DE LA MORALE DE PLUTARQUE

 

CHAPITRE PREMIER. — LÉGENDE ET VIE DE PLUTARQUE. - PRINCIPES ET CARACTÈRE DE SA MORALE.

 

 

§ I. — LÉGENDE ET VIE DE PLUTARQUE.

1. — LÉGENDE DE PLUTARQUE

Ce que nous connaissons exactement de la vie de Plutarque se borne à quelques indications éparses dans ses œuvres.

Il était né dans une petite ville de Béotie, à Chéronée[1]. Son bisaïeul s’appelait Nicarque[2], son aïeul, Lamprias[3]. Il parle souvent de son père, mais sans le désigner par son nom[4]. Il avait deux frères : Timon[5] et Lamprias[6]. Parmi ses maîtres, il nomme le médecin Onésicrate[7], un rhéteur, Emilianus[8], et le philosophe Ammonius[9]. Il étudiait les mathématiques à Athènes, sous la direction d’Ammonius, l’année où Néron visita le temple de Delphes[10]. Ses relations d’études, de fonctions et d’amitié le conduisirent dans la plupart des villes de la Grèce[11], à Alexandrie[12], et peut-être à Sardes. Athènes lui avait conféré le droit de cité[13]. Il fit plusieurs voyages en Italie[14] et séjourna à diverses époques à Rome, où il tint école[15] et rassembla les matériaux de ses Parallèles[16]. C’est à Chéronée qu’il se maria. Il avait épousé une femme d’une famille honorable, Timoxène, qui lui donna cinq enfants : quatre fils, Soclarus, Autobule, Plutarque, Chéron, et une fille qu’il perdit en bas âge, ainsi que le dernier de ses fils[17]. Envoyé, tout jeune encore[18], en mission auprès du proconsul d’Illyrie, il fut aussi chargé, pendant ses séjours en Italie, de suivre les intérêts de sa ville natale[19]. A Chéronée même, il commença par remplir un obscur emploi de police municipale[20], puis il devint archonte[21]. Enfin pendant plusieurs pythiades, il exerça près du temple de Delphes les fonctions de grand prêtre d’Apollon[22].

Tels sont, dans leur brève simplicité, les renseignements sans lien ni date que Plutarque nous fournit sur les circonstances de sa vie, et nul écrivain, grec ou latin, n’a fait pour lui ce qu’il avait fait pour tant d’autres : le biographe de l’antiquité n’a pas de biographie.

Cependant, s’il convient de chercher dans l’histoire d’un écrivain des lumières sur l’esprit de ses œuvres, c’est particulièrement, sans doute, lorsqu’il s’agit d’un moraliste qui faisait profession d’étudier dans les moindres propos des hommes les signes de leur âme[23] ; et il est d’autant plus utile de faire à Plutarque l’application de sa propre méthode, qu’une tradition, qui aujourd’hui encore n’a pas perdu tout crédit, nous semble avoir dénaturé le caractère de sa vie.

Vers le milieu du moyen âge, en effet, et sept ou huit cents ans après la mort du sage de Chéronée, deux compilateurs en renom, Georges le Syncelle[24] et Suidas[25] alléguèrent, sans appuyer leurs assertions d’aucune preuve, que, dans sa vieillesse, Plutarque, élevé au consulat, avait été investi par Trajan d’un souverain pouvoir sur les magistrats de l’Illyrie et sur la Grèce. Deux siècles plus tard, dans un livre, où à la vanité des cours était opposée l’utilité qu’on peut tirer de l’étude des philosophes, un ancien moine anglais, disciple d’Abélard, secrétaire et ami de Thomas Becket, Jean de Salisbury, évêque de Chartres, personnage non moins considérable par son savoir que par son rang, rapportant comme un fait avéré que Plutarque avait été le précepteur de Trajan, donnait tout au long l’analyse d’une Institution dictée parle maître à son élève, eu la faisant précéder d’une lettre dans laquelle le philosophe félicitait le prince de son élévation à l’Empire[26]. Cette lettre, écrite en latin, n’avait aucun caractère authentique, et la seule présomption qui parût exister en sa faveur, c’est que, parmi les œuvres attribuées à Plutarque, il existait un recueil d’Apophtegmes en tête duquel se trouvait une dédicace en grec adressée à Trajan. Vers le même temps néanmoins, et sans plus d’examen, Vincent de Beauvais et Pétrarque reproduisirent, l’un les textes mis au jour pour la première fois par Jean de Salisbury[27], l’autre le fait que ces textes semblaient établir[28]. Et dès lors il passa pour constant que Plutarque, précepteur de Trajan, avait été, dans sa vieillesse, honoré par ce prince des fonctions du consulat avec de pleins pouvoirs pour le gouvernement de la Grèce.

Toutefois, ce n’était là que le couronnement de la carrière de Plutarque ; il fallait mettre en harmonie le reste de sa vie. Ses éditeurs ou traducteurs de la Renaissance, Xylander, Amyot, S. Goulard, Péd. Morel, Decius Celer et Ruauld s’en chargèrent à l’envi[29]. Le récit biographique qu’ils s’empruntent successivement l’un à l’autre en l’amplifiant ne manque pas d’agrément, et nous devons en reproduire textuellement les principaux traits :

Noble et né de nobles parents, encore que nous ne scachions le nom de son père qui ne laissoit pas d’être très célèbre philosophe, Plutarque fit ses premières études à Alexandrie ; puis il visita toutes les villes de la Grèce et particulièrement Athènes ; de là il se transporta de nouveau en Égypte, pour y apprendre les mystères de la théologie. D’Égypte, il poind sa route à Sparte, chez les Lacédémoniens, pour prendre l’instruction de leurs préceptes moraux ; puis, chargé de ces honorables dépouilles, il s’en retourna en son païs, riche d’un thrésor incomparable ; et là, il commença de paroistre, comme un beau soleil esclatant et lumineux, sur tout le reste de la Grèce... Mais comme son bel esprit rie le pouvoit laisser croupir en un lieu si bas, touché d’une noble ambition, il se délibéra de voir l’abrégé du monde en une ville, ou plutôt une ville qui contenoit en soy l’estendue de tout le monde ; il s’achemina donc à Rome. Estant là, il commença de faire profession de la philosophie, et d’en tenir escole ouverte, où il ne manqua pas d’avoir incontinent une grande chaisne d’amis, qui s’estudièrent à le pousser en avant sur les aisles de son grand mérite et de son expérience ; jusques à tel degré qu’il vint à estre précepteur de Trajan et son amy fort particulier et intime ; mesme que Trajan usoit particulièrement de ses conseils et advis en ses affaires les plus importantes, tant pour les domestiques que pour celles qui touchaient l’administration de l’Empire. Ainsi écrivit-il pour lui les vies des hommes illustres, les dicts des Grecs et des Romains, le traicté qu’il est requis qu’un prince soit savant, les instructions pour ceux qui manient les affaires d’État et le discours qu’un philosophe doit converser avec les princes... Du depuis, Trajan estant venu à mourir, et luy jugeant bien qu’il ne pourroit pas faire grande fortune de là en avant à Rome, joinct qu’il étoit content de la sienne et qu`il commençoit à tirer sur l’aage, il se souvint qu’il avoit une patrie... Il y avait quarante ans qu’il avoit quitté Chéronée, et il avoit près de soixante-dix ans. Durant cette longue absence, il avoit franchi tous les degrés des magistratures romaines, depuis la préture jusqu’au consulat. Phénix également habile à bien faire et à bien dire, il vaquoit à ses devoirs d’homme public pendant le jour, il travailloit la nuit.

Ainsi étaient reliés les différents points de la carrière de Plutarque. Achevée, en partie, dans les conseils de l’Empire, comme celle de Sénèque, la vie du philosophe de Chéronée avait commencé par des voyages, comme celle de Pythagore, et s’était poursuivie tout à la fois à travers la politique et la philosophie, comme celle de Platon. La légende était complète.

Il était, il est vrai, plus séduisant d’y croire qu’aisé de la justifier.

Amyot lui-même ne peut s’empêcher de trouver la missive rapportée par Jean de Salisbury un petit suspecte, pour ce que il ne l’a point trouvée entre les œuvres grecques de Plutarque, joinct que elle parle comme si le livre estoit dédié, à Trajan, ce qui est manifestement dédict par le commencement du livre, et pour quelques autres raisons... Encore toutefois, pour ce qu’elle lui a semblé sagement et gravement escripte, il la cite ; et dès qu’il l’a citée, il est sous le charme. Rapprochant la lettre de Salisbury dia texte de Suidas : Il me semble bien, dit-il, que Trajan, si sage empereur, n’eût pas faict à Plutarque ce grand honneur de la dignité consulaire, s’il ne se fust senty tenu à luy de quelque obligation notable. Ce qui plus encore me semont à le croire, c’est que l’on voit en plusieurs faits et dicts de Trajan la mesme droiture, bonté et justice naifvement mepraintes, dont le moule et la forme est, par manière de dire, engravée ès œuvres morales de Plutarque ; de sorte que l’on remarque notoirement que l’un a bien sçu faire ce que l’autre lui a sagement enseigné[30]. Et de l’appui que ces assertions se prêtent l’une à l’autre, il conclut à la confirmation des deux.

Je comprends qu’on puisse révoquer en doute l’authenticité de la lettre de Salisbury et du texte de Suidas, dit à son tour Ruauld : la lettre n’est point en grec et Plutarque ne fait aucune allusion, dans ses ouvrages, à ses relations avec Trajan... Mais qui sait ? ajoute-t-il bien vite, ce n’est pas nier une chose, que de n’en point parler. Sénèque nous dit-il quelque part qu’il ait été le précepteur de Néron ? Peut-on affirmer d’ailleurs que Plutarque ne faisait aucune mention de ses rapports avec Trajan, dans ceux de ses ouvrages qui ne sont pas arrivés jusqu’à nous ?[31] Puis il poursuit la biographie de son auteur, en l’accommodant au rôle qu’il se plait à lui laisser.

La tradition trouvait donc, en définitive, un appui même chez ceux dans l’esprit desquels elle avait d’abord éveillé quelques doutes et le nom de Plutarque avait fini par devenir inséparable de celui de Trajan. Bien plus, c’est au précepteur qu’était rapportée la gloire du prince. Si la fortune a fait régner Trajan sur les hommes, disait Féd. Morel, c’est Plutarque qui l’a fait régner en homme de bien et qui luy a fait emporter la gloire que les âges suivants luy ont rendue.

Tacitement ou explicitement acceptée pendant le dix-septième siècle[32] par les érudits et les lettrés, cette biographie idéale rencontra pour la première fois dans Dacier un critique résolu à dire la vérité[33]. Mais la vérité, quand il s’agit de combattre une erreur séculaire, a besoin tout à la fois d’être présentée avec ménagement et placée hors de contestation. Dacier eut le double tort de porter dans son argumentation une sorte d’impatience, et de la faire reposer en partie sur des calculs erronés[34] ou sur des raisonnements en contradiction avec les faits[35]. La tradition subsista. Dryden[36], Fabricius, Corsini, Brocher, Ricard la reprirent. N’osant plus simplement l’adopter, mais osant encore moins la détruire, on chercha des moyens termes pour l’expliquer. Peut-être, insinua Ricard, pourrait-on concilier les sentiments opposés de ceux qui veulent que Plutarque ait été le précepteur de Trajan, et de ceux qui le nient, en disant que, si Plutarque n’a pas été l’instituteur de Trajan, ce qui, en effet, n’est pas aisé à prouver, il a pu, pendant son séjour à Rome, donner à ce prince, qui aimait à s’instruire, des leçons particulières de philosophie et de politique, soit avant qu’il montât sur le trône, soit depuis qu’il fut parvenu à l’Empire[37]. D’autres cherchèrent à interpréter le texte de Suidas. C’est d’Adrien, dit Fabricius[38], que Plutarque a été le précepteur, non de Trajan, Adrien ayant pris, par suite de son adoption, le nom de Trajan : de là l’erreur de Suidas. L’erreur fût-elle prouvée, ou seulement rendue vraisemblable[39], — et les renseignements précis que l’on possède aujourd’hui sur la vie d’Adrien sont formellement contraires à cette hypothèse, — il resterait à l’accorder avec la seconde moitié de la tradition qui n’est que la conséquence de la première, je veux dire avec le consulat de Plutarque. Or c’est à l’année 109 que Georges le Syncelle rapporte expressément la date de ce consulat, et l’on sait qu’Adrien ne parvint il l’empire qu’en 117.

Poser la question en ces termes, c’était donc seulement en compliquer la solution ; et pour la résoudre, n’eût-il pas suffi d’examiner les textes qui avaient donné lieu à la discussion ?

La Dédicace du recueil des Apophtegmes, les deux phrases de Suidas et de Georges le Syncelle, la Lettre de Jean de Salisbury et l’analyse de l’Institution de Trajan que cette Lettre précède, tels sont les textes sur lesquels reposait la légende dont nous venons de résumer rapidement l’histoire. Or, dans l’opinion même de ceux qui ne voulaient pas en ébranler le fondement, quelle était la valeur de, ces documents ?

La plupart d’entre eux ne parlent pas de la Dédicace du recueil des Apophtegmes. Ceux qui en discutent l’authenticité, — Xylander, Ruauld, Corsini, Wyttenbach, — inclinent à croire que ni la dédicace ni le recueil ne sont de Plutarque[40]. Qu’est-ce, en effet, que cette dédicace et ce recueil ? L’accumulation des anecdotes, l’intention accusée de chercher le caractère des hommes dans les paroles qui peignent l’âme plutôt que dans les faits qui relèvent de la fortune, rappellent sans doute la manière de l’auteur des Parallèles. Mais les Parallèles y sont jugés comme une œuvre terminée, quand il est clair que c’est une série d’études qui n’a jamais dû être close. En outre, on y chercherait vainement la moindre allusion à dei rapports avec Trajan. Enfin, s’il faut descendre au détail du style, le tour de la phrase trahit manifestement la gaucherie de l’imitation ; c’est le langage du plus humble des sujets ; combien différent du langage d’un ancien maître et d’un ami !

L’hésitation n’est pas moindre sur les textes de Georges le Syncelle et de Suidas. Quelques-uns seraient disposés à en tirer les conséquences les plus étendues, Ruauld par exemple, qui induit de la phrase de Suidas que Plutarque a été investi du consulat à Rome, et Vossius, quine dit pas que Plutarque ait exercé le pouvoir consulaire à Rome, mais qui admet qu’il en a effectivement possédé l’autorité en Grèce. D’autres, au contraire, en restreindraient volontiers le sens : il ne s’agit, selon Fabricius et Corsini[41], que d’un consulat honoraire. Au fond, les uns et les autres ne rapportent les textes qu’avec toute sorte de réserves : On dit... ; on croit... ; c’est une tradition[42]. Et quelle pouvait être, à la vérité, l’autorité de deux compilateurs, rapportant sans preuve, à plusieurs siècles de distance, un fait contraire à l’esprit même de lu politique de Rome ? Sans doute, il n’est pas saris exemple qu’au deuxième siècle de l’ère chrétienne, des Grecs aient été investis par les empereurs de certaines charges. Tels furent notamment Appien et Dion Cassius. Mais on sait que la famille de Dion était devenue presque romaine[43] ; on sait aussi que c’est un emploi purement administrant qui fut confié à Appien par Antonin. Il le dit lui-même : Né à Alexandrie, et des premiers de sa patrie, il plaida dans Rome devant les empereurs, jusqu’au moment où il leur, parut digne d’être leur procurateur[44] ; et cela, malgré l’illustration de sa naissance, malgré l’éclat de son talent, et après deux ans de sollicitations pressantes de Fronton ! Ajoutez que, pour exercer, au nom du peuple vainqueur, le moindre office de judicature, il fallait parler la langue du peuple vainqueur[45] ; or Plutarque déclare qu’il n’a jamais su le latin[46].

Quant à la Lettre qui précède l’analyse de l’Institution de Trajan et à cette Institution même, ceux qui les invoquent, en passant, pour le besoin de la cause, n’insistent point ; leur bon sens s’étonne et résiste. Ce ne peut-être qu’une œuvre apocryphe, laissent-ils échapper non sans quelque impatience de regret, l’œuvre de quelque sophiste du Bas-Empire[47].

On a dit, il est vrai[48], — et c’est le dernier retranchement des partisans de la tradition, — que, pour avoir plus d’un motif de ne pas accepter ces textes, nul n’avait le droit de les rejeter absolument — n’avons-nous donc, en effet, rien à leur opposer ?

C’est d’abord, assurément, une chose digne de remarque que l’incertitude à laquelle nous réduit, au sujet d’événements si considérables dans la vie de Plutarque, le silence absolu des témoignages contemporains.

Eh quoi ! Plutarque aurait vécu, hors de sa patrie, pendant quarante-sept ans ; il y serait parvenu aux honneurs, à la réputation ; selon Ruauld, il aurait vu, dans tout l’éclat de leur génie, en sa jeunesse, Perse, Cornutus, Lucain, Sénèque ; dans sa maturité, Quintilien, Valerius Flaccus, Martial, Pline l’Ancien ; dans sa vieillesse, Tacite, Suétone, Pline le jeune et Florus[49] ; il aurait été le maître, l’ami, le ministre du plus populaire des empereurs ; et de cette existence passée tout entière au grand jour de la vie publique[50], il ne serait pas demeuré trace dans les œuvres de ses contemporains ! C’est jusqu’au troisième siècle qu’il faut descendre pour rencontrer la première mention de sa renommée pendant sa vie ; et quelle mention ! La 14e année du règne de Néron, dit Eusèbe, Musonius et Plutarque étaient tort connus chez les Romains[51]. Or Plutarque qui, en 68, ne pouvait avoir, ainsi que nous l’établirons tout à l’heure, plus de dix-huit ans, n’avait pas encore dû, à cet âge, quitter sa patrie ; et y a-t-il quelque apparence qu’à peine arrivé à Rome, il eût, pour ainsi dire, balancé la réputation du grand Stoïcien ? Jalousie, dit-on, des écrivains latins qui avaient vu avec peine un Grec, né dans une chétive ville de Béotie, s’élever à une si grande réputation[52]. Mais les écrivains grecs, intéressés à la gloire de leur compatriote, nous en apprennent-ils davantage ? — Ils ont pensé qu’il n’estoit besoing de faire mention d’ung qui se faisoit cognoistre par ses escripts[53]. — Jalousie bien puérile, confiance non moins singulière ! Ces explications fussent-elles acceptables, quel motif aurait arrêté les effusions du panégyriste si ingénieux à célébrer les vertus de Trajan ? Trajan allant chercher à Chéronée ou tirant de l’ombre des écoles de Rome le modeste philosophe ; Trajan élevant à lui, presque jusque sur le trône, l’humble maître de sa jeunesse ; Trajan poursuivant de ses fidèles hommages le vieillard qui s’y dérobe. Quel sujet d’antithèses pour Pline, quelle riche matière à amplification !

Hais ce ne sont là que des arguments extrinsèques, pour ainsi dire, et c’est des sentiments intimes de Plutarque que nous voudrions tirer nos preuves.

Tous ceux qui se sont occupés de la vie du sage de Chéronée en ont fait la remarque[54] : il n’a pas de meilleur témoin de lui que lui-même. Ses escripts, à les bien savourer, dit Montaigne, le font cognoistre jusque dans l’âme[55]. Or il n’est pas, suivant une autre expression de Montaigne[56], grand enlumineur de ses actions. Cependant, s’il est un sentiment qui se dégage de l’ensemble de ses œuvres, n’est-ce pas celui de la satisfaction du rang qu’il tient et du rôle qu’il joue ?

De bonne heure, ses services et ses vertus l’ont mis en lumière parmi ses concitoyens ; le succès de ses négociations politiques, la renommée qu’il a rapportée de ses voyages, ont accru, parmi eux, le prestige de sa sagesse ; les charges civiles et religieuses auxquelles il a été élevé en ont consacré le caractère ; et l’on n’est pas, sans en jouir, le premier citoyen d’une petite ville. On vient le voir, et il se plait à faire les honneurs de son temple, de sa cité[57]. Il est tout fier d’avoir été surpris par des étrangers, dans l’exercice d’une humble fonction de police, faisant mesurer de la tuile et voiturer de la chaux[58]. Il ne connaît rien de supérieur aux fonctions d’agonothète, de béotarque, de grand prêtre d’Apollon. Il s’honore, en un mot, de servir sa patrie et ses dieux. Et avec quel superbe mouvement il repousse les insinuations de ceux qui semblent lui conseiller la retraite ou voudraient prématurément l’y condamner : Un archonte éponyme se réduire, quand l’âge n’a fait que mûrir soir expérience, à ne plus vaquer qu’à des soins domestiques, à vendre de la laine, des raisins et des blés ![59] D’un autre côté, il n’ignore pas ce que vaut l’honneur d’avoir eu pour auditeur, à Rome, Arulenus Rusticus[60] ; il ne lui est pas indifférent d’avoir reçu plusieurs fois à sa table et compté parmi ses hôtes, au mariage de son fils ciné, Sossius Sénécion[61]. Sa vie enfin a été heureuse ; comme dans un livre bien écrit, il y trouve à peine une rature[62] ; et tous les souvenirs un peu marquants de cette existence bénie des dieux lui sont chers, tous les hommages rendus à son autorité lui sont doux. Il aime le silence qui se fait à table quand il prend la parole, et il ne céderait à personne le privilège de présider le repas. C’est pour que sa petite ville natale ne devint pas plus petite encore par sort absence, nous dit-il[63], qu’il se plait à l’habiter ; c’est aussi parce qu’il s’y sent naître et roi. Étroit royaume sans doute, mais que le sentiment qu’il y porte agrandit. Le jour où on l’a vu livré au plus modeste emploi, ce qui l’a enivré d’un touchant orgueil, c’est que, dans son imagination ravie, ce trait de simplicité l’égalait à ses héros de prédilection, Épaminondas et Caton[64].

Ut cet aimable et naïf vieillard, si jaloux des plus modestes dignités, si heureux des moindres prérogatives, qui a, comme on l’a dit[65], une bonne volonté si agréable à parler de lui-même, aurait été honoré de l’amitié, de la confiance de Trajan, sans que nulle part la pensée d’avoir travaillé par son élève au bonheur de l’humanité, — pour me servir de l’expression qu’il applique au gouvernement des bons princes[66], — se fût fait jour par quelque effusion !

Toute existence, d’ailleurs, a son unité. Ce qui caractérise particulièrement les mœurs des philosophes contemporains de Plutarque, c’est une certaine humeur errante et voyageuse. Apollonius de Tyane, Dion Chrysostome, Euphrate de Tyr, Aristide, Musonius même, se font honneur d’avoir parcouru le monde et répandu en tous pays les lumières de leurs conseils. L’habitude était passée en institution. On sollicitait auprès des empereurs des missions d’exploration philosophique et religieux[67]. C’était à qui visiterait les pays les plus lointains[68]. Tel avait mérité par ses excursions le surnom de Planétiadés[69]. Le philosophe, disait le Stoïcisme, n’a point de patrie.

Ce n’est pas ainsi que Plutarque entendait ses devoirs. En maints endroits de ses ouvrages, il s’élève contre ces prédicateurs de morale, inconséquents ou ambitieux, qui vont chercher, hors de leur pays, les satisfactions d’amour-propre ou les agréments que leur pays ne pourrait leur donner : semblables, dit-il avec une énergie familière, à ces hommes de mauvaises mœurs qui abandonnent leur femme légitime pour aller vivre avec une maîtresse[70]. Quels avantages il trouverait pour ses études et sa renommée à habiter Rome ou Athènes, il le sait. S’il se flatte, à juste titre, de la pensée que la vertu, comme une plante vivace et vigoureuse, prend racine dans toute espèce de sol où elle trouve un fonds heureux, il ne se dissimule pas que les arts qui ont pour but la richesse ou la gloire ne sauraient se développer aisément dans une petite ville[71]. Heureux, disait-il, ceux qui, avant entrepris d’écrire l’histoire, demeurent dans une grande cité, riche en livres, en monuments de toute nature, et où le souvenir des hommes entretient et explique les traditions ! Mais l’intérêt de sa réputation le touche moins que le sentiment de ce qu’il croit devoir à sa ville natale. C’est par une négociation dont elle l’a chargé auprès du proconsul d’Illyrie qu’il entre dans la carrière des charges civiles[72]. S’il n’a pas eu le loisir d’apprendre la langue latine pendant son séjour à Rome, c’est qu’indépendamment de ses conférences de philosophie, il avait à s’occuper, dans la ville même et dans d’autres villes de l’Italie, des affaires de ses concitoyens[73]. Hors de Chéronée, il n’a jamais cessé de les servir ; du jour où il revient parmi eux, il se dévoue à l’administration de leurs intérêts, à leur instruction, à leur bonheur. C’est à Chéronée qu’il remplit les seules charges publiques dont il nous ait conservé le souvenir. C’est à Chéronée, — sur ce point tous ses biographes sont d’accord[74], —qu’il rédige ses ouvrages, d’après les notes sur lesquelles il avait fait ses leçons ou avec les matériaux qu’il avait recueillis[75] ; et le premier Parallèle qu’il ait écrit est consacré à la mémoire d’un protecteur de Chéronée[76].

Bien plus, autant il tient à honneur les moindres distinctions qu’il doit à sa ville natale on dont il peut lui rapporter le profit, autant il témoigne peu de goût pour la fortune plus ou moins brillante que ses compatriotes venaient chercher à Rome, trop souvent au prix de leur dignité. Rome, sous l’empire, au premier siècle de l’ère chrétienne, était devenue une ville grecque[77] ; ce qui restait de vieux Romains par l’imagination ou par le cœur en gémissait publiquement[78]. Mais, dans cette sorte de représailles exercées par les vaincus sur les vainqueurs, les vaincus avaient conservé la marque de la servitude. Ames et maîtres des grandes maisons[79], les Grecs, pour la plupart, ne s’y glissaient qu’en parasites et n’y régnaient qu’en flatteurs. Ce triste rôle est visiblement pénible à la fierté de Plutarque. Ce n’est pas qu’il interdise au philosophe l’accès des grandes maisons ; il l’invite, au contraire, à s’en faire ouvrir les portes ; il veut qu’il s’y établisse, mais en conseiller, en directeur, non en courtisan ; il entend qu’il se prête, non qu’il se livre ; qu’il se donne, non qu’il se vende[80]. Lui-même, pendant son séjour à Rome, il avait contracté avec quelques personnages distingués des relations intimes, mais il traite avec eux d’égal à égal ; admis à la table de S. Sénécion et de Fundanus, il les reçoit à la sienne : il est, suivant l’expression la plus élevée du mot et dans les termes de la plus honorable réciprocité d’égards, leur hôte, leur ami. S’il jouit de la considération qu’ils lui témoignent, c’est le seul prix qu’il attende des services qu’il leur rend. Nous venons de voir qu’il n’avait même pas appris leur langue. J’accorde que, dans la façon dont il se défend de savoir le latin, il y ait quelque exagération d’orgueil national[81]. Toujours est-il qu’on ne trouve dans ses œuvres si considérables aucun emprunt aux moralistes de Rome, Cicéron, Vorace ou Sénèque, qui lui offraient des trésors d’observations toutes faites ; à peine cite-t-il leurs noms[82].

Au reste, si nous avons perdu une grande partie de ses ouvrages, une heureuse fortune nous a conservé tous ceux que, selon ses biographes de la Renaissance, il aurait composés pour l’éducation de Trajan. Or en est-il un seul où il rappelle par un trais, par un mot, ses prétendus rapports avec ce prince. Les Préceptes politiques notamment et la Lettre à Euphanès sur la question de savoir quelle part le vieillard doit prendre au gouvernement des affaires publiques peuvent être considérés comme son testament politique[83]. Il avait là une occasion naturelle de se glorifier des charges insignes dont à ce moment même, d’après la légende, il devait être investi ! Bien loin qu’il en soit ainsi, nulle part, peut-être, le patriotisme du citoyen fidèle à son pays ne se montre avec plus d’élévation et de vigueur. Que, dans d’autres traités, il accepte la domination de l’Empire comme un fait providentiel, c’est l’esprit de sa philosophie de l’histoire ; que, dans ses Parallèles, il cherche, plus ou moins, à maintenir la balance entre les Grecs et les Romains qu’il compare, il faut en l’aire honneur à la délicate courtoisie de l’étranger reconnaissant envers la ville qui lui a donné l’hospitalité, au talent de l’artiste habile à apparier ses portraits et plus encore à la sincère impartialité du moraliste[84]. Mais te cœur de l’homme n’y est pour rien. Où il se montre, c’est quand, dans ces deus ouvrages, traçant à ses concitoyens leurs devoirs envers la patrie, le noble vieillard les exhorte à ne pas livrer aux magistrats romains ce qui leur reste de la conduite de leurs affaires ; quand il les adjure de ne pas se laisser attacher aux pieds les fers qu’il porte déjà si durement rivés au cou[85]. Certes, Plutarque n’a pas le tempérament d’un tribun ; mais à l’accent ému, à la pénétrante énergie de ces admonestations, on sent que le joug étranger lui pèse : ne pouvant l’alléger, il ne veut pas, du moins, qu’autour de lui, par une négligence ou par une ambition également coupable, on travaille à en augmenter le poids.

De tels sentiments n’ont-ils pas une grande valeur de témoignage ? Si dans l’imagination complaisante des érudits de la Renaissance, les allégations de Georges le Syncelle, de Suidas et de Jean de Salisbury semblaient se prêter un mutuel appui, combien mieux, dans cet ensemble d’arguments tirés de l’âme de Plutarque, la vérité ne soutient-elle pas la vérité ! C’est son œuvre entière, sa vie entière qui dépose pour lui-même. Quelles que soient donc les obscurités chronologiques qu’il nous reste à éclaircir dans sa biographie, il est un point capital que nous avons dès ce moment le droit d’affirmer : c’est que, s’il fit un voyage à Alexandrie et des excursions dans la plupart des villes de la Grèce, s’il parcourut l’Italie et séjourna à Rome, à diverses époques, il n’eut jamais l’ambition de jouer aucun rôle hors de Chéronée, et revint jeune encore, consacrer à ses concitoyens le fruit de son expérience et de son talent.

La légende ainsi écartée, et Plutarque rendu à sa ville natale et à lui-même, nous pouvons chercher maintenant dans le détail de sa vie sous quelle influence son génie de moraliste se développa.

2. — VIE DE PLUTARQUE.

Aucune chronologie ne donne exactement la date de la naissance de Plutarque. Mais il raconte qu’à l’époque où Néron vint en Grèce, il étudiait les mathématiques avec ardeur. Pour avoir commencé ces études et en être arrivé à un degré de progrès tel que son maître le laissât s’engager dans une discussion grave, il ne pouvait avoir moins de dix-sept ou de dix-huit ans. Or le voyage de Néron se rapporte à la 12e année de son règne, c’est-à-dire à l’an 66 de l’ère chrétienne. Plutarque serait donc né vers l’an 48 ou 49 après Jésus-Christ[86].

Nous avons sur son éducation des renseignements plus précis. C’est un grand bonheur pour des jeunes gens, écrivait-il aux descendants d’Aratus en commençant la Vie du chef de la ligue Achéenne[87], d’entendre raconter les belles actions de leurs pères. Plus heureux encore que les descendants d’Aratus, Plutarque paraît avoir eu longtemps sous les yeux les vivants exemples de sa famille. On ne saurait affirmer qu’il ait connu son bisaïeul Nicarque : mais Lamprias, son aïeul, existait encore à l’époque où il revint d’un voyage à Alexandrie[88] ; et il conserva son père au moins jusqu’à l’époque de son mariage.

Sa famille était une ancienne famille de Chéronée[89], dans laquelle les habitudes de fidélité au sol natal s’étaient fidèlement transmises. Nicarque était à Chéronée, au moment où avait éclaté la dernière lutte d’Octave et d’Antoine ; à la veille d’Actium, il avait vu ses concitoyens contraints, le fouet dans les reins, de porter sur leurs épaules chacun une charge de blé jusqu’à la mer d’Anticyre[90]. C’était surtout une famille de sages ayant le goût des doctes entretiens. Plutarque appelle sort aïeul le vieillard, comme on appelait Homère, par une suprême distinction d’honneur, le poète[91] ; et l’aimable vieillard, qui n’avait jamais l’esprit plus fécond qu’après quelques libations, se comparait lui-même à l’encens qui n’exhale que sous l’action de la chaleur ses parfums les plus exquis[92]. Tel il nous apparaît, en effet, dans les Propos de table, la parole vive, la mémoire sûre, posant les questions avec précision ou les résolvant avec autorité[93]. D’un esprit moins brillant, le père de Plutarque excellait aussi à éveiller la curiosité de la jeunesse dont il aimait à s’entourer, et ses conseils laissaient dans l’esprit une trace durable[94]. A plus de soixante-dix ans, Plutarque se rappelait encore la leçon qu’il avait reçue à ses débuts dans la vie. Il me souvient, dit-il[95], que, estant encore bien jeune, je fus envoyé avec un autre en ambassade devers le proconsul, et ce mien compagnon estant ne sçais pour quoy demeuré derrière, j’y allay seul et feis ce que nous avions commission de faire : à mon retour, ains que je voulus rendre compte en public et faire le rapport de ma charge, mon père se levant seul me défendit de dire : je suis allé, mais nous sommes allez ; n’y j’ay parlé, mais nous avons parlez, et faire mon récit en associant toujours mon compagnon à ce que j’avois faict.

Deux frères, Timon et Lamprias, partageaient avec Plutarque ces graves et douces leçons du foyer domestique : Timon, qu’une, certaine réserve de caractère semble retenir un peu à l’écart, esprit judicieux d’ailleurs et orné[96] ; Lamprias, le plus jeune, qu’une humeur vive, enjouée, prompte à l’attaque et à la riposte, lance parfois témérairement au milieu des discussions[97] : aimable et gai compagnon au surplus, tenant bien sa place à table, dans les chœurs à danse, dans les jeux, partout où sont de mise la verve et l’entrain[98] Mais c’est Plutarque qui par les avantages d’une intelligence ouverte et réfléchie, non moins que par le privilège de l’âge, attire particulièrement à lui les égards et les soins. Dés ce moment, il se produit avec les mérites qui devront plus tard le distinguer : une merveilleuse facilité à s’approprier le fruit de ses lectures, un penchant marqué à ramener toutes les questions aux applications morales, et une précoce maturité de bon sens. S’inclinant devant cette supériorité, ses frères ne le traitent qu’avec une sorte de respect. Ou l’appelle le philosophe ; et à la table de famille, son père, le prenant pour arbitre, lui renvoie la solution des questions sur lesquelles il hésite à se prononcer[99].

Nul doute qu’il ait été à Athènes dans sa jeunesse. Il nous rappelle lui-même qu’il lit ses études de philosophie sous la direction d’Ammonius, avec un condisciple nommé Thémistocle[100], et il semble qu’il ait retrouvé dans la maison d’Ammonius la vie de famille à laquelle il était habitué. Ammonius n’est pas seulement pour lui un maître, comme Onésicrate[101] ou Émilianus[102] auxquels il rend hommage, en passant : c’est un précepteur[103] ; au rôle qu’il lui attribue dans ses ouvrages[104], à l’importance du Traité qu’il lui avait dédié[105], il est évident qu’il dut avoir sur le développement de son intelligence une influence profonde.

Qu’était-ce donc que cet Ammonius et quelle était la direction de son enseignement ? Eunape prétend que son histoire se trouve tout entière dans les œuvres de Plutarque[106] ; ce qui est beaucoup dire. La vérité est que les écrits de Plutarque sont la source unique des renseignements que l’antiquité nous ait transmis sur son compte ; et dans le silence du témoignage de son élève, on rte saurait même affirmer que, comme le dit Eunape, il fût d’Alexandrie[107]. Quant à son enseignement, il paraît avoir professé les principes de l’Académie[108]. Cependant nous voyons que Thémistocle, celui de ses disciples avec lequel Plutarque avait partagé son toit et sa table, devint plus tard une des gloires du Lycée[109]. Il semble donc que ses opinions n’avaient rien d’absolu[110] ; ce qui n’était pas incompatible, il est vrai, avec les doctrines de l’Académie. Homme érudit d’ailleurs, et sensible au plaisir de montrer son érudition, versé dans la mythologie, goûtant les mathématiques, ne répudiant aucun des exercices de l’intelligence[111], Ammonius ne manquait ni d’élévation d’esprit, ni de finesse. Plutarque lui prête des réflexions agréables sur le charme de la danse[112] ; et les développements sur l’existence de Dieu qu’il place dans sa bouche, peuvent compter parmi les plus belles pages qu’ail inspirées la métaphysique de Platon[113]. Ajouterai-je que, s’il faut attacher quelque idée au choix de l’ouvrage que lui avait dédié son disciple, c’est à l’étude de la morale qu’Ammonius paraîtrait s’être particulièrement voué ?

Ce qui ressort clairement des allusions de Plutarque, c’est qu’Ammonius ne se tenait pas enfermé dans le domaine de la spéculation. Il serait difficile de dire au juste quelle part il prit au gouvernement des affaires d’Athènes. Mais nous voyons que les Athéniens l’élevèrent d’abord à la préture, puis par trois fois à l’archontat[114], et à l’époque du voyage de Néron en Grèce, ce fut à lui que l’on confia le soin de faire à l’empereur les honneurs du temple de Delphes[115].

Mais c’est sur le caractère de l’homme qu’il nous importe surtout d’être éclairé ; et voici ce que Plutarque nous en apprend. Il parait qu’Ammonius ne répugnait point à une certaine sévérité. Un jour, ayant remarqué qu’à dîner quelques-uns de ses disciples ne s’étaient pas contentés de mets simples, il fit, en notre présence, dit Plutarque, battre de verges un esclave, sous le prétexte que celui-ci avait besoin d’assaisonnement pour sa nourriture, et en même temps il jeta sur nous un regard destiné à nous faire sentir la leçon[116]. Un autre jour[117], à une table qu’il préside, des jeunes gens ayant choisi, parmi les couronnes qui leur étaient présentées, des couronnes de roses, il leur reproche d’avoir préféré la rose au laurier, qui seul est viril ; et les jeunes gens, tout décontenancés, se hâtent de détacher furtivement leurs couronnes. Dans maint autre trait cité par Plutarque, on sent le maître[118]. Mais c’est un maître qui aime la jeunesse. Il se plaît à l’aire rejaillir sur ceux qui, comme lui, l’instruisent, la considération que lui valent les dignités dont il est revêtu[119]. Il sait rendre son autorité aimable, bienveillante, enjouée même[120] ; et rassemblés à sa table, les esprits les plus divers, les moins disposés à s’entendre, se trouvent des points de contact et d’accord qu’ils ne soupçonnaient point[121]. Plutarque qui lui fait plus d’une fois exprimer ses propres idées, ne lui prête-t-il pas aussi quelque peu de son caractère ? Il l’a certainement beaucoup aimé ; et l’on voit qu’il était lui-même son élève de prédilection[122].

Dans quelles circonstances Plutarque revint-il plus tard à Athènes ? Il ne le fait pas connaître. Les questions qu’il raconte avoir traitées à la table de divers amis attestent seulement nue le droit de cité dont il jouissait dans la tribu Léontine n’était pas purement honorifique[123]. On ne saurait dire non plus à quelle époque précise se rapporte le voyage qu’il fit à Alexandrie ; il semble seulement qu’il dut le faire d’assez bonne heure ; car dans le repas où l’on fête son retour, l’interlocuteur principal est son aïeul Lamprias[124]. On peut croire aussi que c’est en compagnie de Théon, un autre disciple d’Ammonius, qu’il l’entreprit[125]. Quant au voyage de Sparte, il le mentionne comme lié à un détail relatif à la composition des parallèles, œuvre de sa maturité, sinon de sa vieillesse[126] ; mais sur ce point aussi, on est réduit aux conjectures.

D’Athènes, c’est à Rome seulement qu’il est possible de le suivre avec certitude. Il est constant qu’il alla plus d’une fois en Italie et qu’un assez long intervalle sépara ces voyages. Le premier ne dut guère avoir lieu avant l’avènement de Vespasien (70 ap. J.-C.). En effet, nous venons de voir qu’il était en Grèce deus ans avant la mort de Néron. On sait, de plus, qu’il fut, tout jeune encore, envoyé en mission auprès du proconsul d’Illyrie[127], mission qui dut vraisemblablement précéder les négociations plus importantes dont il fut chargé en Italie. Enfin, sous le règne éphémère et troublé de Galba, d’Othon et de Vitellius, le moment eût été mal choisi pour venir à Rome. Il est donc vraisemblable qu’il attendit le rétablissement de la paix. D’un autre côté, il atteste indirectement qu’il était en Grèce peu après la mort de Domitien[128]. Quelle fut, dans cet intervalle de vingt-cinq années, la durée de ses divers séjours, il est absolument impossible de le déterminer. Nous avons dit que les négociations publiques d’intérêt municipal qu’il eut à conduire y remplirent une partie de sa vie[129] ; tout le temps qu’il demeura en Italie, il fut, en quelque sorte, le chargé d’affaires de sa ville natale. Il serait curieux de connaître quelles étaient ces affaires ; mais il n’y fait aucune allusion. Ce qu’on peut affirmer seulement, c’est qu’elles lui laissaient beaucoup de loisirs, qu’il consacrait à des travaux et à des leçons. C’est lui-même qui nous l’apprend : il tint école à Rome[130] ; à cet égard, les renseignements ne nous font pas défaut.

Le moment n’avait jamais été plus propice au métier de sophiste. Si par littérature, en effet, il fallait entendre le goût du bel esprit, le règne des Flaviens mériterait assurément d’être compté parmi les époques les plus mémorables : abondance, variété, célébrité bruyante des productions, émulation des auteurs, rien n’y manque de ce qui semble constituer un grand mouvement d’intelligence, et ce qui caractérise ce mouvement entre tous, c’est qu’il est essentiellement littéraire[131]. Les écrivains de la République étaient, avant tout, des hommes d’État : le vieux Caton, Cicéron, César, ne donnaient aux lettres que leurs heures de délassement. Même sous Auguste, alors que dans la désoccupation politique la littérature commençait à n’être plus que la distraction et la parure d’une société pacifiée et vieillie, un puissant intérêt national, politique ou religieux, soutenait les créations de l’art ; le sentiment du patriotisme inspirait les recherches de Varron, les récits de Tite-Live, la muse de Virgile et d’Horace ; n’en sent-on pas encore le souffle amolli dans les vers d’Ovide ? Sous les Flaviens, héritiers de la politique du fondateur de l’Empire, ce caractère disparaît. La philosophie était bannie de Rome. L’histoire allait trouver des ressources nouvelles dans les documents recueillis au Capitole par l’administration éclairée de Vespasien ; mais les grandes familles n’y cherchaient encore que leurs titres de noblesse, leur généalogie. A part quelques hardiesses généreuses, la poésie n’était plus qu’un amusement de désœuvré ou un gagne-pain de courtisan, l’éloquence une arme mercenaire ou un instrument de parade. Une protection habile et magnifique encourageait politiquement cet inoffensif essor des esprits, multipliait les bibliothèques, fondait et rétribuait des chaires publiques, instituait des concours, mettait aux prises Rome et la Grèce, s’ingéniait à occuper les talents. C’est proprement l’âge des gens de lettres. Le nom apparaît alors dans la langue latine, consacré tout d’abord par un traité spécial et par d’illustres exemples[132].

Quelle émotion produisaient dans ce monde de beaux esprits l’attente et l’arrivée d’un sophiste grec en renommée, vingt endroits de la correspondance de Pline le jeune en témoignent. Ne pas aller l’entendre, dût-on venir des extrémités de la terre, comme jadis cet habitant de Cadix qui fit le voyage de Rome pour voir Tite-Live, c’était une honte, un crime de lèse-littérature[133].

S’il fallait en croire Ruauld[134], Plutarque n’aurait pas plus tilt paru à Home que la ville entière, saisie d’un de ces enthousiasmes, se serait empressée à ses leçons. Pouvait-on longtemps ignorer qu’il était arrivé, non un homme, mais une bibliothèque parlante ? Pour un jeune homme de vingt ans — Plutarque n’avait pas davantage à cette époque — le prodige vraiment passe la mesure. Pourquoi ne pas en convenir ? Plutarque, il est vrai, ne paraît pas avoir commencé, comme un trop grand nombre de ses contemporains les plus célèbres, par faire l’éloge du vomissement ou de la fièvre, de la mouche ou de la puce[135] ; mais ses premières œuvres, celles qui, selon toute apparence, se rapportent aux premières avinées de son séjour à Rome, ne sont que des œuvres d’école. Le Traité sur l’utilité comparée de l’eau et du feu est une pure déclamation. Rien ne prouve, sans doute, qu’il ait été l’objet d’une leçon. Comme dans le morceau sur la gloire littéraire et militaire des Athéniens dont le tour est plus brillant, sinon plus naturel, peut-être faut-il n’y voir qu’une composition d’élève, quelques pages conservées d’un cahier de rhétorique. Il n’est est pas de même des Traités sur la fortune des Romains et sur la fortune d’Alexandre : ici la marque d’origine est restée. Jamais plus grand débat fut-il institué, dit l’auteur, entre la Fortune et la Vertu se disputant l’œuvre de la grandeur romaine, ou plutôt réunissant leurs forces pour fonder cette merveille, cette reine, Rome, le lien des nations, la clef de voûte de l’univers, l’ancre immobile du monde incessamment agité ?[136] N’est-ce pas là un langage destiné à un auditoire romain et comme un langage de bienvenue ? Or, s’il est juste de reconnaître que le moraliste se révèle dans ces deux discours par un fond d’ingénieuses observations, l’érudit, par une science abondante et variée, l’écrivain par un certain éclat de style, il faut bien l’avouer aussi, les allégories ambitieuses, les comparaisons outrées trahissent une imagination encore en effervescence et mal réglée. C’est également, semble-t-il, à cette période d’essai qu’il y a lieu de rapporter les deux Traités sur l’usage des viandes. Plutarque raconte que, pendant son séjour à Rome, il s’éprit d’une belle ardeur pythagoricienne, et ces deux traités témoignent effectivement de l’émotion sincère d’un néophyte[137]. Néanmoins, et bien que l’éloquente traduction de Rousseau en ait inopinément renouvelé la fortune[138], il est difficile d’y trouver autre chose que le développement d’un lieu commun.

Plutarque a donc débuté à Rome comme débutaient les hommes d’école. Mais il ne dut pas tarder à chercher dans une voie plus féconde l’inspiration de son salent. A côté de ces sophistes, dont le métier était de faire assaut d’éloquence ou d’esprit sur tout sujet, d’autres, animés d’un sérieux esprit de propagande philosophique, se donnaient la tâche d’éclaircir les vérités de la morale pratique et de diriger les consciences. C’est à cette origine, évidemment, qu’il convient de rattacher la plupart des traités de Plutarque. Paresseux à écrire, si l’on doit l’en croire[139], il parlait d’abondance, sur des notes ; et comme il n’a mis ses notes en ordre qu’à Chéronée, en les complétant suivant les besoins de ceux pour lesquels il les rédigeait, il est impossible de distinguer ce qu’il prononça de verve à Rome de ce qu’il ajouta plus tard après de nouvelles réflexions. Ce dont on ne peut douter, c’est que son enseignement ait été suivi. Un jour que je déclamois à Rome, raconte-t-il lui même[140], Rusticus, celuy que Domitian depuis feit mourir, pour l’envie qu’il portoit à sa gloire, y estoit, qui m’escoutoit ; au milieu de la leçon, il entra un sou-dard qui luy bailla une lettre missive de l’Empereur ; il se feit là un silence, et moy mesme feis une pause à mon dire, jusques à ce qu’il l’eust leue : mais luy ne voulut pas, n’y n’ouvrit point sa lettre, devant que j’eusse achevé mon discours et que l’assemblée de l’auditoire fust départie... Toutefois, si sa parole était religieusement écoutée, il ne paraît pas que, même alors qu’elle eut acquis le plus d’autorité, le retentissement en ait jamais été bien grand. Nous avons vu que son nom n’est même pas cité dans les lettres de Pline, qui fait un si brillant éloge d’Isée[141]. Il semble seulement qu’il passa pour posséder entre tous l’expérience des affections de la vie domestique et le tact du cœur : c’est à sa médiation que les familles en mésintelligence ont recours pour se réconcilier[142].

En même temps qu’il éclairait et instruisait les autres, Plutarque poursuivait ses propres études ; il fouillait les bibliothèques, réunissait les matériaux des Questions grecques et des Questions romaines et préparait ses Parallèles. Le soir, il se délassait de ces travaux dans la société de quelques amis. Des camarades d’école et des parents que nous retrouvons partout à sa suite, Théon, Soclarus, Philinus, Thémistocle, Patrocléas, Firmus, Craton, en formaient le noyau. Autour d’eux venaient se grouper, tantôt l’un, tantôt l’autre, divers membres de la colonie grecque de Rome[143] : Protogène, l’ami de Thespesius, Diogenianus de Pergame, l’épicurien Alexandre, Eustrophe d’Athènes, Empédocle, Nestor le Syrien, un médecin de Thasos, Athryllatus, un autre médecin de Nicopolis, Nicias, le Pythagoricien Lucien, Apollonide, Eros, Sylla, etc. Unis par la communauté d’origine et peut-être de profession, une amitié, commune aussi, les rassemblait à la table hospitaliére de quelques Romains, plus ou moins connus dans l’histoire politique de leur temps, mais tous distingués par leur goût pour les lettres et par la dignité de leur vie. Parmi eux, Plutarque nous fait connaître Metrius Florus[144], un savant, un puriste, qui régentait même Vespasien[145] ; Paccius, un brillant avocat[146], auditeur assidu des cours de morale ; l’ami de Pline et de Tacite, Fundanus[147] ; Quintus, un magistrat qui, préteur sous Domitien, se serait, au rapport de Macrobe, conduit d’une manière irréprochable, chose rare pour le temps[148] ; l’illustre et vertueux conseiller de Nerva et de Trajan, Sossius Sénécion[149]. C’est dans l’intimité : de cette élite généreuse que Plutarque paraît avoir passé, à Rome, tout le temps que lui laissaient les affaires de ses compatriotes, ses conférences et ses études ; c’est avec ces honnêtes ou nobles esprits que les Propos de table nous le montrent discutant familièrement, comme autrefois chez son père ou chez son maître Ammonius, des problèmes d’érudition morale, historique et littéraire.

Les entretiens de table avaient toujours été en faveur chez les Grecs[150], et les Grecs en avaient acclimaté à Rome l’usage et le goût[151]. Au premier siècle de l’ère chrétienne, dans l’oisiveté politique à laquelle étaient réduits les esprits, c’était une distraction à laquelle ne dédaignaient pas de prendre part les intelligences les plus élevées[152]. Les Empereurs s’y adonnaient eux-mêmes avec passion. Quelle mesure de liberté était laissée aux convives à la table de Tibère, Suétone nous le laisse assez clairement entendre : à César appartenait le dernier mot, et malheur à celui qui avait deviné ou surpris la solution proposée par César ! il n’était rien moins qu’exposé à payer de sa vie cette imprudence[153]. Par les dispositions souveraines que ces tout-puissants érudits apportaient dans les discussions, on peut juger de l’intérêt qu’ils y attachaient. Sous une forme plus douce, ce plaisir n’était pas moindre dans les cercles où le recueil de Plutarque nous introduit. L’usage des entretiens de table avait pris racine dans les habitudes de la vie privée. Tout en était réglé avec précision : le nombre, la place, la tenue des convives, le rôle du président, la nature, la marche, le ton de la discussion, le genre des matières qui devaient être traitées pendant le repas, celles qui n’étaient de mise qu’au dessert[154]. Certains anniversaires politiques, certaines fêtes religieuses étaient l’occasion d’entretiens plus solennels ; on y invitait des magistrats, des personnages[155]. Parfois aussi, on s’assignait entre amis une maison commune, une promenade aux montagnes ou à la mer, en emportait avec soi le livre dont on avait dessein de s’occuper, et après que le repas avait réparé les forces et mis les esprits en éveil, la conversation s’engageait[156]. Le plus souvent, c’étaient des réunions toutes domestiques auxquelles les jeunes gens prenaient part et dont les femmes n’étaient pas exclues[157]. Le goût en était répandu jusque chez les artisans[158]. Suivant l’aisance de la maison et le degré d’éducation des convives, des morceaux de musique et de chant, des chœurs de danse, des représentations de mimes, des scènes dialoguées tirées des œuvres de Platon, des séances d’art plastique, variaient ou suivaient l’entretien ; chacun y apportait les connaissances de sa profession : les neuf Muses y présidaient[159]. La tragédie toutefois et la comédie ancienne en étaient proscrites, l’une, à cause des sentiments pénibles qu’elle pouvait exciter dans l’âme, l’autre, à cause des obscénités dont elle aurait souillé les oreilles de la jeunesse et des difficultés d’interprétation qu’elle eût présentées à l’intelligence des hommes les plus éclairés ; mais on s’y serait passé de vin plus aisément que de Ménandre[160] : les actions simples et aimables du poète de la vie privée en étaient l’attrait le plus goûté.

Bien de plus séduisant, assurément, que le cadre de ces entretiens. Il n’y faut point chercher, cependant, le charme sérieux et la grâce solide des banquets de Xénophon et de Platon. D’abord pour peu qu’on considère les matières qui y étaient d’ordinaire traitées, on cherche quel agrément devaient y trouver les femmes. Qu’elles trouvassent quelque profit à entendre discuter pourquoi les étoffes se lavent mieux dans l’eau douce que dans l’eau de mer ; pourquoi les chairs se corrompent plus vite exposées à la lumière de la lune qu’aux rayons du soleil ; pourquoi la chair des moutons qui ont été mordus par un loup est plus tendre, et d’où vient que les truffes paraissent produites par le tonnerre ; s’il faut clarifier le vin[161], etc., on le conçoit ; mais on se demande quelle pouvait être leur attitude, pendant qu’un examinait, à grand renfort de science, pour quelle raison l’a tient le premier rang parmi les lettres, quelle est la proportion des voyelles et des sous-voyelles, si les étoiles sont en nombre pair ou impair, et ce que signifie, dans Platon, le mot cerasbolus..., ou d’autres questions d’une nature embarrassante pour une pudeur délicate. Il semble, il est vrai, qu’elles n’assistaient pas à toutes les discussions, ou qu’elles quittaient la table à certains moments du repas[162]. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas trop d’une représentation de Ménandre pour les dédommager de telles leçons. Quant à la jeunesse, ces savants débats étaient pour elle un véritable complément d’études ; quelquefois même ils tournaient en une sorte d’examen. Mais l’intérêt réel était pour les hommes, pour les maîtres, auxquels la discussion fournissait une occasion de produire tous leurs trésors.

Tel est, du moins, le rôle que Plutarque y joue avec un singulier mélange de vivacité et de bonhomie. Quand les autres ont discouru à l’envi et épuisé le chapitre des banalités, c’est pour lui le moment d’entrer en scène. Il met son honneur à paraître en savoir sur toute question plus que tout le monde ; il n’ouvre la main que peu à peu et de façon à faire sentir à l’avance la valeur des arguments et des exemples qu’il tient en réserve ; il a des défaillances de mémoire calculées ; rien n’égalerait pour lui la peine, disons mieux, la honte d’être pris au dépourvu de citations ou d’autorités. Pour rétablir ou pour commencer une discussion, le moindre prétexte lui suffit : un incident de table, l’événement du jour, la présence d’un étranger, un mets que l’on sert, le vin que l’on boit, le retard d’un invite, un bruit entendu du dehors, l’appétit d’un convive[163]. Un jour, à la fin d’un repas qu’il préside, il vient en tête à un grammairien de se demander tout haut pourquoi, à Athènes, dans le dénombrement des chœurs, celui de la tribu Æantide n’occupait jamais le dernier rang. — Mais, d’abord, le fait est-il vrai ? objecte quelqu’un. — Vrai ou non, qu’importe ? répond un autre. Et s’emparant de la parole : Le sage Démocrite mangeant une figue, dit-il, lui trouva le goût du miel. Aussitôt il demande à sa servante où elle l’a achetée. Celle-ci lui nomme le jardin. Il se lève de table et lui ordonne de le conduire à l’arbre. La servante s’étonne. Il faut, lui dit-il, que je trouve la cause du goût de cette figue, et j’y arriverai, dès que j’aurai sous les yeux le terrain qui l’a produite. — Remettez-vous à table, dit la servante en souriant : c’est moi qui, par mégarde, ai mis la figue dans un vase où il y avait du miel. — Malheureuse ! s’écrie le philosophe en colère, tu ne sais pas le mal que tu me fais : mais je n’en suivrai pas moins mon idée : je chercherai la cause du goût de cette figue, comme s’il lui était naturel. Les discussions de cette espèce ne sont pas absolument rares à la table de Plutarque ; et quand la question a été une fois soulevée, il faut qu’elle l’ourdisse son contingent d’observations et d’anecdotes. L’objet de l’émulation commune, c’est d’avoir sur tout sujet la mémoire meublée et l’esprit dispos[164].

Toutefois, quel que fût pour Plutarque l’attrait de ces joutes d’érudition, elles ne paraissent pas lui avoir jamais laissé oublier le sérieux dessein auquel se rapportent tous ses ouvrages. En adressant de Chéronée à S. Sénécion le résumé des propos tenus il Rogne en grande partie chez l’illustre consulaire, il distingue ce qu’il approuve de ce qu’il rejette dans les usages de ces entretiens ; et nous voyons qu’en principe il proscrivait sévèrement de sa propre sable et de la table de ses amis les représentations de mimes et les farces, les danses efféminées, la musique voluptueuse, tout ce qui était de nature à enlever à ces réunions leur caractère de simplicité intime, tout ce qui rte présentait pas quelque utilité. Bien plus, tandis que certains amphitryons prétendaient que la philosophie, telle qu’une respectable matrone, doit garder, le silence dans les repas, il l’y produit à la place d’honneur et lui réserve la décision de presque toutes les questions[165].

Telle nous apparaît, à travers ses œuvres, la vie que Plutarque mena à Rome : vie laborieuse et active, non sans honneur, mais sans éclat, partagée entre la défense des intérêts de ses concitoyens, l’enseignement privé ou public de la morale, des recherches d’érudition, et le commerce de quelques amis. Ce sont ces habitudes d’intimité familière et d’études paisibles qu’il rapporta à Chéronée. Magistrat et grand prêtre, maître de philosophie accrédité, il a un rang à tenir et il le tient. Convié aux fêtes d’Athènes, sa seconde patrie, de Corinthe et d’Élis, il se l’ait lui-même un devoir de recevoir à sa table, soit à Delphes, soit à Chéronée, les grands de passage et tous ceux qui viennent lui rendre visite ou le consulter[166]. Parmi ses hôtes et ses clients, il compte des fils de famille et des descendants de race royale ; ceux qui ne peuvent s’éclairer directement de ses lumières lui écrivent, et il met pour eux ses notes en ordre[167]. Mais le caractère de sa vie demeure grave et modeste. Bien que sa famille fût une des premières de Chéronée, sa maison ne se faisait remarquer que par sa simplicité[168]. C’est à de vieux amis surtout, à Sossius Sénécion, à Florus, à Sérapion, à d’anciens condisciples, aux compagnons de toute sa vie, qu’il aime à rendre l’hospitalité qu’il a reçue d’eux[169] ; c’est autour de lui qu’il cherche d’abord à faire goûter le fruit de ses études et de son expérience. Timoxène, sa femme, son beau-père Alexion, Timon, son frère[170], dont il mettait l’amitié inaltérable au nombre des plus grandes faveurs que la fortune lui eût faites[171], ses enfants, auxquels on aime à réunir par la pensée le futur héritier de ses doctrines, son neveu, Sextus de Chéronée, en avaient, pour ainsi dire, les prémices. Il en réservait aussi le meilleur à sa petite ville, apportant à la gestion de tous ses intérêts une sollicitude infatigable. Un critique éloquent nous le représente racontant, au milieu de ses concitoyens émus, les traditions de l’ancienne Grèce et les exploits des héros[172]. Ce n’était là qu’une des occupations de sa verte vieillesse. Il interprétait et défendait le culte du Dieu dont il servait les autels ; il traçait les régies d’administration publique ; il expliquait la part qu’à tout age on peut prendre à la direction des affaires de la cité. Le gouvernement d’un État, disait-il, ne consiste pas seulement à aller en ambassade, à s’agiter dans les assemblées ou à commander une armée, pas plus que la philosophie à disputer dans les écoles. Socrate n’avait pas de chaire : il enseignait toujours, il enseignait partout. Toujours et partout aussi, le bon citoyen trouve à jouer un rôle utile.

Tenir sa maison ouverte comme un refuge, s’associer à la peine de ceux qui souffrent, à la joie de ceux auxquels un bonheur arrive, ne blesser personne par l’étalage d’un luxe impopulaire, régler l’essor de la jeunesse, éclairer gratuitement de ses conseils les imprudents qui se sont engagés dans une mauvaise affaire, s’employer à réconcilier les époux et les amis, soutenir le zèle des gens de bien, entraver l’effort des méchants, travailler perpétuellement, en un mot, au bien commun, voilà le devoir que tout citoyen, investi ou non d’une fonction publique, peut remplir jusqu’à son dernier souffle[173]. Et ce dévouement dont il résumait si agréablement les règles, il en offrait le modèle. C’est dans le cours tranquille de ces persévérants et aimables services, qu’averti en songe de sa fin prochaine[174], comme les mortels de la fable aimés des Dieux, il s’éteignit plein de jours et termina doucement une douce vie[175].

 

 

 



[1] De la Curiosité, I ; Vie de Sylla, 15 et 16 ; Vie de Démosthène, 2. Nous suivons le texte de l’édition Didot.

[2] Vie d’Antoine, 68.

[3] Propos de table, livre I, 5 ; Cf. V, 5 ; IX, 2 ; IV, 4, § 4 ; V, 6, § 1 ; 8, § 3 ; Vie d’Antoine, 28.

[4] Propos de table, I, 2, § 2 ; Il, 8, § 2 ; III, 7, §1 ; 8, § 1 ; Corsini suppose, avec raison, que le père de Plutarque s’appelait Nicarque du nom de son aïeul (Vita Plutarchi, 2), Cette vie se trouve en tête d’une édition du Traité des Opinions des philosophes (1750).

[5] De l’Amour fraternel, 16. Propos de table, I, 2, § 1 ; II, 5, § 1 ; Des délais de la justice divine, I, 4, 12.

[6] Propos de table, I, 2, § 5 ; 4, § 4 et 5 ; 8, § 3 ; II, 2, 9 1 ; IV, 4, § 4 ; VII, 5, § 1 ; 10, § 2 ; VIII, 6, § 5 ; IX, 6, § 1, 15 ; § 1, 5, § 1 ; 14, § 2 ; de l’Inscription du temple de Delphes, 3 et 4 ; de la Cessation des oracles, I, 5, 7 ; V, 22.

[7] De la Musique, I, 2 ; II, 4 ; XLIII, 2 : Cf. Propos de table, V, 5, § 1.

[8] De la Cessation des oracles, 17.

[9] Du Flatteur et de l’Ami, 31. Voir plus bas, chap. I, § 2.

[10] De l’inscription du temple de Delphes, 1.

[11] Vie d’Agésilas, 19 ; Propos de table, II, 2 ; IV, 1, 2, 4, 5 ; V, 2, 3 ; VII, 2, 5 ; VIII, 4, 10 ; de l’Amour, 2.

[12] Propos de table, V, 5, § 1.

[13] Propos de table, I, 10, § 3.

[14] Propos de table, VIII, 7, § 1 ; Vie de Démosthène, 2.

[15] De la Curiosité, 15.

[16] Vie de Démosthène, 2.

[17] Lettre à Timoxène, 5. — Quant à Lamprias, l’auteur du catalogue des œuvres de Plutarque, c’est à tort que Suidas le comprend parmi ses enfants.

[18] Préceptes politiques, 20.

[19] Vie de Démosthène, 2.

[20] Préceptes politiques, 15.

[21] Propos de table, VI, 8, § 1.

[22] Quelle part le vieillard doit prendre au gouvernement des affaires publiques, 17 ; Propos de table, VII, 2, § 2.

[23] Vie à Alexandre, 1.

[24] Georges le Syncelle, Chronographia ad annum post Christ. nat. 109.

[25] Suidas, nomine Πλούταρχος.

[26] Policratici, De Curialum nugis, V, Prologus.

[27] Vincent de Beauvais, Speculum majus vel historiale nuncupatum, lib. X, cap. XLVII, De Plutarcho Trajani præceptore. Cf. cap. XLVIII, De libro Plutarchi misso ad Trajanum.

[28] Plutarchus siquidem Græcus homo et Trajani principis magiter..... (Pétrarque, Epistolarum tertia, ad Senecam.) Dans l’intervalle, la tradition avait été reproduite par l’impératrice Eudoxie Macrembolitissa, femme de Constantin Ducas, empereur d’Orient (1059), dans son recueil polygraphique intitulé Ionia et publié par Villoison (Anecdota græca, Venise, 1781, in-4, p. 561). Cf. Wyttenbach, préface, LXIII.

[29] Xylander, Vita Plutarchi ; Amyot, Epistre aux lecteurs ; S. Goulard (le Senlisien), en tête de l’éd. de la trad. des Vies d’Amyot de l’année 1583 ; Fed. Morel, Vie de Plutarque ; Decius Celer, De Plutarchi Chœroneœ philosophi gravissimi vita libellus ; Ruauld, Vita Plutarchi.

[30] Amyot, Épistre aux lecteurs.

[31] Ruauld, Vita Plutarchi, 15.

[32] Voir Samuel Petit, Observationes, lib. II, cap. X, p. 230. Journal des Savants, année 1677, p. 7 ; M. Hanckius, De romanarum rerurn scriptoribus, p. 81 ; G. J. Vossius, De historicis Græcis, II, X ; J. Jonsius, De scriptoribus historiæ philosophicæ, lib. III, p. 28 ; Dryden, Vie de Plutarque. Une traduction de cette Vie a été insérée dans un Recueil de pièces d’histoire et de littérature, publié par le Père Granet et le Père Desmolets (1731).

[33] Vie de Plutarque. Édition de 1778, p. 68. Cf. 64-65.

[34] Ibid. p. 65 et 66. Dacier part de ce point que la pythiade était un espace de quatre ans, comme l’olympiade. Les jeux Pythiques, dit M. Maury, revenaient d’abord tous les huit ans, et il en demeura ainsi jusqu’à la 48e olympiade ; mais, à dater de la 3e année de cette même olympiade, leur cycle fut réduit à cinq ans, et ils tombaient à la 3e année de chaque olympiade. (Histoire des religions de la Grèce antique, tome II, ch. XI, p. 79.)

[35] Ibid., p. 62 et suiv. Ceux qui ont écrit que Plutarque voyagea en Égypte et à Lacédémone, l’ont avancé sans fondement, dit Dacier. Or Plutarque parle expressément de ces deux voyages. Propos de table, V, 5, § 1 ; Vie d’Agésilas, 19.

[36] Je ne crois pas, dit Dryden qui restitue de toutes pièces cette partie de la légende, je ne crois pas que personne avant moi ait dit ou avancé que Plutarque lut chargé des affaires de l’Illyrie, aujourd’hui l’Esclavonie ; mais cette opinion paraîtra plausible, si l’on considère que Trajan eut une verre importante à soutenir contre Decebalus, roi des Daces, et qu’après la mort du prince dace, la sagesse d’un homme tel que Plutarque hait nécessaire pour pacifier et civiliser l’Illyrie. J’ai tait cette remarque en passant pour montrer que l’auteur français qui a écrit la vie de Plutarque a eu tort de s’étonner qu’on eût confié l’Illyrie aux soins de notre philosophe, sous prétexte que cette province n’avait aucun rapport ni à Chéronée, ni à la Grèce.

[37] Ricard, Vie de Plutarque, § 10. Cf. Amyot, éd. Cussac, 1783-1787, réimprimée en 1801-1806, avec des notes de Clavier.

[38] Fabricius, Bibliotheca Græca, édit. Harles, liv. IV, ch. IX ; Corsini, déjà cité, § 8 ; Brucker, Historia critica philosophiæ, tome II, p. 178.

[39] Voir Tennemann, Manuel de l’histoire de la philosophie, trad. V. Cousin, I, 3 ; Schœll, Histoire abrégée de la littérature grecque profane, liv. V, ch. LXV ; Nouvelle Biographie générale.

[40] Xylander, Ad lectorem litteræEgo neque præfationem hanc neque opus ipsum magni esse Plutarchi credere possum. Ruauld, 21. Cf. Corsini, 8 ; Wyttenbach, Animadversiones in Apophthegmata, p. 1040. — Videntur ea Plutarchi esse junioris, dit Vossius.

[41] Quod... Plutarcho ipsi consulares honores concessit, non ita profecto intelligi debet, ut observavit Fabricius, quod Plutarchus Hypathiam Thessaliæ urbem Lares transtulerit, ut ineptissime interpretatur Petitus, aut aliquando consul processerit, sed quod eo solum consulatus genere decoratus fuerit, qui honorarius dicebatur... Corsini, § 10.

[42] Opinio vetus occupavit... (Ruauld). — Fama est... (Decius Celer), etc.

[43] Sam. Reimar, De vita et scriptis Cassii Dionis, édit. Sturz, tom. VII. Cf. Egger, Examen critique des historiens anciens de la vie et du règne d’Auguste, ch. VIII.

[44] Préface, § 7 ; Fronton, Lettres à Antonin, IX.

[45] Suétone, in Claudio, 18.

[46] Vie de Démosthène, 2.

[47] Præfationem ab aliquo ne superioris quidem, ut suspicor, ævi, concinnatam. (Ruauld, 21.) Cf. Wyttenbach, Préface, p. LXIX. — C’est aussi l’avis de M. Chassang, Histoire du roman dans l’antiquité grecque et latine, chap. VIII, p. 456-8. En acceptant le fond de cette opinion, j’inclinerais seulement à croire, d’après les sentiments répandus dans le traité, tel que Jean de Salisbury nous le fait connaître, que l’auteur de la traduction latine était quelque homme d’Eglise des premiers siècles qui aura modifié le texte primitif, conformément à l’esprit de son temps. Jean de Salisbury nous avertir d’ailleurs lui-même qu’il ne se pique de rien moins que d’exactitude littérale dans son analyse.

[48] Traduction d’Amyot, Vies. Édition de Clavier (1818). Épître aux lecteurs, note de l’éditeur.

[49] Ruauld, 4.

[50] Ruauld, 10. ....Plutarchum in publica luce tota fere vita occupatissimum...

[51] En l’an 120, dit ailleurs Eusèbe, sous l’empereur Adrien, le philosophe Plutarque de Chéronée, Sextus et Agathobulus étaient fort célèbres. Texte bien vague, et qui se rapporte d’ailleurs à l’extrême vieillesse de Plutarque.

[52] Dacier, Vie de Plutarque, p. 91.

[53] Dion, cité par S. Goulard. — Emerson dit à ce sujet avec un sens pratique tout à fait américain : Il est évident que l’échange des lettres et des nouvelles privées était plus rare encore en ces temps-là que ne le donnerait à penser la non-existence de l’imprimerie, des chemins de fer et des télégraphes.

[54] Ό θεσπέσιος Πλούταρχος τόν τε έαυτοΰ βιόν άναφράγει (Eunape, De vitis sophistarum, prœemium.) Cf. Dacier, Vie de Plutarque, p. 66, et Ruauld, 13 : cætera, quæ moribus Plutarchi manifestandis usui esse possunt, ejus libri abunde utique subministrant.

[55] Montaigne, Essais, liv. II, chap. XXXI.

[56] Id., Ibid., I, 25.

[57] De la Cessation des oracles, 1 ; des oracles en vers, 1, etc.

[58] Préceptes politiques, 15.

[59] Quelle part le vieillard doit prendre au gouvernement des affaires publique, 4.

[60] De la Curiosité, 15.

[61] Propos de table, préface, et liv. IV, quest. 3, § 1.

[62] Lettre à Timoxéne, 8.

[63] Vie de Démosthène, 2.

[64] Préceptes politiques, 13.

[65] Trenth, p. 2. Cf. p. 10.

[66] Du commerce que les philosophes doivent avoir avec les princes, 3.

[67] De la Cessation des oracles, 18.

[68] De la Cessation des oracles, 2.

[69] De la Cessation des oracles, 7.

[70] Des Contradictions des Stoïciens, 4. Cf. De l’exil, 8.

[71] Vie de Démosthène, 1. Cf. De l’Inscription du temple de Delphes, 1.

[72] Préceptes politiques, 70.

[73] Vie de Démosthène, 2.

[74] Ruauld, 2 ; Corsini, 10. Universa fere quæ ab ipso fitteris consignata sunt, Chæroneæ scripta videntur.

[75] Il le déclare lui-même pour le plus grand nombre : De la Tranquillité de l’Ame, 1 ; De l’Amour fraternel, 4 ; Préceptes politiques, 15, 19 ; Lettre à Euphanès, I ; Préceptes de mariage, I ; Consolation à sa femme, I ; Propos de table, préfaces ; De l’Amour, I ; Du Babillage, 22 ; De la Curiosité, 1 ; De l’Envie, 2 ; Des Délais de la justice divine, I, 13, 16 ; Du Démon de Socrate, I ; De l’Inscription du temple de Delphes, 1 ; De la Cessation des oracles, I ; Des Oracles en vers, I ; Du Bonheur dans la doctrine d’Épicure, 2 ; Vie de Démosthène, 2 ; Vie de Cimon, 1. Sur les Vies, cf. Albertus Lion : Commentatio de ordine quo Plutarchus vitas scripserit, Gottingæ, 1819 ; et P. Kremer, Inquisitio inauguralis in consilium et modum quo Plutarchus scripsit vitas Parallelas, Groningæ, 1841.

[76] Vie de Cimon, 2.

[77] Juvénal, Satires, III, 60 et suiv. ; VI, 185 et suiv. ; Cf. Horace, Épîtres, II, 1, v. 956-157 ; Voir Journal des Savants, mars 1855, article de M. Patin.

[78] Tacite, Annales, XIV, 20.

[79] Juvénal, Satires, III, 71.

[80] Du commerce que le philosophe doit avoir avec les princes, 2.

[81] Vie de Démosthène, 2. Cf. E. Egger, Mémoires d’histoire ancienne et de philologie, X, p. 259 et suiv.

[82] Deux passages de la Vie de Cicéron (24, 40) donnent lieu de penser qu’il connaissait ses écrits philosophiques. Il invoque une fois le témoignage d’Horace. (Vie de Lucullus, 39). Il cite deux fois Sénèque, mais comme précepteur et comme ministre de Néron. (Des moyens de réprimer la colère, 13. Vie de Galba, 20. On sait d’ailleurs que l’authenticité de la Vie de Galba est contestée). Il ne fait mention ni de Virgile, ni d’Ovide, dont les Fastes lui fournissaient tant de ressources pour la discussion des Questions romaines.

[83] Les Préceptes politiques sont antérieurs à la Lettre à Euphanès ; ils paraissent se rapporter aux premières années du règne de Nerva ou de Trajan (§ 19) ; mais on ne sait vraiment où les biographes de la Renaissance ont pu prendre qu’ils avaient été spécialement écrits pour Trajan : ils sont adressés à un jeune homme d’Érétrie, à Menemachus, qui les avait demandés à Plutarque (§ 1).

[84] Voir plus bas, chapitre III, § 2.

[85] Préceptes politiques, 19.

[86] De l’Inscription du temple de Delphes, 1 et 7.

[87] Vie d’Aratus, 1.

[88] Propos de table, V, 5, § 1.

[89] Propos de table, II, 8, §2. Il était gentilhomme, dit Trenth, et de fortune indépendante.

[90] Vie d’Antoine, 68.

[91] Propos de table, V, 8, § 1 ; 9, § 1.

[92] Propos de table, I, 5, § 1.

[93] Propos de table, IV, 4, § 4 ; V, 8, § 3 ; IX, 2, § 3. Cf. Vie d’Antoine, 28.

[94] Propos de table, II, 8, § 2 ; III, VII, § 1 ; III, 7 à 9 ; I, 2, § 2.

[95] Préceptes politiques, 20. Traduction d’Amyot.

[96] Propos de table, II, 5, § 1 ; Des Délais de la justice divine, I, 4, 12 ; Dialogue sur l’âme, 1 (fragments) ; De l’Étymologie des mots appliqués à la mort, 2 (fragments).

[97] Propos de table, I, 2, § 5 ; 4, § 5 ; 8, § 3 ; II, 2, § 1 ; IV, 4, § 1 ; VII, 5, § 1 ; 10, § 2 ; VIII, 6, § 5 ; IX, 5, 1 ; 6, 1 ; 14, 2 et 4 ; De la Cessation des oracles, 1, 5, 7, 9, 22, etc. ; De l’Inscription du temple de Delphes, 3 et 4.

[98] Propos de table, II, 2, 1 ; IX, 15, 1.

[99] Propos de table, I, 2, § 1.

[100] Vie de Thémistocle, 31.

[101] De la Musique, I, 2 ; II, 4 ; XLVIII, 2 ; Cf. Propos de table, V, 5, 1.

[102] De la Cessation des oracles, 17.

[103] Du Flatteur et de l’Ami, 31. Il l’appelle καθήγήτής ήυητερος. Καθηγητής honestiore nomine dicitur pro διδάσκαλος. (Wyttenbach.)

[104] De l’Inscription du temple de Delphes, 2 ; De la Cessation des oracles, 8, 20 ; Propos de table, IX, 14, § 6 et 7 ; Cf. de la Cessation des oracles, 4, 53, 37, 38, 40 ; De l’Inscription du temple de Delphes, 17 à 20.

[105] Catalogue de Lamprias, n° 83.

[106] De Vitis sophistarum, proœmium. — Au dire de Patricius, se fondant sur un texte de Suidas (nomine Αμμώνιος), — Discussions péripatéticiennes, tome I, livre X, p. 139, — Ammonius serait un philosophe alexandrin, celui-là même qui succéda à Aristarque dans la direction de l’école d’Alexandrie, avant l’avènement d’Auguste à l’Empire. Mais comment admettre que le maître, qui était dans la vigueur de son talent, en l’an 31 avant J. C., ait présidé à l’éducation d’un jeune homme né au plus tôt vers l’an 48 après J. C. ? Cf. Ruauld, 7 ; Fabricius, note h ; Bayle, Dictionnaire philosophique, art. Ammonius ; Brucker, Histor. critic. philosoph., déjà cité ; Dictionnaire des Sciences philosophiques. — D’après Corsini (Vita Plutarchi, 6), ce serait le même Ammonius que l’Ammonius dit de Lampra, auteur de différents traités sur les Dieux et les cérémonies de leurs cultes.

[107] Dans le traité de la Cessation des oracles, Ammonius discute avec vivacité une opinion sur les coutumes des prêtres de Jupiter Ammon, sans faire la moindre allusion à l’origine égyptienne qu’Eunape lui attribue, § 4.

[108] Propos de table, IX, 14, § 7 ; De la Cessation des oracles, 8, 20, 37, 38 ; De l’Inscription du temple de Delphes, 2, etc.

[109] Vie de Thémistocle, 32 ; Cf. Propos de table, I, 9.

[110] Patricius en fait le chef de la secte des philosophes syncrétiques. Cf. Brucker, déjà cité. Prœceptorem habuit Ammonium, philosophum doctum, sed syncretismi jam tum peste afflatum.

[111] De l’Inscription du temple de Delphes, 6, 17.

[112] Propos de table, IX, 15, § 2.

[113] De l’Inscription du temple de Delphes, 17 à 21.

[114] Propos de table, IX, 1, § 1. Cf. VIII, 3, § 1.

[115] De l’Inscription du temple de Delphes, 1.

[116] Du Flatteur et de l’ami, 81. Sur ce mode d’éducation, voir Pollux, Onomasticon, IV, 149.

[117] Propos de table, III, 1, § 1 et 2.

[118] Propos de table, IX, 14, § 2 ; De l’Inscription du temple de Delphes, 4, 17.

[119] Propos de table, IX, 1.

[120] Propos de table, IX, 1, § 2 ; 2, § 1 ; 5, § 1 ; De la Cessation des oracles, 46. Propos de table, IX, 1.

[121] Propos de table, IX.

[122] Propos de table, IX, 2, 15, 14 et passim.

[123] Propos de table, IX.

[124] Propos de table, V, 5, 12. I, 4, 9 ; VII, 6, etc.

[125] Propos de table, I, 4, 9 ; VIII, 6, etc.

[126] Vie d’Agésilas, 19.

[127] Préceptes politiques, 20 ; de l’habileté des animaux, 19.

[128] Préceptes politiques, 15. Cf., de la Curiosité, 15.

[129] Vie de Démosthène, 2 ; de la Curiosité, 15.

[130] Vie de Démosthène, 2.

[131] Si quando urbs nostra liberalibus studiis floruit, nunc maxime floret, dit Pline fièrement (Lettres, I, 10) ; et ailleurs : Magnum poetarum proventum hic annus tulit. Ibid., I, 13. Cf. VI, 21.

[132] Pline, Lettres, III, 5 ; VIII, 12. Cf. Aulu-Gelle, Nuits attiques, IX, 13.

[133] Pline, Lettres, II, 3. Cf. I, 10.

[134] Vita Plutarchi, 13.

[135] Voir ce qu’il dit lui-même de ces sortes de sujets. (De la Manière d’écouter, 13.) Cf. Talbot. De Ludicris apud veteres laudationibus, 1850.

[136] De la fortune des Romains, § 2 ; Cf. 13.

[137] Propos de table, II, 3.

[138] Émile, liv. II.

[139] Du Destin, 1.

[140] De la Curiosité, 15. Traduction d’Amyot, 26.

[141] Pline, Lettres, I, 10 ; II, 3.

[142] De l’Amour fraternel, 3.

[143] Propos de table, passim.

[144] Propos de table, I, 9 ; III, 3, 4 ; V, 7, 40 ; VII, 1, 2, 4, 6 ; VIII, 1, 2, 10.

[145] Suétone, in Vespasiano, 22.

[146] De la Tranquillité de l’âme, 1.

[147] De la Colère ; Cf. Pline, Lettres, I, 9 ; IV, 15 ; VI, 6.

[148] Propos de table, II, 1.

[149] Propos de table, I. 5 ; II, 3 ; IV, 3 ; V, 1 ; Cf. Tacite, Vie d’Agricola, 2 et 25 ; Pline, Lettres, I, 13 ; IV, 4.

[150] Voir les Banquets de Platon et de Xénophon et les Problèmes d’Aristote. Cf. Athénée, Le Souper des Sophistes.

[151] Plutarque, Vie de Caton l’Ancien, 25 ; Propos de table, livre VII, préface. — Cf. Cicéron, Lettres familières, IX, 24 : Remissio animorum maxime efficitur sermone familiari, qui est in conviviis dulcissimus, ut sapientius votant nostri quam Græci : illi τυμ πότια, id est compotationes aut concœnationes, nos convivia, quod tum maxime simul vivitur.

[152] Martial, Epigrammes, II, 77 ; Cf. VII, 76 ; X, 97 ; Juvénal, Satires, IV 10 ; VI, 455 et suiv. ; Pline, Lettres, I, 15 ; Pétrone, Satyricon. — Un grammairien du sixième siècle cite, parmi les ouvrages aujourd’hui perdus de Tacite, un recueil de facéties, qui, vraisemblablement, n’était pas autre chose que des mélanges d’observations morales et littéraires discutées dans des réunions de table.

[153] Suétone, in Tiberio, 56 : Quum soleret ex lectione cotidiana quæstiones super cenam proponere comperissetque Seleucum grammaticum a ministris suis perquirere, quos quoque tempore tractaret auctores, atque ita præparatum venire, primum a contubernio removit, deinde etiam ad mortem compulit. Cf. ibid., 70 ; Tacite, Annales, IV, 58 ; XIV, 16, 3. Marc-Aurèle, Pensées, I, 16, donne comme une preuve de sa bienveillance de n’avoir jamais fait à ses amis une obligation de partager ses repas.

[154] Propos de table, I, 1, 2, 3, 4 ; II, préface, 1 ; III, préface, 1 ; V, 5, 6 ; VII, 4, 5, 7, 9, 10 ; Les Animaux de terre sont-ils mieux doués que les animaux de mer, 2. Cf. Martial, Epigrammes, IX, 77 ; Aulu-Gelle, Nuits attiques, XIII, 2.

[155] Propos de table, IX, Préface ; I, 10 ; II, 10 ; III, 1, 7 ; IV, 1, 3, 4 ; V, 1, 2, 3, 5 ; VI, 8 ; VII, 5 ; VIII, 1, 4 ; IX, 3.

[156] Propos de table, VIII, 10. Cf. De l’Amour, 2.

[157] Propos de table, III et passim. Préceptes de santé, 20 ; le Banquet des sept Sages, 5 et suiv. Cf. Juvénal, Satires, VI, 433 et suiv.

[158] Propos de table, V, Préface.

[159] Propos de table, VII, S. Préceptes de santé, 20. Cf. Pline, Lettres, I, 15 ; IX, 17, 40 ; Martial, Epigrammes, V, 78 ; Perse, Satires, I, 30 et suiv.

[160] Propos de table, VII, 8.

[161] Propos de table, I, 9 ; III, 10 ; II, 9 ; IV, 2 ; VI, 7 ; IX, 2, 3, 7 ; VII, 2 ; III, 6.

[162] Le Banquet des sept Sages, 13.

[163] Propos de table, I, 10 ; II, 2 ; III, 5, 7, 9, 10 ; IV, 2, 3 ; VI, 4, 10 ; VII, 5 ; VIII, 3, 6.

[164] Propos de table, I, 1 ; IX, 4. Cf. Epictète, Entretiens, I, 26. II, 19

[165] Propos de table, I, 1, VII, 8 ; VIII, Préface. Cf. Martial, Epigrammes, IX, 77, 5.

[166] Propos de table, II, 2 ; IV, 1, 3 ; V, 2, 3 ; VII, 2, 5 ; VIII, 4, 10 ; IX, 1, 10. Cf. De l’Amour, 2 ; Pourquoi les oracles ont cessé, 1 ; Des Oracles en vers, 1 ; De l’Inscription du temple de Delphes, 1.

[167] De l’Utilité des ennemis, 1 ; Du Flatteur et de l’Ami, 1 ; Cf. Propos de table, I, 10 ; De la Tranquillité de l’âme, 1 ; Préceptes politiques, 1 ; Propos de table, I, Préface ; Cf. du Destin, 1.

[168] Lettre à Timoxène, 5.

[169] Propos de table, IV, 5 ; VII, 2, 4 ; VIII, 7, 10, etc. ; Cf. De l’Inscription du temple de Delphes, 1, etc.

[170] Il semble que Lamprias, son autre frère, soit mort de bonne heure : il n’est question, dans ses œuvres, que des études de sa jeunesse.

[171] De l’Amour fraternel, 16.

[172] Villemain, Notice.

[173] Préceptes politiques, 21.

[174] Artémidore, Traité des songes, 47.

[175] Le dernier fait historique qu’il mentionne dans ses écrits est le quartier d’hiver établi par Trajan sur les bords du Danube, fait qui se rapporte aux années 104 et 105. (Du premier froid, 12.)