HISTOIRE DE LA GRÈCE

TROISIÈME VOLUME

CHAPITRE VII — PREMIÈRE ET SECONDE GUERRE DE MESSÊNA.

 

 

C’est un fait suffisamment prouvé qu’il y a eu deux longues luttes entre les Lacédæmoniens et les Messéniens, et que, dans les deux, les premiers furent complètement victorieux. Et si nous pouvions ajouter foi aux renseignements que fournit Pausanias, notre principale et presque notre seule autorité sur ce sujet, nous serions en état de raconter l’histoire de ces deux guerres en grand détail. Mais par malheur les incidents racontés dans cet écrivain ont été puisés à des sources qui, même de son propre aveu, ne méritent pas de confiance ; ils sont empruntés de Rhianos, le poète de Bênê en Krête, qui avait composé un poème épique sur Aristomenês et la seconde guerre Messênienne, vers 220 avant J.-C., et de Myron de Priênê, auteur en prose dont la date n’est pas connue exactement, mais qui appartient à l’époque alexandrine, et qui n’est pas antérieur au troisième siècle avant l’ère chrétienne. Nous n’avons pas le droit d’attendre de Rhianos de renseignement digne de foi, tandis que Pausanias lui-même déprécie beaucoup l’exactitude de Myron, trop même sur quelques points, comme nous le montrerons tout à l’heure. Mais, en dehors des habitudes intellectuelles, oit du prosateur, soit du poète, il ne semble pas qu’aucun bon moi-en de connaître fût à la disposition de l’un ou de l’autre, si ce n’est les poèmes de Tyrtée ; les ont-ils jamais consultés, c’est ce dont nous ne sommes nullement sûr. Le récit de ces deux guerres, extrait de ces deux auteurs par Pausanias, est une suite de tableaux, dont plusieurs sont, il est vrai, extrêmement poétiques, mais manquent de cohérence ou des qualités requises pour l’histoire ; et O. Müller a fait observer avec justesse qu’il n’y est donné absolument aucune raison pour expliquer l’asservissement de la Messênia[1]. Ce sont des récits qui ne méritent pas d’être transcrits dans les pages d’une histoire générale, et nous ne pouvons pas non plus prétendre faire quelque chose de plus que de vérifier un petit nombre de faits principaux de la guerre.

Le poète Tyrtée fut lui-même engagé du côté des Spartiates dans la seconde guerre, et c’est de lui que nous apprenons les quelques faits incontestables relatifs tant à la première guerre qu’à la seconde. Si les Messêniens n’avaient jamais été rétablis dans le Péloponnèse, nous n’aurions probablement jamais entendu d’autres détails touchant ces anciennes luttes. Ce rétablissement, avec la première fondation de la cité appelée Messênê sur le mont Ithômê, fut une des blessures capitales faites à Sparte par Épaminondas, dans l’année 369 avant J.-C., entre 300 et 250 années après la fin de la seconde guerre Messênienne. Les descendants des anciens Messêniens, qui étaient restés pendant une si longue période sans demeures fixes en Grèce, furent incorporés dans la nouvelle cité avec divers Ilotes et des colons mélangés qui n’avaient pas de titres à une semblable généalogie. On invoqua avec respect à cette grande cérémonie les dieux et les héros de la race messênienne, spécialement le grand héros Aristomenês[2] ; et la vue du mont Ithômê, l’ardeur des citoyens nouvellement établis, la haine et la crainte de Sparte, opérant comme un puissant stimulant pour créer et multiplier ce qu’on appelle traditions, suffirent pour que le petit nombre de faits connus relativement aux luttes des anciens Messêniens fussent développés et chargés d’une variété de détails. Dans presque toutes ces histoires nous découvrons une couleur défavorable à Sparte, contrastant fortement avec le récit donné par Isocrate dans son discours appelé Archidamus, où nous trouvons l’idée qu’un Spartiate pouvait se faire des anciennes conquêtes de ses ancêtres. Mais ce qui démontre clairement que ces histoires messêniennes n’avaient pas un fondement réel de tradition, ce sont les assertions contradictoires relativement au principal héros Aristomenês ; car quelques-uns le placent dans la première guerre, d’autres dans la seconde. Diodore et Myron le plaçaient tous deus dans la première ; Rhianos dans la seconde. Bien que Pausanias dise qu’il pense que le récit du dernier est préférable, et qu’Aristomenês appartient réellement à la seconde guerre Messénienne, il nie semble que les deux assertions sont aussi dignes de foi l’une que l’autre, et qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour décider entre les deux, conclusion qui en substance est la même que celle de Wesseling, qui croit qu’il y a eu deux personnages nommés Aristomenês, l’un dans la première guerre, l’autre dans la seconde[3]. Cette inextricable confusion relativement au plus grand nom de l’antiquité messênienne montre combien il est difficile de reconnaître ici un pur courant de tradition.

Pausanias dit que la première guerre Messênienne commença en 743 avant J.-C. et dura jusqu’en 724, que la seconde commença en 685 avant J.-C. et dura jusqu’en 668 avant J.-C. Ni l’une ni l’autre de ces dates ne s’appuient sur aucune autorité positive assignable ; mais l’époque où l’on place la première guerre semble probable, tandis que celle de la seconde est évidemment trop reculée. Tyrtée constate à la fois la durée de la première guerre, vingt années, et les éminents services qu’y rendit le roi spartiate Theopompos[4]. Il dit de plus (en parlant pendant la seconde guerre) : Les pères de nos pères conquirent Messênê, indiquant ainsi vaguement les dates relatives des deux guerres.

Les Spartiates — comme nous l’apprenons d’Isocrate, dont les paroles datent d’une époque où la cité de ‘Messênê n’était qu’une fondation récente — déclaraient avoir saisi le territoire en partie pour se venger de l’impiété des Messêniens, qui avaient tué leur propre roi l’Hêraklide Kresphontês, dont le parent avait invoqué l’aille de Sparte, en partie par l’ordre de l’oracle de Delphes. Telles étaient les causes qui les avaient engagés d’abord à envahir le pays, et ils l’avaient conquis après une lutte de vingt années[5]. Les explications lacédæmoniennes, telles qu’elles sont données dans Pausanias, semblent dans le plus grand nombre de points être des assertions contraires arrangées après le temps oit la version messênienne, évidemment le récit intéressant et populaire, avait été mise en circulation.

Nous avons déjà dit que les Lacédæmoniens et les Messêniens avaient sur leurs confins un temple et un sacrifice communs en l’honneur d’Artémis Limnatis, datant de l’époque la plus ancienne de leur établissement dans le Péloponnèse. La position de ce temple près du cours supérieur du fleuve Nedon, dans le territoire montagneux au nord-est de Kalamata, mais à l’ouest de l’arête la plus élevée du Têygetês, a été récemment vérifiée avec exactitude, et il semble flans ces temps anciens avoir appartenu à Sparte. La querelle commença dans un de ces sacrifices sur les frontières ; c’est ce que disent également les deus parties, les Lacédæmoniens et les Messêniens. Selon ces derniers, le roi lacédæmonien Têleklos tendit un piège aux Messêniens, en habillant en filles quelques jeunes Spartiates et en leur donnant des poignards ; de là s’éleva une dispute, dans laquelle les Spartiates furent vaincus et Têleklos tué. Les Spartiates racontaient aussi que Têleklos avait été tué dans le temple par les Messêniens ; mais ils affirmaient qu’il l’avait été en essayant de défendre contre lit violence et les outrages des jeunes Messêniens quelques jeunes filles lacédæmoniennes qui sacrifiaient dans le temple[6]. Malgré la mort de ce roi, cependant, la guerre n’éclata réellement que quelque temps après, lorsque Alkamenês et Theopompos régnèrent à Sparte, et Antiochos et. Androklês, fils de Phintas, en Messênia. Elle eut pour cause immédiate une altercation privée entre le Messênien Polycharês (vainqueur dans la 4e Olympiade, 764 av. J.-C.) et le Spartiate Euæphnos. Polycharês, ayant reçu une grossière injure d’Euæphnos, et voyant sa demande en réparation repoussée par les Spartiates, se vengea en attaquant d’autres Lacédæmoniens. Les Messêniens refusèrent de le livrer, bien qu’un des deux rois, Androklês, insistât fortement pour qu’on le fit, et soutînt son opinion contre l’opinion contraire de la majorité et de son frère Antiochos avec tant de chaleur, qu’un tumulte s’éleva et qu’il fuit tué. Les Lacédæmoniens, se décidant alors à faire la guerre, frappèrent le premier coup sans déclaration formelle, en surprenant la ville frontière d’Ampheia et en passant ses défenseurs au fil de l’épée. En outre, ils se répandirent sur le territoire messênien et attaquèrent quelques autres villes, mais sans succès. Euphaês, qui avait alors succédé à son père Antiochos en qualité de roi de Messênia, convoqua les forces du pays et continua la guerre contre eux avec énergie et audace. Pendant les quatre premières années de la guerre, les Lacédœmoniens ne firent aucun progrès, et même furent exposés aux railleries des vieillards de leur nation, qui les appelèrent des guerriers pusillanimes. Toutefois, dans la, cinquième année, ils entreprirent une invasion avec plus de vigueur, sous leurs deux rois Theopompos et Polydôros, au-devant desquels s’avança Euphaês avec toutes les forces des Messêniens. Il s’ensuivit une bataille désespérée, dans laquelle il ne semble pas qu’il v ait eu un avantage marqué d’un côté ou de l’autre. Néanmoins les Messêniens se trouvèrent tellement affaiblis par le combat, qu’ils furent forcés de se réfugier sur la montagne fortifiée d’Ithômê, en abandonnant le reste du pays. Dans leur détresse ils envoyèrent à Delphes solliciter conseil et protection ; mais leur messager -rapporta l’épouvantable réponse qu’une vierge du sang royal d’Æpytos devait être sacrifiée pour les sauver. Pendant la tragique scène qui s’ensuit, Aristodêmos met à mort sa propre fille, sans cependant satisfaire les exigences de l’oracle. La guerre continua encore, et dans la treizième année il se livra une autre bataille acharnée, dans laquelle le brave Euphaês fut tué ; mais le résultat fut encore indécis. Aristodêmos, élu roi à sa place, poursuivit la guerre avec activité. La cinquième année de son règne est signalée par une troisième bataille générale, dans laquelle les Corinthiens assistent les Spartiates, et les Arkadiens et les Sikyoniens sont du côté de la Messênia ; la victoire est ici décisive en faveur d’Aristodêmos, et les Lacédæmoniens sont refoulés dans leur propre territoire[7]. Ce fut maintenant leur tour d’envoyer des ambassadeurs et de demander avis à l’oracle Delphien. Le reste des événements de la guerre montre une série, en partie de stratagèmes employés pour remplir les injonctions de la prêtresse, en partie de prodiges dans lesquels se manifesta la colère divine contre les Messêniens. Le roi Aristodêmos, torturé par la pensée d’avoir tué sa propre fille sans sauver son pays, se donne la mort[8]. Dans la vingtième année de la guerre, les Messêniens abandonnèrent Ithômê, que les Lacédæmoniens rasèrent jusqu’au sol le reste du pays étant promptement conquis, ceux des haletants qui ne s’enfuirent pas, soit en Arkadia, soit à Éleusis, furent réduits à une soumission complète.

Tel est l’abrégé de ce que Pausanias[9] donne comme le récit de la première guerre Messênienne. La plupart de ses détails portent le cachet évident d’un pur roman de date récente ; et on verra facilement que la suite des événements lie présente aucune explication plausible de ce qui est en réalité indubitable, le résultat. La guerre de vingt années et l’abandon final d1thômè sont attestés par Tyrtée d’une manière qui n’offre aucun doute, aussi bien que le dur traitement infligé au peuple conquis. Comme des ânes[10] harassés par de pesants fardeaux (dit le poète spartiate), ils furent forcés d’abandonner à leurs maîtres une moitié entière du produit de leurs champs, et de venir à Sparte en costume de deuil eux-mêmes, ainsi que leurs épouses, comme pleureurs à la mort des rois et des principaux personnages. La révolte de leurs descendants, se soulevant contre un joug si oppressif, est connue sous le nom de seconde guerre Messênienne.

Si nous avions eu le récit de la première guerre Messênienne tel que le donnaient Myron et Diodore, il aurait été évidemment bien différent de celui qui précède, parce qu’ils y renfermaient Aristomenês, et que c’était il lui qu’était attribué le principal rôle. Dans le récit tel qu’il est dans Pausanias, l’on ne nous présente pas le grand héros messênien, l’Achille de l’épopée de Rhianos[11], avant la seconde guerre, dans laquelle ses gigantesques proportions apparaissent dune manière saillante. Il est le grand champion de sa patrie dans les trois batailles que l’on représente comme étant livrées pendant cette guerre : la première, sans résultat décisif, et Deræ ; la seconde, une victoire signalée remportée par les Messêniens, à la Tombe du Sanglier ; la troisième, une défaite également signalée, conséquence de la fuite déloyale d’Aristokratês, roi de la ville arkadienne Orchomenos, qui, après avoir embrassé ostensiblement l’alliance des Messêniens, s’était laissé corrompre par Sparte. Trois fois Aristomenês offrit à Zeus Ithomatês le sacrifice appelé Hekatomphonia[12], réservé pour ceux qui avaient tué de leurs propres mains cent ennemis dans le combat. A la tête d’une troupe choisie, il poussa ses incursions plus d’une fois jusque dans le coeur du territoire lacédæmonien, surprit Amyklæ et Pharis, et pénétra même de nuit dans l’enceinte non fortifiée de Sparte elle-même, où il suspendit soir bouclier en sine de défi dans le temple d’Athênê Chalkiœkos. Trois fois il fut fait prisonnier, mais dans deux occasions il échappa d’une manière merveilleuse avant d’avoir pu être conduit à Sparte : la troisième occasion fut plus fatale, et il fut jeté par ordre des Spartiates dans la Keadas, cavité profonde et formée de rochers dans le mont Têygetês, où ils avaient l’habitude de précipiter les criminels. Mais, même dans cette circonstance, l’aide divine ne l’abandonna pas[13]. Tandis que les cinquante Messêniens qui partageaient son supplice étaient tous tués par la violence de la chute, seul les dieux le soutinrent, de telle sorte qu’il put atteindre le fond sain et sauf, et en même temps ils le mirent en état de trouver un moyen inattendu pour s’échapper. En effet, lorsque, renonçant à tout espoir, il s’était enveloppé datas son manteau pour mourir, il aperçut un renard qui se glissait auprès des cadavres ; il attendit que l’animal s’approchât de lui, il saisit sa gueule, se défendant contre ses morsures aussi bien qu’il le put au moyen de son manteau ; et étant parvenu ainsi à trouver l’ouverture par laquelle le renard était entré, il l’élargit suffisamment pour pouvoir se glisser lui-même au dehors. A la, surprise et de ses amis et de ses- ennemis il reparut vivant et vigoureux à Eyra. Cette montagne fortifiée, sur les bords du fleuve Nedon, et près de la mer Ionienne, avait été occupée par les Messêniens après la bataille dans laquelle ils avaient été trahis par le roi arkadien Aristokratês ; c’était là qu’ils avaient concentré toutes leurs forces, comme ils l’avaient fait à Ithômê dans la première guerre, en abandonnant le reste du pays. Sous la conduite d’Aristomenês, assisté du prophète Theoklos, ils conservèrent cette forte position pendant onze ans. A la fin ils furent forcés de l’abandonner. Toutefois, comme dans le cas d’Ithômê, on représente les circonstances finales terminant la lutte comme ayant été, non une supériorité de bravoure ou d’organisation du côté des Lacédæmoniens, mais un emploi perfide de trahison et de stratagème, secondant le décret fatal des dieux. Ne pouvant plus conserver Eyra, Aristomenês, avec son fils et une troupe de ses compatriotes, s’ouvrit une route à travers les assaillants et quitta le pays ; quelques-uns d’entre eux se retirèrent en Arkadia et en Élis, et finirent par émigrer à Rhegium. Il passa lui-même le reste de ses jours à Rhodes, où il habita longtemps avec son gendre Damagêtos, le premier père de la noble famille rhodienne appelée les Diagorides, célèbre par ses nombreuses victoires olympiques.

Tels sont les traits principaux de ce que Pausanias appelle[14] la seconde guerre Messênienne, ou de ce que l’on devrait plutôt nommer l’Aristomeneïs du poète Rhianos. Qu’après la fondation de Messênê, et le retour des exilés rappelés par Épaminondas, il y ait eu faveur et crédit pour une foule de contes relatifs à la valeur de l’ancien héros qu’ils invoquaient[15] dans leurs libations, contes bien calculés pour intéresser l’imagination, vivifier le patriotisme et enflammer les antipathies antispartiates des nouveaux habitants, il ne peut y avoir sur ce point aucun cloute. Et les jeunes filles messêniennes de cette époque peuvent bien avoir chanté, dans leurs sacrifices publics accompagnés de processions[16], comment Aristomenês poursuivit les Lacédæmoniens en fuite jusqu’au milieu de la plaine de Stenyklêros et jusqu’au sommet même de la montagne. C’est à de telles histoires —  on ne devrait pas les nommer traditions — que Rhianos peut sans doute avoir emprunté ; mais s’il n’y avait pas de preuve pour démontrer combien il considérait complètement ses matériaux du point de vue du poète et non de celui de l’historien, nous le trouverions dans le fait remarquable mentionné par Pausanias. Rhianos représentait Léotychidês comme ayant été roi de Sparte pendant la seconde guerre Messênienne : or Léotychidês (comme le fait observer Pausanias) ne régna que prés d’un siècle et demi après, lors de l’invasion des Perses[17].

Au grand champion de la Messênia, pendant cette guerre, nous pouvons opposer, du côté de Sparte, un autre personnage remarquable, moins frappant comme caractère de roman, mais plus intéressant pour l’historien sous bien des rapports ; je veux dire le poète Tyrtée, natif d’Aphidnæ en Attique, inestimable allié des Lacédæmoniens pendant la plus grande partie de cette seconde lutte. Suivant un récit, qui cependant a en partie l’air d’une vanterie des orateurs attiques postérieurs, les Spartiates, découragés par les premiers succès des Messêniens, consultèrent l’oracle de Delphes, et reçurent l’ordre de demander un général à Athènes. Les Athéniens remplirent la volonté de l’oracle en envoyant Tyrtée, que Pausanias et Justin représentent comme boiteux et comme maître d’école, expédié en vue d’obéir pour la forme à l’oracle, et cependant de ne rendre aucun service réel[18]. Ceci parait être une couleur ajoutée au récit par des écrivains postérieurs ; mais l’intervention des Athéniens dans l’affaire d’une manière quelconque mérite peu de crédit[19]. Il semble plus probable que ce fut la connexion légendaire qui rattachait les Dioskures à Aphidnæ, célébrée à cette époque ou peu après par le poète Alkman, qui amena par l’oracle de Delphes la présence du poète Aphidnæen à Sparte. Quant à la claudication de Tyrtée, nous ne pouvons rien dire ; mais il est extrêmement probable que c’était un maître d’école (si nous sommes obligés d’employer un terme mal approprié) ; car, à cette époque, des chanteurs qui composaient et chantaient des poèmes étaient les seules personnes de qui la jeunesse reçût quelque éducation intellectuelle. De plus, son influence sur l’esprit des jeunes gens est signalée particulièrement dans le compliment que le roi Léonidas lui fit plus tard’ : Tyrtée excellait à chatouiller l’âme de la jeunesse[20]. Nous en voyons assez pour nous convaincre qu’il était étranger de naissance, bien qu’il soit devenu Spartiate, grâce au droit de cité qui lui fut accordé plus tard comme récompense ; qu’il fut envoyé par l’oracle de Delphes ; que, comme chanteur, il produisit une impression efficace, et qu’il avait, de plus, assez de sagacité pour appliquer ses talents à des buts présents et à des besoins divers, capable comme il l’était non seulement de ranimer le courage languissant du guerrier vaincu, mais encore d’apaiser le mécontentement des mutins. Il n’y a pas de raison pour douter que ses chants, qui conservèrent longtemps leur popularité entière parmi les Spartiates[21], n’aient beaucoup contribué à amener l’issue définitive de cette guerre ; et son nom n’est pas non plus le seul qui atteste la sensibilité de l’esprit spartiate à cette époque à l’égard de la musique et de la poésie. Le premier établissement à Sparte de la fête Karneienne avec son concours musical tombe pendant la période que Pausanias assigne à la seconde guerre àlessê-1lienne : le harpiste lesbien Terpandros, qui gagna à, cette solennité le premier prix dont il soit parlé, avait été appelé, assure-t-on, par les Spartiates, conformément à un ordre de l’oracle Delphien, et avait servi à apaiser une sédition. C’est ainsi que le Krêtois Thalêtas y fut appelé pendant une peste, que son art (comme on le prétend) contribua à guérir (vers 620 av. J.-C.) ; et Alkman, Xenocritos, Polymnastos et Sakadas, tous étrangers de naissance, trouvèrent un accueil ‘favorable et acquirent de la popularité grâce à leur musique et : à leur poésie. A l’exception de Sakadas, qui est un peu postérieur, tous ces noms tombent dans le même siècle que Tyrtée, entre 660 et 610 avant J.-C. Le genre que la musique spartiate conserva pendant longtemps dans la suite est attribué particulièrement au génie de Terpandros[22].

La discipline dans laquelle un Spartiate passait sa vie consistait en exercices guerriers, sociaux et religieux, mêlés ensemble. Tandis que l’individu, fortifié parla gymnastique, pratiquait ses pénibles leçons de fatigue, dé patience et d’agression, les citoyens collectivement étaient maintenus dans l’habitude constante de mouvements simultanés et réglés dans la marche guerrière, la danse religieuse et la procession d’une nature purement sociale. La musique et le chant, étant constamment employés pour diriger la mesure et entretenir la vie[23] de ces mouvements dans la multitude, s’associèrent aux sentiments les plus puissants que laissait naître l’abnégation habituelle d’un Spartiate, et particulièrement à ces sympathies que l’on communique d’un seul coup à une foule assemblée. En effet, le musicien et le chanteur étaient les seules personnes qui s’adressassent jamais aux sentiments d’une assemblée lacédæmonienne. En outre, la musique simple de cette époque reculée, bien que dépourvue de mérite artistique, et remplacée dans la suite par des combinaisons plus compliquées, avait néanmoins un caractère moral prononcé. Elle agissait bien plus puissamment sur les mouvements et les résolutions des auditeurs, bien qu’elle chatouillât l’oreille moins agréablement que les compositions savantes des temps postérieurs. De plus, chaque genre particulier clé musique, avait son propre effet intellectuel approprié : le mode phrygien inspirait un enthousiasme sauvage et allant jusqu’à la folie ; le mode dôrien produisait une résolution ferme et réfléchie, exempte à la fois de sentiments désespérés et de sentiments impétueux[24]. Ce qu’on appelle le mode dôrien semble être en réalité l’ancien mode grec originel, en tant que distingué du phrygien et du lydien ; ces modes, subdivisés et combinés seulement à une époque postérieure, furent les trois modes primitifs avec lesquels se familiarisèrent les premiers musiciens grecs. Il dut probablement son titre de dôrien à la célébrité musicale de Sparte et d’Argos pendant le septième et le sixième siècle avant l’ère chrétienne ; mais il appartenait autant aux Arkadiens et aux Achæens qu’aux Spartiates et aux Argiens. Et les effets moraux marqués, produits et par le mode dôrien et par le mode phrygien dans les temps anciens, sont des faits parfaitement attestés, et cependant on peut difficilement les expliquer par quelque théorie générale de musique.

Que l’impression produite par Tyrtée à Sparte, avec sa musique martiale et ses énergiques exhortations au courage en campagne, aussi bien qu’à l’union à l’intérieur, ait donc été très considérable, c’est là un fait en parfaite harmonie avec le caractère et de l’époque et du peuple ; surtout, comme on nous le représente, le poète apparaissant conformément à l’injonction -de -l’oracle Delphi en. Toutefois, les chétifs fragments qui nous restent de ses élégies et de ses anapestes peuvent nous convaincre seulement de deux faits : d’abord, que la guerre fut longue, opiniâtrement disputée et dangereuse pour Sparte aussi bien que pour les Messéniens ; ensuite, que d’autres parties du Péloponnèse y prirent part des deux côtés, particulièrement du côté des Messêniens. Ces derniers, par leurs fréquentes incursions sur le territoire spartiate, causèrent tant de ravages qu’on laissa sans culture une portion considérable de la terre sur la frontière

la disette s’ensuivit, et les propriétaires des fermes abandonnées, réduits au désespoir, demandèrent avec instance un nouveau partage de la propriété foncière dans l’État. Ce fut en apaisant ces mécontentements que le poème de Tyrtée, appelé Eunomia, ordre légal, rendit un signalé service[25]. Il paraît certain qu’une grande partie des Arkadiens, avec les Pisans et les Triphyliens, se rangèrent du côté des Messêniens ; il y a aussi quelques assertions comptant les Eleiens parmi leurs alliés, mais cela ne paraît pas probable. I1 semblerait plutôt que l’ancienne querelle entre les Eleiens et les Pisans, relativement an droit de présidence aux jeux Olympiques, querelle qui avait déjà éclaté le siècle précédent sous le règne de l’Argien Pheidôn, continuât encore. Dépendant contre leur gré d’Élis, les Pisans et les Triphyliens prirent parti pour les Messêniens soumis, tandis que les maîtres à Élis et à Sparte faisaient cause commune, comme ils l’avaient fait jadis contre Pheidôn[26]. Pantaleôn, roi de Pisa, révoltée contre Élis, agit comme chef de ses concitoyens dans leur coopération avec les Messêniens ; et on le signale comme ayant, à l’époque de la 34e Olympiade. (644 av. J.C.), dirigé un corps de troupes sur Olympia, et ayant ainsi, à cette occasion, dépossédé les Eleiens de la présidence : cette fête particulière, aussi bien que la 8e Olympiade, pendant laquelle y intervint Pheidôn, et la 104e Olympiade, durant laquelle les Arkadiens envahirent le territoire, furent toujours marquées sur le registre Eleien comme n’étant pas des Olympiades ou comme étant des célébrations irrégulières. Nous pouvons avec raison rattacher ce triomphe temporaire des Pisans à la guerre Messênienne, en ce que, seuls ; ils n’étaient pas de force à résister aux Eleiens, tandis que la fraternité qui unissait Sparte et Élis est en parfaite harmonie avec le plan de la politique péloponnésienne qui, comme nous l’avons fait observer, régnait même avant et pendant le temps de Pheidôn[27].

La seconde guerre Messênienne aura donc commencé ainsi à peu près vers la 33e Olympiade, ou 648 avant J.-C., entre soixante-dix et quatre-vingts ans après la fin de la première, et elle aura duré, selon Pausanias, dix-sept ans ; selon Plutarque, plus de vingt ans[28].

Un grand nombre d’entre les Messêniens, qui abandonnèrent leur patrie après cette seconde conquête, trouvèrent, dit-on, asile et sympathie parmi les Arkadiens, qui les admirent dans une nouvelle patrie et leur donnèrent leurs filles en maria,,e, et qui, en outre, punirent sévèrement la trahison dont s’était rendu coupable Aristokratês, roi d’Orchomenos, en abandonnant les Messêniens à la bataille du rossé. Ce chef perfide fut mis à mort, et sa race détrônée ; tandis que le crime et la punition furent de plus rappelés par une inscription que l’on pouvait voir près de l’autel de Zeus Lykæos en Arkadia. L’inscription existait sans doute à l’époque de Kallisthène, dans la génération qui suivit le rétablissement de Messênê. Mais il nous est impossible de déterminer si elle avait existé avant cet événement, et quel degré de vérité il peut y avoir dans le récit concernant Aristokratês[29]. Une autre autorité avance que le fils d’Aristokratês, nommé Aristodêmos, régna dans la suite à Orchomenos[30]. Ce qui ici est fortement marqué, c’est la haine commune aux Arkadiens et aux Messêniens contre Sparte, sentiment qui était dans toute sa force à l’époque du rétablissement de Messênê.

La seconde guerre messênienne fut ainsi terminée par l’asservissement complet des Messêniens. Ceux d’entre eux qui restèrent dans le pays furent réduits à une servitude qui n’était probablement pas moins dure que celle que, suivant la description de Tyrtée, ils avaient endurée entre la première guerre et la seconde. Dans la suite tout le territoire qui figure sur la carte comme Messênia, au sud du fleuve Nedon, et à l’ouest du sommet du Têygetês, parait comme soumis à Sparte et comme formant la portion occidentale de la Laconie, et distribué entre les villes periœkiennes et les villages ilotes (nous ignorons dans quelle proportion). Nous ne savons point par quelles mesures, ni après quel degré de résistance nouvelle, les Spartiates conquirent cette contrée ; mais on nous dit qu’ils cédèrent Asinê aux Dryopes, chassés de la péninsule Argolique, et Mothônê aux fugitifs venus de Nauplia[31]. Nous n’entendons pas non plus parler d’aucune révolte sérieuse contre Sparte dans ce territoire avant 150 ans plus tard[32], après l’invasion des Perses ; révolte que, après de sérieux efforts, les Spartiates réussirent à écraser, de sorte que le territoire resta en leur pouvoir jusqu’à leur défaite à Leuktra, qui amena la fondation de Messênê par Épaminondas. La fertilité des plaines, particulièrement de la portion centrale près du fleuve Pamisos, tant vantée par des observateurs, modernes aussi bien qu’anciens, en fit une acquisition d’une haute importance. A une époque ou à une autre, ce territoire doit naturellement avoir été partagé régulièrement entre les Spartiates ; mais il est probable qu’il y eut des partages différents et successifs, selon que les diverses parties, situées tant à l’est qu’à l’ouest du Têygetês, Jurent conquises. Sur tous ces points nous n’avons aucun renseignement[33].

Quelque imparfaitement que nous connaissions ces deux guerres Messêniennes, nous en voyons assez pour être autorisé à faire deux remarques. Toutes deux elles furent fatigantes, prolongées et pénibles ; elles montrèrent avec quelle lenteur on obtenait alors des résultats à la guerre, et elles prouvèrent par un exemple de plus combien l’analogie historique contredit la conquête rapide et instantanée de la Laconie et de la Messênia par les Dôriens, comme l’expose la légende hêraklide. Toutes deux elles furent caractérisées par un procédé semblable de défense de la part des Messêniens, l’occupation d’une montagne (l’un accès difficile, et fortifiée dans un but spécial de résistance, le mont Ithômê (sur lequel, disait-on, avait déjà été une petite ville) dans la première guerre, et le mont Eira dans la seconde. On peut conclure de là avec raison que ni leur principale ville Stenyklêros, ni aucune autre ville de leur pays, n’étaient très fortifiées, de manière à être en état de soutenir un siège ; qu’il n’y avait pas chez eux de villes entourées de murs analogues à Mykênæ et à Tyrins dans la partie orientale du Péloponnèse, et que peut-être ce que l’on appelait des villes était, comme Sparte elle-même, des groupes de villages non fortifiés. L’état postérieur d’ilotisme auquel ils furent réduits est en harmonie avec cette résidence dans des villages dispersés pendant leur période de liberté.

Les relations de Pisa et d’Elis forment une contrepartie et une suite convenables à celles de la Messênia et de Sparte. Eux-mêmes sujets contre leur gré, les Pisans avaient prêté assistance aux Messêniens, et leur roi Pantaleôn, un des chefs de cette armée combinée, avait obtenu un si grand succès temporaire, qu’il avait dépossédé les Eleiens de l’agonothesia ou administration des jeux pendant une cérémonie olympique, dans la trente-quatrième Olympiade. Bien que réduits de nouveau à leur condition de sujets, ils manifestèrent des dispositions à renouveler la révolte lors de la quarante-huitième Olympiade, sous Damophôn, fils de Pantaleôn, et les Eleiens s’avancèrent dans leur pays pour réprimer leurs mouvements ; mais ils se retirèrent persuadés par des protestations de soumission. Enfin, peu de temps après, sous Pyrrhus, frère de Damophôn, une sérieuse révolte éclata. Les habitants de Dyspontion et des autres villages de la Pisatis, assistés par ceux de Makystos, de Skillos et des autres villes de la Triphylia, prirent les armes, pour secouer le joug d’Élis ; mais leur force ne répondait pas à l’entreprise. Ils furent complètement vaincus ; la ville de Dyspontion fut démantelée et ses habitants obligés de fuir le pays, d’où la plupart émigrèrent pour former les colonies d’Epidamnos et d’Apollonia en Epeiros (Épire). Les habitants de Makistos et de Skillos furent aussi chassés de leurs demeures, tandis que le territoire devint plus complètement sujet d’Élis qu’il ne l’avait été auparavant. Ces incidents semblent s’être présentés vers la cinquantième Olympiade, soit 580 avant J.-C. ; et la domination d’Élis sur son territoire periœkien fut par lei aussi bien assurée que celle de Sparte[34]. Les dénominations séparées et de Pisa et de Triphylia se perdirent de plus en plus dans le nom souverain d’Élis ; la ville de Lepreon seule, en Triphylia, semble, avoir conservé un nom séparé et une sorte de demi-autonomie jusqu’à l’époque de la guerre du Péloponnèse, non sans des luttes perpétuelles avec les Eleiens[35]. Mais vers le temps de la guerre du Péloponnèse, les intérêts politiques de Lacédæmone avaient considérablement changé, et ce fut pour elle un avantage de maintenir l’indépendance des États subordonnés contre les États supérieurs ; en conséquence, nous la trouvons à cette époque soutenant l’autonomie de Lepreon. Quelque fut la cause de la dévastation des villes triphyliennes opérée par Élis, ce qui s’opéra du temps d’Hérodote, comme il le rapporte, nous l’ignorons ; le fait semble indiquer un désir ardent et continuel de recouvrer leur primitive indépendance, qui fut encore rappelée, jusqu’à une époque très avancée, par l’ancienne amphiktyonie à Samikon en Triphylia en honneur de Poseidôn, fête religieuse commune fréquentée par toutes les villes triphyliennes et célébrée par les habitants de Makistos, qui envoyaient tout à l’entour la proclamation d’une trêve formelle pour la période sainte[36]. Les Lacédœmoniens, après que la fin de la guerre du Péloponnèse les eut laissés les chefs incontestés de la Grèce, soutinrent expressément l’indépendance des villes triphyliennes contre Élis, et semblent avoir favorisé les efforts qu’elles firent pour s’attacher à l’agrégat arkadien, ce qui cependant ne s’accomplit jamais complètement. Leur dépendance vis-à-vis d’Élis se relâcha et devint incertaine, sans jamais être entièrement secouée[37].

 

 

 



[1] History of the Dorians, I, 7, 10 (note). Il parait que Diodore avait donné une histoire des guerres messêniennes considérablement détaillée, si nous pouvons en juger par un fragment du livre septième et dernier, renfermant le débat entre Kleonnis et Aristomenês. C’était très probablement un emprunt fait à Éphore, bien que nous ne le sachions pas.

Au sujet des assertions de Pausanias relatives à Myron et à Rhianos, v. IV, 6. Outre Myron et Rhianos, cependant, il paraît avoir reçu des renseignements oraux de Messêniens et de Lacédæmoniens de son temps, du moins dans quelques occasions, il cite et oppose les deux récits contradictoires (IV, 4, 4 ; IV, 5, 1).

[2] Pausanias, IV, 27, 2-3 ; Diodore, V, 77.

[3] V. Diodore, Fragm., lib. VIII, vol. IV, p. 30 ; dans son bref sommaire de, événements messéniens (IV, 66) il représente connue un point sur lequel les auteurs différaient, la question de savoir si Aristomenês appartenait à la première guerre ou il la seconde. Clemens Alexandrie (Prot., p. 36) le place dans la première, comme Myron, en le mentionnant comme ayant tué Theopompos.

Wesseling fait observer (ad Diodore, l. c.) : Duo fuerunt Aristomenes, uterque in Messeniorum contra Spartanos belio illustrissimes, alter posteriore, priore alter bello.

A moins que l’on ne puisse montrer par quelque preuve indirecte la probabilité de cette duplication de personnages homonymes, je la considère seulement comme équivalant à l’aveu que la difficulté est insoluble.

Pausanias est réservé dans sa manière de donner son jugement (IV, 6).

Müller (Dorians, I, 7, 9) va trop loin quand il affirme que l’assertion de Myron était contraire à toute tradition. Müller énonce d’une manière inexacte la citation de Plutarque, Agis, c. 21 (V. sa note h). Plutarque ne dit rien de Tyrtée ; il dit que les Messêniens affirmaient que leur héros Aristomenês avait tué le roi spartiate Theopompos, tandis que les Lacédæmoniens disaient qu’il n’avait fait que blesser le roi. Suivant ces deux récits, il paraîtrait donc qu’Aristomenês appartenait à la première guerre Messênienne, et non à la seconde.

[4] Tyrtée, Fragm, 6, Gaisford. Mais en ne doit pas comprendre que Tyrtée affirme distinctement (comme Pausanias, M. Clinton et Müller le pensent tous) que Theopompos survécut et acheva la guerre : son langage pourrait s’accorder avec la supposition que Theopompos avait été tué dans la guerre.

En effet, nous serions assurément autorisés à dire : Ce fut par Épaminondas que les Spartiates furent conquis et humiliés ; ou ce fut par lord Nelson que la flotte française fut détruite dans la dernière guerre, bien que tous deux aient péri en accomplissant ces actes.

Tyrtée ne contredit donc pas l’assertion que Theopompos fut tué par Aristomenês, et il ne peut pas non plus être cité comme témoin pour prouver qu’Aristomenês ne vivait pas pendant la première guerre messênienne ; ce qui est le but que se propose Pausanias en le citant (IV, 6).

[5] Isocrate (Archidamus), Or. VI, p. 121-122.

[6] Strabon (VI, p. 257) fait un récit semblable de la conduite sacrilège et homicide des jeunes Messêniens dans le temple d’Artemis Limnatis. Sa version, qui s’accorde en substance avec celle des Lacédæmoniens, semble empruntée d’Antiochus, le contemporain de Thucydide, et est par conséquent antérieure à la fondation de Messênê par Épaminondas, événement qui est la source des assertions favorables aux Messêniens. Antiochus, qui écrivait an moment ou la, puissance lacédæmonienne était à son apogée, devait considérer naturellement les Messêniens comme abattus sans retour, et l’impiété racontée ici devait être à ses yeux la cause naturelle des jugements divins qui les frappaient. Le récit d’Éphore est pareil (ap. Strabon, VI, p. 280).

Cf. Héraclide de Pont (ad calcem Cragii, De Rep. Laced., p. 528) et Justin, III, 4.

La possession de ce temple d’Artemis Limnatis et de l’Ager Dentheliates, le district où il était situé, fut un sujet de disputes constantes entre les Lacédæmoniens et les Messêniens après la fondation de la cité de Messênê, même jusqu’au temps de l’empereur romain Tibère (Tacite, Annal., II, 43). V. Stephan. Byz. v. Δελθνιοι ; Pausanias, III, 2, 6 ; IV, 4, 2 ; IV, 31, 3. Strabon, VIII, p. 362.

Pour la situation dit temple d’Artemis Limnatis et la description de l’Ager Dentheliates, V. le professeur Ross, Reisen im Peloponnes, I, p. 5-11. Il découvrit deux bornes avec des inscriptions datant de l’époque des premiers empereurs romains et marquant les confins de Lacédæmone et de Messênê ; toutes deux sur la ligne de l’arête la plus élevée du Têygetês, où les eaux se séparent à l’est et à l’ouest, et considérablement à l’est du temple d’Artemis Limnatis ; de sorte que de ce temps-là l’Ager Dentelâtes était considéré comme une partie de la Messênia.

Je trouve maintenant que le colonel Leake (Peloponnesiaca, p. 181) pense que ces inscriptions découvertes par le professeur Ross ne prouvent pas que le temple d’Artemis Limnatis fût situé près du lieu où elles furent trouvées. Son autorité a une grande valeur à mes yeux sur ce point, bien que les arguments qu’il emploie ici ne me semblent pas concluants.

[7] C’est peut-être à cette occasion que se rapportait l’histoire des Epeunakti dans Théopompe (ap. Athenæ, VI, p. 271), — des Ilotes admis dans le lit à la place de leurs maîtres tués à la guerre et qui furent ensuite affranchis.

L’histoire des Partheniæ, obscure et inintelligible comme elle l’est, appartient à la colonie de Taras ou Tarentum (Strabon, VI, p. 279).

[8] V. Plutarque, De Superstitione, p. 168.

[9] V. Pausanias, IV, 6-14.

On peut voir dans la Sparta de Manso une discussion minutieuse des autorités que Pausanias a suivies dans son Histoire des guerres messêniennes, 18. Beilage, t. II, p. 264.

Ce serait évidemment de la folie (fait-il observer, p. 270) de supposer que dans l’histoire des guerres messêniennes comme Pausanias nous les présente, nous possédons l’histoire vraie de ces événements. »

[10] Tyrtée, Fragm. 5, 6 (Schneidewin).

C.-F. Hermann considère le traitement les Messêniens après la première guerre comme doux en comparaison de ce qu’il devint après la seconde (Lehrbuch der Griech. Staatsalterthümer, sect. 31), supposition que rendent inadmissibles les paroles expresses de Tyrtée.

[11] C’est la comparaison expresse employée par Pausanias, IV, 5, 2.

[12] Plutarque, Sept. Sapient. Convivium, p. 159.

[13] Pausanias, IV, 18, 4.

Plutarque (De Herod. Malignit., p. 856) dit qu’Hérodote avait mentionné Aristomenês comme ayant été fait prisonnier par les Lacédæmoniens ; mais Plutarque doit avoir été trompé par sa mémoire, car Hérodote ne fait pas mention d’Aristomenês.

[14] V. le récit dans Pausanias, IV, 15-24.

Selon une mention faite incidemment par Hérodote, les Samiens affirmaient qu’ils avaient aidé les Lacédæmoniens dans la guerre contre Messênê. Nous ne savons à quelle époque (Hérodote, III, 56).

[15] Pausanias, II, 14, 5. L’usage continuait encore de son temps. — Cf. aussi Pausanias, IV, 27, 3 ; IV, 32, 3-4.

[16] Pausanias entendit lui-même le chant (IV, 16,4).

D’après un seul récit, les Lacédæmoniens, disait-on, s’étaient rendus maîtres de la personne d’Aristomenês et l’avaient tué ; ils trouvèrent en lui un cœur velu (Steph. Byz., v. Άνδανία).

[17] Pausanias, IV, 15, 1.

Peut-être Léotychidês fut-il roi pendant la dernière révolte des Ilotes ou Messêniens en 464 avant J.-C., qui est appelée la troisième guerre Messênienne. Il paraît qu’il était alors cri exil, par suite de sa vénalité dans l’expédition Thessalienne, mais qu’il n’était pas encore mort (Hérodote, VI, 72). Je ne vois rien qui prouve suffisamment la réalité de ce que M. Clinton appelle la troisième guerre Messênienne en 490 avant J.-C. (V. Fast. Hellen., vol. I, p. 257).

Le poème de Rhianos était intitulé Μεσσηνιακά. Il composa aussi Θεσσαλικά, Ήλιακά, Άχαϊκά. V. les fragments (ils sont très peu nombreux) dans la collection de Düntzer, p. 67-77.

Il semble avoir mentionné Nikoteleia, mère d’Aristomenês (Fragm. 2, p. 73) ; cf. Pausanias, IV, 1,1, 5.

Je peux faire remarquer que Pausanias, dans tout le cours de son récit de la seconde guerre Messênienne, nomme le roi Anaxander comme commandant les troupes lacédæmoniennes ; mais il le fait sans autorité, comme nous le voyons par IV, 15, 1. C’est un pur calcul de sa part d’après les πατέρων πατέρες de Tyrtée.

[18] Pausanias, IV, 15, 3 ; Justin, III, 5, 4. Cf. Platon, Legg., II, p. 630 ; Diodore, XV, 66 ; Lycurg. cont. Leocrat., p. 162. Philochore et Kallisthène le représentaient aussi comme natif d’Aphiduæ en Attique ; ce que Strabon combat par de faibles raisons (VIII, p. 362) ; Philochore, Fragm. 56 (Didot).

[19] Plutarque, Theseus, c. 33 ; Pausanias, I, 41, 5 ; Welcker, Alkman. Fragm., p. 20.

[20] Plutarque, Kleomenês, c. 2.

[21] Philochore, Fragm. 56, éd. Didot ; Lycurg. cont. Leoc., p. 163.

[22] Plutarque, De Musicâ, p. 1134, 1142, 1146.

[23] Thucydide, V, 69 ; Xénophon, Rep. Laced., c. 13.

[24] V. le traité de Plutarque, De Musica, passim, particulièrement c. 17, p. 1136, etc. ; 33, p. 1143. Platon, République, III, p. 399 ; Aristote, Politique, VIII, 6, 5-8.

L’excellent traité De Metris Pindari, mis par M. Bœckh en tête de son édition de Pindare, est plein de renseignements instructifs sur ce point aussi bien que sur tous les autres se rattachant à la musique grecque (V. lib. III, c. 8, p. 238).

[25] Aristote, Politique, V, 7, 1 ; Pausanias, IV, 18, 2.

[26] Pausanias, VI, 121 2 ; Strabon, VIII, p. 355, où les Νέστορος άπόγονοι signifient les Pyliens de Triphylia.

[27] Relativement à la position des Eleiens et des Pisans pendant la seconde guerre messênienne, il y a de la confusion dans les diverses assertions ; comme on ne peut les concilier, nous sommes obligé de faire un choix.

Que les Eleiens fussent alliés de Sparte et les Pisans de la Messênia, et que les luttes de Sparte et de la Messênia fussent mêlées à celles d’Elis et de Pisa touchant l’agonothesia des jeux Olympiques, c’est là un fait qui concorde arec une assertion distincte de Strabon (VIII, pages 355, 358), et avec le passage de Phavorinus, v. Αύγεΐσς, et qui de plus est appuyé indirectement par l’idée présentée par Pausanias au sujet des relations qui existaient entre Elis et Pisa (VI, 22, 21), oit l’on voit clairement que l’agonothesia était un sujet de dispute constante entre les deux villes, jusqu’au moment où les Pisans finirent par être écrasés par Pyrrhus, fils de Pantaleôn. En outre, la même idée est réellement conforme à un autre passage de Strabon, qui, tel qu’il est imprimé maintenant, parait la contredire, mais que Müller et autres reconnaissent comme ayant besoin d’être corrigé, bien que la correction qu’ils proposent ne me semble pas la meilleure. Voir le passage du c. VIII, p. 362. Ici il est évident que, dans l’énumération des alliés, on aurait dû comprendre les Arkadiens ; conséquemment O. Müller et M. Clinton (ad annum 672 av. J.-C.) s’accordent pour changer ainsi le passage ils insèrent les mots καί Άρκαδας après le mot Ήλειους, de sorte que et les Eleiens et les Pisans paraissent dès l’abord comme alliés de la Messênia. Cette correction (c’est une question que je soumets) est improbable en elle-même, et elle ne s’accorde pas avec le passage de Strabon mentionné antérieurement : la vraie manière de changer le passage est (à mon avis) de substituer le mot Άρκαδας à la place du mot Ήλειους, ce qui fait que les deux passages de Strabon s’accordent l’un avec l’autre, sans qu’il soit fait à peine plus de violence au texte.

En tant qu’oppose à l’idée adoptée ici, il y a sans doute le passage de Pausanias (IV, 15, 4) qui compte les Eleiens parmi les alliés de la Messênia et ne s’occupe pas des Pisans. L’affirmation de Julius Africanus (ap. Eusebium, Chronic., I, p. 145, à savoir que les Pisans se révoltèrent contre Elis dans la trentième Olympiade et célébrèrent les jeux Olympiques eux-mêmes jusqu’à l’Olympiade 53, pendant vingt-deux célébrations successives), cette affirmation, disons-nous, est en contradiction d’abord avec Pausanias (VI, 22, 2), passage qui me parait un renseignement clair et précieux, en ce qu’il s’en réfère particulièrement aux trois non-Olympiades, en second lien, avec Pausanias (V, 9, 4), endroit où les Eleiens, dans la cinquantième Olympiade, déterminent le nombre des Hellanodikæ. Je suis d’accord avec Corsini (Fasti Attici, t III, p. 47) pour écarter le passage de Julius Africanus : M. Clinton (F. H., p. 253) est mécontent de Corsini à cause de ce soupçon, mais il fait virtuellement la même chose ; car, pour concilier Julius Africanus avec Pausanias, il introduit une supposition tout à fait différente de ce qui est affirmé par l’un et l’autre, i. e. une agonothesia commune des Eleiens et des Pisans unis ensemble. Cette hypothèse de M. Clinton me parait gratuite et inadmissibles : Africanus lui-même voulait dire une chose toute différente, et j’imagine qu’il a été égaré par une autorité erronée. V. M. Clinton, F. H., ad ann. 660 avant J.-C. - 580 avant J.-C.

[28] Plutarque, De Serâ Num. Vind., p. 548 ; Pausanias, IV, 15, 1 ; IV, 17, 3 ; IV, 23, 2.

La date de la seconde guerre Messênienne et l’intervalle qui sépare la seconde de la première sont des points sur lesquels il y a aussi des différences inconciliables quant aux renseignements : nous ne pouvons choisir que le plus probable. V. les passages recueillis et discutés dans O. Müller (Dorians, I, 7, 11, et dans M. Clinton, Fast. Hellen., vol. I, appendix 2, p, 257).

Selon Pausanias, la seconde guerre dura de 685 à 668 avant J.-C., et il y eut un intervalle de 39 ans entre la première guerre et la seconde. Justin (III, 5) compte un intervalle de 80 ans ; Eusèbe un intervalle de 90. La preuve principale est le passage de Tyrtée, ou ce poète, qui parle pendant la seconde guerre, dit : Les pères de nos pères conquirent Messênê.

M. Clinton se rapproche de très près de l’idée de Pausanias : il suppose que la date réelle n’est que de six ans au-dessous (679-662). Mais je suis d’accord avec Clavier (Histoire des premiers temps de la Grèce, t. II, p. 233) et avec O. Müller (l. c.) pour penser qu’un intervalle de trente-neuf ans est trop court pour convenir à la phrase des pères de nos pères. En parlant dans l’année présente (1846), on ne regarderait pas comme exact de dire : Les pères de nos pères firent la guerre entre 1793 et la paix d’Amiens ; nous dirions plutôt : Les pères de nos pères firent la guerre d’Amérique et la guerre de Sept Ans. Une époque est marquée par ses membres mûrs et même un peu âgés, par ceux qui sont entre trente-cinq et cinquante-cinq ans.

Étant d’accord comme je le suis ici avec O. Müller contre M. Clinton, je m’accorde encore avec lui pour penser que la meilleure marque que nous possédions de la date de la seconde guerre messênienne est l’assertion relative à Pantaleôn : la trente-quatrième Olympiade, que célébra Pantaleôn, tomba probablement dans le temps de la guerre, qui serait ainsi portée beaucoup plus bas que l’époque assignée par Pausanias, non pas cependant aussi bas que celle qu’indiquent Eusèbe et Justin ; toutefois, nous n’avons aucun moyen de fixer l’année exacte de son commencement.

Krebs, dans ses discussions sur les Fragments des livres perdus de Diodore, pense que cet historien plaçait le commencement de la seconde guerre messênienne dans la trente-cinquième Olympiade (640 av. J.-C.). Krebs, Lectiones Diodoreæ, p. 254 260).

[29] Diodore, XV, 66 ; Polybe, IV, 33, qui cite Kallisthène ; Pausanias, VIII, 5, 8. Ni l’inscription telle qu’elle est citée par Polybe, ni l’allusion qui se trouve dans Plutarque (De Serâ Numin. Vindictâ, p. 548), ne paraissent s’accorder avec le récit de Pausanias ; car toutes deux elles impliquent une trahison secrète et longtemps cachée, tardivement révélée par l’intervention des dieux ; tandis que Pausanias représente la trahison d’Aristokratês à la bataille du Fossé comme palpable et flagrante.

[30] Héraclide de Pont, ap. Diogène Laërte, I, 94.

[31] Pausanias, IV, 24, 2 ; IV, 3,1, 6 ; IV, 35, 2.

[32] Thucydide, I, 101.

[33] Pausanias dit : Τήν μέν άλλην Μεσσηίαν, πλήν τής Άσιναίων, αύτοί διελάγχανον, etc. (IV, 24, 2).

Dans un apophtegme attribué au roi Polydôros, chef des Spartiates pendant la première guerre messênienne, on lui, demande s’il prend réellement les armes contre ses frères à quoi il répond : Non ; je marche seulement vers la partie du territoire qui n’a pas été tirée au sort. (Plutarque, Apophthegm. Laconic., p. 231.).

[34] Pausanias, VI, 22 ; 2 ; V. 6, 3 ; V. 10, 2 ; Strabon, VIII, p. 356-357.

Le temple en l’honneur de Zeus à Olympia fut en premier lieu élevé par les Eleiens au moyen du butin fait dans cette expédition (Pausanias, V, 10, 2).

[35] Thucydide, V, 31. Cependant, même la ville de Lepreon est caractérisée comme éleienne (Aristophane, Aves, 149) ; cf. aussi Steph. Byz., v. Τριφυλία, ή Ήλις.

Même dans la sixième Olympiade un habitant de Dyspontion est proclamé vainqueur au stade, sous la dénomination de un Eleien de Dyspontion ; proclamé par les Eleiens naturellement — la même chose dans la vingt-septième Olympiade : V. Stephan. Byz., v. Δυσπόντιον, ce qui montre que les habitants de la Pisatis ne peuvent s’être rendus indépendants d’Elis dans la vingt-sixième Olympiade, comme l’avance Strabon (VIII, p. 365).

[36] Hérodote, IV, 149 ; Strabon, VIII, p. 343.

[37] Diodore, XIV, 17 ; XV, 77 ; Xénophon, Helléniques, III, 2, 23, 26.

Ce fut vers cette époque probablement que s’introduisit pour la première fois l’idée de l’éponyme local, Triphylos, fils d’Arkas (Polybe, IV, 77).