Première époque — Le recueillement après la chute
L’époque à laquelle s’effondra l’empire romain marque dans
l’histoire du monde une période de ruine et de restauration, de destruction
et de renaissance. Une sombre nuée vint, en ce temps, du nord, des frontières
de Rabbana Aschi (né en 352, mort en 427), originaire d’une famille très ancienne et très riche, était remarquablement doué. A l’âge de vingt ans, il fut placé à la tête de l’école de Sora, où il parvint à attirer de nouveau de nombreux élèves. Le local de l’école menaçant ruine, il le fit entièrement reconstruire, et, pour activer les travaux, il les surveilla jour et nuit jusqu’à leur complet achèvement. Sur son ordre, les ouvriers donnèrent à ce bâtiment une grande hauteur ; il dominait les autres édifices de la ville. — Aschi joignait à la dialectique pénétrante de l’école de Pumbadita la vaste érudition des docteurs de Sora ; son autorité religieuse était aussi considérable qu’avait été celle de Raba, et ses contemporains lui donnèrent le titre de Rabbana (notre maître). Aschi resta cinquante-deux ans à la tête de l’école de
Sora. Pendant ce laps de temps, l’académie de Pumbadita eut sept chefs.
L’école de Nehardéa, délaissée depuis la destruction de cette ville par Ben
Naçar (Odenat),
avait aussi repris, à cette époque un certain rang. Mais l’école de Sora
jouit d’une suprématie incontestable, et les plus anciens amoraïm, Amêmar,
Mar-Zutra et d’autres, reconnurent l’autorité d’Aschi ; même les deux
exilarques de son époque, Mar-Kakana et Mar-Zutra Ier, acceptaient
ses décisions. Ce a était plus, comme autrefois, à Nehardéa ou à Pumbadita,
mais à Sora que les exilarques recevaient les délégués des communautés
babyloniennes et convoquaient les assemblées générales. Aschi fit de Sora le
centre de la vie religieuse de Grâce à ses éminentes qualités et à sa situation élevée,
Aschi put entreprendre une oeuvre qui exerça une profonde influence sur les
destinées comme sur le développement du peuple juif. Il commença ce travail
gigantesque de rassembler et de mettre en ordre l’énorme quantité
d’explications; de déductions et de développements qui, sous le nom de
Talmud, avaient été ajoutés à Ce recueil ne fut pas écrit dès son achèvement, on avait
encore, à cette époque, des scrupules à mettre la tradition orale par écrit,
d’autant plus que les chrétiens s’étant approprié l’Écriture sainte pour en
faire la base de leur religion, le judaïsme, d’après les conceptions de ce
temps, ne se distinguait plus du christianisme que parce qu’il avait une loi
orale. Cette pensée fut souvent exprimée sous forme poétique par l’Aggada : Moïse a voulu mettre la loi orale par écrit ; mais
l’Éternel, prévoyant qu’un jour les nations traduiraient Les vingt dernières années de l’activité d’Aschi coïncidèrent avec le règne du roi sassanide Yesdegird (399-420). Ce monarque, surnommé al-Hatim (le pécheur) par les mages, parce qu’il ne voulut pas se laisser dominer par eux, se montra tolérant pour les Juifs et les chrétiens. Les jours où l’on prêtait hommage au roi, on voyait à la cour les trois principaux représentants du judaïsme babylonien : Aschi, comme délégué de Sora ; Mar-Zutra, comme délégué de Pumbadita, et Amêmar, comme délégué de Nehardéa. Un autre docteur, Huna bar Zutra, était un des familiers de Yesdegird. Le mouvement d’émigration et les révolutions considérables
qui se produisirent, à cette époque, parmi les peuples, et le châtiment
infligé par Dieu à l’empire de Rome, réveillèrent les espérances messianiques
dans les cœurs juifs. On répéta partout dans la foule que le prophète Élie
avait annoncé que le Messie viendrait au 85e jubilé (4200 de la création, 440
de l’ère vulgaire). De pareilles croyances ont rencontré de tout temps
des adeptes passionnés, qui, ne se contentant pas de nourrir silencieusement
leurs espérances dans leur cœur, se sont efforcés de faire partager leur
enthousiasme à la foule et l’ont entraînée dans de folles aventures. Le même
phénomène se reproduisit à l’époque d’Aschi. Un de ces rêveurs mystiques
parcourut pendant une année toutes les communautés juives de l’île de Crète,
leur persuadant que l’époque messianique était arrivée et leur promettant de
leur faire traverser la mer à pied sec, comme autrefois Moïse, dont il avait,
du reste, le nom, et de les conduire jusque dans Aschi chercha à prémunir les Juifs contre des croyances aussi dangereuses, et il expliqua ainsi la prophétie alors répandue dans le peuple : Il n’est pas possible que le Messie apparaisse avant le 85e jubilé ; à partir de cette époque, on peut avoir l’espoir, mais non la certitude, qu’il viendra. — Aschi mourut dans un âge très avancé (en 427), deux ans avant la prise de Carthage par le Vandale Geiseric. Celui-ci emporta en Afrique toutes les dépouilles entassées dans Rome, et, parmi elles, les vases enlevés autrefois, par Titus, du temple de Jérusalem. Ces vases, comme les Juifs eux-mêmes, furent condamnés à de bien étranges pérégrinations ! C’est à cette époque que disparut l’institution du patriarcat. Les trois derniers patriarches connus sont : Gamaliel V, successeur de Hillel II, son fils Juda IV, et Gamaliel le dernier. On sait très peu de chose de leur administration. Ils portaient, comme leurs prédécesseurs, le titre pompeux de sérénissime, jouissaient des privilèges attachés à ce titre, percevaient les contributions spéciales destinées au patriarcat, mais n’exerçaient plus, en réalité, qu’une faible autorité. Même le droit qu’ils avaient possédé jusque-là d’exclure de la communauté juive ceux qui suivaient les pratiques chrétiennes leur fut enlevé. Sur l’instigation des évêques, les autorités civiles forcèrent, en effet, les patriarches et les chefs des communautés, appelés pris, à accueillir de nouveau parmi les Juifs les apostats qu’ils avaient exclus. Cependant, malgré les excitations d’Ambroise et d’autres membres du clergé catholique, qui le poussaient à persécuter les ariens et autres hérétiques, Théodose le Grand (379-395) confirma aux patriarches et aux primats le privilège d’excommunier les membres indignes de la communauté et défendit, en général, aux fonctionnaires civils de s’immiscer dans les affaires religieuses des Juifs. Il donna à ces derniers une preuve de son équité en condamnant à mort le consulaire Hesychius que Gamaliel V avait accusé de lui avoir dérobé des papiers importants. Théodose dut intervenir plus d’une fois pour modérer l’ardeur religieuse de chrétiens trop zélés, qui se faisaient gloire de troubler les prières des Juifs, de piller et d’incendier les synagogues ou de les transformer en églises. Parmi les principaux et plus acharnés ennemis du judaïsme se trouvaient Jean Chrysostome, d’Antioche, et Ambroise, de Milan. Jean Chrysostome tonnait contre les Juifs du haut de la chaire dans des discours d’une éloquence véhémente, mais ampoulée et cynique ; il prononça consécutivement six sermons contre eux. C’est que les Juifs d’Antioche étaient vraiment de grands coupables, ils permettaient aux chrétiens de suivre les usages juifs, de se faire juger par des tribunaux juifs, d’assister, le sabbat et les jours de fête, aux offices dans les synagogues, où les femmes surtout, grandes dames et femmes de la basse classe, venaient toujours en très grand nombre ; ils leur permettaient aussi d’écouter avec recueillement, au nouvel an juif, le son du schofar, de célébrer la fête de l’Expiation et de prendre part aux réjouissances de la fête des Cabanes. Les chrétiens préféraient soumettre leurs différends à des arbitres juifs, parce qu’il leur semblait que la prestation du serment se faisait d’une façon plus solennelle chez les Juifs que chez eux. Ces témoignages de respect accordés par les chrétiens aux pratiques du judaïsme indignaient Chrysostome, il proférait les plus violentes injures contre les Juifs, les accablant d’outrages et qualifiant leurs synagogues de théâtres à scandales et de cavernes de voleurs. Ambroise, de Milan, dépassait Chrysostome en
violences et en odieuses calomnies contre les Juifs. Il appela l’usurpateur
Maxime judéen, parce qu’il avait
ordonné au sénat romain de faire reconstruire aux frais de la ville une
synagogue de Rome incendiée par les chrétiens, et il protesta en des termes
tellement vifs contre Théodose, qui avait condamné l’évêque de Callinicus,
dans le nord de A la mort de Théodose le Grand, l’empire romain échut à ses deux fils et fut divisé en deux tronçons, l’empire d’Orient et l’empire d’Occident. Les Juifs romains eurent ainsi deux maîtres différents. En Orient, où régnait l’empereur Arcadius (395-408) ou plutôt ses deux conseillers tout-puissants Rufin et Eutrope, ils étaient assez bien traités. Rufin aimait l’argent, et les Juifs avaient déjà appris à en connaître le pouvoir magique. Grâce à la protection de Rufin, ils obtinrent la promulgation de plusieurs édits favorables. En 396, une loi leur confirma le droit de nommer eux-mêmes les surveillants de leurs marchés (agoranomos) et menaça d’un châtiment rigoureux ceux qui y mettraient obstacle ; dans la même année, une autre loi protégea les illustres patriarches contre toute injure. A la suite d’attaques dirigées en Illyrie contre les synagogues, et dont les instigateurs furent sans doute des membres du clergé, qui désiraient aussi ardemment la destruction des sanctuaires juifs que la ruine des temples païens, Arcadius, ou plutôt Eutrope, ordonna aux gouverneurs de châtier sans merci les facteurs de désordres (397) ; en même temps, il renouvela la loi, promulguée sous Constantin, qui exemptait les patriarches et autres fonctionnaires religieux juifs, à l’instar des ecclésiastiques chrétiens, de toute charge judiciaire. Enfin, par le décret de février 398, les Juifs furent autorisés à soumettre leurs différends, dans le cas où les deux parties y consentiraient, aux patriarches ou à d’autres arbitres juifs, et à remettre aux autorités romaines l’exécution de la sentence prononcée. Il ne faut pas trop s’étonner que, sous un gouvernement aussi capricieux que celui d’un empereur byzantin, on rencontre, à côté de ces lois libérales, une mesure intolérante : un édit, promulgué en 399, imposait à tous les Juifs, même aux dignitaires religieux, les charges curiales. Cette loi n’eût sans doute pas vu le jour sans la chute d’Eutrope, qui eut lieu en cette année. Quelle fut, pendant ce temps, la situation des Juifs dans l’empire d’Occident, sous le faible Honorius ? Il est très difficile de le dire. Quoique les communautés juives d’Apulie et de Calabre eussent perdu, à cette époque, les libertés curiales, on ne peut pas en conclure, que les Juifs, en général, aient été persécutés. Honorius défendit, il est vrai, en avril 399, dans toute l’étendue de son empire, la collecte de l’argent destiné au patriarche, et exigea que les sommes déjà recueillies fussent versées, dans le trésor impérial, mais cette mesure ne paraît pas avoir été inspirée par un motif religieux. Honorius voulait seulement empêcher que des sommes aussi considérables passassent de sa préfecture dans celle de son frère. Cinq ans plus tard (404), cette interdiction fut levée, et les Juifs purent de nouveau envoyer leurs offrandes au patriarche. Au reste, les lois relatives aux Juifs n’étaient pas toutes empreintes du même esprit ; si, d’une part, Honorius défendit aux Juifs et aux Samaritains de prendre part au service militaire, d’autre part, il les protégea efficacement contre l’arbitraire des fonctionnaires et leur donna une preuve remarquable de sa tolérance en défendant aux tribunaux de les faire comparaître le sabbat et les autres jours de fête (409). Avec le règne du successeur d’Arcadius, Théodose II (408-450), qui était animé d’excellents sentiments, mais dont la faiblesse était pour les évêques fanatiques un encouragement à la violence, commença pour les Juifs la période du moyen âge. On leur défendit d’élever de nouvelles synagogues, de juger les différends existant entre Juifs et chrétiens, de posséder des esclaves. Ce fut sous Théodose II que disparut définitivement l’institution du patriarcat. Le dernier patriarche, Gamaliel, jouit cependant d’un très grand crédit à la cour de l’empereur, il fut élevé à la dignité de préfet et obtint un diplôme d’honneur (codicillus honorarius). Il dut, sans doute, ces distinctions à ses connaissances médicales ; Gamaliel était, en effet, médecin, et on lui attribue la découverte d’un remède efficace contre les maladies de la rate. La situation élevée qu’il occupait lui fit croire qu’il pouvait se placer au-dessus des lois d’exception dirigées contre les Juifs, il fit construire de nouvelles synagogues, jugea des procès où étaient impliqués des chrétiens et viola d’autres édits de ce genre. Théodose II l’en punit en le dépouillant de ses diverses dignités et en ne lui laissant que les seuls privilèges attachés à son titre de patriarche (415). Gamaliel n’eut pas de successeur. Avec lui disparut le dernier dignitaire appartenant à la maison de Hillel. Cette illustre famille avait dirigé, pendant trois siècles et demi, les destinées religieuses du judaïsme, elle avait fourni des docteurs remarquables et de vaillants défenseurs de la liberté et de la nationalité juive, et son histoire particulière forme un chapitre important de l’histoire générale des Juifs. De la maison de Hillel étaient sortis quinze patriarches, dont deux Hillel, trois Simon, quatre Juda et six Gamaliel. Pendant que Théodose était empereur d’Orient et Honorius empereur d’Occident, l’évêque Cyrille, d’Alexandrie, expulsa les Juifs de cette ville. Après avoir convoqué tous les chrétiens, il leur tint des discours enflammés contre les Juifs, surexcita leur fanatisme, envahit avec eux les synagogues, dont il s’empara pour les consacrer au culte chrétien, les poussa au pillage et contraignit les Juifs à chercher leur salut dans la fuite (415). G’est ainsi que les chrétiens d’Alexandrie firent subir aux Juifs de cette ville le même sort qu’ils avaient enduré eux-mêmes 370 ans auparavant de la part des païens. Malgré l’énergie qu’il déploya pour défendre les Juifs, le préfet Oreste fut impuissant à réprimer l’émeute, il ne put que porter plainte contre Cyrille ; la cour de Constantinople donna gain de cause à l’évêque. Ce dernier se vengea d’Oreste avec une cruauté inouïe, il le livra à une bande de moines fanatiques du mont Nitra, qui le lapidèrent. Ce premier meurtre fut bientôt suivi d’un second. Cette horde de moines sauvages se jeta un jour sur Hypathie, célèbre par ses connaissances philosophiques, son éloquence et ses mœurs austères, l’assassina et déchiqueta son corps avec une férocité bestiale. De tous les Juifs d’Alexandrie, un seul, Adamantius, qui enseignait la médecine, accepta le baptême pour échapper à l’expulsion ; tous les autres préférèrent les souffrances de l’exil à l’abandon de leur foi. Les Juifs de Magona (Mahon), petite ville de l’île espagnole
Minorque, dans Dans la situation pénible qui leur était faite dans les
pays chrétiens, il ne restait aux Juifs d’autre arme contre leurs oppresseurs
que la raillerie. Mais ils la maniaient parfois avec maladresse, et
particulièrement au jour de Purim, où l’animation de la fête conduisait
souvent à l’ivresse et, par suite, à des démonstrations irréfléchies. En ce
jour, la jeunesse bruyante pendait en effigie Aman, l’ennemi traditionnel des
Juifs, à un gibet auquel, par hasard ou à dessein, on donnait la forme de la
croix et qu’ensuite on brûlait. Ce fait irritait naturellement les chrétiens,
qui accusaient les Juifs d’outrager leur religion. Pour mettre fin à ce
scandale, Théodose II ordonna aux recteurs de la province d’en punir les
auteurs de peines rigoureuses ; mais il n’arriva pas à le faire cesser.
Cette plaisanterie de carnaval eut un jour les plus désastreuses
conséquences. Les Juifs d’Imnestar, petite ville de La sombre et intolérante dévotion de Théodose a agit fortement sur l’empereur d’Occident, Honorius. Ce furent ces deux souverains qui promulguèrent ensemble, en très grande partie, les diverses mesures restrictives qui pesaient sur les Juifs au moment où ils passèrent de la domination romaine sous celle des nouveaux États germaniques. Sous leur règne, l’accès de toutes les fonctions administratives et militaires fut fermé aux Juifs ; par contre, on continua à leur imposer la charge plus lourde qu’honorable, des fonctions municipales ; Théodose ne leur laissa même pas la faculté de disposer librement de leur fortune pour des œuvres de bienfaisance. Malgré la disparition du patriarcat, les communautés
juives avaient continué à envoyer en Palestine les offrandes destinées
autrefois à l’entretien du patriarche et de sa maison ; ces sommes étaient
consacrées très probablement par les primats au service des écoles. Tout à
coup parut un décret obligeant les primats à verser l’argent déjà recueilli
dans le trésor impérial et à laisser dorénavant aux fonctionnaires de
l’empire le soin de faire rentrer ces contributions ; même les dons envoyés
par les Juifs des provinces occidentales devaient être remis aux trésoriers
impériaux ( Et cependant, malgré la situation douloureuse des Juifs
établis dans l’empire d’Orient, l’ardeur pour l’étude de Tout en ayant eu des maîtres juifs et trouvé la vérité hébraïque dans le texte original, Jérôme détestait profondément les Juifs, montrant ainsi à ceux qui lui avaient reproché son étude de l’hébreu comme une hérésie qu’il était resté orthodoxe. Ce sentiment de haine était partagé par un de ses plus jeunes contemporains, le Père de l’Église Augustin, et devint un article de foi, un dogme pour toute la chrétienté, qui acceptait comme paroles révélées tout ce que disaient les saints Pères de l’Église. C’est le fanatisme puisé dans les écrits des Pères de l’Église qui arma plus tard rois et peuples, croisés et pastoureaux contre les Juifs, fit élever des bûchers et inventer les plus horribles supplices. — Quoiqu’ils fussent haïs par les particuliers et méprisés par l’État, les Juifs de Césarée prenaient part aux jeux et divertissements à la mode : ils conduisaient des chars, concouraient dans l’arène pour le prix de course, arboraient la couleur verte ou bleue, comme cela se pratiquait à Rome, Ravenne, Constantinople et Antioche. Mais, à cette époque, les jeux mêmes prenaient un caractère confessionnel, la rivalité entre les différentes couleurs devenait une lutte religieuse, et la défaite ou le triomphe des conducteurs de char juifs, samaritains ou chrétiens donnaient lieu à des mêlées, souvent sanglantes, entre les coreligionnaires des vainqueurs et des vaincus. Dans Yesdigerd II (438-457) n’imita pas à l’égard des Juifs la tolérance de son prédécesseur, il leur défendit de célébrer le sabbat (456). Les bons rapports qui avaient existé jusque-là entre le gouvernement perse et les Juifs furent sans doute troublés par les mages qui, par leur fanatisme, exercèrent sur les rois de Perse la même influence néfaste que les conseillers ecclésiastiques sur les empereurs d’Orient, et qui, à l’instar des chrétiens, étaient animés d’un ardent désir de prosélytisme. Les documents de l’époque ne disent pas quel accueil les Juifs firent à la défense d’observer le sabbat. Il est probable qu’il ne leur était pas difficile d’éluder cette interdiction ; en tout cas, on ne mentionne aucun martyr à l’occasion de cette persécution. Yesdigerd fut tué l’année qui suivit la promulgation de son édit relatif au sabbat, et ses deux fils Chodar-Warda et Peroz se disputèrent la couronne, les armes à la main. A cette époque, l’académie de Sora avait à sa tête Mar bar Aschi. Ce docteur jouissait d’une très grande autorité, et toutes ses décisions, sauf trois, reçurent force de loi, mais il ne semble pas avoir donné un bien grand éclat à l’école qu’il dirigeait. Continuant l’œuvre commencée par son père, il s’efforça d’achever la coordination du recueil talmudique, travail qui était d’autant plus urgent qu’une nouvelle ère de persécutions semblait s’ouvrir et que l’avenir n’était rien moins que certain. On connaît peu de chose du caractère de Mar bar Aschi, on sait seulement qu’il était d’une grande délicatesse de conscience. Toutes les fois qu’un de mes collègues, dit Mar, comparait devant mon tribunal, je quitte mon siège, parce que je considère les docteurs comme mes parents et que je crains de me montrer, à mon insu, trop partial à leur égard. Après la mort de Mar (468), une persécution sanglante fut
dirigée contre les Juifs de Babylonie et de Perse. Cet événement funeste se
produisit sous Peroz ou Pheroces (459-484). Le motif de cette persécution aurait
été, dit-on, la vengeance que le roi Peroz, circonvenu par les mages, voulait
tirer des Juifs d’Ispahan, dont quelques-uns auraient tué et écorché deux
prêtres. La moitié de la population juive d’Ispahan fut massacrée et les
enfants furent enlevés pour être élevés dans le culte du feu. Bientôt, ce
mouvement d’intolérance s’étendit dans les communautés babyloniennes, où il
persista jusqu’à la mort de Peroz. L’exilarque Huna-Mari, fils de
Mar-Zutra, et deux autres docteurs, Amemar bar Mar-Yanka et Mescherschaya
bar Pacod, furent jetés en prison et exécutés (469-470) ; ce furent les
premiers martyrs juifs de L’effet immédiat de ces persécutions fut de pousser les
Juifs à quitter Les familles juives qui avaient émigré avec Joseph Rabban
rencontrèrent, selon toute apparence, sur la côte de Malabar, des
coreligionnaires qui pouvaient bien être partis de Perse antérieurement ou à
l’époque où d’autres émigrés juifs s’étaient rendus en Chine. La population juive
des Indes orientales se compose encore aujourd’hui de deux classes ou plutôt
de deux castes qui diffèrent tellement l’une de l’autre par la couleur de la
peau, les traits du visage, les mœurs et les usages, qu’elles peuvent être
difficilement considérées comme membres d’une seule et même tribu. On trouve
sur la côte de Malabar et dans l’île de Ceylan des Juifs blancs qui se disent
originaires de Jérusalem et des Juifs noirs qui ne se distinguent en rien des
Indiens indigènes. Ces deux classes n’ont aucune ressemblance entre elles, et
les Juifs blancs témoignent pour leurs coreligionnaires noirs le dédain que
la race blanche éprouve, en général, dans toutes les parties du monde, pour
la race noire. Il est vrai que les Juifs noirs vivent dans un état de très
grande ignorance, connaissant peu la religion de leurs pères, ne possédant
que de rares exemplaires de Après la mort de Peroz, les persécutions cessèrent et la
situation des communautés babyloniennes s’améliora, les écoles furent
rouvertes et de nouveaux chefs furent placés à leur tète. La direction de
l’université de Sora fut confiée à Rabina, qui resta en fonction de
488 à 499, et celle de Pumbadita à José, qui enseigna de 471 jusque vers 520.
Ces deux docteurs, voyant que l’avenir du judaïsme devenait de plus en plus
incertain et que l’enseignement religieux allait en décroissant, consacrèrent
toute leur activité à l’achèvement du Talmud ; ils sont désignés dans
les chroniques nomme les derniers des amoraïm. Rabina et José furent
certainement aidés dans leur travail par ceux des membres des deux académies
dont les noms ont été conservés. Le plus important d’entre eux fut Ahaï
bar Huna, de Bè-Hatim, tout près de Nehardéa (mort en 506). Grâce à son originalité de
pensée, à sa clarté d’esprit et à sa pénétrante perspicacité, Ahaï était
estimé et vénéré, même en dehors de Aidés d’Ahaï, de Huna-Mar et d’autres savants, Rabina et
José achevèrent définitivement le Talmud ; en d’autres termes, ils
déclarèrent que le recueil des discussions, décisions et ordonnances qu’ils
venaient de coordonner était définitif et que rien ne devait plus y être
ajouté. La clôture du Talmud babylonien, appelé aussi guemara, eut
lieu dans l’année de la mort de Rabina (13 kislev ou Le Talmud, qui se compose de douze volumes, ne ressemble à
aucune autre production littéraire, il forme une œuvre spéciale qui doit être
jugée d’après des règles particulières. Aussi est-il excessivement difficile,
même à ceux qui sont très familiers avec ses procédés et sa méthode, d’en
donner une définition exacte et précise. On pourrait être tenté de le
comparer aux travaux des Pères de l’Église, composés vers la même époque.
Mais on reconnaîtrait à un examen attentif que cette comparaison n’est même
pas possible. Il est vrai qu’il s’agit ici moins de faire voir ce que le
Talmud est en soi que d’indiquer ce qu’il a été dans l’histoire, quelle
influence il a exercée sur les générations suivantes. On a dirigé contre le
Talmud, à diverses époques, les accusations les plus diverses, on l’a décrié
avec passion et on l’a brûlé, parce qu’on n’a regardé que ses défauts sans
vouloir tenir compte de son mérite, qu’on ne peut réellement apprécier qu’en
embrassant d’un coup d’œil toute l’histoire juive. Sans doute, le Talmud de
Babylone a un certain nombre de défauts inhérents à toute œuvre de l’esprit
qui a une tendance exclusive, il poursuit son but avec une logique
inflexible, traite sérieusement les questions les plus futiles, enregistre
avec gravité des croyances et des pratiques superstitieuses empruntées à la
religion des Perses et relatives à la puissance des démons, à l’efficacité de
le magie et des formules de conjuration, à la signification des songes,
croyances et superstitions qui sont en contradiction absolue avec l’esprit du
judaïsme ; il contient aussi des maximes et des sentences hostiles aux
autres peuples et aux autres religions ; enfin, son interprétation de Le Talmud de Babylone se distingue de celui de Jérusalem
par une argumentation plus serrée, une pénétration plus vive et des aperçus
plus profonds. Les idées originales y abondent, elles n’y sont souvent
présentées qu’à l’état d’ébauche et de façon à obliger l’esprit à la
réflexion. En étudiant de près le Talmud, on pénètre jusqu’au sous-sol de la
pensée, on assiste à son éclosion, on suit son développement jusque dans ses
ramifications les plus fines et les plus ténues, on monte jusqu’à ces
hauteurs vertigineuses où l’esprit ne peut plus la saisir. Pour ces diverses
raisons, le Talmud de Babylone éclipsa totalement le Talmud de Jérusalem et
devint le livre par excellence, la propriété exclusive et en quelque sorte
l’âme de la nation juive. Les générations suivantes en firent leur principal,
leur unique aliment intellectuel, les penseurs se plaisant à approfondir son
argumentation, et les hommes de cœur admirant sa morale élevée. Pendant plus
de dix siècles, les Juifs restèrent indifférents au monde extérieur, à la
nature, aux hommes et aux événements, ils a’y voyaient que des incidents
insignifiants, de simples fantômes, la seule réalité pour eux était le
Talmud, ils ne considéraient comme vrai que ce qui avait sa sanction, ils ne
connaissaient |