Deuxième époque — La science et la poésie juive à leur apogée
Avec Maïmonide, cet esprit d’une si large envergure, la
civilisation juive du moyen âge avait atteint son point culminant. Après sa
mort, ses idées furent discutées avec une ardeur passionnée et produisirent
la division dans le judaïsme. L’Église, dont les prétentions allaient en
croissant, se mêla aux querelles des Juifs, et, pour attiser la discorde et
nuire à Du vivant de Maïmonide, les communautés juives de l’Orient comme de l’Occident suivaient avec empressement sa direction. Lui mort, le judaïsme n’avait plus ni chef, ni conseiller. Son fils Aboulmeni Abraham (né en 1185 et mort en 1254) avait bien hérité de sa situation et même de son caractère, mais il n’avait ni la grande intelligence ni la force de travail de son père. Il était médecin du sultan Alkamel, frère de Saladin, et dirigeait l’hôpital du Caire avec l’historien de la médecine et de la littérature arabes, Ibn Abi Obsaibiya. Il était assez versé dans le Talmud pour pouvoir repousser les attaques dirigées contre l’érudition de son père et publier des consultations rabbiniques. Il avait aussi étudié la philosophie et composa un ouvrage pour concilier l’Aggada avec les données de la philosophie du temps. Mais tout ce qu’il savait, il l’avait emprunté aux autres, n’ayant ni originalité, ni vigueur d’esprit, et se contentant de s’assimiler le mieux possible les idées de son père. Il était cependant très estimé, mais manquait d’autorité. Pas plus que l’Asie et l’Afrique, l’Europe ne possédait
une personnalité vraiment remarquable qui pût remplacer Maïmonide. On
trouvait bien quelques savants juifs dans Et cependant, plus que jamais, les Juifs auraient eu
besoin d’un guide ferme et vaillant. Car, au commencement du XIIIe siècle, ils
eurent à subir l’hostilité d’un adversaire aussi puissant que malveillant. Le
pape Innocent III (1198-1216),
qui courba peuples et souverains sous le joug de l’Église, asservit les
esprits, persécuta les penseurs indépendants, créa l’Inquisition et fit
monter sur des bûchers tous ceux qui lui semblaient hérétiques, ce pape fut
aussi un ennemi implacable des Juifs et du judaïsme. Lui, le puissant prince
de l’Église, qui pouvait distribuer couronnes et pays et était parvenu, à l’aide
de sa légion de légats et de moines dominicains et franciscains, à soumettre
à sa domination toute l’Europe, depuis l’océan Atlantique jusqu’à
Constantinople et depuis Mais si Innocent III voulait qu’on laissât la vie sauve aux Juifs, il ne les en détestait pas moins. Ainsi, il reprocha (1205) sa bienveillance pour les Juifs au roi de France Philippe-Auguste, qui, cependant, les avait pillés, emprisonnés, expulsés, et ne les avait rappelés dans son pays que pressé par des besoins d’argent ! Je suis affligé, écrit-il à ce souverain, de voir des princes préférer les descendants des déicides aux héritiers du crucifié, comme si le fils de l’esclave pouvait hériter du fils de la femme libre. J’ai appris qu’en France les Juifs se sont approprié par l’usure les biens de l’Église et des chrétiens ; que, contrairement à la décision du concile de Latran tenu sous Alexandre III, ils engagent des nourrices et des domestiques chrétiens ; que les tribunaux n’acceptent pas le témoignage des chrétiens contre les Juifs ; que la communauté de Sens a construit une nouvelle synagogue qui dépasse en hauteur l’église voisine, et où les prières sont récitées, non pas à voix basse, comme avant l’expulsion, mais à voix tellement haute que les offices des chrétiens en sont troublés ; et enfin que les Juifs sont autorisés à se montrer en public pendant la semaine de Pâques, dans les villes et les villages, et à détourner les fidèles de leur foi. Innocent III répète aussi cette odieuse calomnie que les Juifs égorgent secrètement des chrétiens, et il enjoint à Philippe-Auguste de traiter les Juifs avec rigueur et, en général, d’exterminer les hérétiques de son pays. La même année (mai 1205), le pape adressa une lettre sévère à Alphonse le Noble, roi de Castille, parce que ce prince tolérant ne voulait pas permettre aux ecclésiastiques d’enlever aux Juifs leurs esclaves musulmans pour les baptiser, ni contraindre les Juifs et les musulmans à payer la dîme au clergé. En cas de désobéissance, le roi de Castille était menacé de la censure ecclésiastique. Innocent III avait, en effet, décrété, dans l’intérêt des prêtres, que les Juifs, possesseurs de terres, fussent contraints de payer la dîme comme les chrétiens. Comme il ne pouvait pas excommunier les récalcitrants, il prononçait l’anathème contre les chrétiens qui auraient des relations avec eux. Voici enfin une autre lettre, adressée au comte de Nevers (janvier 1208), et dans laquelle Innocent III donne libre cours à sa haine contre les Juifs. Comme le comte de Nevers traitait les Juifs avec équité, le pape lui écrivit : Les Juifs devraient errer, comme Caïn, à travers le monde, et porter sur leur visage la marque de leur abjection. Au lieu de les humilier et de les asservir, les princes chrétiens les protègent, les reçoivent dans les villes et les villa,-es et les utilisent comme banquiers, pour leur faire extorquer de l’argent aux chrétiens. Bien plus, ils jettent en prison les débiteurs chrétiens des Juifs et permettent à ces derniers de prendre en gage des châteaux forts et des villages chrétiens, dont la dîme, alors, n’est pas payée à l’Église. Et n’est-il pas scandaleux que des chrétiens fassent tuer leurs animaux et pressurer leurs raisins par des Juifs, pour que ceux-ci puissent en prendre ce qu’ils désirent et laissent ensuite le reste aux chrétiens ? Ce qui est surtout blâmable, c’est que ce vin, ainsi préparé par les Juifs, sert ensuite pour le sacrement de la communion. Les chrétiens sont-ils excommuniés et leurs pays mis en interdit par les prêtres à cause de leurs relations avec les Juifs ? ceux-ci rient dans leur barbe et sont contents que, grâce à eux, les harpes de l’Église soient suspendues aux saules et les prêtres privés de leurs revenus, pendant la durée de l’excommunication. Innocent III fut le premier pape qui traita les Juifs avec une dureté inhumaine, et si, dans son esprit, leur existence avilie n’avait pas dû contribuer à la glorification du christianisme, il aurait prêché contre eux, comme il le fit contre les albigeois, une vraie guerre d’extermination. Innocent III éprouvait peut-être pour les Juifs une haine
si violente, parce qu’il sentait que leurs doctrines religieuses étaient une
protestation contre les mœurs relâchées des prélats chrétiens du temps et
semblaient, par conséquent, encourager les hérétiques dans leur opposition à
l’Église. Il aurait vu juste. Car c’est dans Peurs relations avec des Juifs
instruits, ou dans des ouvrages juifs, que les Albigeois du sud de Ailleurs encore, les Juifs furent englobés dans les persécutions dirigées contre les Albigeois. Ainsi, quand, sur l’ordre du pape, l’abbé de Cîteaux, Arnaud-Amauri, et l’ambitieux comte Simon de Montfort marchèrent contre Raimond-Roger, vicomte de Béziers, qui était haï non seulement parce qu’il protégeait les Albigeois, mais aussi parce qu’il favorisait les Juifs, les croisés prirent Béziers d’assaut et, au nom de leur Dieu, y mirent tout à feu et à sang. Nous n’avons tenu compte, écrivit Arnaud au pape, ni du sexe, ni de l’âge ; prés de vingt mille personnes sont tombées sous nos coups. Après le massacre, on a pillé et brûlé la ville ; la vengeance divine a sévi sur Béziers d’une façon vraiment miraculeuse. On avait demandé à Arnaud comment on distinguerait les hérétiques des fidèles : Tuez-les tous, avait-il répondu, Dieu reconnaîtra les siens. Dans ce carnage, deux cents Juifs périrent et un grand nombre furent faits prisonniers. Aussi, l’année où le pape prêcha la croisade contre les Albigeois est-elle désignée chez les Juifs comme année de deuil. Grâce à sa victoire diplomatique sur Raimond, de Toulouse,
et à sa victoire militaire sur Raimond-Roger, de Béziers, l’Église triomphait
non seulement dans le Eux aussi furent troublés dans leurs études. L’Église accumula contre eux les restrictions et les mesures d’exception pour les humilier et les outrager. Le concile d’Avignon (sept. 1209), présidé par Milon, légat du pape, décida que tous les barons et toutes les villes libres promettraient par serment de ne confier aucun emploi à des Juifs et de ne pas laisser s’engager des domestiques chrétiens dans des maisons juives. Ce même concile interdit aux Juifs de travailler le dimanche ou les jours de fêtes chrétiennes, et de manger de la viande aux jours de jeûne des chrétiens. En Angleterre surtout, la situation des Juifs était alors particulièrement triste. Ils avaient dans ce pays de nombreux et puissants ennemis, d’abord le roi Jean sans Terre, qui ne reculait devant aucun moyen pour leur extorquer de l’argent, ensuite les barons, qui, voyant dans les Juifs une source de richesses pour Jean sans Terre, les englobaient tous dans leur haine pour le roi, enfin le cardinal Langton, imposé par le pape comme archevêque à Cantorbéry, et qui avait importé en Angleterre l’esprit de persécution de l’Église. Effrayés par les souffrances qui les menaçaient de toutes
parts et poussés en même temps par le désir de voir Ce fut à ce moment qu’un chef almohade du nord-ouest de
l’Afrique, Mohammed Alnassir, convoqua les mahométans à une guerre sainte,
pour abattre la puissance des chrétiens dans l’Espagne musulmane, et fit
traverser la mer à près d’un demi million de ses coreligionnaires. A la vue
du danger qui les menaçait, les rois chrétiens d’Espagne cessèrent leurs
luttes pour s’unir contre l’ennemi commun. Ils firent également appel au pape
Innocent III, pour qu’il leur vint en aide et fit prêcher une croisade contre
les musulmans. Innocent III accéda à leur désir ; de nombreux guerriers
européens se rendirent au delà des Pyrénées pour combattre le croissant, et,
parmi eux, Arnaud-Amauri, l’abbé de Cîteaux, avec sa bande. Les ultramontains,
comme on les appelait, par opposition aux soldats espagnols, s’étaient déjà
distingués par leur fureur d’extermination dans leur lutte contre les
Albigeois et les Juifs du Mais bientôt l’action de la papauté, si néfaste pour les
Juifs, allait se faire sentir également en Espagne. Innocent III ne
négligeait rien pour agrandir sa puissance et étendre son influence dans les
divers pays chrétiens. Afin de donner plus d’autorité encore à ses actes et
justifier les persécutions sanglantes qu’il avait ordonnées ou tolérées, il y
associait l’Église tout entière. Ainsi, il convoqua un concile général à Rome
pour étudier les mesures à prendre, en vue de nouvelles croisades, contre les
musulmans de Un décret du concile de Rome fut particulièrement pénible pour les Juifs : ce fut l’obligation de porter dorénavant sur leurs vêtements, dans tous les pays chrétiens, un signe distinctif qui les fit reconnaître des autres habitants. On prétendit que cette décision avait pour bat d’empêcher les mariages mixtes, qui se contractaient quelquefois par erreur dans certaines contrées où juifs et mahométans avaient le même costume que les chrétiens. On essaya même de justifier cette institution infamante par une loi de Moise, qui aurait ordonné aux Juifs de se distinguer par leurs vêtements. A partir de l’âge de douze ans, les jeunes gens, sur l’ordre du concile, devaient attacher à leur chapeau, et les jeunes filles à leur voile, un morceau d’étoffe d’une couleur particulière. La rouelle, comme on l’appelle, est donc une invention du pape Innocent III et du 4e concile général de la chrétienté. La rouelle n’était pas, cependant, tout à fait une
nouveauté, le pape paraît en avoir emprunté l’idée à la législation des pays
musulmans. Ce fut, en effet, le prince almohade Abou Youssouf Yacoub
Almansour qui, le premier, obligea les Juifs de son royaume, qui avaient dû
adopter l’islamisme par contrainte, de porter des vêtements spéciaux, une
robe grossière avec de longues manches, et, au lieu du turban, un voile de
forme ridicule. Si j’étais sûr, disait
ce prince fanatique, que les Juifs se sont
convertis sincèrement, je leur permettrais de contracter des mariages avec
les musulmans. Si je savais, au contraire, qu’ils persistent dans leur
ancienne foi, je les passerais au fil de l’épée, je réduirais leurs enfants
en esclavage et confisquerais leurs biens. Mais je suis dans le doute, je
veux donc qu’ils portent des vêtements qui les ridiculisent. C’est
cette loi barbare qu’Innocent III introduisit en pays chrétien le A la suite de cette décision du pape, les conciles provinciaux, les États et les princes délibérèrent gravement au sujet de la rouelle, pour en déterminer avec minutie la couleur, la forme, la longueur et la largeur. Mais, qu’elle fût ronde ou carrée, jaune ou rouge, placée sur le chapeau ou sur la poitrine, le résultat en était le même, elle invitait la foule à accabler les Juifs de son mépris et de ses outrages, elle encourageait la populace à les attaquer, les maltraiter et souvent même les tuer, elle servait de prétexte aux classes dirigeantes pour les isoler comme des parias et les expulser du pays. Ce signe infamant eut aussi une action désastreuse sur les Juifs eux-mêmes, sur leur caractère et leurs manières. Ils s’habituèrent peu à peu à leur abjection, perdant tout amour-propre et toute dignité, négligeant de plus en plus leur personne et leur habillement, et s’accoutumant à parler entre eux un jargon incorrect et grossier. Ils n’eurent bientôt plus ni le sens, ai le goût du beau. Leur maintien devint humble, presque lâche. Les Juifs n’adoptèrent cependant pas la rouelle sans
résistance, surtout en Espagne et dans le Honorius III, le successeur d’Innocent III, invita, en effet, les évêques et les légats à fermer les yeux si, dans certaines contrées, les Juifs ne portaient pas ce signe d’infamie. En Aragon, grâce aux démarches de Zag Benveniste, médecin du roi Jacques I et à l’intervention énergique du souverain, le pape dispensa toute la population juive de porter la rouelle (1220) en récompense, écrivit-il, des services rendus par Benveniste, qui s’était toujours abstenu de faire de l’usure et avait donné obligeamment ses soins à des catholiques. Mais l’année même où il se montrait si tolérant dans la question de la rouelle, le pape Honorius III ordonna à Jacques Ier de ne plus confier de poste diplomatique à un Juif auprès d’une cour musulmane, sous prétexte qu’il était peu probable que des hommes qui repoussent la foi chrétienne pussent servir fidèlement des chrétiens. Il écrivit dans le même sens aux prélats de l’Espagne, les engageant à user de leur autorité auprès des rois d’Aragon, de Castille, de Léon et de Navarre, pour que nul Juif ne fût plus envoyé désormais comme ambassadeur à l’étranger. Comme si les fonctionnaires juifs n’avaient pas toujours servi leur pays avec une fidélité et un dévouement absolus ! Moins indulgent pour les Juifs d’Angleterre que pour ceux d’Espagne, le pape Honorius insista pour qu’on les contraignit avec la dernière rigueur à porter la rouelle. Du reste, depuis la mort de Jean sans Terre et pendant la minorité du roi Henri III, le vrai souverain était Étienne Langton, archevêque de Cantorbéry, ennemi implacable des Juifs. Au concile d’Oxford, il fit voter une série de mesures restrictives contre les Juifs, parce qu’ils se seraient rendus coupables d’un crime. Quel crime ? Il n’en dit rien. Peut-être leur reprochait-il la conversion au judaïsme d’un moine dominicain. Ce dernier fut naturellement brûlé. C’était l’argument habituel de l’Église envers ceux qu’elle ne pouvait pas convaincre autrement. En Italie aussi, où régnait pourtant un prince libéral et
éclairé, l’empereur Frédéric II, qui avait à sa cour des savants juifs
chargés de traduire de l’arabe en latin des œuvres philosophiques, la papauté
parvint à imposer la rouelle aux Juifs. Ce fut surtout dans le Du reste , vers cette époque, parurent à la fois sur la scène de l’histoire quatre personnages qui s’inspirèrent soi-disant de leurs sentiments de chrétiens pour rendre l’existence des Juifs plus misérable et plus douloureuse qu’elle n’avait jamais été. C’était d’abord le pape Grégoire IX, ennemi implacable de l’empereur Frédéric II, qui provoqua des dissensions en Allemagne et détruisit la grandeur et l’unité de ce pays. C’était ensuite le roi de France Louis IX, surnommé le Saint, qui, dans la simplicité de son cœur et l’étroitesse de son esprit, croyait accomplir une œuvre pie en persécutant les Juifs. A côté de lui, on trouve son contemporain Ferdinand III, de Castille, surnommé également le Saint par l’Église, parce qu’il mettait lui-même le feu aux bûchers où il faisait monter les hérétiques. A ces trois souverains il faut ajouter le général des dominicains, Raimond de Peñaforte, grand pourfendeur d’hérétiques. Poursuivis ainsi par la haine acharnée de ceux qui occupaient les plus hautes situations dans la catholicité, les Juifs ne trouvèrent bientôt plus un seul pays où ils pussent vivre en sécurité. En Hongrie, qui était également habitée par des musulmans et des païens, les rois, dont la foi catholique n’était pas très vive, avaient d’abord traité les Juifs avec beaucoup d’égards. Ils leur affermaient le droit de battre monnaie, le monopole du sel, la rentrée des impôts, et, en général, ils leur confiaient des emplois publics. Il y avait même quelquefois des mariages entre juifs et chrétiens. Une telle situation déplut à la papauté, et quand le roi André, en lutte avec les magnats, auxquels il avait été obligé d’octroyer une charte, fit appel à l’intervention du pape Grégoire IX, celui-ci commença par l’obliger à éloigner Juifs et musulmans de toute fonction publique. André promit de se conformer à la volonté du pape. Mais la nécessité aidant, il continua d’employer des fermiers et fonctionnaires non chrétiens. Il fut excommunié avec ses partisans, sur l’ordre du pape, par l’archevêque de Gran. Sous la pression des circonstances, il dut enfin céder et promettre solennellement (en 1233) de ne plus appeler de Juifs ou de Sarrasins à des emplois publics, d’interdire les mariages mixtes et de contraindre les Juifs à porter un signe distinctif. Un serment analogue fut imposé par les légats du pape au prince héritier Bèla, au roi de Slavonie, ainsi qu’à tous les magnats et hauts dignitaires. Aux persécutions du dehors, qui affaiblissaient les Juifs,
vinrent se joindre des déchirements intérieurs. Par une singulière ironie du
sort, les écrits de Maïmonide, qui, dans la pensée de leur auteur, devaient
établir des liens étroits entre les Juifs de tous les pays et assurer l’unité
du judaïsme, devinrent, au contraire, une cause de discorde. En essayant de
réconcilier la foi et la raison, Maïmonide avait émis des assertions qui
étaient en contradiction avec les doctrines de Ainsi donc, à côté des admirateurs passionnés de
Maïmonide, qui considéraient ses travaux comme une seconde révélation, se
forma un parti qui attaqua ses oeuvres avec vivacité, notamment son Guide des égarés et la première partie de son
code talmudique. Dès cet instant, les rabbins et les chefs des communautés
juives d’Europe et d’Asie se divisèrent en maïmonistes et antimaïmonistes. Déjà,
du vivant de Maïmonide, sa philosophie religieuse avait soulevé des
objections, mais l’enthousiasme de ses admirateurs était alors tellement vif
qu’on n’écoutait pas ses détracteurs. Un rabbin de Tolède, Meïr ben Todros
Hallévi Aboulafia (mort
en 1244), avait exposé, dans une lettre adressée aux sages de Lunel, les scrupules que le système de
Maïmonide faisait naître dans son esprit. Ses critiques ne furent pas
accueillies en Provence, où Ahron ben Meschoullam, de Lunel, défendit contre
lui les idées du maître avec une grande science et une conviction ardente,
mais elles rencontrèrent un terrain favorable dans le nord de Dans le Ces tendances antireligieuses des partisans de Maïmonide précipitèrent le mouvement contre son oeuvre. Le signal fut donné par un brave et digne rabbin de Montpellier, Salomon ben Abraham, nature honnête et loyale, mais esprit étroit, qui ne voyait de salut que dans le Talmud. Salomon et ses partisans se représentaient Dieu sous une forme corporelle, tel qu’il est décrit dans l’Aggada, assis sur un trône enveloppé de nuages. Les récompenses et les châtiments de la vie future avaient pour eux une signification toute matérielle, ils pensaient que les justes goûteront, dans le paradis, de la viande du Léviathan et du vin vieux, et que les méchants seront torturés dans les flammes de l’enfer. Ils croyaient fermement aux mauvais esprits, parce que l’Aggada en affirme l’existence. Avec de telles idées, Salomon devait naturellement trouver
une hérésie dans chaque ligne du Mord. Convaincu que le triomphe des
doctrines de Maïmonide amènerait rapidement la destruction du judaïsme, il
n’hésita pas à se servir contre elles de l’arme dangereuse de
l’excommunication, que le christianisme du moyen âge employait alors si
fréquemment pour combattre toute indépendance de pensée. Aucun rabbin de Cet outrage infligé à la mémoire de Maïmonide et cette
déclaration de guerre faite à toute recherche scientifique, à toute
spéculation philosophique, révoltèrent les savants de Provence, qui rendirent
coup pour coup. A Lunel, à Béziers et à Narbonne, où les maïmonistes étaient
les maîtres, ils excommunièrent, à leur tour, Salomon de Montpellier et ses
deux disciples, et invitèrent toutes les communautés du Parmi les combattants, les plus connus étaient David Kimhi
et Moïse Nahmani. Le premier, déjà âgé et très connu comme exégète et
commentateur de Son antagoniste le plus célèbre était le jeune Bonastruc
de Porta, ou, comme on l’appelait dans les milieux juifs, Moïse Nahmani (né vers 1195 et mort vers
1270). Caractère énergique et bien trempé, il avait les défauts de ses
qualités. Homme d’une piété sincère, d’une intelligence perspicace et d’une
grande élévation de pensées, il était pénétré de ce sentiment qu’il y avait
nécessité pour les croyants de se soumettre à une autorité religieuse. La sagesse des anciens lui paraissait d’une
supériorité incontestable, et il était convaincu de la vérité de ce dicton
que quiconque suit l’enseignement des anciens
boit du vin vieux. Il croyait à l’autorité infaillible non
seulement de Cependant, tout en combattant la philosophie du temps
comme ennemie de Pour sortir d’embarras, Nahmani appela à son aide un
enseignement secret qui venait d’éclore, mais qui se présentait comme une
tradition très ancienne et d’origine divine. C’était A l’époque où l’excommunication fut prononcée contre les écrits philosophiques de Maïmonide, Nahmani était encore jeune, mais il jouissait déjà d’une grande autorité, même auprès de l’orgueilleux Moïse Aboulafia, et maïmonistes et antimaïmonistes désiraient obtenir son adhésion. Ami de Salomon de Montpellier et cousin de Yona, il se décida en faveur des adversaires de Maïmonide, et quand il apprit que Salomon avait été excommunié, il s’empressa de plaider sa cause auprès des communautés d’Aragon, de Navarre et de Castille. Dans cette lutte, qui menaçait de rompre l’ancienne unité du judaïsme, Nahmani conseillait à tous la prudence, le calme et la réflexion. Mais un esprit impartial seul aurait pu agir sur les deux partis, et Nahmani montrait ouvertement ses préférences pour les antimaïmonistes : Quand même, dit-il, les rabbins français, qui sont nos maîtres, obscurciraient le soleil en plein jour et couvriraient la lune, nous n’aurions pas le droit de leur rien objecter. Les communautés d’Espagne se refusèrent à suivre Nahmani, et, sur l’instigation de son chef, le médecin Bahiel ibn Alkoustantoni, Saragosse, la principale communauté d’Aragon, se prononça énergiquement en faveur de Maïmonide et maintint l’excommunication lancée contre Salomon et ses deux partisans. Bahiel, avec son frère Salomon et dix notables de Saragosse, envoya une épître à toutes les communautés d’Aragon (ab = août 1232) pour les engager à se joindre à eux contre a ceux qui ont osé attaquer Maïmonide, le grand homme qui nous avait délivrés de l’ignorance, de l’erreur et de la sottise n. Quoiqu’il soit prescrit par le judaïsme, ajoutèrent-ils, d’acquérir également des connaissances profanes, trois hommes se sont levés qui veulent égarer le peuple et ramener les communautés vers les ténèbres, ternissent la réputation de Maïmonide, interdisent la lecture de ses œuvres et condamnent, en général, toute recherche scientifique. Quatre communautés d’Aragon, celles de Huesca, Monzon, Calatajud et Lérida, s’associèrent à la protestation de Saragosse. Mais l’importante communauté de Tolède ne se laissa pas entraîner dans le mouvement maïmoniste. Son chef, Yehuda ben Joseph, de l’illustre famille des Ibn Alfahar, qui était probablement le médecin du roi Ferdinand III, écrivit à Nahmani que lui et ses amis n’obéiraient jamais aux objurgations des pécheurs de Provence, et que si les partisans de Maïmonide, assez nombreux à Tolède, se prononçaient contre Salomon de Montpellier, il se séparerait d’eux. Dans cette lutte ardente entre amis et ennemis de Maïmonide, qui s’attaquaient en de longues épîtres et s’excommuniaient réciproquement, les combattants égayaient un peu leurs querelles par des épigrammes plus ou moins spirituelles. Un adversaire disait du Guide et de ses partisans : Tais-toi,
Guide d’aveugles ! Tes doctrines sont inouïes ! C’est
un péché de considérer Et
la prophétie comme un rive. A quoi un maïmoniste répliqua : Silence
à toi-même ! Ferme ta bouche, par où passent tes sottises. Inaccessibles
sont à ton intelligence et la poésie et la vérité. Bien plus actifs et plus remuants que leurs adversaires,
les maïmonistes parvinrent à faire déposer les armes aux rabbins du nord de David Kimhi pensait qu’en obtenant l’appui de la communauté de Tolède, les maïmonistes porteraient un coup décisif à leurs adversaires, et, dans ce but, il entreprit un voyage en Espagne. Mais en route il tomba malade, et sur son lit de douleur il écrivit une lettre très pressante à Juda ibn Alfahar, le chef des Juifs de Tolède, lui reprochant son silence persistant dans une conjoncture aussi importante et l’engageant à se prononcer en faveur des droits de la pensée. David Kimhi fut trompé dans son attente. Dans son for intérieur, Juda ibn Alfahar s’était déclaré depuis longtemps contre les maïmonistes, et il prenait en si sérieuse considération l’anathème lancé contre eux par les rabbins français qu’il hésitait à répondre à Kimhi. A la fin, il s’y décida, mais traita Kimhi de si dédaigneuse façon que les maïmonistes en furent déconcertés. Malgré la sympathie qu’Alfahar, Nahmani et Meïr Aboulafia témoignaient à sa cause, Salomon de Montpellier sentait le succès lui échapper. Dans son pays, comme en Espagne, l’opinion publique était contre lui. Ceux même des rabbins français sur lesquels il comptait se retiraient d’une lutte dont ils commençaient à entrevoir les dangers. Délaissé de tous et attaqué avec violence dans sa propre communauté, Salomon se décida alors à une démarche qui eut les plus tristes conséquences non seulement pour son parti, mais pour le judaïsme tout entier. Vers cette époque, le pape Grégoire IX, résolu à exterminer
totalement les Albigeois, venait de décréter (avril 1233) que l’Inquisition
fonctionnerait en permanence dans Cet événement réunit les rabbins des deux côtés des Pyrénées dans une commune indignation contre Salomon et ses partisans. C’était là une trahison qui excita la colère de toutes les notabilités juives d’Espagne et de Provence. Kimhi, qui était alors à Burgos, fit demander à Juda ibn Alfahar s’il continuait à protéger son ami Salomon de Montpellier. Nahmani et Meïr Aboulafia, confus, craignaient d’élever la voix. La cause du fanatique rabbin était jugée. Personne n’osait prendre sa défense. Même Yona Girondi, son plus zélé partisan, se repentait de l’appui qu’il lui avait donner et fit vœu de se rendre en pèlerinage à Tibériade, sur le tombeau de Maïmonide, pour invoquer le pardon de l’outrage qu’il avait contribué à infliger à sa mémoire. A Barcelone, sur le conseil du philosophe et poète Abraham ben Hasdaï, les chefs de la communauté introduisirent l’usage de lire et d’expliquer chaque sabbat un chapitre du Guide. On fit connaître cette coutume aux communautés de Castille, d’Aragon, de Léon et de Navarre. A la suite de l’autodafé des oeuvres de Maïmonide, de cruelles représailles furent exercées à Montpellier contre les délateurs, pour mettre fin à leur campagne de calomnies contre les partisans de Maïmonide. Parmi ceux qui furent convaincus de délation, plus de dix eurent la langue coupée. On a, du reste, peu de détails sur ces faits douloureux. Dans l’espoir d’apaiser l’agitation produite par la lutte
des maïmonistes et des antimaïmonistes et de raffermir la foi, singulièrement
ébranlée par ces discussions, un rabbin du nord de Moise de Coucy ne s’appliquait pas seulement, dans ses sermons, à montrer la nécessité d’observer les lois cérémonielles, il prêchait aussi la loyauté et la probité dans les relations avec les chrétiens, et il conseillait à ses auditeurs d’être modestes, conciliants, leur faisant comprendre le prix inestimable de la paix. Il ne craignait pas de proclamer publiquement la haute valeur de Maïmonide et de le comparer aux gaonim. Malheureusement, le débat sur Maïmonide ainsi que sur les avantages et les inconvénients de la liberté de penser n’était pas prés de flair, et le judaïsme se ressentit pendant des siècles, et de la façon la plus fâcheuse, des conséquences de ces discussions. Un des effets les plus funestes de cette scission fut certainement
le développement de cette fausse science dont il a été question plus haut et
qui, tout en étant de date très récente, faisait remonter son origine à la
plus haute antiquité. En contradiction, par ses tendances, avec l’esprit du
judaïsme, elle se déclarait la vraie doctrine d’Israël, et, tout en ne
s’appuyant que sur des mensonges, elle prétendait être la seule et unique
expression de la vérité. De toutes les rêveries mystiques d’Isaac l’aveugle (1190-1210), le
créateur de Tout est obscur dans la vie de ces deux auteurs. On sait seulement que l’un d’eux, Azriel ou Ezra, mourut plus que septuagénaire (en 1238), peu d’années après la scission qui avait éclaté entre maïmonistes et antimaïmonistes. En tout cas, ils manquaient tous les deux de probité littéraire, car, pour donner un caractère plus vénérable à leur fausse science, ils attribuèrent un ou plusieurs de leurs ouvrages à des auteurs très anciens. Azriel donne cependant quelques détails sur sa personne. A
l’en croire, il serait allé de ville en ville, à la recherche d’une science
secrète qui résoudrait d’une façon satisfaisante les problèmes relatifs à
Dieu et à la création, jusqu’à ce qu’il l’eût enfin acquise des personnes qui
la possédaient par tradition. Il aurait alors enseigné lui-même cette science
dans les communautés où il passait, et se serait attiré en Espagne (Séville ?),
pour sa doctrine, les moqueries des philosophes. Ainsi, l’un des premiers
mystiques avoue qua, dès son apparition, Dans l’esprit de ses fondateurs, Cette doctrine enseigne une théosophie, sinon neuve, du
moins originale, qui, s’élevant de conception en conception, arrive bientôt
dans la région du vague et de l’incompréhensible, où ne règnent plus que
confusion et obscurité. Partant d’un principe qui était admis par tous les
penseurs du temps, elle en tire des conclusions téméraires, en contradiction
complète avec le point de départ. C’est ainsi que l’unité devient
multiplicité, que le spiritualisme se matérialise et que rempli des croyances
se changent en grossières superstitions. A son origine, Mais le En-Sof n’a pas pu créer le monde
sublunaire, car le parfait, l’infini, ne peut pas produire directement ce qui
n’est ni parfait ni illimité. Dieu ne peut donc pas avoir été le créateur
immédiat de l’univers. Mais, grâce à la lumière radieuse dont il resplendit,
le En-Sof a laissé rayonner hors de lui une substance spirituelle, une
force, une puissance qui, par cela même qu’elle émane de lui, participe à sa
perfection. Cependant, cette émanation ne peut pas être absolument pareille
au En-Sof, qui l’a engendrée, car elle n’est plus la source même, elle
n’est qu’un dérivé. Elle n’est pas identique au En-Sof elle lui
ressemble seulement, c’est-à-dire qu’à côté de sa perfection, elle a aussi
une partie imparfaite. Ce premier produit du En-Sof est appelé par Ces dix substances forment entre elles et avec le En-Sof une unité parfaite, elles ne sont que les différentes faces d’un seul et même être. C’est ainsi que le feu produit la flamme, la lumière et l’étincelle, lesquelles, tout en apparaissant sous des formes diverses, sont la même substance. Les dix sefirot, qui se distinguent les unes des autres comme les diverses couleurs d’une même lumière, et qui ne sont que des émanations de la divinité, restent dépendantes de leur source et, par conséquent, ne sont pas illimitées. Elles ne peuvent agir qu’autant que le En-Sof leur en donne le pouvoir. C’est à l’aide des dix sefirot que Dieu se rend visible ou
se présente sous une forme corporelle. Aussi, quand les Saintes Écritures
disent : Dieu descendit sur la terre, Dieu marcha,
ce n’est pas la divinité elle-même, mais les sefirot qui ont accompli ces actes.
La fumée des victimes offertes sur l’autel n’a pas été respirée comme odeur agréable par Dieu, mais par les êtres
intermédiaires. C’est ainsi que Voici maintenant comment D’après Comme les âmes qui sont descendues dans les corps oublient
parfois leur origine supérieure, se laissent séduire par les attraits de ce
monde, ne conservent pas leur pureté primitive et, par conséquent, sont
condamnées à revenir plusieurs fois sur cette terre, il arrive que souvent ce
sont de vieilles âmes, c’est-à-dire des âmes ayant déjà été dans des corps,
qui reviennent ici-bas ; alors Pour faire croire à la haute antiquité de Grâce à l’appui de Nahmani, Ainsi, quarante ans après la mort de Maïmonide, dont les écrits étaient destinés à resserrer les liens entre les Juifs de tous les pays, le judaïsme était divisé en trois camps, les partisans des études spéculatives, les talmudistes obscurantistes et les cabalistes. Les premiers, qui se réclamaient de Maïmonide, essayaient d’expliquer les lois juives d’une façon rationnelle; les plus modérés s’en tenaient aux doctrines de leur maître, d’autres, plus hardis, allèrent jusqu’aux conséquences extrêmes des idées de Maïmonide et rompirent en partie avec le Talmud. Les talmudistes repoussaient toute spéculation philosophique et toute recherche scientifique, ils acceptaient les aggadot dans leur sens littéral, mais repoussaient les doctrines cabalistiques. Quant aux cabalistes, ils étaient les ennemis des philosophes et des talmudistes. A l’origine, par suite de leur petit nombre et des ténèbres qui enveloppaient encore leurs doctrines, ils s’étaient associés aux obscurantistes pour combattre les maïmonistes. Mais avant la fin du siècle, ils se déchirèrent entre eux et s’attaquèrent les uns les autres avec un acharnement qui dépassait en violence celui qu’ils avaient jamais déployé contre leur ennemi commun, les philosophes. Bien tristes furent les conséquences de ces luttes
intestines, dont les maux venaient s’ajouter aux résultats néfastes des lois
avilissantes que la papauté inventait contre les Juifs. Au lieu de l’humeur
joyeuse, de l’activité intellectuelle et de la gaieté robuste qui avaient
régné jusque-là parmi les Juifs et produit de si beaux fruits, les figures et
les esprits étaient assombris par des pensées tristes et douloureuses, même
dans les communautés de l’Espagne et de Les derniers représentants de la poésie néo-hébraïque qui
appartiennent encore à l’époque de Maïmonide sont : Juda Al-Harizi, partisan
zélé mais traducteur superficiel de Maïmonide, Joseph ben Sabara et Juda ben
Sabbataï. Par une rencontre fortuite, tous les trois créèrent simultanément
le roman satirique, auquel ils donnèrent pour cadre une suite de
métamorphoses, et qui offrait comme fond une phraséologie redondante. On
sentait l’artifice et la recherche laborieuse dans l’esprit qu’ils essayaient
de mettre dans leurs oeuvres, composées sans art. Dans son roman Takkemoni,
le poète Al-Harizi (1190-1240)
présente Héber le Kénite sous divers déguisements et le fait converser avec
l’auteur tantôt en prose rimée, tantôt en vers, où le grave se mêle au
plaisant; il y ajoute un certain nombre d’épisodes qui se rattachent plus on
moins au sujet principal. Le roman des Délices
(Schasckouim)
de Joseph ben Sabara (probablement
médecin à Barcelone) était taillé sur le même modèle. Enfin, le
troisième poète, Juda ben Isaac ben Sabbataï, originaire également de
Barcelone, était compté par Al-Harizi lui-même parmi les auteurs les plus
habiles ; mais ses œuvres ne méritent pas une appréciation aussi flatteuse.
Son dialogue entre Après la mort de ces trois versificateurs, la poésie néo-hébraïque n’eut plus de représentants vraiment sérieux pendant environ un siècle. La force créatrice paraissait épuisée parmi les poètes hébreux, et ceux qui savaient manier la langue hébraïque et avaient le désir de versifier imitaient simplement des productions antérieures. C’est ainsi qu’Abraham ben Hasdaï, de Barcelone, partisan convaincu du Guide des Égarés, remania en hébreu un dialogue arabe entre un homme d’esprit cultivé et d’habitudes mondaines et un pénitent, dialogue qu’il intitula le Prince et le Naziréen. Un pauvre scribe, Berakya ben Natronai Nakdan (qui fleurissait vers Mais comme il n’était pas capable d’inventer lui-même des dialogues entre les divers animaux, il imita en hébreu les œuvres d’anciens fabulistes. Parmi ses cent sept fables de Renard, il y en a très peu qu’il ait composées lui-même. En rééditant deux vieilles fables en langue hébraïque, Berakya voulut présenter un miroir à ceux de ses contemporains qui tournaient le dos à la vérité et offraient un sceptre d’or au mensonge, pour qu’ils pussent y contempler leurs défauts et leurs vices. Dans le nord de l’Espagne, région où les Juifs eux-mêmes
manifestaient leur prédilection pour la poésie arabe, un autre fabuliste,
Isaac ibn Schoula, publia en 1244 ses Fables de
l’antiquité (Maschal
hakkadmoni) pour montrer que Bien plus encore que la poésie, l’exégèse biblique déclina
et perdit tout caractère scientifique à l’époque qui suivit la mort de
Maïmonide. Philosophes et cabalistes ne cherchaient pas, en effet, à
comprendre le sens véritable des Saintes Écritures, mais à l’altérer et à le
dénaturer, pour faire entrer de force leurs propres idées dans le texte
sacré. Pendant longtemps, David Kimhi resta le dernier exégète et grammairien
sérieux. Nahmani aussi, en commentant |