HISTOIRE DE LA GRÈCE

PREMIER VOLUME

CHAPITRE I — LÉGENDES CONCERNANT LES DIEUX

 

 

Le monde mythique des Grecs commence avec les dieux, antérieurs aussi bien que supérieurs à l’homme : il descend graduellement, d’abord jusqu’aux héros, puis jusqu’à la race humaine. A côté des dieux se trouvent différents êtres monstrueux, au-dessus et en dehors de l’humanité, que l’on ne peut convenablement appeler dieux, mais qui partagent avec les dieux et les hommes leurs attributs, la volonté, l’activité consciente, une nature sensible au plaisir et à la peine, tels que les Harpies, les Gorgones, les Grææ ; les Sirènes, Scylla et Charybdis, Échidna, le Sphinx, la Chimœra, Chrysaor, Pegasos, les Cyclôpes, les Centaures, etc. Les premiers actes de ce qui petit être nommé le grand cycle mythique décrivent la manière d’agir de ces agents gigantesques, le choc tumultueux et la collision de certaines forces débordantes et formidables, qui sont à la fin réduites à l’obéissance, ou enchaînées, ou éteintes, sous le gouvernement plus régulier de Zeus, qui se substitue à ses prédécesseurs moins capables. et acquiert le premier rang et la suprématie sur les dieux et sur les hommes ; il est soumis, toutefois, à certains devoirs sociaux que lui imposent les principaux dieux et les principales déesses qui l’entourent, aussi bien qu’à l’usage de convoquer parfois et de consulter la divine agora.

Je raconte ces événements brièvement, mais littéralement ; je les traite simplement comme des mythes naissant de la même imagination créatrice, s’adressant aux mêmes goûts et aux mêmes sentiments, et reposant sur la même autorité que les légendes de Thêbes et de Troie. C’est la voix inspirée de la Muse, qui à la fois les révèle et leur donne un caractère d’authenticité ; c’est à elle que et Homère et Hésiode doivent la connaissance qu’ils ont, l’un de l’ancien âge héroïque, l’autre de l’ancien âge divin. En outre, je conserve entièrement à ces divins agents leur caractère de personnes, jour sous lequel ils se présentaient aux auditeurs d’Homère et d’Hésiode. Uranos, Nyx, Hypnos et Oneiros (le Ciel, la Nuit, le Sommeil et le Songe) sont des personnes au même degré que Zeus et apollon. En faire de pures allégories est un procédé dangereux et peu utile : c’est alors abandonner le point de vue des auditeurs primitifs, sans, en revanche, en retrouver un autre logique ou philosophique[1]. Car, bien qu’on puisse souvent expliquer par l’allégorie quelques-uns des attributs ou des actes prêtés à ces personnages, jamais on ne peut le faire pour la suite et le système entiers : le théoricien qui adopte ce gelure d’explication, après deux ou trois pas faciles et saurs obstacles, trouve la route fermée devant lui et est forcé de se frayer lui-même un chemin au moyen de conjectures et de subtilités gratuites. Les personnages et les attributs allégoriques se trouvent toujours mêlés à d’autres personnages et à d’autres attributs non allégoriques ; mais on ne peut séparer ces deux classes sans briser toute la marche des événements mythiques, et on ne peut non plus considérer comme admissible une explication qui nous réduit à une telle nécessité. Supposer, en effet, que ces légendes pourraient, au moyen de l’allégorie, être toutes ramenées à former un corps cohérent de doctrine physique, serait contraire à toutes les présomptions raisonnables concernant l’époque ou la société oit elles naquirent. Si un caractère, un attribut, un événement particuliers portent manifestement l’empreinte de l’allégorie, nous pouvons, dans cette mesure, la reconnaître ; mais il nous est rarement permis de deviner au delà, encore moins d’altérer les légendes elles-mêmes sur la foi de telles conjectures. La théogonie des Grecs renferme quelques idées cosmogoniques ; mais on ne peut la considérer comme un système de cosmogonie, ni la traduire par une suite de changements survenus dans les éléments, les planètes ou la nature.

Dans l’ordre de la chronologie légendaire, Zeus vient après Kronos et Uranos ; mais, dans l’ordre de la conception grecque, Zeus est le personnage principal ; Kronos et Uranos lui sont inférieurs ; ils sont destinés à le précéder et à l’introduire, puis à être renversés et à attester la vaillance de leur vainqueur. Pour Homère et pour Hésiode, comme pour les Grecs sans exception, Zeus est le dieu grand et prédominant, le père des dieux et des hommes ; aucun des autres dieux ne peut espérer résister à son autorité, ni même songer, de propos délibéré, à la mettre en question. Tous les autres dieux ont leur pouvoir propre, leur sphère spéciale d’action et de devoir, où d’ordinaire Zeus ne s’ingère pas ; mais c’est lui qui conserve les traits d’une surveillance providentielle, aussi bien sur les phénomènes de l’Olympe que sur ceux de la terre. Zeus et ses frères Poseidôn et Hadês se sont partagé la puissance ; il s’est réservé pour lui-même l’éther et l’atmosphère, Poseidôn a obtenu la mer, et Hadês le monde souterrain ou régions infernales ; la terre et les événements dont sa surface est le théâtre, ainsi qu’un libre accès à l’Olympe, sont communs à tous trois[2].

Ainsi Zeus et ses frères, qui partagent son pouvoir, constituent les dieux actuels, reconnus par Homère et par Hésiode comme possédant la plénitude de la dignité et de la puissance. Les habitants de ce monde divin sont conçus sur le modèle du monde humain, mais non avec les mêmes proportions. Ils sont mus par la variété et le jeu complets des appétits, des sympathies, des passions et des affections qui partagent l’âme de l’homme ; ils jouissent d’un pouvoir beau coup plus étendu et indéterminé, et sont exempts de la mort et (sauf quelques rares exceptions) de la souffrance et de la faiblesse humaine. Ces riches et divers types ainsi conçus, remplis de contraste et d’activité énergiques, chacun dans son propre domaine, et élevés, de l’aveu de tous, au-dessus des limites de notre expérience, étaient de tous les sujets le plus propre aux aventures et aux récits, et exerçaient une influence irrésistible sur l’imagination grecque. On concevait alors toute la nature comme agissant et opérant au moyen d’un certain nombre d’agents personnels, parmi lesquels les dieux de l’Olympe étaient les plus remarquables ; la croyance respectueuse en Zeus et en Apollon n’étant qu’une seule branche de cette foi universelle, disposée à tout personnifier. Les attributs de tous ces agents avaient une tendance à s’épanouir en légendes explicatives, surtout les attributs de ceux d’entre les dieux qui étaient constamment invoqués dans le culte public. De la même source intellectuelle jaillirent et les mythes divins et les mythes héroïques : les premiers présentant souvent des incidents d’autant plus bizarres et plus extravagants, que le type général des dieux était plus vaste et offrait une majesté plus redoutable que celui des héros.

De même que les dieux ont des maisons et des épouses comme les hommes, de même la dynastie actuelle des dieux doit avoir un passé qui lui serve de base[3] ; et le Grec, avec son imagination curieuse, s’il ne trouve pas tout prêt à sa portée un passé raconté, n’est pas satisfait jusqu’à ce qu’il en ait créé un. Ainsi la théogonie d’Hésiode explique, d’une manière systématique et logique, jusqu’à un certain degré, d’abord les circonstances antérieures dans lesquelles Zeus acquit l’empire divin, puis le nombre de ses collègues et de ses descendants.

D’abord, dans l’ordre du temps (nous dit Hésiode), vint Chaos, puis Gæa ; la Terre vaste, solide et plate, avec le profond et sombre Tartare à sa base. Érôs (Amour), le vainqueur des dieux aussi bien que des hommes, vint immédiatement après[4].

De Chaos sortirent Erebos et Nyx ; de ces derniers, Ethêr et Hêmêra. Gæa aussi enfanta Uranos, qui l’égale elle-même en largeur, afin, à la fois, de lui servir de voûte s’étendant au-dessus d’elle et d’être la résidence des dieux immortels ; elle produisit, en outre, les montagnes, habitations des nymphes divines, et Pontos, la mer stérile et houleuse.

Alors Gara épousa son fils Uranos, et, de cette union, sortit une nombreuse lignée : douze Titans et Titanides, trois Cyclôpes et trois Hekatoncheires ou êtres centimanes. Les Titans étaient Okeanos, Kœos, Krios, Hyperiôn, Iapetos et Kronos, les Titanides, Theia, Rhea, Themis, Mnêmosynê, Phœbê et Thêthys. Les Cyclôpes étaient Brontês, Steropês et Argês, êtres formidables, se distinguant également par leur vigueur et leur habileté manuelle, au point qu’ils firent le tonnerre, qui dans la suite composa l’irrésistible artillerie de Zeus[5]. Les Hekatoncheires étaient Kottos, Briareus et Gygês, doués d’une forée corporelle prodigieuse.

Uranos contempla ces puissants rejetons avec crainte et horreur ; aussitôt que l’un d’eux était né, il le cachait dans les cavités de la terre, en lui interdisant d’en sortir. Gæa ne trouvait pas de place pour eux et gémissait sous le poids : Elle produisit du fer, fit une faucille et supplia ses fils de la venger ainsi qu’eux-mêmes du traitement tyrannique de leur pire. Mais aucun d’eux, excepté Kronos, n’eut le courage de se charger de l’entreprise ; lui, le plus jeune et le plus hardi, d’après les conseils de Gæa, s’arma de la faucille et se posta en embuscade dans un endroit favorable. La nuit arrivait à ce moment, et Uranos descendait pour jouir des embrassements de Gæa, alors Kronos s’élança de sa cachette, mutila son père et jeta le membre saignant derrière lui, bien loin dans la mer[6]. Une grande quantité de sang fut répandue sur la terre, et, par suite, Gæa enfanta les irrésistibles Erinnys, les immenses et musculeux Gigantes et les nymphes Méliades. Des parties génitales elles-mêmes, pendant qu’elles nageaient et écumaient sur les flots, sortit la déesse Aphroditê, tirant son nom de l’écume d’où elle avait jailli. Elle s’arrêta d’abord à Kythêra, puis vint à Kypros (Cypre) ; l’île ressentit l’influence bienfaisante de la déesse qui, dans sa marche légère et délicate, faisait naître l’herbe sous ses pas. Erôs la rejoignit immédiatement et partagea avec elle la fonction d’inspirer les transports amoureux également aux dieux et aux hommes et de les diriger[7].

Uranos étant ainsi détrôné et rendu impuissant, Kronos et les Titans acquirent leur liberté et devinrent les maîtres : les Cyclôpes et les Hekatoucheires avaient été jetés par Uranos dans le Tartare, et il leur fut encore permis d’y rester.

Chacun des Titans eut une nombreuse lignée : Okeanos (Océan), en particulier, de son mariage avec sa sœur Têthys, eut trois filles, les nymphes océaniques, et autant de fils ; les fleures et les sources passaient pour nés de lui. Les trois enfants d’Hyperiôn et de sa sœur Theia furent Hêlios, Selênê et Eôs ; Kœos eut de Phœbê Lêtô et Asteria ; les enfants de Kœos furent Astrœos, Pallas et Persês ; d’Astrœos et d’Eôs naquirent les vents Zephyros, Boreas et Notos. Iapetos, qui épousa la nymphe océanique Klymênê, eut une illustre descendance : Promêtheus, Epimêtheus, Menœtios et Atlas. Mais la lignée de Kronos fut, de toutes, la plus puissante et la plus éminente. Il épousa sa sœur Rhea et eut d’elle trois filles : Hestia, Dêmêtêr et Hêrê ; et trois fils : Hadês, Poseidôn et Zeus, le dernier, à la fois le plus jeune et le plus grand.

Mais Kronos pressentait qu’un de ses propres enfants le ferait périr : c’est pourquoi, à mesure qu’ils naissaient, il les avalait immédiatement et les gardait dans son ventre. C’est de cette façon que les cinq premiers avaient été traités, quand Rhea était près d’accoucher de Zeus. Affligée et indignée de la perte de ses enfants, elle demanda conseil à son père et à sa mère, Uranos et Gæa, qui l’aidèrent à cacher la naissance de Zeus. Ils la transportèrent de nuit à Lyktos, en Krête, cachèrent l’enfant nouveau-né dans une caverne entourée de bois, sur le mont Ida, et, à sa place, donnèrent à Kronos une pierre enveloppée de langes, qu’il avala avidement, la prenant pour son enfant. Ainsi Zeus fut mis à l’abri de tout danger[8]. A mesure qu’il grandit, ses grandes capacités se développèrent complètement ; à l’instigation de Gæa, il parvint, par une ruse, à faire rendre à Kronos, d’abord la pierre qui lui avait été donnée, puis les cinq enfants qu’il avait dévorés précédemment. Hestia, Dêmêtêr, Hêrê, Poseidôn et Hadês purent donc grandir en même temps que Zeus ; et la pierre à laquelle ce dernier devait sa conservation fut placée près du temple de Delphes, où elle resta toujours dans la suite comme tuf souvenir apparent, objet de respect pour les Grecs religieux[9].

Nous n’avons pas encore épuisé le catalogue des êtres créés pendant cette période reculée, antérieure à la naissance de Zeus. Nyx, seule et sans époux, donna le jour à une nombreuse progéniture : Thanatos (Mort), Hypnos et Oneiros ; Mômos et Oïzys (Chagrin) ; Klôthô, Lachésis et Atropos, les trois Parques ; Nemesis, qui rémunère et rétablit l’égalité devant la peine ; Apatê et Philotês (Fourberie et Penchant amoureux), Gêras (Vieillesse) et Eris (Dispute). D’Eris naquirent de nombreux enfants, tous méchants et malfaisants : Ponos (Souffrance), Lêthê, Limos (Faim), Phonos et Machê (Meurtre et Combat), Dysnomia et Atê (Illégalité et Mouvement irréfléchi), et Horkos (Serment), qui veille sans cesse sur les serments qu’il sanctionne, comme il punit sans pitié le parjure volontaire[10].

Gæa encore, par un mariage avec son fils Pontos, donna naissance à Nereus, le vieillard de la mer, plein de justice et d’équité ; à Thaumas, à Phorkys et à Kêtô. De Nereus et de Doris, fille d’Okeanos, naquirent les cinquante Néréides ou Nymphes de la mer. Thaumas aussi épousa Elektra, fille d’Okeanos, et eut d’elle Iris et les deux Harpies, Aellô et Okypêtê, ailées et rapides comme les vents. Phorkys et Kêtô engendrèrent le Dragon des Hespérides, ainsi que les monstrueuses Grææ et les Gorgones : le sang de Mêdousa, l’une des Gorgones, quand elle fut tuée par Perseus, produisit Chrysaor et le cheval Pegasos ; Chrysaor et Kallirhoê donnèrent naissance à Geryôn aussi bien qu’à Echidna, être moitié nymphe, moitié serpent, différant également des dieux et des hommes. D’autres monstres résultèrent de l’union d’Echidna avec Typhaôn : Orthros, le chien bicéphale de Geryôn ; Kerberos, le chien de Hadês, à cinquante têtes, et la Hydra de Lerne. De cette dernière naquirent Chimœra (la Chimère), le Sphinx (ή Σφέγξ) de Thèbes et le lion de Némée[11].

Une famille puissante et importante aussi fut celle de Styx, fille d’Okeanos, unie à Pallas ; elle eut pour enfants Zêlos et Nikê (Caractère hautain et Victoire), Kratos et Bia (Force et Violence). Le concours dévoué que prêtèrent de bonne heure à Zeus Styx et ses quatre fils, fut une des principales causes qui le mirent en état de consommer sa victoire sur les Titans.

Zeus, en grandissant, s’était distingué, non moins par ses capacités intellectuelles que par sa force physique. A ce moment, lui et ses frères se décidèrent à arracher le pouvoir à Kronos et aux Titans, et alors commettra une lutte longue et désespérée, à laquelle prirent part tous les dieux et toutes les déesses. Zeus les convoqua dans l’Olympe et promit à tous ceux qui l’aideraient contre Kronos de leur conserver entiers leurs privilèges et leurs fonctions. La première divinité qui répondit à l’appel, vint avec ses quatre fils et embrassa sa cause, fut Styx. Zeus les prit tous quatre pour en faire sa fidèle escorte et conféra à Styx l’auguste distinction d’être le Horkos des dieux, c’est-à-dire de sanctionner leurs serments ; ce que Horkos était pour les hommes, Styx le fut pour les dieux[12].

Pour augmenter encore ses forces, Zeus élargit les autres Uranides qui avaient été emprisonnés dans le Tartare par leur père, les Cyclôpes et les Centimanes, et les détermina à épouser sa cause contre les Titans. Les premiers lui fournirent le tonnerre et l’éclair, et les seconds apportèrent dans la lutte leur force musculaire, sans bornes[13]. Le combat continua dix années entières ; Zeus et les Kronides occupant l’Olympe, et les Titans étant postés sur la chaîne de montagnes plus méridionale de l’Othrys. Toute la nature fut ébranlée, et Okeanos éloigné, bien qu’il ne prît point part à la bataille, se ressentit de la bouillante ardeur, du bruit et du choc des combattants, non moins que Gia et Pontos. Le tonnerre de Zeus, combiné avec les rochers et les montagnes arrachés et lancés par les Centimanes, l’emportèrent a la fin, et les Titans défaits furent précipités dans le Tartare. Iapetos, Kronos et les autres Titans (excepté Okeanos) furent emprisonnés à perpétuité et irrévocablement flans ce cachot souterrain, que Poseidôn entoura d’un mur d’airain, et dont la garde fut donnée aux trois Centimanes.

Des deux fils de Iapetos, Menœtios fut contraint de partager cet emprisonnement, tandis qu’Atlas fut condamné pour toujours à rester à l’extrême ouest et à porter sur ses épaules la voûte solide du ciel[14].

C’est ainsi que les Titans furent soumis et que les Kronides, avec Zeus à leur tête, furent mis en possession dit pouvoir. Toutefois, ils n’étaient pas encore complètement à l’abri du danger : car Gæa, en épousant le Tartare, donna naissance à un nouveau monstre encore plus formidable, appelé Typhôeus, doué de qualités si terribles, et donnant de si effrayantes espérances, que, s’il lui avait été permis d’atteindre son complet développement, rien n’aurait pu l’empêcher de vaincre tous ses rivaux et d’acquérir la suprématie. Mais Zeus prévit le danger, le renversa de l’Olympe d’un seul coup de foudre et le brûla entièrement ; il fut précipité à côté des autres dans le Tartare, et il ne resta plus d’ennemis pour mettre en question la souveraineté des Kronides[15].

Arec Zeus commence une dynastie nouvelle et un autre ordre d’êtres. Zeus, Poseidôn et Hadês s’accordent polir maintenir le partage des fonctions et des localités, tel qu’il a été mentionné plus haut : Zeus conserve l’Æthêr et l’atmosphère, en même temps qu’il préside à tout ; à Poseidôn revient la mer, et il administre les forces souterraines en général ; et Hadês gouverne le monde inférieur ou région dans laquelle résident les ombres à demi animées des morts.

Il a déjà été dit que dans Zeus, ses frères et ses sœurs, dans sa lignée divine et dans la leur, nous trouvons les dieux actuels, c’est-à-dire ceux que, pour la plupart, les Grecs du temps d’Homère et d’Hésiode reconnaissaient et adoraient. Les épouses de Zeus furent nombreuses autant que sa progéniture. Il épousa d’abord Mêtis (Sagesse), la plus sage et la plus sagace des déesses ; mais Gæa et Uranos l’avertirent que s’il se permettait d’avoir des enfants d’elle, ils seraient plus forts que lui et le détrôneraient. Conséquemment, lorsque Mêtis fut sur le point d’accoucher d’Athênê, il l’avala, et sa sagesse et sa sagacité s’identifièrent ainsi d’une manière permanente avec Zeus lui-même[16]. Il eut plus tard la tête coupée, pour que la déesse Athênê pût sortir et naître[17]. De Themis Zeus eut les Horæ ; d’Eurynomê, les trois Charites ou Grâces ; de Mnêmosynê, les Muses ; de Léto, Apollon et Artemis : et de Dêmêtêr, Persephonê. En dernier lieu il prit pour épouse Hêrê, qui conserva toujours la dignité de reine des Dieux : elle lui donna Hêbê, Arès et Eileithyia. Il eut aussi Hermès de Maia, fille d’Atlas ; Hêrê donna le jour à Hêphœstos, que, selon les uns, elle eut de Zeus, et que, selon d’autres, elle enfanta par sa seule force générative[18]. Il naquit boiteux, et Hêrê eut honte de lui ; elle, désirait le cacher ; mais il s’évada, se réfugia dans la mer et trouva une protection dans les soins maternels des Néréides Thetis et Eurynomê[19].

L’énumération que nous avons faite de la race divine, sous la suprématie de Zeus, nous donnera donc[20].

1. Les douze grands dieux et grandes déesses de l’Olympe — Zeus, Poseidôn, Apollon, Arès, Hêphœstos, Hermês, Hêrê, Athênê, Artemis, Aphroditê, Hestia, Dêmêtêr.

2. Un nombre illimité d’autres divinités non comprises parmi les dieux olympiques, sans doute parce que le nombre douze était complet sans elles, mais dont quelques-unes ne le cédaient pas en pouvoir et en dignité à un grand nombre des douze : — Hadês, Hélios, Hekatê, Dionysos, Lêtô, Diônê (la mère de Vénus), Persephonê, Selênê (la Lune), Themis, Eôs, Harmonia, les Charites, les Muses, les Eileithyiæ, les Mæræ (Parques), les Océanides et les Néréides, Proteus, Eidothea, les Nymphes, Leukothea, Phorkys, Æolos, Némésis, etc.

3. Les divinités chargées de fonctions spéciales auprès des plus grands dieux : — Iris, Hêbê, les Horæ, etc.

4. Les divinités dont la personnalité est conçue d’une manière moins arrêtée et plus indécise : — Atê, les Litæ (Prières), Eris, Thanatos, Hypnos, Kratos, Bia, Ossa (Renommée), etc.[21] Le même nom est ici employé parfois pour désigner la personne, parfois l’attribut ou l’événement non personnifié, — transition inconsciente d’idées, qui, opérée d’une façon consciente, s’appelle Allégorie.

5. Les monstres, issus des dieux : — les Harpies, les Gorgones, les Grææ, Pegasos, Chrysaor, Echidna, Chimæra, le dragon des Hespérides, Kerberos, Orthros, Geryôn, l’hydre de Lerne, le lion de Némée, Scylla et Charybdis, les Centaures, le Sphinx, Xanthos et Balios, les chevaux immortels, etc.

Des dieux nous passons insensiblement, d’abord aux héros, et ensuite aux hommes, mais, avant d’en venir à ce nouveau mélange, il est nécessaire de dire quelques mots de la théogonie en général. Je l’ai présentée brièvement comme elle se trouve dans la théogonie d’Hésiode, parce que ce poème, — malgré une grande incohérence et une grande confusion, qui semblent résulter aussi bien de la différence d’auteur que de la différence d’époque, — offre un sincère et antique essai fait pour donner à l’ancien âge divin une suite systématique. Homère et : Hésiode étaient les grandes autorités dans le monde païen au sujet de la théogonie. Mais dans l’Iliade et dans l’Odyssée il ne se trouve rien, excepté des inductions et des allusions passagères ; et même dans les hymnes (que l’opinion commune, dans l’antiquité, attribuait à l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée) il n’y a que des récits isolés, sans lien entre eux. En conséquence, les Grecs apprenaient ordinairement à connaître les antiquités théogoniques dans le poème d’Hésiode, où ils trouvaient leurs renseignements préparés ; et les légendes consacrées dans cet ouvrage acquéraient un degré de circulation et avaient prise sur la foi nationale, au point que des légendes indépendantes ne pouvaient que rarement ou jamais rivaliser avec elles. De plus, les païens scrupuleux et sceptiques, aussi bien que les adversaires déclarés du paganisme dans des temps plus récents, tiraient leurs sujets d’attaques de la même source ; de sorte qu’il a été absolument nécessaire de raconter dans leur simplicité toute nue les histoires hésiodiques, pour connaître ce que repoussait Platon et ce que dénonçait Xénophane. On a beaucoup plus souvent fait allusion, pour la ridiculiser ou la condamner, à l’étrange conduite attribuée à Uranos, à Kronos et à Zeus qu’à toute autre partie du monde mythique.

Mais, bien que la théogonie hésiodique passât pour orthodoxe parmi les païens plus modernes[22], parce qu’elle était à leurs yeux comme le seul système exposé anciennement et facilement accessible, ce n’était évidemment pas le seul système admis à l’époque de ce poème lui-même. Homère ne fiait rien d’Uranos, dans le sens d’un Dieu suprême antérieur à Kronos. Uranos et Gæa, ainsi que Okeanos, Téthys et Nyx, sont chez lui des dieux grands et vénérables, mais ni l’un ni l’autre n’offrent le caractère de prédécesseurs de Kronos et de Zeus[23]. Les Cyclôpes, qu’Hésiode élève au rang de fils d’Uranos et de fabricateurs du tonnerre, ne sont dans Homère ni l’un ni l’autre ; il n’est nullement question d’eux dans l’Iliade, et dans l’Odyssée ce sont de grossiers bergers, d’une taille gigantesque, se nourrissant de chair humaine, n’ayant de commun avec les Cyclôpes hésiodiques que l’œil unique circulaire au milieu du front[24]. Des trois Centimanes énumérés par Hésiode, Briareus seul est mentionné dans Homère, et, selon toute apparence, non comme fils d’Uranos, mais comme fils de Poseidôn ; non comme aidant Zeus dans son combat contre les Titans, mais comme le sauvant à un moment critique et le délivrant d’une conspiration formée contre lui par Hêrê, Poseidôn et Athênê[25]. Non seulement l’Uranos d’Hésiode (avec les Uranides) est omis dans Homère, mais les rapports entre Zeus et Kronos sont aussi présentés sous un jour tout différent. Il n’est point fait mention de Kronos avalant ses jeunes enfants ; au contraire, Zeus n’est pas le plus jeune, mais l’aîné des trois frères, et les enfants de Kronos vivent avec lui et Rhea : c’est là pour la première fois que prennent place les relations furtives entre Zeus et Hêrê à l’insu de leurs parents[26]. Quand Zeus précipite Kronos dans le Tartare, Rhea confie sa fille Hêrê aux soins d’Okeanos : nous ne trouvons nulle mention d’une effrayante bataille avec les Titans comme accompagnant cet événement. Kronos, Iapetos et les autres Titans sont au fond du Tartare, dans les parties les plus basses sous la terre, à une grande distante des doux rayons de Hêlios ; mais ils sont encore puissants et vénérables, et Hypnos fait faire à Hêrê un serment en leur nom, comme le plus inviolable qu’il peut trouver[27].

Ainsi, dans Homère, nous ne voyons rien au delà de ce simple fait, que Zeus précipite son père Kronos, en même temps que le reste des Titans, dans le Tartare ; événement pour lequel il nous fournit un pendant assez satisfaisant dans certains incidents qui ont lieu même durant la suprématie de Zeus. En effet, les autres dieux essaient plus d’une fois de se révolter contre Zeus, tentatives réprimées seulement en partie par sa force incomparable, en partie par la présence de son allié le Centimane Briareus. Kronos, comme Laërte ou Pêleus, est devenu vieux et a été renversé par une force de beaucoup supérieure à la sienne. Le poème épique d’Homère traite Zeus comme un dieu actuel, et comme à tous les caractères héroïques intéressants, il faut lui assigner un père ; ce père a été jadis le chef des Titans, mais il a été remplacé et précipité dans le Tartare ainsi que ces derniers, aussitôt que Zeus et la race supérieure des dieux olympiques ont acquis leur complet développement.

Cette opposition entre Zeus et Kronos, — entre les dieux olympiques et les Titans, — qu’Homère a ainsi présentée brièvement, Hésiode l’a développée dans une théogonie, renfermant beaucoup de choses nouvelles, mais en contradiction sur quelques points avec ce qu’avance son prédécesseur, tandis qu’Eumêle ou Arktinus, dans le poème appelé Titanomachia (aujourd’hui perdu), l’adoptaient aussi comme leur sujet spécial[28]. De même que Stasinus, Arktinus, Leschês et d’autres étendirent la légende de Troie en composant des poèmes se rapportant à un temps supposé antérieur au commencement ou postérieur à la fin de l’Iliade, — de même que d’autres poèmes racontaient les aventures d’Odysseus (Ulysse) après son retour à Ithakê, — de même Hésiode agrandit et systématisa, en même temps qu’il l’altérait, la théogonie, dont nous trouvons la charpente brièvement indiquée dans Homère. Les dieux homériques sont violents et grossiers, mais le grand génie de la poésie épique grecque n’est nullement responsable des histoires d’Uranos et de Kronos, constant reproche adressé aux récits légendaires païens.

Jusqu’à quel point ces histoires sont-elles l’invention d’Hésiode lui-même ? C’est ce qu’il est impossible de déterminer[29]. Elles nous amènent à un produit d’imagination plus grossier et moins délicat que les histoires homériques, et ressemblant de beaucoup plus près à quelques-uns des chapitres sacrés (ίεροί λόγοι) des mystères plus récents, tels que (par exemple) le conte de Dionysos Zagreus. Il y a dans la Théogonie elle-même une preuve que l’auteur connaissait les légendes locales généralement admises, tant en Krête qu’à Delphes ; car il mentionne à la fois et la caverne en Krête où Zeus fut caché à sa naissance, et la pierre près du temple de Delphes — ou la même pierre que celle que Kronos avait avalée, — placée par Zeus lui-même comme un signe et un objet d’admiration pour les mortels.

Ces deux monuments dont le poète parle expressément, et qu’il avait probablement vus, supposent une suite entière de légendes locales et explicatives, ayant probablement cours parmi les prêtres de Krête et de Delphes, lieux unis, dans les anciens temps, par une intime liaison religieuse. Et nous pouvons de plus suivre dans le poème, — ce qui d’ordinaire était le sentiment naturel des adorateurs de Zeus en Krête — la trace d’un effort pour trouver une justification de l’attaque dirigée par Zeus contre Kronos, dans la conduite de Kronos lui-même et envers son père et envers ses enfants : le traitement infligé par Zeus à Kronos paraît dans Hésiode comme le châtiment dont Uranos, après sa mutilation, a menacé le fils qui l’a outragé, et qu’il lui a prédit. En effet, les relations d’Uranos et de Gæa ne sont, dans presque tous leurs détails, qu’une copie et une répétition de celles qui existent entre Kronos et Rhea ; elles ne diffèrent que par la manière dont la catastrophe finale est amenée. Or la castration était un usage entièrement contraire aux sentiments et aux coutumes des Grecs[30] ; mais on en voyait la pratique répétée et affligeante dans la vie domestique, aussi bien que, dans le culte religieux de Phrygia et d’autres parties de l’Asie ; et cela devint même la qualification particulière d’un prêtre de la Grande Mère Kybelê (Magna Mater)[31], aussi bien que de Diane d’Ephèse. L’emploi de la faucille attribué à Kronos ; semble être le produit d’une imagination familière au culte et aux légendes asiatiques, qui se rattachaient au culte et aux légendes de Krête et leur ressemblaient en partie[32]. Et cette conséquence acquiert une plus grande probabilité, quand nous la rattachons à la première origine du fer, qu’Hésiode mentionne avoir été produit exprès pour fabriquer la fatale faucille ; car la métallurgie trouve une place dans les anciennes légendes et de l’Ida Troyen et de l’Ida Krêtois, et les trois Dactyles Idéens, les inventeurs légendaires de cette science, sont placés tantôt sur l’une de ces montagnes, tantôt sur l’autre[33].

De même qu’Hésiode avait étendu la série des dieux donnée par Homère en faisant précéder la dynastie de Kronos par celle d’Uranos, de même la Théogonie orphique lui donna une plus grande extension encore[34]. D’abord vint Chronos, ou le Temps, sous la forme d’une personne ; après lui Æthêr et Chaos, d’où Chronos tira l’œuf immense du monde. C’est de là que sortit, avec la suite des temps, le dieu né le premier, Phanês, ou Mêtis, ou Hêrikapæos, être à double sexe, qui d’abord engendra Kosmos, ou le système du monde, et porta en lui la semence des dieux. Il donna naissance à Nyx, de qui il eut Uranos et Gæa, ainsi qu’à Hêlios et à Selênê[35].

D’Uranus et de Gæa naquirent les trois Mæræ ou Parques, les trois Centimanês et les trois Cyclôpes ; ces derniers furent précipités dans le Tartare par Uranos, qui pressentait qu’ils lui raviraient le pouvoir. Pour se venger de ce mauvais traitement infligé à ses fils, Gæa produisit, par sa propre force générative, quatorze Titans : sept mâles et sept femelles ; les premiers étaient Kœos, Krios, Phorkys, Kronos, Okeanos, Hyperiôn et Iapetos ; les autres étaient Themis, Têthys, Mnêmosynê, Theia, Diônê, Phœbê et Rhea[36]. Ils reçurent le nom de Titans, parce qu’ils vengèrent sur Uranos l’expulsion de leurs frères aînés. Sis des Titans, ayant à leur tête Kronos, le plus puissant d’entre eux tous, conspirèrent contre Uranos, et le détrônèrent après l’avoir châtré. Okeanos seul resta à l’écart et ne prit aucune part l’agression. Kronos s’empara du gouvernement et fixa sa résidence sur l’Olympe, pendant qu’Okeanos resta à part maître du courant divin dui lui appartenait[37]. Le règne de Kronos fut une période de tranquillité et de bonheur, aussi bien que d’une force et d’une longévité extraordinaires.

De Kronos et de Rhea naquirent Zeus, ses frères et ses sœurs. La Théogonie orphique présente dans ses traits essentiels, de la même manière qu’Hésiode, l’histoire de Zeus enfant sauvé et caché, ainsi que celle de la pierre avalée par Kronos ; seulement le style est moins simple, et a un caractère plus mystique. Zeus est caché dans la caverne de Nyx, résidence de Phanês lui-même, avec Eidê et Adrasteia, qui le nourrissent et le gardent, tandis que les Kurêtes, dansant en armes et frappant sur des instruments sonores, empêchent que ses vagissements ne parviennent jusqu’aux oreilles de Kronos. Quand il est devenu grand, il tend un piège à son père, l’enivre avec du miel, et, l’ayant surpris plongé dans un sommeil profond, il l’enchaîne et le châtre[38]. Ainsi élevé au pouvoir suprême, il avala et absorba en lui-même Mêtis ou Phanês, avec tous les éléments préexistants des choses, et alors engendra tout à nouveau de sa propre essence et conformément à ses propres idées divines[39]. Ce qui reste de ce système est si peu de chose, que nous sommes embarrassé de reconnaître individuellement les dieux et les déesses issus de Jupiter en dehors d’Apollon, de Dionysos et de Persephonê, la dernière étant confondue avec Artemis et Hekatê.

Mais il y a un nouveau personnage engendré par Zeus, auquel la Théogonie orphique a donné un rang supérieur aux autres, et dont les aventures constituent un de ses traits particuliers. Zagreus l’enfant cornu est fils de Zeus, qui l’a eu de sa propre fille, Persephonê ; il est le favori de son père ; c’est un enfant qui donne les plus belles espérances et est prédestiné, s’il grandit, à hériter l’autorité suprême, aussi bien que le droit de lancer le tonnerre. Il siège, encore enfant, sur le trône à côté de Zeus, et est gardé par Apollon et par les Kurêtes. Mais la jalouse Hêrê arrête sa carrière et excite contre lui les Titans, qui, après s’être d’abord barbouillé le visage de plâtre, s’approchent de Zagreus assis sur le trône, séduisent par des jouets son imagination enfantine, et le tuent avec une épée pendant qu’il est occupé à contempler ses traits dans un miroir. Alors ils dépècent son corps et le font cuire dans une chaudière, ne laissant que le vœu’, qui est recueilli par Athênê et porté à Zeus ; celui-ci dans sa fureur précipite, à l’aide de son tonnerre, les Titans dans le Tartare ; Apollon est chargé de rassembler les restes de Zagreus et de les brûler au pied du mont Parnassos. Le cœur est donné à Semêlê, et Zagreus est engendré de nouveau par elle sous la forme de Dionysos[40].

Tel est le tissu des créations fantastiques et violentes comprises sous le titre de Théogonie orphique, et lues comme telles, à ce qu’il parait, par Platon, Isocrate et Aristote. On serra qu’elle repose sur la Théogonie hésiodique ; mais, suivant la tendance générale qu’a la légende grecque à se développer, il y a beaucoup de choses nouvelles ajoutées : Dans Homère, Zeus a un prédécesseur ; dans Hésiode, il en a deux, et trois dans Orphée.

La Théogonie hésiodique, quoique postérieure par la date à l’Iliade et à l’Odyssée, était contemporaine de la période la plus reculée de ce que l’on peut appeler l’histoire grecque, et certainement d’une époque antérieure à l’an 700 avant Jésus-Christ. Elle semble avoir été répandue au loin en Grèce et, comme elle était à la fois ancienne et courte, le public, en général, la consultait comme étant la principale source de connaissance qu’il eût concernant l’antiquité divine. La Théogonie orphique est d’une date plus récente et renferme les idées et les personnages hésiodiques agrandis et déguisés sous une forme mystique. Sa Veine d’invention, moins populaire, s’appropriait plus aux contemplations d’une secte spécialement préparée à cette étude qu’au goût d’auditeurs accidentels. Et il semble qu’en conséquence elle eut cours surtout parmi les esprits purement spéculatifs[41].

Parmi la majorité de ces derniers cependant, elle jouissait d’une plus grande vénération, et surtout elle était supposée plus ancienne que la Théogonie hésiodique. L’opinion qui lui attribuait une plus haute antiquité (rejetée par Hérodote, et vraisemblablement aussi par Aristote)[42], aussi bien que le respect pour son contenu, grandirent pendant la période alexandrine et durant les siècles de décadence du paganisme, atteignant leur maximum parmi les néo-platoniciens du troisième et du quatrième siècle après Jésus-Christ. Les adversaires chrétiens du paganisme, aussi bien que ses défenseurs, la traitaient également comme le résumé le plus ancien et le plus vénérable de la foi grecque. Orphée est célébré par Pindare comme le joueur de lyre et le compagnon des Argonautes dans leur expédition maritime ; Orphée et à1usée, aussi bien que Pamphos et Olên, les grands auteurs supposés de vers et d’hymnes renfermant des idées théogoniques et mystiques, des oracles et des prophéties, étaient généralement regardés par des Grecs lettrés comme antérieurs, soit à Hésiode, soit à Homère[43]. Telle fut aussi l’opinion commune à quelques savants modernes jusqu’à une période comparativement récente. Mais il est maintenant démontré, à l’aide de raisons suffisantes, que les compositions qui passaient sous ces noms, émanent, pour la plus grande partie, de poètes de l’époque alexandrine, venant après l’ère chrétienne, et que même les plus anciennes de ces compositions, qui servirent comme de souche sur laquelle furent greffées les additions postérieures, appartiennent à une période beaucoup plus récente due celle d’Hésiode, probablement au siècle qui précède Onomacrite (610-510 avant J.-C.). Il semble certain cependant qu’Orphée et Musée étaient tous les deus des noms dont la réputation était consacrée au temps oit florissait Onomacrite, et il est clairement établi par Pausanias que ce dernier était lui-même l’auteur du mythe le plus remarquable et le plus caractéristique de la Théogonie orphique, Zagreus déchiré par les Titans et ressuscité sous la forme de Dionysos[44].

Les noms d’Orphée et de Musée (aussi bien que celui de Pythagore[45], pour ne considérer qu’un côté de son caractère), représentent des faits importants dans l’histoire de l’esprit grec, l’affluence graduelle des rites et des sentiments religieux thraces, phrygiens et égyptiens, et la diffusion croissante de mystères spéciaux[46], de plans de purification religieuse et d’orgies (je me hasarde à faire passer en anglais le mot grec, dont le sens primitif n’implique nullement l’idée d’excès qu’on lui a donnée plus tard, en le détournant de sa première acception), en l’honneur de quelque dieu particulier, distincts et des solennités publiques et des solennités païennes de la Grèce primitive, célébrés à l’écart loin des citoyens en général, et accessibles seulement au moyen d’une certaine succession de préparations et d’initiations, et dont quelquefois même il était interdit de, parler devant les non initiés, sous les menaces les plus sévères du châtiment divin. Dans l’occasion, de telles associations volontaires prenaient la forme de confréries permanentes, liées ensemble par des solennités périodiques aussi bien que par des vœux d’un caractère ascétique. Ainsi la vie orphique (comme on l’appelait) ou règlement de la confrérie orphique, entre autres injonctions, dont quelques-unes étaient arbitraires et dont quelques autres commandaient de s’abstenir de certaines choses, interdisait universellement la nourriture animale, et, dans des occasions données, l’usage de vêtements de laine[47]. La grande confrérie religieuse et politique des pythagoriciens, qui agit si puissamment sur la condition des cités italiennes, fut une des nombreuses manifestations de cette tendance générale, qui est en opposition frappante avec le culte simple, franc et démonstratif des Grecs homériques.

Des fêtes aux semailles et à la moisson, aux vendanges et au moment où l’on buvait le nouveau vin, furent sans aucun doute contemporaines des plus anciennes coutumes des Grecs. la dernière était une époque de gaîté extraordinaire. Toutefois, dans les poèmes homériques, Dionysos et Dêmêtêr, les protecteurs de la vigne et du champ de blé, sont rarement mentionnés, et certainement tiennent peu de place dans l’imagination du poète, si on les compare avec les autres dieux ; ils n’ont pas non plus une importance marquante, même dans la Théogonie hésiodique. Mais, dans l’intervalle entre Hésiode et Onomacrite, la révolution qui s’opéra dans l’esprit religieux de la Grèce fut telle qu’il plaça cep deux divinités au premier rang. D’après la doctrine orphique, Zagreus, fils de Persephonê, est destiné à être le successeur de Zeus ; et bien que la violence des Titans arrête ce sort, cependant, même après avoir été déchiré, il reparaît sous le nom de Dionysos ; il est le collègue et l’égal de son divin père.

Ce changement remarquable, tel qu’il s’opéra pendant le sixième siècle et une partie du septième avant l’ère chrétienne, peut être rapporté à l’influence dés rapports avec l’Égypte (qui ne fut complètement ouverte aux Grecs que vers 660 avant J.-C.), aussi bien qu’avec la Thrace, la Phrygia et la Lydia. De là pénétrèrent de nouvelles idées et de nouveaux sentiments religieux, qui s’attachèrent surtout aux personnages de Dionysos et de Dêmêtêr. Les Grecs identifièrent ces deux divinités avec les grandes divinités égyptiennes Osiris et Isis, de sorte que ce qui’ fut emprunté au culte rendu à ces dernières par les Égyptiens échut naturellement à celles qui les représentaient dans le système grec[48]. De plus, ce culte de Dionysos (on ne peut pas savoir avec certitude sous quel nom) était indigène en Thrace[49], comme celui de la Grande Mère l’était en Phrygia et en Lydia, ainsi que ces manifestations de délire temporaire et ces extases violentes, et cet usage de choquer des instruments bruyants que nous trouvons plus tard être son caractère en Grèce. Les grands maîtres du pipeau — aussi bien que le dithyrambe[50], et de fait tout le système musical approprié au culte de Dionysos, qui contrastait d’une manière si tranchée avec la paisible solennité du Pæan adressé à Apollon — étaient tous d’origine phrygienne.

De toutes ces différentes contrées, des nouveautés inconnues aux Grecs homériques pénétrèrent dans le culte grec ; et il en est une qui mérite d’être particulièrement signalée, parce qu’elle marque la naissance de la nouvelle classe d’idées dans leur théologie. Homère mentionne bien des personnes coupables d’homicide commis en secret ou involontairement, et forcées, soit d’aller en exil, soit d’accorder une satisfaction pécuniaire ; mais il ne montre jamais une seule fois une d’entre elles comme ayant ou reçu la purification pour son crime[51] ou en ayant eu besoin. Or, dans les temps postérieurs à Homère, on arriva à considérer la purification pour homicide comme indispensable : la personne coupable est regardée comme impropre au commerce avec les hommes ou au culte des dieux, jusqu’à ce qu’elle l’ait reçue, et des cérémonies spéciales sont prescrites pour l’accomplissement de cette opération. Hérodote nous dit que la cérémonie de purification était la même chez les Lydiens et chez les Grecs[52] : nous savons qu’elle ne faisait point partie de l’ancienne religion de ceux-ci, et nous pouvons soupçonner peut-être avec raison qu’ils l’empruntèrent des premiers. Le plus ancien exemple que nous ayons d’une expiation pour homicide se trouvait dans l’épopée du Milésien Arktinus[53], oui Achille est purifié par Odysseus pour le meurtre de Thersitès : quelques autres exemples se rencontraient dans l’épopée récente ou hésiodique — Hêraklês, Pêleus, Bellerophôn, Alkmœôn, Amphiktyôn, Pœmander, Triopas — d’où ils passèrent probablement par les mains des logographes à Apollodore, à Diodore et à d’autres[54]. La purification du meurtrier était primitivement opérée, non par les mains d’un prêtre ou d’un homme ayant un caractère particulier de sainteté, mais par celles du chef ou du roi, qui accomplit les cérémonies appropriées au crime de la manière racontée par Hérodote dans son récit pathétique concernant Crésus et Adrastos.

L’idée d’une souillure spéciale, provenant du crime et de la nécessité aussi bien que de la propriété de cérémonies religieuses prescrites comme moyen suffisant de l’effacer, paraît ainsi avoir pris pied dans les coutumes grecques postérieurement à l’époque d’Homère. Les orgies ou les rites particuliers, composés ou réunis par Onomacrite, Méthapos[55], et d’autres hommes d’une piété plus qu’ordinaire, étaient fondés sur une manière de penser semblable et adaptés aux mêmes exigences intellectuelles. C’étaient des manifestations religieuses volontaires, ajoutées aux anciens sacrifices publics du roi ou des chefs en faveur de la société entière, et à ceux du père offerts sur son propre foyer domestique. Ils indiquaient les détails du service divin propres à apaiser ou à satisfaire le dieu auquel ils étaient adressés, et à procurer aux croyants qui s’y conformaient ses bénédictions et sa protection ici-bas ou dans la vie à venir ; l’exact accomplissement du service divin dans toutes ses particularités était tenu pour nécessaire, et c’est ainsi que les prêtres ou hiérophantes, auxquels seuls le rituel était familier, acquirent une position dominante[56]. Généralement parlant, ces orgies particulières furent admises et obtinrent leur influence aux époques de détresse, de maladie, de calamité et de danger publics, ou de terreur et de désespoir religieux, qui semblent ne s’être montrées que trop fréquemment.

Les esprits des hommes étaient enclins à croire que leurs souffrances avaient leur source dans le mécontentement de quelques-uns des dieux, et, comme ils trouvaient que les sacrifices étaient insuffisants pour les protéger, ils saisissaient avec ardeur les nouvelles idées qui leur étaient proposées, en vue de regagner la faveur divine[57]. Ces idées étaient plus ordinairement copiées, soit totalement, soit en partie, sur les rites religieux de quelque localité étrangère, ou sur ceux de quelque autre portion du monde hellénique ; et, de cette manière, bien des sectes nouvelles ou des confréries religieuses libres, promettant de calmer le trouble de la conscience et de réconcilier l’homme malade ou souffrant avec les dieux offensés, purent s’établir d’une manière permanente et acquérir une influence considérable. Elles étaient généralement sous la surveillance de familles où la prêtrise était héréditaire, et qui faisaient participer au bienfait des rites de confirmation et de purification les croyants en général qui étaient présents, aucun n’étant excepté, s’il accomplissait entièrement les cérémonies prescrites. Dans bien des cas, ces cérémonies tombaient entre les mains de jongleurs, qui offraient leurs services aux hommes riches et dégradaient leur profession aussi bien par une vénalité importune que par d’extravagantes promesses[58]. Parfois, le prix était abaissé pour les mettre à la portée des pauvres, et même des esclaves. La grande propagation de ces solennités et le nombre de ceux qui y participaient volontairement prouvent combien elles rentraient dans le sentiment de l’époque et de quel respect elles jouissaient, — respect qui s’est conservé plusieurs siècles pour les plus fameux de ces établissements, tels qu’Eleusis et Samothrace. Et la visite du Krêtois Épimenidês à Athènes, au temps de Solôn, à un moment où régnaient l’inquiétude et la crainte les plus sérieuses d’avoir offensé les dieux, fait comprendre l’effet rassurant de nouvelles orgies[59] et de nouveaux rites d’absolution, quand ils sont prescrits par un homme placé haut dans la faveur des dieux et passant pour être fils d’une nymphe. La sibylle supposée d’Érythrée, et la plus ancienne collection d’oracles sibyllins[60], qui a subi plus tard tant d’additions et d’interpolations, et qu’on rapportait (d’après l’habitude des Grecs) à une époque même antérieure à Homère, semblent être d’une date de peu postérieure à Épimenidês. D’autres tiers prophétiques, tels que ceux de Bakis, étaient gardés précieusement à Athènes et dans d’autres cités : le sixième siècle avant l’ère chrétienne fait fertile en ces sortes de manifestations religieuses.

Parmi les orgies et les rites spéciaux ayant le caractère que nous renons de décrire, ceux qui jouissaient de la plus grande réputation dans toute la Grèce se rattachaient à Zeus Idéen en Krête, à Dêmêtêr à Éleusis, aux Kabires à Samothrace, et à Dionysos à Delphes et à Thèbes[61]. Ce qui prouve qu’il existait entre eux tous un grand degré d’analogie, c’est la manière dont ils se mêlent involontairement et se confondent dans l’esprit de divers auteurs. Ceux des anciens eux-mêmes qui en firent l’objet de leurs recherches ne purent les distinguer les uns des autres, et nous devons nous contenter de rester dans la même ignorance. Mais nous en voyons assez pour nous satisfaire sur ce fait général que, pendant le siècle et demi qui s’écoula entre le moment où l’Égypte fut ouverte aux Grecs et le commencement de leur lutte avec les rois de Perse, l’ancienne religion fut considérablement altérée par des importations venues d’Égypte, d’Asie Mineure[62] et de Thrace.

Les rites devinrent plus furieux et plus extatiques, produisant des transports extrêmes, corporels aussi bien qu’intellectuels ; les légendes furent en même temps plus grossières, plus tragiques et moins pathétiques. Les plus fortes manifestations de ce délire se montraient chez les femmes, dont la sensibilité religieuse était souvent trouvée extrêmement rebelle[63], et qui partout avaient dans l’occasion des cérémonies qui leur étaient particulières, et où elles s’assemblaient séparées des hommes ; — à vrai dire, dans le cas des colons, surtout des colons asiatiques, les femmes avaient été primitivement des femmes du pays, et comme telles conservaient à un haut degré leurs manières et leurs sentiments non helléniques[64].

Le dieu Dionysos[65], que les légendes décrivaient comme vêtu d’un costume de femme et conduisant une troupe de femmes en délire, inspirait une extase momentanée. Celles qui résistaient à l’inspiration, disposées à désobéir à sa volonté, étaient punies de châtiments particuliers ou de terreurs mentales ; tandis que celles qui, à l’époque convenable et avec les solennités admises, donnaient libre cours au sentiment inspiré, satisfaisaient ses exigences et croyaient s’être mises à l’abri de telles inquiétudes pour l’avenir[66]. Des troupes de femmes, couvertes de peaux de faon et portant le thyrse sanctifié, affluaient dans les solitudes du Parnassos, du Kithærôn ou du Taygète, pendant la période triennale consacrée, y passaient la nuit avec des torches et s’abandonnaient à des démonstrations de transport frénétique, en dansant et en invoquant le dieu avec des cris. On disait qu’elles déchiraient des animaux membre par membre, qu’elles dévoraient la chair crue et qu’elles se coupaient elles-mêmes sans sentir la blessure[67]. Les hommes cédaient à une impulsion semblable en se livrant à des réjouissances tumultueuses dans les rues, où ils faisaient retentir des cymbales et des tambours de basque, et transportaient en procession l’image du dieu[68]. C’est une remarque à faire que les femmes athéniennes ne pratiquaient jamais ces excursions périodiques dans les montagnes, si communes parmi les autres Grecs ; elles avaient leurs solennités particulières aux femmes, les Thesmophoria[69], d’un caractère triste, accompagnées de jeune, et leurs congrégations séparées dans les temples d’Aphroditê, mais sans aucune démonstration exagérée ni inconvenante. La fête officielle des Dionysiaques, dans la ville d’Athènes, était célébrée au moyen de représentations scéniques, et c’est sous leurs auspices que s’éleva la moisson jadis si riche de la tragédie et de la comédie athéniennes. Les cérémonies des Kurêtes en Krête, des danses en armes, primitivement en l’honneur de Zeus Idæen, semblent aussi avoir emprunté de l’Asie tant de furie, de mysticisme et de ces mauvais traitements qu’on s’inflige soi-même, qu’elles se confondirent à la fin avec celles des Korybantes phrygiens ou adorateurs de la Grande Mère, au point de ne pouvoir en être distinguées, bien qu’il semble que la réserve grecque ne soit jamais allée jusqu’à la mutilation irréparable que s’infligea Atys.

 

À suivre

 

 

 



[1] Il suffit ici de poser ce principe brièvement ; dans un chapitre ultérieur il sera parlé plus longuement de l’interprétation par l’allégorie.

[2] Iliade, VIII, 405, 463 ; XV, 20, 130, 185. Hésiode, Théog., 885.

Cette suprématie incontestée est le caractère général de la figure de Zeus : en même temps la conspiration formée contre lui par Hêrê, Poseidôn et Athênê, et étouffée par l’apparition inattendue de Biareus en qualité d’allié, est une des exceptions (Iliade, I, 400). Zeus est à un moment vaincu par Titan, mais sauvé par Hermês. (Apollod., I, 6, 3).

[3] Aristote, Politique, l. I.

[4] Hésiode, Théog., 116. Apollodore commence par Uranos et Gæa (I, 1), il ne reconnaît pas Erôs, Nyx ni Erebos.

[5] Hésiode, Théog., 140, 156. Apollodore, ut sup.

[6] Hésiode, Théog., 160, 182. Apollodore, l. I, 4.

[7] Hésiode, Théog., 192. Cette légende concernant la naissance d’Aphroditê semble être tirée en partie de son nom (άφρός, écume), en partie du surnom Urania, Άφροδίτη Ούρανία, sous lequel elle était Si généralement adorée, surtout à Kypros et à Xythêra, surnom qui dans ces deux îles paraît dû aux Phéniciens. — Hérodote, I, 105. Cf. la partie si instructive de la métrologie de Bœckh, ch. IV, § 4.

[8] Hésiode, Théog., 452, 487. Apollodore, l. I, 6.

[9] Hésiode, Théog., 498.

[10] Hésiode, Théog., 212-232.

[11] Hésiode, Théog., 210-320. Apollodode, l. 2, 6, 7.

[12] Hésiode, Théog., 385-403.

[13] Hésiode, Théog., 140, 624, 657 ; Apollodore, I, 2, 4.

[14] Combat avec les Titans, Hésiode, Théog., 627-735. Hésiode ne parle pas des Gisantes (géants) ni de la Gigantomachie : d’un azure côté, Apollodore rapporte ce dernier événement avec quelques détails, mais il en a fini avec les Titans en peu de mots (I, 2, 4 ; I, 6, 1). Les Gigantes semblent n’être qu’une seconde édition des Titans, espèce de répétition à laquelle les poètes légendaires sont souvent portés.

[15] Hésiode, Théog., 820-869. Apollodore, I, 6, 3. Il représente Typhôn comme presque vainqueur de Zeus. Typhôeus est, selon Hésiode, le père des vents irréguliers, violents et malfaisants : Notos, Boreas, Argestês et Zephyros sont d’origine divine (870).

[16] Hésiode, Théog., 885-900.

[17] Apollodore, I, 3, 6.

[18] Hésiode, Théog., 900-911.

[19] Homère, Iliade, XVIII, 397.

[20] V. Burckhardt, Homer. und Hesiod. Mythol., sect. 102. (Leipz. 1844.)

[21] Αιμός, faim, est une personne dans Hésiode, Op. et Di., 299.

[22] V. Goettling, præfat. ad Hesiod., p. 23.

[23] Iliade, XIV, 219 ; XIX, 259. Odyssée, V, 181. Okeanos et Têthys semblent être présentés dans l’Iliade comme les premiers parents des dieux, XIV, 201.

[24] Odyssée, IX, 87.

[25] Iliade, I, 401.

[26] Iliade, XIV, 203-295 ; XV, 204.

[27] Iliade, VII, 482 ; XIV, 274-279. Dans Opp. et Di., d’Hésiode, Kronos est représenté comme régnant sur les îles des Bienheureux dans le voisinage d’Okeanos (v. 168).

[28] V. les rares fragments de la Titanomachia, dans Düntzer, Epic. Græc., Fragm. p. 2 ; et Heyne, ad Apollod., I, 3. Peut-être y avait-il plus d’un poème sur ce sujet, bien qu’il semble qu’Athénée n’en ait lu qu’un seul. (VIII, p. 277.)

La Titanomachia étendit encore davantage les générations antérieures à Zeus en faisant d’Uranos le fils d’Æther. (Fr. 4. Düntzer.) Ægæon était aussi représenté comme fils de Pontos et de Gæa et comme ayant combattu dans les rangs des Titans : dans l’Iliade (où c’est le même personnage appelé Briaveus), il est le fidèle allié de Zeus.

Une Titanographie était attribuée à Musée. (Schol. Apollon. Rhod., III, 1178 ; Cf. Lactance, de Fals. Rel., I, 21.)

[29] C’est une opinion qui parait maintenant généralement admise, que la Théogonie hésiodique doit être rapportée à une époque très postérieure aux poèmes homériques, et les raisons qui le font croire sont, à mon avis, satisfaisantes. La Théogonie est-elle du même auteur que les Travaux et les Jours, c’est là un point en litige. Les savants de Bœôtia du temps de Pausanias contestaient l’identité sans hésiter, et n’attribuaient à leur Hésiode que les Travaux et les Jours : Pausanias lui-même partage leur sentiment (IX, 31, 4 ; IX, 35, 1), et Vœlcker (Mythologie des Iapetisch. Geschlechts, p. 14) soutient la même opinion, aussi bien que Goettling (Præf. ad Hesiod., XXI) : K. O. Müller (History of Grecian literature, ch. 8, § 4, trad. ang.) pense qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour se former une opinion décisive.

Sous le nom d’Hésiode (pour employer ce vague langage usité dans l’antiquité quand il est question de l’auteur d’un ouvrage, langage que les critiques modernes n’ont pas beaucoup corrigé en parlant de l’école, de la secte ou de la famille hésiodiques), on faisait passer beaucoup de poèmes divers appartenant à trois classes tout à fait distinctes les unes des autres, mais tous différents de l’épopée homérique : — I. Les poèmes légendaires arrangés en suites historiques et généalogiques, telles que les Eoiai (Eées), le Catalogue des Femmes, etc. — II. Les poèmes d’une tendance didactique ou morale, tels que les Travaux et les Jours, les Préceptes de Chirôn, l’Art de la Prophétie augurale, etc. — III. De courtes compositions mythiques séparées, telles que le Bouclier d’Hêraklês, le Mariage de Keyx (dont cependant l’authenticité était contestée ; Athenæ, II, p. 49), l’Epithalame de Pêleus et de Thétis, etc. (Marktscheffel, Præfat. ad Fragment. Hesiod., p. 89.)

La Théogonie appartient principalement à la première de ces classes, mais elle a aussi une teinte de la seconde dans la légende de Promêtheus, etc. ; en outre, dans la partie qui concerne Hekatê, elle présente à la fois un caractère mystique et un rapport évident avec la vie et les coutumes du temps, que nous pouvons aussi reconnaître dans les allusions à Krête et à Delphes. Il semble qu’il y a une raison pour la placer à la même époque que les Travaux et les Jours, peut-être dans le demi-siècle précédant l’an 700 avant J.-C. (et de peu ou point antérieure à Archiloque, si même elle l’est). Le poème est évidemment conçu sur un seul plan ; toutefois, il y a dans les parties tant de désordre et d’incohérence, qu’il est difficile de dire combien il y a d’interpolations. Hermann a bien analysé le début : voir la préface de l’Hésiode de Gaisford (Poetœ minor., p. 63).

K. O. Müller nous dit (ut sup., p. 90) : Les Titans, suivant les idées d’Hésiode, représentent un système de choses dans lequel les êtres élémentaires, les pouvoirs naturels, et les notions d’ordre et de régularité sont unis pour former un tout. Les Cyclôpes indiquent les perturbations passagères causées par les orages dans cet ordre de la nature, et les Hekatoncheires, ou géants centimanes, signifient l’effrayante puissance des grandes révolutions de la nature. Le poème laisse peu présumer que de telles idées fussent présentes à l’esprit de l’auteur, ainsi qu’on le verra, je pense, si on lit 140-155, 630-745.

On ne peut pas plus prendre pour des phénomènes physiques les Titans, les Cyclôpes et les Hekatoncheires que Chrysaor, Pegasos, Echidua, les Grææ ou les Gorgones. Zeus, comme Hêraklês, ou Jason, ou Perseus, s’il s’agit de décrire ses aventures, doit avoir des ennemis dignes de lui-même et de son type grandiose, et qu’il ait quelque gloire à renverser. Ceux qui luttent contre lui ou qui l’aident doivent être conçus avec des proportions susceptibles de figurer sur le même tableau imposant : la taille de l’homme, ce pygmée, ne satisfera pas le sentiment du poète ou de ses auditeurs au sujet de la grandeur et de la gloire des dieux. Pour obtenir des créations d’un grandiose égal à un tel objet, le poète peut, à l’occasion, emprunter des analogies aux accidents frappants de la nature physique, et quand une telle allusion se montre clairement, le critique fait bien de la signaler. Mais c’est, à mon avis, commettre une erreur que de prendre ces rapprochements avec les phénomènes physiques pour l’objet principal du poète, de les chercher partout et de les supposer là où il n’y a que peu ou point d’indications.

[30] Les preuves les plus fortes de ce sentiment sont présentées dans Hérodote, III, 48 ; VIII, 105. Voir un exemple de cette mutilation infligée à un jeune homme nommé Adamas par le roi de Thrace Kotys, dans Aristote, Politique, V, 8, 12, et le conte concernant le Corinthien Périandre, Hérodote, III, 48.

On voit une preuve de cette habitude, usitée chez les tragiques attiques, d’attribuer aux Troyens des coutumes asiatiques ou phrygiennes, dans la pièce de Sophocle actuellement perdue appelée Troïlus (ap. Jul. Poll., X, 165), où le poète fait paraître un des personnages de son drame comme ayant été châtré par ordre d’Hecabê (Hécube), Σxαλμή γάρ όρχεις Βασιλίς έxτέμνουσ̕ έμούς, probablement le παιδαγωγός ou gouverneur et compagnon du jeune Troïlus. V. Welcker, Griechisch. Tragoed., vol. I, p. 125.

[31] Hérodote, VII, 10. 5, εύνούχοι. Lucien, de Deâ Syriâ, c. 50. Strabon, XIV, p. 640-641.

[32] Diodore, V, 64. Strabon, X, p.469. Hœckh, dans son savant ouvrage Krêta (vol. I, liv. 1 et 2), a réuni tous les documents qu’on peut recueillir au sujet des anciennes influences de la Phrygia et de l’Asie Mineure sur la Krête ; rien ne semble pouvoir être précisé, excepté le fait général ; toutes les preuves particulières présentent un vague déplorable.

Le culte de Zeus Dictæen semble avoir appartenu dans l’origine aux Eteokrêtes, qui n’étaient pas Hellênes, et se rattachaient plutôt à la population asiatique qu’au peuple hellénique. Strabon, X, p. 478. Hœckh, Krêta, vol. I, p. 139.

[33] Hésiode, Théog., 161. V. l’extrait du vieux poème Phorônis, ap. Scbol. Apoll. Rhod., 1129 ; et Strabon, X, p. 472.

[34] V. les fragments peu abondants de la Théogonie orphique dans l’édition des Orphica d’Hermann, p. 448, 504, qu’il est difficile de comprendre et de rattacher ensemble, même avec le secours de l’étude approfondie de Lobeck. (Aglaophamus, p. 470, etc.) Les passages ont été surtout conservés par Proclus et par les Platoniciens plus récents, qui semblent les mêler d’une manière inextricable avec leurs propres idées philosophiques.

Dans le petit nombre de vers qui composent le début des Argonautiques orphiques se trouve un court sommaire des principaux points de la Théogonie.

[35] V. Lobeek, Aglaoph., p. 472-176, 190-500. Cf. Lactance, IV, 8, 4 ; Suidas, v. Φάνης ; Athénageras, XX, 296 ; Diodore, I, 27.

Cet œuf figure, comme on pouvait s’y attendre, dans la Cosmogonie exposée dans les Oiseaux. Aristoph. Av. 695. Nyx donne naissance à un veuf, d’où sort l’Erôs d’or ; d’Erôs et de Chaos naît la race des oiseaux.

[36] Lobeck, Ag., p. 501. Athénageras, XV, p. 61.

[37] Lobeck, Ag., p. 507. Platon, Timée, p. 41. Dans les Διονύσου τρόφοι d’Eschyle, on disait que Médée avait coupé en morceaux les vieux compagnons du dieu Dionysos, et qu’après les avoir fait bouillir dans une chaudière, elle les avait rajeunis. Phérécyde et Simonide disent que Jasôn lui-même avait été traité de la même manière. Schol. Aristoph. Equit., 1321.

[38] Lobeck, p. 514. Porphyre, de Antro Nympharum, ch. XVI. Cf. Timée ap. Schol. Apoll. Rhod., IV, 983.

[39] La Kataposis de Phanês par Zeus est un des points les plus mémorables de la Théogonie orphique. Lobeck, p. 519 ; et Fragm. VI, p. 456 des Orphica d’Hermann.

C’est cette absorption par Zeus et la reproduction de toutes choses qui en résulta, qui donna lieu à la magnifique suite des épithètes orphiques à son sujet.

On peut trouver une allusion à ces épithètes, même dans Platon, de Leg., IV, p. 715. Plutarque, de Defectu Oracul., t. II, ch. XLVIII, p. 379. Diodore (I, 11) est le plus ancien écrivain qui nous reste mentionnant le nom de Phanês, dans un vers cité comme venant d’Orphée, où toutefois Phanês est identifié avec Dionysos. Cf. Macrobe, Saturnales, I, 18.

[40] Au sujet du conte de Zagreus, V. Lobeek, p. 552 sqq. Nonnus dans ses Dionysiaques a donné sur ce conte beaucoup de détails (VI, 264.)

Clemens Alexandrin., Admonit. ad Gent., p. 11, 12, Sylb. L’histoire a été traitée et par Callimaque et par Euphorion, Etymolog. Magn., v. Ζαγρεύς, Schol. Lycophr., 208. Dans le vieux poème d’Alemæou ou Epigoni, Zagreus est lui surnom de Hadês. V. Fragm. IV, p. 7, ed. Duutzer. A propos de la Théogonie orphique en général, on peut consulter avec beaucoup de profit Brandis (Handbuch der Gesehichte der Griechisch-Rœmisch. Philosophie, ch. XVII, XVIII), K. O. Muller (Prolog Mythol., p. 379-396), et Zœga (Abbandhingen., V. p. 211-263). Brandis regarde cette Théogonie comme beaucoup plus ancienne que la première philosophie ionienne ; mais il ne parait pas probable qu’on puisse lui donner une antiquité aussi reculée : quelques-unes des idées qu’elle renferme, comme, par exemple, celle de l’œuf orphique, indiquent qu’elle dévie de la ligne de générations purement personnelles rapportées et par Homère et par Hésiode d’une façon exclusive, et qu’elle se rapproche de quelque chose qui ressemble à des analogies physiques. A tout prendre, nous ne pouvons raisonnablement réclamer pour elle plus d’un demi-siècle au delà de l’époque d’Onomacrite. La Théogonie de Phérécyde de Syros semble avoir eu quelque analogie avec la Théogonie orphique. V. Diogen. Laërt., I, 119. Sturz. Fragm. Phéré, cyd., § 5-6, Brandis, Handbuch, ut sup., ch. XXII. Phérécydes s’éloigna en partie de la voie mythique ou successions personnelles présentées par Hésiode. Aristot., Metaphys., N, p. 301, ed. Brandis. Porphyre, de Antre Nymphar., ch. XXXI. Eudême le péripatéticien, disciple d’Aristote, avait tracé un exposé de la Théogonie orphique aussi bien que des doctrines de Phérécyde, d’Acusilas et d’autres, exposé qui était encore entre les mains des platoniciens du quatrième siècle, bien qu’il soit perdu aujourd’hui. Les extraits que nous en trouvons semblent tous favoriser l’opinion que la Théononie d’Hésiode faisait la base de leurs travaux. V. au sujet d’Acusilas, Platon, Sympos., p. 178 ; Clem. Alex., Strom., p. 629.

[41] La Théogonie orphique n’est jamais citée dans les abondantes scholies d’Homère, bien qu’il y soit fait souvent allusion à Hésiode. (V. Lobeck, Aglaoph., p. 540). Elle ne peut pas non plus avoir été présente à l’esprit de Xénophane et d’Héraclite, comme représentant quelque croyance grecque répandue au loin : le premier, qui condamnait si sévèrement Homère et Hésiode, aurait trouvé Orphée beaucoup plus digne de son blâme ; et le second aurait difficilement omis Orphée dans sa mémorable déclaration : Πολυμαθίη νόον ού διδάσxει Ήσίοδον γάρ άν έδίδαξε xαί Πυθαγόρην, αΰτις δέ Ξενοφάνεά τε xαί Έxαταϊον. Diog. Laër., IX, 1. Isocrate traite Orphée comme le plus répréhensible de tous les poètes. V. Busiris, p. 229 ; II, p. 309, Bekk. La Théogonie d’Orphée, telle qu’elle est conçue par Apollonius de Rhodes (I, 504) au troisième siècle ayant J.-C., et par Nigidius au premier siècle avant J.-C. (Servius ad Virgil., Eclog., IV, 10), semble avoir, eu des proportions moins grandes que celle qui est donnée dans le texte. Mais ni l’une ni l’autre ne mentionnent le conte de Zagreus, que nous savons être aussi ancien qu’Onomacrite.

[42] Cette opinion d’Hérodote se trouve implicitement dans le remarquable passage au sujet d’Homère et d’Hésiode, II, 53, bien qu’il ne nomme pas même une fois Orphée et ne fasse allusion qu’une seule fois aux Cérémonies orphiques, II, 81. Il parle à plusieurs reprises des prophéties de Musée. Aristote rejetait l’existence passée et la réalité d’Orphée. V. Cicéron, de Nat. Deor., I, 38.

[43] Pindare, Pyth., IV, 177. Platon semble considérer Orphée comme plus ancien qu’Homère. Cf. Theœtêt. p. 179 ; Cratylus, p. 409 ; de Republ., II, p. 364. L’ordre dans lequel Aristophane (et Hippias d’Elis, ap. Clem. Alex. Str., VI, p. 624) les mentionne indique la même manière de voir. Ranæ, 1030. Il est inutile de citer les chronologistes postérieurs, qui croyaient tous à l’ancienneté d’Orphée ; il était communément représenté comme fils de la muse Calliopê. Androtion semble avoir contesté qu’il fût de Thrace, regardant les Thraces comme d’une stupidité et d’une ignorance incurables. Androtiôn, Frag. 36, éd. Didot. Ephore parlait de lui comme ayant été le disciple des Dactyles Idœens de Phnygie (v. Diodôr., V, 64), et comme ayant apprîs d’eux ses τελετάς et ses μυστήρια, qu’ilintroduisit le premier en Grèce. La plus ancienne mention d’Orphée que nous trouvions est celle du poète Ibycus (vers 530 avant J.-C.), όνομάxλυτον Όρφήν. Ibyci, Frag. IX, p. 341, éd. Schneidewin.

[44] Pausanias, VIII, 37, 3. La date, le caractère, ainsi que les fonctions d’Onomacrite sont clairement signalés par Hérodote, VII, 6.

[45] Hérodote croyait que les règlements orphiques et pythagoriciens venaient d’Egypte (II, 81). Il connaît les noms de ceux des Grecs qui ont emprunté à l’Egypte la doctrine dela métempsychose, mais il ne veut pas les mentionner (II, 123) : il est difficile de croire qu’il fasse allusion à d’autres qu’aux pythagoriciens, dont il connut probablement plus d’un en Italie. V. le curieux extrait de Xénophane touchant la doctrine de Pythagore, Diogen. Laërt., VIII, 37 ; et la citation tirée des Silles de Timon. Cf. Porphyre, in Vit. Pythag., ch. XLI.

[46] Aristophane, Ran., 1030.

On trouvera le même contraste général dans Platon, Protagoras, p. 316 ; l’opinion de Pausanias, IX, 30, 4. Les poèmes de Musée semblent avoir eu une analogie considérable avec la Melampodia attribuée à Hésiode (v. Clemen. Alex., Str., VI, p. 628) ; et l’on croyait qu’Orphée, aussi bien que Musée, possédait des charmes propres à guérir. V. Euripide, Alcestis, 986.

[47] Hérodote, II, 81 ; Euripide, Hippol., 957, et le curieux fragment de la pièce d’Euripide, aujourd’hui perdue, Κρήτες Όρφιxοί Βίοι, Platon, Leg., VII, 782.

[48] Hérodote, II, 42, 59, 144.

[49] Hérodote, V, 7 ; VII, 3 ; Euripide, Hécube, 1219, et Rhêsus, 969, et le prologue des Bacchæ ; Strabon, X, p. 470 ; Schol. ad. Aristoph., Aves, 874 ; Eustath. ad Dionys., Perieg. 1069 ; Harpokrat., v. Σάβοι ; Photius, Εύνΐ Σαβοϊ. L’ouvrage Lydiaca de Th. Menke (Berlin, 1843) retrace l’antique connexion qui existait entre la religion de Dionysos et celle de Kybelê, ch. VI, 7. Le livre Krêta de Hœckh (vol. I, p. 128-134) est instructif pour ce qui concerne la religion phrygienne.

[50] Aristote, Politique, VIII, 7, 9.

Plutarque, Εϊ in Delph. c. IX ; Philocor. Fr. 21, éd. Didot, p. 389. La manière complète et intime dont Euripide identifie les rites bachiques de Dionysos avec les cérémonies phrygiennes en l’honneur de la Grande Mère est très remarquable. La belle description du culte phrygien donnée par Lucrèce (II, 600-640) est très affaiblie par sa façon d’allégoriser si peu satisfaisante.

[51] Schol. ad. Iliad. XI, 690. Les exemples sont nombreux, et se trouvent à la fois dans l’Iliade et l’Odyssée. Iliade, II, 665 (Tlépblemos) ; XIII, 697 (Medên) ; XIII, 574 (Epeigeus) ; XXIII, 89 (Patroklos) ; Odyssée, XV, 224 (Theoklymenos) ; XIV, 380 (un Æolien) ; le mythe intéressant au sujet des fonctions d’Até et des Litæ ne s’accorde pas non plus avec la doctrine postérieure de la nécessité de la purification. (Iliade, IX, 498.)

[52] Hérodote, I, 35. Entre beaucoup de preuves, ce qui nous montre surtout combien cette idée s’empara profondément des plus grands esprits de la Grèce, à savoir qu’un malheur sérieux tomberait sur la communauté si une querelle de famille ou un homicide restait sans expiation religieuse, ce sont les objections qu’Aristote oppose à la communauté des femmes proposée dans la République de Platon. On ne pourrait savoir dans quel rapport seraient les individus comme pères, comme fils ou comme frères : en conséquence, si un méfait ou unmeurtre était commis contre la personne d’un parent, il serait impossible d’appliquer l’expiation religieuse convenable, et le crime resterait non expié. (Aristote, Politique, II, 1, 14. Cf. Thucydide, I, 125-128.)

[53] V. les Fragm. de l’Æthiopis d’Arktinus dans la collection de Düntzer, p. 16.

[54] Les preuves touchant ce point sont réunies dans l’Aglaophamos de Lobeck. Epimetr., II, ad Orphica, p. 968.

[55] Pausanias (IV. 1, 5). — Μετεxός-μησε γάρ xαί Μέθαπος τής τελετής (les Orgies d’Eleusis, apportées par Kaukon d’Eleusis en Messênia), έστιν ά. Ό δέ Μέθαπος γένος Άθηναϊος, τελετής τε xαί όργίων παντοίων συνθέτης. De plus VIII, 37, 3 ; Onomacrite, Διονύσω συνέθηxον όργια, etc. C’est là une autre expression désignant la même idée que le Rhésus d’Euripide, 914.

[56] Têlinês, un des ancêtres de Gelôn, le tyran de Syracuse, acquit un grand pouvoir politique comme possédant τά ίρά τών χθονίων θεών (Hérodote, VII, 153) ; lui et sa famille devinrent hiérophantes héréditaires de ces cérémonies. Comment Têlines acquit-il les ίρά, c’est ce qu’Hérodote ne peut pas dire. C’était probablement une légende traditionnelle, ne le cédant pas en sainteté à celle d’Eleusis, qui faisait remonter ces cérémonies à un don de Dêmêtêr elle-même.

[57] V. Josèphe, cont. Apion, II, ch. XXXV ; Hesych., Θεοί ένιοι, Strabon, X, p. 471 ; Plutarque, Περί Δεισιδαίμον, ch. III, p.166 ; ch. VII, p. 167.

[58] Platon, Repub., II, p. 364 ; Demosthène, de Coronâ, ch. LXXIX, p.313. Le δεισιδαίμων de Théophraste ne se sent tranquille que s’il reçoit mensuellement la communion orphique des Orpheotelestæ (Theoph., Char. XVI). Cf. Plutarque, Περί τοΰ μή χράν έμμετρα, etc. ch. XXV, p. 400. L’écrivain comique Phrynichus indique l’existence de ces rites d’agitation religieuse, à Athènes, durant la guerre du Péloponnèse. V. le court fragment de son Κρόνος, ap. Schol. Aristoph., Aces, 989.

Diopeithês était un χρησμόλογος, qui recueillait et émettait des prophéties, qu’il chantait (ou plutôt, peut-être, qu’il récitait) en public, d’un ton solennel et emphatique. Ameipsias ap. Schol. Aristoph., ut sup. ce qui explique Thucydide, II, 21.

[59] Plutarque, Solon, ch. XII ; Diogen. Laërt., I, 110.

[60] V. Klausen, Æneas und die Penaten. Son chapitre sur la connexion qui existe entre les recueils sibyllins grecs et les recueils romains est un des plus ingénieux de son savant livre. Livre II, p. 210-240. V. Steph. Byz., v. Γέργις.

À la même époque appartiennent les χρησμοι et xαθαρμοί d’Abaris et son merveilleux voyage dans les airs sur une flèche. (Hérodote, IV, 36).

Epimenidês aussi composa des xαθαρμοί en vers épiques ; sa γένεσις des Κουρήτων et des Κορυβάντων, et ses quatre mille vers sur Minos et Rhadamanthe, s’ils avaient été conservés, nous auraient entièrement fait pénétrer dans les idées du mysticisme religieuxrégnant à cette époque et se rapportant aux antiquités de la Grèce. (Strabon, X, p. 474 ; Diogen. Laët., I, 10.)

Parmi les poèmes attribués à Hésiode on comprenait non seulement la Melampodia, mais encore des έπη μαντιxά et des έξηγήσεις έπί τέρασιν. Pausanias, IX, 31, 4.

[61] Entre autres preuves de cette ressemblance générale, on peut citer une épitaphe de Callimaque pour une prêtresse âgée, qui passa du service de Dêmêtêr à celui des Kabyres, puis à celui de Kybelê, et qui avait la surveillance sur beaucoup de jeunes femmes. Callim., Epigr. XLII, p. 303, éd. Ernest.

[62] Plutarque (Defect. Oracul., ch. X, p. 415) parle de ces contrées comme du siége primitif du culte des démons (complétement ou en partie méchants, et intermédiaires entre les dieux et les hommes), et de leurs cérémonies religieuses, comme ayant un caractère correspondant : selon lui, les Grecs empruntèrent d’elles et la doctrine et les cérémonies.

[63] Strabon, VII, p. 297. Platon (De Legg., X, pp. 909, 910) prend beaucoup de peine pour restreindre cette tendance qu’avaient les personnes malades ou souffrantes, particulièrement les femmes, à introduire de nouveaux rites sacrés dans sa cité.

[64] Hérodote, I, 146. Les épouses des premiers colons ioniens à Miletos étaient des femmes kariennes, dont ils massacrèrent les maris.

Les violences du culte karien sont attestées par ce que dit Hérodote des Kariens établis en Égypte, lors de la fête d’Isis à Busiris. Les Égyptiens, à cette fête, manifestaient leurs sentiments en se battant eux-mêmes, les Iiarieus en se coupant le visage avec des couteaux (II, 61). La Καρεxή μοΰσα devint proverbiale pour les lamentations funèbres (Platon, Legg., VIII, p. 800). Les effusions et les démonstrations exagérées de douleur au sujet des morts, accompagnées parfois de lacération et de mutilation, que s’infligeait celui qui les pleurait, étaient un trait caractéristique des Asiatiques et des Égyptiens, si on les compare avec les Grecs. (Plutarque, Consolat. ad Apollon., c. 22, p. 123.) Les sentiments de tristesse étaient, en effet, une espèce de profanation delafêtequiappartenaitprimitivement et réellement à la Grèce, et qui était lute époque de joyeux accord et de commune allégresse, que l’on croyait partagés par le dieu (εύφροσύνη). V. Xénophane ap. Aristot. Rhétor. II, 25 ; Xénophane, Fragm. 1, éd. Schneidewin ; Théognnis, 776 ; Plutarque, de Superstit., p. 169. Les commentaires défavorables de Denys d’Halicarnasse, en tant qu’ils se rapportent aux fêtes de la Grèce, ont trait aux altérations étrangères, non au caractère primitif du culte grec.

[65] Le Lydien Hêraklês était imaginé et adoré comme un homme vêtu d’habits de femme : cette conception se rencontre souvent dans les religions asiatiques. Mencke, Lydiaca, c. 8, p. 22. Aristid., Or., IV, 28 ; Eschyle, Fragm. Edoni ap. Aristoph. Thesmoph. 135.

[66] Mélampe guérit les femmes (frappées de folie par Dionysos, pour résistance à ses rites), παρατωάτους τούς δυνατωτάους τών νεανίων μετ̕άλαλαγμού xαί τινος ένθέου χορεας. Apollodore, II, 2, 7. Cf. Euripide, Bacch., 861.

Platon, (Legg., VII, p. 790) donne une théorie semblable de l’effet curatif des rites des Korybantes, qui guérissaient les terreurs vagues et inexplicables de l’âme au moyen de la danse et de la musique unies à des cérémonies religieuses — αί τά Κορυβάντων ίάματα τελοΰσαι (celles qui les pratiquaient étaient des femmes) ...

[67] On en trouve la description dans les Bacchze d’Euripide (140, 735, 1135, etc.). Ovide, Tristes, IV, l. 41. Utque suum Bacchis non sentit saucia vulnus, cum furit Edonis exululata jugis. Dans un fragment du poète Alkman, Lydien de naissance, les Bacchantes sont représentées comme trayant la lionne, et de son lait faisant du fromage, pendant leurs excursions et leurs fêtes sur la montagne. (Alkman, Fragm. 14, Schn. Cf. Aristide, Orat., IV, p. 29.) Clemens Alexand., Admonit. ad Gent., p. 9, Sylb. ; Lucien, Dionysos, c. 3, t. III, p. 77, Hemsterh.

[68] V. le conte de Skylês, dans Hérodote, IV, 79, et Athénée, X, p. 445. Hérodote rapporte que les Scythes abhorraient les cérémonies bachiques, parce que le délire qui les accompagrait leur paraissait honteux et horrible.

[69] Plutarque, de Isid. et Osir., c. 69, p. 378 ; Schol. ad Aristoph., Thesmoph. Il y avait cependant des cérémonies bachiques pratiquées dans une certaine mesure par les femmes athéniennes (Aristophane, Lysist., 388).