Troisième époque — La décadence
Pour l’observateur superficiel, l’Allemagne, ravagée par des bandes de pillards, déchirée par des luttes incessantes, et dont la situation politique était des plus précaires, cet État si divisé et si affaibli paraissait être le dernier pays où pût naître un mouvement assez agissant pour ébranler l’Europe jusque dans ses fondements, la constituer sur des bases nouvelles et mettre fin au moyen âge. Mais, en réalité, il existait chez le peuple allemand des forces latentes qui, sous une impulsion vigoureuse, pouvaient produire des effets considérables. Les Allemands, d’une pédanterie légèrement ridicule, menaient encore une vie simple et austère, tandis que dans les pays romans, en Italie, en France et en Espagne, les mœurs étaient raffinées et corrompues. Le bas clergé aussi valait mieux en Allemagne que dans le reste de l’Europe. A Rome et en Italie, le christianisme, avec ses dogmes, était un objet de risée et de moquerie dans les milieux cultivés et principalement à la cour pontificale ; les dignitaires de l’Église ne tenaient à leur religion que pour le pouvoir politique qu’elle leur assurait. En Allemagne, au contraire, on prenait le christianisme au sérieux ; il apparaissait aux yeux des croyants comme un idéal qui avait été vivant autrefois et qui, forcément, devait reprendre vie. Mais ces qualités morales étaient comme endormies au fond
du cœur du peuple allemand. Il fallait des circonstances favorables pour les
éveiller et les rendre capables d’exercer, comme elles le firent, une
influence considérable sur la marche de l’histoire. On peut affirmer
hautement qu’une des principales causes de ce réveil fut le Talmud. Ce sont
les polémiques suscitées à ce moment parle Talmud qui créèrent en Allemagne
une opinion publique, sans laquelle L’auteur inconscient de ce mouvement, qui devait prendre un si formidable développement, fut un Juif ignorant et vulgaire du nom de Joseph Pfefferkorn. Cet homme, boucher de son état, commit. un jour, un vol avec effraction. Arrêté, il fut condamné à la prison. mais. sur les instances de sa famille, on se contenta de lui infliger une amende. Ce fut sans doute pour laver cette tache que Pfeffcrkorn se fit asperger de l’eau du baptême à l’âge de trente-six ans, avec sa femme et ses enfants. A la suite de sa conversion, il devint le favori des dominicains de Cologne. On trouvait alors dans cette ville un grand nombre d’esprits étroits et fanatiques qui craignaient la lumière et s’efforçaient d’étouffer sous l’éteignoir les clartés naissantes. A leur tête marchait l’inquisiteur dominicain Hochstraten. homme violent et implacable, qui ressentait une vraie joie à voir baller des hérétiques. A côté de lui, il faut signaler Arnaud de Tongres, professeur de théologie dominicaine, et Ortuin de Graes, de Deventer, fils d’un ecclésiastique intolérant et fanatique. Ortuin de Graes, qui haïssait les Juifs avec passion, cherchait, par des écrits malveillants, à exciter contre eux la colère des chrétiens. Mais, trop ignorant pour composer tout seul même un mauvais pamphlet, il demandait à des Juifs convertis de lui fournir les matériaux nécessaires. C’est ainsi qu’il eut recours à un Juif qui, lors d’une persécution ou pour toute autre raison, avait embrassé le christianisme à l’âge de cinquante ans. Cet apostat, nommé Victor de Karben après sa conversion, savait peu d’hébreu et avait encore moins de connaissances talmudiques ; mais, pour donner plus de poids à ses accusations contre le judaïsme, Ortuin lui octroya le titre de rabbin. De plein gré ou par contrainte, Victor de Karben, qui déplorait pourtant amèrement que le baptême l’eût séparé de sa femme, de ses trois enfants, de ses frères et de ses. amis, reprochait à ses anciens coreligionnaires de détester les chrétiens et de mépriser le christianisme. Ce fut lui qui fournit à Ortuin les éléments de l’ouvrage que ce dernier écrivit contre les Juifs et le Talmud. A ce moment, les dominicains se disposaient à réaliser un plan préparé de longue main et qui, dans leur pensée, devait rapporter profits et honneur à leur ordre, chargé de juger les personnes et les livres hérétiques. Pour l’exécution de ce plan, ils avaient besoin d’un Juif. Victor de Karben ne pouvait pas servir, soit parce qu’il était alors trop âgé ou qu’il leur paraissait de valeur trop médiocre. Leur choix tomba sur Pfefferkorn. Celui-ci servit une première fois de prête-nom pour un nouvel ouvrage qu’Ortuin publia contre les Juifs. Ce livre, composé d’abord par Ortuin en latin, était intitulé : Le Miroir avertisseur, et invitait les Juifs à se convertir. Il était écrit dans un langage doucereux, flattant les Juifs, déclarant calomnieuses les accusations de rapt et de meurtre d’enfants chrétiens qu’on dirigeait si souvent contre eux, et invitant les chrétiens à ne pas expulser les Juifs, chassés jusqu’alors d’une contrée dans une autre, et à ne pas trop les opprimer, puisqu’ils étaient aussi des hommes. Mais cette bienveillance n’était qu’apparente; il s’agissait tout simplement de tâter le terrain avant d’entrer sérieusement en campagne. Les dominicains étaient, en effet, hantés du désir de
faire confisquer les exemplaires du Talmud, comme du temps de saint Louis en
France. C’était déjà là le but poursuivi par le premier pamphlet de
Pfefferkorn, qui cherchait surtout à rendre suspect le Talmud. Tour à tour
bienveillant et injurieux, cet écrit dénonce l’usure des Juifs, leur
attachement aveugle au Talmud et leur obstination à ne pas fréquenter les
églises. Il conclut en engageant les princes et les peuples à s’opposer à
l’usure des Juifs, à les pousser de force dans les églises pour écouter les
prédicateurs chrétiens, et, enfin, à détruire le Talmud. Mettre la main sur
cet ouvrage, voilà ce qui présentait surtout de l’intérêt pour les
dominicains. On disait alors ouvertement en Allemagne qu’en demandant la
confiscation du Talmud, les obscurants
de Cologne espéraient réussir à réaliser avec Pfefferkorn une bonne affaire.
Car, les exemplaires du Talmud, une fois mis sous séquestre, seraient confiés
à la garde des dominicains, en leur qualité de juges de l’Inquisition, et,
comme les Juifs allemands ne pourraient pas se passer de cet ouvrage, fis
essaieraient sûrement d’en faire annuler la confiscation à prix d’argent.
Aussi les dominicains s’acharnèrent-ils dans leurs attaques contre les juifs
et le Talmud. Une année après la publication du premier livre paru sous le
nom de Pfefferkorn, ils publièrent sous le même nom plusieurs autres écrits
encore plus virulents, où ils déclaraient qu’il est du devoir des chrétiens
de traquer les Juifs comme des animaux malfaisants. Si les princes ne
prennent pas l’initiative de cette persécution, il appartient au peuple
d’exiger d’eux qu’ils enlèvent aux Juifs tous les livres religieux, à
l’exception de Heureusement, les temps étaient changés. Quoique la haine
contre les Juifs fait encore aussi violente qu’à l’époque des croisades et de
Les agissements de Pfefferkorn n’étaient pas sans danger
pour les Juifs d’Allemagne, qui résolurent de se défendre vigoureusement. Des
médecins juifs, influents à certaines cours princières, paraissent s’être
servis de leur crédit auprès de leurs protecteurs pour démontrer l’inanité
des accusations de leur adversaire. Sur un point, cependant, les obscurants
de Cologne espéraient avoir facilement cause gagnée. Ils pensaient qu’on leur
accorderait volontiers l’autorisation de faire des perquisitions dans les
maisons juives et, au besoin, d’en soumettre les propriétaires à la torture
pour mettre la main sur les exemplaires du Talmud et, en général, sur tout
ouvrage religieux, en dehors de Cette princesse, autrefois la fille préférée de l’empereur Frédéric Ill, avait causé à son père un profond chagrin. A l’insu de l’empereur, elle s’était mariée avec un de ses ennemis, le duc bavarois Albert de Munich. Pendant longtemps, le père irrité ne voulut même pas entendre prononcer le nom de sa fille. Le duc Albert mourut encore jeune (1508). Sa veuve, peut-être pour expier la faute commise à l’égard de son père, se retira dans un couvent et devint abbesse des sœurs Clarisses. C’est cette princesse, d’une piété sombre et fanatique, que les dominicains de Cologne s’efforcèrent de rendre favorable à leur projet. Ils envoyèrent Pfefferkorn auprès d’elle, pour lui persuader que les Juifs proféraient des injures contre Jésus, Marie, les apôtres et toute l’Église, et qu’il était nécessaire de détruire leurs livres, remplis de blasphèmes contre le christianisme. Convaincre une telle femme, qui vivait, enfermée dans un couvent, ne devait pas exiger de grands efforts. Cunégonde ajouta foi à toutes les calomnies débitées contre les Juifs, d’autant plus que ces calomnies lui étaient répétées par un homme recommandé parles dominicains et qui avait été Juif lui-même. Elle remit donc à Pfefferkorn une lettre pour Maximilien, qu’elle adjurait d’accueillir avec faveur la demande des dominicains et de ne pas attirer sur sa tête la colère de Dieu en ménageant les Juifs blasphémateurs. Muni de cette lettre, Pfefferkorn se rendit en toute hâte
auprès de l’empereur et réussit à obtenir de lui une commission générale (du Du camp où il était allé voir Maximilien, Pfefferkorn
revint tout triomphant en Allemagne, pressé de commencer sa chasse aux livres,
et aussi aux écus juifs. Il débuta dans l’importante communauté de Francfort,
où l’on trouvait alors de nombreux talmudistes, partant beaucoup
d’exemplaires du Talmud, et aussi des Juifs très aisés. De plus, outre les
livres d’usage, il y avait, dans cette ville, de nombreux exemplaires neufs
du Talmud et ü autres ouvrages hébreux, destinés à être vendus à la foire.
Sur la demande de Pfefferkorn, le Sénat de Francfort convoqua tous les Juifs
à la synagogue, où il leur fit connaître l’ordre impérial. En présence
d’ecclésiastiques et de plusieurs membres du Sénat, on confisqua alors torts
les livres de prières qu’on trouva dans la synagogue. C’était la veille de la
fête des Tentes (vendredi
Une nouvelle preuve que les temps étaient changés, c’est que les Juifs n’acceptaient plus, comme autrefois, avec résignation, toutes les violences et toutes les iniquités qu’on voulait leur infliger. Devant l’acte de spoliation dont les menaçait Pfefferkorn, ils invoquèrent les privilèges que leur avaient accordés des empereurs et des papes, et qui leur garantissaient la liberté religieuse, et, par conséquent, la propriété de leurs livres de prières et d’étude. Ils demandèrent donc que la confiscation fut retardée, afin qu’il leur fût possible d’en appeler à l’empereur et à la chambre impériale. En même temps, l’administration de la communauté de Francfort envoya un délégué auprès d’Uriel de Gemmingen, prince-électeur et archevêque de Mayence, dont relevait le clergé de Francfort, pour le prier d’empêcher les ecclésiastiques de participer à une telle injustice. Le prélat accéda à ce désir. Quand le Sénat de Francfort apprit la décision de l’archevêque de Mayence, il retira, à son tour, son appui à Pfefferkorn. Mais les Juifs ne s’endormirent pas sur ce premier succès. Tout en ignorant que derrière Pfefferkorn se cachaient les puissants dominicains, ils devinaient qu’il était soutenu par leurs ennemis et qu’ils n’étaient pas en sécurité. Ils déléguèrent donc Jonathan Cion auprès de l’empereur Maximilien pour plaider leur cause, et ils invitèrent toutes les communautés juives allemandes à se faire représenter à une réunion qui aurait lieu le mois suivant, et où l’on prendrait les mesures de préservation nécessaires. Tout péril semblait pourtant écarté pour le moment, grâce à l’intervention de l’archevêque de Mayence Qu’il le fit par pur sentiment de justice ou par aversion pour le fanatisme des dominicains, ou qu’il fût froissé que l’empereur eût accordé à un étranger un droit de juridiction sur les affaires religieuses dans son diocèse, ce qui est certain c’est que ce dignitaire de l’Église défendit énergiquement les Juifs. Le 5 octobre il écrivit à l’empereur pour exprimer son étonnement que, dans une conjoncture aussi grave, il eût donné pleins pouvoirs à un homme aussi ignorant et aussi peu digne de confiance que Pfefferkorn, affirmant que les Juifs établis dans son diocèse ne possédaient pas de livres injurieux pour le christianisme. Il ajoutait que dans le cas où le souverain tiendrait à faire confisquer et examiner les ouvrages hébreux, il devrait confier cette mission à une personne compétente. Pour ne pas paraître partial dans cette affaire, il se mit en relations avec Pfefferkorn. Il le manda à Aschaffenburg, et là il lui montra que le mandat dont l’avait gratifié l’empereur présentait un vice de forme et que les Juifs pourraient contester la validité de ses pouvoirs. Dans cet entretien, on prononça pour la première fois le nom de Reuchlin. Il fut, en effet, question d’adjoindre à Pfefferkorn, pour l’examen des ouvrages incriminés, Reuchlin (ou bien Victor de Karben) avec un dominicain de Cologne. En s’assurant le concours de Reuchlin, dont le savoir et le caractère étaient profondément respectés en Allemagne, les dominicains comptaient que leur entreprise aurait plus de chances de réussite. Peut être aussi espéraient-ils compromettre ce savant, dont les efforts pour répandre l’étude de l’hébreu parmi les chrétiens d’Allemagne et d’Europe étaient vus d’un très mauvais œil par les obscurants. De toute façon ils se trompèrent dans leurs calculs, car Reuchlin, en prenant part à ces débats, porta à l’Église catholique des coups qui l’ébranlèrent jusqu’aux fondements. On put dire plus tard avec raison que ce chrétien teinté de judaïsme avait fait plus de mal à l’Église que tous les écrits de polémique des Juifs. Jean Reuchlin, de Pforzheim (1455-1522), contribua pour une grande part
à faire succéder, en Europe, un esprit nouveau à l’esprit du moyen âge. Sous
le nom de Capnion et aidé de son contemporain plus jeune, Érasme, de
Rotterdam, il réveilla en Allemagne le goût des lettres et de la science, et
prouva que, dans le domaine de l’antiquité classique et des humanités, les
Allemands pouvaient rivaliser avec les Italiens. A une culture littéraire
fort remarquable, Reuchlin joignait un caractère élevé, une scrupuleuse
loyauté, un très grand amour de la vérité. Plus érudit qu’Érasme, il voulait,
à l’exemple de saint Jérôme, savoir l’hébreu. Son ardeur à étudier cette
langue devint une vraie passion lorsque, pendant son second voyage en Italie,
il eut fait la connaissance, à Florence, du célèbre Pic de Dès qu’il fut un peu familiarisé avec la littérature hébraïque, Reuchlin publia un opuscule, Le mot mirifique, où il parle avec enthousiasme de l’hébreu. La langue hébraïque, dit-il, est simple, pure, sacrée, concise et vigoureuse ; Dieu s’en sert pour parler aux hommes, et les hommes pour s’entretenir avec les anges, directement, sans intermédiaire, face à face, comme un ami parle à son ami. Il s’efforce de prouver que la sagesse des nations, les symboles religieux des païens et les pratiques de leur culte ne sont que des modifications et des altérations de la vérité juive, dissimulée dans les mots, les lettres et même la forme des lettres. Au surplus, Reuchlin ne négligea aucune occasion de se perfectionner dans la langue hébraïque. Pendant qu’il résidait à Rome, en qualité de représentant du prince électeur du Palatinat auprès du pape Alexandre VI (1498-1500), il se fit donner des leçons d’hébreu par le Juif Obadia Sforno. Comme il était le seul chrétien en Allemagne, et même en Europe, qui sût l’hébreu, ses nombreux amis le pressèrent de publier une grammaire hébraïque pour faciliter aux chrétiens l’étude de cette langue. Cette grammaire, la première qui ait été composée par un savant chrétien — elle fut achevée en mars 1506 — et que Reuchlin appelle un monument plus durable que l’airain, présentait certainement bien des lacunes. Elle contenait simplement les règles les plus élémentaires de la prononciation de l’hébreu et des formes des mots, ainsi qu’un petit lexique. Mais elle exerça quand même une sérieuse influence, car elle éveilla le goût des études hébraïques chez plusieurs humanistes, qui s’y adonnèrent ensuite avec ardeur. Quelques disciples de Reuchlin, notamment Sébastien Munster et Widmannstadt, marchèrent sur les traces de leur maître et manifestèrent autant de zèle pour l’étude de l’hébreu que pour celle du grec. Reuchlin n’était pourtant pas un ami des Juifs. Dans sa jeunesse, il nourrissait contre eux les mêmes préjugés que ses contemporains, les considérant comme dénués de tout goût littéraire ou artistique et les déclarant vils et méprisables. A l’exemple de saint Jérôme, il proclama sans ambages sa haine pour le peuple juif. En même temps qu’il publiait sa grammaire hébraïque, il écrivait une lettre où il attribuait tous les maux des Juifs à leur aveuglement et à leur obstination. Autant que Pfefferkorn, il croyait qu’ils blasphémaient contre Jésus, Marie, les apôtres et l’Église. Plus tard, il regretta d’avoir publié cette lettre, car
son cœur était resté honnête et bon. Dans ses relations avec les Juifs, il
leur témoignait de la bienveillance ou, au moins, de la considération. Son
sentiment de la justice ne lui permettait pas d’approuver les iniquités
commises à l’égard des Juifs. Quoiqu’il n’eût jamais donné lieu jusqu’alors
au moindre soupçon d’hérésie et qu’il entretint d’excellents rapports avec
les dominicains, les obscurants le considéraient instinctivement comme leur
ennemi. Ils lui en voulaient de son culte pour la science et la littérature
classique, de sa passion pour la langue grecque, dont le premier il avait
introduit l’étude en Allemagne, de ses efforts pour propager l’enseignement
de l’hébreu et de la préférence qu’il accordait à la
vérité hébraïque sur la traduction latine canonique de Tel était l’homme que Pfefferkorn voulait s’attacher comme complice dans ses intrigues contre les Juifs. Quand l’apostat juif se rendit une seconde fois au camp de l’empereur, il fit d’abord visite à Reuchlin pour lui exposer la mission dont il était ‘chargé et lui montrer la commission qu’il avait reçue de Maximilien pour cet objet. Reuchlin approuva son projet de détruire les livres contenant des blasphèmes contre le christianisme, mais lui fit remarquer, comme l’avait déjà fait l’archevêque de Mayence, qu’il y avait un vice de forme dans le mandat que lui avait confié l’empereur. Pfefferkorn promit de tenir compte de l’observation et de demander à Maximilien une nouvelle commission dont la validité ne fût pas contestable. Pendant que ces pourparlers avaient eu lieu entre Reuchlin et Pfefferkorn, les défenseurs des Juifs n’étaient pas restés inactifs. Jonathan Cion et un autre de ses coreligionnaires influents, Isaac Trieste, appuyés par des chrétiens considérés, par le délégué de l’archevêque de Mayence et le margrave de Bade, avaient fait valoir auprès de l’empereur les privilèges accordés aux Juifs par plusieurs de ses prédécesseurs et par plusieurs papes. D’après ces privilèges, les Juifs étaient autorisés à pratiquer leur religion, et le souverain lui-même n’avait pas le droit d’entraver le libre exercice de leur culte ni, par conséquent, celui de leur enlever leurs livres religieux. L’empereur fut aussi informé que le dénonciateur des Juifs était un misérable, condamné autrefois pour vol. Les défenseurs des Juifs semblaient avoir réussi dans leurs démarches, car Maximilien transféra à Uriel de Gemmingen, archevêque de Mayence, les pouvoirs qu’il avait d’abord confiés à Pfefferkorn. L’empereur était malheureusement un esprit très mobile,
et, quand Pfefferkorn vint le revoir, muni d’une nouvelle lettre, très
pressante, de sa sœur Cunégonde, il lui rendit ( Uriel de Gemmingen délégua ses pouvoirs au régent de l’Université de Mayence pour surveiller la confiscation des livres. Accompagné de ce délégué, Pfefferkorn retourna à Francfort, où il reprit ses recherches. Il mit la main sur mille cinq cents ouvrages manuscrits, qu’il fit déposer à l’hôtel de ville. Dans d’autres localités aussi il s’acquitta avec zèle de sa tâche. Au commencement, les principales communautés juives de l’Allemagne étaient restées indifférentes devant les agissements de Pfefferkorn ou plutôt des dominicains. Elles n’avaient pas non plus répondu à l’invitation qui leur avait été adressée d’envoyer des délégués à une réunion de notables juifs pour délibérer sur la situation et créer un fonds de défense. Seules, quelques communautés peu considérables avaient immédiatement voté des subsides ; les communautés riches, telles que Rothenbourg-sur-la-Tauber, Wissembourg et Fürth, s’étaient abstenues. Mais, quand Pfefferkorn eut commencé à confisquer les livres hébreux, non seulement à Francfort, mais aussi dans d’autres localités, elles sortirent de leur torpeur. Leur action s’exerça tout d’abord sur le Sénat de Francfort, qu’elles réussirent à se rendre favorable. Les libraires juifs venaient d’habitude à la foire du printemps, à Francfort, avec des ballots de marchandises. Pfefferkorn émit la prétention de mettre également sous séquestre tous ces livres neufs, mais le Sénat s’y opposa. Du reste, en prévision d’une menace de confiscation, ces marchands s’étaient fait délivrer par les princes et seigneurs de leurs pays des sauf-conduits garantissant leur personne et leurs biens. L’archevêque Uriel aussi ne prêta qu’un très faible appui à Pfefferkorn, évitant de convoquer les savants désignés par l’empereur pour examiner les ouvrages hébreux et montrant, en général, une très grande mollesse. Il semble même que plusieurs princes, éclairés par les Juifs sur la vraie signification de la confiscation de leurs livres, firent des démarches en leur faveur auprès de Maximilien. Enfin, le peuple se déclara également contre Pfefferkorn. Dans l’espoir de gagner l’opinion publique à leur cause et
de réussir à exercer par elle une pression morale sur l’empereur, les
dominicains avaient, en effet, publié, sous le nom de Pfefferkorn, un nouveau
pamphlet contre les Juifs. Cet écrit, intitulé : A la gloire de l’empereur Maximilien, encensait
sans vergogne le souverain et déplorait en même temps qu’on accordât si peu
d’importance, dans les milieux chrétiens, aux accusations dirigées contre le
Talmud. Ce fut peine perdue. On resta, en général, hostile à l’entreprise des
obscurants. Maximilien revint même en partie sur ses premiers ordres et invita
le Sénat de Francfort à restituer aux Juifs tous leurs livres ( Il se produisit malheureusement un incident, à ce moment,
dont les dominicains surent tirer grand profit pour leur cause. Un ciboire
avec un ostensoir doré avait été volé dans une église de Cette affaire causa une profonde émotion en Allemagne, et les dominicains ne manquèrent pas de s’en servir contre les Juifs auprès de l’empereur. Celui-ci eut, du reste, à soutenir un véritable assaut de la part de sa sœur Cunégonde. Les dominicains avaient, en effet, fait accroire à cette princesse dévote qu’en revenant sur ses premières déterminations à l’égard des Juifs Maximilien semblait, en quelque sorte, approuver leurs plus horribles crimes et leurs blasphèmes contre le christianisme. Aussi, lors de son entrevue avec son frère, à Munich, Cunégonde se jeta à ses pieds, pleura et le supplia de ne plus couvrir les Juifs de sa protection. Maximilien était perplexe. Opposer un refus formel aux
sollicitations de sa sœur, c’était l’affliger profondément, mais, d’un autre
côté, il commençait à se défier de Pfefferkorn et de ses agissements. Il se
tira d’embarras par une sorte de compromis. Pour la quatrième fois, il prit
un arrêté ( Heureusement pour les Juifs, qui attendaient avec anxiété
le résultat final des travaux de tous ces savants, Reuchlin se prononça
contre la suppression du Talmud. Son mémoire était écrit, il est vrai, dans
un style lourd et pédant, à la mode du temps, mais il sut exposer le sujet
avec habileté. Il part de ce principe qu’il serait injuste d’accorder à tous
les ouvrages juifs la même importance et la même valeur et qu’il faut les
répartir, outre Jamais, depuis qu’ils étaient persécutés par les chrétiens, les Juifs n’avaient encore trouvé un défenseur aussi énergique que Reuchlin. Son plaidoyer en leur faveur était d’autant plus important qu’il se présentait sous la forme d’un document officiel, destiné au chancelier et à l’empereur. Sur deux points surtout, les déclarations de Reuchlin avaient une réelle valeur pour les Juifs. Ainsi, il n’hésitait pas à affirmer que les Juifs étaient citoyens de l’empire germano-romain et devaient jouir, à ce titre, des mêmes droits et de la même protection que les autres citoyens. C’état là, en quelque sorte, la première proclamation, encore vague et incomplète, du principe de l’émancipation des Juifs ; qui ne fut admis complètement en Allemagne que trois siècles plus tard. Une voix autorisée osait enfin protester contre cette idée absurde du moyen âge que, par suite de la conquête de Jérusalem par Titus et Vespasien, les Juifs étaient devenus la propriété des empereurs romains et, par conséquent, de leurs successeurs en Allemagne. En second lieu, il niait formellement que les Juifs fussent des hérétiques. Comme ils se tiennent en dehors de l’Église, dit-il, et qu’ils ne sont pas contraints de suivre la foi chrétienne, on ne peut pas leur appliquer la qualification de mécréants et d’hérétiques. Les conclusions des autres mémoires étaient loin de
concordat avec celles de Reuchlin. Pour les dominicains de Cologne, A force d’avoir voulu être habiles et machiavéliques, les dominicains de Cologne perdirent leur cause. Dans la pensée de Reuchlin, le mémoire qu’on lui avait demandé, et qu’il envoya scellé de son sceau, par un messager assermenté, à l’archevêque Uriel, ne devait être lu que par ce dernier et par l’empereur. Mais Pfefferkorn sut s’arranger de façon à prendre connaissance de ce mémoire avant l’empereur. Outré de ce procédé, Reuchlin accusa publiquement les dominicains de Cologne de bris de scellés. Les Juifs pourtant n’eurent qu’à se louer de cet acte d’indélicatesse de leurs ennemis, car il tourna en leur faveur. Les dominicains savaient, en effet, que l’opinion de Reuchlin serait d’un grand poids pour l’empereur et ses conseillers. Or, quand ils virent que cette opinion leur était contraire, ils publièrent contre Reuchlin un pamphlet allemand, dans l’espoir de gagner le peuple à leur cause et de contraindre ainsi l’empereur à sévir contre les Juifs. Dans cet écrit intitulé : Glace à main, et répandu par milliers d’exemplaires, Pfefferkorn, qui, en cette circonstance aussi, n’était que le prête-nom des dominicains, insultait grossièrement Reuchlin. Ce pamphlet produisit une énorme sensation, car Reuchlin occupait une situation élevée comme savant et comme dignitaire de l’Empire. On trouvait surtout impudent de la part d’un Juif converti d’accuser d’irréligion un chrétien né dans le christianisme et universellement respecté. Reuchlin ne pouvait ni ne voulait rester sous le coup de telles attaques. Il porta plainte auprès de l’empereur contre Pfefferkorn. Maximilien ne cacha pas son mécontentement au sujet des procédés des dominicains, et il essaya de calmer Reuchlin en lui promettant de charger l’évêque d’Augsbourg d’ouvrir une enquête sur toute cette affaire. Mais, absorbé par des occupations multiples, il oublia Reuchlin et ses griefs. D’un autre côté, la foire d’automne allait se tenir à Francfort, et Pfefferkorn aurait l’occasion d’y propager son pamphlet venimeux. Devant la perspective de continuer à voir son honneur impunément outragé par ses ennemis, Reuchlin résolut de se défendre lui-même. Il répondit au pamphlet de Pfefferkorn par un autre pamphlet allemand, le Miroir des yeux (composé à la fin d’août ou au commencement de septembre 1511), où il dévoile les manœuvres de Pfefferkorn et de ses acolytes. Il expose en termes simples, mais chaleureux, l’origine de ses démêlés avec les dominicains, et raconte les efforts du renégat juif pour faire condamner le Talmud au feu et obtenir son appui dans cette occurrence. Après avoir reproduit les diverses pièces qui lui furent adressées, à propos de cette affaire, par Maximilien et l’archevêque de Mayence, et le mémoire qu’il écrivit sur ce sujet, il montre comment Pfefferkorn prit connaissance de ce mémoire d’une façon malhonnête et l’attaqua ensuite dans un pamphlet qui ne contient pas moins de trente-quatre assertions mensongères. Ce qui indigne surtout Reuchlin, c’est qu’on ait eu l’audace d’affirmer qu’il s’était laissé acheter par les Juifs. Il se montre également blessé de ce que ses ennemis ne croient pas à ses connaissances hébraïques et lui dénient la paternité de sa grammaire hébraïque. Enfin, pour terminer, il prend énergiquement la défense des Juifs. Au reproche que lui adresse Pfefferkorn d’avoir appris l’hébreu chez des Juifs et d’avoir ainsi contrevenu à la loi canonique qui défend d’entretenir avec eux des relations, Reuchlin répond : Le Juif baptisé dit que la loi divine interdit tout rapport avec les Juifs ; cela est faux. Les chrétiens peuvent comparaître en justice avec eux, acheter chez eux, leur faire des présents et des donations. Le cas peut même se présenter où un chrétien hérite en commun avec un Juif. Il est également permis de s’entretenir avec eux et de se faire instruire par eux, comme la prouvent les exemples de saint Jérôme et de Nicolas de Lyre. Enfin, il est prescrit au chrétien d’aimer le Juif comme son prochain. Quand, au moment de la foire de Francfort, le Miroir de Reuchlin fut répandu parmi les milliers de personnes qui se trouvaient alors dans cette ville, il produisit une émotion des plus profondes. C’était une chose inouïe qu’un personnage illustre, tel que Reuchlin, clouât au pilori comme malhonnête et menteur un adversaire des Juifs. Ceux-ci surtout lisaient avec avidité cet écrit où, pour la première fois, un chrétien fort respecté traitait leurs accusateurs de vils calomniateurs, et ils rendaient grâce à Dieu de leur avoir suscité un défenseur dans leur détresse. Aussi travaillèrent-ils de toutes leurs forces à la propagande de cet opuscule. De tous côtés, de savants et d’ignorants, Reuchlin recevait des félicitations. On se réjouissait qu’il eût riposté si vigoureusement aux obscurants de Cologne. A la suite de l’apparition du Miroir de Reuchlin et de sa défense du Talmud, commença une lutte qui prit un caractère de plus en plus grave et dont la portée dépassa bientôt de beaucoup l’objet qui l’avait fait naître. Les dominicains, qui se sentaient menacés et dont les moyens d’action étaient considérables, se défendirent avec énergie. Mais leur colère leur fit commettre des imprudences et les emporta au delà du but. Par excès de zèle, leurs amis aussi, au lieu de leur être
utiles, nuisirent à leur cause. Un prédicateur de Francfort-sur-le-Mein,
Peter Meyer, n’ayant pas réussi à arrêter la vente du a Miroir D et désireux
pourtant de plaire aux dominicains, annonça un jour, du haut de la chaire,
que Pfefferkorn prêcherait contre le pamphlet de Reuchlin la veille de la
prochaine tête de Jusqu’alors, le principal instigateur de cette lutte,
l’inquisiteur Jacob Hochstraten, s’était tenu sur la réserve, se contentant
d’envoyer au feu ses lieutenants, Pfefferkorn, Ortuin de Graes et Arnaud de
Tongres. Quand il s’aperçut de la tournure défavorable que prenait cette
affaire pour les dominicains, il crut nécessaire de se jeter lui-même dans la
mêlée. Autorisé sans doute par son provincial, il invita Reuchlin (le Les griefs qu’il énonça contre Reuchlin furent ceux
qu’avaient déjà formulés Pfefferkorn et Arnaud de Tongres. Il lui reprochait
de prendre trop chaleureusement la défense des Juifs, de considérer ces chiens presque autant que les membres de
l’Église, de leur reconnaître les mêmes droits qu’aux chrétiens, et il
proposa à A la grande surprise des dominicains, Reuchlin se présenta à Mayence, accompagné de deux conseillers du duc de Wurtemberg. Le procès mené contre lui de si étrange façon par l’Inquisition avait, du reste, irrité au plus haut point bien des gens, et surtout ses amis et ses admirateurs. La jeunesse studieuse de l’Université de Mayence, chez laquelle la théologie et la scolastique n’avaient pas encore éteint tout sentiment de justice et de générosité, ne dissimula pas l’indignation qu’elle en éprouvait, et elle entraîna dans son mouvement de protestation les professeurs de droit et plusieurs personnages de marque. Aussi le chapitre de Mayence s’efforça-t-il d’amener une conciliation entre Reuchlin et ses adversaires. Mais Hochstraten persista dans son fanatisme étroit et fixa la discussion du procès au 12 octobre, jour où serait prononcée la sentence. Sur l’ordre de l’inquisiteur et avant le prononcé de l’arrêt, les ecclésiastiques de Mayence proclamèrent dans les églises que tous ceux qui avaient en leur possession des exemplaires du Miroir, Juifs ou chrétiens, étaient tenus, sous peine d’une forte amende, de les livrer pour être brûlés. Le clergé promit aussi aux fidèles des indulgences pour trois cents jours s’ils venaient assister à l’autodafé, sur la place de l’église. Au jour fixé, on y accourut en foule. Sur la tribune érigée devant l’église, on vit s’avancer d’un pas grave et solennel les dominicains, ainsi que les théologiens des Universités de Cologne, Louvain et Erfurt. Hochstraten, qui avait rempli jusque-là les fonctions d’accusateur, alla prendre place parmi les juges. Le tribunal se disposait à prononcer le verdict et à faire allumer le feu du bûcher, quand arriva un messager de l’archevêque Uriel. Outré des prétentions des dominicains et de leurs procédés à l’égard de Reuchlin, Uriel de Gemmingen ordonnait aux commissaires élus parmi ses ouailles de remettre le prononcé du jugement à un mois. Dans le cas où ils ne se conformeraient pas à ses ordres, il les relèverait de leurs fonctions d’inquisiteur et déclarerait toutes leurs décisions nulles et non avenues. Les dominicains furent atterrés de cet ordre, qui venait brusquement déjouer toutes leurs machinations. Seul, Hochstraten essaya de protester contre l’intervention de l’archevêque ; mais ses collègues refusèrent de le suivre dans cette voie. Ils descendirent confus de la tribune, poursuivis par les cris moqueurs de la foule et par ces paroles de nombreux assistants : Qu’on fasse monter sur le bûcher ces frères qui traitent de si pitoyable façon un homme d’honneur. Hermann de Busche, le missionnaire de l’humanisme, comme l’appelle avec raison un écrivain moderne, et Ulric de Hutten, le défenseur chevaleresque de la justice et de la vérité, célébrèrent la victoire de Reuchlin dans un chant intitulé : Triomphe de Reuchlin. Dans cette poésie, ils conseillent à l’Allemagne de se rendre bien compte de l’importance de la victoire remportée sur les dominicains par le plus illustre et le plus savant de ses enfants, et ils l’engagent à faire à Reuchlin, à son retour dans sa patrie, une réception triomphale. Hochstraten est représenté sous les traits d’un hideux fanatique qui crie sans cesse : Au feu les auteurs et leurs ouvrages ! Ils ajoutent : Qu’on écrive des vérités ou des mensonges, que les livres soient inspirés par la justice ou l’iniquité, Hochstraten est toujours prêt à allumer des bûchers. Il avale du feu, il s’en nourrit, il crache des flammes. Ses complices, Ortuin de Graes et Arnaud de Tongres, ne sont pas mieux traités. Mais, c’est surtout sur Pfefferkorn, sur ce vil renégat qui poursuivait ses anciens coreligionnaires de sa haine tenace, que s’abat le fouet vengeur de la satire. Naturellement, les Juifs se réjouirent aussi de la défaite des dominicains, car ils étaient particulièrement intéressés à l’issue du procès. Si le Miroir avait été condamné, nul chrétien n’aurait plus osé les défendre, ni moins de se résigner d’avance à se faire accuser d’hérésie, et leurs livres religieux auraient probablement subi le même sort que le Miroir. Les rabbins d’Allemagne se seraient donc montrés excellents prophètes s’ils s’étaient vraiment réunis en synode à Worms, comme le racontaient les dominicains, pour célébrer le succès de Reuchlin cornait, le signe précurseur de la chute de l’empire de Rome, c’est-à-dire de l’obscurantisme. Il était pourtant trop tût pour chanter victoire. Reuchlin, le premier, ne se faisait aucune illusion sur le caractère précaire de son succès. Il connaissait trop bien ses adversaires pour croire qu’ils accepteraient leur échec avec résignation. Aussi résolut-il d’en appeler au pape pour faire imposer définitivement silence à ses calomniateurs. Mais, comme il savait que la cour pontificale de ce temps n’était pas insensible aux riches cadeaux et que les dominicains ne reculeraient devant rien pour atteindre leur but, il écrivit en hébreu à Bonet de Lattés, médecin juif du pape Léon X, pour lui demander son appui. Léon X, de l’illustre famille des Médicis, dont le père
avait dit qu’il était le plus intelligent de ses fils, n’était pape que
depuis quelques mois. C’était un pontife un peu sceptique, s’intéressant plus
à la politique qu’à la religion, ne témoignant que dédain pour les
discussions théologiques, et préoccupé surtout de louvoyer habilement, et
avec profit pour les intérêts temporels du Saint-Siège, entre l’Autriche et Le Irrités de ce nouvel échec, les dominicains traitèrent l’évêque de Spire de la plus méprisante façon et refusèrent de se soumettre au verdict de ses délégués. Pfefferkorn eut même l’audace d’arracher la copie du jugement affichée à Cologne. Contrairement aux usages, Hochstraten en appela directement au pape, sans même en aviser l’évêque de Spire, qui avait fait prononcer la condamnation en qualité de juge apostolique. Il avait des partisans parmi les cardinaux à Rome, et, à supposer qu’il ne gagnât pas rapidement son procès, il espérait, du moins, pouvoir le faire durer assez longtemps pour ruiner totalement Reuchlin en frais de procédure avant le prononcé de la sentence. Et comme les obscurants de tous les pays souhaitaient ardemment la condamnation de Reuchlin, les dominicains comptaient bien que plusieurs Universités, notamment la plus influente, celle de Paris, se prononceraient contre le Miroir et agiraient ainsi sur Rome. Devant la coalition des obscurants, les partisans de la science, les amis des libres recherches, en un mot, les humanistes, unirent également leurs efforts. Il se forma un véritable parti dont le mot d’ordre était : Courage en l’honneur de Reuchlin ! Nous tous, disaient-ils, qui appartenons à l’armée de Pallas, nous sommes aussi dévoués à Reuchlin que les soldats à l’empereur. C’est ainsi que, par suite de la haine de Pfefferkorn pour les Juifs, les chrétiens d’Allemagne se divisèrent en deux camps, les Reuchlinistes et les Arnoldistes (nom donné aux dominicains) qui se combattaient avec acharnement. A la tête des amis de Reuchlin marchait la jeunesse
allemande de ce temps, Hermann de Busche, Crotus Rubianus (Jean Jaeger) et le
vaillant et fougueux Ulric de Hutten. Ce dernier surtout, alors âgé de
vingt-six ans, se jeta dans la mêlée avec une impétueuse ardeur, consacrant
toutes les forces de sa haute intelligence et toute l’énergie de son cœur à
la cause du libre examen, et mettant tout en oeuvre pour dissiper en
Allemagne les ténèbres du moyen âge à la lueur de l’esprit nouveau. A côté de
ces jeunes gens, on trouvait des hommes mûris par l’âge et l’expérience et
investis des plus hautes dignités : le duc Ulric de Wurtemberg et sa cour, le
comte de Helfenstein à Augsbourg, le comte de Nuenar, chanoine, les
patriciens Welser, Pirkheimer et Peutinger de Ratisbonne, Nuremberg et
Augsbourg, avec leurs partisans, ainsi que de nombreux prévôts, chanoines et
membres du chapitre, et même des cardinaux et d’autres hauts dignitaires de
l’Église en Italie. Egidio de Viterbe, général de l’ordre des augustins à
Rome, élève et protecteur du grammairien juif Elia Lévita, qui aimait
beaucoup la littérature hébraïque et provoqua la traduction du livre
cabalistique Zohar, écrivait à
Reuchlin : Presque chaque ville allemande eut bientôt ses deux partis, les amis et les adversaires de Reuchlin. Ceux-là réclamaient la conservation du Miroir et du Talmud, ceux-ci, au contraire, demandaient que les deux ouvrages fussent brûlés. Par la force des choses, les partisans de Reuchlin devinrent les amis des Juifs, exposant avec chaleur toutes les raisons qui militaient en leur faveur. Par contre, l’hostilité des autres s’accrut contre les Juifs, qu’ils attaquaient violemment avec des armes empruntées aux ouvrages les plus médiocres et les plus inconnus. Peu à peu, ces démêlés eurent leur contrecoup dans
l’Europe entière. Dans deux villes surtout, à Rome et à Paris, la lutte de
Reuchlin et des dominicains suscita d’ardentes discussions, car Hochstraten
attachait un grand prix à l’opinion de l’Université de Paris, qu’il voulait
se concilier par tous les moyens, et à Rome il usait de toutes les influences
pour faire annuler le jugement de Spire. D’un autre côté, Reuchlin, tout en
ayant eu gain de cause, avait besoin d’appui pour empêcher les intrigues de
ses adversaires d’aboutir. Il y réussit. L’instruction du procès fut confiée
par le pape au cardinal et patriarche Dominique Grimani. On savait que ce
prince de l’Église cultivait la littérature rabbinique et Muni de lettres de recommandation et de grosses sommes d’argent, l’inquisiteur se rendit à Rome. Reuchlin aussi se fit appuyer par ses partisans. L’empereur Maximilien, lui-même intervint en sa faveur. Après avoir prêté d’abord une oreille trop complaisante aux calomnies de Pfefferkorn et aux sollicitations de sa sœur fanatisée, ce souverain reconnut ensuite son imprudence et essaya d’en annuler les conséquences. Il écrivit donc au pape que, manifestement, les dominicains de Cologne s’efforçaient, contrairement à tout droit, de faire gainer leur procès en longueur pour triompher du savant, honnête et pieux Reuchlin. Il ajoutait que c’était- sur son ordre et dans l’intérêt de la chrétienté que Reuchlin avait pris la défense des Juifs. Aux attaques de leurs adversaires, les dominicains répondirent par un redoublement d’audace. Dans leur fureur, ils se montrèrent prêts à braver l’opinion publique, l’empereur et le pape. Ils firent comprendre à Léon X que, s’ils n’obtenaient pas satisfaction, ils n’hésiteraient pas à provoquer un schisme dans l’Église en s’alliant aux Hussites de Bohême contre le Saint-Siège. Plutôt que de renoncer à leur vengeance, ils menaçaient d’ébranler les fondements du catholicisme. L’empereur même n’échappa point à leurs outrages, quand ils apprirent sa démarche en faveur de Reuchlin. Ce fut à Paris surtout que se concentrèrent alors tous les
efforts et toutes les espérances des dominicains. L’Université de cette
ville, la plus ancienne de toutes les Universités européennes, avait une très
grande autorité dans le domaine théologique. En cas qu’elle condamnât le
livre de Reuchlin, le pape lui-même n’oserait sans doute pas passer outre. Il
s’agissait donc, pour les dominicains, d’obtenir d’elle un mémoire contre
leur ennemi. Sur les instances de Guillaume Haquinet Petit, son confesseur,
le roi de France, Louis XII, exerça une forte pression sur l’Université de
Paris en faveur des dominicains. La politique ne fut sans doute pas étrangère
non plus à l’intervention royale. Pendant ce temps, la procédure avançait d’un pas
excessivement lent à Rome, et les dominicains s’efforçaient d’en ralentir
encore la marche. A l’acte d’accusation, Hochstraten avait joint une
traduction du Miroir qui altérait en
beaucoup d’endroits le sens de l’original allemand et attribuait des hérésies
à l’auteur. Dans ce but, un des plus jeunes humanistes publia une série de lettres pleines d’esprit, de verve et de mordante satire, qui créèrent un nouveau genre dans la littérature allemande. Ces Lettres des hommes obscurs, Epistolæ obscierorum virorum, parues dans le courant de l’année 1515, et dont les premières sont probablement l’œuvre de Crotus Rubianus, de Leipzig, sont adressées en grande partie à Ortuin de Graes et écrites dans un style qui imite le langage des moines incultes. Elles étaient au grand jour l’orgueil de ces fanatiques, leur extraordinaire ignorance, leurs vilaines passions, leur morale relâchée, leurs radotages. Tous les ennemis de Reuchlin, les Hochstraten, les Arnaud de Tongres, les Ortuin de Graes, les Pfefferkorn et leurs suppôts, avec l’Université de Paris, y sont criblés de traits acérés. L’impression produite par ces épîtres satiriques fut particulièrement profonde, parce que les dominicains et les docteurs en théologie s’y peignent en quelque sorte eux-mêmes, tels qu’ils sont, et y exposent naïvement leurs faiblesses et leurs vices. Les Juifs et le Talmud, qui avaient été l’occasion de toutes ces polémiques, ne sont naturellement pas oubliés dans les Lettres des hommes obscurs, qui parlent d’eux comme les dominicains avaient coutume de le faire, c’est-à-dire avec peu de bienveillance. Dans une de ces lettres, maître Jean Pellifex soumet le cas suivant à Ortuin, son directeur de conscience. À l’époque de la foire de Francfort, il passa, avec un jeune théologien, devant deux hommes à l’air respectable, vêtus de robes noires avec des capuchons de moine, qu’il prit pour des ecclésiastiques et salua d’une respectueuse révérence. Son compagnon lui fit alors observer que c’étaient des Juifs et qu’en les saluant, il s’était presque rendu coupable d’un acte d’idolâtrie et, par conséquent, avait commis un péché mortel. En effet, si un chrétien témoigne de la déférence pour un Juif, il fait du tort au christianisme, parce que les Juifs ainsi honorés pourraient se vanter d’être supérieurs aux chrétiens, mépriser le christianisme et repousser le baptême. C’était là, en effet, la série d’accusations dirigées par les dominicains contre Reuchlin, à qui ils reprochaient surtout de se montrer l’ami des Juifs. Pour corroborer son dire, le jeune théologien raconte qu’un jour il s’agenouilla, dans l’église, devant l’image d’un Juif armé d’un marteau qu’il avait pris pour saint Pierre. Quand il confessa ensuite sa méprise à un dominicain, celui-ci lui affirma que cet acte, quoique accompli par mégarde, constituait un péché mortel, et qu’il ne pourrait pas lui donner l’absolution s’il ne possédait pas justement les pouvoirs d’un évêque. Un tel acte accompli sciemment ne pourrait être pardonné que par le pape. Le théologien conseilla alors à maître Pellifex de se confesser à l’official, parce qu’en regardant attentivement il aurait bien reconnu les Juifs par la roue jaune attachée à leurs vêtements. Pellifex demande donc à Ortuin si son péché est véniel ou mortel, et s’il peut être absous par un prêtre quelconque ou seulement par l’évêque, ou s’il faut s’adresser au pape. Il prie aussi Ortuin de lui faire savoir s’il ne pense pas que les bourgeois de Francfort aient tort de laisser les Juifs s’habiller comme les saints docteurs de la théologie. L’empereur ne devrait pas permettre qu’un Juif, un vrai chien, ennemi du Christ... (c’étaient là les épithètes dont les dominicains qualifiaient les Juifs). Dans toute l’Europe occidentale, ces Lettres soulevèrent un immense éclat de rire.
Quiconque comprenait le latin en Allemagne, en Italie, en France et en
Angleterre, voulait les connaître. On raconte qu’Érasme, qui souffrait d’un
abcès au cou au moment où il lisait ces lettres, en rit tellement que son
abcès s’ouvrit. Dorénavant, les dominicains étaient jugés dans l’opinion
publique, quel que fût l’arrêt que prononcerait le pape. De tous côtés on
cherchait à savoir qui était l’auteur de ces lettres. Les uns les
attribuaient à Reuchlin, les autres à Érasme, à Hutten ou à quelque autre
humaniste. Hutten donna la vraie réponse : Il
faut les attribuer à Dieu lui-même, disait-il. On peut voir, en
effet, l’action de Ridiculisés ainsi par leurs adversaires, les dominicains songèrent à s’en venger sur les Juifs. Ceux-ci, malheureusement, continuaient d’être exposés à toutes les vexations. Si quelques chrétiens éclairés montraient, dans leurs écrits, une certaine bienveillance pour le judaïsme, la chrétienté en général détestait les Juifs et leurs croyances. S’il est chrétien de haïr les Juifs, disait alors Érasme, nous sommes tous d’excellents chrétiens. Leurs ennemis réussissaient donc facilement à leur nuire. Maintes fois déjà, Pfefferkorn avait insinué qu’on ne trouvait plus en Allemagne que trois communautés juives importantes, celles de Ratisbonne, de Francfort et de Worms. Ces communautés détruites, on en aurait fini avec les Juifs d’Allemagne. Pour obtenir l’expulsion des Juifs de Francfort et de
Worms, leurs ennemis agirent sur l’esprit du jeune margrave Albert de
Brandebourg, d’abord évêque de Magdeburg et récemment promu archevêque de
Mayence. A la suite d’excitations venues sans doute de Cologne, ce prélat,
qui acquit une triste célébrité à l’époque de Devant l’imminence du danger, les Juifs se décidèrent à
envoyer une députation auprès de l’empereur Maximilien pour solliciter sa
protection. Le souverain se souvint heureusement que les Juifs d’Allemagne,
tout en étant les sujets de divers princes et seigneurs, ne dépendaient, en
réalité, que de lui comme serfs de la chambre impériale. Il adressa donc une
missive très sévère à Albert de Brandebourg, au chapitre de Mayence, ainsi
qu’à tous ceux qui avaient pris part à la diète de Francfort, pour leur
témoigner son mécontentement et leur interdire de se réunir au jour fixé.
Pour le moment, les Juifs de cette région étaient sauvés. Mais peu de temps
après la mort de Maximilien, à la suite de l’émeute des ouvriers et des
intrigues du fougueux prédicateur de Et le procès de Reuchlin ? Il n’avançait pas vite, mais pourtant il avançait. Prévoyant que la commission qui l’instruisait se prononcerait en faveur de Reuchlin, Hochstraten demanda à le porter devant un concile, sous prétexte qu’il ne s’agissait pas d’une affaire judiciaire, mais d’un point de doctrine chrétienne. Léon X y consentit, parce qu’il y voyait le moyen de ne mécontenter personne. Car, d’un côté, Maximilien et plusieurs princes allemands le pressaient d’acquitter enfin Reuchlin, et, de l’autre, le roi de France et le jeune Charles, alors duc de Bourgogne et plus tard empereur d’Allemagne, roi d’Espagne et souverain d’Amérique, exigeaient que le Miroir fût condamné. Le pape saisit donc avec empressement l’occasion qui s’offrait de dégager sa responsabilité. Il choisit une commission parmi les membres du grand concile de Latran, qui était alors réuni, pour examiner à nouveau l’affaire et prononcer le verdict. Cette commission aussi donna tort à Hochstraten. Mais celui-ci ne se tint pas encore pour battu. A force de démarches et de sollicitations, il décida Léon X à suspendre indéfiniment le prononcé du jugement. Malgré tout, les dominicains avaient subi un échec, et Hochstraten quitta Rome confus et irrité. Son énergie n’avait pourtant pas faibli, et il ne désespérait pas de pouvoir recommencer la lutte dans des circonstances plus favorables. En évitant de se déclarer ouvertement pour l’une on l’autre partie, Léon X avait espéré qu’il ne mécontenterait ni les humanistes ai les obscurants et qu’il réussirait ainsi à les calmer tous. Nais cette longue lutte avait surexcité les esprits, et des deux côtés on désirait une guerre à mort. Quand Hochstraten revint de Rome, sa vie ne fut pas en sûreté. Plusieurs fois, on essaya de le tuer. Les dominicains eux-mêmes, et à leur tête le provincial de l’ordre, Éberhard de Clèves, ainsi que tout le chapitre de Cologne, avouèrent à Léon X, dans une lettre officielle, que, par suite de ces débats, ils étaient haïs et méprisés, que les écrivains et les orateurs les représentaient comme ennemis de la paix et de l’humanité, que leurs prédicateurs étaient bafoués et leurs confessionnaux délaissés. Du reste, Hutten, depuis qu’il avait appris à connaître à Rome la cour pontificale, mettait tout en œuvre pour briser en Allemagne le pouvoir du clergé. Cependant, même après le compromis adopté par le pape, la
lutte entre Reuchlin et les dominicains continua sur un autre terrain.
Reuchlin essaya de prouver que, loin d’être nuisibles au christianisme, les
oeuvres juives pouvaient servir, au contraire, à en démontrer la vérité et le
caractère divin. Il pensait surtout à Mais il se produisit alors en Allemagne un mouvement qui
fit bientôt totalement oublier les démêlés de Reuchlin et des dominicains, un
mouvement qui ébranla la papauté, fit chanceler l’Église catholique sur sa
base et changea l’aspect de l’Europe. C’était Dans une comédie qui, à l’origine, parut en français ou en latin et fut ensuite traduite en allemand, Jean Reuchlin est très clairement présenté comme le créateur de ce mouvement de libre examen, qui prit un développement si imprévu. On y voit, en effet, un savant, portant inscrit sur le dos le nom de Capnion (Reuchlin), qui jette sur la scène un paquet de baguettes, les unes droites et les autres courbées, et puis s’en va. Arrive un autre personnage (Érasme) qui s’efforce d’arranger ces baguettes et de redresser celles qui sont courbées ; il n’y réussit pas, secoue la tête et disparaît. Hutten aussi se montre dans cette comédie. Luther, en habit de moine, apporte un tison et met le feu aux baguettes courbées. Un autre personnage, couvert du manteau impérial, frappe sur le feu avec son épée et ne fait que l’attiser davantage. Enfin, le pape arrive et s’empare d’un seau pour éteindre le feu. Mais ce seau est rempli d’huile, et te pape est stupéfait, après en avoir répandu le contenu sur le feu, de voir les flammes s’étendre avec une plus grande rapidité. Pfefferkorn et le Talmud auraient dû figurer également dans cette comédie, car ils ont fourni la mèche pour allumer cet incendie. Du reste, à ce moment, l’incendie avait déjà fait des ravages considérables. A la diète de Worms, Luther avait définitivement rompu avec la papauté. L’empereur Charles, quoique poussé par ses propres sentiments et par ses conseillers à faire monter Luther comme hérétique sur le bûcher, le laissa pourtant partir sain et sauf de Worms. Il espérait pouvoir agir plus facilement sur le pape tant que le grand réformateur serait en liberté. Ce ne fut que plus tard qu’il te mit au ban de l’empire. Luther se réfugia à Au début, Dans un écrit qui portait ce titre bien caractéristique : Jésus, Juif de naissance (1523), Luther se prononce encore d’une façon plus catégorique contre les persécutions des Juifs : Papistes, évêques, sophistes, moines, tous ces insensés ont traité les Juifs de telle manière que tout bon chrétien devait souhaiter forcément de devenir Juif. Si j’avais été Juif et que j’eusse vu le christianisme inspirer des actes si iniques, j’aurais mieux aimé être un pourceau qu’un chrétien. Ils ont agi envers les Juifs comme envers des chiens et les ont accablés d’outrages. Pourtant, ces Juifs sont proches parents de Notre-Seigneur... Si vous voulez les aider, suivez à leur égard la loi chrétienne de l’amour, et non pas les ordres du pape, accueillez-les avec bienveillance, laissez-les travailler avec vous pour qu’ils aient des raisons de rester avec vous. Quelques Juifs à l’imagination ardente voyaient déjà dans
la rébellion des protestants contre la papauté la fin du christianisme et le
triomphe de leurs propres croyances. Pour d’autres, c’était l’approche de
l’époque messianique. Trois savants juifs se rendirent même auprès de Luther,
convaincus qu’ils réussiraient facilement à l’amener au judaïsme. En réalité,
ce sont les études hébraïques, bien plus que les Juifs mêmes, qui profitèrent
de Parmi les maîtres juifs qui répandirent la connaissance de
la langue hébraïque parmi les chrétiens, le plus célèbre fut un grammairien
d’origine allemande, Élia Lévita (né vers 1468 et mort en 1549). A la suite du sac de Padoue,
il s’était rendu par Venise à Rome, où le cardinal Egidio de Viterbe
l’accueillit chez lui, pour qu’il lui enseignât la grammaire hébraïque et D’autres savants juifs enseignèrent l’hébreu aux
chrétiens. On a déjà vu qu’Obadia Sforno avait été le maître de Reuchlin. Il
faut aussi mentionner Jacob Mantino et Abraham de Balmes, contemporains de Lévita.
En général, il régnait à ce moment, dans la chrétienté, un vif enthousiasme
pour les études hébraïques. Dans plusieurs villes d’Italie et d’Allemagne,
même là où ne demeurait aucun Juif, on imprimait des grammaires hébraïques,
anciennes ou récentes. Tous voulaient savoir l’hébreu et comprendre les
livres saints dans leur texte original. Luther aussi étudia la langue
hébraïque, pour mieux se pénétrer de l’esprit de Chose extraordinaire, cet amour de l’hébreu se manifesta
jusque dans l’Université de Paris. On sait que |