ils placés dans la chambre intérieure près de la prêtresse Aristonikê qu’aussitôt elle s’écria : Malheureux, pourquoi vous êtes-vous assis là ? Quittez votre pays et votre ville, et fuyez au loin ! Tête, corps, pieds et mains sont également pourris : la flamme et le fer, à la suite du char syrien, vous anéantiront : non seulement votre ville, niais d’autres villes aussi, et même un grand nombre des temples des dieux,qui suent et tremblent de peur, et prédisent, par des gouttes de sang sur leurs toits, les dures calamités imminentes. Retirez-vous du sanctuaire, avec l’âme plongée dans le deuil[30].

Une réponse si terrible était rarement tombée des lèvres de la prêtresse. Les envoyés en furent atterrés, et n’osèrent pas la reporter à Athènes. Même dans leur douleur un citoyen influent de Delphes, nommé Timôn, les engagea à espérer encore — nous reconnaissons ici comme ailleurs l’action secrète exercée sur la prêtresse par ces principaux Delphiens — ; il leur conseilla de se munir des signes caractéristiques des suppliants, et de s’approcher une seconde fois de l’oracle dans l’attirail de la prière : Ô Seigneur, nous te supplions (dirent-ils) d’avoir pitié de ces rameaux suppliants, et de nous dire quelque chose de plus rassurant relativement à notre pays ; sinon, nous ne quitterons pas ton sanctuaire, mais nous resterons ici jusqu’à la mort.

Alors la prêtresse répondit : Athênê avec toutes ses prières et toute sa sagacité ne petit fléchir Zeus Olympien[31]. Mais je te donnerai cette assurance, solide comme du diamant : quand tout le reste sera pris dans la terre de Kekrops, Zeus accorde à Athênê que le mur de bois reste seul sans être conquis, pour défendre vous et vos enfants. Ne restez pas pour attendre l’attaque des cavaliers et des fantassins du continent, mais tournez le dos et retirez-vous : vous vivrez encore pour combattre un autre jour. 0 divine Salamis, toi aussi tu feras périr les enfants des femmes, soit aux semailles, soit à la moisson[32].

Cette seconde réponse mitigeait sensiblement là première. Elle laissait ouvert quelque espoir d’échapper, bien qu’elle fût vague, ténébreuse et inintelligible ; et les envoyés l’écrivirent pour la porter à Athènes, sans cacher probablement la terrible sentence qui avait précédé. Quand elle fut lue au peuple, l’obscurité du sens provoqua maintes interprétations différentes. Que voulait dire le mur de bois ? Quelques-uns supposaient que l’acropolis elle-même, qui dans l’origine avait été entourée d’une palissade de bois, était le refuge indiqué ; mais le plus grand nombre, et entre autres la plupart de ceux qui étaient par profession interprètes de prophéties, soutenaient que le mur de bois désignait la flotte. Mais ces interprètes de profession, tout en déclarant que le dieu leur ordonnait de monter à bord, repoussaient toute idée d’un combat naval, et insistaient sur la nécessité d’abandonner l’Attique pour toujours. Les derniers vers de l’oracle, où il était dit que Salamis ferait périr les enfants des femmes, paraissait leur présager seulement un désastre dans l’issue d’un combat naval.

Telle était l’opinion de ceux qui passaient pour les meilleurs interprètes de la volonté divine. Elle s’accordait complètement avec le sentiment de désespoir régnant alors, augmenté par la terrible sentence prononcée dans le premier oracle. L’émigration vers quelque terre étrangère se présentait comme la seule espérance de salut même pour leurs personnes. Le sort d’Athènes, et celui de la Grèce en général, — qui sans Athènes aurait été sans appui, — tenaient alors à un fil, lorsque Themistoklês, le grand créateur de la flotte, s’interposa avec une égale fermeté de coeur et d’adresse pour en assurer l’usage le plus convenable Il soutint que, si le dieu avait eu l’intention de désigner Salamis comme la scène d’un désastre naval pour les Grecs, cette île aurait été appelée dans l’oracle par quelque épithète telle que misérable Salamis : mais le fait qu’elle était nommé divine Salamis indiquait que les personnes, destinées à y périr étaient les ennemis de la Grèce, non les Grecs eux-mêmes. En conséquence, il encouragea ses compatriotes à abandonner leur ville et leur pays, et à se confier à la flotte comme étant le mur de bois recommandé par le dieu, mais avec la pleine détermination de combattre et de vaincre à bord[33]. Grandes en effet étaient les conséquences qui dépendaient de cette licence hardie de conjecture exégétique. Si les Athéniens n’avaient été persuadés, par quelque apparence plausible d’explication, que le sens de l’oracle encourageait un combat naval an lieu de le défendre,. dans leur abattement actuel ils auraient abandonné toute pensée de résistance.

Cependant, même avec le secours d’une interprétation encourageante, rien moins que le patriotisme et la résolution les plus invincibles aurait pu mettre les Athéniens en état de se soutenir contre les terrifiantes déclarations du, dieu de Delphes, et de persévérer dans la résistance, au lieu de chercher leur salut par l’émigration. Hérodote grave expressément cette vérité dans l’esprit de ses lecteurs[34] ; qui plus est, il sort même de sa route pour agir ainsi, en proclamant Athènes comme le sauveur réel de la Grèce. Écrivant comme il le fit vers le -commencement de la guerre du Péloponnèse, — à une époque où Athènes, ayant atteint le maximum de son empire, était à la fois redoutée, haïe et admirée par la plupart des États grecs, — il sait que l’opinion qu’il expose sera impopulaire parmi ses auditeurs en général, et il s’en excuse comme de quelque chose qui lui est arraché contre sa volonté par la force de l’évidence[35]. Non seulement les Athéniens osèrent rester et combattre contre des forces immensément supérieures ; eux, et eux seuls, ils apportèrent dans la cause cette énergie et cette ardeur qui en assurèrent le succès[36], comme on le verra dans la suite.

Mais il y eut encore une troisième voie, qui ne mérite pas moins d’attention, et dans laquelle ils contribuèrent an résultat. Aussitôt que le congrès de députés se fut réuni à l’isthme de Corinthe, il devint essentiel de reconnaître quelque ville comme chargée du commandement. Par rapport aux forces de terre, personne ne songeait à contester la prééminence de Sparte ; mais, quant à la flotte, ses prétentions étaient plus contestables, puisqu’elle ne fournissait au plus que seize vaisseaux et peu ou point d’habileté nautique ; tandis qu’Athènes amenait deux tiers de toutes les forces navales, avec les meilleurs vaisseaux et les meilleurs marins. C’est sur ces raisons que fut émise d’abord l’idée qu’Athènes commanderait sur mer et Sparte sur terre ; mais la majorité des alliés manifesta une répugnance prononcée, et ils déclarèrent qu’ils ne voulaient suivre personne autre qu’un Spartiate. A l’honneur des Athéniens, ils se désistèrent de leurs prétentions aussitôt qu’ils virent que l’unité des forces confédérées à ce moment de péril serait compromise[37]. Pour apprécier cette abnégation généreuse d’un droit en lui-même si raisonnable, nous devons nous rappeler que l’amour de la prééminence était au nombre des attributs les plus saillants du caractère hellénique ; source féconde de leur grandeur et de leur supériorité, mais aussi en grande partie de leurs folies et de leurs crimes. Renoncer, quand l’opinion publique le demande, au droit, à la gloire et à l’honneur personnels, c’est peut-être la plus rare de toutes les vertus dans un fils d’Hellên.

Nous trouvons ainsi les Athéniens armés d’énergie pour résister jusqu’à la dernière extrémité, — préparés à voir leur pays ravagé, et à vivre aussi bien qu’à combattre à bord de leurs navires quand la nécessité le commanderait, — fournissant les deux tiers de toute la flotte, et poursuivant encore la construction de nouveaux vaisseaux jusqu’au dernier moment[38], — donnant à la cause commune le chef le plus habile et le plus ardent, tandis qu’ils se contentent de servir, comme les autres États, sous le commandement de Sparte. Pendant l’hiver qui précéda le moment où Xerxès quitta Sardes, le congrès de l’isthme essaya, avec peu de succès, d’amener les cités grecques à une action combinée. Parmi les villes situées au nord de’ l’Attique et du Péloponnèse, la plupart ou bien inclinèrent à se soumettre, comme Thèbes et l’a plus grande partie de la Bœôtia, ou du moins furent tièdes pour la cause de l’indépendance : tant fut, rare à ce moment critique (pour employer le langage des infortunés Platæens cinquante-trois ans plus tard) l’effort du patriotisme hellénique résolu contre l’envahisseur[39].

Même dans l’intérieur du Péloponnèse, la puissante Argos garda une neutralité équivoque. Ce fut une des premières démarches du congrès d’envoyer des ambassadeurs spéciaux à Argos lui exposer le danger commun et solliciter sa coopération. Le résultat certain, c’est que la coopération ne fut pas obtenue, — les Argiens ne firent rien pendant toute la lutte ; mais quant à leur position réelle ou aux motifs de leur refus, des assertions contradictoires étaient parvenues aux oreilles d’Hérodote. Ils affirmaient eux-mêmes qu’ils auraient été disposés à se joindre à la cause hellénique, bien que l’oracle de Delphes eût cherché à les en dissuader, — en exigeant seulement comme condition que les Spartiates concluraient avec eux une trêve de trente années ; et qu’ils partageraient également avec Argos les honneurs du commandement. Il n’y avait pas eu probablement d’objection à la trêve proposée, il n’en fut pas fait non plus au principe de partager le commandement. Mais les Spartiates ajoutèrent qu’ils avaient deux rois, tandis que Ies Argiens n’en avaient qu’un ; et comme ni l’un ni l’autre des deux rois spartiates ne pouvait être privé de son vote, le roi argien pouvait seulement être admis à un troisième vote conjointement avec eux. Les Argiens (qui pensaient que même le commandement sans partage n’était rien de plus que leur ancien droit) considérèrent cette proposition comme étant simplement un empiètement insolent, et elle les irrita tellement qu’ils prièrent les envoyés de quitter leur territoire avant le coucher du soleil, préférant même une existence tributaire sous la Perse à une dégradation formelle en tant que comparés à Sparte[40].

Telle était l’histoire racontée par les Argiens eux-mêmes, et à laquelle n’ajoutait foi ni aucun des autres Grecs, ni Hérodote lui-même. L’opinion dominante était que les Argiens avaient des intelligences secrètes avec Xerxès. On affirmait même que c’étaient eux qui l’avaient appelé en Grèce ; comme moyen et de protection et de vengeance personnelles contre Sparte après la défaite que leur avait infligée Kleomenês. Et Hérodote lui-même croyait évidemment qu’ils mêdisaient, bien qu’il ait presque peur de le dire, et qu’il déguise son opinion sous un nuage de mots trahissant la polémique pleine de colère qui continuait sur cette question, même cinquante ans plus tard[41]. II est certain qu’en fait les Argiens furent neutres, et une des raisons qui les déterminèrent à garder la neutralité était qu’ils ne voulaient se joindre à une levée panhellénique qu’en qualité de chefs. Mais probablement la raison plus puissante était qu’ils partageaient l’impression, alors répandue si au loin dans toute la Grèce, au sujet de la force irrésistible de l’armée qui approchait, et qu’ils voulaient se tenir prêts pour l’événement. Ils entretinrent des négociations secrètes même avec des agents persans, toutefois sans se compromettre pendant que les affaires étaient encore pendantes. D ‘n’est pas non plus improbable que, vexés comme ils l’étaient contre .Sparte, ils n’eussent mieux aimé voir réussir les Perses, — toutes choses qui méritent bien le terme de mêdiser.

Le défaut de fidélité hellénique dans Argos fut justifié par les exemples semblables de la Krête et de Korkyra, lieux où se rendirent en même temps des envoyés de l’isthme. Les Krêtois refusèrent de prendre aucune part à la défense commune, sur le motif d’interdiction ordonnée par l’oracle[42] ; les Korkyræens firent une promesse sans la tenir, et même sans aucune intention de la tenir. Leur neutralité était une perte sérieuse pour les Grecs, puisqu’ils pouvaient équiper une armée navale de soixante trirèmes, inférieure seulement à celle d’Athènes. C’est avec cet important contingent qu’ils s’engagèrent à rejoindre la flotte grecque, et en réalité ils partirent de Korkyra ; mais ils eurent soin de ne pas doubler le cap Malea, ni d’arriver sur le théâtre de l’action. Leur flotte resta sur la côte méridionale ou occidentale du Péloponnèse, sous prétexte d’être clouée par le temps, jusqu’à ce que le résultat décisif de la bataille de Salamis fût connu. Leur impression était que le monarque persan serait victorieux, et dans ce cas ils auraient eu le mérite de ne pas être arrivés à temps ; mais ils étaient prêts aussi à donner comme excuse plausible qu’ils avaient été retenus par les vents contraires, si le résultat tournait autrement et si les Grecs leur faisaient un reproche de leur absence[43]. Une telle duplicité n’est pas étonnante, si nous nous rappelons que c’était la politique habituelle de Korkyra de s’isoler des confédérations helléniques[44].

Les envoyés qui visitèrent Korkyra poussèrent plus loin pour accomplir leur mission auprès de Gelôn, despote de Syracuse. Quant à ce potentat, qu’Hérodote regarde comme plus puissant qu’aucun État en Grèce, j’en parlerai d’une manière plus complète dans un des chapitres suivants ; il suffit de mentionner maintenant qu’il ne donne pas de secours contre Xerxès. Il n’était pas non plus en son pouvoir de le faire, quelles qu’eussent pu être ses inclinations ; car la même année qui amena le monarque persan contre la Grèce, fut aussi choisie par les Carthaginois pour une invasion formidable en Sicile, qui retint les Grecs siciliens pour la défense de leur propre île. Il semble même probable que cette invasion simultanée avait été concertée entre les Perses et les Carthaginois[45].

Les efforts des députés des Grecs à l’isthme n’avaient ainsi procuré pour seul renfort à leur cause que quelques belles paroles des Korkyræens. Ce fut vers le moment où Xerxès se disposait à passer l’Hellespont, au commencement de 480 avant J.-C., que fut prise la première mesure, réelle de résistance, à l’instigation des Thessaliens. Bien que la grande famille thessalienne des Aleuadæ fût parmi ceux qui accompagnaient Xerxès et les plus empressés à l’appeler en Grèce, avec promesses formelles d’une soumission toute prête de la part de leurs compatriotes, — cependant il parait que ces promesses n’avaient aucune garantie. Les Aleuadæ étaient à la tête seulement d’une minorité, peut-être même étaient-ils bannis comme les Pisistratides[46] ; tandis que la plupart des Thessaliens étaient disposés à résister à Xerxès, — but pour lequel ils expédièrent alors des envoyés à l’isthme[47], donnant à entendre la nécessité de garder les défilés de l’Olympos, l’entrée la plus septentrionale de la Grèce. Ils offrirent leur aide cordiale pour cette défense, ajoutant qu’ils seraient forcés de faire leur soumission séparée, si on ne se rendait pas à cette demande. En conséquence, un corps de dix mille hommes d’infanterie grecque pesamment armés, sous le commandement, du Spartiate Euænetos et de l’Athénien Themistoklês, furent envoyés par mer à Alos en Achæa Phthiôtis, où ils débarquèrent et marchèrent par terre à travers l’Achæa et la Thessalia[48]. Rejoints par la cavalerie thessalienne, ils occupèrent le défilé de Tempê, par lequel passe le fleuve Pêneios pour se rendre à la mer, par une ouverture entre les monts Olympos et Ossa.

Le long, étroit et sinueux défilé de Tempê formait alors et forme encore la seule entrée, ouverte pendant tout l’hiver aussi bien que ‘pendant l’été, de la basse Macedonia ou maritime en Thessalia. Les hautes montagnes escarpées sont si rapprochées qu’il y a à peine assez de place dans quelques endroits pour une route : il est ainsi éminemment défendable, et un petit nombre d’hommes résolus suffiraient pour y arrêter la marche de l’armée la plus nombreuse[49]. Mais les Grecs reconnurent bientôt que la position était telle qu’ils ne pouvaient pas la tenir, — d’abord parce que la puissante flotte de Xerxès pourrait débarquer des troupes derrière eux, en second lieu, parce qu’il y avait aussi une seconde entrée passable en été, de la haute Macedonia en Thessalia, par les défilés des montagnes qui se trouvaient sur la chaîne de l’Olympos, entrée qui traversait le pays des Perrhæbiens et venait en Thessalia, près de Gonnos, vers l’endroit où le défilé de Tempê commence à se resserrer. C’était, en effet, par ce second défilé, en échappant aux difficultés insurmontables de Tempê, que devait se faire la marche des Perses en avant, sous les auspices d’Alexandre, roi de Macédoine, leur tributaire et actif à les servir. Ce prince envoya une communication du fait aux Grecs de Tempê, les avertissant qu’ils seraient foulés aux pieds par l’innombrable armée qui approchait, et les pressant de renoncer à leur, position sans espoir[50]. Il passait pour un ami, et probablement A croyait lui-même agir comme tel en dissuadant les Grecs de faire à la Perse une guerre inutile ; mais il était, en réalité, un médiateur très dangereux ; et comme tel les Spartiates avaient de bonnes raisons pour le craindre, dans une seconde intervention dont il sera question plus longuement ci-après[51]. Dans la présente occasion, les chefs grecs ignoraient complètement l’existence d’une autre entrée en Thessalia, outre Tempê, avant leur arrivée dans ce pays. Peut-être aurait-il été possible de défendre les deux entrées à la fois, et en considérant de quelle immense importance il était d’arrêter la marche des Perses à la frontière de la Hellas, la tentative aurait valu quelque risque. Toutefois, si grande fut l’alarme causée par la découverte inattendue, qui justifiait ou semblait justifier l’avis amical d’Alexandre, qu’ils ne restèrent qu’un petit nombre dé jours à Tempê, puis retournèrent aussitôt à leurs vaisseaux et regagnèrent par mer l’isthme de Corinthe, — à peu près au moment où Xerxès traversait l’Hellespont[52].

Cette retraite précipitée amena des conséquences extrêmement désastreuses et décourageantes. Elle paraissait laisser toute la Hellas au nord du mont Kithærôn et du territoire de la Mégaris sans défense, et elle servit ou de raison ou de prétexte à la majorité des États grecs, au nord de cette frontière, pour faire leur soumission à Xerxès, ce que quelques-uns d’entre eux avaient commencé à faire auparavant[53]. Quand Xerxès, dans le cours de sa marche, atteignit le golfe Thermaïque, en vue de l’Olympos et de l’Ossa, les hérauts qu’il avait envoyés de Sardes lui apportèrent des signes de soumission que lui envoyait un tiers du nom hellénique, — Thessaliens, Dolopes, Enianes, Perrhæbiens, Magnètes, Lokriens, Dôriens, Meliens, Achæens Phthiôtes et Bœôtiens. Parmi ces derniers est comprise Thèbes, mais ni Thespiæ ni Platée. Les Thessaliens, en particulier, non seulement se soumirent, mais manifestèrent un zèle actif, et rendirent beaucoup de services à la cause de Xerxès, stimulés par les Aleuadæ, dont le parti devint alors prédominant ; ils furent probablement indignés de la retraite précipitée de ceux qui étaient venus pour les défendre[54].

Si les Grecs avaient été en état de conserver les défilés de l’Olympos et de l’Ossa, toute cette fraction septentrionale aurait été amenée à prendre part à la résistance, au lieu de devenir l’auxiliaire de l’envahisseur. Pendant les six semaines ou les deux mois qui s’écoulèrent entre la retraite des Grecs de Tempê et l’arrivée de Xerxès à Therma, aucun nouveau plan de défense ne fut encore complètement organisé ; car ce fut seulement quand la nouvelle de cette arrivée parvint à l’isthme, que l’armée et la flotte grecques firent un mouvement en avant pour occuper les Thermopylæ et Artemision[55].

 

 

 



[1] Hérodote, VI, 74, 75.

[2] Hérodote, VI, 84.

[3] Hérodote, VI, 61.

[4] Hérodote, VI, 85 ; cf. VI, 49-73, et le 5e chapitre de ce volume.

[5] Hérodote, VI, 87, 88.

Au lieu de ήν γάρ δή τοϊσι Άθηναίοισι πεντήρης έπί Σουνίω (VI, 87), je suis la leçon proposée par Schoemann et sanctionnée par Bœckh — πεντετηρίς. Il est difficile de croire que les Athéniens à cette époque aient eu des vaisseaux à cinq rangs de rames (πεντήρεις) ; de plus, à part cette objection, le mot πεντήρεις fait une difficulté considérable dans la phrase : V. Bœckh, Urkunden ueber das Attische Seewesen, ch. 7, p. 75, 76.

Denys l’Ancien, de Syracuse, fut, dit-on, le premier Grec qui construisit des πεντήρεις ou vaisseaux à cinq rangs de rames (Diodore, XIV, 40, 41).

Il y avait beaucoup de pentaeterides distinctes, ou solennités célébrées tous les cinq ans, comprises parmi les coutumes religieuses d’Athènes : v. Arist., Πολιτ, Fragm. XXVII, éd. Neumann ; Pollux, VIII, 187.

[6] V. Thucydide, I, 8.

L’acropolis à Athènes, ayant été la cité primitive habitée, portait le nom de la Cité même du temps de Thucydide (II, 15), à une époque où Athènes et Peiræens couvraient un pays si considérable autour et à côté d’elle.

[7] Hérodote, VI, 91. Le mot κεΐναι pour έκεϊναι, ces mains, parait si peu convenable dans cette phrase que j’imagine plutôt que la vraie leçon fut κειναί pour κεναί, dans le dialecte ionien, les mains n’ayant rien d’attaché à elles. Cf. une phrase qui ne diffère pas beaucoup, Homère, Iliade, III, 376.

Comparer le récit de l’arrestation du roi spartiate Pausanias, et de la manière dont il fut traité quand il chercha un asile dans le temple d’Athênê Chalkiœkos (Thucydide, I, 134).

[8] Hérodote, VI, 91.

Cf. Thucydide, II, 27, an sujet de l’expulsion définitive d’Ægina. Les Lacédœmoniens assignèrent à ces Æginètes expulsés une nouvelle demeure dans le territoire de Thyrea, sur la c6te orientale du Péloponnèse, où ils furent attaqués, faits prisonniers et mis à mort par les Athéniens, dans la huitième année de la guerre (Thucydide, IV, 57). Or, si Hérodote mentionne leur expulsion, il ne fait pas allusion à leur sort subséquent et encore plus calamiteux. S’il avait connu le fait, il aurait difficilement manqué de le signaler comme un nouvel accomplissement du jugement divin. — Nous pouvons raisonnablement présumer l’ignorance dans ce cas, ce qui contribuerait à appuyer l’opinion avancée dans un chapitre précédent (ch. 2 de ce volume), relativement à la date de la composition de son histoire — dans les premières années de la guerre du Péloponnèse.

[9] Hérodote, IX, 75.

[10] Hérodote, VI, 90, 91, 92, 93. Thucydide, I, 41. Sur Sophanês, cf. IX, 75.

On peut voir quel dommage causa cette guerre de courses, entre des pays si voisins que l’étaient Ægina et Athènes, par la description plus détaillée d’une guerre plus récente de la même sorte, en 388 avant J.-C. (Xénophon, Helléniques, V, 1).

[11] Plutarque, Themistoklês, c. 19.

[12] V. l’intéressante description que donne M. Galt des marins hydriotes, Voyages and Travels in the Mediterranean, p. 376-378 (London, 1802).

La ville d’Hydra naquit dans une petite colonie de bateliers appartenant à la Morée, qui se réfugia dans l’île pour se soustraire à la tyrannie dès Turcs. Il y a environ quarante ans, ils avaient multiplié et atteint un chiffre considérable, leur petit village commençait à prendre l’apparence d’une ville, et leurs navires transportaient des cargaisons jusqu’à Constantinople. Dans leurs transactions commerciales, les Hydriotes acquirent la réputation d’être plus intègres que les autres Grecs, aussi bien que d’être les navigateurs les plus intrépides de l’Archipel ; et naturellement ils étaient régulièrement préférés. Leur activité et leur honnêteté obtenaient leur récompense. Les îles de Spezzin, de Paros, de Myconi et d’Ipsara ressemblent à Hydra par leurs institutions et possèdent le même caractère pour l’activité commerciale. Pour payer leurs marins, Hydra et les Iles, ses soeurs, ont une coutume particulière. Tout le montant du fret est considéré comme un fonds commun, d’où l’on déduit les charges de l’approvisionnement du bâtiment.

Le reste est ensuite divisé en deux parties égales : l’une est donnée aux hommes de l’équipage et partagée également entre eux sans égard pour l’âge ni le rang ; l’autre part est affectée au navire et au capitaine. Le capital du chargement est un dépôt confié au capitaine et à l’équipage, à de certaines conditions fixes. Par suite de l’effet moral que produisent ces coutumes, le caractère et les mœurs des marins Hydriotes sont bien supérieurs en régularité aux idées que nous sommes disposés à avoir de marins. Ils sont posés, bien tenus, bien élevés, sagaces, instruits et observateurs. Ils semblent former, dans l’échelle de l’humanité, une classe qui n’existe pas parmi nous. Par leurs voyages, ils acquièrent une libéralité d’idée que nous n’attendons que d’hommes bien nés, tandis que dans leur état domestique leur conduite est en rapport avec leur condition. Les Grecs sont tous historiens traditionnaires, et possèdent beaucoup de cette sorte de connaissance à laquelle on applique ordinairement le terme de savoir. Ceci, réuni à ce que les Hydriotes savent d’autre part, leur donne ce caractère avantageux d’esprit qu’ils possèdent, comme je le crois.

[13] Platon, Leg., IV, p. 705, 706. Plutarque, Themistoklês, c. 19. Isocrate, Panathenaic, c. 43.

Plutarque, Philopœmen, c. 14 ; cf. VII, p. 301.

[14] V. le mémorable passage de Xénophon (Memorab., III, 5, 19) attestant que les Hoplites et les Hippeis, les personnages occupant le premier rang dans la cité, étaient aussi les plus désobéissants dans le service militaire.

[15] Thucydide, I, 93.

[16] Thucydide, I, 14. Hérodote, VII, 144.

[17] Thucydide, I, 93.

[18] Hérodote, VII, 144. Thucydide, I, 18.

[19] Æschyle, Persæ, 235.

[20] La région montagneuse de Laureion a été visitée à l’occasion par des voyageurs modernes, mais elle n’a jamais été observée avec soin avant 1836, époque à laquelle le Dr Fiedler l’examina sous le rapport minéralogique par ordre du gouvernement grec. V. son Reiser durch Griechenland, vol. I, p. 39, 73. La contrée n’est actuellement guère autre chose qu’un désert ; mais Fiedler mentionne spécialement la grande fertilité naturelle de la plaine voisine de Thorikos, avec le bon port à cet endroit, — deux circonstances de grande importance à l’époque où l’on exploitait les mines. On voit beaucoup de restes de puits creusés dans l’antiquité — et creusés d’une manière si habile qu’ils satisferaient l’œil d’un mineur d’aujourd’hui — p. 76.

[21] Hérodote, VII, 144.

[22] Tout ce que nous savons, — et par malheur c’est très peu de chose, — relativement aux anciennes mines de Laureion, est réuni dans l’importante Dissertation de M. Bœckh, traduite et annexée à la traduction anglaise de son Economie politique d’Athènes. Il discuté le fait avancé dans ce chapitre d’Hérodote, dans la sect. 8 de cette Dissertation ; mais il y a beaucoup de ses remarques que je ne puis adopter. Après avoir multiplié 10 drachmes par le nombre supposé de 20.000 citoyens athéniens, et fait un total distribué de 33 talents 1/3, il ajoute : On aurait pu présumer, d’après les principes de l’administration athénienne, que la distribution se faisait annuellement, sans le témoignage de Cornélius Nepos. Nous ne devons donc pas supposer qu’il s’agisse des économies de plusieurs armées, ni simplement d’un excédant ; mais que tout l’argent public provenant des mines, en tant qu’il n’était pas nécessaire pour d’autres objets, était réparti entre les membres de la communauté (p. 632).

Nous ne sommes guère autorisés à conclure du passage d’Hérodote que toute la somme reçue des mines fût sur le point d’être distribuée. Le trésor était très riche, et on se disposait à faire une distribution, — mais il ne s’ensuit pas qu’il ne dût rien rester dans le trésor après la distribution. En conséquence, tous les calculs du produit total des mines, reposant sur ce passage d’Hérodote, sont incertains. Il n’est pas non plus évident qu’il y eût une distribution annuelle régulière, à moins que nous ne devions prendre le passage de Cornélius Nepos comme en étant une preuve : mais il parle plutôt des magistrats qui emploient cet argent dans des vues d’agiotage, — et non d’une distribution régulière (Nam cum pecunia publica quæ ex metallis redibat, largitione magistratuum quotannis periret. Corn. Nepos, Themistoklês, c. 2). Polyen (il importe peu sur qui il la copiait) rapporte l’histoire d’une somme de 100 talents dans le trésor, que Themistoklês persuada au peuple de mettre entre les mains de cent hommes riches, pour qu’elle fût dépensée comme ces derniers l’entendraient, avec l’obligation de rembourser l’argent dans le cas où le peuple ne serait pas content de l’emploi : chacun de ces riches personnages employa la somme qui lui avait été confiée à construire un nouveau vaisseau, à la grande satisfaction du peuple (Polyen, I, 30). Cette histoire diffère essentiellement de celle d’Hérodote, et nous ne pouvons nous permettre soit de les réunir, soit de nous en rapporter à Polyen séparément.

J’imagine que la somme de 33 talents, ou de 50 talents, nécessaire pour la distribution, faisait partie d’une somme plus considérable contenue dans le trésor et provenant des mines. Themistoklês persuada au peuple d’employer toute la somme à construire des vaisseaux, ce qui expliquait naturellement qu’on devait renoncer à la distribution. Des distributions du même genre avaient-elles été faites dans les années antérieures, comme l’affirme M. Bœckh, c’est là une chose pour laquelle nous n’avons pas de preuves. M. Bœckh me parait n’avoir pas songé au fait (qu’il avance précisément auparavant), à savoir qu’il y avait deux sources de recettes pour le trésor — le premier prix d’achat payé comptant, et la rente annuelle réservée. C’est de la première source que dérivait, j’imagine, la somme considérable contenue dans le trésor : la petite rente réservée venait probablement au nombre des articles annuels du budget de l’État.

[23] Hérodote, VII, 239.

[24] Hérodote, VII, 8-138.

[25] Hérodote, VII, 145.

[26] Hérodote, VIII, 92.

[27] Hérodote, VII, 145.

[28] Plutarque, Themistoklês, c. 10. Sur Cheileos, Hérodote, IX, 9.

[29] Hérodote, VII, 203. Cf. aussi VII, 56.

[30] Hérodote, VII, 140.

Le sens général et le but de l’oracle me paraissent clairs dans ce cas. C’est une sentence uniquement de désolation et de tristesse ; bien que Baehr et Schweighaeuser, avec d’autres commentateurs, s’efforcent d’y faire entrer quelque chose d’encourageant en expliquant θυμόν par courage. La traduction de Valla et de Schultz se rapproche plus de la vérité. Mais, même quand le sens général d’un oracle est évident (ce qui n’arrive presque jamais), les phrases particulières sont toujours bizarres et vagues.

[31] Hérodote, VII, 141.

Comparer avec ceci la déclaration d’Apollon à Crésus de Lydia (I, 91).

[32] Hérodote, VII, 141.

[33] Hérodote, VII, 143.

Il y a toute raison pour accepter comme vrai le renseignement d’Hérodote, relativement à ces oracles rendus aux Athéniens, et aux débats quant à leur explication. Ils ont dû être discutés publiquement dans l’assemblée athénienne, et Hérodote peut avoir conversé avec des personnes qui avaient entendu la discussion. Relativement à l’autre oracle qu’il dit avoir été rendu aux Spartiates, et qui dormait à entendre que Sparte devait être conquise ou qu’un roi de Sparte devait périr, nous pouvons douter avec raison qu’il existât avant la bataille des Thermopylæ (Hérodote, VII, 220).

Les écrivains plus récents, Justin (II, 12), Cornélius Nepos (c. 2) et Polyen (I, 30), font de la conduite de Themistoklês un récit inférieur à celui d’Hérodote en vivacité aussi bien qu’en exactitude.

[34] Hérodote, VII, 139.

Pour l’abondance des oracles et des prophéties, émanant de maintes sources différentes qui circulaient à ce moment d’anxiété, nous pouvons comparer l’analogie de l’explosion de la guerre du Péloponnèse, décrite par l’historien contemporain (Thucydide, II, 8).

[35] Hérodote, VII, 139.

Tout le chapitre mérite une attention particulière, en ce qu’il nous met sous les yeux les sentiments de ces contemporains auxquels son histoire est adressée, et le mode de juger avec lequel ils jetaient un regard rétrospectif sur la guerre persane. On est disposé sans en avoir conscience à s’imaginer qu’un historien ancien écrit pour des hommes abstraits, et non pour des hommes de sentiment, de préjugés et d’opinion donnés. Les personnes auxquelles s’adressait Hérodote sont celles qui étaient remplies d’admiration pour Sparte, au point de lui attribuer principalement l’honneur d’avoir battu et chassé les Perses, et de soutenir que, même sans l’aide d’Athènes, les Spartiates et les Péloponnésiens réunis auraient pu défendre, et auraient défendu l’isthme de Corinthe, fortifié comme il l’était par un mur bâti exprès. Les alliés péloponnésiens de ce temps oubliaient qu’ils étaient exposés à une attaque par mer aussi bien que par terre.

[36] Hérodote, VII, 139.

[37] Hérodote, VIII, 2, 3 ; cf. VII, 161.

[38] Hérodote, VII, 144.

[39] Thucydide, III, 56.

Cette manière de voir le cas est beaucoup plus conforme à l’histoire que les vanteries des orateurs plus récents relativement au patriotisme largement répandu à cette époque. V. Démosthène, Philipp., III, 37, p. 120.

[40] Hérodote, VII, 147-150.

[41] Hérodote émet son opinion d’une manière remarquable, sans mentionner le nom des Argiens et avec une répugnance évidente. Après avoir énuméré tous les contingents grecs rassemblés pour la défense de l’isthme, et les différents habitants du Péloponnèse, classés sous le rapport ethnique, il continue en disant : — Toutes les villes de ces sept nations, excepté celles dont j’ai parlé, se séparèrent de la cause commune ; et, s’il m’est permis de dire librement ma pensée, ils le firent par attachement pour les Mèdes (VIII, 73). Cette assertion comprend les Argiens sans les nommer.

Quand il parle des Argiens en les nommant, il n’est nullement aussi libre ni aussi catégorique : cf. VII, 152 — il ne donne pas d’opinion personnelle différente de l’allégation des Argiens eux-mêmes ; — il mentionne d’autres histoires, incompatibles avec cette allégation, mais sans en garantir l’exactitude ; — il avertit en général que ceux qui pensent avoir de grands motifs de se plaindre de la conduite des autres trouveraient ordinairement, par un examen impartial, que les autres ont autant de motifs de se plaindre d’eux — Et ainsi la conduite d’Argos n’a pas été aussi mauvaise que celle d’autres.

Au commencement de la guerre du Péloponnèse, alors que l’histoire d’Hérodote était probablement composée, les Argiens étaient dans une position particulièrement favorable. Ils ne prirent part ni pour Athènes ni pour Lacédæmone, qui toutes deux craignaient de les offenser. Un historien qui soutenait ouvertement une grave accusation de trahison contre eux dans l’ancien et mémorable combat livré contre Xerxês, était ainsi exposé à encourir la haine des deux parties en Grèce.

Les commentaires de Plutarque sur Hérodote relativement à cette question ont peu de valeur (De Herodoti Malignit., c. 28, p. 863), et ils sont dans le fait injustes, puisqu’il représente la version argienne des faits comme crue universellement, ce qui évidemment n’était pas.

[42] Hérodote, VII, 169.

[43] Hérodote, VII, 168.

[44] Thucydide, I, 32-37. Il est peut-être singulier que les envoyés corinthiens dans Thucydide ne fassent aucune allusion à la duplicité des Korkyræens par rapport à l’invasion persane,dans la vigoureuse invective qu’ils lancent contre Korkyra devant l’assemblée athénienne (Thucydide, I, 37-42). Toutefois, la conduite de Corinthe elle-même, dans la même occasion, n’était pas complètement à l’abri du reproche.

[45] Hérodote, VII, 158-167. Diodore, XI, 22.

[46] V. Schol. ad Aristide, Panathenaic.

[47] Hérodote, VII, 172 ; cf. c. 130.

[48] Hérodote, VII, 173.

[49] Hérodote, VII, 172. V. la description et le plan de Tempê dans Dr Clarke’s Travels, vol. IV, ch. 9, p. 280, et la Dissertation de Kriegk, dans laquelle sont réunis et comparés tous les faits relatifs à cet intéressant défilé (Das Thessalische Tempe, Frankfort, 1824).

La description de Tempê dans Tite-Live (XLIII, 18 ; XLIV, 6) semble plus exacte que celle de Pline (H. N., IV, 8). Nous pouvons faire remarquer que l’un et l’autre appartiennent également à des époques postérieures à la formation et à l’organisation de l’empire macédonien, quand il en vint à tenir la Grèce dans une sorte de dépendance. Les, princes macédoniens après Alexandre le Grand, tout en ajoutant aux difficultés naturelles de Tempê par des fortifications, rendaient en même temps la route plus commode comme communication militaire. Du temps de Xerxès,  l’art n’avait jamais mis la main à ces difficultés naturelles, et elles étaient sans doute beaucoup plus grandes.

La route actuelle à travers le défilé a environ treize pieds en largeur (3 m.) dans sa partie la plus étroite, et entre quinze et vingt (4 - 6 m.) ; — ailleurs, le passage a environ cinq milles (8 kil.) de longueur (Kriegk, p. 21-33).

[50] Hérodote, VII, 173.

[51] Hérodote, VIII, 140-143.

[52] Hérodote, VII, 173-174.

[53] Diodore, XI, 3.

[54] Hérodote, VII, 131, 132, 174.

[55] Hérodote, VII, 177.