Nerva avait choisi pour successeur l’espagnol Ulpianus
Trajan, le vainqueur des Daces, près du Danube. Trajan, âgé de près de
soixante ans, se prépara à réaliser son rêve de placer sous la domination
romaine les pays asiatiques situés entre l’Euphrate et le Tigre, l’Indus et
le Gange, et à ceindre son front des lauriers d’Alexandre le Grand (114). Les pays
Parthes n’opposèrent qu’une faible résistance à Trajan, parce que ce vieil
empire mi grec et mi persan était déchiré par les compétitions de divers
prétendants. Seuls les Judéens, qui habitaient ces régions en très grand
nombre, qui occupaient des villes et des territoires tout entiers et
jouissaient d’une certaine autonomie politique sous l’autorité de leur prince
de l’exil ou exilarque (Rèsch Golah), soutinrent la lutte par haine religieuse contre
le conquérant romain. Quant aux Judéens de Babylone, ils voyaient en Trajan
le successeur de ceux qui avaient détruit le temple et condamné leurs frères
à une servitude avilissante, et ils se préparèrent eux aussi à la guerre
sainte. La ville de Nisibe, habitée en tout temps par une nombreuse
population judaïque, se défendit avec une opiniâtreté héroïque et ne put être
prise qu’après un siège fort long ; sa résistance fut cruellement
châtiée. La province d’Adiabène, sur le cours moyen du Tigre, était gouvernée
par un souverain dont les ancêtres s’étaient convertis un siècle auparavant à
la religion judaïque ; le roi d’Adiabène, Mebarsapès, appartenait
peut-être lui-même à cette religion. Il lutta vaillamment contre Trajan, mais
il fut obligé à la fin de se soumettre également à la domination romaine.
La Rome
républicaine, pas plus que la
Rome impériale, n’avait jamais connu des victoires aussi
éclatantes que celles que remporta Trajan. Les campagnes de cet empereur
furent une suite de triomphes. Lorsqu’il prit ses quartiers d’hiver à
Antioche (hiver
115-116) pour y recevoir Ies hommages des vaincus, Trajan put
considérer la guerre comme terminée. Au printemps suivant, il se remit en
campagne pour briser les dernières résistances de l’ennemi et faire de ces
contrées le boulevard de l’Inde, dont il rêvait la conquête. Mais le
triomphateur fut troublé dans sa joie par la défection des peuples qu’il
avait soumis entre le Tigre et l’Euphrate. Cette défection avait été préparée
par les Judéens, qui organisèrent la révolte dans une grande partie de l’empire
romain. Les Judéens de la
Babylonie, comme ceux de l’Égypte, de la Cyrénaïque, de la Libye et de l’île de
Chypre, conçurent le projet hardi de secouer le joug romain. Poussés comme
par une force irrésistible, que les auteurs romains qualifient d’esprit de
folie, les Judéens de ces vastes territoires, si éloignés l’un de l’autre,
prirent les armes ; ils montrèrent au vainqueur que la défaite n’avait ni
brisé leur énergie, ni abattu leur courage, et qu’ils étaient supérieurs à
tous ces peuples en décadence qui acceptaient avec une lâche résignation la
domination de Rome. Cette unanimité entre tous les Judéens fait supposer
qu’ils obéissaient à un plan prémédité et étaient dirigés par des chefs
vaillants et actifs. La Judée
elle-même se prépara à se soulever, et elle organisa l’insurrection dans les
régions voisines, sur l’Euphrate et en Égypte (automne 116 et hiver 117). Depuis la chute
de l’État judaïque, une nouvelle génération avait grandi ; elle avait
hérité de l’esprit ardent des zélateurs et conservé un souvenir très vif de
l’indépendante de ses pères. L’espérance des Tannaïtes, exprimée en toute
circonstance sous cette formule : Le temple sera
bientôt reconstruit, avait entretenu dans l’âme de la jeunesse
l’amour de la liberté. Les élèves n’avaient pas désappris dans les écoles le
maniement des armes, ni oublié les vertus guerrières de leurs ancêtres.
L’arrogance des autorités romaines contribua probablement à faire éclater la
révolte. D’après une légende, la femme de Trajan, Plotin, aurait mis au monde
un enfant le 9 du mois d’Ab, qui était un jour de deuil pour les Judéens en
mémoire de la destruction du temple, et l’aurait perdu pendant la fête des
Illuminations, célébrée en souvenir des victoires des Asmonéens. Elle aurait
interprété le deuil des Judéens comme un acte d’hostilité et de malveillance
et leur joie comme une cruelle raillerie, et elle aurait écrit à Trajan qu’au
lieu de faire la guerre aux Barbares il devrait plutôt châtier les Judéens
rebelles.
Les chefs de l’insurrection paraissent avoir été Julien
Alexandre et Pappos. Le premier était ou alabarque d’Alexandrie ou
parent de l’alabarque, il descendait du célèbre Alexandre Lysimaque. Son
compagnon et lui jouissaient auprès des Judéens d’une très grande
considération. Les insurgés paraissent s’être réunis en Judée, dans la plaine
de Rimmon ou dans la grande plaine de Jezréel. Il n’existe
aucune donnée certaine sur les préparatifs et les diverses péripéties de
cette lutte, l’issue seule en est connue. Ce furent les Judéens de la Cyrénaïque, ces
patriotes indomptables qui s’étaient déjà soulevés une première fois,
immédiatement après la destruction du temple, sur les instigations des
zélateurs, contre la domination romaine, qui se battirent avec le plus
d’acharnement. Leur chef s’appelait, d’après les uns, Andreias,
d’après les autres, Lucuas. Il est probable que l’un de ces noms était
allégorique. Les Judéens d’Égypte, qui jadis avaient été dévoués aux intérêts
romains, s’étaient également associés au soulèvement. Cette insurrection
suivit au début le cours régulier de ces sortes de mouvements. Les rebelles
attaquèrent d’abord les voisins de leur ville, massacrèrent les Grecs et les
Romains et vengèrent sur leurs ennemis les plus proches l’effondrement de
leur État. Enhardis par le succès, ils se réunirent en bandes et attaquèrent
les légions romaines conduites par le général Lupus. Dans la première
rencontre, l’ardeur et la farouche énergie des Judéens eurent raison de
l’habileté stratégique et de la discipline des Romains. Lupus fut obligé de
battre en retraite. Ce premier combat fut accompagné de massacres
épouvantables ; vainqueurs et vaincus se livrèrent à des actes de
barbarie et de sauvage cruauté qu’expliquait seul chez les insurgés une
implacable haine de race, longtemps contenue, qui ne pouvait s’assouvir que
dans le sang. Les païens qui s’étaient enfuis après la défaite pénétrèrent
dans Alexandrie, dont tous les habitants juifs capables de porter les armes
s’étaient joints à l’armée des rebelles, s’emparèrent des Judéens qui s’y trouvaient
et les firent mourir au milieu des plus atroces tortures. L’armée juive usa
de représailles ; elle envahit l’Égypte, s’empara du château fort
d’Alexandrie, fit prisonniers les habitants et leur infligea tortures pour
tortures. La population païenne de la ville chercha son salut dans la fuite
en essayant d’atteindre le port. Les Judéens s’élancèrent à leur poursuite et
les atteignirent près des navires. Il y eut là une lutte terrible. Appius,
alors procurateur en Égypte, raconte qu’il n’échappa au massacre que grâce au
hasard, et il ajoute que les Judéens dévorèrent la chair des prisonniers
grecs et romains, se teignirent de leur sang et leur arrachèrent la peau pour
s’en couvrir. Ce sont certainement de pures calomnies.
Ce qui est avéré, c’est que les Judéens contraignirent les
vaincus à descendre dans l’arène pour lutter contre les bêtes fauves ou
s’entretuer. Ce furent là les tristes représailles des jeux sanglants
auxquels avaient dû prendre part, sur l’ordre de Vespasien et de Titus, les
prisonniers juifs. On rapporte que dans la Cyrénaïque les
Judéens tuèrent 200.000 Grecs et Romains et dépeuplèrent tellement la Libye, c’est-à-dire la
région qui s’étend le long de la côte à l’est de l’Égypte, que quelques
années plus tard il fallut y envoyer de nouveaux colons. Dans l’île de
Chypre, où demeurait de tout temps une nombreuse population juive qui y avait
élevé des synagogues, la révolte fut organisée et dirigée par un certain Artémion.
Le nombre des rebelles était très grand, il se grossit probablement de tous
les mécontents païens de l’île. Les insurgés détruisirent Salamis, capitale
de l’île de Chypre, et tuèrent 240.000 Grecs. Trajan, qui était alors en
Babylonie, craignit vivement que ce soulèvement ne prit un plus grand
développement, il envoya contre les Judéens une puissante armée. Il plaça
l’un de ses principaux généraux, Martius Turbo, à la tête de forces
importantes sur terre et sur mer, et le chargea d’étouffer la révolte en
Égypte, dans la
Cyrénaïque et dans l’île de Chypre. Dans la région de l’Euphrate,
où les Judéens avaient pris une attitude menaçante, malgré le voisinage de
l’empereur avec une armée considérable, Trajan confia le commandement des
groupes à son général favori, Lusius Quietus, prince mauresque d’un
caractère cruel qu’il avait désigné pour son successeur. On ne connaît pas le
chef des Judéens en Babylonie. Un général romain, Maxime, perdit la
vie dans la bataille. Trajan était animé d’un tel désir de vengeance contre
cette nation judaïque qui lui avait paru si faible et si abattue, qu’il donna
l’ordre à Quietus d’exterminer jusqu’au dernier Judéen de son district. Les
légions romaines eurent à combattre les rebelles de trois côtés à la fois. Si
les trois foyers de l’insurrection avaient pu se réunir en un seul, ou si les
insurgés avaient pu se prêter un appui mutuel, le colosse romain aurait reçu
dès ce moment le coup mortel qui l’abattit plus tard.
Martius Turbo, qui était chargé de se rendre maître de la
révolte en Égypte et dans la
Cyrénaïque, cingla à pleines voiles vers les points
menacés, qu’il atteignit en très peu de temps. Il calcula sagement que toute
précipitation de sa part servirait la cause des insurgés, qui pourraient se
jeter en grandes masses sur ses troupes et triompher dans un combat où
l’enthousiasme l’emporterait sur la discipline. Il conçut le plan de les
harceler sans relâche par de petites escarmouches pour les fatiguer et jeter
la confusion dans leurs rangs. Les Judéens se défendirent avec vaillance, et
ce ne fut qu’après une lutte longue et acharnée qu’ils déposèrent les armes.
Cette issue était fatale ; des bandes indisciplinées et mal armées
devaient nécessairement succomber sous les attaques répétées d’un ennemi
supérieur en nombre et en science militaire et qui possédait une excellente
cavalerie. Turbo fut inexorable pour les vaincus. Les légions entourèrent les
prisonniers et les taillèrent en pièces, les femmes furent violées, celles
qui résistèrent furent tuées. La ville d’Alexandrie fut dévastée, la
synagogue de cette ville, qui remontait à la plus haute antiquité et qui
était une merveille de l’architecture égypto-grecque, fut saccagée. Avec cette synagogue, dit une source judaïque, a disparu la gloire d’Israël. La même source
rapporte que le nombre des Judéens tués en Afrique fut si considérable que
leur sang teignit les eaux de la mer jusqu’à Chypre. C’est là une allusion au
massacre des Judéens cypriotes. En effet, Turbo, après avoir étouffé
l’insurrection judaïque, marcha contre l’île de Chypre. L’histoire ne donne
aucun détail sur cette guerre ; un seul fait est certain, c’est
l’extermination totale des Judéens. Ceux-ci se sont sans doute défendus avec
l’énergie du désespoir ; car, depuis, la haine contre la race judaïque
est restée héréditaire dans l’île, à tel point que les Cypriotes firent une loi
par laquelle ils défendaient aux Judéens l’accès de l’île, même en cas de
naufrage.
La guerre d’extermination que Lusius Quietus avait reçu
l’ordre de faire aux Judéens de la Babylonie et de la Mésopotamie n’est
pas connue dans ses détails. On sait seulement que des milliers de Judéens
furent égorgés et les villes de Nisibe et d’Édessa complètement ruinées ; les
maisons, les rues et les routes étaient jonchées de cadavres. Trajan, pour
récompenser Quietus de la part considérable qu’il avait prise à la guerre
contre les Judéens, le nomma gouverneur de la Palestine et
l’investit de pouvoirs très étendus afin qu’il pût étouffer tout germe de
révolte dans l’ancienne patrie judaïque.
Trajan fut moins heureux dans son expédition contre les
Parthes que ses généraux ne l’avaient été dans leurs campagnes contre les
Judéens. Il dut abandonner la
Babylonie, lever le siège d’Atra et renoncer à son
projet de réduire ces pays en provinces romaines. Découragé par son insuccès,
déçu dans ses plus chères espérances, il tomba malade ; il fut transporté
dans cet état à Antioche et mourut quelques mois après en Cilicie (117). Sa dernière
volonté d’avoir pour successeur son fidèle compagnon d’armes, Quietus, ne fut
même pas exaucée. Sa femme, la rusée Plotin, persuada à l’armée que, avant sa
mort, Trajan avait adopté comme fils et désigné comme successeur son parent Ælius
Adrien.
Au moment où Adrien devint empereur, plusieurs peuples
étaient déjà en révolte et d’autres se préparaient à briser le joug de Rome.
A la nouvelle de la mort de Trajan, dont on redoutait vivement l’énergie et
l’implacable sévérité, l’insurrection se propagea comme un feu dévorant au
levant et au couchant ; les peuples parurent s’être concertés pour
témoigner tous à la fois de leur volonté de vivre libres et indépendants. Le
pays des Parthes, où Trajan avait essayé récemment d’établir la domination
romaine, quelques contrées de l’Asie Mineure ruinées par la cupidité des
fonctionnaires impériaux, la sauvage Mauritanie, la Sarmatie, la Bretagne, qui supportait
avec impatience le joug romain, voulurent mettre à profit ce moment propice
pour reconquérir leur indépendance. Les Judéens de la Palestine, qui
haïssaient les Romains avec une sorte de fureur, avaient déjà organisé
auparavant l’insurrection que Quietus, sur l’ordre de Trajan, était allé
combattre après avoir accompli sa sanglante mission dans les régions de
l’Euphrate. Mais à l’avènement d’Adrien la révolte en Judée n’était pas
encore domptée.
Il n’existe aucune donnée précise sur cette guerre des
Judéens, que les sources judaïques appellent guerre de Quietus (Polemos schel Quitos).
D’après certains indices, cette lutte paraît avoir été funeste aux Judéens,
car aux signes de deuil public qui avaient été adoptés depuis la destruction
du temple, les docteurs de la
Loi en ajoutèrent de nouveaux. C’est à cette époque qu’il
fut défendu aux fiancées de porter des couronnes le jour du mariage.
Quietus parait avoir détruit la ville de Jabné, qui était
le siège du Sanhédrin. Mais la
Judée fut bientôt délivrée de ce soldat sanguinaire. Ce fut
le nouvel empereur lui-même qui arrêta sa marche victorieuse. Adrien, plus
ambitieux que vaillant, aimait mieux jouir d’une vie paisible au milieu des
splendeurs impériales que s’exposer aux fatigues et aux dangers d’une existence
guerrière. La perspective d’avoir à lutter contre des insurrections sans
cesse renaissantes et à soutenir une guerre longue et pénible lui inspira une
grande frayeur. Jaloux de la gloire de son prédécesseur, auquel le Sénat
avait décerné des honneurs éclatants, mais trop faible pour essayer de
l’égaler ou de le surpasser, Adrien abandonna, pour la première fois, les
traditions de la politique romaine, qui osait tout pour tout dominer, et il
entra dans la voie de la conciliation. Il renonça à toute prétention sur les
pays Parthes, il en abandonna le gouvernement à des princes indigènes, et il
fit des concessions importantes aux provinces en révolte. Il parait s’être
inspiré de la même politique de modération dans son attitude envers la nation
judaïque, et avoir accédé en partie à ses demandes. Les Judéens désiraient
surtout qu’il rappelât Quietus et qu’il leur permit de rebâtir le temple. Le
tout-puissant général fut destitué. La jalousie d’Adrien fut certainement une
des principales causes de la révocation de Quietus, qui était supérieur à
l’empereur en mérite et en gloire, mais cette révocation parait également
avoir eu pour but de donner satisfaction aux réclamations des Judéens. Au
moment où il reçut la nouvelle de sa disgrâce, Quietus faisait juger et condamner
à mort les deux chefs de l’insurrection judaïque, Julien et Pappos ;
l’exécution devait avoir lieu à Laodicée. Quietus leur dit en raillant
: Si votre Dieu est aussi puissant que vous le
dites, que ne vous sauve-t-il de mes mains ? — Tu n’es pas digne, lui répondirent-ils, que Dieu fasse un miracle à cause de toi, tu n’es pas le
maître, tu n’es qu’un subordonné. Les deux condamnés allaient être
conduits au supplice, lorsque arriva l’ordre d’Adrien qui révoquait Quietus
de ses fonctions de gouverneur de la Judée. Le général disgracié quitta la Palestine et, peu de
temps après, Adrien le fit exécuter. Le jour de la délivrance de Julien et de
Pappos, qui était le 12 adar (février 118 ?), fut célébré par une fête commémorative
qui devait perpétuer le souvenir de cet heureux événement ; le Collège
l’ajouta aux autres jours fériés qui rappelaient des faits analogues et
l’institua comme demi fête sous le nom de jour de Trajan (Iom Tirianus).
Avant de déposer les armes, les Judéens avaient exigé et
obtenu qu’Adrien les autorisât à reconstruire le temple sur son ancien
emplacement et à relever Jérusalem de ses ruines. L’empereur confia,
parait-il, la surveillance des travaux de reconstruction de la ville au
prosélyte Aquilas. Il régnait une grande allégresse parmi les Judéens, qui
aspiraient depuis cinquante ans au moment bienheureux où ils posséderaient de
nouveau un centre religieux. Un poète judéo-alexandrin exprima en vers grecs
les sentiments qui animaient alors ses coreligionnaires. A l’exemple de ses prédécesseurs,
le poète inconnu parla par la bouche d’une prophétesse païenne, la Sibylle, soeur d’Isis.
La sibylle énumère d’abord toute la série des Césars romains, qu’elle ne
désigne que par des allusions, et elle continue ainsi :
…………………………………………………………………
Et après lui
Règnera
un souverain au casque d’argent ; une mer[1]
Lui
a donné son nom[2]. C’est un homme généreux et perspicace.
Sous
ton règne, ô prince grand et noble, prince à la sombre chevelure,
Et
sous le règne de ta race s’accompliront ces évènements surprenants.
La
trompette ne fera plus retentir le signal de la guerre et du massacre,
L’ennemi
n’accomplira plus, dans sa fureur, son oeuvre de destruction,
De
magnifiques trophées attesteront la victoire remportée sur le mal.
Oublie
tes chagrins, ne tourne pas ton glaive contre ta poitrine,
O le
plus puissant des rejetons divins, la plus désirable des fleurs.
Astre
brillant, idéal noble et sacré,
Beau
pays de Judée, cité merveilleuse, chantée par des poètes,
Les
Hellènes, animés d’une même pensée et d’un même sentiment,
Ne
viendront plus fouler ton sol de leur pied impur;
De
grands honneurs te seront rendus par de respectueux serviteurs
Qui
orneront la table de nombreux sacrifices,
Prononceront
des paroles sacrées et adresseront à Dieu leurs prières.
Des
justes, qui ont supporté avec résignation la souffrance et l’affliction,
Accompliront
des choses grandes, belles et glorieuses,
Et
les méchants qui ont lancé leurs blasphèmes contre le ciel
Cesseront
de semer entre frères la discorde et la haine,
Et
se tiendront cachés, jusqu’après la conversion du monde.
………………………………………
Cette
transformation heureuse se produira dans le pays des Hébreux,
Où
le miel sort des rochers, où jaillissent les sources limpides,
Où
coule pour les justes un lait doux comme l’ambroisie.
Car,
ils espèrent, dans la droiture et la sincérité de leur cœur,
En
Dieu seul, le créateur unique, l’Être suprême.
………………………………………
De
la patrie céleste descendit un homme bienheureux ;
Dans
ses mains il tenait un sceptre reçu de Dieu,
Il
régna avec gloire, et ù tous les hommes de bien
Il
rendit les richesses qu’avaient dérobées ses prédécesseurs ;
Il
détruisit par le feu jusqu’aux fondements des cités entières,
Et
brûla les demeures des méchants qui avaient fait le mal
Au
temps passé, mais la cité que Dieu aime devint
Plus
radieuse qu’une étoile, plus brillante que le soleil et la lune.
Il
la para de toutes les pompes et y éleva un sanctuaire
Visible
à tous les regards, superbe, et surmonté d’une tour.
Les
justes et les pieux purent alors contempler
L’éternelle
splendeur et la gloire éblouissante du Créateur.
Le
levant et le couchant ont célébré la magnificence de Dieu,
Car
aucun malheur n’affligera plus la pauvre humanité.
Il
n’y aura plus ni adultère, ni amours honteuses d’adolescents,
Ni
meurtre, ni bruit de guerre; partout règnera la justice.
Il
apparaît enfin ce temps bienheureux où accomplira ces choses
Le
Seigneur qui commande au tonnerre, qui a fondé le temple superbe.
Ainsi chantait et prophétisait la sibylle judaïque ;
elle rêvait la chute prochaine du paganisme. Au commencement de son règne,
Adrien fut, en effet, un prince aimé des Judéens. Mais, si ceux-ci furent
profondément heureux de posséder bientôt, comme ils l’espéraient, un nouveau
sanctuaire, les judéo-chrétiens qui demeuraient en Judée suivaient avec une
colère haineuse les progrès de cette restauration. Ils s’étaient attachés de
toute la puissance de leurs nouvelles convictions à cette doctrine que Jésus,
en sa qualité de Messie, de grand prêtre et de victime, avait rendu inutile
le temple de Jérusalem. Ils ne furent pas les seuls à mettre obstacle à la
reconstruction du sanctuaire, ils trouvèrent des complices dans les
Samaritains. Ces derniers, comme les judéo-chrétiens, cherchèrent à entraver
par tous les moyens la reconstruction du temple.
Adrien ne se montra si favorable aux Judéens que pour
éviter à tout prix la guerre. En leur accordant ce qu’ils désiraient avec une
ardeur passionnée, il ne désarma pas seulement ceux d’entre eux qui avaient
déjà préparé un nouveau soulèvement, mais il s’en fit des alliés fidèles qui,
dans sa pensée, combattraient à ses côtés dans le cas où les Parthes
envahiraient le territoire romain. Les travaux de reconstruction du temple
avancèrent rapidement. Julien et Pappos, les deux chefs que l’intervention d’Adrien
avaient sauvés de la mort, les poussaient avec vigueur. Ils établirent des
comptoirs de change dans la
Galilée et la
Syrie, depuis Acco jusqu’à Antioche, pour changer contre
des monnaies du pays les monnaies étrangères que les Judéens du dehors envoyaient
comme contribution à la restauration du sanctuaire. Il ressort de ce fait que
les communautés juives de tous les pays participèrent à cette œuvre
nationale. On entreprit en même temps, selon toute apparence, le relèvement
de la ville de Jérusalem. Lorsque les ouvriers commencèrent à enlever les
décombres qui couvraient l’emplacement du temple, ils mirent naturellement à
découvert une grande quantité d’ossements humains, ce qui fit naître une
certaine hésitation dans l’esprit des docteurs. Josua ben Hanania, ennemi de
toutes les exagérations, leur dit : N’avez-vous
pas honte de déclarer impur le lieu où s’élevait jadis le sanctuaire ?
Ce beau rêve de rétablir à Jérusalem le centre de la
religion ne tarda pas à s’évanouir devant la triste réalité. Dès qu’Adrien
eut affermi son autorité et apaisé l’agitation des peuples prêts à se
soulever, il chercha, à l’exemple de tous les princes de caractère faible, à
éluder une partie de ses promesses et à revenir sur sa parole. On raconte que
les Samaritains, irrités de voir le temple de Jérusalem, objet de leur
éternelle haine, se relever de ses ruines, usèrent de tous les moyens auprès
de l’empereur Adrien pour éveiller sa crainte au sujet des conséquences de
cette restauration ; c’est ainsi que leurs ancêtres avaient déjà agi auprès
des souverains de la
Perse. Ils firent croire, parait-il, à Adrien que le
rétablissement du temple qu’il avait autorisé pour rattacher plus étroitement
les Judéens à l’empire romain leur servirait, au contraire, de prétexte à une
insurrection contre Rome. Il se peut, cependant, qu’Adrien et ses lieutenants
eu Judée aient eu cette crainte eu dehors de toute instigation des
Samaritains. Quoi qu’il en soit, l’empereur, qui n’osa pas revenir
complètement sur ses promesses, essaya d’en restreindre la portée. D’après
certains documents, il aurait prescrit aux Judéens de construire la ville et
le sanctuaire sur un nouvel emplacement, ou sur l’ancien emplacement, mais
dans des dimensions moins considérables. Les Judéens, comprenant que l’empereur
cherchait à les tromper, prirent les armes en grand nombre et se réunirent
dans la vallée de Rimmon, dans la plaine de Jezréel. A la lecture de la
lettre impériale, la foule fondit en larmes. Dès ce moment, la lutte parut
imminente ; on pouvait déjà prévoir qu’elle serait implacable. Il y
avait cependant dans le peuple des hommes perspicaces, amis de la paix, qui
paraissent avoir eu conscience des dangers que présentait alors un
soulèvement. A la tête de ce parti se trouvait Josua. On le fit venir en toute
hâte afin qu’il apaisât, par son autorité et son éloquence, les passions
surexcitées de la foule. Josua s’adressa au peuple dans un langage qui agit
toujours profondément sur l’esprit des masses ; il leur raconta un
apologue dont il put appliquer la moralité à leur propre situation. Un jour, dit-il, un
lion dévora une proie ; un os lui demeura dans le gosier. Saisi de
frayeur, il promit une forte récompense à celui qui lui retirerait cet os.
Une cigogne, au long cou, se présenta, guérit le lion et demanda son salaire.
Le lion lui répondit en raillant : Estime-toi heureuse d’avoir retiré
ta tête de la gueule du lion. Nous aussi, continua Josua, nous devons
remercier le ciel d’avoir échappé sains et saufs aux mains du Romain, et ne
pas exiger de lui l’accomplissement de sa promesse. Ce fut par ces
sages paroles et par des discours analogues qu’il calma momentanément les
assistants. Mais le peuple se sépara avec l’intention de s’insurger plus
tard, et il se prépara à la révolte avec une ténacité digne d’un plus heureux
résultat.
Josua était, à l’époque d’Adrien, le principal chef des
Judéens, il paraît même avoir occupé la dignité de patriarche, car Gamaliel
mourut probablement dans les premières années du règne d’Adrien. On fit au
Nassi des funérailles pompeuses qui attestèrent la haute considération dont
il jouissait auprès du peuple. Josua et Eliezer avec leurs disciples prirent
le deuil. Aquilas, le prosélyte, se conforma à l’antique usage observé aux
obsèques des rois, et brûla des vêtements et des meubles d’une valeur de 70
mines (environ 600
francs). Aux reproches qu’on lui adressa sur sa prodigalité, il
répondit : Gamaliel vaut mieux que cent rois qui
n’ont rien fait pour l’humanité. Toute cette pompe contrastait
singulièrement avec la simplicité des vêtements mortuaires que Gamaliel lui
même s’était fait préparer avant sa mort. En ce temps-là, les morts étaient
habillés de vêtements précieux, et les dépenses qui en résultaient pesaient
si lourdement sur les gens peu fortunés que souvent les parents abandonnaient
le mort, sans lui rendre les derniers devoirs, afin de se soustraire à des
charges trop onéreuses. Pour remédier à d’aussi graves inconvénients,
Gamaliel avait ordonné qu’on le revêtit après sa mort de simples habits de
lin blanc. Depuis cette époque, les apprêts mortuaires eurent un caractère
d’extrême simplicité, et la postérité reconnaissante adopta l’usage de vider
une coupe de plus, en l’honneur de Gamaliel, au repas des funérailles.
Gamaliel laissa plusieurs fils. L’aîné, Simon, paraît
avoir été trop jeune, à la mort de son père, pour remplir les fonctions de
patriarche, et ce fut sans doute Josua que le Sanhédrin éleva à cette dignité
comme patriarche intérimaire. Ce docteur voulut, après la mort de Gamaliel,
abolir plusieurs dispositions législatives que le Nassi avait établies, mais
Johanan ben Nuri s’y opposa, et son opinion fut appuyée par la plupart des
Tannaïtes. Deux autres docteurs considérables, Eléazar ben Azaria et Eliezer,
paraissent également ne plus avoir vécu à l’époque d’Adrien. — C’est un fait
presque certain que, après la mort de Gamaliel, le Sanhédrin abandonna la
ville de Jabné pour s’établir dans la haute Galilée, à Uscha, ville
située tout près de Schefaram, d’Acco et de Sepphoris. Ismaël se trouvait
parmi ceux qui émigrèrent à Uscha. Le Sanhédrin prit dans sa nouvelle
résidence plusieurs mesures d’une haute importance morale et historique, qui
furent définitivement adoptées sous le nom d’Ordonnances d’Uscha (Tekanot Uscha). Une
de ces mesures devait empêcher les donations trop importantes de propriétés
qu’on faisait alors aux œuvres de bienfaisance, donations qui étaient
devenues très fréquentes à cette époque. Il fut défendu de distraire plus
d’un cinquième de ses biens pour des œuvres de charité. Isèbab, qui plus tard
mourut martyr, voulut distribuer toute sa fortune parmi les pauvres ; Akiba
s’appuya sur cette mesure pour s’y opposer. Une autre ordonnance d’Uscha
paraît avoir eu pour but de réagir contre la sévérité excessive avec laquelle
Gamaliel avait appliqué la peine d’excommunication. Il fut décidé qu’aucun
membre du Sanhédrin ne pourrait être frappé d’excommunication à moins d’avoir
violé ou aboli la Loi
tout entière, comme l’avait fait le roi Jéroboam. On voit par là que l’unité
de la Loi était
solidement établie et que des divergences d’opinions ou de doctrines ne
pouvaient plus, comme jadis, produire de schisme dans le judaïsme. On n’était
plus frappé que de la dureté de cette disposition qui permettait
d’excommunier des collègues et de leur interdire l’accès de l’école. Josua
contribua sans doute pour une grande part à l’établissement de cette mesure.
Les bons rapports entre Adrien et la nation judaïque ne
subsistèrent pas pendant plus de dix ans ; ils n’avaient eu, du reste,
aucune chance de durée. L’empereur ne pouvait oublier qu’il avait été obligé
de faire des concessions à ces Judéens méprisés, et ceux-ci ne pouvaient
pardonner à Adrien d’avoir violé sa promesse et trahi leurs plus chères
espérances. Cette aversion mutuelle se manifesta lorsque Adrien visita ou
traversa la Judée. Le
vaniteux empereur, pour acquérir le droit d’être appelé le père de la
patrie, et peut-être aussi par désœuvrement et sous l’impulsion d’une
sorte d’agitation intérieure qui l’obligeait à être sans cesse en mouvement,
avait visité presque toutes les provinces de l’immense empire romain. Il
avait voulu tout voir de ses yeux, s’était informé de tout avec une curiosité
puérile, et s’était entretenu avec des sages et des hommes intelligents de
tous les pays. C’était un bel esprit qui avait la prétention de se croire
profond philosophe et plus instruit en toutes choses que les autres hommes.
Il est douteux qu’Adrien se soit rendu un compte exact des dispositions des
provinces ; en tout cas, il se méprit entièrement sur les sentiments des
Judéens. Lors de son voyage en Judée (été 130), il reçut les hommages obséquieux de tous ceux qui
haïssaient le peuple autochtone, les vrais Judéens. Il vit venir au devant de
lui, bas et rampants, pour le saluer, comme un demi-dieu et même comme un
dieu, les Romains, les Grecs abâtardis, peut-être aussi les Samaritains et
les chrétiens. Un dialogue mimique qui eut lieu en sa présence entre un
chrétien et Josua ben Hanania jette un certain jour sur l’attitude que les
deux religions tenaient l’une vis à vis de l’autre. Le chrétien montra par
ses mouvements que Dieu avait détourné sa face d’Israël ; Josua répondit par
un geste que l’Éternel continuait à couvrir son peuple de son bras
protecteur. Adrien se fit expliquer cette pantomime. L’empereur paraît, du reste,
s’être entretenu à plusieurs reprises avec Josua ; la tradition rapporte
quelques-uns de ces entretiens, dont le suivant présente un certain caractère
d’authenticité. Adrien dit un jour au Tannaïte : Si
tu es aussi savant que tu le prétends, dis-moi ce que je rêverai cette nuit.
— Tu rêveras, lui répondit Josua, que les Perses (Parthes) te réduiront en esclavage et te forceront à garder de vils animaux
avec un sceptre d’or. La réponse dut produire une profonde
impression sur le superstitieux César, qui redoutait vivement les Parthes et
ne reculait devant aucun sacrifice pour vivre en paix avec eux.
Adrien était convaincu qu’il n’avait à craindre aucune
hostilité de la part des Judéens, et il informa le sénat que la Judée avait manifesté,
lors de son voyage dans ce pays, les dispositions les plus pacifiques. Le
sénat décida de perpétuer le souvenir de cette heureuse communication, et il
fit frapper, dans ce but, diverses médailles. Les unes représentaient
l’empereur en toge, ayant devant lui la Judée à genoux, qu’il cherche à relever de
cette humble posture : trois enfants (probablement la Judée,
la Samarie
et la Galilée)
lui présentent des branches de palmier. Sur d’autres médailles, on voyait la Judée et l’empereur
offrant ensemble des sacrifices. Ainsi Adrien espérait que dans un avenir
très prochain toute distinction de race et de religion s’évanouirait, et que
la fusion serait complète entre les Judéens et les Romains. Pour aider à
cette fusion, il conçut un projet d’une extravagance inouïe. Il voulut que la
ville de Jérusalem, qu’il s’agissait alors de rebâtir, fut transformée en
cité païenne. Pendant son séjour en Égypte, où il commit toutes sortes de
folies, la profanation de la ville sainte fut définitivement résolue.
Naturellement, les Judéens n’étaient pas disposés à accepter avec résignation
un acte qui devait faire disparaître le judaïsme comme race et comme
religion. Il se produisit dans les esprits une dangereuse fermentation. Josua
reprit, selon toute probabilité, sa tâche de conciliateur ; il essaya de
ramener l’empereur à un sentiment plus juste de la situation et à apaiser la
colère naissante des Judéens. Malgré son grand âge, il se rendit en Égypte
auprès d’Adrien. Celui-ci resta sourd à tout conseil et à tout avertissement,
et il accabla de railleries les religions judaïque, samaritaine et
chrétienne, qu’il se flattait de connaître et qu’il déclarait proches
parentes des croyances égyptiennes. Il écrivit à cette époque à son
beau-frère : Les archisynagogues, les Samaritains
et les prêtres chrétiens n’adorent d’autre divinité que Sérapis. Même le
patriarche qui est venu en Égypte, — il voulait dire Josua — a été contraint
par les uns à adorer Sérapis, et par les autres à adorer le Christ.
Josua parait avoir échoué dans sa généreuse tentative. Il revint en Judée, où
il mourut bientôt après dans un âge assez avancé ; le chagrin contribua
sans doute à hâter sa fin. On dit, à son grand éloge, qu’avec lui disparurent
la sagesse, la prudence et la modération. Après sa mort, la Judée fut secouée par de
violentes convulsions ; elle se prépara à une insurrection formidable,
et aucun de ses enfants ne fut alors assez puissant pour en arrêter
l’explosion. Cette époque fut une des périodes les plus remarquables de
l’histoire judaïque.
Les agitateurs ne voulurent pas que le mouvement éclatait
pendant le séjour d’Adrien en Égypte et en Syrie (130-131) ; mais dès ce moment on se
prépara à la révolte. Les forgerons juifs, dans la prévision que les armes
qu’ils fabriquaient pour les Romains serviraient contre les Judéens, ne
firent plus que des armes de mauvaise qualité et impropres à tout usage. Dans
les montagnes de la Judée,
si riches en cavernes, les conjurés établirent secrètement des allées
souterraines et des cachettes, qui servirent, avant la lutte, d’arsenaux, et
devinrent pendant la guerre d’excellents postes pour s’y embusquer et tomber
à l’improviste sur l’ennemi. Akiba prit part à ces préparatifs avec une
vaillante activité. Ce docteur avait été reconnu, après la mort de Josua,
comme chef de la nation. Adrien croyait avec tant de conviction à la
soumission absolue de la Judée
qu’il ne s’aperçut de l’insurrection, qui se préparait presque sous ses yeux
sur différents points de son empire, qu’au moment où elle sévit dans toute sa
violence ; l’habileté des Judéens avait triomphé de la vigilance des
espions romains. Quand le mouvement éclata, tout était prêt : les armes, les
voies de communication, les soldats et même un chef énergique dont la
situation particulière inspirait à l’armée l’enthousiasme religieux et la
valeur guerrière. Ce qui encouragea aussi les Judéens dans leur audacieuse
entreprise et leur fit espérer de reconquérir leur nationalité, ce fut la
chute de Césarée, ruinée quelques années auparavant par un tremblement de
terre. Une croyance assez singulière s’était répandue parmi les Judéens au
sujet de cette ville, qui était la capitale de la Judée, où des légions
tenaient garnison, où résidait le gouverneur romain et qui était aussi
odieuse à la nation judaïque que Rome même. Comme la splendeur de Césarée
datait de la chute de Jérusalem, les Judéens croyaient que sa destruction
marquerait le relèvement de la ville sainte.
Le principal héros de l’insurrection fut Barcokeba.
Cet agitateur inspira une terreur profonde à Rome, qui trembla devant lui
comme elle avait tremblé jadis devant Brennus et Hannibal. On ne sait
absolument rien de la famille et de la jeunesse de ce personne, si vilipendé
et si méconnu. Comme tous les héros de révolution, il surgit subitement comme
la personnification la plus éclatante des aspirations et des haines du
peuple, répandit la terreur autour de lui et se dressa de toute sa hauteur au
milieu du mouvement insurrectionnel. Son véritable nom était Bar-Koziba.
Ce nom lui venait d’une ville de Koziba, et n’était nullement un sobriquet
déshonorant, signifiant le fils du mensonge. Ce fut Akiba qui l’appela
Barcokeba. Plein d’enthousiasme pour ce vaillant et infatigable champion de
l’indépendance nationale, il s’écria : Voici le
roi Messie, et il lui appliqua le verset : Koziba s’est levé radieux comme un astre (kokab) dans la maison de Jacob. La valeur immense de
Barcokeba affermit ce docteur dans son espérance de voir l’orgueil de Rome
brisé, Israël briller d’un nouvel éclat, et le Messie régner dans son
éblouissante splendeur. Il cita, à ce sujet, le verset du prophète Haggée
(II, 21) : Encore un peu de temps, et j’ébranlerai le ciel et la
terre, je renverserai le trône des riches et je détruirai la puissance des
païens. Mais tous ne partageaient pas ses rêveries religieuses. Un
docteur, Johanan ben Torta, lui dit : Akiba,
l’herbe aura poussé de tes mâchoires avant que ne vienne le Messie.
Toutefois, le respect et l’admiration d’Akiba pour Barcokeba suffirent pour
faire briller le chef de l’insurrection d’une auréole divine et lui assurer
une autorité indiscutable sur tous les Judéens.
Un auteur chrétien raconte que Barcokeba, pour tromper la
foule, faisait semblant de cracher du feu en soufflant de sa bouche de
l’étoupe enflammée. Mais les sources juives ne mentionnent rien des prétendus
miracles que le roi Messie aurait opérés ; elles parlent seulement de
son étonnante force corporelle, et elles rapportent qu’il pouvait rejeter
avec les genoux les pierres que les balistes romaines lançaient sur l’armée
judaïque. Nulle part il n’est accusé de s’être fait passer pour Messie par
ambition personnelle, il ne poursuivait que le but glorieux de reconquérir la
liberté de son peuple, rendre à sa race son ancienne splendeur, et expulser
définitivement l’étranger de son pays. Un homme d’une audace aussi généreuse
et doué des plus hautes qualités militaires, aurait mérité, malgré son
insuccès, d’être jugé avec plus d’équité. La postérité s’est laissé égarer
sur son compte par les relations ennemies et n’a trouvé pour lui que des
paroles de blâme et de mépris.
Les Judéens de tous les pays accoururent en foule pour se
grouper autour de Barcokeba et prendre part au soulèvement, les Samaritains
eux-mêmes vinrent se joindre à leurs anciens adversaires. Il y eut même des
païens qui se rangèrent sous le drapeau du roi Messie dans l’espoir d’abattre
le despotisme de Rome. Une source judaïque évalue le nombre des insurgés à
400.000, et l’historien païen Dion Cassius à 580.000, et certes ces chiffres
ne paraissent pas exagérés. Le colosse romain tout entier semblait être
secoué par une commotion puissante et menacé d’une complète destruction.
Barcokeba, confiant dans sa valeur et son immense armée, se crut invincible,
et il proféra ces paroles orgueilleuses : Seigneur,
si tu ne veux pas nous secourir, abstiens-toi, du moins, de protéger nos
ennemis, et nous serons sûrs de la victoire.
A un déploiement de forces aussi considérable, Tinnius
Rufus, qui était alors gouverneur de la Judée, ne put opposer que des troupes peu
nombreuses. Les légions romaines durent reculer devant ce Messie intrépide,
qui n’avait qu’à frapper le sol du pied pour en faire sortir des soldats.
Rufus battit en retraite, abandonnant aux insurgés une forteresse après
l’autre. Au bout d’une année (132-133), 50 places fortes et 985 villes ouvertes et villages
étaient entre les mains des Judéens, qui eurent bientôt conquis sur les
Romains la Judée
tout entière, la Samarie
et la Galilée.
Adrien considéra d’abord ce soulèvement comme un mouvement
sans importance. Lorsqu’il apprit les défaites répétées de ses troupes, il
envoya en Judée des légions de la
Phénicie, de l’Arabie et de l’Égypte. Ces renforts étaient
commandés par ses meilleurs généraux, par Marcellus, gouverneur de la Syrie, Lollius Urbicus,
lieutenant de l’empereur, et Sextus Cornelius Dexter, commandant de la
flotte syrienne. Ceux-ci ne furent pas plus heureux que Rufus. Les Judéens,
fiers de ce succès inespéré, crurent que leur triomphe était définitif et que
le joug romain était brisé pour toujours. Ceux qui avaient rendu méconnaissable
sur leur corps le signe de l’alliance pour se soustraire à la taxe judaïque,
se firent circoncire une seconde fois afin de ne pas être exclus du royaume
messianique. La ville de Jérusalem était également retombée au pouvoir des
Judéens, qui songèrent sans doute à relever le temple. Mais le tumulte des
armes et les attaques in-cessantes des Romains ne leur permirent pas
d’entreprendre cette oeuvre de restauration. Pour affirmer avec éclat
l’indépendance de la Judée,
Barcokeba lit frapper des monnaies judaïques, qui furent appelées monnaies
de Koziba. Ellees portaient comme légende les mots : Liberté de Jérusalem ou Liberté d’Israël ; sur aucune d’elles
n’était inscrit le nom de Barcokeba. Malgré leur haine profonde pour les
Romains, les vainqueurs ne firent subir aucun mauvais traitement aux
prisonniers de guerre. Seuls les judéo-chrétiens de la Judée furent traités avec
rigueur ; ils étaient exécrés par les Judéens, qui les considéraient
comme des blasphémateurs et surtout comme des espions et des délateurs.
Depuis qu’ils avaient refusé de prendre part à la guerre nationale, ils
étaient devenus plus odieux encore à ceux qui luttaient avec une passion
farouche pour leur liberté. Un auteur chrétien, très ancien, raconte que
Barcokeba somma les chrétiens de renier Jésus et de se joindre aux insurgés,
et que ceux qui refusèrent de se soumettre à cet ordre furent sévèrement
punis.
Lorsque l’État fut reconstitué, les autorités appliquèrent
de nouveau la législation judaïque et citèrent devant leur tribunal leurs
concitoyens qui violaient ou outrageaient la loi. Les chrétiens restèrent
libres de suivre leurs pratiques religieuses, et aucun historien ne rapporte
qu’ils aient été obligés de reconnaître Barcokeba comme un nouveau Messie. Le
nouvel État juif ne parait avoir exercé aucune contrainte sur les
consciences. Les chroniqueurs chrétiens qui ont vécu plus tard ont présenté,
avec leur exagération habituelle, le châtiment de la flagellation infligé à
certains chrétiens comme une persécution accompagnée de tortures et
d’exécutions capitales ; l’histoire ne mentionne aucun fait qui confirme
de telles assertions. Seuls les Évangiles, qui parlent en termes voilés de
Barcokeba et des luttes de cette époque, font connaître en partie l’attitude
des autorités judaïques vis-à-vis des chrétiens. Ils semblent indiquer que la
discorde régnait parmi les chrétiens, dont une grande partie aimait
passionnément la liberté et dénonçait aux tribunaux juifs ceux dont le zèle
pour les insurgés leur paraissait trop modéré. D’après ces Évangiles, Jésus
aurait prédit qu’il reviendrait sous sa forme corporelle pour assister au
jugement dernier pendant cette époque orageuse qui serait une des plus
importantes périodes de l’histoire. Cette prétendue prophétie de Jésus montre
quels sentiments d’inquiétude, de malaise et de sombre tristesse agitaient en
ce moment les esprits. Prenez garde,
aurait dit le Christ, de ne pas vous laisser
égarer ; car plusieurs personnes viendront sous mon nom, se présenteront
comme le Messie et tromperont la foule. Si vous entendez des cris de guerre
et le cliquetis des armes, ne vous effrayez point, il faut que ces événements
arrivent. Mais cela ne sera pas la fin. Une nation se révoltera contre
l’autre et un royaume se soulèvera contre l’autre. Il y aura des tremblements
de terre, des temps de disette et de terreur. C’est le commencement des
souffrances. Soyez sur vos gardes, vous serez dénoncés aux tribunaux (Sanhédrin) et aux écoles (Synagogues), et vous serez flagellés. — Un frère trahira son frère, un père son fils, les enfants
se révolteront contre leurs parents. Vous serez haïs de tous à cause de mon
nom ; bienheureux ceux qui auront confiance en moi jusqu’à la fin.
Telles étaient les consolations qu’un docteur de l’Église adressa aux
chrétiens de la Judée.
— Il semble qu’à l’époque de Barcokeba, le Sanhédrin ait pris une mesure pour
arrêter le développement de cette doctrine, si répandue alors parmi les
judéo-chrétiens, que Jésus était un dieu, et pour imposer un signe permettant
de distinguer les chrétiens de ceux qui appartenaient au parti national juif.
L’usage s’était établi depuis plusieurs siècles de ne pas prononcer le
tétragramme Iahveh tel qu’il
est écrit dans la Bible,
mais de le remplacer par le mot Adonaï (seigneur). Comme les chrétiens s’étaient habitués
peu à peu à appeler Jésus du nom de Seigneur, le Sanhédrin ordonna de
prononcer de nouveau le tétragramme comme dans les temps les plus anciens, et
de l’intercaler dans la formule de salut qu’on s’adressait en s’abordant.
Le nouvel État réorganisé par Barcokeba avait déjà prés de
deux années d’existence (été
132-134). Adrien suivait avec anxiété les progrès de la révolution en
Judée, et il craignait qu’elle n’eût des effets désastreux pour l’empire
romain. Tous les renforts qu’il avait envoyés contre elle avaient été battus,
ses meilleurs généraux avaient perdu leur gloire sur les champs de bataille
de la Judée. Il
dut rappeler de la Bretagne,
qui s’était également révoltée contre Rome, le plus habile général de son
époque pour l’envoyer contre les Judéens. Jules Sévère lui parut être
le seul guerrier qui pût se mesurer avec Barcokeba. En arrivant sur le
théâtre de la guerre, Sévère trouva les Judéens établis dans des positions si
habilement choisies et si fortes qu’il n’osa pas leur livrer immédiatement
bataille. Pendant toute cette guerre, les Judéens s’appuyèrent surtout contre
le pays qui s’étendait le long de la Méditerranée et dont la ville de Betar
occupait le centre. Le circuit de cette place forte devait être immense, si
l’on songe à la population considérable qui y était enfermée pendant le
dernier acte de ce drame terrible. On raconte que Betar avait déjà une
certaine importance même avant la destruction du temple.
En dehors de Betar, Barcokeba avait encore mis plusieurs
autres points en état de défense, et il en avait probablement confié la garde
à des gouverneurs spéciaux. Au nord, près de la haute Galilée, à rentrée de
la grande plaine de Jezréel (Esdrelome), se dressaient trois forteresses qui formaient
presque un triangle depuis la
Méditerranée jusqu’au lac de Tibériade. A l’ouest, tout
prés d’Acco, se trouvait Kabul, ou Chabulon, à trois milles de
là, au sud-est, s’élevait la forteresse de Sichin, et à la même
distance, du côté de l’est, prés de Tibériade, était Magdala. Ces
trois villes, Kabul, Sichin et Magdala, étaient très peuplées et elles
formaient des postes avancés qui devaient empêcher les Romains d’envahir la Judée par la Syrie et la haute Galilée.
Une autre place que Barcokeba avait mise en état de défense fut la ville de Tur-Simon,
ainsi nommée de Simon l’Hasmonéen.
Jules Sévère jugea d’un coup d’œil la situation. Après
s’être rendu compte des formidables travaux de retranchements, des
excellentes positions des Judéens et du nombre considérable de soldats dont
le fanatisme décuplait l’ardeur guerrière et la vaillance, il reconnut qu’il
lui serait impossible de remporter une victoire dans ces conditions, et il
évita de livrer une bataille décisive. Comme l’avait fait Vespasien, il
traîna la guerre en longueur par des marches et des contremarches. Il
comptait surtout sur le manque de vivres qui devait forcément se produire
dans un petit pays fermé de toutes parts, où la charrue avait partout été
délaissée pour l’épée. Il se borna donc à couper les vivres aux Judéens, à
attaquer un par un les différents corps ennemis et à les écraser peu à peu
avec sa cavalerie. Cette tactique lui réussit à merveille. Pour frapper les
Judéens de terreur, il faisait mettre tous les prisonniers à mort. Les
péripéties de cette lutte sont certainement aussi mémorables et présentent un
intérêt aussi puissant que la guerre des zélateurs ; mais il n’existe
aucun document qui ait conservé aux générations futures un récit détaillé de
ce duel à mort entre Rome et la
Judée. Les faits d’armes des chefs des zélateurs, Bar-Giora
et Jean de Giscala, ont été racontés, il est vrai, par un ennemi implacable
du parti zélote, mais ils sont venus à la postérité, tandis que la lutte
suprême de la nation judaïque et la gloire militaire du dernier héros de la Judée n’ont pas trouvé un
seul historien. Même les relations de la guerre judaïque sous Adrien, que
l’orateur romain Antonius Julianus et le Grec Ariston de Pella
écrivirent dans l’intérêt des Romains, ont disparu ; il n’en reste plus
aucun fragment important. On ne connaît de cette guerre que quelques faits
très rares qui sont tous un éclatant témoignage de la vaillance des Judéens
et de leur ardent patriotisme.
Dans leur plan d’invasion, les Romains, tenant compte,
sans aucun doute, de la situation géographique de la Judée, pénétrèrent dans ce
pays par le nord, du côté de la
Syrie et de la
Phénicie, où ils se heurtèrent, probablement, dès le début
de la campagne contre les trois forteresses Kabul, Sichin et Magdala. Les,
sources judaïques racontent la chute de ces villes d’après des dépositions de
témoins oculaires, et indiquent les motifs qui amenèrent ces diverses
catastrophes. Kabul succomba par suite des divisions intestines qui y
éclatèrent ; Sichin tomba par la magie, et par là il faut probablement
entendre une attaque imprévue, et Magdala, le lieu de naissance de la célèbre
pécheresse Marie-Madeleine, par la débauche. La chute de ces trois
places fortes, qui formaient la ligne de défense de la frontière judaïque,
marqua la fin prochaine de la guerre ; c’est ainsi que, pendant la première
révolution des Judéens, la prise des forteresses de Jotapata et de Gadara
avait été le prélude de la conquête de la Judée par Rome. Un deuxième point où la lutte
parait avoir été très vive fut la plaine de Rimmon, qui avait été le berceau
de l’insurrection. Les légions romaines durent passer par cette plaine pour
pénétrer dans le cœur du pays, et ils y livrèrent une bataille sanglante dont
la légende a exagéré, selon son habitude, l’importance et les funestes
effets. De Rimmon, l’armée romaine marcha probablement sur les villes de la montagne
royale. D’après une tradition, 100.000 Romains auraient pénétré, l’épée
au clair, dans la forteresse de Tur-Simon et y auraient commis un carnage
épouvantable pendant trois jours et trois nuits. Toutes les cinquante places
fortes qui avaient été entre les mains des Judéens étaient tombées sous les
coups du bélier romain. Les généraux envoyés par Adrien contre les insurgés
avaient livré, d’après les uns, cinquante-deux, et d’après les autres, cinquante-quatre
batailles. Le cercle de fer dont l’armée romaine enveloppait Betar se
rétrécit de plus en plus autour de cette forteresse, dans laquelle Barcokeba
s’était jeté avec l’élite de ses troupes et où s’étaient réfugiés les fuyards
de toute la Judée. La
lutte présenta en ce moment un intérêt palpitant ; les deux plus grands
généraux de leur temps, Barcokeba et Jules Sévère, se trouvèrent l’un en face
de l’autre ; et des coups qu’ils allaient se porter dépendaient les
destinées d’un peuple tout entier. L’histoire n’a pas encore fait ressortir
avec une vigueur suffisante la grandeur de ce spectacle, où l’on voyait une
nation soutenue par la passion religieuse, l’amour de l’indépendance et la
haine de race, lutter avec l’énergie du désespoir contre des légions
fortement disciplinées et des conquérants cruels et rapaces.
Les Judéens enfermés dans Betar durent être excessivement
nombreux, car la tradition multiplie les hyperboles à ce sujet alla de bien
indiquer que la population de cette forteresse était particulièrement
considérable. Elle rapporte, entre autres, qu’il y avait à Betar plusieurs
centaines d’écoles qui contenaient des élèves en si grande quantité que
ceux-ci se vantaient de pouvoir exterminer l’ennemi avec leurs tuyaux de
plume.
Le siège de Betar dura près d’un an et fut l’acte final de
cette guerre, qui s’était prolongée pendant trois ans et demi. On ne sait
absolument rien sur les incidents de ce siège et-les causes qui amenèrent la
chute de la forteresse. Ce qui est certain, c’est que le manque de vivres et
d’eau potable contribua à précipiter le dénouement. Un document judaïque
rapporte que le fleuve Iorédét-haçamon
refusa traîtreusement ses eaux pendant la guerre, ce qui veut dire
que les chaleurs de l’été l’avaient mis à sec. Une relation samaritaine fort
obscure raconte que l’envoi des vivres amenés dans Betar, pendant le siège,
par une voie secrète fut subitement arrêté. Il paraît hors de doute que cette
ville si vaillamment défendue tomba par suite d’une trahison des Samaritains.
Voici ce qu’on se racontait à ce sujet parmi les Judéens. Éléazar, de Modin,
revêtu d’un cilice et couvert de cendres, priait et jeûnait pour que la ville
de Betar ne fut pas prise ; sa piété inspirait aux assiégés la confiance,
cette âme de la guerre, et les encourageait à la résistance. Adrien (ou son général),
découragé de cette lutte opiniâtre, se disposait à lever le siège, lorsqu’un
Samaritain lui promut de lui faire prendre la ville en rendant suspect aux
yeux des Judéens le pieux Éléazar, qui était comme le génie tutélaire de la
cité. Tant que cette poule piaillera dans les
cendres, ajouta-t-il, Betar sera
imprenable. Là dessus, ce Samaritain pénétra dans la ville par une
allée souterraine, s’approcha d’Éléazar pendant qu’il était en prières et lui
murmura mystérieusement quelques mots à l’oreille. Cette action parut
suspecte aux assistants, qui arrêtèrent le Samaritain et le conduisirent
devant Barcokeba. Interrogé sur ses intentions, il répondit par les
pleurnicheries habituelles aux espions : Si je
t’avoue la vérité, dit-il, je serai
tué par mon maître, et si je te la dissimule, je mourrai par toi ; mais
j’aime mieux être tué que trahir mon maître. Barcokeba soupçonna
Éléazar d’avoir des intelligences avec l’ennemi ; il cita le docteur
devant lui et l’invita à lui faire connaître le sujet de son entretien avec
le Samaritain. Éléazar, qui avait à peine remarqué, dans son profond
recueillement, la présence du Samaritain, répondit qu’il ne savait absolument
rien. Barcokeba, croyant que cette prétendue ignorance n’était qu’une habile
dissimulation, se mit dans une telle colère qu’il poussa violemment Éléazar
du pied. Éléazar tomba mort. Une voix retentit alors et dit : Tu as paralysé le bras d’Israël et aveuglé ses yeux, aussi
ton bras sera sans force et ton œil sans lumière. Peu de temps
après, Betar succomba. Une autre légende raconte qu’Adrien ayant perdu tout
espoir de s’emparer de Betar voulut s’éloigner de cette ville. Mais deux
frères samaritains, Manassé et Éphraïm, retenus prisonniers
chez les Judéens pour une escapade, lancèrent dans le camp romain une lettre
enveloppée dans de l’argile par laquelle ils faisaient savoir à l’empereur
qu’il suffisait de faire garder les issues de deux souterrains, par lesquels
les assiégés recevaient des vivres du dehors pour prendre la ville par la
famine. Adrien suivit ce conseil et il s’empara de Betar un jour de sabbat.
Il semble ressortir de ces récits légendaires que, grâce aux indications d’un
traître, les assiégeants purent s’introduire dans la forteresse par des voies
souterraines. Les vainqueurs accomplirent dans Betar d’horribles massacres.
On raconte que les chevaux avaient du sang jusqu’aux naseaux, et qu’un fleuve
de sang s’étendit depuis la ville jusqu’à la mer, distante de 4 milles, et
fut assez puissant pour charrier de grandes roches. Trois cents crânes
d’enfant furent trouvés brisés contre un rocher, et de toute la jeunesse de
Betar le seul fils du patriarche Gamaliel échappa à la mort. Le chiffre des
victimes qui seraient tombées pendant la guerre de Barcokeba est tellement
élevé qu’il est à peine possible de croire qu’il soit exact, et cependant il
est unanimement confirmé par les historiens juifs et grecs. Dion Cassius
raconte qu’outre ceux qui moururent de faim ou furent brûlés dans des
incendies, plus d’un demi million de Judéens périrent. La tradition judaïque
rapporte que l’ennemi entassa les cadavres par rangées et les abandonna sans
leur donner la sépulture. Les Romains n’avouèrent pas leurs pertes, qui
furent très importantes. Adrien se réjouit profondément de ce succès
inespéré, mais en transmettant la nouvelle au Sénat, il n’osa pas ajouter la
formule habituelle : Moi et l’armée nous nous
portons bien. Le Sénat ne lui accorda pas les honneurs du triomphe
pour la guerre judaïque, parce qu’il s’était tenu éloigné du champ de
bataille ; ces honneurs furent décernés à Jules Sévère. Adrien se borna à
faire frapper une médaille commémorative, qui fut distribuée aux soldats
comme témoignage de reconnaissance pour les services qu’ils avaient rendus
pendant cette campagne. Cette médaille portait comme légende : Exercutis judaicus Honneur
aux vainqueurs des Judéens.
Suivant une tradition, Betar tomba le 9 du mois d’ab
(135) ; c’est
également le 9 ab que le temple avait été dévoré deux fois par les flammes.
On ne sait rien de la fin de Barcokeba, ce vaillant héros de l’insurrection
judaïque. Un document, qui n’est pas entièrement digne de foi, raconte qu’un
soldat rapporta la tète de Barcokeba au général romain et se vanta de l’avoir
tué. Mais, plus tard, on retrouva son corps enveloppé dans les plis tortueux
d’un énorme serpent, ce qui lit dire aux vainqueurs : Un être divin a tué Barcokeba, les hommes n’auraient
jamais rien pu contre lui. Le dernier héros des Judéens a, du
moins, échappé à la honte d’être enchaîné au char de triomphe du vainqueur et
d’être exposé, comme ses prédécesseurs Jean de Giscala et Simon Bar-Giora, à
la curiosité et aux railleries de la foule.
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