HISTOIRE DE LA GRÈCE

SIXIÈME VOLUME

CHAPITRE VII — DE LA BATAILLE DE MARATHÔN À L EXPÉDITION DE XERXÈS CONTRE LA GRÈCE.

 

 

J’ai raconté, dans un chapitre précédent, la victoire des Athéniens à Marathôn, l’échec du général persan Datis et le retour de son armement, qui franchit la mer Ægée pour gagner la côte asiatique. Il avait reçu l’ordre de conquérir et Eretria et Athènes, ordre qu’il avait effectivement exécuté en partie avec succès, comme l’attestait la file de prisonniers érétriens amenés à Suse, — mais qui restait encore non rempli par rapport à la ville particulièrement odieuse à Darius. Loin d’assouvir sa vengeance sur Athènes, le monarque persan fut obligé d’entendre le récit d’une ignominieuse défaite. Sa colère contre les Athéniens devint plus forte que jamais, et il commença avec vigueur des préparatifs pour les attaquer de nouveau, aussi bien que la Grèce en général. Décidé à réunir les forces entières de son empire, il ordonna aux divers satrapes et aux divers sous-gouverneurs d’une extrémité à l’autre de l’Asie de fournir des troupes, des chevaux et des vaisseaux tant de guerre que de transport ; car l’empire ne fut pas agité pendant moins de trois ans par cette immense levée, que Darius se détermina à conduire en personne contre la Grèce[1]. Sa détermination ne fut pas même affaiblie par une révolte des Égyptiens, qui éclata vers l’époque où ces préparatifs furent achevés. Il était sur le point d’entreprendre simultanément les deux expéditions, — la conquête de la Grèce et la seconde conquête de l’Égypte, — quand il fut surpris par la mort, après un règne de trente-six ans. Comme précaution avant cette expédition projetée, il avait nommé pour lui succéder Xerxès, fils que lui avait donné Atossa ; car l’ascendant de cette reine assura à Xerxès la préférence sur son frère aîné Artabazanês, fils que Darius avait eu d’une première épouse, et qui était né avant que ce dernier fût roi. Le choix du monarque régnant passa sans obstacle, et Xerxès lui succéda sans opposition[2]. Il est bon de faire remarquer que, bien que nous devions rencontrer plusieurs actes de cruauté et d’atrocité commis dans la famille royale persane, il n’y a rien qui ressemble à ce fratricide systématique qui a été considéré comme nécessaire pour garantir la succession en Turquie et dans d’autres empires d’Orient.

La colère intense contre Athènes, qui était devenue le sentiment prédominant dans l’esprit de Darius, n’était pas encore apaisée à l’époque de sa mort, et ce fut un bonheur pour les Athéniens que sa couronne passât maintenant à un prince moins opiniâtrement hostile aussi bien qu’inférieur à tous égards. Xerxès, l’homme personnellement le plus beau[3] et le plus imposant parmi la foule immense qu’il menait contre la Grèce, était d’un caractère timide et pusillanime, outre ses défauts de vanité, de suffisance puérile et d’aveuglement dans l’appréciation, défauts qu’il partageait plus ou moins avec tous les rois persans. Cependant nous verrons que, même sous sa conduite, l’invasion de la Grèce fut tout près de réussir ; et elle aurait bien pu réussir complètement s’il avait été soit doué du caractère courageux, soit enflammé de l’animosité farouche de son père.

En succédant au trône, Xerxès trouva les forces de l’empire activement préparées, conformément aux ordres de Darius, excepté l’Égypte qui était en état de révolte. Son premier besoin était de reconquérir ce pays, dessein pour lequel les grandes forces militaires prêtes actuellement se trouvaient amplement suffisantes. L’Égypte fut subjuguée et réduite à un état de dépendance beaucoup plus dure qu’auparavant ; nous pouvons présumer que l’on augmenta non seulement le tribut, mais encore le chiffre de l’armée persane d’occupation qu’on entretenait au moyen de contributions levées sur les indigènes. Achæmenês, frère de Xerxès, y fut installé en qualité de satrape.

Mais Xerxès ne fut pas d’abord également désireux de poursuivre les desseins de son père contre la Grèce. Du moins telle est l’assertion d’Hérodote, qui représente Mardonios comme le grand instigateur de l’invasion, en partie par soif d’entreprise guerrière, en partie par le désir d’obtenir la conquête projetée comme satrapie pour lui-même. Il ne manquait pas de conseillers grecs pour appuyer sa recommandation, tant par la promesse de secours que parle prétexte de la religion. La grande famille des Aleuadæ, appartenant à Larissa et peut-être à d’autres villes de Thessalia, mettait tant d’ardeur dans la cause, que ses principaux membres vinrent à Suse offrir une occupation facile de ce territoire frontière de la Hellas, tandis que les Pisistratides exilés d’Athènes persévéraient encore à tâcher de se procurer leur rétablissement à la suite d’une armée persane. Dans l’occasion présente, ils amenèrent avec eux à Suse un nouvel instrument, le saint mystique Onomakritos, — homme qui avait acquis beaucoup de réputation, non en prophétisant lui-même, mais en recueillant, en arrangeant, en interprétant et en débitant des vers prophétiques qui passaient sous le nom de l’ancien prophète ou poète Musæos. Trente ans avant, à l’époque florissante des Pisistratides, il avait vécu à Athènes, où il jouissait de la confiance d’Hipparchos, qui le consultait comme l’interprète de ces documents vénérés. Mais comme le poète Lasos d’Hermionê le surprit dans l’action même d’y interpoler de nouvelles choses de sa façon, Hipparchos le bannit avec indignation. Toutefois les Pisistratides, actuellement bannis eux-mêmes, Oublièrent ou pardonnèrent cette offense, et emmenèrent à Suse Onomakritos avec ses prophéties, l’annonçant comme un personnage qui avait l’autorité d’un oracle, afin qu’il les aidât à agir sur l’esprit de Xerxès. C’est à ce but que tendirent alors ses interpolations ou ses omissions. Quand il fut présenté au monarque persan, il récita avec emphase diverses prédictions encourageantes, où le pont jeté sur l’Hellespont et la marche triomphante d’une armée barbare en Grèce paraissaient comme destinés d’avance ; tandis qu’il garda devers lui toutes celles d’une teneur contraire, qui présageaient calamité et disgrâce. C’est ainsi du moins que nous l’assure expressément Hérodote[4], ardent à soutenir le crédit de Bakis, de Musæos, et d’autres prophètes grecs dont les vers étaient en circulation. Les encouragements religieux d’Onomakritos et la coopération politique offerte par les Aleuadæ permirent à Mardonios de triompher efficacement de la résistance ‘de son maître. En effet, il ne fut pas difficile de prouver, suivant les sentiments qui dominaient alors, qu’un nouveau roi de Perse était engagé par honneur à reculer les limites de l’empire[5]. Le mouvement de conquête donné par le premier fondateur n’était encore nullement affaibli ; les insultes faites par les Athéniens, n’avaient pas encore été vengées ; et outre ce double stimulant qui poussait à agir, Mardonios faisait un tableau séduisant de l’Europe comme acquisition : — C’était le plus beau pays du monde, qui produisait toutes les variétés d’arbres fruitiers, et était une trop bonne possession pour tout mortel, à l’exception des rois de Perse[6]. Quinze ans auparavant, le Milésien Aristagoras[7], quand il suppliait les Spartiates de prêter leur aide à la révolte ionienne, avait exagéré la richesse et la fertilité de l’Asie, en contraste avec la pauvreté de la Grèce, — contraste beaucoup moins éloigné de la vérité, à cette époque, que le tableau présenté par Mardonios.

Ayant ainsi été persuadé de modifier ses premières vues, Xerxès convoqua une assemblée des principaux conseillers persans, et leur annonça sa résolution d’envahir la Grèce ; il leur exposa les motifs combinés de vengeance et d’agrandissement qui le poussaient, et leur représenta que la conquête de la Grèce entraînerait avec elle celle de toute l’Europe ; de sorte que l’empire -des Perses serait aussi étendu que l’æther de Zeus et les limites du cours du soleil.

A l’occasion de cette invasion, annoncée maintenant et près de s’effectuer, nous devons mentionner particulièrement la manière et la conception historiques de celui de qui nous tenons les principaux renseignements, — Hérodote. L’invasion de la Grèce par Xerxès et l’échec final de ses forces constituent le sujet entier de ses trois derniers livres et le principal objet de toute son histoire, vers lequel les faits antérieurs sont destinés à conduire le lecteur. Parmi ces premières circonstances, il y en a sans doute beaucoup qui ont une importance indépendante et leur propre intérêt, racontées assez au long pour paraître coordonnées et principales, de telle sorte que le fil de l’histoire est perdu de vue pendant un certain temps. Cependant, si nous réunissons les plus grandes divisions de son histoire, en omettant les prolixités de détail qui se présentent par occasion, nous verrons que ce fil n’est jamais perdu dans l’esprit de l’historien ; un lecteur attentif peut le suivre depuis sa préface et l’exposé qui la suit immédiatement, — de Crésus présenté comme le premier conquérant barbare des Grecs ioniens, — jusqu’au développement complet de son sujet Græcia Barbariæ lento collisa duello, dans l’expédition de Xerxês. Cette expédition, en tant qu’elle forme l’achèvement de son plait historique, est non seulement racontée d’une manière plus abondante et plus continue que tous les événements qui la précèdent, mais elle est encore introduite avec une solennité inaccoutumée d’accompagnement religieux et poétique, de sorte que le septième livre d’Hérodote nous rappelle en bien des points le second livre de l’Iliade ; il est probable aussi que, si l’ancienne épopée grecque nous était parvenue, nous trouverions bien d’autres cas dans lesquels l’imagination de l’historien s’est assimilée à elle sans en avoir conscience. Le songe envoyé par les Dieux à Xerxès effrayé, quand il est sur le point de renoncer à son projet, — aussi bien que l’ample catalogue de nations et d’individus éminents compris dans l’armée persane, — ont tous deux des pendants nettement marqués dans l’Iliade ; et Hérodote semble prendre plaisir à se représenter l’entreprise contre la Grèce comme faisant l’antithèse de celle des Atreidæ contre Troie. Il entre dans les sentiments intimes de Xerxès avec autant de familiarité qu’Homère dans ceux d’Agamemnôn, et il présente le conseil de Zeus comme aussi direct, spécial et dominant, qu’on le voit dans l’Iliade et dans l’Odyssée[8], quoique l’Être divin dans Hérodote, comparé avec Homère, tende à devenir neutre au lieu d’être masculin ou féminin, et conserve seulement les instincts jaloux d’un maître,-.séparément des appétits, des convoitises et des caprices d’un homme ; agissant en outre surtout comme une force centralisée, ou du moins homogène, à la place de ces agents séparés et discordants que l’on remarque dans la théologie homérique. L’idée religieuse, si souvent présentée ailleurs dans Hérodote, — que la divinité nourrissait un sentiment de jalousie et d’hostilité contre le bonheur excessif ou les désirs immodérés de l’homme, — est mise en oeuvre dans l’histoire de Xerxês, comme la morale toujours présente et la cause principale de son ignominieux dénouement. Car nous reconnaîtrons, à mesure que nous avancerons, que l’historien, avec cette honorable franchise que Plutarque appelle sa malignité, n’ajoute pas à la valeur personnelle de ses compatriotes une foi plus grande qu’ils n’en méritent, et qu’il ne cherche pas à voiler les nombreuses chances de défaites que présentait la mauvaise direction donnée aux affaires[9].

J’ai déjà mentionné qu’on nous représente Xerxès comme ayant été dans l’origine opposé ‘à l’entreprise, et stimulé seulement jusqu’ici par les conseils persuasifs de Mardonios. C’était probablement la véritable opinion des Perses ; car le blâme d’un si grand désastre fut naturellement reporté du monarque à un mauvais conseiller[10]. Aussitôt que Xerxès, cédant à la persuasion, eut annoncé aux principaux Persans qu’il avait convoqués sa résolution de jeter un pont sur l’Hellespont et de marcher à la conquête de la Grèce et de l’Europe, on représente Mardonios comme exprimant le vif assentiment qu’il donne à ce projet, exaltant les forces immenses de la Perse[11] et dépréciant les Ioniens d’Europe (c’est ainsi qu’il les nommait), comme étant si pauvres et si désunis que le succès était non seulement certain, mais aisé. A la précipitation téméraire de ce général, — le mauvais génie de Xerxès, — nous trouvons opposées la prudence et la longue expérience d’Artabanos, frère de Darius, le feu roi, et par conséquent oncle du monarque. L’âge et la parenté de ce Nestor persan l’enhardissent à entreprendre la tache dangereuse de combattre la détermination que Xerxès, bien qu’il déclarât provoquer les opinions des autres, avait dit hautement être déjà arrêtée dans son esprit. Le discours qu’Hérodote prête à Artabanos est celui d’un Grec réfléchi et religieux. Il commence par l’idée grecque de la nécessité d’entendre et de comparer des vues opposées avant toute décision finale ; — il blâme Mardonios de déprécier faussement les Grecs et d’attirer son maître dans un danger personnel ; — il expose la probabilité que les Grecs, s’ils sont victorieux sur mer, viendront détruire le pont sur lequel Xerxès aurait franchi l’Hellespont ; — il rappelle à ce dernier le danger imminent que Darius et son armée auraient couru en Scythie dans le cas de destruction du pont sur le Danube (malheur détourné seulement par Histiæos et son influence) : ces suggestions prudentes sont en outre fortifiées par des allusions à la haine jalouse de la divinité contre un pouvoir humain excessif[12].

Le monarque impatient impose silence à son oncle d’un ton d’insulte et de menace ; néanmoins, en dépit de lui-même, les motifs de dissuasion agissent sur lui si puissamment qu’avant la nuit ils changent graduellement sa résolution, et le décident à renoncer à son projet. Dans cette dernière disposition il s’endort et fait un rêve : Un homme d’une taille élevée et ‘imposante se penche sur lui, lui reproche son changement d’opinion, et lui commande péremptoirement de persister dans l’entreprise telle qu’elle avait été annoncée. Malgré ce rêve, Xerxès tient encore à son projet modifié ; il réunit son conseil le lendemain matin, et après s’être excusé de la violence de son langage à l’égard d’Artabanos, il apprend à ses conseillers, à leur grande joie, qu’il se range aux avis de ce dernier, et qu’il abandonne son dessein contre la Grèce. Mais, la nuit suivante, à peine Xerxès était-il endormi que le même rêve et la même figure lui apparurent de nouveau, répétant le même ordre dans un langage de terrible menace. Le monarque, très alarmé, s’élance de son lit, et envoie chercher Artabanos, qu’il instruit de la vision et de l’ordre divin deux fois répétés qui lui défendent de changer de résolution. Si (dit-il) c’est la volonté absolue de Dieu que cette expédition contre la Grèce soit accomplie, la même vision t’apparaîtra aussi, pourvu que tu te places sur mon trône et que tu dormes dans mon lit[13]. Ce n’est pas sans répugnance qu’Artabanos obéit à cet ordre (car c’était un cas de haute trahison pour un Perse que de s’asseoir sur le trône royal[14] ; mais il finit par céder, espérant pouvoir prouver à Xerxês que le songe ne méritait aucune attention. Bien des rêves (dit-il) ne sont pas d’origine divine, ils ne sont rien de plus que des objets vagues tels que ceux auxquels nous avons pensé pendant le jour : ce songe, de quelque nature qu’il soit, ne sera pas assez sot pour se tromper et me prendre pour le roi, même si j’ai le costume royal et si je suis dans son lit ; mais s’il continue encore de t’apparaître, j’avouerai moi-même qu’il est divin[15]. En conséquence, Artabanos est placé sur le trône et sur le lit du roi, et à peine est-il endormi que précisément la même figure se montre aussi, en lui disant : Est-ce toi qui dissuades Xerxès, sous prétexte de sollicitude pour sa sûreté, de marcher contre la Grèce ? Xerxès, déjà été averti de ce qu’il souffrira s’il désobéit, et toi aussi tu n’échapperas ni maintenant ni dans l’avenir, en cherchant à empêcher ce qui doit être et sera. En prononçant ces paroles la vision prend une attitude menaçante, comme si elle se disposait à brûler les yeux d’Artabanos avec des fers rouges, quand le dormeur se réveille, frappé de terreur, et court en faire part à Xerxès. Jusqu’ici, ô roi, je t’avais recommandé de demeurer content de ce vaste empire que tu possèdes en ce moment et pour lequel tout le genre humain te juge heureux ; mais puisque la volonté divine est maintenant manifeste, et que la destruction venant d’en haut est prête à fondre sur les Grecs, je change aussi d’avis, et te conseille de commander aux Perses ce que Dieu ordonne ; fais que rien ne manque de ta part pour ce que Dieu remet entré tes mains[16].

C’est ainsi qu’Hérodote représente l’origine de la grande expédition de Xerxès ; elle eut sa source en partie dans la rudesse de Mardonios, qui en recueille l’amère récompense sur le champ de bataille de Platée, — mais plus encore dans l’influence du malfaisant Oneiros, qui est envoyé par les dieux (comme dans le second livre de l’Iliade) pour tromper Xerxès, et même pour triompher par la terreur et de ses scrupules et de ceux Artabanos. Les dieux, ayant décidé (comme dans les exemples d’Astyagês, de Polykratês et d’autres) que l’empire persan subirait une humiliation et un échec signalés de la part des Grecs, obligent le monarque persan à une entreprise ruineuse, contraire à sa propre opinion plus sage. Cette imagination religieuse ne doit pas être regardée comme particulière à Hérodote, mais comme commune à lui et à ses contemporains en général, Grecs aussi bien que Persans, bien qu’elle soit stimulée particulièrement chez les Grecs par l’abondance de leur poésie épique ou quasi historique. Modifiée plus ou moins dans chaque narrateur individuellement, elle sert à fournir des liens d’union aussi bien que des causes initiatives pour les grands événements de l’histoire. Comme cause de cette expédition, incomparablement le fait le plus grand et le plus fertile en conséquences dans toute la carrière politique tant des Grecs que des Perses, il ne fallait rien moins qu’une intervention spéciale des Dieux pour satisfaire les sentiments de l’une ou de l’autre nation. L’histoire du songe a son origine (comme nous le dit Hérodote)[17] dans l’imagination persane, et est en quelque sorte une consolation pour la vanité nationale ; mais elle est changée et colorée par l’historien grec, qui mentionne aussi un troisième songe, que Xerxès eut après avoir pris définitivement la résolution de marcher, et que par erreur les interprètes mages expliquèrent faussement comme un encouragement[18], bien qu’en réalité il menaçât de ruine. Ce qui`prouve combien cette conception religieuse de la suite des événements appartient à l’époque, c’est ce fait, que non seulement on la trouve dans Pindare et dans les tragiques attiques en général, mais qu’elle domine surtout dans les Persæ d’Eschyle, représentés sept ans après la bataille de Salamis, — où nous trouvons les songes avertissant à l’avance aussi bien -que la : jalouse inimitié des dieux à l’égard d’un vaste pouvoir et d’aspirations présomptueuses dans un homme[19] ; bien que sans trace de cette disposition, dont Hérodote semble être redevable aux Perses, de qui il recevait ses renseignements, à disculper Xerxès en le représentant comme disposé lui-même à suivre de sages conseils, mais poussé dans une direction contraire par l’ordre irrésistible des dieux[20].

Tout en mentionnant, comme nous le devons, ces conceptions religieuses dont le poète et l’historien entourent ce vaste conflit entre les Grecs et les barbares, nous n’avons pas besoin de chercher autre chose que l’ambition et la vengeance comme motifs réels de l’invasion. Si l’on considère qu’elle avait été un projet arrêté dans l’esprit de Darius pendant trois ans avant sa mort, il n’était pas probable que son fils et successeur y renonçât gratuitement. Peu de temps après avoir reconquis l’Égypte, Xerxès commença à faire ses préparatifs, dont la grandeur attestait la force de sa résolution aussi bien que l’étendue de ses desseins. Les satrapes et les officiers subordonnés, d’une extrémité à l’autre de son immense empire, reçurent l’ordre de fournir le plus ample contingent de troupes et de munitions de guerre, — cavalerie et infanterie, vaisseaux de guerre, transports pour les chevaux, provisions ou fournitures de diverses sortes, selon l’état du territoire ; tandis qu’on offrit des récompenses en perspective à ceux qui exécuteraient les ordres de la manière la plus efficace. On employa quatre années entières à faire ces préparatifs, et comme on nous dit que de semblables préparatifs avaient été poursuivis pendant les trois années qui précédèrent la mort de Darius, bien qu’ils n’eussent pas été amenés à un résultat définitif, nous ne pouvons clouter que le maximum des forces qu’il était possible de tirer de l’empire[21] ne fût maintenant obtenu pour l’exécution des plans de Xerxès.

L’empire des Perses était à ce moment plus étendu qu’il ne le fut jamais à aucune époque subséquente ; car il comprenait la Thrace maritime et la Macedonia jusqu’aux frontières de la Thessalia, et presque toutes les îles de la mer 1Egée au nord de la Krête et à l’est de l’Eubœa, — renfermant même les Cyclades. Il y avait des forts et des garnisons perses à Doriskos, à Eiôn et dans d’autres endroits sur la côte de la Thrace, tandis qu’Abdêra, avec les autres établissements grecs sur cette côte, était comptée parmi les tributaires de Suse[22]. Il est nécessaire de se rappeler ces frontières de l’empire au moment où Xerxès monta sur le trône, en tant que comparées avec ses limites réduites à. l’époque plus récente de la guerre du Péloponnèse, en partie pour pouvoir comprendre les chances apparentes de succès que présentait son expédition, telles qu’elles s’offraient et aux Perses et aux Grecs mêdisant, — en partie pour pouvoir apprécier les circonstances postérieures qui se rattachent à la formation de l’empire maritime athénien.

Ce fut dans l’automne de Pannée 481 avant J.-C. que l’immense armée levée ainsi par Xerxès arriva de toutes les parties de l’empire à Sardes, ou près de cette ville : une partie considérable des troupes avait reçu l’ordre de se réunir à Kritala, en Kappadokia, sur la rive orientale de l’Halys, où elle fut rejointe par Xerxès lui-même sur la route de Suse[23]. De là, il franchit l’Halys, et traversa la Phrygia et la Lydia, en passant par les villes phrygiennes de Kelænæ, d’Anaua et de Kolossæ, et par la ville lydienne de Kallatêbos, jusqu’à ce qu’il atteignît Sardes, où des quartiers d’hiver étaient préparés pour lui. Mais cette armée de terre, quelque considérable qu’elle fût (quant à son nombre, j’en parlerai bientôt plus en détail), n’était pas tout ce que l’empire avait été obligé de fournir. Xerxès avait décidé qu’il attaquerait la Grèce, non pas en traversant la mer Ægée, comme l’avait fait Datis en allant à Eretria et à Marathôn, nais par une armée de terre et une flotte à la fois ; la première devant franchir l’Hellespont, et traverser la Thrace, la Macedonia et la Thessalia, tandis que l’autre était destinée .à l’accompagner, et à lui prêter son concours. Une flotte de douze cent sept vaisseaux de guerre, outre de nombreux navires de service et de transport, avait été réunie dans l’Hellespont et sur les côtes de Thrace et d’Iônia ; de plus Xerxès, avec un degré de prévoyance dépassant de beaucoup celle de son père Darius dans l’expédition de Scythie, avait ordonné la formation de magasins considérables d’approvisionnements .aux stations maritimes convenables, le long de la ligne de marche, depuis l’Hellespont jusqu’au golfe Strymonique. Pendant les quatre années de préparatifs militaires, on avait eu le temps de rassembler de grandes quantités de farine et d’autres articles essentiels venus d’Asie et d’Égypte[24].

Si tout le monde contemporain fut frappé par l’immense rassemblement d’hommes et de munitions de guerre, que Darius réunit ainsi, et qui dépassait tellement tout ce qu’on avait vu jadis, nous pourrions même dire tout ce qu’on vit dans la suite, — il ne fut pas moins étonné de deux entreprises qui entraient dans son plan, — le pont jeté sur l’Hellespont et un canal de navigation ouvert dans l’isthme dit mont Athos. Pour la première des deux il y avait eu à la vérité un précédent, puisque Darius, environ trente-cinq ans auparavant, avait fait jeter un pont sur le Bosphore de Thrace, et l’avait traversé dans sa marche vers la Scythie. Cependant ce pont de Darius, bien que construit par les Ioniens et par un Grec Samien, comme il ne s’était rapporté qu’à des contrées lointaines, semble avoir été peu connu parmi les Grecs en général ou les avoir peu occupés, comme nous pouvons le conclure de ce fait, que le poète Eschyle[25] parle comme s’il n’en avait jamais appris l’existence ; tandis que et les Perses et Ies Grecs se souviennent toujours du pont de Xerxès comme de l’exemple le plus imposant de l’omnipotence asiatique. Le pont de bateaux, — ou plutôt les deux ponts séparés peu éloignés l’un de l’autre —, que Xerxès fit jeter sur l’Hellespont, s’étendaient du voisinage d’Abydos sur le côté asiatique à la côte, entre Sestos et Madytos, sur le côté européen, où le détroit a environ une largeur d’un mille (= 1.600 m.). L’exécution du travail fut d’abord confiée, non à des Grecs, mais à des Phéniciens et à des Égyptiens, qui avaient reçu l’ordre longtemps à l’avance de préparer des câbles d’une force et d’une dimension extraordinaires expressément à cette fin ; la matière dont se servaient les Phéniciens était le lin, celle qu’employèrent lés Égyptiens était la fibre du papyrus. Déjà l’ouvrage était achevé, et l’on avait annoncé à Xerxès que tout était prêt pour le passage, quand il s’éleva une tempêté assez violente pour détruire le pont complètement. A la nouvelle de cette catastrophe, la colère du monarque dépassa toutes les bornes. Elle fut dirigée en partie contre les ingénieurs en chef, auxquels il fit couper la tête[26], mais en partie aussi contre l’Hellespont lui-même. Il ordonna qu’on donnât à l’Hellespont trois cents coups de fouet, et il y fit jeter des chaînes comme seconde punition. De plus, Hérodote avait entendu dire, mais il ne le croit pas, qu’il avait même envoyé des fers pour le marquer. Ô toi, eau amère (s’écriaient les hommes chargés de le flageller en infligeant ce châtiment), voilà la peine dont notre maître te frappe pour lui avoir fait du mal, bien qu’il ne t’en ait jamais fait. Le roi Xerxès te traversera, que tu le veuilles ou non ; mais tu ne mérites de sacrifice de la part d’aucun homme, parce que tu es un fleuve perfide d’eau salée (inutile)[27].

Tels furent les termes insultants dont, par ordre de Xerxès, on accabla l’Hellespont rebelle. Hérodote les appelle non helléniques et blasphématoires, ce qui, joint à leur brièveté, nous mène à croire qu’il les rapporte comme il les entendit et qu’ils ne sont pas de son invention, comme tant d’autres discours de son ouvrage, où il imprime un caractère dramatique pour ainsi dire à une situation donnée. Cependant on a été dans l’habitude d’écarter dans ce cas non seulement les mots, mais même l’incident principal du châtiment infligé à l’Hellespont[28], comme une pure fable grecque plutôt que comme un fait réel ; la puérilité et l’absurdité de l’acte lui donnant l’air d’une calomnie inventée par un ennemi. Mais cette raison ne paraîtra pas suffisante, si nous nous reportons à l’époque et à l’individu dont il s’agit. Transporter à des objets inanimés les attributs de sensibilité aussi bien que de volonté et de conception, apanage des êtres humains, est un des instincts primitifs et largement répandus de l’humanité, et l’une des premières formes de la religion. Et bien que le développement de la raison et de l’expérience déplace graduellement ce fétichisme élémentaire, en le bannissant des régions de la réalité pour le rejeter dans celles de la fiction conventionnelle, — cependant la force d’une passion momentanée suffit souvent pour l’emporter sur l’habitude acquise ; et même un homme intelligent[29] peut être poussé dans un moment d’extrême douleur à frapper du pied ou à battre l’objet inanimé cause de sa souffrance. D’après l’antique procédé, qui ne fut jamais formellement aboli, bien qu’il tombât graduellement en désuétude, à Athènes, un objet inanimé qui avait causé la mort d’un homme était solennellement jugé et jeté hors de la frontière. Et quand les jeunes Arkadiens revenaient affamés d’une chasse malheureuse[30], ils flagellaient et piquaient le dieu Pan, c’est à dire sa statue, en manière de vengeance. A plus forte raison pouvons-nous supposer qu’un jeune monarque persan, corrompu par la dépendance universelle qui l’entourait, fût capable de donner ainsi carrière à une folle colère. La vengeance exercée par Cyrus sur le fleuve Gyndês (qu’il fit diviser en trois cent soixante ruisseaux, parce qu’un de ses chevaux sacrés s’était noyé dans ses eaux) offre un assez bon pendant à l’Hellespont flagellé par ordre de Xerxès. Offrir des sacrifices à des fleuves et leur témoigner ainsi sa reconnaissance pour un service qu’ils avaient rendu, c’était un rite familier dans la, religion ancienne. Si les motifs qui peuvent faire douter du récit sont ainsi considérablement affaiblis, on trouvera la preuve positive très forte. L’expédition de Xerxès se fit quand Hérodote avait environ quatre ans ; de sorte que dans la suite il trouva de nombreuses occasions de converser avec des personnes qui en avaient été témoins et qui y avaient pris part ; et tout l’ensemble du récit montre qu’il profita largement de ce moyen d’information. En outre, la construction du pont sur l’Hellespont et tous les incidents qui s’y rattachent étaient des faits connus nécessairement de bien des témoins, et conséquemment d’autant plus faciles à vérifier. La décapitation des infortunés ingénieurs fut un acte qui causa une terrible impression, et même la flagellation infligée à l’Hellespont, qui fut essentiellement publique, paraît à Hérodote[31] (aussi bien qu’elle parut à Arrien plus tard), non pas puérile, mais impie. Plus nous balancerons attentivement, dans le cas actuel, le témoignage positif avec les probabilités négatives intrinsèques, plus nous serons disposé à admettre sans défiance l’assertion de notre historien original.

De nouveaux ingénieurs, — peut-être grecs, — s’unissant à des Phéniciens et à des Égyptiens, ou peut-être les remplacent, reçurent immédiatement l’ordre de recommencer le travail, qu’Hérodote décrit maintenant en détail, et qui fut exécuté avec beaucoup de soin et de solidité. Pour former les deux ponts, deux lignes de vaisseaux, — des trirèmes et des pentekontêres réunis ensemble, — furent affourchées en travers du détroit, formant un front, avec leurs poupes tournées vers le Pont-Euxin et leurs proues vers la mer Ægée, le courant coulant toujours rapidement de la première de ces mers à la seconde[32]. Ils étaient amarrés par des ancres à la proue et à la poupe, et par de très longs câbles. Le nombre des vaisseaux placés pour former le pont le plus près de l’Euxin était de trois cent soixante ; le nombre dans l’autre était de trois cent quatorze. Sur chacune des deux lignes de vaisseaux, en travers d’un rivage à l’autre, étaient tendus six vastes câbles, qui remplissaient la double fonction de tenir les vaisseaux ensemble, et de supporter la voie du pont qui devait être posée sur eux. Ils étaient tendus au moyen de cabestans placés sur chaque rive ; à trois endroits différents, dans la longueur de la ligne, on laissa un intervalle entre les vaisseaux, afin de permettre à de petits navires marchands, sans mâts, allant vers l’Euxin ou en revenant, de passer et de repasser dessous les câbles.

Des six câbles assignés à chaque pont, deux étaient de lin et quatre de papyrus, combinés pour obtenir une augmentation de force ; car il semble que dans la construction des premiers ponts, qui se trouvèrent trop faibles pour résister aux vents, les Phéniciens avaient employé des câbles de lin pour un pont, et les Égyptiens des câbles de papyrus pour l’autre[33]. On plaça encore sur ces câbles des planches de bois, sciées à la largeur convenable, assurées en dessus par une seconde ligne de câbles étendus en travers pour les maintenir en place. Enfin, sur ce fondement, on forma la chaussée elle-même, de terre et de bois, avec une palissade de chaque côté assez haute pour empêcher les animaux qui passaient dessus de voir la mer.

L’autre grand travail que Xerxès fit exécuter pour faciliter sa marche fut de couper l’isthme qui rattache le promontoire orageux du mont Athos à la terre ferme[34]. Cet isthme, près du point où il rejoint le continent, avait environ douze stades de largeur (non pas tout à fait 2.400 m.), du golfe Strymonique au golfe Toronaïque ; et le canal creusé par ordre de Xerxès était assez large et assez profond pour que deux trirèmes pussent faire voile de front. Dans ce travail aussi, comme pour le pont jeté sur l’Hellespont, les Phéniciens se montrèrent les plus habiles parmi tous les sujets du monarque persan, et ils rendirent le plus de services ; mais les autres tributaires, surtout les Grecs de la ville voisine d’Akanthos, et à vrai dire les forces maritimes entières de l’empire[35], furent assemblés pour leur venir en aide. Le quartier général de la flotte fut d’abord à Kymê et à Phokæa, ensuite à Elæonte, à l’extrémité méridionale de la Chersonèse de Thrace, point d’où elle pouvait protéger et seconder à la fois les deux entreprises qui s’exécutaient à l’Hellespont et au mont Athos. L’ouverture du canal à ce dernier endroit fut placée sous la direction générale de deux Perses nobles, — Bubarês et Artachæos, et réparti d’après leur mesurage comme tâche entre les contingents des diverses nations : une quantité abondante de farine ainsi que d’autres provisions fut apportée des diverses parties de l’Asie et de l’Égypte pour être vendue dans la plaine voisine.

Trois circonstances dans le récit d’Hérodote relativement à ce travail méritent une mention spéciale. D’abord,l’intelligence supérieure des Phéniciens qui, en vue de cette île élevée de Thasos que leurs ancêtres libres avaient occupée trois siècles auparavant, servaient maintenant par leur travail d’instruments à l’ambition d’un conquérant étranger. Parmi tous les peuples engagés dans l’entreprise, seuls ils prirent la précaution de commencer la tranchée à une largeur beaucoup plus grande que celle que le canal était finalement destiné à occuper, de manière à la diminuer graduellement et à laisser une pente commode pour les côtés. Les autres creusèrent directement, de sorte que le temps, aussi bien que la peine de leur travail, fut doublé par la chute continuelle des côtés en dedans, — exemple remarquable du degré d’intelligence pratique dominant alors, puisque les nations réunies étaient nombreuses et diverses. En second lieu, Hérodote fait remarquer que Xerxès doit avoir accompli ce laborieux ouvrage par des motifs de pure ostentation, car cela n’eût coûté aucune peine (fait-il observer)[36], de traîner tous les vaisseaux de la flotte à travers l’isthme ; de sorte que le canal n’était nullement nécessaire. Tant c’était un procédé habituel, dans l’esprit d’un Grec du cinquième siècle avant J.-C., de transporter des vaisseaux par une force mécanique à travers un isthme, une rainure ou coulisse spéciale étant vraisemblablement préparée pour eux : tel était le cas au Diolkos à travers l’isthme de Corinthe. En troisième lieu, il est à remarquer que les hommes qui creusèrent le canal du mont Athos travaillaient sous les coups de fouet ; et ces ouvriers, il ne faut pas l’oublier, n’étaient pas des esclaves achetés, mais des hommes libres, seulement ils étaient tributaires du monarque persan ; peut-être le père d’Hérodote, natif d’Halikarnassos, et sujet de la courageuse reine Artemisia, a-t-il été du nombre. A mesure que nous avancerons, nous trouverons d’autres exemples de cet usage aveugle du fouet, et de la pleine conviction de son indispensable nécessité de la part des Perses[37], — même pour faire avancer à l’attaque dans une bataillé les troupes composées des contingents de leurs sujets. Employer le fouet de cette manière à l’égard d’hommes libres, et surtout d’hommes libres engagés dans un service militaire, répugnait complètement, tant à l’usage qu’au sentiment helléniques. Les Grecs asiatiques et insulaires en furent délivrés, comme de divers autres durs traitements, quand ils sortirent de la domination des Perses pour devenir, d’abord alliés, ensuite sujets, d’Athènes ; et nous serons obligé ci-après de prendre acte de ce fait, quand nous apprécierons les plaintes prononcées contre l’hégémonie d’Athènes.

En même temps que les contingents des sujets de Xerxès creusaient ce canal, qui était protégé contre la mer à ses deux extrémités par des murs de terre compactes ou endiguements, ils jetaient aussi des ponts de bateaux sur le fleuve Strymôn. On annonça à Xerxês que ces deux ouvrages, avec le double pont renouvelé sur l’Hellespont, étaient achevés et prêts pour le passage, à son arrivée il Sardes au commencement de l’hiver 481-480 avant J.-C. ; nous pouvons raisonnablement douter que sa vaste armée tout entière arrivât à Sardes en même temps que lui et hivernât dans cette ville ; mais toute l’armée fut réunie a Sardes, et prête à marcher contre la Grèce, au commencement du printemps de l’an 480 avant J.-C : .

Pendant qu’il hivernait à Sardes, le monarque persan envoya des hérauts à toutes les cités de la Grèce, excepté à Sparte et à Athènes, pour demander les signes convenus de soumission, la terre et l’eau. La nouvelle de son prodigieux armement était bien faite pour répandre la terreur même parmi les plus résolues d’entre elles. Et il expédia eu même temps l’ordre aux cités maritimes en Thrace et en Macedonia de préparer à diner pour lui et son immense suite quand il viendrait à y passer pendant sa marche. L’armée se mit en mouvement au commencement même du printemps, et elle continua son chemin, malgré plusieurs présages menaçants qui se présentèrent pendant qu’elle le poursuivait, — et Xerxès fut assez aveugle pour ne pas comprendre l’un d’eux, bien que, suivant Hérodote, rien ne fût plus évident que sa signification[38], — tandis qu’un autre fut mal interprété et transformé en présage favorable par la réponse complaisante des mages.

En quittant Sardes, l’immense armée était partagée en deux colonnes presque égales ; un intervalle spacieux étant laissé entre les deux pour le roi lui-même avec ses gardes et l’élite des Perses. Avant tout[39] venaient les bagages, portés par des bêtes de somme, suivis par une moitié du corps entier de l’infanterie, sans distinction de nations. Ensuite, les troupes d’élite, 1.000 cavaliers persans avec 1.000 doryphores persans, les derniers se distinguant en portant leurs lances avec la pointe en bas, aussi bien que par la lance elle-même, qui avait à son autre extrémité, une grenade d’or, au lieu du clou ordinaire ou pointe qui servait à planter la lance en terre quand le soldat était au repos. Derrière ces troupes marchaient dix chevaux sacrés de grande force et splendidement caparaçonnés, élevés dans les plaines nisæennes en Médie ; puis le char sacré de Zeus, traîné par huit chevaux blancs, — dans lequel il n’était jamais permis à personne de monter, pas même au cocher, qui marchait a pied derrière avec les rênes dans la main. Immédiatement après le char sacré venait celui de Xerxès lui-même, traîné par des chevaux nisæens ; le cocher, un Perse noble, nommé Patiramphês, y était assis à côté du monarque, — qui souvent avait coutume de descendre du char et de monter en litière. Immédiatement autour de sa personne était un corps de 1.000 gardes a cheval, les meilleures troupes, et des plus hautes familles parmi les Perses, ayant des pommes d’or à l’extrémité inférieure de leurs lances, et suivis par d’autres détachements de 1.000 cavaliers, de 10.000 fantassins et de 10.000 cavaliers, tous Perses indigènes. De ces 10.000 fantassins persans, appelés les Immortels parce que leur nombre était toujours maintenu exactement, 9.000 portaient des lances avec des grenades d’argent à l’extrémité inférieure, tandis que les 1.000 autres, répartis en tête, a l’arrière-garde, et sur les deux flancs de ce détachement, étaient distingués par des grenades d’or à leurs lances. Avec eux finissait ce que nous pouvons appeler les troupes de la maison du monarque : après elles, avec un intervalle de quatre cents mètres, suivait le reste de l’armée pêle-mêle[40]. Quant à son nombre et à ses parties constitutives, j’en parlerai bientôt, à l’occasion de la grande revue à Doriskos.

De chaque côté de l’armée, comme elle sortait de Sardes, on vit suspendue une moitié du corps d’un homme égorgé, placée là exprès en vue de graver une leçon dans l’esprit des sujets persans. C’était le corps du fils aîné de l’opulent Pythios, vieillard phrygien résidant à Kelaenæ, qui avait traité Xerxès dans le cours de sa marche de Kappadokia à Sarcles, et qui s’était antérieurement recommandé par de riches présents faits au prédécesseur de ce prince, Darius. Si large fut l’hospitalité qu’il donna à Xerxès, et si pressantes furent les offres qu’il fit clé contribuer pour de l’argent. à l’expédition grecque, que le monarque lui demanda quel était le chiffre de sa fortune. Je possède (répondit Pythios), outre des terres et des esclaves, 2.000 talents d’argent et 3.993.000 dariques d’or, auxquels il ne manque que 7.000 pour faire 4.000.000. Tout cet or et tout cet argent, je t’en fais présent, ne gardant que mes terres et mes esclaves, qui seront tout à fait suffisants. Xerxès répliqua par les plus fortes expressions de louange et de reconnaissance pour sa libéralité ; en même temps il refusa son offre, et alla même jusqu’à donner à Pythios de sols propre trésor la somme de 7.000 dariques, qui manquait pour faire la somme ronde de 4.000.000. Ce dernier fit si exalté par cette marque de faveur, que, quand l’armée fut sur le point de quitter Sardes, il osa, sous l’influence de la terreur causée par les divers présages menaçants, adresser une prière au monarque persan. Ses cinq fils devaient tous servir dans l’armée d’invasion contre la Grèce. Il pria Xerxês de lui laisser l’aîné de ses fils, comme soutien de sa vie sur son déclin, et de considérer comme suffisant le service des quatre autres à l’armée. Mais le malheureux père ne savait pas ce qu’il demandait. Misérable ! (répondit Xerxès) oses-tu me parler de ton fils, quand je suis moi même en marche contre la Grèce avec mes fils, mes parents et mes amis ? Toi qui es mon esclave et dont le devoir est de me suivre avec ta femme et ta famille entière ? Sache que l’âme sensible de l’homme habite dans ses oreilles : en entendant de bonnes choses, elle remplit le corps de plaisir, mais elle bout de colère lorsqu’elle entend le contraire. De même que, tout en agissant bien à mon égard et en faisant de belles offres, tu ne peux te vanter d’avoir surpassé le roi en générosité,de même maintenant que tu as tourné tête et que tu es devenu impudent, la punition que je t’infligerai ne comblera pas pleinement la mesure de tes mérites ; elle sera un peu au-dessous. Pour toi-même et pour tes quatre fils, l’hospitalité que j’ai reçue de toi sera votre protection. Mais quant à ce seul fils que tu as désiré spécialement sauver du danger, la perte de sa vie sera ton châtiment. Il ordonna sur-le-champ qu’on mît à mort le fils de Pythios, et qu’on partageât son corps en deux ; une moitié devait être attachée à droite, l’autre à gauche de la route que l’armée allait suivre[41].

Nous avons rapporté déjà un récit essentiellement semblable, un peu moins révoltant cependant, relativement à Darius, quand il entreprit son expédition contre la Scythie. Ces deux récits expliquent la force intense du sentiment avec lequel les rois persans regardaient l’obligation d’un service personnel pour tous, quand ils étaient eux-mêmes en campagne. Ils semblent avoir mesuré leur force par le nombre d’hommes qu’ils réunissaient autour d’eux, en faisant peu ou point de cas de la qualité ; et la seule mention d’une exemption, — l’idée qu’un sujet, et un esclave, chercherait à se soustraire à un danger que le monarque se disposait à affronter, — était une offense indigne de pardon. Dans ce trait comme dans les autres des rois orientaux, soit de reconnaissance, soit de munificence, soit de férocité, nous ne reconnaissons que la force despotique d’une volonté personnelle, se traduisant en acte sans nul souci des conséquences, et traitant des sujets avec moins de considération qu’un Grec ordinaire n’en aurait montré à l’égard de ses esclaves.

De Sardes, l’armée de Xerxès dirigea sa marche vers Abydos, d’abord en traversant la Mysia et le fleuve Kaïkos — ensuite par Atarneus, Karinê et la plaine de Thêbê. Elle passa par Adramyttion et Antandros, et franchit la chaîne de l’Ida, dont la plus grande partie était à sa gauche, non sans quelque dommage par suite de tempêtes et d’orages[42]. De là elle atteignit Ilion et le fleuve Skamandros, dont les eaux furent bues entièrement, ou probablement en partie piétinées et rendues non potables, par l’immense multitude d’hommes et d’animaux. Malgré l’intérêt immortel que le Skamandros tire des poèmes homériques, sa grandeur n’est pas telle qu’elle rende ce fait surprenant. Xerxès même ne dédaigna pas de rendre hommage aux poèmes. Il gravit la colline sacrée d’Ilion, — examina Pergamos, où l’on disait que Priam avait vécu et régné, — sacrifia mille boeufs à la déesse protectrice Athênê, — et fit faire des libations aux mages en l’honneur des héros qui avaient succombé sur ce lieu vénéré. Il condescendit même à s’informer des détails locaux[43], fournis en abondance aux visiteurs par les habitants d’Ilion, de cette grande guerre réelle ou mythique à laquelle des chronologistes grecs n’avaient guère appris encore à assigner une date précise. Et sans doute quand il vit la superficie étroite de cette Troie que, pendant dix ans, tous les Grecs confédérés sous Agamemnôn n’avaient su vaincre, il n’a pu s’empêcher de penser que ces mêmes Grecs seraient une proie facile pour son innombrable armée. Une autre journée de marche entre Rhœteion, Ophryneion et Dardanos à gauche, et les Teukriens de Gergis à droite, l’amena à Abydos, où l’attendaient ses deux ponts nouvellement construits sur l’Hellespont.

Hérodote insiste avec une force particulière sur ce passage d’Asie en Europe, — et il pouvait bien le faire, puisque si nous considérons les ponts, le nombre de l’armée d’invasion, les espérances infinies suivies d’un malheur non moins infini, — nous verrons que non seulement il fut l’événement le plus imposant de son siècle, mais encore qu’il prend place parmi les événements les plus imposants de toute l’histoire. Il l’entoure de maintes circonstances dramatiques ; non seulement il mentionne le trône de marbre élevé pour Xerxès sur une colline voisine d’Abydos, d’où il considérait et ses masses d’infanterie couvrant le rivage et ses vaisseaux voguant et courant dans le détroit (course dans laquelle les Phéniciens de Sidon surpassaient les Grecs et tous les autres contingents) ; — mais encore il ajoute à ce fait réel un dialogue avec Artabanos, destiné a faire connaître la pensée intime de Xerxès. Il cite en outre certaines exclamations supposées des habitants d’Abydos, à la vue de son pouvoir surhumain. Pourquoi (disait un de ces spectateurs terrifiés)[44], pourquoi, toi, ô Zeus, sous la forme d’un homme perse et avec le nom de Xerxès, rassembles-tu ainsi tout le genre humain pour la ruine de la Grèce ? Il t’eût été facile d’accomplir cela sans tant de bruit. Ces exclamations énergiques montrent le sentiment fort qu’Hérodote, ou ceux qui l’instruisaient, met dans la scène, bien que nous ne puissions nous permettre de leur appliquer l’examen de la critique historique.

C’est au premier moment dû lever du soleil, si sacré dans l’esprit des Orientaux[45], qu’on ordonna de commencer le passage. On parfuma les ponts d’encens et on les joncha de branches de myrte, tandis que Xerxès lui-même fit des libations dans, la mer avec un encensoir d’or, et adressa des prières à Hêlios, pour lui demander de pouvoir accomplir sans obstacle son dessein de conquérir l’Europe, même jusqu’à son extrémité la plus reculée. Avec sa libation, il jeta dans la mer son encensoir lui-même, ainsi qu’un bol d’or et un cimeterre persan. Je ne sais pas exactement[46] (ajoute l’historien) s’il les jeta comme présent fait à Hêlios, ou comme marque de repentir et d’expiation pour les coups qu’il avait fait donner à l’Hellespont. Des deux ponts, le plus rapproché du Pont-Euxin était destiné aux forces militaires, — l’autre aux serviteurs, aux bagages et aux bêtes de somme. Les 10.000 Perses, appelés les Immortels, portant tous des couronnes sur la tête, furent les premiers à traverser. Xerxès lui-même, avec le reste de l’armée ; vint ensuite, bien que dans un ordre quelque peu différent de celui qui avait été observé en quittant Sardes ; le monarque, après avoir gagné la rive européenne, vit ses troupes franchir le pont après lui, sous les coups de fouet. Mais malgré l’emploi de ce rude stimulant pour accélérer la marche, le nombre de son armée était si considérable, qu’elle ne mit pas moins de sept jours et de sept nuits, sans un moment d’intervalle, à traverser, — fait qu’il faudra se rappeler bientôt, quand nous en arriverons à discuter les totaux calculés par Hérodote[47].

Ayant ainsi franchi le détroit, Xerxès dirigea sa marche le long de la Chersonèse de Thrace, vers l’isthme qui la réunit à la Thrace, entre la ville de Kardia à sa gauche et la tombe de Hellê à sa droite, — Hellê, l’héroïne éponyme du détroit. Après avoir traversé cet isthme, il tourna à l’ouest le long de la côte du golfe de Melas et de la nier Ægée, — il franchit le fleuve auquel ce golfe devait son nom, et même il en épuisa les eaux (suivant Hérodote) avec les hommes et les animaux de son armée. Ayant passé par la ville æolienne d’Ænos et par le port appelé Stentoris, il atteignit la côte de la mer et la plaine appelée Doriskos, couvrant le riche delta voisin de l’embouchure de l’Hebros. Darius y avait bâti un fort occupé par une garnison. La plaine spacieuse appelée de ce même nom s’étendait le long du bord jusqu’au cap Serreion, et renfermait les villes de Salê et de Zonê, possessions des Grecs de Samothrace établis dans le territoire que possédaient jadis les Kikones Thraces sur la terre ferme. Il y fut rejoint par sa flotte, qui avait doublé[48] le promontoire le plus méridional de la Chersonèse de Thrace ; et alors il jugea l’endroit commode pour une revue et une énumération générales de ses forces tant de terre que de mer.

Jamais probablement dans l’histoire de l’humanité il n’a été rassemblé un corps d’hommes de régions aussi éloignées et aussi complètement différentes, pour un seul but et sous un seul commandement, que ceux qui étaient actuellement réunis en Thrace, prés de l’embouchure de l’Hebros. Quant au total numérique, nous ne pouvons pas avoir la prétention de nous en faire une idée définie ; quant à la variété des contingents, il n’y a pas lieu d’en douter. Quelle fut la nation asiatique — demande Hérodote[49], dont les conceptions qu’il a de cette expédition semblent dépasser ce qu’il peut dire — que Xerxès n’amena pas contre la Grèce ? Ce n’étaient pas seulement les nations asiatiques comprises entre l’Oxus, l’Indus, le golfe Persique, la mer Rouge, le Levant, la mer Ægée et le Pont-Euxin : nous devons encore y ajouter les Égyptiens, les Éthiopiens, qui habitaient sur le Nil au sud de l’Égypte, et les Libyens du désert, près de Kyrênê. Aucune de toutes les expéditions, fabuleuses ou historiques, dont Hérodote eût jamais entendu parler, ne lui paraissait comparable à celle de Xerxès, même pour le nombre total ; encore moins sous le rapport de la variété des éléments constitutifs. Quarante-six nations différentes[50], chacune avec son costume national distinct, sa manière de s’armer, ses chefs locaux, formaient l’immense armée de terre. Huit autres nations fournissaient la flotte, à bord de laquelle des Perses, des Mèdes et des Sakæ servaient comme soldats armés ou comme infanterie de marine. Les chefs réels, tant de l’armée entière que de toutes ses diverses divisions, étaient des Perses indigènes de sang noble, qui répartissaient les divers contingents indigènes en compagnie de mille, de cent et de dix. Les quarante-six nations composant l’armée de terre étaient ainsi qu’il suit : — Perses, Mèdes, Kissiens, Hyrkaniens, Assyriens, Baktriens, Sakæ, Indiens, Ariens, Parthes, Chorasmiens, Sogdiens, Gandariens, Dadikæ, Kaspiens, Sarangæ, Paktyes, Utii, Myki, Parykanii, Arabes, Ethiopiens d’Asie et Éthiopiens du sud de l’Égypte, Libyens, Paphlagoniens, Ligyes, Matieni, Maryandini, Syriens, Phrygiens, Arméniens, Lydiens, Mysiens, Thraces (lacune supposée dans Hérodote), Kabêliens, Milyens, Moschi, Tibaréniens, Marons, Mosynœki, Mares, Kolchiens, Alarodiens, Saspeires, Sagartii. Les huit nations qui fournissaient la flotte étaient : — les Phéniciens (300 vaisseaux de guerre), les Égyptiens (200), les Kypriotes (150), les Kilikiens (100), les Pamphyliens (30), les Lykiens (50), les Kariens (70), les Grecs ioniens (100), les Grecs dôriens (30), les Grecs æoliens (60), les Grecs de l’Hellespont (100), les Grecs des îles de la mer Ægée (17) ; en tout 1.207 trirèmes ou vaisseaux de guerre à trois rangs de rames. Les descriptions de costumes et d’armes que nous trouvons dans Hérodote sont curieuses et variées. Mais .il est important de mentionner qu’aucune nation, excepté les Lydiens, les Pamphyliens, les Kypriotes et les Kariens (en partie aussi les marins égyptiens à bord), n’avait d’armes analogues à celles des Grecs (i. e. des armes bonnes pour une lutte de pied ferme et pour une charge soutenue)[51], — pour un combat corps à corps en ligne aussi bien que pour la défense individuelle, — mais incommodément pesantes soit dans la poursuite, soit dans la fuite). Les autres nations avaient des armes de trait, — de légers boucliers d’osier ou de cuir, ou pas de boucliers du tout, — des turbans ou des bonnets de cuirs au lieu de casques, — des épées et des faut. Ils n’étaient convenablement équipés ni pour combattre en ordre régulier, ni pour résister à la ligne de lances et de boucliers que les hoplites grecs leur présentaient. Leurs personnes aussi étaient beaucoup moins protégées contre des blessures que celles des derniers. Quelques-uns en effet, comme les Mysiens et les Libyens, ne portaient pas même de lances, mais des bâtons dont le bout était durci au feu[52]. Une tribu de Perses nomades, appelés Sagartii, au nombre de 8,000 cavaliers, vint armée seulement d’un poignard et de la corde connue dans l’Amérique du Sud sous le nom de lasso, qu’ils lançaient dans le combat pour entortiller un adversaire. Les Ethiopiens du Nil supérieur avaient le corps peint moitié rouge et moitié blanc, portaient des peaux de lions et de panthères, et avaient, outre la javeline, un long arc avec des flèches de roseau, garnies à l’extrémité d’une pointe de pierre affilée.

Ce fut à Doriskos que les combattants de toute l’armée de terre furent comptés pour la première fois car Hérodote nous apprend expressément que les divers contingents n’avaient jamais été comptés séparément, et il avoue sa propre ignorance du chiffre de chacun. Les moyens employés pour le dénombrement furent remarquables. On comptait 10.000 hommes[53], qu’on serrait les uns contre les autres aussi près que possible : on tirait une ligne, et on construisait un mur d’enceinte autour de l’espace qu’ils avaient occupé, et dans ce mur toute l’armée recevait l’ordre d’entrer successivement, de sorte qu’on s’assurait ainsi du nombre collectif des divisions, comprenant 10.000 hommes chacune. Ceux qui instruisaient Hérodote lui affirmèrent qu’il y eut cent soixante-dix de ces divisions comptées ainsi, formant un total de 1.700.000 fantassins, outre 80.000 chevaux, de nombreux chars de guerre de Libye et de chameaux d’Arabia, avec un total présumé de 20.000 hommes en plus[54]. Telle était l’immense armée de terre du monarque persan. Ses équipements navals y correspondaient en grandeur : ils comprenaient non seulement les 1.207 trirèmes[55] ou vaisseaux de guerre à trois rangs de rames, mais encore de plus petits vaisseaux de guerre et des transports au nombre de 3.000. L’équipage de chaque trirème comptait 200 rameurs, et 30 combattants, Perses ou Sakæ ; celui de chacun des convois était de 80 hommes, suivant une moyenne qu’Hérodote ne suppose pas éloignée de la vérité. Si nous additionnons ces articles, le nombre total que Xerxès amena dans la plaine et sur la côte de Doriskos atteindrait le chiffre prodigieux de 2.317.000 hommes. Et ce n’est pas tout. Dans la marche ultérieure de Doriskos aux Thermopylæ, Xerxès obligea à le servir les hommes et les vaisseaux de tous les peuples dont il traversait le territoire ; il tira de là un renfort de 120 trirèmes avec des équipages collectifs de 24.000 hommes et de 300.000 fantassins nouveaux, de sorte que le total de ses forces, quand il parut aux Thermopylæ, était de 2.640.000 hommes. A ce chiffre il faut ajouter, suivant la conjecture d’Hérodote, un nombre qui n’est nullement inférieur comme serviteurs, esclaves, vivandiers, équipages des navires de provisions et de transport, etc., de sorte que les personnes mêles accompagnant le roi des Perses, quand il atteignit le premier point où il rencontra la résistance des Grecs, montaient à 5.283.220 ! Telle est la prodigieuse estimation de cette armée, forces entières du monde oriental, dans les chiffres clairs et formels d’Hérodote[56], qui lui-même suppose évidemment que le nombre fut même plus grand ; car il regarde le nombre des suivants de camp non seulement comme égal à celui des combattants, mais comme beaucoup plus considérable. Nous avons à compter, en outre, les eunuques, les concubines et les cuisinières, dont Hérodote n’a pas la prétention de conjecturer le hombre, avec le bétail, les bêtes de somme et les chiens indiens, en quantité infinie, qui augmentaient la consommation de l’armée régulière.

Admettre ce total écrasant, ou quelque chose qui s’en rapproche, c’est évidemment impossible ; cependant les remarques méprisantes qu’il a attirées à Hérodote ne sont nullement méritées[57]. Il prend la peine de distinguer ce que lui dirent ceux qui l’instruisaient de ce qui n’était qu’une conjecture de sa part. La description qu’il fait de la revue passée à Doriskos est si détaillée, qu’il avait évidemment conversé avec des personnes qui y assistaient, et avaient appris les totaux séparés publiés par les énumérateurs, — infanterie, cavalerie et vaisseaux de guerre grands et petits. Quant au nombre des trirèmes, son assertion semble au-dessous de la vérité, comme nous en pouvons juger par l’autorité d’Æschyle, contemporain de l’événement, qui dans ses Persæ donne le nombre exact de 1.207 vaisseaux persans comme ayant combattu à Salamis. Mais, entre Doriskos et Salamis, Hérodote[58] a lui-même énuméré 647 vaisseaux comme perdus ou détruits, et seulement 120 comme ajoutés. On ne peut donc pas, à juste titre, accuser d’exagération ce renseignement, qui impliquerait environ 276.000 hommes pour le nombre des équipages, bien qu’il y ait dans ce récit une omission ou une confusion que nous ne pouvons éclaircir ? Mais le total de 3.000 vaisseaux plus petits, et encore plus celui de 1.700.000 fantassins, sont beaucoup moins dignes de foi. Les énumérateurs avaient peu ou point de motifs pour être exacts, — mais ils avaient tout motif pour exagérer, — un immense total nominal ne devant pas moins plaire à l’armée qu’au monarque lui-même ; — de sorte que le total, mi4taire des forces de terre et des équipages des vaisseau, qu’Hérodote donne comme étant de 2.641.000 hommes à l’arrivée aux Thermopylæ, peut être écarté comme non garanti et incroyable. Et le calcul par lequel il détermine le chiffre des personnes présentes non militaires, comme égal aux militaires ou les dépassant, est fondé sur des suppositions qui ne sont nullement admissibles. Car, bien que dans une armée grecque en bols état il fût d’usage de compter un soldat armé à la légère ou serviteur pour chaque hoplite, une telle estimation ne peut être appliquée à l’armée persane. Un petit nombre de grands personnages et de chefs pouvaient être richement pourvus de suivants de diverse sorte ; mais la grande masse de l’armée n’en avait pas du tout. Dans le fait, il parait que la seule manière dont nous puissions rendre le total militaire, qui doit en tout cas avoir été très grand, compatible avec les conditions de subsistance possible, c’est de supposer une absence relative de suivants et de songer au fait de la faible consommation et de la patience habituelle quant à la fatigue des Orientaux dans, tous les temps. Aujourd’hui un soldat asiatique fera campagne avec une chétive nourriture et en supportant des privations qui seraient intolérables pour un Européen[59]. Et tandis que nous diminuons ainsi la consommation probable, nous avons considérer que, jamais dans aucun cas de l’histoire ancienne, il n’avait été pris a l’avance autant de peine pour accumuler des vivres sur la ligne de marche ; en outre, les villes de Thrace étaient obligées de fournir, lors du passage de l’armée, une quantité de provisions telle qu’elles en étaient presque ruinées. Hérodote lui-même exprime sa surprise de ce qu’on avait pu pourvoir à la nourriture d’une multitude aussi immense, et s’il nous fallait admettre littéralement son estimation, la difficulté grandirait et deviendrait une impossibilité. Si nous pesons, avec soin les circonstances du cas, et si nous considérons que cette armée était le résultat d’un maximum d’efforts d’une extrémité à l’autre de ce vaste empire, — qu’un grand total numérique était la chose particulièrement exigée, que des demandes d’exemption étaient regardées par le Grand Roi comme une offense capitale, — et que des provisions avaient été rassemblées pendant trois années auparavant le long de la ligne de marche, — nous pouvons bien croire que l’armée de. Xerxès fut plus considérable qu’il n’en fut jamais réuni dans les temps anciens, ou peut-être à aucune époque connue de l’histoire. Mais ce serait téméraire de prétendre conjecturer un’ nombre positif quelconque, dans l’absence absolue de données certaines. Quand nous apprenons de Thucydide qu’il se trouvait dans l’impossibilité de découvrir le chiffre exact des petites armées de Grecs qui combattirent à Mantineia[60], nous n’aurons pas honte d’avouer l’impuissance où nous sommes de compter la multitude asiatique à Doriskos. Nous pouvons faire remarquer toutefois que, malgré les renforts reçus plus tard en Thrace, en Macedonia et en Thessalia, on peut douter que le, total collectif se soit jamais accru dans la suite. Car Hérodote ne tient pas compte des désertions, qui cependant ont du être très nombreuses dans une armée désordonnée, hétérogène, ne s’intéressant nullement à l’entreprise, et où le nombre de chaque contingent séparé était inconnu.

Ktêsias donne pour total de l’armée 800.000 hommes et 1.000 trirèmes, indépendamment des chars de guerre : s’il compte les équipages des trirèmes séparément des 800.000 hommes (ce qui parait probable), le total sera alors beaucoup au-dessus d’un million. Elien assigne un agrégat de 700.000 hommes ; Diodore[61] paraît suivre en partie Hérodote, en partie d’autres autorités. Aucun de ces témoins lie nous met à même de corriger Hérodote, dans un cas où nous sommes obligé de ne pas le croire. Il est en quelque sorte un véritable témoin, puisqu’il a évidemment conversé avec des personnes réellement présentes à, la revue de Doriskos, et qu’il nous donne leur opinion quant aux nombres, avec le calcul, vrai ou faux, circulant parmi elles par autorité. De plus, Æschyle le contemporain, tout en s’accordant avec lui exactement quant au nombre des trirèmes, ne spécifie pas de chiffre quant à l’armée de terre, mais il nous donne dans ses Persæ le sentiment général d’un nombre immense, qui peut sembler être d’accord avec l’assertion la plus étendue d’Hérodote : l’empire persan est épuisé d’hommes, — les femmes de Suse restent sans maris et sans frères, — il n’a pas été permis au territoire baktrien de garder même ses vieillards[62]. L’effet terrifiant de cette foule était probablement tout aussi grand que si son nombre avait réellement correspondu aux idées d’Hérodote.

Après que le dénombrement eut été achevé, Xerxès passa sur son char devant chacun des différents contingents, examina leur équipement et fit des questions, les scribes royaux prenant note des réponses. Il s’embarqua ensuite a bord, d’une trirème sidonienne (à laquelle on avait déjà adapté une tente dorée), et il fit voile le long des proues de son immense flotte, amarrée en ligne à environ quatre cents pieds du rivage, et chaque vaisseau complètement préparé pour l’action. Un tel spectacle était bien fait pour faire naître des mouvements d’une arrogante confiance. Ce fut dans ces dispositions qu’il envoya chercher sans retard Demaratos, le roi de Sparte exilé, qui était au nombre de ses auxiliaires, — pour lui demander si l’on pouvait même concevoir que les Grecs résisteraient a une telle armée ? Leur conversation, rapportée par Hérodote avec une couleur dramatique, est une des manifestations de sentiment les plus frappantes dans la langue grecque[63]. Demaratos l’assure que les Spartiates très certainement, et les Dôriens du Péloponnèse probablement, lui résisteront jusqu’à la mort, quelle que soit la différence du nombre. Xerxès reçoit ce renseignement avec des railleries, mais il ne témoigne pas de sentiment de mécontentement : honorable contraste avec le traitement de Charidêmos, un siècle et demi plus tard, par le dernier monarque de la Perse[64].

La revue achevée, Xerxès, avec l’armée, poursuivit sa marche à l’ouest, en trois divisions et en suivant trois lignes différentes de route, à travers les territoires de sept tribus de Thraces distinctes, parsemées de colonies maritimes grecques. Il était encore dans les limites de son propre empire, et il prenait des renforts partout où il passait : les Satræ Thraces furent préservés de cette levée par leurs demeures inattaquables au milieu des bois et des neiges du Rhodopê. Les îles de Samothrace et de Thasos, avec leurs villes sujettes sur la terre ferme, — et les colonies grecques de Dikæa[65], de Maroneia et d’Abdêra, — furent successivement mises à contribution pour des contingents de vaisseaux ou d’hommes. Ce qui était encore plus ruineux, — elles étaient obligées de pourvoir au repas du jour pour l’immense armée à mesure qu’elle passait : le jour de son passage, le Grand Roi était leur hôte. Des ordres avaient été transmis dans ce but longtemps à l’avance, et pendant bien des mois les citoyens avaient été assidûment occupés à réunir des vivres pour l’armée, aussi bien que des délicatesses pour la table du monarque : — ils moulaient le blé et l’orge, engraissaient du bétail, nourrissaient des, oiseaux et de la volaille ; de plus, ils se préparaient à couvrir convenablement de vaisselle d’or et d’argent la table royale. On dressait une tenté superbe pour Xerxès et ses compagnons immédiats, tandis que l’armée recevait ses rations dans le pays découvert à l’entour ; quand on se mettait en marche le lendemain matin, la tente avec tout son riche contenu était pillée, et rien n’était rendu à ceux qui l’avaient fournie. Naturellement, une armée si prodigieuse, qui avait mis sept jours et sept nuits à franchir le double pont jeté sur l’Hellespont, a dû aussi être bien des jours en marche à travers le territoire, et par conséquent à la charge de chacune des villes, de sorte que la dépense les mit sur le penchant de la ruine, et même dans quelques cas les poussa à abandonner maison et patrie. La dépense faite dans ce but par la ville de Thasos, à raison de ses possessions sur la terre ferme, ne fut pas inférieure à 400 talents[66] (= 2.320.000 fr.), tandis qu’à Abdêra le spirituel Megakreôn recommanda à ses compatriotes d’aller en corps aux temples et de remercier les dieux de ce qu’il plaisait à Xerxès de se contenter d’un seul repas par jour. Si le monarque avait exigé lé déjeuner aussi bien que le dîner, les Abdéritains auraient été réduits à l’alternative soit de l’exil, soit du dernier dénuement[67]. Un cours d’eau appelé Lissos, qui ne semble pas avoir été de grande importance, fut, dit-on, épuisé par l’armée, avec un lac de quelque grandeur près de Pistyros[68].

En traversant le territoire des Thraces Édoniens et des Piériens, entre Pangæos et la mer, Xerxès et son armée parvinrent au fleuve Strymôii, à la station importante appelée Ennea Hodoi ou Neuf-Routes, mémorable dans la suite par la fondation d’Amphipolis. Des ponts avaient déjà été jetés sur le fleuve, auquel les mages rendirent des honneurs solennels en sacrifiant des chevaux blancs et en les jetant dans le courant. De plus, les sentiments religieux de Xerxès lie furent pas satisfaits sans ces sacrifices plus précieux auxquels les Perses avaient souvent recours. Il fit enterrer vifs dans cet endroit neuf jeunes gens et neuf jeunes filles indigènes, en l’honneur des Neuf-Routes, nom du lieu[69] ; il laissa aussi, sous la garde des Pæoniens de Siris, le char sacré de Zeus, qui avait été amené du siège de l’empire, mais qu’on trouvait sans doute incommode sur la ligné de marche. Du Strymôn, il avança le long du golfe Strymonique, en passant par le territoire des Bisaltæ, près des colonies grecques d’Argilos et de Stageiros, jusqu’à ce qu’il arrivât à la ville grecque d’Akanthos, tout près de l’isthme de l’Athos, qui avait été coupé récemment. Le fier roi des Bisaltæ[70] refusa de se soumettre à Xerxès, s’enfuit au Rhodopê pour assurer son salut, et défendit à ses six fils de rejoindre l’armée persane. Malheureusement pour eux, ils s’y rendirent, nonobstant cette défense, et quand ils revinrent, il leur fit crever les yeux à tous.

Toutes les cités grecques par lesquelles Xerxès avait passé obéirent à ses ordres avec assez d’empressement, et probablement peu d’entre elles doutaient du succès définitif d’un armement si prodigieux. Mais les habitants d’Akanthos s’étaient distingués par leur zèle et par leurs efforts dans l’ouverture du canal, et ils avaient probablement fait des profits considérables pendant l’opération : alors Xerxès reconnut leur zèle en contractant avec eux la liaison d1ospitalité, avec accompagnement d’éloges et de présents, bien qu’il ne paraisse pas les avoir exemptés de la charge de nourrir l’armée pendant qu’elle était sur leur territoire. Ici il se sépara de sa flotte, qui reçut ordre de faire voile à travers le canal de l’Athos, de doubler les deux caps sud-ouest de la péninsule Chalkidique, d’entrer dans le golfe Thermaïque et d’attendre son arrivée à Therma. La flotte dans sa course recueillit des troupes additionnelles des villes grecques situées dans les deux péninsules du Sithonia et de Pallênê, aussi bien que sur le côté oriental du golfe Thermaïque, dans la contrée appelée Krusis ou Krossæa, sur le côté continental de l’isthme de Pallênê. Ces villes grecques étaient nombreuses, mais de peu d’importance individuellement. Près de Therma (Selaniki) en Mydonia, dans l’intérieur du golfe et à l’est de l’embouchure de l’Axios, la flotte attendait l’arrivée de Xerxès, qui venait par terre d’Akanthos. Il semble avoir eu une marche difficile et avoir pris une route très avant dans l’intérieur, à travers la Pæonia et la Krestônia, — contrée sauvage, boisée et non frayée, où ses chameaux de transport furent attaqués par des lions et où se trouvaient aussi des taureaux sauvages prodigieusement grands et farouches. Enfin il rejoignit sa flotte à Therma, et déploya son armée dans toute la Mydonia, l’ancienne Pieria, et la Bottiæis, jusqu’à l’embouchure de l’Haliakmôn[71].

Xerxès était arrivé alors en vue du mont Olympos, la limite septentrionale de ce qui était appelé proprement Hellas ; après une marche faite uniquement au travers de territoires soumis, avec des magasins préparés à l’avance pour la subsistance de son armée, — avec des contingents additionnels levés pendant sa marche, — et probablement avec des volontaires thraces se joignant à lui dans l’espoir de piller. La route qu’il avait suivie était encore montrée avec un respect solennel par les Thraces, et elle était protégée tant contre les intrus que contre le labourage, même du temps d’Hérodote[72]. Les princes macédoniens, les derniers de ses tributaires occidentaux, dans le territoire desquels il se trouvait actuellement, — avec les Aleuadæ Thessaliens, — se chargèrent de le conduire plus loin : la tâche ne parut pas difficile à ce moment. Quelles mesures les Grecs étaient-ils en train de prendre pour s’y opposer, c’est ce que nous raconterons dans le chapitre suivant.

 

 

 



[1] Hérodote, VII, 3, 4.

[2] Hérodote, VII, 1-4. Il mentionne, — simplement comme un ouï-dire, et vraisemblablement sans y croire lui-même, — que Demaratos le roi de Sparte exilé était à Suse au moment où Darius était sur le point de se choisir un successeur parmi ses enfants (ceci ne peut s’accorder avec Ktêsias, Persic, c. 23), et qu’il suggéra à Xerxès un argument convaincant propre à déterminer l’esprit de son père, en appuyant sur l’analogie de la loi de succession royale à Sparte, en vertu de laquelle le fils d’un roi, né après l’avènement de son père au trône, était préféré à un fils aîné né avant cet avènement. On peut bien douter de l’existence d’une telle coutume à Sparte.

Nous mentionnerons, dans les pages subséquentes, quelques autres anecdotes, non moins difficiles à croire que celle-ci, et également calculées pour donner une importance factice à Demaratos. Ce dernier reçut du roi de Perse le don de Pergamos et de la Teuthrania, arec leurs revenus fonciers, et ses descendants continuèrent longtemps dans la suite d’occuper ces lieux (Xénophon, Helléniques, III, 1-6) ; et il se peut que ces descendants aient été du nombre des personnes de qui Hérodote tira ses renseignements relatifs à l’expédition de Xerxès. V. VII, 239.

Plutarque (De Fraterno Amore, p. 488) fait un récit différent à bien des égards au sujet des circonstances qui déterminèrent la succession de Xerxès an trône, de préférence à son frère aîné.

[3] Hérodote, VII, 187. La même beauté personnelle est attribuée à Darius Codoman, le dernier des rois Perses (Plutarque, Alexandre, c. 21).

[4] Hérodote, VII, 6 ; VIII, 20, 96, 77.

Indice quelque peu curieux relativement à cette collection de prophéties ; elle avait un caractère extrêmement varié, et contenait des promesses ou des menaces propres à faire face à tout événement qui pouvait survenir.

[5] Æschyle, Persæ, 761.

[6] Hérodote, VII, 5 ; VII, 8.

[7] Hérodote, V, 49.

[8] Homère, Iliade, I, 3. Διός δ̕ έτελείετο βουλή. Hérodote est caractérisé comme Όμήρου ζηλωτήςΌμηρικωτατος — (Denys d’Halicarnasse, ad Cn. Pompeium, p. 772, Reiske, Longin, De Sublim., p. 86, éd. Pearce).

[9] Tandis que Plutarque (si en effet le traité De Herodoti Malignitate est l’œuvre de cet écrivain) considère Hérodote comme peu sincère, malveillant, corrompu, le calomniateur des grands hommes et des glorieuses actions, — Denys d’Halicarnasse, au contraire, avec plus de raison, le regarde comme un modèle de dispositions excellentes dans un historien, et il le met sons ce rapport en contraste avec Thucydide, auquel il impute un esprit hostile, disposé à critiquer Athènes, et produit par son long bannissement (Denys Hal., Cn. Pompeium De Præcip. Historicis Judic., p. 774, Reiske).

Précisément la même faute que Denys impute ici à Thucydide (bien que dans d’autres endroits il le décharge, p. 824), Plutarque et Dion en accusent Hérodote bien plus durement. Le reproche n’est mérité ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux cas.

Les moralistes et les rhéteurs de l’antiquité étaient également disposés à considérer l’histoire non comme une série de faits réels et véritables, servant à montrer par des exemples les lois de la nature et de la société humaine, et agrandissant la connaissance que nous en avons en vue d’une conclusion pour l’avenir, — mais comme si elle était une branche de la fiction, demandant à être traitée de manière à satisfaire notre goût et à améliorer notre moralité. Denys, en blâmant Thucydide d’avoir choisi son sujet, va jusqu’à dire que la guerre du Péloponnèse, époque de discorde ruineuse en Grèce, aurait dû être laissée en oubli et ne jamais être rédigée en histoire (ibid., p. 768), et que surtout Thucydide n’aurait pas dû en rejeter le blâme sur sa propre ville, puisqu’il y avait bien d’autres causes auxquelles on aurait pu l’imputer (p. 770). On verra, toutefois, si l’on lit Thucydide avec attention, qu’il ne jette pas sur Athènes le blâme de la guerre du Péloponnèse ; quoi qu’on puisse penser des critiques qu’il fait de la conduite de cette ville dans divers cas particuliers.

[10] Hérodote, VIII, 99, cf. c. 100.

[11] Hérodote, VII, 9.

[12] Hérodote, VII, 10.

[13] Hérodote, VII, 15.

[14] V. Brissonius, De Regno Persarum, lib. I, p. 27.

[15] Hérodote, VII, 16.

[16] Hérodote, VII, 18.

L’expression τοΰ θεοΰ παραδίδοντος dans cet endroit montre ce qui est exprimé par τό χρεόν γίγνεσθαι, c. 17. Le songe menace Artabanos et Xerxès, parce qu’ils essayent de détourner le cours de la destinée, — ou, en d’autres termes, de contrevenir à la volonté prédéterminée des dieux.

[17] Hérodote, VII, 12.

Hérodote semble employer όνειρον au neutre, et non όνειρος, au masculin ; car le changement de Baehr (ad VII, 16) de έώντα milieu de έώντος, n’est nullement nécessaire. Le masculin όνειρος est ordinairement employé dans Homère ; mais il y a des exemples du neutre όνειρον.

Relativement à l’influence de rêves aidait à déterminer les entreprises des premiers sultans turcs, voir Von Hammer, Geschichte der Osmanischen Reichs, liv. II, vol. I, p. 49.

[18] Cf. le songe de Darius Codoman, Plutarque, Alexandre, c. 18. Relativement à la punition infligée aux mages .par Astyagês pour mal interpréter ses rêves, V. Hérodote, I, 128. Philochore, habile dans la divination, affirmait que Nikias avait tout à fait mal interprété la fatale éclipse de lune qui l’engagea à différer sa retraite et causa sa ruine (Plutarque, Nikias, c. 23).

[19] Æschyle, Persæ, 96, 104, 181, 220, 368, 745, 825 ; cf. Sophocle, Ajax, 129, 744, 7 7,5, et la fin de l’Œdipe roi ; Euripide, Hécube, 58 ; Pindare, Olymp., VIII, 86 ; Isthm., VI, 39 ; Pausant. II, 33, 3. Cf. le sens du mot δεισιδαίμων dans Xénophon, Agésilas, c. 11, sect. 8, — l’homme qui, au milieu du succès, craint les dieux jaloux, — opposé à la personne qui se fie à la durée du succès ; et Klausen, Theologumena Æschyli, p. 18

[20] La manière dont Hérodote groupe ensemble les’ faits de son histoire ; pour obéir à certains sentiments religieux et moraux que son esprit conçoit, est bien présentée dans Hoffmeister, Sittlichreligioese Lebensansicht des Herodotos, Essen, 1832, particulièrement sect. 21, 22, p. 112 sqq. Hoffmeister suit les veines de sentiment qui courent à travers les faits réels dans une portion considérable des neuf livres, et qui souvent les couvrent ou les transforment. Peut-être ne fait-il point assez attention à cette circonstance, que ceux auprès desquels Hérodote recueillait ses faits étaient pour la plupart imbus de sentiments semblables aux siens, de sorte que la veine morale et religieuse pénétrait plus ou moins ses matériaux originaux, et n’avait pas besoin d’y être ajoutée par lui-même. On ne peut guère douter que les prêtres, les ministres des temples et les oracles, les exegetæ ou guides chargés de donner des explications dans ces lieux saints, — ne fussent au nombre des principales sources d’information : un étranger, qui visitait tant de villes différentes doit avoir été constamment dans une situation telle qu’il n’avait pas d’autre personne qu’il put consulter. Les temples étaient intéressants et en eux-mêmes et par les trophées et les offrandes qu’ils présentaient, tandis que les personnes qui leur appartenaient étaient (en règle générale) accessibles aux étrangers et communicatifs, comme nous pouvons le voir et par Pausanias et par Plutarque. — Tous deux, cependant, avaient sous les yeux des livres à consulter, dont Hérodote n’avait guère. Ce ne furent pas seulement les prêtres et les ministres des temples en Égypte, d’Hêraklês à Tyr, et de Dêlos à Babylone, qu’Hérodote interrogea (I, 181 ; II, 3, 44, 143), mais aussi ceux de Delphes (I, 20 ; cf. I, 91, 92, 51) ; Dôdônê (II, 52) ; ceux d’Apollon Isménien à Thèbes (V, 59) ; d’Athênê Alea à Tegea (I, 66) ; de Dêmêtêr à Paros (VI, 134, — sinon les prêtres, du moins des personnes remplies des inspirations du temple) ; d’Halos, en Achaïa Phthiôtis (VII, 197) ; des Kabeiri on Thrace (1I, 51) ; des personnes attachées à l’Herôon de Protesilaos dans la Chersonèse (II, 116, 120). Les faits que lui communiquaient ces personnes étaient toujours présentés avec des associations ayant trait à leurs propres fonctions et à leurs sentiments religieux, de sorte qu’Hérodote n’introduisit rien de nouveau, quand il les incorpora connue tels dans son histoire. Le traité de Plutarque — Cur Pythia nunc non reddat Oracula carmine — présente une description instructive des récits abondants et variés faits par les exégètes à Delphes relativement aux personnages et aux faits éminents de l’histoire grecque, pour satisfaire les visiteurs qui venaient pleins de curiosité, (Plutarque, ibid., p. 394), — comme l’était Hérodote à un haut degré. Cf. p. 396, 397, 400, 407, du même traité ; et Plutarque, De Defectu Oraculorum, p. 417. Plutarque fait remarquer qu’à son époque la vie politique était éteinte en Grèce, et que les questions adressées aux prêtresses pythiennes se rapportaient complètement il des affaires privées et individuelles ; taudis que, dans les temps anciens, presque tous les événements politiques venaient il leur connaissance d’une manière ou d’une autre, soit par des questions qui demandaient une réponse, soit par des offrandes publiques commémoratives (p. 407). Du temps d’Hérodote, les grands temples, surtout ceux de Delphes et d’Olympia, étaient mêlés à tout le tissu de l’histoire politique grecque. V. la dissertation de Preller, annexée à son édition des Fragments de Polémon, c. 3, p. 157-162 ; De Historiâ atque Arte Periegetarum ; et K. F. Hermann, Gottesdienstliche Alterthümer der Griechen, part. I, c. 12, p. 52.

Ainsi l’interprétation religieuse des phénomènes historiques n’est point particulière à Hérodote, mais elle lui appartient en commun avec ceux de qui il tient ses renseignements et avec son époque en général, comme en effet Hoffmeister le fait observer (p. 31-136) ; bien qu’il soit curieux de mentionner la franchise avec laquelle lui (aussi bien que les, poètes contemporains, V. les exemples dans Monk, Euripide, Alkestis, 1154) affirme l’envie et la jalousie des dieux, dans des cas où la conduite qu’il leur suppose est réellement telle qu’elle mériterait ce nom dans un homme, — et telle que lui-même l’attribue au despote (III, 80). Il ne se croit pas obligé d’appeler les dieux justes et miséricordieux, tandis qu’il leur attribue des actes d’envie et de jalousie dans leur conduite avec l’humanité. Mais l’interprétation religieuse ne règne pas seule dans tout le récit d’Hérodote ; on la trouve côte à côte avec un examen soigneux et attentif des faits et une spécification de causes positives, définies, appréciables ; et cette dernière veine est ce qui distingue réellement l’histoire de son époque, — et prépare le terrain pour Thucydide, dans lequel on la voit prédominer presque exclusivement. V. ce point expliqué dans Creuzer, Historische Kunst der Griechen, Abschn. III, p.150-159.

Jaeger (Disputationes Herodoteæ, p. 16. Goettingen, 1828) déclare découvrir des preuves de vieillesse (senile ingenium) dans la couleur morale répandue sur l’histoire d’Hérodote, mais qui, à mon avis, appartient à son âge mûr et moyen aussi bien qu’à ses dernières années, — s’il est vrai qu’il parvint à une grande vieillesse, ce qui, n’est nullement prouvé, si ce n’est sur des raisons que j’ai discutées. V. Baehr, Commentatio de Vitâ et Scriptis Herodoti, dans le quatrième volume de son édition, c. 6, p. 388.

[21] Hérodote, VII, 19.

[22] Hérodote, VII, 106 ; ainsi que VII, 59, et Xénophon, Memorab., III, 5, 11. Cf. Æschyle, Persæ, 871-896, et la vision attribuée à Cyrus par rapport à son successeur Darius, couvrant de ses ailes et l’Europe et l’Asie (Hérodote, I, 209).

[23] Hérodote, VII, 26-31.

[24] Hérodote, VII, 23-25.

[25] Æschyle, Persæ, 731, 754, 873.

[26] Plutarque (De Tranquillitate Animi, p. 470) dit qu’ils eurent le nez et les oreilles coupés.

[27] Hérodote, VII, 34, 35.

L’assertion — que personne n’était dans l’habitude de sacrifier à l’Hellespont — parait étrange, quand nous voyons la conduite subséquente de Xerxès lui-même (VII, 53) : cf. VII, 113, et VI, 76. L’épithète de salée employée comme reproche, semble faire allusion au caractère de l’eau que l’on ne peut boire.

[28] V. Stanley et Blomfield, ad Æschyle, Persæ, 731, et K. O. Müller (dans sa critique de l’ouvrage de Benjamin Constant, sur la Religion), Kleine Schriften, vol. II, p. 59.

[29] V. Auguste Comte, Traité de Philosophie positive, vol. V, leçon 52, p. 40, 46.

[30] V. Wachsmuth, Hellenische Alterthümer, 2, I, p. 320, et K. F. Hermann, Griech. Staatsalterthümer, sect. 104.

Pour la manière dont Cyrus traita le fleuve Gyndês, v. Hérodote, I, 202. Le satrape persan Pharnuchês fut renversé de cheval à Sardes, et il éprouva une lésion dont il mourut plus tard ; il ordonna à ses serviteurs de conduire le cheval à l’endroit où l’accident lui était arrivé, pour lui couper toutes les jambes et le laisser périr sur place (Hérodote, VII, 88). Les rois de Macedonia, même du temps d’Hérodote, offraient un sacrifice au fleuve qui avait servi à sauver la vie de Perdikkas, un de leurs ancêtres ; lorsque celui-ci l’eut franchi, le courant grossit et arrêta ceux qui le poursuivaient. (Hérodote, VIII, 138). Voir une histoire analogue au sujet des habitants d’Apollonia et du fleuve Aoos, Valère Maxime, I, 5, 2.

Après la mort du grand pugile, lutteur, etc., Theagenês de Thasos, une statue fut élevée en son honneur. Un ennemi personnel, peut-être un des 1.400 rivaux vaincus, venait chaque nuit satisfaire sa colère et se venger en fouettant la statue. Une nuit, la statue tomba sur lui et le tua ; alors ses parents accusèrent la statue de meurtre : les Thasiens la jugèrent coupable, et la jetèrent dans la mer. Toutefois cet acte déplut aux dieux, qui punirent les Thasiens d’une famine continue, jusqu’à ce qu’enfin un pêcheur retirât par hasard de la mer la’ statue, qui fut remise à sa place (Pausanias, VI, 11, 2). Cf. l’histoire de la statue d’Hermès dans Babrius, Fabul. 119, éd. de M. Lewis.

[31] Hérodote, VII, 35.54 ; cf. VIII, 109. Arrien, Exp. Alex., VII, 14, 9.

[32] Hérodote, VII, 36. Les termes dont se sert Hérodote pour décrire la position de ces vaisseaux qui formaient les deux ponts me semblent avoir été compris d’une manière erronée ou imparfaite par la plupart des commentateurs. Voir les notes dans Baehr, Kruse, Wesseling, Rennell et surtout Larcher ; Schweighaeuser est le plus satisfaisant. L’explication que donne Tzetzès de έπικαρσίας par le mot πλαγίας ne me semble guère exacte : il signifie non oblique, mais formant angles droits avec. Le courant du Bosphore et de l’Hellespont, coulant du Pont-Euxin, est conçu par l’historien comme rencontrant cette mer ‘à angles droits ; et les vaisseaux, qui étaient amarrés les uns près des autres le long du courant du détroit, prenant la ligne successivement de la proue à la poupe, étaient donc aussi à angles droits avec le Pont-Euxin. De plus, Hérodote n’entend pas par là distinguer les deux ponts, et dire que les vaisseaux d’un des ports étaient τοΰ Πόντου έπικαρσίας, et ceux de l’autre pont τοΰ Έλλησπόντου κατά ρόον, comme le supposent Baehr et d’autres commentateurs : les deux expressions s’appliquent également aux deux ponts, — comme en effet il tombe sous le sens que la disposition des vaisseaux la meilleure pour un des ponts doit aussi avoir été la meilleure pour l’autre.

Quant au sens de έπικάρσιος, dans Hérodote, Voir IV, 101 ; I, 180. Dans l’Odyssée (IX, 70 : cf. Eustathe, ad loc.). Έπικάρσιαι ne veut pas dire oblique, mais la tête en avant, en face du vent. Cf. έπίκαρ, Iliade, XVIII, 392. Ainsi, dans la position des vaisseaux telle qu’elle est décrite par Hérodote, si le vent soufflait de l’Euxin, il était juste en arrière d’eux.

La circonstance présentée par Hérodote, — à savoir, que dans le pont placé en amont du courant, c’est-à-dire le plus rapproché de l’Euxin, il y avait en tout 360 vaisseaux, tandis que, dans l’autre pont, il n’y en avait pas plus de 314, — a embarrassé les commentateurs et les a amenés à avoir recours à des explications peu justes, — comme celle qui consiste à dire que, dans le pont supérieur ‘les vaisseaux étalent amarres non dans une ligne directe transversale, mais dans une ligne oblique, de sorte que le dernier vaisseau sur le bord européen était plus bas en aval du courant que le dernier vaisseau sur le bord asiatique. C’est une des fausses interprétations données de έπικαρσίας (oblique, schraeg) ; tandis que l’idée de Gronovius et de Larcher, qui pensent que les vaisseaux du pont supérieur présentaient leur côté an courant, est encore plus inadmissible mais la différence dans le nombre des vaisseaux employés pour l’un des ponts comparé à l’autre semble admettre une explication plus facile. Nous n’avons pas besoin de supposer et Hérodote ne dit pas que les deux ponts fussent tout à fait rapprochés ; si l’on considère la multitude qui devait les franchir, il était convenable qu’ils fussent placés à une certaine distance l’un de l’autre. S’ils étaient séparés par un ou deux milles, nous pouvons bien supposer que la largeur du détroit n’était pas exactement la même dans les deux endroits choisis, et qu’il a pu être plus large au point du pont supérieur, — qui de plus pouvait avoir besoin d’être fait d’une manière plus assurée, comme ayant à affronter la première force du courant. On rendra ainsi compte d’une manière plus simple et plus satisfaisante du plus grand nombre de vaisseaux employés pour le pont supérieur.

Dans quelques-uns des mots dont se sert Hérodote, il y a de l’obscurité.

Il y a une difficulté relativement aux mots ϊνα άνακωχεύη τόν τόνον τών όπλων : — quel est le nominatif pour ce verbe ? Baehr dit dans sa note, sc. ό ρόος, et il explique τών όπλων comme signifiant les cibles qui retenaient les ancres. Mais si nous lisons plus loin, nous verrons que τά όπλα signifient, non les câbles des ancres, mais les câbles qui étaient tendus en travers d’un rivage à l’autre, pour former le pont ; précisément les mêmes mots τών όπλων τοΰ τόνου, appliqués a ces derniers tables, se rencontrent quelques lignes après. Je crois que le nominatif appartenant à άνακωχεύη est ή γεφύρα (non ό ρόος) et que les mots depuis τοΰ μέν jusqu’à ρόος doivent être lus entre parenthèses, comme je les ai imprimés ci-dessus : l’objet exprès pour lequel on avait amarré les vaisseaux était que le pont pût maintenir, ou soutenir la tension de ses cibles étendus en travers d’un rivage à l’autre. J’admets que nous nous attendrions naturellement άναχωχεύωσι, et non à άναχωχεύη, puisque la proposition était vraie des deux ponts ; mais, bien que ceci fasse une explication gauche, elle n’est pas inadmissible, puisque chaque pont avait été antérieurement décrit au nombre singulier.

Bredow et d’autres accusent Hérodote d’ignorance et d’inexactitude dans cette description des ponts ; mais on ne voit rien qui justifie cette accusation.

Hérodote (IV, 85), Strabon (XIII, p. 591) et Pline (H. N., IV, 12 ; VI, 1) donnent sept stades pour la largeur de l’Hellespont dans sa partie la plus étroite. Le Dr Pococke lui assigne aussi la même largeur. Tournefort va jusqu’à un mille environ (v. II, lett. 4). Quelques mesurages français modernes présentent la distance comme quelque chose de considérablement plus grand, — 1130 ou 1150 toises (V. une note de Miot dans sa traduction d’Hérodote). Le duc de Raguse dit qu’elle est de 700 toises (Voyage en Turquie, vol. II, p : 164). Si nous supposons que la largeur soit d’un mille ou 5.280 pieds, 360 vaisseaux d’une largeur en moyenne de 14 pieds 2/3 rempliraient exactement l’espace. Pennell dit : Onze pieds sont la largeur d’une barque ; des vaisseaux de la dimension ide la plus petite embarcation de cabotage étaient suffisants pour le dessein du pont. (On the Geography of Herodotus, p. 127).

Les récents mesurages ou évaluations donnés par Miot dépassent de beaucoup Hérodote ; celui du duc de Raguse coïncide presque avec lui. Mais nous n’avons pas besoin de supposer que les vaisseaux remplissaient entièrement toute la largeur, sans laisser d’intervalles entre eux ; nous savons seulement qu’on n’avait pas laissé d’intervalle assez large pour qu’un vaisseau en marche pût passer, excepté dans trois endroits spécifiés.

Je profite d’une seconde édition pour mentionner quelques commentaires du Dr Dunbar sur cette note, insérés dans les remarques critiques annexées à la troisième édition de son Greek and English Lexicon, v. Έπικάρσιος, Herodotus.

M. Dunbar diffère de moi, aussi bien que de Liddell et de Scott, dans le sens du mot έπικάρσιος ; mais je ne vois pas qu’il donne aucun argument convaincant. Il dit que cet adjectif signifie u dans une direction transversale, et est opposé par Hérodote όρθιος, dans une direction droite, et à ίθείας (Hérodote, IV, 101 ; I, 180).

J’ai fait allusion dans ma note à ces deux passages, et ils me semblent appuyer mon sens. Dans le dernier des deux, il n’est pas exact de dire que έπικαρσίας soit opposé à ίθείας : au contraire, les deux épithètes sont appliquées précisément aux mêmes rues : Toutes les rues de Babylone (dit Hérodote) sont en ligne droite ; les rues qui vont directement jusqu’au fleuve aussi bien que les autres.

Il est vrai que, dans le livre IV, 101, Hérodote oppose dans un certain sens έπικάρσιος à όρθιος. En parlant de la forme de la Scythie, il dit que c’est un parallélogramme, dont deux côtés, formant un angle entre eux, sont des lignes de côtes ; tandis que les deux autres côtés vont droit en remontant dans l’intérieur jusqu’à un certain point de jonction. Aller de la côte dans l’intérieur est toujours conçu par un Grec comme aller en haut, — άνω ; aller de l’intérieur à la côte, comme aller en bas, — κάτω. C’est pourquoi Hérodote dit que ces deux côtés vont droit en remontant dans l’intérieur. Les deux autres côtés du parallélogramme, qui vont le long de la côte, Hérodote les appelle έπικαρσίας, tombant en ligne droite, ou directement, sur les deux autres qui vont όρθιαι ές τήν μεσόγαιαν. Il est évident que, si les deux côtés, qui montaient dans l’intérieur et s’y rejoignaient, étaient droits, les deux autres côtés du parallélogramme étaient droits aussi ; de sorte que έπικαρσίας dans ce passage n’a pas un sens incompatible avec l’idée de ligne droite.

En expliquant ce passage, M. Dunbar dit : M. Grote et les éditeurs d’Hérodote ajoutent γεφύραν à ύπό μέν τήν, et à ύπό δέ τήν έτέρην. Mais je ne puis comprendre quel sens raisonnable on peut tirer de έζεύγνυσαν — ύπό μέν τήν (γεφύραν), quand les pentekontêres et les trirèmes formaient la γεφύραν. Il n’y a pas lieu de douter (j’imagine) qu’il faille comprendre γήν ou χώραν (ce qui se présente très souvent chez les écrivains grecs), à savoir, la terre, de chaque côté du détroit : ύπό μέν τήν (γήν), du côté de l’Asie, ύπό δέ τήν έτέρην, du côté de l’Europe.

Pour m’occuper d’abord de l’objection que M. Dunbar fait à mon sens, qui est le même que celui de Baehr et d’autres, je ne puis admettre son assertion, que les pentekontêres et les trirèmes formaient la γεφύραν. Ils formaient le support du pont ; étant pour le pont ce que les piles du pont de Waterloo sont pour le pont lui-même. Il est vrai qu’en parlant dans un sens large, ou pour des desseins ordinaires, on comprend par pont toute la construction, support et le reste. Mais la partie essentielle du pont, c’est la voie continue en travers d’une rive à l’autre, qui, dans le cas d’un courant étroit, peut exister sans supports du tout. Or les pentekontêres et les trirèmes ne formaient pas seuls une voie continue en travers ; elle était formée par le rang de câbles tendus et parallèles posé sur eux, reposant sur eux, et s’étendant en travers d’une rive à l’autre. Et Hérodote emploie la proposition ύπό, qui exprime ce rapport : les pentekontêres et les trirèmes furent placés ensemble à côté les uns des autres, sous le pont ; ou plutôt ils furent placés d’abord, et alors le pont de câbles tendus fut posé au-dessus d’eux ou sur eux.

La supposition de M. Dunbar, que le substantif appartenant à ύπό μέν τήν, etc., est γήν, — signifiant les deux, côtes opposées, asiatique et européenne, — me parait inadmissible. Les mots τήν πρός Εύξείνου Πόντου, si vous les appliquez à l’un des deux ponts, désignent assez naturellement celui des deux ponts qui est en amont du courant ; mais on ne peut les employer pour signifier la côte asiatique en tant que distinguée de la côte européenne, car ils se rapportent précisément autant à l’une qu’à l’autre. Je ne puis pas croire non plus que l’on puisse employer la préposition ύπό pour signifier ce qu’entend M. Dunbar. En admettant même qu’on pût s’en servir pour désigner les vaisseaux qui étaient amarrés à côté de la terre ou tout près d’elle, nous devons nous rappeler que ce qu’Hérodote décrit ici est une suite de vaisseaux placés à côté les uns des antres en travers de toute la largeur du courant. On ne pourrait jamais dire avec justesse de la partie la plus considérable de ces vaisseaux qu’ils étaient ύπό τήν γήν, — soit sous la côte asiatique, soit sous l’européenne. En outre, d’après l’explication de M. Dunbar, Hérodote ne décrirait qu’un seul pont, tandis qu’il y en avait incontestablement deux.

La manière dont M. Dunbar conçoit la construction du pont diffère essentiellement de la mienne ; mais j’allongerais trop cette note en la discutant.

Il combat ma supposition, que les deux ponts aient été à quelque distance l’un de l’autre, sur le motif que tous deux ils aboutissaient à une άκτή τραχέα ές θάλασσαν κατήκουσα, sur le côté européen, et il traduit άκτή, promontoire ou cap. Mais άκτή, justement aussi souvent, sinon plus souvent, — veut dire une ligne de côtes, s’étendant à une distance considérable (V. Hérodote, IV, 38).

De plus, il diffère de moi et s’accorde avec Baehr, quant au sujet qu’il faut sous-entendre avec le verbe άνακωχεύη. Il pense que c’est ό ρόος, et non ή γεφύρα, et fait observer :

Je ne puis comprendre comment le pont pourrait conserver les câbles en état de tension. Ίνα doit être rapporté à une cause qui précède immédiatement et soit bien prouvée ; et ce ne peut être que le terme ρόος. D’après la manière dont l’historien expose les différents modes d’amarrer à l’ancre les deux divisions, il paraîtrait qu’il était nécessaire que les trirèmes fassent amarrées dans la direction du courant, afin qu’il pût par sa force tenir les cribles tendus, et ne pas leur permettre de se balancer. J’avoue que je ne sens pas la difficulté qui frappe M. Dunbar, en traduisant les mots ϊγα άνακωχεύη τόν τόνον τών όπλων de la manière que j’ai proposée dans la première partie de cette note. Et j’ai déjà fait remarquer que, par les mots τόν τόνον τών όπλων, Hérodote n’entend pas les câbles des ancres, mais les vastes câbles tendus en travers ; comme il emploie encore, lui-même la phrase quelques ligues plus loin, — κόσμω έπετίθεσαν κατύπερθε όπλων τοΰ τόνου, où Baehr et Schweighaeuser font remarquer avec raison qu’elle est équivalente à κατύπερθε τών όπλων έντεταμένων. Il serait possible de supposer que ή σύνθεσις ou τά συντεθέμενα (tiré du participe précédent συνθέντες) est le sujet sous-entendu pour άνακωχεύη, ce qui débarrasserait de l’explication gauche de γεφύρα au singulier. Pour des cas dans lesquels un nominatif non exprimé est tiré du verbe précédent, cf. Matthiæ, Gr. Gr., s. 395 ; et Kühner, Gr. Gr., s. 414.

M. Dunbar parle des différents modes d’amarrer à l’ancre les deux divisions, et Baehr soutient la même opinion. Mais, comme je comprends Hérodote, il ne parle pas de cette différence : tous les vaisseaux, dans les deux ponts, étaient amarrés à l’ancre tant à la proue qu’à la poupe, ayant leurs proues en aval du courant. Baehr explique τής έτέρης, — τής δέ έτέρης, — comme s’ils s’accordaient avec γεφύρας, et comme si les ancres des vaisseaux appartenant à l’un des ponts avaient été jetés à l’extrémité vers le Pont-Euxin, — et les ancres de ceux qui appartenaient à l’autre pont à l’extrémité vers la mer Ægée. Assurément on ne peut admettre cette explication. Si un vaisseau est tenu par une seule ancre, cette ancre doit toujours être à l’extrémité tournée vers l’Euxin ; car le courant de l’Hellespont, qui coule de l’Euxin, ne permettrait pas qu’il en fût autrement. Même si l’ancre était primitivement jetée à la proue, quand elle est tournée vers la mer Ægée, la force du courant changerait la position du vaisseau jusqu’à ce que l’ancre en vint à se trouver entre le vaisseau et l’Euxin. En outre, on ne petit certainement pas douter que le même mode d’ancrage, qui était convenable pour les vaisseaux de 1’un des ponts, ne le fût aussi pour ceux de l’autre. De plus, l’historien nous dit ne quelques ancres étaient destinées à protéger les vaisseaux contre les vents soufflant de l’Euxin, — d’autres pour les protéger de ceux qui soufflaient de la mer Ægée. Certainement, chaque vaisseau de chaque pont avait besoin d’être assuré contre les deux vents. Cf. Pindare, Olymp., VI, 101, δύ̕ άγκυραι.

J’explique les mots τής έτέρης — τής δέ έτέρης autrement que Baehr. Il me semble qu’ils ne s’accordent pas avec γεφύρας, mais avec μέριδος, τελευτής, ou quelque mot indiquant direction ou situation relative : d’un côté, de l’autre côté, équivalant à ένθεν μέν, ένθεν δέ. On peut trouver une justification suffisante de l’emploi du génitif έτέρης ; dans Matthiæ, Gr. Gr., § 377 ; Kühner, Gr. Gr., § 523. Et dans ce cas il coïncide avec la conception fondamentale que ces auteurs nous donnent du génitif grec — comme désignant d’où ou la source de laquelle sort une action. Les ancres sont conçues comme tirant d’un côté et de l’autre contre les vents dangereux quand ils soufflent.

[33] Pour la longue célébrité de ces câbles, voir l’épigramme d’Archimêlos, composée deux siècles et demi plus tard, du temps d’Hiéron II, de Syracuse, ap. Athenæ V, 209.

Hérodote dit que, sous le rapport du l’épaisseur et de la beauté de la fabrication, les câbles de lin étaient égaux à ceux de papyrus : mais que, pour le poids, les premiers étaient supérieurs, car chaque coudée en longueur du câble de lin pesait un talent : il nous est difficile de raisonner sur ce point, parce que nous ne savons pas si c’est un talent attique, un euboïque, on un æginæen ; ni, s’il entend un talent attique, si c’est un talent attique de commerce ou de l’étalon monétaire.

Les câbles contenus dans l’arsenal de marine athénien sont distingués comme étant σχνοίνις όκτωδάκτυλα, έξαδάκτυλα — expressions, toutefois, dans lesquelles M. Bœckh ne peut déterminer d’une manière certaine s’il s’agit de la circonférence ou du diamètre. Il regarde comme probable qu’il s’agit de la première. V. son savant livre, Das Seewesen der Athener, ch. 10, p. 165.

[34] Pour un spécimen des tempêtes destructives près du promontoire de l’Athos, v. Éphore, Fragm. 121, M. Didot ; Diodore, XIII, 41.

[35] Hérodote, VII, 22, 23, 116 ; Diodore, XI, 2.

[36] Hérodote, VII, 24.

Suivant la manière dont Hérodote représente que cette excavation fut accomplie, la terre creusée était enlevée et transmise d’homme à homme du fond du canal jusqu’en haut, — le tout exécuté à la main, sans aucun secours de grues ni de brouettes.

La prétendue opération de détourner le cours du fleuve Halys, qu’un récit grec attribuait à Crésus sur l’avis de Thalês, était un bien plus grand travail que l’ouverture de l’isthme de l’Athos (Hérodote, I, 75).

Comme ce canal de navigation à travers cet isthme a été souvent traité de fable tant par des auteurs anciens (Juvénal, Satires, X) que par des modernes (Cousinéry, Voyage en Macédoine), je transcris les observations du colonel Leake. Cet excellent observateur signale des traces évidentes de son existence passée ; mais, à mon avis, même s’il ne restait pas de telles traces, le témoignage d’Hérodote et de Thucydide (IV, 109) suffirait seul pour prouver qu’il avait existé réellement. Les observations du colonel Leake expliquent en même temps les motifs pour lesquels le canal fut créé : Le canal (dit-il) semble n’avoir pas eu plus de soixante pieds de largeur. Comme l’histoire ne mentionne pas qu’il ait été entretenu après l’époque de Xerxès, les eaux tombant des hauteurs environnantes l’ont rempli naturellement en partie avec la terre dans le cours des âges. Il pourrait cependant, sans beaucoup de peine, être renouvelé, et sans aucun doute il serait utile à la navigation de la mer Ægée ; car les marins grecs redoutent la force et la direction incertaine des courants autour du mont Athos, ainsi que les coups de vent et les hautes mers auxquels le voisinage de la montagne est sujet pendant la moitié de l’année, et que rend encore plus redoutables l’absence de ports dans le golfe d’Orfana ; et cette crainte est si grande que, tout le temps que je restai dans la péninsule, je ne pus, même en offrant un prix élevé, déterminer aucune embarcation à me transporter du côté oriental au côté occidental de la péninsule. Xerxès était donc parfaitement justifié en ouvrant ce canal, aussi bien à cause de la sécurité qu’il procurait à sa flotte, que de la facilité de l’ouvrage et des avantages du terrain, qui semble frit exprès pour tenter une pareille entreprise. L’expérience des pertes qu’avait éprouvées la première expédition sous Mardonios suggéra l’idée. La circumnavigation des caps Ampelos et Canastræon était beaucoup moins dangereuse, parce que les golfes présentent quelques bons ports, et le but de Xerxès était de réunir les forces des cités grecques dans ces golfes à mesure qu’il avançait. S’il y a quelque difficulté résultant du récit d’Hérodote, elle consiste à comprendre comment l’opération aurait demandé un temps si long que trois années, quand le roi de Perse avait un si grand nombre d’hommes à sa disposition, et parmi eux des Égyptiens et des Babyloniens, accoutumés à la construction de canaux (Leake, Travels in Northern Greece, vol. III, c. 24, p. 145).

Ces remarques sur l’entreprise sont plus judicieuses que celles du Major Pennell (Geogr. of Herodot. p. 116). Je puis faire remarquer qu’Hérodote n’affirme pas que l’ouverture réelle du canal ait occupé trois ans, — il assigne ce temps à l’ouverture avec toutes ses dispositions préliminaires comprises (VII, 22).

[37] Hérodote, VII, 22. — Cf. VII, 103, et Xénophon, Anabase, III, 4, 25.

La nécessité essentielle du fouet et son emploi fréquent à l’égard des tributaires soumis, tels que les concevaient les anciens Perses, trouvent leur pendant chez les Turcs modernes. V. les Mémoires du baron de Tott, vol. I, p. 256 sqq., et son dialogue à ce sujet avec son conducteur turc Ali-Aga.

[38] Hérodote, VII, 57.

Le prodige était qu’une jument donnât naissance à un lièvre, ce qui signifiait que Xerxès ferait son expédition en Grèce avec force et éclat, mais qu’il reviendrait en fuyant d’une manière lâche et honteuse.

La foi aveugle d’Hérodote, d’abord dans la réalité du fait, — puis dans la certitude de son interprétation, — mérite d’être signalée, comme servant à expliquer sa règle de croyance et celle de son époque. L’interprétation est sans doute ici la cause première de l’histoire interprétée : un homme ingénieux, après que l’expédition est terminée, imagine une similitude appropriée à son orgueilleux début et à sa fin honteuse (Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus), et la similitude est racontée, soit par lui-même, soit par quelque auditeur qui en est frappé, comme si c’eût été un fait antécédent réel. La propriété qu’a ce fait antécédent supposé de figurer à l’avance la grande invasion des Perses (τό εύσύμβλητον d’Hérodote) sert de preuve présomptive pour justifier le témoin qui l’affirme ; tandis que l’abandon des analogies établies de la nature ne fournit pas un motif de doute à un homme qui ‘admet que les dieux envoient par occasion des signes et des avertissements spéciaux.

[39] Comparez la description de la marche de Cyrus faite processionnellement, telle qu’elle est donnée dans la Cyropædie de Xénophon, VIII, 2, 1-20.

[40] Hérodote, VII, 41.

[41] L’incident relatif à Pythios est dans Hérodote, VII, 27, 28, 38, 39. Je n’ajoute pas foi à l’estimation de la fortune de Pythios ; mais, à d’autres égards, l’histoire ne semble bien digne d’être crue.

[42] Hérodote, VII, 42.

[43] Hérodote, VII, 43.

[44] Hérodote, VII, 45, 53, 56.

[45] Tacite, Histoires, III, 24. Undique clamor, et orientera solem, ita in Syriâ mos est, consalutavêre, — dans sa frappante description de la bataille de nuit livrée près de Crémone entre les troupes romaines de Vitellius et de Vespasien, et du lever du soleil avant la fin du combat ; cf. aussi Quinte-Curce (III, 3, 8, p. 41, éd. Mutzel).

[46] Hérodote, VII, 54.

[47] Hérodote, VII, 55, 56.

[48] Hérodote, VII, 58-59 ; Pline, H. N., IV, 11. V. quelques excellentes remarques sur la topographie de Doriskos et sur le voisinage de la ville encore appelée Enos, dans Grisebach, Reise durch Rumelien und nach Brussa, c. 6, vol. I, p. 157-159 (Göttingen, 1841). Il expose des raisons qui font croire que la dentelure de la côte, marquée sur la carte comme golfe d’Ænos, n’existait pas dans les temps anciens, pas plus, qu’elle n’existe aujourd’hui.

[49] Hérodote, VII, 20-21.

[50] Voir l’énumération dans Hérodote, VII, 61-96. Au chapitre 76, il a disparu du texte un nom (voir la note de Wesseling et de Schweighaeuser) qui, ajouté aux noms spécifiés sous la rubrique des forces de terre, fait exactement quarante-six. C’est de cette source qu’Hérodote tire lit vanterie qu’il met dans la bouche des Athéniens (IX, 27), relativement à la bataille de Marathôn, dans laquelle ils prétendent avoir vaincu quarante-six nations, bien qu’il n’y ait pas de motif pour croire qu’un si grand nombre de contingents fussent engagés avec Datis à Marathôn.

Comparer les vanteries d’Antiochus, roi de Syrie (192 av. J.-C.) au sujet de son immense armée asiatique amenée par mer en Grèce, aussi bien que les réflexions méprisantes du consul romain Quinctius (Tite-Live, XXXV, 48-49). Varia enim genera armorum, et multa nomina gentium inauditarum, Dabas, et Medos, et Cadusios, et Elymaos, — Syros omnes esse : haud paulo mancipiorum melius propter serviliaingenia, quam militgm genus ; et la piquante remarque de l’envoyé arkadien Antiochus (Xénophon, Helléniques, VII, 1, 33). Quinte-Curce a aussi quelques tours de rhétorique au sujet du nombre de nations dont les noms même étaient à peine connus, tributaires de l’empire persan (III, 4, 29 ; IV, 45, 9) ignota etiam ipsi Dario gentium nomina, etc.

[51] Hérodote, VII, 89-93.

[52] Hérodote, VII, 61-81.

[53] L’armée que Darius avait menée contre les Scythes fut comptée, dit-on, par divisions de 10.000 hommes chacune, mais le procédé n’est point décrit en détail (Hérodote, IV, 87).

[54] Darius Codoman employa le même mode grossier de dénombrement un siècle et demi plus tard, avant de faire marcher son armée vers le champ de bataille d’Issos (Issus) (Quinte-Curce, III, 21 3, p. 24, Mutzel).

[55] Hérodote, VII, 89-97.

[56] Hérodote, VII, 185-186. Έπάγων πάντα τόν στρατόν έκ τής Άσίης (VII, 157). Vires Orientis et ultima secum Bactra ferens, pour employer le langage de Virgile au sujet d’Antoine à Actium.

[57] Même Dahlmann, qui fait maintes bonnes remarques pour défendre Hérodote, lui rend à peine justice (Herod. Aus seinem Buche sein Leben, c. 34, p. 176).

[58] Hérodote mentionne seulement cent vingt vaisseaux de guerre (VII, 185) comme ayant rejoint plus tard, et venant des ports maritimes en Thrace. Mais quatre cents furent détruits, sinon plus, dans la terrible tempête sur la côte de Magnêsia (VII, 190) ; et l’escadre de deus cents voiles, détachée par les Perses autour de l’Eubœa, fut aussi toute perdue (VIII, 7) ; outre quarante-cinq vaisseaux pris ou détruits dans les divers combats de nier près d’Artémision (VII, 194 ; VIII, 11). D’autres pertes sont aussi indiquées (VIII, 11-16).

Comme ce que dit Æschyle pour le nombre des trirèmes persanes à Salamis parait digne de foi, nous devons supposer ou que le nombre de Doriskos était plus grand qu’Hérodote ne l’a mentionné, ou qu’un nombre plus grand que celui qu’il a avancé rejoignit ensuite.

Voir une bonne note d’Amersfoordt, ad Demosth. Orat. De Symmoriis, p. 88 (Leyden, 1821).

[59] Voir sur ce point Volney, Voyages en Egypte et en Syrie, c. 24, 32 et 39.

Kinneir, Geographical Memoir of the Persian Empire, p. 22-23. Bernier, qui suivit la marche d’Aureng-Zeyb de Delhi, en 1665, dit que quelques-uns estimaient le nombre de personnes dans le camp à trois cent mille, d’autres à des totaux différents, mais que personne ne le connaissait, ni ne savait si on les avait jamais comptées. Il dit : Vous avez sans doute de la peine à concevoir comment un nombre si immense d’hommes et d’animaux peut être nourri en campagne. La meilleure solution de la difficulté se trouvera dans la tempérance et le régime simple des Indiens (Travels in the Mogul Empire, translated by Brock, vol. II, App. p. 118).

De même aussi Petit de la Croix dit, au sujet de l’énorme armée de Genghis-Khan : Les hommes sont si sobres, qu’ils s’accommodent de toutes sortes d’aliments.

Cet auteur semble estimer l’armée la plus considérable de Genghis à sept cent mille hommes (Histoire de Genghis, liv. II, c. 6, p. 193).

[60] Thucydide, V, 68. Xénophon appelle l’armée de Xerxès innombrable (Anabase, III, 2, 13).

Il semble qu’on ne regarde pas comme nécessaire qu’un ministre turc connaisse le nombre d’une armée turque réunie. Dans la guerre entre les Russes et les Turcs en 1770, quand l’armée turque était campée à Babadag, près du Balkan, le baron de Tott nous dit : — Le vizir me demanda un jour fort sérieusement si l’armée ottomane étoit nombreuse. — C’est à vous que je m’adresserois, lui dis-je, si j’étais curieux de le savoir. — Je l’ignore, me répondit-il. — Si vous l’ignorez, comment pourrois-je en être instruit ?En lisant la Gazette de Vienne, me répliqua-t-il. Je restai confondu.

Le duc de Raguse (dans son Voyage en Hongrie, Turquie, etc.), après avoir mentionné les assertions prodigieusement exagérées en circulation au sujet du nombre des victimes, quand on étouffa l’insurrection des janissaires à Constantinople, en 1826, fait observer : On a dit et répété que leur nombre s’était élevé à huit ou dix mille, et cette opinion s’est accréditée (c’était en réalité cinq cents environ). Mais les Orientaux en général, et les Turcs en particulier, n’ont aucune idée des nombres ; ils les emploient sans exactitude, et ils sont par caractère portés à l’exagération. D’un autre côté, le gouvernement a dû favoriser cette opinion populaire, pour frapper l’imagination et inspirer une plus grande terreur (vol. II, p. 37).

[61] Ktêsias, Persica, c. 22, 23 ; Elien, V. H., XIII, 3 ; Diodore, XI, 2-11.

Relativement aux diverses assertions numériques dans ce cas, v. la note de Bos, ad Cornel. Nepot. Themist., c. 2, p. 75, 76.

Le poète samien Chœrilos, plus jeune qu’Hérodote de quelques années, et contemporain de Thucydide, composa un poème épique sur l’expédition de Xerxês contre la Grèce. Deux ou trois courts fragments sont tout ce qui nous en reste ; il énumérait toutes les nations séparées qui fournissaient des contingents à Xerxès, et nous trouvons non seulement les Saka, mais encore les Solymi (apparemment les Juifs, et c’est ainsi que Josèphe l’explique) dans leur nombre. V. Fragments 3 et 4, dans l’édition de Chœrilus de Næke, p. 121-134. Josèphe, Cont. Apion, p. 454, éd. Havercamp.

[62] Æschyle, Persæ, 14-124, 722-737. Heeren (dans son savant ouvrage sur le commerce du monde ancien, Ueber den Verkebr der alten Welt, part. I, sect. 1, p. 162, 558, 3e édition) croit qu’Hérodote avait vu le rôle réel, fait par l’autorité persane, de l’armée à Doriskos. Ceci ne me, semble pas du tout probable ; il est plus raisonnable de croire que tout ce qu’il savait il le tenait de Grecs qui avaient accompagné l’expédition. Il doit en avoir vu un grand nombre dans ce cas, et avoir conversé avec beaucoup d’entre eux. Les scribes ou secrétaires royaux persans accompagnaient le roi, et prenaient note de tout fait particulier ou de toute personne auquel il pouvait arriver de frapper son attention (Hérodote, VII, 100 ; VIII, 90), ou de montrer un courage remarquable. Ils semblent avoir été spécialement attachés à la personne du roi pour servir sa curiosité ou son plaisir, plutôt que pour garder des registres authentiques et continus.

Heeren est disposé à accepter les totaux numériques donnés par I3érodote quant à l’armée de Xerxès, beaucoup trop facilement, h mon avis ; il n’est pas non plus exact en supposant que les contingents de l’armée persane marchassent avec leurs épouses et leurs familles (p. 557-559).

[63] Quand Hérodote spécifie ceux qui lui donnent des renseignements (il est très regrettable qu’il ne le fasse pas plus souvent), ils paraissent être fréquemment des Grecs, tels que Dikæos l’exilé athénien, Thersandros d’Orchomenos en Bœôtia, Arebias de Sparte, etc. (III, 55 ; VIII, 65 ; IX, 16). Il mentionne souvent le roi spartiate Demaratos, et habituellement dans des circonstances et de dignité et d’intérêt dramatique ; il se peut très probablement qu’il ait conversé avec ce prince lui-même, ou avec ses descendants, qui restèrent établis pendant longtemps en Teuthrania, près de la côte æolienne d’Asie Mineure (Xénophon, Helléniques, III, 1, 6), et qu’il ait ainsi entendu parler des représentations adressées à Xerxês par le roi spartiate exilé. Néanmoins les remarques que fait Hoffmeister sur les discours attribués à Demaratos par Hérodote méritent bien l’attention — (Sittlichreligioese Lebensansicht des Herodotos, p. 118).

Hérodote met toujours en rapport avec des rois insolents un homme ou un autre par la bouche duquel il ex-prime ses propres leçons de sagesse. A Crésus, au faite de la gloire, arrive le sage Solôn ; Crésus lui-même, corrigé par sa captivité, joue le même rôle à l’égard de Cyrus et de Kambysês ; Darius, en qualité d’homme prudent et honnête, n’a pas besoin d’un pareil conseiller ; mais Xerxês, dans son orgueil, a à côté de lui le sentencieux Artabanos et le sagace Demaratos ; tandis qu’Amasis, roi d’Égypte, sert à transmettre un judicieux conseil à Polykratês, despote de Samos. Puisque tous ces hommes tiennent un seul et même langage, il paraît certain qu’ils sont introduits par Hérodote simplement pour exprimer ses propres critiques sur la conduite et le caractère des différents monarques, — critiques qui ne sont rien de plus que des maximes générales, morales et religieuses, émises par Solôn, Crésus et Artabanos, à l’occasion d’événements particuliers. Les discours entremêlés par Hérodote avec l’histoire n’ont pas, en général, le même but que ceux de Tacite, — qui est de faire connaître plus intimement au lecteur l’état actuel des affaires ou le caractère des agents, — mais ils ont un but différent tout à fait étranger à l’histoire ; ils incorporent dans le récit ses convictions personnelles relativement à la vie humaine et au gouvernement divin.

La dernière opinion de Hoffmeister est d’une grande vérité, mais elle est exprimée d’une manière un peu trop absolue.

[64] Hérodote, VII, 101-104. Combien la scène entre Darius et Charidêmos est inférieure dans Quinte-Curce ! (III, 2, 9-19, p. 20, éd. Mutzel.)

Hérodote adopte en substance la même veine de sentiment et la même opposition que celles qui règnent d’un bout à l’autre des Persæ d’Æschyle ; mais il les traite en philosophe social, avec une vive intelligence des causes réelles de la supériorité grecque.

Il n’est pas improbable que le fond de la conversation entre Xerxês et Demaratos fût une réalité, entendue par Hérodote de Demaratos lui-même ou de ses fils ; car l’extrême spécialité avec laquelle l’exilé lacédæmonien borne sa louange aux Spartiates et aux Dôriens, sans y comprendre les autres Grecs, représente difficilement le sentiment d’Hérodote lui-même.

Les minutieux détails du récit que fait Hérodote relativement à la déposition de Demaratos et à des circonstances de famille (VI, 63 sqq.), et sa manière de considérer la mort de Kleomenês comme une expiation de l’injure faite à ce prince, peuvent paraître venir de renseignements donnés par sa famille (VI, 84).

[65] Hérodote, VII, 109, 111, 118.

[66] Cette somme de 400 talents était équivalente à tout le tribut annuel imposé, dans l’état des revenus du monarque persan, sur la satrapie qui comprenait la côte occidentale et méridionale de l’Asie Mineure, où étaient compris tous les Grecs ioniens et æoliens, outre les Lykiens, les Pamphyliens, etc. (Hérodote, III, 90).

[67] Hérodote, VII, 118-120. Il donne (VII, 189) le calcul de la quantité de blé qui aurait été nécessaire pour la consommation quotidienne, en admettant le nombre aussi immense qu’il le suppose, et en comptant un chœnix de froment pour la consommation quotidienne de chaque homme (= 1/8 d’un médimne). Il n’est pas nécessaire d’examiner un calcul fondé sur des données aussi inadmissibles.

[68] Hérodote, VII, 108, 109.

[69] Hérodote, VII, 114. Il déclare que cette coutume sauvage est spécialement persane. La vieille et cruelle reine persane Amestris, épouse de Xerxès, chercha à prolonger sa vie en faisant enterrer vifs quatorze victimes, enfants de personnages illustres, comme offrandes au dieu souterrain.

[70] Hérodote, VIII, 116.

[71] Hérodote, VII, 122-127.

[72] Hérodote, VII, 116.