DE LA MORALE DE PLUTARQUE

 

CHAPITRE II. — EXPOSITION CRITIQUE DE LA MORALE DE PLUTARQUE.

 

 

§ I. — LA VIE DOMESTIQUE.

Ce n’est pas pour la régularité d’une gradation factice que nous commençons par l’étude de la vie domestique l’exposition critique de la morale de Plutarque. La vie domestique est la forme sous laquelle il conçoit tous les rapports des hommes entre eux[1] ; la famille est son centre d’observation, sa lumière ; il va chercher dans le cœur du fils, du pire, de l’époux, le secret des résolutions ou des émotions du citoyen[2] ; les grandes scènes historiques qu’il décrit sont mêlées de traits empruntés à la vie privée de ses héros ; le gynécée forme le fond de plusieurs de ses tableaux. Il veut qu’au milieu des épreuves de la vie, le foyer domestique soit pour tous ceux qu’il rassemble, un asile et comme un sanctuaire inviolable. Il aime à en agrandir le cadre ; à côté de ceux qui en sont les membres naturels, il y fait place aux amis ; devançant même le sentiment moderne, il y comprend les esclaves et jusqu’aux animaux. Il ne conçoit pas de jouissance plus pure que celle des sentiments que les affections de famille inspirent. Se retrouver hors de ce monde, avec un père, une tendre mère, une épouse bien-aimée, est le suprême bonheur dont il aime, suivant l’expression de Platon, à s’enchanter[3]. Aussi n’est-il pas un seul de ses ouvrages qui ne soit semé de réflexions sur les rapports mutuels du mari et de la femme, des parents et des enfants, des maîtres et des esclaves, des frères, des amis. Il avait, en outre, consacré particulièrement un certain nombre de Traités à l’amour, au mariage, à la tendresse des pères et des mères pour leur progéniture, à l’affection fraternelle, à l’amitié, à l’éducation des jeunes gens ; si bien, qu’à l’aide de ces réflexions éparses et de ces Traités spéciaux, on peut, prenant avec lui la famille à son origine, l’embrasser dans son ensemble et la suivre dans ses développements.

C’est ce tableau que nous allons essayer d’esquisser. Nous en rassemblerons d’abord les traits essentiels, nous réservant, après cet exposé, d’indiquer les comparaisons qu’il suggère avec les moralistes antérieurs ou contemporains, et de tirer les conclusions.

Pour apprécier l’œuvre d’un moraliste, il importe de connaître l’état de la société à laquelle s’appliquent ses observations ; et il semblerait que Plutarque dût être riche en renseignements de toute sorte sur la société de son temps. Mais, aussi discret sur le compte des autres que sur lui-même, le sage de Chéronée n’aime point à mettre ses concitoyens en scène. C’est de la mythologie et de l’histoire qu’il tire ses exemples, et là où il s’autorise de faits accomplis sous ses yeux, il ne désigne point ceux qui lui en fournissent la matière ; on ne relèverait pas, dans tous ses traités, plus de cinq ou six noms propres.

Telles qu’elles sont, ces rares allusions, s’il fallait en admettre l’exactitude, feraient peu d’honneur au monde auquel elles se rapportent. A l’en croire il n’y aurait plus d’autre garantie de l’union conjugale que la crainte des lois, et l’on ne se marierait plus que par calcul : les hommes, pour avoir des enfants et pour jouir du douaire de leurs femmes qu’ils confineraient dans les plus basses fonctions de l’administration domestique ; les femmes, pour se livrer impunément à leur goût de luxe et de plaisir[4]. L’amitié fraternelle serait devenue un phénomène. Autrefois, on citait, comme des exceptions coupables, les exemples de haine entre frères ; on les mettait au théâtre, on en faisait des tragédies ; aujourd’hui on en pourrait faire sur le sentiment contraire : l’amour de deux frères cause autant de surprise que jadis la rencontre de ces molionides dont les deux corps étaient, dit-on, étroitement unis... On nourrit des chiens dangereux, des chevaux, des loups-cerviers, des chars, des singes, des lions, et on ne pardonnerait pas à un frère sa colère, son ignorance ou son ambition... On donne à la première venue des terres ou des maisons, et on s’arrache les lambeaux de l’héritage paternel, comme, à la guerre, le butin : tels Chariklès et Antiochus d’Opunte qui, dans le partage d’une succession, brisèrent un vase et déchirèrent un habit, pour en emporter chacun un morceau ; tel Zénon qui, après avoir dissipé une grande partie du patrimoine commun, vola son frère Arthénodore sur la part que celui-ci lui avait laissé de son bien propre[5]... Le sentiment de l’amitié n’a pas moins dégénéré. Il n’y a plus que des amitiés de table, de jeu et de débauche. On aime ses amis pour soi, non pour eux, pour l’intérêt qu’on tire de leurs avantages de naissance ou de fortune, non pour celui qu’on prend à leur progrès dans la vertu ; on profile de leurs faiblesses et de leurs vices, au lieu de les aider à se corriger[6]. Enfin l’éducation des enfants est dirigée avec mollesse et présomption. Toutes les vertus de famille, en un mot, sont méconnues ou négligées.

Il ne faut ni s’étonner ni s’effrayer de ce que ce tableau a de peu séduisant. Ce n’est pas, en général, le défaut des moralistes de flatter la société qu’ils se proposent de réformer. Plutarque, si réserve qu’il soit, ne pouvait se dispenser de laisser entendre que ses conseils n’étaient pas superflus. Toutefois, en réalité, l’expression des regrets que nous venons de relever se perd dans le développement des préceptes auxquels ils servent de point de départ et de fondement. Entrons donc dans l’analyse des préceptes. C’est de là que nous pouvons tirer sur l’état des mœurs de véritables lumières.

La prêtresse Cérès, écrivait Plutarque à deux jeunes époux, tous deux ses anciens élèves, vous a, conformément à la loi du pays, enfermés dans la chambre nuptiale ; laissez-moi, à mon tour, me mêlant à la fête, vous adresser, suivant l’esprit de cette loi, des conseils propres à cimenter votre union. La morale, dans cette multitude de règles qu’elle donne aux hommes, en a de particulières pour le mariage, et qui ne sont point les moins importantes. J’ai dos e recueilli les différents préceptes que vous avez reçus de moi, lorsque je vous enseignais la philosophie, et je les ai réunis en quelques articles assez courts et par là même faciles à résumer. Je vous les envoie à tous deux comme un présent commun, après avoir d’abord prié les Muses d’accompagner Vénus auprès le vous et de la seconder[7]. Nous supposerons que, non content de dicter au jeune couple les règles des devoirs et des sentiments qui doivent les attacher ‘un à l’autre, il les éclaire sur la conduite à tenir envers tous ceux dont il a marqué la place au foyer domestique : parents, amis, serviteurs, enfants ; nous chercherons à donner ainsi une idée de ce que pouvait être une famille païenne, au premier siècle de l’ère chrétienne.

Plutarque a-t-il connu le sentiment de l’amour ? A lire quelques-unes des pages du Dialogue qu’il a consacré à en analyser le caractère, on ne serait pas sans raison pour le croire. De son temps encore, on contestait dans les écoles que la femme fût capable, et digne d’inspirer à l’homme une passion véritable. Oui, disait-on, l’union conjugale est nécessaire à la propagation de l’espèce, et les législateurs font bien d’en exalter l’excellence aux yeux de la foule ; mais d’amour vrai, il n’en existe pas l’ombre dans le gynécée : l’homme n’a pas plus d’amour pour la femme, que n’en a la mouche pour le lait, l’abeille pour le miel, l’engraisseur ou le cuisinier pour les veaux et les oiseaux qu’il tient enfermés dans quelque coin obscur, afin de les faire profiter... Ce grossier langage blessait Plutarque. Il se refuse à reconnaître l’amour dans la passion contre nature, fille des ténèbres et du désordre, née d’hier et qui s’est clandestinement glissée dans les gymnases ; et il prend la défense de la femme avec une éloquente vivacité. Quoi donc, dit-il, il n’est personne qui ne soit d’accord sur ce point, que la beauté est la fleur de la vertu, et les femmes qui portent cette fleur précieuse ne produiraient pas la vertu qui en est le fruit ? Qu’elles ne possèdent pas certaines qualités, la magnanimité, la justice, au même degré, ni de la même façon que les hommes, il est vrai ; toujours est-il qu’elles les possèdent... Quant à l’amour, c’est précisément le don qui leur est propre ; et cette tendresse d’âme est encore relevée chez elles par l’attrait du visage, par la douceur de la parole, par la grâce caressante, par la sensibilité plus vive dont les a douées la nature[8]. On le voit, Plutarque ne parait étranger à aucun des sentiments délicats de l’amour. Ailleurs, s’inspirant des plus belles pages de Platon et de Ménandre, il décrit, non sans charme, les troubles profonds, les secrètes tortures, la force indélébile de la passion ; et transporté par ces pensées jusque dans les régions sereines où l’amour n’est plus que la chaste confusion de deux âmes, il le dépeint purifiant le cœur même des courtisanes. Comment oublier enfin la gracieuse anecdote qui nous le montre allant, quelque temps après son mariage, dans le temple de Thespie, offrir avec sa femme, pour sceller leur union, un sacrifice à l’Amour[9] ?

Cependant ce n’est pas sous le riant aspect du plus tendre des sentiments que Plutarque fait envisager le mariage à ses élèves. Sur le seuil de la chambre nuptiale, l’occasion était belle de faire briller devant des imaginations s’ouvrant à la vie toutes les illusions du bonheur que l’on rêve à vingt ans. Plutarque, sans doute, n’en détourne pas les regards de Pollianus et d’Eurydice. Mais la pensée du sage moraliste e-ci préoccupée d’un plus sévère objet. Lien naturel et doux entre tous[10], lien dans lequel il faut chercher à engager tous ceux que l’on aime[11], le mariage est surtout, à ses yeux, un engagement austère, et c’est par le sentiment du devoir, qu’il voudrait enchaîner l’un à l’autre les jeunes époux.

L’égalité morale du mari et de la femme fondée sur la réciprocité de l’affection, tel est point de départ de ses conseils. Comme des nœuds tirent leur force de ce qu’ils s’enlacent l’un dans l’autre, dit-il, ainsi l’union conjugale se fortifie par le concert des âmes. Les médecins prétendent que, dans les coups que l’on reçoit, il y a répercussion de la gauche à la droite ; de même, la femme doit ressentir tout ce que ressent son mari, et inversement... Les anciens plaçaient les statues de Mercure auprès de celles de Vénus, dit-il ailleurs, pour faire entendre que les joies du mariage ont besoin du secours de l’éloquence. Ils y joignaient celles des Grâces, pour enseigner aux époux qu’ils ne doivent rien obtenir l’un de l’autre par les querelles et les disputes, mais par la seule persuasion[12]. C’est en vue de créer et de maintenir cette mutuelle sympathie[13], qu’il trace à ses pupilles la règle de leurs obligations respectives.

S’adressant d’abord à la femme, il commence par l’affermir doucement contre les premières difficultés du mariage[14]. Une des plus graves, il l’en prévient, c’est l’ingérence de sa belle-mère ; mais il lui montre que, par certaines habiletés de bon aloi, en témoignant à la mère, et, en général, aux parents de son mari plus d’égards, plus de confiance même qu’aux siens propres, elle triomphera aisément d’une jalousie dont le fond, après tout, est respectable[15]. Quant à son mari, pour gagner et s’assurer son amour, il veut que, dès le premier jour, elle ne compte que sur la séduction de ses qualités. Or, à ses yeux, la première qualité d’une femme, c’est la subordination. Vouloir mener son mari, dit-il, et l’efféminer pour en être le maître, plutôt que de lui obéir sagement, c’est faire comme ceux qui aimeraient mieux conduire un aveugle que de suivre un homme muni de ses deux veux et sachant son chemin[16]... Dans un concert où deux voix se marient, c’est la voix grave qui domine ; de même, dans un ménage bien réglé, tout se fait d’un commun accord entre le mari et la femme, mais sous la direction et par le conseil du mari[17]... Le mélange du vin et de l’eau, lors même que l’eau est en quantité plus grande, conserve le nom de vin[18]... Une femme s’honore par son obéissance. Plutarque demande plus encore. Il fait consister la gloire et la force de la femme dans la simplicité et l’oubli de soi[19]. La Vénus d’Élide foulait aux pieds une tortue, dit-il, pour signifier qu’une mère de famille doit se tenir dans la maison, ne point chercher à briller au dehors, n’avoir d’autres amis, d’autres dieux que son mari, et ne pas trouver mauvais si, comme un joueur de flûte, elle ne se fait entendre que par l’intermédiaire d’un organe étranger[20]... Un miroir, fût-il enrichi d’or et de diamants, est infidèle et mauvais, lorsqu’il donne un air triste à un visage gai et une physionomie riante à un visage sérieux ; une femme n’est pas moins disgracieuse, si elle montre de la mauvaise humeur, quand son mari est en disposition de s’amuser, ou si elle s’occupe de plaisirs, lorsqu’il est en affaires[21]. Est-il violent ? elle laissera tranquillement tomber sa colère ; l’orage passé, elle ira au-devant de lui, proposera des explications, et ne craindra pas d’appeler Vénus à son aide : toute querelle doit expirer sur le seuil de la chambre nuptiale[22]. Alors même que, dans un moment d’oubli coupable, il se laisserait aller à la débauche, elle doit dissimuler et se dire que c’est par respect pour elle qu’il porte, hors de la maison conjugale, ses mauvaises passions[23]. Que gagnerait-elle d’ailleurs à se plaindre ? la commisération ironique de ses voisines et rien de plus.

A ce fonds solide de la vertu, Plutarque voudrait que l’épouse joignit l’aménité qui en fait le charme. Solon avait prescrit qu’une femme, avant de s’unir à son mari, mangeât de la pomme de coing : c’est un symbole de la douceur qu’elle doit mettre dans ses paroles. — Plus une femme est vertueuse, ajoute-t-il, plus elle doit sacrifier aux Grâces : l’humeur rend la vertu désagréable, de même que la malpropreté fait haïr l’économie : une bonne mère de famille rejettera les ornements frivoles, mais elle s’attachera à charmer son mari par l’agrément de son commerce et par l’amabilité de son caractère[24].

Les obligations de la femme, telles que Plutarque les établit, sont donc étroites et délicates ; elles la mettent nettement sous la dépendance du mari ; mais cette dépendance n’est point sans réserves pour sa dignité, ni sans garanties pour son bonheur.

Remarquons d’abord qu’en plaçant l’oubli de soi au premier rang parmi les qualités que l’épouse doit apporter dans le ménage, Plutarque ne croit pas lui attribuer la plus mauvaise part. Dans le mariage, dit-il, reprenant le mot d’Aristote sur l’amitié, c’est un plus grand bonheur d’aimer que d’être aimé[25]. Ce qui rétablit, au surplus, cette égalité morale qu’il a posée en principe, c’est que, rendant le mari responsable des causes de désunion[26], il entend qu’il donne l’exemple de toutes les vertus[27], qu’il n’use qu’avec douceur de son autorité[28], qu’il s’interdise à lui-même toute espèce de luxe, — vaisselle dorée, chevaux et mules richement caparaçonnés[29], — qu’il respecte la pudeur de sa femme[30], qu’il partage avec elle tout ce qu’il possède de meilleur, qu’il la fasse participer même à son instruction, à sa sagesse[31]. Plutarque avait écrit un traité spécial sur l’éducation des femmes[32] ; et nous voyons qu’il ne craignait de les initier à aucune des connaissances mathématiques, astronomie philosophie[33], — qui pouvaient élever leur pensée au niveau de celle de l’homme. Pour mieux assurer à l’épouse cette place aimée et respectée qu’il lui fait dans la famille[34], non seulement il veut que, donnant à tous ceux qu’elle a portés d’ans son sein la première nourriture, elle soit tout à fait, suivant l’heureuse expression d’un de ses disciples, la mère de ses enfants[35] ; mais des soins du corps il étend sa sollicitude à la direction de l’intelligence ; il l’associe à l’œuvre, délicate entre toutes, de l’éducation. Véritable intimité de cœur et d’esprit, que l’honnête et aimable moraliste ne propose pas comme un idéal, mais comme la règle, accessible à tous, de la vie domestique. C’est dans l’accomplissement de ces communs devoirs et dans la commune satisfaction qui en est la récompense, qu’il nous montre le bonheur conjugal se perpétuant, toujours nouveau, toujours jeune, sous les rides et les cheveux blancs, jusqu’aux portes du tombeau[36]. On ne saurait présenter, sous une forme plus gracieuse et plus pure, un plus solide et plus charmant tableau.

L’union conjugale établie sur cette base, Plutarque forme tout autour comme un rempart de tendresse et de dévouement, avec les parents, les amis et les serviteurs.

Et d’abord, bien loin de rompre les habitudes d’affection qui attachent chacun des jeunes époux, le mari particulièrement, à sa propre famille, il en fait ressortir les avantages, il voudrait en resserrer les liens sacrés[37].

De tous les trésors que les parents peuvent léguer à leurs enfants, dit-il, il n’en est pas de plus précieux qu’un frère : c’est un ami donné par la nature, un ami que nul ne supplée, qu’une fois perdu, nul ne remplace... Le devin d’Arcadie, dont parle Hérodote, fut obligé de se l’aire un pied de bois à la place de celui qui lui avait été coupé : un frère qui, se brouillant avec son frère, va chercher, sur la place publique ou au gymnase, un étranger qui lui en tienne lieu, ressemble à un homme qui se couperait : volontairement un membre vivant pour s’en donner un postiche[38].

Qu’il se trouve de mauvais frères ; que trop souvent les inimitiés fraternelles soient implacables, il ne l’ignore pas[39] ; mais il n’est point, à son sens, de fâcheux sentiments qui ne cèdent à la persévérance des témoignages d’une affection sincère. Ce qu’il conseille, pour arriver à ce but, c’est que, dès l’enfance, les fières s’accoutument à se ménager, à se soutenir les uns les autres auprès de leurs parents toujours disposés à pardonner quelque ruse de tendresse, quelque honnête mensonge[40]. Le moment venu de partager la succession paternelle, partage qui, trop souvent, suivant la forte expression de Montaigne[41], destrempe et relascne cette soudure fraternelle, il les adjure de laisser en commun, s’il est possible, la jouissance des biens héréditaires, ou de rester, du moins, fidèlement unis. De tous les ferments de discorde, le plus actif, il le sait, c’est la jalousie[42] ; et l’inégalité, qui est la source la plus commune de la jalousie, est chose impossible à empêcher absolument[43]. Parvînt-on à assurer entre deux frères l’égalité de la fortune, comment établir celles de l’intelligence et de l’âge[44] ? Mais pour atténuer le sentiment de ces différences inévitables, Plutarque compte sur les procédés d’une loyauté réciproque et d’une mutuelle condescendance. Êtes-vous le mieux doué par la nature, dit-il ? faites, pour ainsi dire, participer votre frère à cette supériorité, en relevant chez lui, avec une bonne grâce affectueuse, les qualités qui lui sont propres[45] ; ayez l’air de ne jamais agir, sans l’attendre ou le consulter ; donnez-lui délicatement à entendre qu’entre les doigts de la main, celui qui ne touche pas les cordes de l’instrument n’est pas pour cela moins utile que les autres et que chacun fait son office[46]... Êtes-vous le plus jeune, soyez pour votre aîné plein d’attentions[47]... Point de querelles surtout : les petites mésintelligences engendrent les grandes discordes. On s’échauffe d’abord pour des combats de cailles ou de coqs, pour des chiens ou des chevaux, et bientôt les différends naissent sur de plus grands objets. Si un dissentiment sérieux vient à éclater, hâlez-vous d’y mettre fin, et s’il s’est produit de part ou d’autre quelque offense, souvenez-vous qu’il n’y a pas moins de mérite à demander qu’à accorder le pardon[48]. Lorsque la mésintelligence se prolonge, allez trouver la femme de votre frère : elle saura bien aviser aux moyens de remettre la paix[49].

Plutarque, avec une grande finesse de sens, se défie de l’ingérence de la femme dans les questions d’argent ou d’ambition[50] ; mais il compte sur son intervention aimable pour tenir le frère rapproché du frère[51] ; c’est par elle qu’il voudrait les introduire clans l’intimité domestique l’un de l’autre, les intéresser réciproquement à la direction de leurs affaires, de leurs serviteurs, de leurs enfants[52].

De cette étroite affection dépendent, à ses yeux, la force et l’union des familles, et il y attache par surcroît les joies plus douces. Il oppose les maisons où les frères, assis à la même table, jouissent des mêmes amis, des mêmes biens, des mêmes esclaves, des thèmes autels, à celles où ils ne peuvent se rencontrer ou s’entendre, sans rougir de honte ou pâlir de colère[53] ; il se plait à décrire le spectacle de cette aimable concorde ; il lui donne pour fondement la piété ; filiale. Que des enfants maltraitent un esclave estimé de leur père ou de leur mère, dit-il avec bonhomie, qu’ils négligent des plantes qui étaient l’objet de leurs soins, qu’ils brutalisent un cheval qu’ils aimaient, ces bons vieillards en sont affligés ; il leur est même pénible de les entendre tourner en ridicule les chants et les jeux qu’ils ont connus dans leur enfance : peuvent-ils donc les voir avec indifférence se haïr, s’outrager, ne chercher qu’à se nuire ? Au contraire, lorsque deux frères s’aiment sincèrement, lorsque, séparés de corps, ils ne font qu’un par le cœur, et mettent tout en commun, affections, travaux, plaisirs, projets, alors, ils assurent à leurs parents la plus heureuse des vieillesses ; car il n’est point de père qui aime la science, les honneurs et les richesses autant qu’il chérit ses enfants ; il n’en est point qui n’ait moins de plaisir à les voir éloquents, riches et élevés en dignités, qu’unis entre eux par une amitié véritable[54]. Poussant plus loin encore le développement de cette pensée touchante : manquer d’affection pour un frère, dit-il, c’est manquer de respect à ceux qui lui ont donné le jour, et le mépris de l’autorité paternelle est une impiété[55]. Sentiment remarquable par son énergie tempérée de tendresse, et où l’on retrouve, confirmé par une inspiration du cœur, le principe toujours respecté de la religion antique, qui tenait unis autour du même foyer, par la communauté des sacrifices, du culte et de la sépulture, tous les membres d’une même famille[56].

Bien qu’occupant dans l’ordre des affections un rang inférieur au frère, l’ami, frère choisi et volontairement ajouté, pour ainsi dire, à la famille, n’est pas, aux yeux de notre moraliste, d’une moindre assistance pour le bonheur du foyer domestique[57]. Le but de l’amitié, dit-il avec une vigueur familière, dans le Traité intitulé Du grand nombre des amis, c’est d’enchaîner, de coller, en quelque sorte, les cœurs l’un à l’autre, comme on voit, selon le mot d’Empédocle, le lait coaguler en se caillant[58].

Partant de cette définition, Plutarque n’admet point, en principe, qu’il soit possible d’avoir un grand nombre d’amis. Les grandes amitiés dont nous parle l’histoire étaient un couple, répète-t-il après Aristote et Platon, et le titre d’autre soi-même qu’on donne à un ami, suppose que, dans l’amitié, on n’est pas plus de deux. Pour acquérir des amis d’ailleurs, ajoute-t-il, il faut être riche de bienveillance et de vertu, et c’est une monnaie rare. De plus, qui ne sait que toute affection qui se dissémine s’affaiblit ? C’est un fleuve dont on divise le cours[59]. Enfin, trois conditions lui paraissent indispensables pour former l’amitié véritable[60] : la vertu qui en fait l’honnêteté, l’intimité qui en fait le charme, l’utilité réciproque qui en est le lien. Or il nie qu’on puisse remplir ces trois conditions à l’égard d’un grand nombre de personnes à la fois[61].

Le raisonnement est absolu. Plutarque le soutenait-il avec cette rigueur dans le Traité qu’il avait, parait-il, spécialement consacré à l’amitié et que nous avons perdu[62] ? A vrai dire, son but ici parait surtout d’écarter de la famille les connaissances de jeu, de table et de place publique, qui, comme les mouches de cuisine, s’abattent sur les maisons opulentes et disparaissent comme elles, aussitôt qu’elles ne trouvent plus rien à picorer[63] et en réalité, il demande non qu’on n’ait qu’un seul ami mais qu’on en ait un entre tous[64].

Ce qui le préoccupe, au surplus, pour la sécurité du foyer domestique, c’est moins encore le danger des amitiés trop nombreuses que celui des fausses amitiés ; des divers Traités qu’il a écrits sur l’amitié, le plus important est celui où il s’attache à démontrer les moyens de distinguer le flatteur de l’ami.

Les traits qui, à ses yeux, caractérisent particulièrement le dévouement de l’ami, sont le penchant à conformer ses vues et ses goûts aux vues et aux goûts de celui qu’il aime, le désir de lui plaire, le zèle à l’obliger[65] ; il examine le flatteur dans chacune de ces situations[66], et compare son attitude à celle de l’ami avec une piquante sagacité. Nous emprunterons quelques traits au dernier de ces parallèles.

Parfois un ami, dit-il, vous rencontre sans vous rien dire, sans qu’on lui dise rien ; de part et d’autre, on échange un regard de connaissance, un sourire, et l’on passe : le flatteur, du plus loin qu’il vous aperçoit, accourt, s’empresse, vous tend la main, et si vous l’avez prévenu, s’excuse avec force protestations et serments... — L’ami, dans ses procédés habituels, ne se pique pas d’une exactitude scrupuleuse, il ne se jette pas à votre tête pour vous rendre de bons offices : le flatteur, toujours sur vos épaules et vous accablant, vous harcelant, ne laisse à personne autre ni place ni temps pour vous servir ; il veut qu’on lui demande tout, sinon il se fâche, que dis-je ? il se désole, il se désespère... — L’ami ne s’associe à aucune entreprise, sans en avoir mûrement apprécié la convenance ; laissât-on au flatteur le temps de réfléchir avant de se décider, ne songeant qu’à faire sa cour, il s’offre aussitôt, dans la crainte de paraître froid... — L’ami est comme l’animal : c’est par le cœur qu’il vaut ; il n’aime pas les démonstrations ; semblable au médecin qui guérit son malade en lui laissant ignorer par quel remède, il suit vos affaires, paye vos dettes, sans que vous soupçonniez d’où le salut est venu : le flatteur toujours en eau, en haleine, crie, s’agite, parle de ses courses et de ses fatigues, si bien qu’on est tenté de lui dire : en vérité, il n’y avait pas de quoi vous faire tant de mal !.... — L’ami, pour rendre un service utile et honnête, n’épargne rien, ni dépense, ni peine ; il s’exposera lui-même au danger, s’il le faut ; mais ce qu’on lui demande est-il malhonnête ? il prie qu’on le dispense : le flatteur, au contraire : est-il question d’une entreprise honorable, mais dangereuse, il a toujours quelque raison pour se dérober ; comme un vase fêlé qu’on frappe pour t’éprouver, il sonne creux ; mais s’agit-il de démarches basses, c’est son affaire : on peut le charger de faire mauvaise mine à un beau-père, à une femme légitime que l’on veut mettre à la porte ; il n’aura point de scrupule... — L’ami n’a rien de plus à cœur que de vous faire ses amis de tous ceux qui vous connaissent : le flatteur, qui craint le voisinage d’un ami véritable et sent le danger de la comparaison, fait comme ce peintre qui, ayant exposé un mauvais tableau de coqs, avait aposté un esclave pour écarter les coqs vivants ; s’il ne peut arriver directement à éloigner les amis sincères, tandis qu’il se montre rampant et caressant en leur présence, il sème en arrière la calomnie... Ne dût-il pas triompher sur-le-champ, il se rappelle la pratique de Medius, le coryphée des flatteurs d’Alexandre, qui poussait ses suppôts à mordre, disant, qu’alors même que la plaie pût se guérir, il en resterait toujours la cicatrice[67]...

Multipliez ces oppositions ; à chacune d’elles ajoutez une anecdote qui l’éclaire, un trait d’histoire qui la justifie, et vous aurez une idée de ce jeu d’antithèses, un peu long parfois sans doute, mais dont le développement ne laisse pas d’être instructif et intéressant.

Aussi Plutarque semble-t-il craindre d’avoir dépassé le but. En dévoilant les complaisances de la fausse amitié, n’aurait-il pas trop poussé l’amitié véritable à une franchise sans mesure ? Il a commencé, il est vrai, par nous prémunir contre cet entraînement. Un des capitaines du roi Darius, le vaillant Gobrias, se trouvait aux prises avec le Mage, qui, en fuyant, était tombé dans une chambre obscure où il l’avait entraîné dans sa chute ; voyant que Darius, qui le suivait, craignait de frapper lu Mage, de peur de le tuer du même coup, il lui cria d’aller hardiment, dût-il les atteindre tous les deux. Pour nous, ajoute Plutarque, — qui ne saurions approuver cette maxime détestable : Périsse l’ami, pourvu qu’avec lui l’ennemi périsse !nous nous garderons bien, en perçant le cœur du flatteur, de toucher celui de l’ami[68]. La réserve était sage. Se défiant toutefois et non sans raison de ceux qui, semblables aux jardiniers maladroits, dont tout le savoir consiste à plier en sens contraire les arbres qu’ils veulent redresser, n’échappent à un défaut que par un autre défaut[69], il se retourne vers eux avant de conclure, pour les mettre en garde contre les excès d’une sincérité blessante.

Il demande donc à l’amitié que son langage soit pur de toute malice, l’ironie irritant la plaie faite par la vérité ; qu’il soit désintéressé, c’est-à-dire qu’on n’y sente jamais l’expression d’une rancune ou d’une plainte ; que, pour glisser le reproche, elle profite d’un moment d’épanouissement, d’une occasion d’éloge, d’une anecdote ; qu’au besoin même, elle use de détour ; qu’elle n’ait jamais l’air de croire à la gravité du mal qu’elle révèle, qu’elle n’humilie jamais ceux qu’elle prétend corriger, rien n’étant moins convenable, par exemple, que de découvrir les fautes d’un mari devant sa femme, d’un père devant ses enfants, d’un maître devant ses disciples[70] ; qu’elle sache pardonner les petites foutes et n’ouvrir les yeux que sur les grandes ; surtout qu’elle prêche toujours d’exemple. Enfin, règle générale, la guérison que la franchise procure étant souvent douloureuse, l’ami doit imiter le chirurgien, qui, après l’amputation d’un membre, n’abandonne pas le malade à ses souffrances, mais adoucit ses plaies par des fomentations ; la franchise ne saurait se passer des témoignages d’une réelle tendresse[71].

Tel est le rôle que Plutarque trace à l’amitié entre les Philinte et les Alceste, entre les complaisances de la flatterie qui en dénaturerait le sentiment et les âpretés de la franchise outrée qui en détruirait le charme : ardeur sans vain empressement, sincérité sans rudesse, telles sont les deux conditions du bien qu’il en attend.

A côté des amis et des flatteurs, la famille peut compter des hôtes ou des voisins plus redoutables que les flatteurs par le nom qu’ils portent, mais presque aussi désirables que les amis, à cause des services qu’ils rendent, contre leur gré sans doute, mais qu’en fin de compte ils rendent. Antisthène disait que pour être homme de bien, il fallait avoir ou des amis sincères ou des ennemis ardents[72]. Selon Plutarque, les ennemis ne sont pas moins nécessaires que les amis, et les uns rendent les autres inévitables : qui n’a point d’ennemis n’a point d’amis.

Le secret est donc de tirer de ces inimitiés un parti honnête[73]. Or ce que la haine semble avoir de dangereux est précisément ce qui, d’après notre moraliste, peut la rendre utile. En effet, qu’est-ce qu’un ennemi ? se demande-t-il. C’est un homme qui a toujours les yeux sur nous, qui tourne sans cesse autour de notre vie, cherchant l’occasion de nuire. Son œil ne pénètre pas, comme celui de Lyncée, les arbres et les pierres ; mais il nous voit à travers nos esclaves et nos amis, à travers tous ceux qui nous fréquentent. Nos maladies, nos dettes, nos querelles domestiques lui sont mieux connues qu’à nous même. Pour nous aider à contenir nos passions quel secours plus précieux que cette vigilance hostile[74] ? Un ennemi de Prométhée le Thessalien l’ayant frappé de son épée pour le tuer, perça du coup un abcès dont il souffrait, et lui sauva la vie[75] ; tel est souvent l’effet de la malveillance : elle nous révèle des maux que nous ne connaissions pas ; et dès que ces maux nous ont été découverts, est-il un plus beau triomphe à remporter sur un ennemi que de s’améliorer, pour ainsi dire, sous son regard[76] !

Il est même des vertus, ajoute l’ingénieux observateur, dont ils nous rendent l’exercice plus facile. Une fois accoutumé à écouter en silence les injures d’un ennemi, on souffre plus aisément les emportements d’une femme, on entend sans colère les paroles offensantes d’un frère ou d’un ami. Pour Socrate, la mauvaise humeur de Xantippe était une école de patience. Que dire des avantages que produit tôt ou tard l’exercice des vertus pratiquées envers un ennemi ? Comment ne pas estimer, ne pas aimer un homme qui, non content de pardonner à celui qui lui a fait du mal et dont il pourrait vouloir se venger, lui tend la main, et se dévoue à ses intérêts, comme il ferait des siens[77] ?

Faute de mieux, enfin, les ennemis peuvent être un dérivatif utile pour les mauvaises passions. Les bons jardiniers, pour rendre leurs fleurs plus belles et plus odoriférantes, plantent dans le voisinage de l’ail et des oignons qui attirent les mauvais sucs de la terre ; ainsi peut-on détourner sur ses ennemis les sentiments qu’on n’est pas arrivé à réprimer en soi ? Tous les hommes sont sujets à l’envie, de même que toutes les alouettes ont une huppe sur la tête. Que ce soient nos ennemis qui souffrent seuls de notre envie : déchargeons-nous sur eux de cette détestable passion ; excitons-la même contre eux, afin de l’épuiser tout entière : qu’ils nous servent comme dégoûts qui l’entraînent[78].

Singulier précepte assurément, et sur lequel nous aurons à revenir ; mais à vrai dire, dans le développement qui l’amène, s’il arrête et étonne, il ne blesse point. Tant on sent bien qu’il ne fait que compléter l’ensemble des mesures préventives par lesquelles Plutarque, travaillant à seconder le perfectionnement moral du chef de la famille, s’efforce d’assurer le repos du foyer domestique !

Cette pensée est plus sensible encore dans ses prescriptions à l’égard des serviteurs de la famille. Parmi ces serviteurs, j’ai nommé les esclaves et les animaux. C’est, en effet, un des caractères des préceptes de Plutarque relatifs à la vie domestique, que les animaux et les esclaves y tiennent une grande place, par les exemples qu’ils fournissent ou par les comparaisons dont ils sont la matière. Ils étaient évidemment l’un de ses thèmes d’observation favoris, et ces deux sujets offrent d’autant plus d’intérêt que la question de l’esclavage et celle de la raison des animaux étaient pour les moralistes contemporains un objet de controverse.

Ce qui rend d’ailleurs particulièrement piquante l’étude de l’opinion de Plutarque sur la question de l’esclavage, c’est qu’il semblerait qu’à ce sujet sa conduite n’ait pas toujours été d’accord avec ses sentiments.

Un sien esclave, raconte Aulu-Gelle[79], — j’emprunte ici la traduction de Montaigne[80], — un sien esclave, mauvais homme et vicieux, mais qui avoit les aureitles aulcunement abbreuvées des leçons de philosophie, ayant esté, pour quelque sienne faulte, dépouillé par le commendement de Plutarque, pendant qu’on le fouettoit, grondoit, au commencement, que c’estoit sans raison, et qu’il n’avoit rien faici. Mais enfin, se mettant à crier et injurier bien à bon escient son maître, luy reprochoit qu’il n’estoit pas philosophe, comme il s’en vantoit ; qu’il avoit sou-vent ouï dire qu’il estoit laid de se courroucer, voire qu’il en avoit faict un livre ; et ce que lors, tout plongé en la cholère, il le faisoit si cruellement battre, desmentoit entièrement ses escripts. A cela Plutarque tout froidement et tout rassis : Comment, dict-il, rustre, à quoy juges-tu que je sois, à cette heure, courroucé ? Mon visage, ma voix, ma couleur, ma parole te donne-t-elle témoignage que je sois esmu ? Je ne pense avoir n’y les yeulx effarouchez, n’y le visage troublé, n’y un cri effroyable : rougis-je ? escumé-je ? m’eschappe-t-il chose de quoi j’aye à me repentir ? tressauls-je, frémis-je de courroux ? car pour te dire, ce sont là les vrais signes de la cholère. Et puis, se destournant à celuy qui le fouettoit : Continuez, luy dit-il, toujours vostre besogne, pendant que cettuy-cy et moy disputons.

La scène est bien menée, et la couleur que lui donne la langue de Montaigne ajoute au naturel. Cet esclave raisonneur, jetant à la face de son maître les propos qu’il a saisis en écoutant aux portes, ce maître flegmatique entremêlant sa leçon de coups de fouet, forment un contraste saisissant. Montaigne sent à Aulius Gelius, non sans raison, beaucoup de bon gré de nous avoir laissé par escript ce conte des mœurs de Plutarque. Mais ce conte qu’Aulu-Gelle disait tenir de Taurus, son maître, est-il absolument exact ?

1lest incontestable que, dans aucun de ses ouvrages, Plutarque ne se montre contraire au principe de l’esclavage. Bien plus, de quelques-unes des observations contenues dans le Traité de la Colère auquel Aulu-Gelle fait allusion, il semble résulter, d’une part, qu’il ne s’est pas toujours conduit avec ses propres esclaves, comme il reconnaît qu’il aurait dû le faire ; d’autre part, que lorsqu’il a changé de procédés, ce n’est pas tout à fait un sentiment de commisération qui l’y a conduit. Si ce n’est pas sa propre histoire qu’il nous raconte dans les pages du Traité de la Colère, par la bouche de Fundanus, au moins prend-il à sa charge la responsabilité des principes qu’il approuve en les exposant. Or voici quels son les principes dont Fundanus se fait l’interprête. En usant de douceur envers ses esclaves, on craint d’être taxé de mollesse par sa femme ou par ses amis. Moi-même, cédant à la crainte de ces reproches, je me suis plus d’une fois laissé monter la tête contre eux..... J’ai fini par sentir, mais tard, qu’il valait encore mieux les rendre pires par son indulgence que de se donner à soi-même, en voulant lei corriger, des habitudes d’aigreur ou de violence[81]. Ainsi Fundanus s’accuse d’abord de s’être longtemps abandonné soit au mouvement de ses passions, soit aux excitations de son entourage ; et si depuis il a mis un frein à ses emportements, il l’a fait, moins pour épargner à ses esclaves de mauvais traitements, que pour s’épargner à lui-même des occasions de tomber en faute. Tel est si bien, sur ce point, le fond de sa pensée, qu’un peu plus loin, lorsqu’il flétrit au passage la sévérité de certains maîtres qui châtient brutalement leurs esclaves, il déclare que c’est surtout par le regret de voir des maîtres se livrer à un défaut aussi honteux que la colère[82]. Il développe même ce sentiment en continuant l’histoire de sa propre expérience. J’ai vu, dit-il[83], nombre d’esclaves, que l’indulgence faisait rougir de leurs vices, arriver à obéir, sur un simple signe, plus promptement que par les coups ; ainsi je me suis convaincu que la raison a plus d’empire que la violence. Enfin, j’ai réfléchi que, de même que celui qui nous apprend à tirer de l’arc nous interdit non de lancer des flèches, mais de manquer le but, de même ce n’est pas se retirer la possibilité du châtiment que de s’exercer à l’infliger à propos et avec mesure. Je m’attache donc à étouffer en moi tout emportement, de façon que ceux qui ont mérité d’être châtiés, trouvant toujours mon oreille ouverte, ne soient pas privés du moyen de se défendre. Ce temps de réflexion amortit la passion ; et dans l’intervalle, la raison trouve la mesure et la forme du châtiment le plus convenable. Dès lors le coupable n’a pas de motifs pour se plaindre d’une punition qu’il ne peut attribuer à un mouvement de colère et qu’il ne subit qu’après avoir été convaincu ; on ne s’expose pas ainsi, ce qui est la chose la plus déshonorante, à entendre un esclave parler plus raisonnablement que soi.

Ainsi cette indulgence relative à laquelle Fundanus est revenu est surtout l’effet réfléchi d’un calcul personnel. C’est à lui plus particulièrement qu’il songe, à l’avantage de ne pas compromettre sa sagesse, et, en obtenant un meilleur service, de sauvegarder sa dignité.

En présence de telles maximes froidement énoncées par Fundanus et explicitement approuvées par Plutarque, l’authenticité du récit d’Aulu-Gelle ne me paraît pas, inadmissible. La scène aura été arrangée, sans doute, pour l’effet dramatique, par Taurus ou par quelque autre disciple de Plutarque, si ce n’est par Aulu-Gelle ; quant au fait en lui-même, il ne présente rien qui semble en désaccord, soit avec les rigueurs dont Plutarque ne blâme nullement son ami de s’être rendu coupable, soit avec les règles de conduite qu’il le loue de s’être imposées.

Mais hâtons-nous de le dire, ce qui infirme, dans une certaine mesure, la gravité du témoignage d’Aulu-Gelle, ce qui prouve, du moins, qu’il y aurait injustice à juger exclusivement Plutarque d’après Je conte de Taurus, c’est qu’en général, partout où le sujet lui en offre l’occasion, il plaide la cause de l’humanité envers les esclaves avec l’accent de la plus sincère émotion. Il ne peut se décider à attribuer à Lycurgue, qu’il admire, l’invention de la chasse aux Ilotes[84]. Il se plait à célébrer le temps, temps de l’âge d’or, où les maîtres, vivant en commun avec les esclaves et partageant avec eux leurs travaux, allégeaient par leur familiarité affectueuse le poids de la servitude[85]. Il s’indigne contre le vieux Caton, vendant ses esclaves vieillis ainsi que des bêtes de somme. Eh quoi ? s’écrie-t-il, entre l’homme et l’homme, n’y a-t-il d’autre lien que celui de l’intérêt, et le champ de la bonté ne s’étend-il pas bien au delà des limites de la justice ?[86] Pour moi, je ne voudrais pas vendre même un bœuf usé par le travail ; à plus forte raison, n’irais-je pas, pour le plus mince des profits, mettre un homme, un vieux serviteur, à la porte d’une maison devenue par l’habitude comme sa patrie.

En présence de ces élans d’humanité, on a lieu Je croire, et l’on aime à se persuader que, si comme Fundanus, Plutarque a compris, un peu tard, l’avantage de traiter ses esclaves avec un sang-froid et une modération équitables, c’est celte douceur de procédés, conforme à sa nature, qu’il était arrivé à pratiquer, comme à recommander.

Ce qui nous confirme dans cette opinion, c’est qu’un véritable sentiment de bonté inspire sa manière de voir à l’égard des animaux, ces autres serviteurs de la maison domestique ; et, chose à noter, parce qu’elle n’est pas ordinaire chez lui, ce sentiment semble reposer sur l’examen approfondi d’un principe.

Les animaux sont-ils doués de raison ? Telle est la question sur laquelle roulent deux de ses Traités les plus agréables.

Dans l’un il a adopté le cadre ingénieux d’un entretien entre Circé, Ulysse, et l’un de ses compagnons. Circé, blessée des procédés du trop fidèle époux de Pénélope, lui a refusé net de rendre à ses matelots leur forme première, en donnant pour raison que les Grecs, depuis leur métamorphose, jouissent de la vie bien autrement qu’ils n’en jouissaient dans leur premier état, et elle l’invite à interroger, pour s’en convaincre, Gryllus, le pourceau, qui se troue justement là, à se chauffer au soleil. Ulysse fait part à Gryllus de ses bonnes intentions avec une expression de commisération sincère, mais un peu hautaine. Gryllus repousse ce témoignage de pitié ; et comme Ulysse, se fâchant, lui reproche sa dépravation et sa folie : Roi des Céphalléniens, pas de gros mots, réplique noblement le pourceau ; discutons, je le veux bien : je connais les deux genres de vie et je n’aurai pas de peine à te prouver que le meilleur n’est pas celui que tu me proposes. — Soit, répond Ulysse, je suis prêt à t’entendre. — Et moi à parler[87]. Là-dessus une discussion s’engage, dan, laquelle, passant en revue les vertus de l’homme. Gryllus entreprend de démontrer que les animaux ne possèdent pas moins ces vertus que l’homme, bien plus, qu’ils les possèdent à un plus haut degré[88].

Ai-je besoin de dire que cette conclusion n’est pas celle de Plutarque ? Elle peut servir seulement à montrer en quel sens sa pensée ne répugne pas à incliner. Quant à la mesure exacte à laquelle il s’arrête, il faut la chercher dans le Traité où, sous ce titre : Les animaux de terre sont-ils mieux doués que les animaux de mer ? la question, incidemment reprise à l’adresse des Stoïciens, est sérieusement discutée.

Les Stoïciens faisaient aux partisans de l’intelligence des bêtes trois objections :

1° L’immortel étant opposé au mortel, l’incorruptible ait corruptible, l’incorporel au corporel, il est nécessaire qu’il y ait aussi un irraisonnable opposé au raisonnable, afin que, dans la multitude des contraires, celui-là rte soit pas le seul qui fasse défaut[89].

2° La raison, où elle est, doit être entière, et entre l’irraisonnable et le raisonnable, il n’y a pas de degré[90].

3° Enfin, accorder la raison aux animaux, c’est ébranler, soit les fondements de la justice, soit les bases de la vie sociale. En effet, de deux choses l’une ou bien, étant admis que les animaux sont doués de raison, les hommes sont injustes, en les traitant comme ils le font ; ou bien, s’ils les épargnent et s’abstiennent de les faire servir à leurs besoins, ils sont réduits à retomber dans la vie sauvage[91].

Plutarque résout ces trois objections par la bouche d’Autobule, qui dirige l’argumentation.

L’irraisonnable, dit d’abord Autobule, répondant par un principe au principe des Stoïciens, est suffisamment représenté dans la nature parles êtres inanimés. Puis, descendant des sphères de la métaphysique, il se hâte adroitement d’amener ses adversaires sur le terrain des faits d’observation, pour les mettre aux prises avec eux-mêmes. — Vous accordez aux animaux la sensation, dit-il ; et vous leur refusez l’entendement ; or l’une ne peut exister sans l’autre : votre Strabon lui-même l’a surabondamment prouvé. Admettons, d’ailleurs, que la sensation, pour être effective, n’ait pas besoin du concours de l’entendement : dès que l’animal n’aura plus que cette impression du moment qui lui fait discerner ce qui lui est utile de ce qui peut lui nuire, comment en conservera-t-il le souvenir, de manière à éviter l’un et à chercher l’autre ? Vous ne cessez de répéter, nous étourdissant de vos définitions, que la résolution est la pensée fixe d’une chose qu’on veut effectuer, la préparation, un acte antécédent à l’action, la mémoire, la compréhension d’une chose antérieurement arrivée. D’accord. Mais ces opérations supposent la participation de l’entendement ; et elles s’accomplissent toutes chez les animaux. Bien plus, vous-mêmes ne reconnaissez-vous pas en eux l’existence des passions ? Vous punissez vos chiens et vos chevaux quand ils font quelque faute ; et cela, non pour le plaisir de les corriger, sans doute, mais afin de leur imprimer ce sentiment de tristesse qu’on appelle repentir ; or peut-il y avoir tristesse et repentir, où il n’y a pas réflexion, où il n’y a pas raison ? Direz-vous que les animaux n’éprouvent pas réellement des affections de crainte ou de plaisir, que le lion n’a que le semblant de la colère, le cerf, le semblant de la peur ; alors, pourquoi ne pas dire aussi qu’ils ont le semblant de la vue, le semblant de l’ouïe, le semblant de la voix, en un mot, le semblant de la vie[92] ?

Autobule ne réfute pas avec moins de vivacité la seconde objection. Soutenir, dit-il[93], que tout être, que la nature n’a pas rendu susceptible de la raison parfaite, est privé de la raison, n’est-ce pas comme si l’on prétendait que le singe n’est point laid, parce qu’il ne réalise pas l’idée de la laideur parfaite ? Nombre d’animaux sont supérieurs à l’homme en force et en légèreté ; d’autres ont la vue plus perçante, l’ouïe plus fine : dit-on, pour cela, que l’homme soit aveugle, sourd, impotent ? Tout est, dans le monde, affaire de degré. Chez les animaux, la raison est faible, obscure, semblable à une vue troublée et ternie, essentiellement imparfaite, en un mot : c’est la raison néanmoins, et elle est plus ou moins capable de progrès. Il n’y a pas jusqu’aux usages de la langue qui ne déposent en faveur de la perfectibilité des bêtes : pourquoi ne dit-on pas qu’un arbre est plus susceptible d’éducation qu’un autre, comme on dit qu’un chien l’est plus qu’un mouton ? Et il cite de nombreux exemples du développement de l’intelligence relative des animaux. Aussi bien, ajoute-t-il en lançant le trait du parthe, est-il parmi les hommes, parmi les Stoïciens eux-mêmes, est-il personne qui puisse se flatter de posséder la raison parfaite ?

Il est plus difficile de concilier la raison des animaux avec la justice de l’homme, les égards auxquels ils ont droit avec les traitements dont ils sont victimes. Autobule ne se le dissimule pas. Toutefois, il commence par déclarer résolument, fort de l’opinion d’Empédocle et d’Héraclite, qu’en principe, l’homme est coupable en maltraitant les animaux ; puis il cherche une composition honnête qui lui permette de disculper les hommes, sans sacrifier les animaux ; et c’est Pythagore qui la lui fournit. On n’est pas injuste, dit-il d’après le philosophe de Samos, en punissant de mort les animaux nuisibles ; on ne l’est pas davantage lorsqu’on apprivoise les animaux domestiques et qu’on les emploie aux travaux auxquels la nature les a rendus propres. Quant à l’usage de manger la chair des animaux, il est certain qu’introduit d’abord par la nécessité, il est devenu, par l’habitude, bien difficile à détruire. Mais ce n’est pas priver les hommes des ressources nécessaires à la vie, que de les détourner de se faire servir à leur table des plats de foie gras, de se divertir à voir des animaux se battre, de s’amuser à les tuer et surtout à arracher les petits à leurs mères. L’usage qu’en tire des animaux n’est pas injuste et mauvais en soi ; ce qui est coupable et révoltant, c’est l’idée de les faire souffrir par plaisir[94].

Ainsi, tandis que Gryllus, avec l’emportement bourru de son caractère et l’exagération paradoxale de l’intérêt personnel blessé, va jusqu’à prétendre que les animaux sont supérieurs à l’homme, Autobule se borne à soutenir, avec la mesure d’une conviction philosophique raisonnée, que les animaux sont doués de raison à un degré inférieur à l’homme et à des degrés divers entre eux, suivant leur nature et l’éducation qu’ils ont reçue[95].

Conclusion sage et appuyée sur une argumentation qui ne manque ni d’habileté ni de force. Sans doute, Autobule effleure trop légèrement certaines questions délicates. Est-il exactement vrai, par exemple, comme il l’affirme, que la sensation suppose toujours la raison ? L’enfant qui a des sensations dés qu’il ouvre les yeux à la lumière, entre-t-il aussitôt en possession de la raison, et n’avons-nous pas à tout âge des sensations que la raison ne dirige point, ou, comme on dit, des sensations irréfléchies ? D’autre part, le discernement, la mémoire, la prévoyance et le jugement des animaux ne tiennent-ils pas beaucoup de l’instinct ? Enfin, l’éducation qui les forme, il est vrai, à des merveilles d’adresse, est-elle jamais arrivée à leur faire produire des opérations variées et suivies que la raison puisse reconnaître comme siennes ? La perfectibilité dont ils sont susceptibles est-elle indéfinie ? Leurs diverses facultés sont-elles de nature à recevoir un égal développement ? Sur tous ces points, la critique aurait le droit d’exiger davantage. Mais ici, comme souvent chez Plutarque, la précision absolue est le besoin qui le touche le moins. Il lui suffit d’accumuler à l’appui de sa thèse les observations et les exemples. Ce qui ressort surtout de cette discussion, c’est qu’il a vécu dans le commerce des animaux et qu’il les aime[96]. Il ne craint pas de les mettre de pair avec les héros de la fable et de l’histoire. Il se plaît à retrouver en eux le type, souvent effacé chez l’homme, des passions de la nature ; il décrit avec un charme exquis d’expression leurs chastes amours tout parfumés de l’haleine des fleurs et de la rosée du matin, leurs honnêtes ménages, leur sollicitude pour leur progéniture[97]. Il les cite comme les modèles des affections de la famille ; et les bons traitements qu’il réclame pour eux semblent n’être, dans sa pensée, que la récompense des leçons qu’ils donnent, par leurs exemples, dans la maison domestique[98].

Mais il est temps d’arriver à ce qui est le but même de la famille, à l’éducation des enfants.

Quels sentiments Plutarque apporte-t-il à cette partie de son œuvre ? On aime tout d’abord à le constater : il a goûté les émotions de l’amour paternel. Il comptait les enfants parmi les plus précieuses richesses de la famille, et nous savons qu’il estimait par-dessus tous les bonheurs pour un père celui de voir régner entre deux frères la bonne harmonie[99]. Il s’attache particulièrement à défendre contre les doctrines des épicuriens le désintéressement de l’amour des parents pour leurs enfants[100] ; il se refuse à croire que ce sentiment puisse jamais s’éteindre dans le cœur de l’homme, si étouffé qu’il puisse être quelquefois par les passions : tels dans les mines, dit-il, les filons d’or qui se cachent sous la terre dont ils sont recouverts, mais qui ne s’y perdent pas[101]. Avocat sincère de la meilleure des causes, il s’y dévoue jusqu’à trouver pour ceux qui la compromettent indignement des arguments qui tendraient à les justifier. J. J. Rousseau, se défendant d’avoir mis ses enfants à l’hôpital, aurait pu lui emprunter ce triste raisonnement, qu’il connaissait peut-être : Si les pauvres abandonnent leurs enfants, c’est qu’ils craignent de les mal élever : regardant la pauvreté comme le plus grand de tous les maux, ils ne veulent pas leur en transmettre la succession[102]. On ne saurait présenter un déplorable sophisme sous une forme plus spécieuse.

Nous avons, au surplus, un témoignage direct de sa pensée dans la Lettre à Apollonius sur la mort de son fils et dans la Consolation à sa femme.

Ce qu’était cet Apollonius, quel lien l’attachait à Plutarque, on ne le sait[103]. Quoi qu’il en soit, Plutarque commence assez naturellement par essayer de gagner la confiance du malheureux père, frappé de la perte soudaine d’un enfant chéri. Lui aussi, il a connu et il appréciait la modestie, la sagesse de ce fils bien-aimé, sa piété envers les dieux, sa tendresse pour ses parents et ses amis. Aussi aurait-il craint de blesser une affliction si légitime, en cherchant prématurément à la consoler[104]. Mais aujourd’hui que le temps, qui adoucit tout, a dû tempérer l’amertume de la première douleur, il croit pouvoir offrir à ses méditations les conseils de la philosophie[105]. Entrant donc doucement en matière, il rappelle à Apollonius que la modération doit être la règle de la vie, que l’existence humaine n’est que vicissitudes, que la mort n’est pas un mal, que la vie la meilleure est celle qui a été non la plus longue, mais la mieux remplie, que sa durée n’est rien au prix de l’éternité, qu’il faut savoir se résigner à la volonté des dieux, que la manière véritable d’honorer, les morts, c’est de rester fidèle à leur mémoire, qu’il se doit à lui-même de revenir au calme et à la sérénité, qu’il le doit à sa femme, à ses parents, à ses amis, à son propre fils lequel, du séjour qu’il habite et où il converse avec les dieux, ne peut le voir qu’avec regret s’abandonner sans mesure à sa peine[106]. Toutes ces considérations, peu originales, ruais soutenues par des citations bien appropriées et éclairées par une multitude d’exemples, sont présentées avec fermeté, parfois même avec élévation ; et le cœur du père s’y révèle par quelques traits heureux.

Quant à la lettre à Timoxène, elle est véritablement empreinte d’un caractère de bonhomie touchante. Je ne suis ni de bois ni de pierre, dit-il[107], et l’on sent, en effet, qu’il est ému, lorsqu’il rappelle la gentillesse de l’enfant, la façon gaye qu’elle avoit et du tout franche et naïve, n’ayant rien de cholère et de despit ; l’amour qu’elle rendoit à ceux qui l’aymoient, et la recognoissance qu’elle avoit envers ceux qui luy faisoient quelque bien ; la grâce avec laquelle elle prioit sa nourrice de bailler et présenter le têtin, non pas seulement aux autres enfants, mais aux petits pots mesmes qu’on lui donnoit, à quoi elle prenoit son esbat, et à tous ses jouets, comme ayant envie de taire part et mettre en commun ce qu’elle avoit de beau et plus agréable en toutes choses qui lui donnoient passe temps, les conviant par une grande courtoisie de manger à sa table[108].... Il fait repasser devant les yeux de sa femme ces gracieuses images et y arrête son regard, témoignant en cela d’une connaissance délicate du cœur humain. Si l’on peut espérer, en effet, d’adoucir la douleur d’une mère en s’y associant, il ne faut pas entreprendre de l’étouffer en la raisonnant. Une voix a été entendue dans Rama, dit l’Écriture ; c’étaient des pleurs et des cris ; c’était Rachel pleurant ses enfants, et elle n’a pas voulu se consoler, parce qu’ils ne sont plus : Noluit consolari, quia non sunt[109]. Il est des peines dont l’âme humaine, par un de ses plus nobles instincts, tient à ne pas perdre le sentiment : la sympathie est l’unique soulagement qu’elles puissent supporter. Plutarque se garde donc bien de tyrer hors et de rabastre de la mémoire de sa femme les deux ans qui ont été le terme de la vie de sa Timoxène[110] ; il recueille, au contraire, tout ce qui peut l’y rattacher par une pensée douce. Et si sçay bien, lui dit-il, qu’après avoir eu quatre enfans masles, toy ayant grande envie d’avoir une fille, ceste ici nasquit, et me donna occasion de luy mettre le mesme nom que tu portes, aymé de moi uniquement[111]. Il ne craint même pas de lui rappeler la mort prématurée de l’un de leurs enfans, de leur beau Chéron, qu’elle avoit nourry de ses propres mammelles et pour quy elle avoit enduré l’incision d’un têtin qui s’estoit fendu tout autour[112]. Il l’entretient dans ces souvenirs de sacrifice et d’amour ; il veut qu’elle s’y transfère[113] incessamment ; il y cherche pour elle une source de pieuse jouissance.

Toutefois, si sensible que soit cette note d’affectueuse tendresse, ce n’est pas celle qui domine. Comme à Apollonius, ce que Plutarque demande avant tout à Timoxène, c’est de ne se point départir de sa tranquillité d’âme accoutumée[114], de celle dont, à la grande admiration de tout le monde, elle a fait preuve après la mort d’Autobule et de Chéron. C’est sa préoccupation la plus vive, il ne craint pas de le montrer. Il était à Tanagres, à quelques milles de Chéronée, quand la nouvelle de la mort de sa fille lui a été apportée par uni messager de sa femme qui s’était égaré sur le chemin d’Athènes ; et c’est un message qu’il songe tout d’abord à lui renvoyer. Il a peur de trouver sa maison en proie au trouble[115]. Que diraient les philosophes qui le hantent et le cognaissent[116], que diraient ses concitoyens, s’ils le voyaient, lui ou les siens, manquer publiquement aux règles de sagesse qu’il fait profession d’enseigner !

On n’est pas impunément un maître accrédité de philosophie. Plutarque n’en abdique jamais le rôle, et c’est particulièrement sous cet aspect que le père nous apparaît en lui. S’il n’est étranger à aucun îles sentiments de l’amour paternel, s’il eu a heureusement exprimé les plus pures jouissances, les graves devoirs de l’éducation sont proprement la part qu’il en revendique. Nous devons donc insister sur cette partie de son œuvre morale avec quelque développement.

L’usage a prévalu longtemps de placer en tête des traités de Plutarque un traité sur l’Education des enfants, qui, selon toutes les vraisemblances, ne lui appartient pas. Ce n’est pas que ce Traité soit tout à fait sans valeur. Les observations sensées, les idées pratiques n’y manquent point. Le pastiche d’ailleurs est assez habile ; l’auteur connaissait Plutarque, le fond de sa doctrine, le tour de son esprit, les procédés de sa méthode. Toutefois on s’explique avec peine que des savants tels que Xylander, H. Estienne, Fabricius et Heusinger aient pu s’y méprendre. Leurs arguments ont été péremptoirement réfutés par Wyttenbach[117]. Fond et forme de l’opuscule, Wyttenbach a tout passé au crible d’une minutieuse critique, et il n’y a plus à revenir sur les questions techniques de composition et de grammaire qu’il a examinées[118]. Les questions techniques mises à part. ni l’étendue démesurée du Traité, qui embrasse dans son ensemble la vie de l’enfant depuis le jour où il a ouvert les yeux à la lumière jusqu’à celui où il prend plane parmi les hommes, ni la sécheresse didactique des préceptes, ni l’esprit, plus latin que grec et moires latin que moderne, des considérations sur lesquelles ces préceptes sont appuyés[119], ne sont conformes aux habitudes de composition du sage de Chéronée, à sa diffusion si agréablement nourrie, à sa bonhomie fine, à son génie tout imprégné des traditions de la Grèce ; les qualités et les défauts de Plutarque ont une autre saveur.

Qu’il nous suffise donc de rappeler cet opuscule pour mémoire, et de signaler, dans le travail de l’auteur, les réflexions préliminaires sur les principes fondamentaux de toute éducation[120] ; les observations sur les soins que la mère doit à l’enfant, sur le choix des domestiques commis à si garde[121], et sur la nécessité de mener de front la double éducation du corps et de l’esprit ; enfin les conseils sur la conduite à tenir à l’égard du jeune homme, qu’il ne faut ni soumettre à un joug trop pesant ni affranchir d’une tutelle nécessaire, et sur l’obligation pour les pères du donner l’exemple des vertus qu’ils recommandent[122].

Les Traités sur la manière d’entendre les poètes, sur la manière d’écouter, et sur les moyens de connaître les progrès qu’on fait dans la vertu, adressés tous trois à des jeunes gens, ou faits pour des jeunes gens, voilà les sources où il faut chercher les idées de Plutarque en matière d’éducation.

C’est à partir de l’adolescence que les enfants appartenaient à l’école proprement dite, et dès lors la philosophie, la philosophie morale surtout, était l’objet de leurs études. Toutefois on aurait craint d’éblouir des esprits encore novices et tout imbus des préjugés des mères, des nourrices et des pédagogues, en les exposant, dès l’abord, au pur éclat des maximes de la philosophie[123]. On s’attachait donc, dans la dernière période de l’enfance, à leur présenter une lumière entremêlée d’ombre qui les préparât à figer sans trouble le grand jour de la vérité[124] ; on les initiait à l’étude des maîtres de la pensée par l’étude des maîtres de l’imagination ; on les conduisait par les chemins doux fleurants de la poésie aux temples austères de la sagesse.

Prenant son élève à ce passage de l’enfance à la jeunesse, Plutarque le suit pas à pas dams le développement de son adolescence ; et, comme toujours, il ne s’épargne pas aux prescriptions. Il lui enseigne, par le menu, quel profit il peut tirer de la lecture des poètes, quelles dispositions il convient d’apporter aux cours publics de morale, comment il 21oit chercher à se rendre compte lui-même de ses progrès. Nous ne pouvons entrer dans l’analyse détaillée de ses préceptes ; nous voudrions seulement marquer les traits essentiels de sa méthode.

Les maîtres de la jeunesse n’étaient pas sans défiance au sujet des idées que la poésie éveille dans une imagination naissante, des troubles qu’elle excite dans un cœur inexpérimenté. Plutarque ne méconnaît pas ce danger. Les jeunes gens, il le sait, ne sont en général, que trop disposés à préférer aux écrits des philosophes sur la nature de l’âme, les fables d’Ésope et les histoires merveilleuses d’Héraclide et d’Ariston[125]. Mais l’abus des œuvres d’imagination doit-il en faire proscrire l’usage ? Faut-il, comme Ulysse fit à ses compagnons pour passer devant les rochers de Sirènes, boucher les oreilles des jeunes gens et les forcer de fuir à toutes rames les parages de la poésie ? — Non, répond le moraliste avec un remarquable esprit de mesure, le fils de Dryas, le sévère Lycurgue, ne donna pas une preuve de sagesse, le jour où, pour réprimer les désordres de ses sujets qui s’adonnaient à l’ivresse, il commanda d’arracher les vignes dans toute l’étendue de ses États ; il n’avait qu’à rapprocher l’eau des sources pour ramener à la raison le dieu de la folie, comme dit Platon, par la main d’un autre dieu, le dieu de la sobriété. Le mélange de l’eau ôte au vin ce qu’il a de dangereux, sans lui enlever ce qu’il a de salutaire. Gardons-nous donc d’aller détruire la poésie, cette vigne féconde plantée par la main des Muses. Là où la fable s’épanouit avec une confiance présomptueuse, réprimons cette exubérance ; mais là où la douceur attrayante de la fiction ne doit pas être sans fruit, bornons-nous à corriger ce qu’elle aurait de dangereux en y introduisant la philosophie et le mélange de ses leçons ; enchaînons la raison des jeunes gens à des principes qui les empêchent de se laisser entraîner dans l’abîme par la voix des Sirènes[126].

Or ces principes que Plutarque expose avec une agréable variété d’exemples peuvent être ramenés à trois. Se rappeler qu’il n’y a pas de poésie sans fiction, et par suite qu’il ne faut point s’abandonner sans réserve aux émotions que la poésie produit[127] ; ne pas oublier que le vice, comme la vertu, est du domaine des poètes, de même que le laid est, comme le beau, du domaine des peintres ; songer dès lors qu’il faut chercher dans les peintures de la poésie non une leçon, mais un simple délassement, non la pureté morale de l’image, mais seulement I’exactitude de la ressemblance[128] ; — comprendre, enfin, que le sens des mots est souvent modifié par la nature des situations, et que les sentiments ne valent que par l’usage qu’en fait le poète[129] : telles sont les règles qu’il propose. Un mot les résume : contre les entraînements de l’imagination, il veut qu’on en appelle aux lumières et aux conseils de la réflexion.

L’âge venu de fréquenter les cours publics de morale, il ne se contente plus pour le jeune homme des réflexions provoquées par le commentaire d’un auteur étudié à l’école dans une lecture commune. Il commence à livrer son élève à lui-même. Mais proportionnant la responsabilité qu’il lui impose à la liberté qu’il lui laisse[130], il ne l’affranchit des exigences d’une tutelle étrangère que pour le soumettre au joug non moins impérieux de la raison. Il ne l’abandonne pas d’ailleurs à ses propres forces ; il l’invite à s’entretenir chaque jour avec le philosophe dont il suit les cours, pour lui confier ses défaillances, pour lui demander ses avis[131]. En même temps, il exige qu’au sortir de chaque leçon, il achève, par un sincère retour sur lui-même, le travail qu’à commencé la parole du maître[132]. Que penserait-on, dit-il, d’un homme qui, allant chercher du feu chez son voisin, et trouvant l’âtre garni, y resterait à se chauffer, sans plus songer à retourner dans sa propre maison ? Telle est l’image du jeune homme qui, s’en tenant au plaisir de suivre les cours d’un philosophe, croirait assez faire en demeurant tranquillement assis auprès de lui : il pourrait retirer de ces entretiens une apparence de savoir, semblable à la rougeur dont le feu nous colore ; mais la chaleur intérieure de la sagesse ne détruirait pas la rouille et les ténèbres de son âme. Il faut qu’il médite les idées qu’il a entendu exposer, qu’il s’en pénètre, qu’il se les approprie. L’effort personnel est le premier degré de la sagesse.

Enfin convaincu que, contrairement aux paradoxes des Stoïciens, l’homme ne se transforme pas miraculeusement en un jour et à son insu, ruais que la vertu est le prix de la lutte persévérante, et que l’âme a la conscience du moindre de ses progrès[133]. Plutarque analyse, un à un, à son élève les symptômes qui peinent lui donner le sentiment de son amélioration. Le chemin de la sagesse lui paraît-il moins rude ? après avoir été un moment écarté de l’étude par un établissement, un voyage, une amitié, un service public, éprouve-t-il le pressant besoin d’y revenir trouve-t-il en lui la force de résister à ceux qui viennent lui dire avec affectation que tel jouit, à la cour, de la plus haute fortune, qu’il a fait un mariage opulent, qu’il a paru dans la place publique, suivi d’une nombreuse escorte, pour y prendre possession d’une charge ou pour y plaider une affaire importante ? commence-t-il, dans ses lectures, à s’attacher au fond des choses et à tirer des livres d’histoire ou de poésie ce qui peut contribuer à l’apaisement des passions ? l’habitude de réfléchir lui a-t-elle appris à saisir promptement dans tout ce qu’il voit un exemple de vice ou de vertu ? Qu’il ait confiance et prenne courage : c’est un progrès[134]. Ce sera un progrès plus sérieux encore, d’en être arrivé à ne plus prendre la parole dans les cours par esprit d’entêtement, pour le plaisir de discuter, ou par amour-propre, dans le but de briller ; à parler en présence d’une assemblée plus ou moins nombreuse, sans concevoir de honte ni se préoccuper des applaudissements ; à recevoir les critiques aussi tranquillement que les éloges ; à ne chercher le prix de la vertu que dans la jouissance d’une bonne conscience ; à s’avouer ses fautes à soi-même et à les confesser sincèrement à un directeur éclairé. Il aura fait un nouveau pas, quand ses songes mêmes ne lui présenteront plus que des images pures ; quand, examinant l’état de ses passions, il reconnaîtra que les bonnes ont pris l’avantage sur les mauvaises, et que la raison les règle toutes ; quand l’exemple des gens de bien excitera en lui un sentiment d’émulation ; quand il se plaira à les consulter au fond de son cœur et à se les représenter comme des témoins vivants de sa conduite ; quand il recherchera leur commerce et mettra son bonheur à les laisser pénétrer dans tous les détails de sa vie ; quand, enfin, privé du père et du maître qui l’ont élevé, sa plus douce pensée sera de regretter qu’ils ne soient plus là pour jouir du spectacle de leur œuvre[135]. Mais où il pourra se rendre le témoignage qu’il touche presque au but, c’est lorsqu’il sera devenu plus difficile pour lui-même que tout le inonde. Trop éclairé pour proposer à son élève un idéal de sagesse irréalisable, Plutarque s’attache cependant à lui inspirer le goût de la perfection. Celui qui désespère de jamais devenir riche, dit-il, compte pour rien les petites dépenses, parce que les épargnes qu’il pourrait faire n’en vaudraient pas la peine ; mais quand on a l’espérance d’arriver tôt ou tard à la fortune, plus on sent qu’on s’en approche, plus on amasse. Ainsi veille-t-on sur ses fautes avec d’autant plus de rigueur, qu’on est plus prés de n’en plus commettre... Pour un mur de clôture, on emploie indifféremment te premier bois venu, les pierres les plus communes et jusqu’à des débris de colonnes funéraires. Tels les gens vicieux construisent leur existence d’actions de toute espèce. Mais ceux qui ont établi sur une base d’or les fondements de leur vie, semblables à des architectes qui bâtissent un temple ou un palais, ceux-là n’admettent rien au hasard dans leur édifice : ils dirigent, ils disposent tout suivant la règle de la droite raison, estimant, à juste titre, comme l’artiste Polyclète, que la partie la plus difficile, la plus délicate à faire dans la statue, ce sont les ongles[136].

L’ensemble de ces préceptes nous offre donc, on le voit, un traité complet d’éducation morale, dans la plus grave et la plus large acception du mot. Respectant l’œuvre de la nature, mettant à profit avec mesure toutes les forces de l’intelligence des jeunes gens, prévenant les écarts de l’imagination par les conseils de la réflexion, provoquant son élève, dès qu’il est en âge, à l’effort personnel, l’encourageant par la satisfaction du progrès accompli, l’excitant par la perspective et l’ambition d’une amélioration nouvelle, toujours prêt à lui apporter son aide et l’invitant à la lui demander, mais retirant graduellement sa main, Plutarque arrive peu à peu à établir le jeune homme en possession de soi-même et à lui remettre la direction de sa vie.

Sous cette tutelle discrètement prolongée, le jeune homme a atteint, en effet, l’âge de la première maturité. Il a quitté le toit domestique. Le plus souvent, suivant les lois de la nature, le vide s’est fait au-dessus de sa tête[137]. Il est devenu chef de famille, et son tour est arrivé de rendre à d’autres les soins qu’il a reçus. En même temps, il est entré dans la vie civile et politique. C’est là que nous le retrouverons homme et citoyen.

Ainsi que j’en avais annoncé le dessein, je, me suis abstenu, dans cet exposé, de toute comparaison. J’ai voulu embrasser d’une même vire l’en semble de la famille, tel que Plutarque nous en offre le tableau dans celles de ses œuvres qui ont directement trait ou qui touchent aux relations et aux affections de la vie domestique. Si maintenant, rassemblant d’un coup d’œil les observations et Ies préceptes de notre moraliste, nous les rapprochions des doctrines de ses prédécesseurs et de ses contemporains, à quelles conclusions ce rapprochement nous mènerait-il ? C’est ce qui nous reste à examiner.

Jusqu’à Socrate, dit Cicéron, la philosophie enseignait la science des nombres, les principes du mouvement, les sources de la génération et de la corruption de tous les êtres ; elle recherchait avec soin la grandeur, les distances, le cours des astres, enfin les choses célestes ; Socrate, le premier, la fit descendre du ciel et l’introduisit non seulement dans les villes, mais jusque dans les maisons[138]. Si les Sages, en effet, dans leurs maximes et les poètes gnomiques dans leurs sentences ; si Pythagore, dans ses Vers dorés, avait exprimé d’utiles vérités sur les devoirs et les affections de la vie privée[139], c’est de l’enseignement de Socrate que date seulement, selon l’expression de Cicéron, l’introduction de la philosophie dans la famille. L’œuvre dont Socrate avait posé les bases, Platon, Aristote et Xénophon l’avaient accomplie dans des monuments incomparables[140]. Aucun des principes sur lesquels reposent les préceptes de Plutarque n’était nouveau dans la philosophie grecque au premier siècle de l’ère chrétienne[141]. L’égalité morale des deux sexes avait été reconnue ; la nature et le rapport des divers sentiments qui attachent l’homme à l’homme, — enfants, parents, frères, amis, serviteurs, — avaient été déterminés avec précision ; toutes ces grandes idées étaient si bien entrées dans le domaine public que Plutarque ne croit pas nécessaire d’en reprendre l’examen, ni même d’invoquer l’autorité de ceux qui l’avaient fait avant lui. Tirer de la doctrine des maîtres ce que la morale pratique y pouvait trouver de prescriptions solides et de conseils salutaires, recueillir en une sorte de code acceptable pour le cœur comme pour la raison le plus pur de leur enseignement, telle était la tâche qui restait à prendre : tâche modeste, mais éminemment utile et dans laquelle Plutarque nous parait avoir porté un admirable éclectisme de bon sens.

Nul peut être, parmi les représentants de la sagesse antique, n’a eu de la solidarité de la famille un sentiment plus juste. Embrassant dans son sein ou sous sa tutelle tous ceux que les affections ou les besoins de la nature groupent autour du même foyer, la famille dont Plutarque nous trace l’image forme un corps dont les membres sont liés étroitement. L’épouse d’Ischomaque, reine abeille dans la ruche, est chargée surtout de veiller à l’accroissement des biens de la maison et à la santé des esclaves : Xénophon en fait une ménagère accomplie[142]. La femme de Pollianus, initiée aux études de son mari, partage avec lui la direction morale de la famille. D’in autre côté, le lien qui a enchaîné l’époux à l’épouse ne rompt pas celui qui unit le frère au frère ; l’ami est un frère d’adoption ; l’esclave est un hôte de la maison ; les animaux eux-mêmes y ont leur place ; et tous, par leurs lumières, par leur dévouement, par leurs exemples, tous concourent au bonheur de la vie commune et en recueillent, à des degrés divers, le bénéfice.

Solidarité intime et d’autant plus forte qu’elle trouve en elle-même sa satisfaction et sa fin. Platon avait confondu la famille avec l’État ; même dans les Lois, il persiste à soutenir la nécessité pour l’État de régir l’intérieur de la famille ; et si, mieux inspiré, dans cette dernière expression de sa pensée, pour l’épouse et pour la mère, il les relève lorsqu’il inventer en leur honneur des magistratures étranges, à quels dégradants désordres n’avait-il pas commencé par les livrer[143] ? Aristote distinguait, en principe, la famille de l’État[144] ; toutefois, ainsi qu’on l’a pu dire, non sans exagération, il est vrai, l’homme dont il nous retrace l’idéal, n’est ni père, ni fils, ni mari ; il n’est même homme que dans la mesure où les vertus de l’homme s’accordent avec celles du citoyen[145]. Plutarque, nous le verrons, n’isole point la famille dans la cité, mais il ne l’y confond pas lion, plus. Pour lui, la famille n’est pas seulement un degré dans la hiérarchie sociale ; c’est un centre. Si, çà et là, il intéresse l’ambition politique de l’homme à la direction de la famille, en lui montrant que celui-là ne saurait obtenir la confiance de ses concitoyens, qui ne commence point par mériter celle de ses parents, c’est dans les sereines jouissances du foyer domestique qu’il lui fait voir la véritable récompense de son dévouement[146]. Ce n’est point seulement par des raisons d’intérêt, comme Socrate[147], c’est surtout par un sentiment de mutuelle affection et par les joies que cette affection procure, qu’il attache le frère au frère. Dans ses préceptes sur l’amitié, fidèle à l’admirable doctrine d’Aristote[148], il mesure les services de l’ami à l’utilité morale de son commerce. Enfin dans les règles d’éducation qu’il trace, sans négliger de préparer l’enfant à devenir un bon citoyen, il se propose avant tout pour objet de former en lui les vertus de l’homme.

Plutarque a donc fait autre chose que de puiser avec discernement dans le trésor d’observations accumulées avant lui par la science et la sagesse de plusieurs siècles ; sur le terrain préparé par les travaux des maîtres, il a contribué à établir, sans plan régulier, mais avec un sens très net de l’ensemble et une rare sûreté de vue dans les détails, les fondements de la famille, telle que nous la concevons aujourd’hui, solidaire dans tous ses membres et indépendante de l’État, vivant dans une intime union et de sa vie propre[149].

D’autre part, sa doctrine, comparée à celle de ses contemporains, n’a-t-elle pas sa marque reconnaissable entre toutes ?

L’esprit de la morale antique, pris à sa source première, avait quelque chose d’exclusif et d’étroit. Garde ce qui t’appartient ; expose-toi avec prudence, discerne l’occasion ; ne dis pas ce que tu veux faire, car si tu ne réussis pas, tu seras raillé ; ne cautionne personne, car caution engendre dommage ; aime, comme si tu devais haïr, hais comme si tu devais un jour aimer ; voilà ce que disaient les Sages[150]. Régler son âme, tel était le but suprême de leurs préceptes. Profondément imbu de l’esprit de la tradition, Plutarque en pousse parfois trop loin le respect et l’application. C’est ainsi qu’il n’éprouve aucun scrupule à nous donner le conseil de nous décharger sur un ennemi de nos mauvaises passions ; c’est ainsi encore que dans ses procédés envers ses esclaves, il est moins préoccupé de ce qu’il leur doit comme hommes, que de ce qu’il se doit comme philosophe. Si cette pensée de perpétuel retour vers soi-même ne se montre pas également à découvert dans ses divers Traités, on la sent dans tous. En un mot, il ne faut chercher dans ses préceptes ni l’ampleur, ni la générosité des vues de Sénèque, de Musonius, d’Épictète ou de Dion.

Mais ce défaut d’élévation et de largeur, ne le rachète-t-il pas, en quelque mesure, dans le détail des prescriptions pratiques, par la douceur et l’humanité du sentiment ?

S’il subordonne la femme à l’autorité souveraine du mari, avec quelle grâce aimable il lui fait comprendre la dignité de la réserve et de l’abnégation qu’il lui impose ; comme il la relève en l’associant à la direction de l’éducation des enfants ! Qui a rédigé avec un plus agréable mélange de gravité et de délicatesse le code de l’union conjugale ? Les vertus des femmes, écrivait une mère à sa fille, sont difficiles, parce que la gloire n’aide pas à les pratiquer. Vivre chez soi, ne régler que soi et sa l’amide, être simple, juste et modeste : vertus pénibles, parce qu’elles sont obscures. Il faut avoir bien du mérite pour fuir l’éclat, et bien du courage pour consentir à n’être vertueux qu’à ses propres yeux ![151] Plutarque donne à ces vertus du foyer une simple, mais réelle grandeur. Pour lui, comme pour Érasme[152], le mariage est une compagnie plus encore d’amitié que d’amour, mais dont l’austérité n’exclut pas la douceur. Pour lui encore, comme pour Montaigne, la touche d’un bon mariage et sa vraye preuve regardent le temps que la société dure, si elle a esté constamment doulce, loyale et commune[153].

C’est avec le même charme de sentiment qu’il trace les règles de la concorde fraternelle. Il vivifie par l’esprit de piété filiale la coutume qui attachait les frères à la pierre du foyer héréditaire ; il rend une âme aux traditions religieuses dont le respect s’était conservé dans les mœurs, mais dont le sens s’était affaibli dans les cœurs. Plus délicate était la question de l’esclavage. Aristote avait justifié l’esclavage comme un élément naturel et nécessaire de l’organisation sociale. Si Platon s’était abstenu d’en justifier l’institution en réalité il en acceptait l’usage[154]. Comme Platon, Plutarque laisse la question de principe indécise, et parait reconnaître, par son silence, la légitimité d’une iniquité hautement condamnée par la grande école philosophique de son temps[155]. Mais la persuasive douceur des règles de conduite qu’il s’impose ne contredit-elle pas, avec autant de bonheur que de sagesse, la sécheresse de ses raisonnements théoriques ? Aux dures maximes de Caton, qui envoyait pêle-mêle au marché le bœuf et l’esclave vieillis, quand, sans sortir du cercle de la civilisation ancienne, on veut opposer le langage, de l’humanité, qu’invoque-t-on d’ordinaire, si ce n’est la protestation émue du sage de Chéronée, abritant sous son toit, jusqu’au dernier souffle, le vieux serviteur malade, et de la maison qu’il sert lui faisant une patrie ?

Telle est, en lui, cette inspiration du sentiment qu’elle triomphe même, sur certains points, de sa fidélité à la tradition. Platon n’accordait aux animaux que l’âme végétative et l’âme sensitive[156]. Des deux facultés qu’il distinguait dans l’âme, Aristote ne leur attribuait que celle de concevoir des images ; il leur refusait celle de faire des raisonnements[157]. Les Stoïciens leur déniaient tout ; Sénèque ne les avait relevés de cette déchéance qu’à travers raille contradictions. Pour mériter la reconnaissance, disait-il, ce n’est pas assez d’être utile, il faut vouloir être utile, et c’est pour cela qu’aux animaux on ne doit rien[158]. Il n’est pas moins difficile de tirer du traité de Philon des conclusions nettes ; la réfutation qu’il oppose à son neveu Alexandre n’est qu’une compilation, il le dit lui-même, des opinions d’Aristote et de Platon rapprochées des textes de la Bible, avec lesquels il cherche à les accorder[159]. Un autre contemporain de Plutarque, Maxime de Tyr, refuse péremptoirement aux animaux l’intelligence. Ils ont, dit-il, la force en fartage, mais ils ne participent point à l’entendement[160]. Enfin, parmi les philosophes postérieurs à notre moraliste, tandis que Plotin, comme Philon, ne fait guère que reproduire les conclusions des chefs de l’Académie et du Lycée, en se rattachant plus particulièrement à Platon, Porphyre, se portant à l’extrémité contraire, accorde tout aux bêtes et refuse à l’homme le droit de se nourrir de leur chair. Plus hardi que ses maîtres, plus sage que ses contemporains, Plutarque, après une discussion étendu, conclut que les animaux sont dispersement doués d’un certain degré de raison selon leur espèce ; et ses conclusions sont restées comme le dernier mot des anciens sur la question. A la renaissance de la philosophie en France, lorsque le problème de l’âme des bêtes est repris et discuté, c’est à lui qu’on en appelle, c’est lui que l’on combat : Montaigne le prend pour avocat[161], Bossuet pour adversaire[162]. Séparé par un abîme de l’école moderne pour laquelle la raison de l’homme n’est que l’instinct de l’animal graduellement agrandi[163] Plutarque eût également repoussé l’opinion dont Bossuet se faisait l’organe, quand il comparait les animaux aux horloges et aux autres machines ingénieuses où l’industrie réside tout entière dans la main souveraine de l’artisan suprême qui les a faites. Bien que, sur certains points essentiels, son argumentation manque de précision, au fond, son sentiment est clair. S’il fallait lui chercher un interprète parmi les écrivains du XVIIe siècle, nous le trouverions dans Pascal, qui attribuait aux animaux le don de l’intelligence, mais en le maintenant dans un ordre de perfection bornée[164] ; ou plutôt, n’aurait-il pas reconnu lui-même un écho de sa voix dans les vers du discours à Mme de la Sablière ? Pour moi, dit le fabuliste réfutant ceux qui soutenaient que les bêtes n’ont pas d’esprit :

... Pour moi, si j’en étais le maître,

Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfants.

Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?

Quelqu’un peut donc penser, ne se pouvant connaître[165].

Plutarque est le La fontaine de l’antiquité. Il se plait avec les animaux. S’il avait rencontré un convoi de fourmis, lui aussi, il eût reconduit la famille jusqu’à sa demeure.

A côté, au-dessus peut-être de cette remarquable douceur de sentiment, un autre trait le distingue la rectitude du sens moral. S’il faut juger de la doctrine de Sénèque sur l’amitié par quelques-unes des remarques éparses dans ses œuvres, certes on ne peut nier qu’il se fit une juste idée de la force du lien qu’elle crée ; mais, au milieu de ces observations délicates et profondes[166], combien de dialectique mal employée ! que de sophismes[167] ! Cicéron lui-même, dans son Lélius, si heureusement inspiré de la doctrine d’Aristote[168], n’avait pas échappé à des discussions de regrettable casuistique[169]. Il est des cas où il faut céder à la prière, même injuste d’un ami, dit-il, ouvrant la porte au plus dangereux système de complaisance[170]. Ailleurs, il n’hésite pas à sacrifier le parent à l’ami[171]. Plutarque ne méconnaît pas que l’amitié comporte certaines faiblesses. Il fait volontiers leur part aux entraînements de ces affections instinctives, que Goethe appelait les affinités secrètes ; mais il ne permet pas qu’on ferme l’oreille à la voix du sang[172], et trouvant sur son chemin le mot de Périclès : Je suis votre ami jusqu’à l’autel, il le condamne hautement. L’ami, dit-il, doit aider son ami dans ses généreux projets, non dans ses desseins coupables ; témoigner pour lui, non se parjurer ; partager ses disgrâces, non ses injustices ; vis-à-vis de tout le monde, il est des cas où il faut savoir dire non[173]. D’un autre côté, sans raffiner sur les sentiments, Plutarque en démêle avec sagacité les artifices. Les hypocrites de l’amitié, les flatteurs, ont-ils jamais été démasqués d’une main plus sûre ? Les choses nous abusent, écrit Sénèque à Lucilius : combien la flatterie ressemble à l’amitié ! elle s’insinue jusqu’au fond de notre cœur, et nous charme en nous empoisonnant. C’est cette ressemblance qu’il faut m’apprendre à démêler[174]. On ne saurait mieux faire comprendre la délicatesse du problème et la nécessité de le résoudre. Mais Sénèque s’en tient là. Aristote lui-même, dans sa morale à Nicomaque, ne fait que toucher la question[175]. Plutarque l’aborde, tranche dans le vif, et déjoue toutes les ruses de la flatterie avec autant de fermeté que de finesse.

Cette agréable justesse de sens pratique est particulièrement le mérite de ses Traités d’éducation. Un Père de l’Église, repassant sur ses traces, a pu rajeunir la vertu de ses conseils sur la lecture des œuvres d’imagination ; il n’en a fait oublier ni l’esprit judicieux ni le charme : le brillant interprète de la morale évangélique n’a trouvé que des fleurs à glaner dans le champ moissonné par le moraliste païen[176]. Même sous les fausses couleurs données à son bénie par l’auteur apocryphe du Traité de l’Éducation des enfants, Plutarque, du seizième au dix-huitième siècle, de Montaigne à Rousseau, a régné en maître dans les écoles, et aujourd’hui encore ne voudrait-on pas voir gravée sur les murs de nos classes celte maxime qui est, pour ainsi dire, l’âme de sa méthode : L’intelligence des jeunes gens n’est pas un vase qu’il s’agisse de remplir, c’est un foyer qu’il faut échauffer[177]. Nul surtout ne nous parait avoir mis plus heureusement en lumière ces deux vérités fondamentales, trop souvent oubliées : d’une part, que l’œuvre de l’éducation, embrassée dans son ensemble, est avant tout une œuvre morale, qui, par l’esprit, doit arriver au cœur ; d’autre part, que le temps et l’effort personnel en sont les éléments nécessaires et les conditions indispensables.

En un mot, si, dans l’ordre des sentiments et des devoirs de la famille, la morale compte, parmi les philosophes de l’antiquité, des interprètes d’un accent plus généreux, d’une portée plus haute, elle n’a pas, à notre sens, de représentant plus judicieux, plus fin, ni plus aimable. Fondés sur l’observation exacte des lois et des besoins de la vie humaine, inspirés d’un rare esprit de douceur et de mesure, animés de toutes les ressources d’une mémoire prodigieuse et de la plus riante imagination, les Traités de Plutarque sur la morale domestique ont conservé, pour la plupart, la fraîcheur et l’éternelle jeunesse du bon sens.

Ajoutons que ses préceptes ne sont pas sans faire honneur aux mœurs de son temps, quelque sévère idée qu’il nous en ait d’abord lui-même donnée[178]. En effet, si c’est dans la société qui l’entoure que le moraliste recueille les éléments de ses observations critiques, quand il fait profession, comme Plutarque, de ne tien prescrire que de praticable, la nature des remèdes qu’il recommande n’indique pas moins que la nature du mal qu’il dépeint l’état moral de ceux qu’il a entrepris de guérir. Certes, ce n’était pas une société sans vertu que celle où les maris et les femmes, où les frères et les amis, où les jeunes gens étaient dignes d’entendre de tels conseils et capables d’en profiter. La famille païenne, telle que Plutarque nous la fait connaître, était prête à recevoir le nouvel esprit de vie que le souffle du Christianisme allait y développer.

 

 

 



[1] Préceptes politiques, 31, 32 ; Quelle part le vieillard doit prendre à l’Administration des affaires de l’État, 9 ; Des contradictions des stoïciens, 4, etc.

[2] Vie de Pompée, 8 ; de Sertorius, 22 ; de Timoléon, 38 ; de Crassus, 1 ; de Pélopidas, 34 ; de Périclès, 2 ; de Dion, 51, etc.

[3] Du Bonheur dans la doctrine d’Épicure, 28.

[4] De l’Amour, 21 ; Préceptes de mariage, 30.

[5] De l’Amour fraternel, 1, 8, 11.

[6] Du Grand nombre des amis, 3, 6.

[7] Préceptes de mariage, 1.

[8] De l’Amour, 4, 5, 17, 22, 23, 25. Cf. Des Vertus des femmes, Apophtegmes des Lacédémoniennes.

[9] De l’Amour, 2, 18, 19, 20 ; Fragments sur l’Amour, ses effets et sa nature.

[10] Ibid., 31.

[11] De l’Amour fraternel, 21.

[12] Préceptes de mariages, 2 à 19, 20, 31, 42, 41 à 46. Cf. de l’Amour, 9, 21, 23, 24.

[13] Préceptes de mariage, 26.

[14] Ibid., 2, 35, 36. Cf. de l’Amour, 23, 24.

[15] Préceptes de mariage, 22 à 26.

[16] Ibid., 6. Cf. 5. 11.

[17] Ibid., 32. Cf. 9, 11.

[18] Ibid., 20.

[19] Ibid., 33.

[20] Ibid., 19, 31, 32. 40, 41.

[21] Préceptes de mariage, 14.

[22] Ibid, 37, 38.

[23] Ibid., 16, 45, 46.

[24] Ibid., 1 ; Cf. 32, 27, 28, 29.

[25] De l’Amour, 23.

[26] Préceptes de mariage, 11, 20 ; Cf. de l’amour, 9.

[27] Ibid., 8, 12, 33.

[28] Ibid., 15, 21.

[29] Ibid., 48.

[30] Ibid., 1, 7, 42, 44, 47, 48.

[31] Ibid., 10 ; Cf. B, 13, 16, 42, 47.

[32] Stobée, Florileg., XVIII, etc. V. Didot, Fragments, 22.

[33] Préceptes de mariage, 48.

[34] Lettre à Timoxène, 5.

[35] Aulu-Gelle, Nuits attiques, XII, 1 : Sine eam totam integram esse matrem filii sui, dit Favorinus à la mère d’une jeune femme qui voulait détourner sa fille de nourrir son entant.

[36] De l’Amour, 24. Cf., dans Stobée, Floril., LXIX, 23, un fragment attribué à Plutarque.

[37] De l’Amour fraternel, 3.

[38] De l’Amour fraternel, 2, 3. Cf. 4 à 7.

[39] Ibid., 8.

[40] Ibid., 9, 10.

[41] Essais, I, 27.

[42] De l’Amour fraternel, 11.

[43] De l’Amour fraternel, 12 et 19.

[44] Ibid., 15, 16.

[45] Ibid., 13, 15.

[46] Ibid., 14.

[47] Ibid., 17.

[48] Ibid., 18.

[49] Ibid., 19.

[50] De l’amour fraternel, 16.

[51] Ibid., 19, 21.

[52] Ibid., 2.

[53] Ibid., 7.

[54] De l’Amour fraternel, 5. Cf. 4, 6, 9, 10.

[55] Ibid., 4.

[56] Ibid., 7. Cf. Fustel de Coulanges, la Cité antique, liv. II.

[57] Ibid., 20. Cf. 3, 14.

[58] Du Grand nombre des amis, 5.

[59] Du grand nombre des amis, 2.

[60] Ibid., 3.

[61] Ibid., 4, 5, 6 ; Cf. Propos de table, IV, préface.

[62] Didot, Fragments, 17, 18. Il est d’ailleurs fort peu question du sentiment de l’amitié dans ces fragments tirés du Florilegium de Stobée.

[63] Du Grand nombre des amis, 3.

[64] Ibid., 3. Cf. du Flatteur et de l’Ami, 24. 1.

[65] Du Flatteur et de l’ami, 5.

[66] Ibid., 6 à 11, 20 à 21, 21 à 24.

[67] Du Flatteur et de l’Ami, 21 à 24.

[68] Du Flatteur et de l’ami, 2.

[69] Ibid., 25.

[70] Ibid., 52.

[71] Du Flatteur et de l’Ami, 26 à 37.

[72] De l’Utilité des ennemis, 6, 1 ; Cf. Du Grand nombre des amis, 4.

[73] De l’Utilité des ennemis, 2.

[74] De l’Utilité des ennemis, 3. Cf. 7.

[75] Ibid., 7.

[76] Ibid., 4, 6. Cf. 11.

[77] Ibid., 8, 9.

[78] De l’Utilité des ennemis, 10. Cf. De l’Amour fraternel, 15.

[79] Nuits attiques, I, 26.

[80] Essais, II, 31.

[81] Des moyens de réprimer la colère, 11.

[82] Ibid., 15.

[83] Ibid., 11.

[84] Vie de Lycurgue, 28. Cf. Comparaison de Lycurgue et de Numa, § I.

[85] Vie de Coriolan, 24.

[86] Vie de Caton l’Ancien, 5 ; Cf. 21.

[87] Les animaux sont-ils doués de raison ? 1 à 3.

[88] Ibid., 3 à 10.

[89] Les animaux de terre sont-ils mieux doués que les animaux de mer ? 2.

[90] Ibid., 4.

[91] Les animaux de terre..., etc., 6.

[92] Les animaux de terre..., etc., 3.

[93] Ibid., 4, 5.

[94] Les animaux de terre..., etc., 8, 9. Cf. de l’Usage des viandes, I, 1, 4, 5, 7 ; II, 1, 2, 6, 7 ; De l’utilité des ennemis, 9. Propos de table, VIII, 7, 8, etc.

[95] Les animaux de terre.... 37.

[96] Les animaux de terre..., etc., passim.

[97] De l’amour des père et mère pour leur progéniture, 1.

[98] De l’amour des père et mère pour leur progéniture, 1, 2, 3.

[99] De l’Amour fraternel, 4, 5, 6, 9, 10.

[100] De l’Amour des père et mère pour leur progéniture, 2, 4.

[101] Ibid., 3.

[102] Ibid., 5.

[103] Volkmann conteste même l’authenticité du traité, 1, II, 2.

[104] Consolation à Apollonius, I. Cf. 3.

[105] Ibid., 2.

[106] Ibid., 3 à 37. — Voir la belle étude de M. Paul Albert sur les Consolations (Variétés morales et littéraires).

[107] Lettre à Timoxène, 2 (Traduction de la Boétie).

[108] Ibid., 2.

[109] S. Matthieu, II, 18.

[110] Lettre à Timoxène, 9.

[111] Ibid., 2.

[112] Ibid., 5.

[113] Ibid., 8.

[114] Ibid., 1.

[115] Lettre à Timoxène, 2.

[116] Ibid., 5.

[117] Animadærsiones in librum de Educatione puerorum ; judicium de auctore. Cf. Muret (Variarum Lectionum, XIV, 1), qui le premier a soulevé la question, et Ruauld : Vita Plutarchi, 20. Wyttenbach explique d’ailleurs en termes charmants l’erreur de ses adversaires : Quisquis ad Plutarchi libellos morales accedit, dit-il, in hune primum incidit ; hune legit novus et hospes in forma et oratione Plutarchea ;... paucissimi, vel dicam nemo, finito volumine, ejus lectionem iterant ; quod si plures fecissent, hune libellum falsi nominis suspectum habuissent. Animadversiones in librum, p. 32.

[118] Voici les arguments sur lesquels repose la conclusion de Wyttenbach. I. Argumentum externum : nul parmi les anciens ne fait mention de l’ouvrage : quod ut non maximum, ita non nullam habet vira : certe, non omittendum est, p. 34. — II. Argumenta interna : 1° De materia quæ deest ; le sujet est traité fort incomplètement, p 36 à 43. 2° De materia quæ adest : le sujet est traité très superficiellement : ut nemo non unus ex multis paterfamilias leviter tinctus litteris, melius prociperet, p. 43 à 48. 3° De distributione materiæ : point de méthode ni de proportion, p. 49 à 50. 4° De argumentatione : aucun lien, beaucoup de lieux communs vulgairement présentés, p. 50 à 51. 5° De singulis verbis : un grand nombre de locutions rares qui ne se trouvent pas dans Plutarque, p. 56 à 57. 6° De orationis habitu : style travaillé, coupé, qui rappelle la manière à Isocrate et non celle de Thucydide et de Platon, dont Plutarque se rapproche d’ordinaire, p. 57 à 61.

[119] Voir notamment les chapitres : XXIII, sur le respect qu’on doit aux ouvrages des anciens ; XXV, sur la part qu’il conviendrait de faire aux pauvres dans le bienfait de l’éducation ; XXVI, sur l’interdiction des punitions corporelles, etc.

[120] De l’éducation des enfants, 1, 2 et 6.

[121] Ibid., 8 à 12. V. M. Dupanloup, Traité sur l’éducation (6e édit.), t. I, p. 77. Cf. t. II, p. 184.

[122] Id., 58 et 39. — Voir Volkmann, I, I, 4, qui s’associe complètement au jugement de Wyttenbach. C’est dans l’étude de la langue que Volkmann cherche surtout ses preuves. Un des caractères du style de Plutarque, c’est le soin extrême qu’il met à éviter l’hiatus. Ce peint ardu été mis en lumière par Wyttenbach et Beuseler ; Volkmann le reprend et l’une des raisons principales pour lesquelles il se refuse à admettre l’authenticité du traité de l’éducation des enfants, c’est qu’il n’y trouve pas cette préoccupation de l’euphonie. Le fond du traité lui parait à ailleurs indigne de Plutarque. — Voir aussi l’opuscule de M. Grégoire Bernardakis : Symbolæ criticæ et paleographicæ in Plutarchi vitas parallelas et moralia. — Qu’il nous soit permis, en terminant nos observations sur ce Traité, d’insister sur le vœu que Wyttenbach exprimait avec tant d’autorité : Legatur a provectioribus iste, libellus, ipsius cognoscendi causa ;... non proponatur tironibus, ut fere fit, vel ad institutionem prosæ orationis Græcæ, vel ad formandum antiquæ elegantiæ sensum, vel denique ad notitiam et consuetudinem omnis Plutarchi scriptis contrahendam.

[123] De la Manière d’entendre les poètes, 14.

[124] Ibid. Cf. De la Manière d’écouter, 2.

[125] De la Manière d’entendre les poètes, 1.

[126] De la Manière d’entendre les poètes, 1 et 2.

[127] Ibid., 2, 3.

[128] Ibid., 3, 4.

[129] Ibid., 4 à 15.

[130] De la Manière d’écouter, 1.

[131] Ibid., 16, 17.

[132] Ibid., 17.

[133] Sur les moyens de connaître les progrès qu’on fait dans la vertu, 1 à 4.

[134] Ibid. 4 à 8. Cf. les préambules des traités sur les moyens de se corriger de la colère, sur la vertu morale, sur le vice et la vertu, etc.

[135] Sur les moyens de connaître, etc., 12 à 13.

[136] Sur les moyens de connaître, etc., 17.

[137] Sur les moyens de connaître, etc., 16.

[138] Tusculanes, V, 4. Cf. Platon, Phédon, § 45 ; Apologie, § 3. Xénophon, Mém., liv. I, chap. I, § 11 à 15.

[139] Jamblique, de Vita Pythagori, 153. V. Ad. Garnier, de la Morale dans l’antiquité : les Sages de la Grèce, p. 31 à 37.

[140] Platon, République, V, VI, VII. Aristote, Morale à Nicomaque, VIII, IX ; Grande Morale, II, 13 à 10. ; Morale à Eudème, VII, 1 à 12. Xénophon, Economique, III, 12 et suiv. ; VII, VIII, IX. Cf. P. Janet, Histoire de la philosophie morale et politique dans l’antiquité et dans les temps modernes, liv. II. § 2 ; chap. III, § 2.

[141] On s’étonne de ne trouver dans les conférences de Trenth aucun jugement sur cette partie si considérable dé l’œuvre morale de Plutarque. Il n’énumère même pas complètement les traités consacrés aux affectons de la famille et l’appréciation qu’il tait au passage de ceux qu’il cite, est absolument insuffisante : ce qui surprend d’autant plus qu’il a tracé de la vie du sage de Chéronée un exact et intéressant tableau (page 1 à 35).

[142] Xénophon, Économ., VII.

[143] Platon, République, V, VI, VII. Cf. Janet, ouv. cité p. 62 et suiv., 72 et suiv.

[144] Aristote, Polit., liv. I, ch. I, § 1.

[145] Denis, Histoire des théories et des idées morales dans l’antiquité, tome 1er, p. 206 ; Cf. Janet, ouvr. cité, p. 131 et suiv.

[146] Préceptes de mariage, 43 ; de l’Amour fraternel, 7.

[147] Xénophon, Mémor., II, 4. Cf. Cyropédie, VIII, 7.

[148] Aristote, Morale à Nicomaque, VIII, 8, § 4.

[149] Cf. P. Janet : la Famille.

[150] Sosiade chez Stobée. Édit. Tauchnitz, t. I, p. 92 ; Thalès, ibid., p. 90 ; Pittacus, ibid. ; Chilon selon Aulu-Gelle (Nuits attiques, liv. I, ch. III) ; Bias, selon Diogène Laërce, liv. I, ch. V, § 87 ; Démet. de Phalère (Stobée), et Cicéron, de l’Amitié, 16. Cf. Valère Maxime, VII, 3. V. Garnier, De la morale dans l’antiquité : les Sages de la Grèce, p. 24 à 26.

[151] Mme de Lambert, Conseils à sa fille, I, 407.

[152] Érasme, de Matrimonio christiano.

[153] Cf. Musonius, apud Stobée, LXIX, 23 ; LXVII, 120, LXXX, 14 ; Appendice, XVI, 117 ; Sénèque, Des Bienfaits, II, 18 ; De la Constance du sage, I, 7 ; St. Paul, Épit. aux Éphésiens, V, 22, 23, 25 ; aux Corinthiens, I, VII, 3, 4.

[154] Aristote, Politique, liv. I, ch. II, § 4, 7, 13, 14, 15 ; Cf. Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, partie I, ch. XI.

[155] Sénèque, Epit., 47. Cf. 31, 44, 95, 107. De la colère, III, 5. Cf. I, 15 ; II, 15 ; III, 35 ; Des bienfaits, III, 18, 19, 22, 28 ; VII, 4 ; Épictète, Entret., I, 13 ; II, 8, 10 ; IV, 1 ; Dion Chrysostome, Discours, 6. 10, 14. 15. Cf. V. Maxime, III, ch. III, § 7 ; VI, ch. VIII. Pétrone, Satiricon, I, 39, 71 ; Quintilien, Hist. Orat., III, 8. Pline le Jeune, Lettres, I, 4 ; V, 19 ; VIII, 16 ; Martial, Épigr., I, 102, 4. Tacite, Hist., I, 2 Juvénal, Sat., VIII, 27 ; XIV, 15 et suivants. St. Paul, Epît. aux Galates, III, 98. V. Wallon, ouvrage cité. IIIe partie, chap. I, et la discussion de M. Denis (ouvrage cité), tome II, pages 81 et suivantes.

[156] Platon, Timée, Protagoras.

[157] Aristote, Des parties des animaux, II, 4. Cf. Plutarque, De la Vertu morale, 11 ; Des Opinions des philosophes, V, 20. V. L. Brédit, De anima brutorum quid senscrint præciput apud veteres philosophi, 1863.

[158] Sénèque, Epit. 121, 124. Cf. De la Colère, 1, 3, 4. Des Bienfaits, IV, 5, VI, 7.

[159] Philon, Alexandre. Édit Tauchnitz, t. VIII.

[160] Maxime de Tyr, Dissertations, 41, § 5.

[161] Montaigne, Essais, II, 12. Cf. II, 11 à la fin, I, 20.

[162] Bossuet, de la Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. V.

[163] Darwin, l’origine des bêtes. Cf. Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1873 ; le Sens du beau chez les bêtes, par Ch. Lévêque.

[164] Pascal, Traité du vide. — Sa physique, dit spirituellement Emerson, est celle d’un amant de la nature.

[165] La Fontaine, Fables, XI, 1.

[166] Sénèque, des Bienfaits, VI, 34 ; VII, 12. Épit. 3, 6, 9, 48. Cf. Fragm. dit Lemaire, t. IV, p. 408.

[167] Sénèque, des Bienfaits, VII, 4 ; Epit. 74, 55.

[168] Cicéron, de l’Amitié, 6 à 9, 19, 20.

[169] Id. ibid., 47.

[170] Cicéron, des Devoirs, III, 10.

[171] Cicéron, de l’Amitié, 5.

[172] De l’Amour fraternel, 20.

[173] De la Distinction du flatteur et de l’ami, 23. Aulu-Gelle, Nuits attiques, I, 2.

[174] Sénèque, Épit. 45. Cf. Quæst. natur., 4, Préface.

[175] Morale à Nicomaque, VIII, 8.

[176] St Basile, Homélie sur le bon usage à tirer des auteurs profanes.

[177] Plutarque, de la Manière d’écouter, 18.

[178] Tel est aussi le jugement de Trenth, p. 53 Cf. 157 et suiv.