Le pays de Galil, — la Galilée, — dont la défense avait été
confiée à Josèphe ben Matthia, était, par sa topographie, son étonnante
fertilité, sa forte population, le poste le plus important après Jérusalem,
dont il était comme le boulevard. Il se divisait en haute et basse Galilée.
Foyer de passions ardentes, patrie du zélateur Juda et de
Jésus de Nazareth, la
Galilée ne pouvait rester impassible en présence de la
révolte de Jérusalem et de la défaite de Cestius. Elle se jeta dans la lutte
avec cet élan primesautier qui ne calcule pas, qui ne laisse point de place à
la réflexion. Et comment les Galiléens auraient-ils pu rester indifférents
lorsqu’ils voyaient, dans leur voisinage immédiat, leurs frères égorgés par
les gentils ? Journellement accouraient auprès d’eux des fugitifs judéens
cherchant appui et protection. Eux-mêmes avaient tout à craindre des païens
du voisinage. Aussi la plupart des villes, grandes et petites, se mettaient
en mesure de résister à une attaque et attendaient les instructions du grand
conseil de Jérusalem. Trois foyers d’insurrection se formèrent dans la Galilée : Gischala
au nord, Tibériade au sud et Gamala en face de Tibériade, sur
la rive orientale du lac. Les habitants judéens de Gischala furent en quelque
sorte provoqués à la révolte. La population païenne des villes voisines,
Tyriens, Soganiens et Gabaréniens, s’était coalisée contre Gischala, l’avait
surprise, mise au pillage et détruite en partie par le feu. Alors un homme se
rencontra qui se mit à la tète des Gischaliens exaspérés ; cet homme,
qui devait soutenir jusqu’à la dernière heure la lutte suprême et devenir,
avec Siméon Bar-Giora, la terreur des Romains, c’était Johanan (Jean),
fils de Lévi. Jean de Gischala commença sa carrière en réunissant sous son
drapeau les mécontents de la haute Galilée, en appelant à lui les fugitifs
des villes syriennes, pour attaquer avec leur aide la population païenne des
villes voisines et en châtier les déprédations. Jean était sans fortune et de
complexion maladive ; mais c’était une de ces âmes de feu qui,
maîtresses de leur corps, savent triompher des difficultés de la vie et
forcer les circonstances à servir leurs desseins. Au début de l’insurrection
de Galilée, il bornait son ambition à relever les murs de sa ville natale et
à faire de Gischala le centre de la résistance, pour empêcher les ennemis du
voisinage de recommencer leurs attaques et opposer un rempart de plus à la
puissance romaine. Mais plus tard, s’étant enrichi en vendant de l’huile aux
Judéens de Syrie et de Césarée de Philippe, qui ne pouvaient faire usage de
l’huile des païens, il employa cette fortune à entretenir des bandes de
patriotes. Il avait ainsi réuni plus de quatre mille hommes, dont le nombre
grandit chaque jour.
A Tibériade, autre foyer de la lutte, le parti de
l’insurrection avait à combattre des adversaires dévoués à Rome, et il en
résulta de fâcheux tiraillements. La belle cité sise au bord du lac
appartenait depuis plusieurs années au roi Agrippa, et, sous le gouvernement
de ce prince, elle n’était pas trop malheureuse. Cependant la majeure partie
de la population tenait pour les zélateurs et cherchait à se soustraire à
l’autorité d’Agrippa. L’âme de la révolte, dans cette ville, était Justus
ben Pistos[1],
qui s’était initié à la culture hellénique et qui écrivit plus tard
l’histoire de sa nation en langue grecque. Justus était doué d’une éloquence
entraînante et pouvait exercer une puissante action sur le peuple ;
toutefois, son influence se bornait à la classe aisée de la population. Il
était secondé par un autre zélateur, Josué ben Sapphia[2], à qui
obéissaient les classes inférieures, les bateliers et les portefaix de
Tibériade. Ces deux hommes avaient contre eux un parti aristocratique, fort
attaché à Agrippa et aux Romains, et dont les chefs étaient Julius Capellus,
Hérode ben Miar, Hérode ben Gamala et Kompsé bar Kompsé.
Mais ce parti n’avait aucune influence sur le peuple et ne put l’empêcher
d’entrer de plus en plus dans la révolution. A la nouvelle de la défaite de
Cestius, les gens de Tibériade, sous la conduite de Justus et de Josué ben
Sapphia, entreprirent une expédition de représailles contre les villes dont
les habitants avaient massacré d’une façon si odieuse leurs concitoyens
judaïtes. — La ville de Gamala, sur la rive sud-est du lac, ville importante
que sa situation élevée et ses abords difficiles rendaient presque
inexpugnable, fut également poussée à la révolte par la haine de ses voisins
de Syrie contre les Judéens.
Non loin de Gamala vivait une peuplade judéo-babylonienne
qui, sous Hérode Ier, était venue s’établir dans la Batanée et y avait bâti
plusieurs petites villes, ainsi que la forteresse de Bathyra. Les Babyloniens, comme on appelait cette colonie,
étaient de fidèles partisans de la maison d’Hérode, et Philippe, un
petit-fils du fondateur de la colonie, commandait les troupes d’Agrippa qui
se battirent contre les zélateurs à Jérusalem. Lorsque les soldats d’Agrippa
durent se rendre, leur chef fut sauvé, malgré l’avis de Menahem, par les Babyloniens qui se trouvaient dans les rangs
des zélateurs, et cela grâce à sa promesse de se joindre à eux pour combattre
les Romains. Cependant Philippe réussit à s’échapper de Jérusalem sous un
déguisement et à rejoindre les siens. Son arrivée fut des plus désagréables à
Varus, que le roi avait installé comme gouverneur à Césarée (ou Néromade) ;
car Varus s’était bercé de l’espoir de remplacer Agrippa, que les partisans
de Rome accusaient de favoriser sous main l’insurrection. Pour mener son
projet à bonne fin, Varus excita les Syriens de Césarée de Philippe à tomber
traîtreusement sur les Judéens, afin de supprimer des témoins gênants qui
auraient pu dénoncer ses machinations à Agrippa. Mais, d’autre part, il
craignait les Babyloniens et Philippe, qui chercheraient sûrement à venger le
massacre de leurs coreligionnaires. Il résolut donc d’attirer Philippe auprès
de lui afin de s’en débarrasser. Heureusement Philippe se trouvait alité, en
proie à une fièvre violente, gagnée à la suite des derniers événements. Varus
réussit néanmoins à attirer soixante-dix des principaux Babyloniens, qui
furent massacrés pour la plupart. A cette nouvelle, les Babyloniens
éprouvèrent une vive frayeur et, ne se sentant plus en sûreté dans leurs
villes, ils se réfugièrent en toute hâte à Gamala. Ils brillaient de se
venger non seulement de Varus, mais encore des Syriens qui l’avaient soutenu.
Philippe, lui aussi, s’était réfugié dans cette forteresse et n’eut pas peu
de peine à empêcher ses gens d’entrer en campagne. Même après la révocation
de Varus par Agrippa, les Babyloniens de Batanée étaient encore tellement
surexcités et disposés à se joindre aux ennemis des Romains, que le roi dut
envoyer à Philippe l’ordre formel de les éloigner de Gamala et de les ramener
en Batanée. De là une violente effervescence chez les habitants, et des
démonstrations hostiles contre les Babyloniens qui les quittaient. Joseph,
le fils d’une sage-femme, excita, par ses discours passionnés, la jeunesse de
Gamala à se révolter contre Agrippa et à reconquérir son indépendance. Le
volcan de la révolution s’était ainsi créé en Galilée plusieurs foyers
d’éruption, et en maints endroits on en sentait gronder la flamme avant même
que Josèphe ben Matthia eût pris le gouvernement du pays au nom du Grand
Sanhédrin. Seule la ville de Sepphoris, qui était à vrai dire la plus
importante de la Galilée,
resta fidèle aux Romains et ne se laissa pas entamer par l’esprit de révolte.
Aussi la Galilée
entière était-elle vivement ulcérée contre Sepphoris. Les habitants de
Tibériade étaient particulièrement irrités contre cette ville qui, sous
Agrippa II, avait disputé le premier rang à la leur et avait été déclarée
capitale du royaume. C’était précisément la tâche du gouverneur de la Galilée de rebâtir
l’entente entre les deux villes et de gagner les habitants de Sepphoris à la
cause de l’insurrection. Une grave responsabilité pesait donc sur Josèphe ben
Matthia : il dépendait de lui que cette révolution, si désespérément
poursuivie, touchât au but désiré ou se terminât par un tragique avortement.
Malheureusement, Josèphe n’était pas l’homme qu’il fallait pour ce
gigantesque effort, et ses actes ne servirent qu’à précipiter la ruine de
l’État judaïque.
Josèphe ben Matthia, plus connu sous le nom de Flavius
Josèphe, de Jérusalem (né en l’an 38, mort, selon toute apparence, en 95), était
issu d’une famille sacerdotale fort considérée, et, par sa lignée maternelle,
se rattachait, dit-on, à la famille des Hasmonéens. Grâce à une éducation
soignée et à la fréquentation des docteurs, il possédait un certain acquis
dans la science de la Loi.
Il raconte lui-même avoir été, pendant trois ans, disciple
d’un solitaire nommé Banus, qui vivait dans un désert, se nourrissait
de fruits sauvages et, à la façon des Esséniens, se baignait tous les jours
dans une eau vive. Avide de savoir, Josèphe songea aussi à s’approprier la
culture grecque. A l’âge de vingt-sept ans, il eut occasion d’aller à Rome
pour intercéder eu faveur de deux Pharisiens qu’on y retenait prisonniers.
Introduit par un certain Alityros, comédien juif, auprès de
l’impératrice Poppée, il réussit à obtenir l’élargissement de ses protégés,
et Poppée, qui aimait les Judéens, lui fit en outre de riches cadeaux. Le
séjour de Rome eut une influence décisive sur le caractère de Josèphe.
L’éclat de la cour de Néron, l’activité étourdissante de la grande capitale,
la majesté imposante des institutions romaines l’éblouirent si fort, que Rome
lui sembla promise à l’éternité et spécialement protégée par la Providence. Il ne
voyait pas, sous la pourpre et l’or, les ulcères qui rongeaient ce corps de
géant, et dès ce moment, Josèphe devint un adorateur de la puissance romaine.
Cette admiration enthousiaste devait lui faire paraître
bien mesquines et bien misérables les petites affaires de la Judée. Comme il dut
rire des rêves de ces zélateurs qui ne parlaient de rien moins que de chasser
les Romains de la Judée
! Apparemment, pensait-il, ces gens ont perdu l’esprit. Aussi essaya-t-il
d’étouffer dans l’œuf leurs projets de révolution. Mais quand il vit le
peuple courir aux armes et engager sérieusement la lutte, il se cacha dans le
temple avec quelques autres partisans de Rome et n’osa en sortir que lorsque
les zélateurs modérés, sous la conduite d’Éléazar, eurent la haute main dans
Jérusalem. Craignant de s’attirer la colère des patriotes par ses sympathies
notoires en faveur des Romains, Josèphe fit montre d’un profond amour pour la
liberté, tandis qu’il se réjouissait eu secret de l’arrivée prochaine de
Cestius, qui allait venir, avec toutes ses forces, mettre fin à tous ces
beaux rêves d’indépendance. Toutefois, l’événement trompa ses
espérances : Cestius dut opérer une retraite qui ressemblait à une
fuite.
On ne peut guère s’expliquer comment Josèphe, l’ami des
Romains, put se voir confier le gouvernement le plus considérable de la Galilée. Il en fut,
sans aucun doute, redevable à son ami, le ci-devant grand prêtre Josué ben
Gamala, qui jouissait d’une grande autorité dans le Conseil. Faut-il croire
qu’il ait poussé l’hypocrisie jusqu’à se poser en fervent zélateur ? Il
semble plutôt que l’héroïque effort de la révolution à Jérusalem et la
défaite de Cestius aient produit, même sur l’âme prosaïque de Josèphe, une impression
profonde. Sans doute, il considérait comme un rêve insensé l’espoir de
s’affranchir absolument de la puissance romaine ; mais il pouvait croire
que la résistance opiniâtre des Judéens forcerait l’empereur à certaines
concessions, qu’il consentirait à laisser le gouvernement de la Judée au roi Agrippa et à
lui rendre la situation qu’avait occupée son aïeul Hérode. C’est en effet
pour Agrippa que Josèphe a travaillé, et, à ce point de vue, sa conduite n’a
pas été tout à fait celle d’un traître et d’un malhonnête homme. Agrippa
lui-même ne voyait pas la révolution de trop mauvais œil ; lui aussi
espérait en tirer parti pour augmenter son pouvoir. Ce qu’il ne pouvait faire
par lui-même, en sa qualité de vassal de Rome, il en chargeait Josèphe, avec
qui il était intimement lié.
Le Sanhédrin adjoignit à Josèphe deux docteurs de la Loi : Joazar et Juda ;
Josèphe en parle tantôt avec éloge, tantôt il les accuse de vénalité. Au
fond, l’un et l’autre étaient nuls. Ils dis-parurent bientôt de la scène et,
sur l’avis de Josèphe, s’en retournèrent à Jérusalem.
Dans les premiers temps de l’arrivée de Josèphe en
Galilée, il parut avoir sérieusement à cœur d’entretenir le zèle
révolutionnaire des Judéens. Il réunit une sorte de Sanhédrin, composé de
soixante-dix personnes notables, à l’instar de celui de Jérusalem. Dans
certaines régions du pays, il installa des fonctionnaires chargés de la
juridiction criminelle, et confia, dans chaque localité, l’administration
intérieure à sept des principaux citoyens. Il leva des troupes en Galilée, —
environ cent mille hommes, affirme-t-il avec quelque exagération, — leur
donna des armes, les dressa aux manœuvres des Romains, les habitua à une
discipline sévère ; toutes choses indispensables à une nation militaire,
mais de moindre importance pour un peuple exalté par l’amour de la liberté.
Il forma même une troupe de cavalerie et prit à sa solde des corps francs (environ cinq mille hommes).
Il s’entoura aussi d’une garde du corps composée de cinq cents hommes
déterminés, qui obéissaient à son moindre signe. Il fortifia plusieurs villes
de la haute et de la basse Galilée et y fit entasser des provisions de
bouche. Bref, il prit, au début, d’énergiques mesures pour mettre le pays en
état de défense. Dès son arrivée en Galilée, il ordonna, soit de son propre
mouvement, soit sur l’invitation du Sanhédrin, la destruction du palais élevé
par Antipas dans Tibériade, parce qu’on y voyait des figures d’animaux
interdites par la loi judaïque. A cet effet, il avait convoqué les principaux
habitants de la ville dans une bourgade voisine, Beth-Maon, et là il chercha
à leur persuader de ne pas s’opposer à la destruction du palais. Mais pendant
qu’il était en pourparlers avec Capellus et ses compagnons, Josué ben Sapphia
le prévint, mit le feu à l’édifice et en distribua les richesses à ses
hommes. Josèphe, mécontent, accourut à Tibériade pour saisir les trésors
trouvés dans le palais et les confier à des mains sûres qui les garderaient
au roi Agrippa. Par cette attitude ambiguë, Josèphe paralysait l’action des
rebelles, bien loin de la favoriser.
Il haïssait particulièrement Jean de Gischala, dont
l’activité infatigable et la supériorité intellectuelle excitaient sa
jalousie, et qui pourtant, au début, respectait en lui le mandataire du
Sanhédrin. Josèphe s’ingénia à multiplier les obstacles devant lui, comme
devant tous les patriotes. Jean lui ayant demandé la permission de vendre le
blé des redevances impériales en haute Galilée, et d’en employer le produit à
rebâtir les murs de sa ville natale, Josèphe la lui refusa, et ce ne fut que
sur les instances de ses deux collègues, Joazar et Juda, qu’il se décida à
l’accorder. Éclairé désormais sur la duplicité de Josèphe, Jean se promit de
faire tous ses efforts pour en prévenir les effets. Une occasion se présenta
bientôt qui ouvrit les yeux aux Galiléens sur l’attitude louche du
gouverneur.
Quelques jeunes gens de Dabaritta, petite ville près du
mont Thabor, avaient pillé les bagages de la femme d’un intendant de Bérénice
et du roi Agrippa, qui voyageait à travers le pays, et lui avaient enlevé une
quantité de métaux précieux et de vêtements de luxe. Par attachement pour
Agrippa, Josèphe eut soin de lui faire restituer cette prise, tandis qu’il
faisait accroire aux jeunes gens qu’il la faisait expédier au trésor national
de Jérusalem. Mais les gens de Dabaritta devinèrent la vérité et publièrent
dans tout le voisinage que Josèphe était un traître, qui avait l’intention de
livrer le pays aux Romains. Dés le lendemain, au point du jour, accoururent à
Tarichée, prés du lac de Tibériade, les habitants des bourgs voisins, outrés
de colère contre Josèphe. Josué ben Sapphia échauffa encore ces dispositions
hostiles en prenant dans ses bras le livre de la Loi, et adjurant ses
concitoyens de punir le traître, sinon pour eux-mêmes, du moins pour
l’honneur du livre sacré. Déjà la foule, courant à la maison de Josèphe,
allait y mettre le feu, et c’en était fait de lui, s’il n’eût eu recours à
une ruse et à un mensonge qui le sauvèrent. Il se revêtit d’habits de deuil,
suspendit son épée à son cou et s’avança ainsi, en posture de suppliant, dans
l’hippodrome de Tarichée, de manière à exciter la compassion publique.
Aussitôt qu’il put se faire entendre, il soutint effrontément et persuada aux
Tarichéens qu’il ne gardait les objets ravis ni pour les remettre à Agrippa
ni pour les envoyer à Jérusalem, mais pour les employer à fortifier les murs
de leur ville. La foule crédule se paya de ces belles raisons et se prononça
en sa faveur ; sur quoi, une viré altercation s’éleva entre les gens de
Tarichée et ceux des autres bourgs, et Josèphe en profita pour rentrer
furtivement dans sa maison. Cependant, de cette foule qui s’était calmée et
dispersée à sa voix, il restait une centaine de mutins qui ne s’étaient
laissé prendre aux paroles astucieuses de Josèphe. Ceux s’approchèrent de sa
demeure et se disposèrent à l’incendier. Mais Josèphe sut attirer leur chef
dans la maison, où, par son ordre, on le fustigea jusqu’au sang et on lui
coupa le poing ; puis, ainsi mutilé il le jeta dehors au milieu de ses
compagnons, qui s’enfuirent saisis d’horreur. De ce moment, tout espoir d’une
résistance vigoureuse en Galilée était perdu. Josèphe ressemblait au génie de
la discorde qu’on aurait chargé d’assurer la concorde. Il divisa la Galilée contre elle-même
et y créa deux partis, dont l’un se groupa autour de lui et l’autre autour de
Jean de Gischala.
Du côté de Jean étaient les patriotes ardents qui ne se
faisaient plus illusion sur la duplicité de Josèphe, notamment les habitants
de Gabara. Le reste de la population était avec Josèphe. L’esprit borné des
Galiléens n’était pas capable de lire dans le double jeu qu’il jouait.
Josèphe et Jean se portaient réciproquement une haine mortelle, mais ne le
cédaient guère l’un à l’autre en ruse et en dissimulation.
Lorsque Jean eut acquis la certitude que la plupart des
Galiléens, croyant aveuglément au patriotisme et à la bonne foi de Josèphe,
le soutenaient de toutes leurs forces, il envoya son frère Siméon avec
cent autres députés au Sanhédrin de Jérusalem, pour dénoncer sa conduite et
pour demander sa révocation et son rappel. Le président du Sanhédrin, Siméon
ben Gamaliel, qui était ami de Jean et qui se défiait de Josèphe, ainsi
qu’Anan, l’ancien grand prêtre, appuyèrent cette proposition et obtinrent que
le tribunat envoyât en Galilée quatre députés chargés de forcer Josèphe, par
tous les moyens possibles, à résigner ses fonctions, et de le ramener mort ou
vif à Jérusalem. Aux grandes communautés de Tibériade, Sepphoris et Gabara,
le Sanhédrin adressa des missives déclarant Josèphe traître à sa patrie et
les invitant à lui refuser tour concours. Le danger était grand pour le
gouverneur. Mais il manœuvra avec tant d’art et d’activité qu’il déjoua les
mesures prises contre lui. D’une part, en effet, il aimait trop ses fonctions
pour y renoncer ; mais, d’autre part, il n’osait braver ouvertement
l’autorité du Sanhédrin : aussi eut il recours à la ruse. Averti par son père
des dispositions hostiles du Sanhédrin à son égard, il feignit d’être occupé des
préparatifs de la lutte contre les Romains, et, aux sommations des délégués
de se présenter devant le Sanhédrin, il répondit d’une manière évasive, tout
en se déclarant volontiers disposé à abandonner sa charge. Il chercha surtout
à rendre la population défavorable aux délégués. Ceux-ci coururent de ville
en ville sans obtenir de résultat et faillirent même plus d’une fois être
maltraités par les partisans de Josèphe.
Fatigués de ces pérégrinations, les délégués, conseillés
par Jean, résolurent d’envoyer sous main des émissaires dans toute la Galilée, pour faire
savoir que Josèphe était déclaré suspect et que chacun était délié de son
obéissance. Informé de cette résolution par un dénonciateur, Josèphe, avec
une promptitude digne d’une meilleure cause, fit occuper par ses gardes les
défilés de la route qui conduisait aux villes voisines et à Jérusalem, avec
ordre d’arrêter les émissaires et de les amener devant lui. Ensuite, il fit
courir aux armes tous ses partisans des bourgs et des villages, et les ayant
rassemblés autour de lui, il leur déclara qu’il était victime d’une
machination infernale. Grâce à ces insinuations, la foule entra dans une
violente colère contre les délégués. Pour donner le change à l’opinion
publique et la prévenir en sa faveur, il choisit dans plusieurs villes des
hommes d’esprit borné, qui se rendirent à Jérusalem pour exalter les
bienfaits du gouvernement de Josèphe et prier le Sanhédrin de le laisser en
Galilée et de rappeler les délégués à Jérusalem.
Ceux-ci, voyant qu’ils n’obtenaient aucun résultat,
avaient quitté la haute Galilée et s’étaient rendus à Tibériade, dans
l’espoir d’y trouver un appui plus sérieux. Josèphe les suivit pas à pas, et,
plus habite qu’eux, sut confondre tous leurs plans. Dans leur embarras, les
délégués du Sanhédrin avaient résolu, entre autres, d’ordonner un jeûne
public, afin d’obtenir l’assistance divine en faveur de la lutte entreprise.
Toute la population accourut dans la grande synagogue de Tibériade, qui
pouvait contenir plusieurs milliers de personnes. Bien qu’il fût défendu d’y
paraître en armes, Josèphe et ses sens s’étaient munis d’armes cachées sous
leurs vêtements. Lorsque, la prière terminée, les discussions commencèrent,
les adversaires de Josèphe ayant fait mine de vouloir l’arrêter, ses amis tombèrent
sur les assaillants les armes à la main ; mais le peuple se rangea de son
côté, et il échappa ainsi une fois encore au danger qui le menaçait.
Cependant les envoyés de Josèphe à Jérusalem et ses amis
de la capitale avaient produit un revirement d’opinion en sa faveur. Le
Sanhédrin rappela ses propres délégués et maintint Josèphe dans ses
fonctions. Celui-ci renvoya les députés du Sanhédrin à Jérusalem, chargés de
fers.
Tandis que Josèphe allumait ainsi en Galilée la guerre
civile, bafouant le Sanhédrin, décourageant les patriotes et poussant
l’importante ville de Tibériade à trahir la cause nationale, Sepphoris, la
capitale de la Galilée,
avait le champ libre pour entamer des négociations avec Rome.
Ce sera la honte éternelle de Josèphe d’avoir, par son
impéritie, son égoïsme ou sa duplicité, brisé ainsi les forces de la Galilée, cette fière et
belliqueuse province, le meilleur rempart de la Judée. Il avait, il
est vrai, fortifié quelques villes ou, pour mieux dire, permis à leurs
habitants de se fortifier; mais à l’arrivée des Romains, il n’y avait ni
armée ni population pour les arrêter. Chaque ville forte était réduite à ses
propres ressources ; à bout de forces et de confiance, Ies Galiléens étaient
devenus sinon peureux, du moins égoïstes. On aurait peine à croire à tant de
perfidie et d’indignité chez Flavius Josèphe, sil ne nous les révélait
lui-même avec un incroyable cynisme. Tout le bénéfice obtenu par quatre mois
de luttes dans Jérusalem, Josèphe l’anéantit en cinq mois de gouvernement,
avant même que l’ennemi eût paru dans le pays (novembre 66 — mars 67).
Jusque-là, cependant, les Romains n’avaient guère encore
fait de tentatives sérieuses contre la Judée. Néron était
alors en Grèce, où il quêtait les applaudissements de la foule en jouant de la
cithare et conduisant son char dans la carrière. C’est là qu’il reçut la
nouvelle foudroyante de la révolte des Judéens et de la défaite de l’armée
romaine commandée par Cestius. Néron trembla devant cette révolution de
Judée, qui pouvait avoir un contrecoup énorme. Autre nouvelle inattendue :
Cestius Gallus venait de mourir, et l’on ne savait si c’était de mort
naturelle ou de la douleur de sa défaite. Néron choisit donc pour diriger la
campagne de Judée le meilleur de ses généraux, Flavius Vespasien, le
glorieux vainqueur des Bretons. Si grande était la frayeur causée par la
révolte des Judéens et ses conséquences possibles, qu’on donna à la Syrie un gouverneur
spécial, Licinius Mucianus, chargé de veiller sur les mouvements des
Parthes. Vespasien était alors en disgrâce, et Néron dut se faire violence
pour lui confier des forces si considérables. Mais il n’avait pas le choix ;
pour dompter la Judée,
il fallait un bras vigoureux.
Ce fut pendant l’hiver de l’an 67 que Vespasien quitta la Grèce pour se rendre sur
le théâtre de la guerre. Il fit à Ptolémaïs les préparatifs de l’expédition.
Son fils Titus, qui gagna ses éperons dans cette guerre de Judée, lui
amena d’Alexandrie deux légions, la
Ve et la Xe,
ces farouches Decumani, dont les Judéens d’Alexandrie avaient éprouvé
la férocité et que ceux de Palestine allaient connaître à leur tour. A
Ptolémaïs accoururent auprès de Vespasien les princes du voisinage, même
Agrippa et sa sœur Bérénice, tous offrant leurs hommages et leurs troupes au
général romain et témoignant ainsi de leur dévouement à Rome. Agrippa, il est
vrai, était forcé jusqu’à un certain point de prendre ouvertement parti pour
Rome contre la révolution judaïque, car les habitants de Tyr l’avaient accusé
auprès de Vespasien d’être de connivence avec les rebellés. Pour dissiper
tous les soupçons, il lui fallait déployer un excès de zèle. Dans le même
temps, sa sœur Bérénice nouait avec Titus une intrigue amoureuse qui dura de
longues années ; elle était beaucoup plus âgée que le fils de Vespasien, mais
sa beauté avait résisté au poids des années.
L’armée avec laquelle Vespasien comptait triompher de
l’insurrection judaïque se composait de corps d’élite et de troupes alliées,
au nombre de plus de 50.000 hommes, outre le train des équipages qui suivait
habituellement les légions. Les préparatifs ne furent terminés qu’au
printemps, et la campagne s’ouvrit par l’expédition de corps détachés chargés
de balayer les bandes de partisans qui infestaient les routes conduisant aux
places fortes de la
Galilée. Plus prudent que son prédécesseur Cestius,
Vespasien, loin de procéder avec précipitation, mena la guerre, depuis le
commencement jusqu’à la fin, avec cette lenteur calculée qui dispute le
terrain pied à pied à l’adversaire. Josèphe, avec ses bandes, ne pouvait
guère lui tenir tête, et il dut se retirer de plus en plus à l’intérieur.
Chaque fois qu’il accepta la lutte, il éprouva une défaite. Son armée n’avait
pas cette confiance qu’un général dévoué peut seul inspirer à ses
troupes ; aussi ses soldats se dispersaient-ils dès que l’ennemi se
montrait. Tout autre était l’esprit des Galiléens qui marchaient sous la
conduite de Jean de Gischala. Lorsque les Romains s’approchèrent de la
forteresse de Jotapata, les habitants de cette ville les chargèrent avec impétuosité,
et, bien qu’ils ne pussent rompre les rangs serrés de l’ennemi, ils se
battirent si vaillamment qu’ils mirent son avant-garde en fuite.
Le plan de campagne de Vespasien comprenait d’abord la
conquête de la Galilée,
parce qu’il ne voulait pas laisser d’ennemis derrière lui dans sa marche vers
la Judée. L’armée
romaine s’avança donc vers les forteresses du nord de la Galilée, notamment Gabara
et Jotapata. Gabara, dépourvue de défenseurs, fut aisément prise, puis
livrée aux flammes. Toute la population fut passée au fil de l’épée, sur
l’ordre du général, comme victime expiatoire de la défaite des Romains devant
Jérusalem. Toutes les petites villes et les villages des environs eurent le
même sort : leurs habitants furent massacrés ou vendus comme esclaves. Ainsi,
dès le début, la guerre prenait un caractère de sauvage vengeance. Pour
Josèphe, il se tenait à l’écart dans Tibériade, terrifiée et consternée par
sa fuite. En ce moment déjà, il songeait à passer à l’ennemi, mais une sorte
de honte le retenait encore : déserter ainsi dès le début de la guerre,
c’était par trop d’ignominie. Il écrivit donc au Sanhédrin pour lui dépeindre
la situation, lui demander des instructions et des ordres : fallait-il
entamer des négociations avec l’ennemi ou continuer la lutte ? Dans ce
dernier cas, il réclamait des renforts. Ainsi, la Galilée, dont la
population était plus dense que celle de la Judée et qui comptait plus de trois millions
d’âmes, avait déjà besoin de renforts, tant elle était affaiblie et
désorganisée par la coupable conduite de Josèphe.
De Gabara, Vespasien se dirigea sur Jotapata ; mais, pour
y arriver, l’armée romaine dut se frayer à grand’peine un chemin, car les
Judéens avaient barré les défilés, obstrué les vallées et rendu les routes
impraticables. Le rocher sur lequel était bâtie la ville est entouré de
collines escarpées, séparées de la forteresse par des précipices profonds. La
place n’était accessible que par le côté nord; mais les habitants avaient
fortifié cette route par un retranchement et par plusieurs tours. On y avait
accumulé des quartiers de rocher, des javelots, des flèches, des frondes, des
moyens de défense de toute sorte. C’est là que les Romains dirigèrent leurs
attaques. Ils dressèrent soixante machines de siège qui lançaient sans
interruption sur la forteresse des javelots, des pierres et des brandons
garnis de matières inflammables. Toutefois, les assiégés se défendirent avec
un désespoir et un mépris de la mort qui lassèrent leurs ennemis. Ils
repoussèrent plusieurs assauts, détruisirent à mainte reprise les travaux de
siège, firent même des sorties habiles et parfois heureuses. Après plus de
quarante jours de siège (17
iyar — 1er tammuz), les Jotapatiens tenaient
encore, et la ville ne fut prise que par la trahison d’un transfuge qui
indiqua aux ennemis un poste peu garni de défenseurs. Les Romains, avant le
point du jour, pénétrèrent par cet endroit dans la ville, surprirent les
guerriers fatigués et assoupis et les massacrèrent jusqu’au dernier. Beaucoup
de Judéens se donnèrent eux-mêmes la mort en se perçant de leur épée ou en se
jetant du haut des murailles. Ce siège coûta la vie à 10.000 hommes, et plus
d’un millier de femmes et d’enfants furent réduits en esclavage. La
forteresse fut rasée (1er
tammouz ; juin 67). Jotapata montra par son exemple, au
reste du pays, comment il fallait mourir en gardant l’honneur sauf. Quelques
jours auparavant, Jappa (Japhia), près de Nazareth, qui devait inquiéter les derrières
de l’ennemi, était tombée en son pouvoir.
Josèphe était venu à Jotapata avant le siège de la ville,
et avait, au début, dirigé la résistance. Bientôt, la jugeant inutile, il
songea à quitter la place, mais les habitants l’en empêchèrent. Lorsqu’elle
tomba au pouvoir de l’ennemi, il se cacha dans une citerne où s’étaient déjà
réfugiés quarante guerriers judéens. Cependant leur retraite fut révélée aux
Romains, qui sommèrent Josèphe de se rendre. Celui-ci, écartant toute
hésitation, était prêt à sortir et à se rendre aux Romains, sur l’assurance
que lui avait donnée son ami Nicanor d’avoir la vie sauve ; mais ses
compagnons lui mirent l’épée sur la gorge et menacèrent de le tuer s’il
déshonorait le judaïsme par une telle lâcheté. Forcé de céder au nombre,
Josèphe dut se soumettre à la résolution commune de se donner la mort. Les
malheureux fugitifs jurèrent d’exécuter leur résolution et, fidèles à leur
serment, s’entr’égorgèrent tous. Seul, Josèphe, qui lui aussi avait juré de
mourir, manqua de parole aux morts, comme il l’avait fait aux vivants. Resté
seul avec le dernier de ses compagnons, il le désarma, moitié de gré, moitié
de force, puis il se rendit aux Romains. Vespasien le traita avec beaucoup
d’égards et comme s’il n’avait jamais vu en lui un ennemi. Josèphe, à la
vérité, fut mis aux fers et placé sous bonne garde, mais seulement pour la
montre. En effet, Vespasien lui permit de se choisir une femme parmi les
prisonnières, et de porter un riche vêtement ; il le combla de présents et le
donna pour compagnon à son fils Titus.
Après la destruction de Japha et de Jotapata, vint le tour
de la ville maritime de Joppé. Peu de temps après, Tibériade tomba
également au pouvoir des Romains. Les habitants, fatigués et démoralisés par
leurs luttes avec Josèphe, ne firent aucune résistance et ouvrirent leurs
portes. Ainsi, un an après le soulèvement de Jérusalem, la Galilée, qui s’était
levée, toute frémissante de patriotisme, pour défendre sa liberté et la
religion des ancêtres, était presque tout entière réduite en cendres, sa
population détruite ou captive et plus esclave que jamais. Pour Agrippa, l’on
put voir, en cette occurrence, que ce n’était pas uniquement la politique ni
la crainte des Romains qui l’avaient armé contre son peuple. Vespasien avait
laissé à sa discrétion les prisonniers originaires de ses États. Il pouvait les
relâcher ou leur infliger un châtiment : il préféra les vendre comme
esclaves.
Trois places fortes restaient encore aux mains des
zélateurs de Galilée : Gamala, la forteresse du mont Thabor, et Gischala dans
l’extrême nord. Grâce aux efforts de deux chefs de zélateurs, Joseph
de Gamala et Charès. Gamala s’était soulevée. En vain le lieutenant du
roi Agrippa l’assiégea pendant plusieurs mois ; les zélateurs tinrent
bon. Vespasien lui-même marcha alors contre cette ville (24 éloul). La lutte
engagée sous les murs de Gamala fut une des plus héroïques de toute cette
guerre.
Pendant plusieurs jours, les assiégés défendirent la ville
du haut des ouvrages extérieurs, avec un acharnement digne de leur
compatriote, Juda le Galiléen. A mesure que les machines romaines arrivaient
à la hauteur des remparts, les assiégés se repliaient dans l’intérieur de la
ville, à laquelle ils faisaient pour ainsi dire un rempart de leurs corps. Au
bout de trois semaines de siège, les machines avaient fait une petite brèche
au mur, par où un certain nombre de guerriers romains pénétrèrent dans la
place. Les habitants se réfugièrent dans le quartier haut, suivis de près par
les Romains, qui s’égarèrent dans les rues étroites et tortueuses et furent
assaillis à coups de pierres lancées du haut des toits. Déconcertés par cette
furieuse attaque, les Romains essayèrent de se sauver sur les toits des
maisons les plus basses, qui ne purent supporter ce poids et s’écroulèrent en
les ensevelissant sous leurs ruines. Les gens de Gamala poursuivirent les
fuyards en leur jetant d’énormes quartiers de roche, si bien que la retraite
leur devenait presque impossible. Cela se passait pendant la fête des Tentes.
Ce fut un beau jour pour Gamala, un jour de victoire, mais d’une victoire
chèrement payée. Sous les cadavres des Romains gisaient entassés ceux d’une
foule de Judéens, héros dont la perte était irréparable. Charès, un des
chefs, était blessé à mort. Le lendemain, l’ennemi attira les Judéens sur une
tour qu’il faisait semblant d’attaquer, mais cette tour était minée et elle
s’écroula avec un fracas épouvantable, ensevelissant sous ses décombres les
braves défenseurs de la ville avec leur dernier chef survivant, Joseph, le
fils de la sage-femme. Inutile, dès lors, de songer à une plus longue résistance.
Les Romains entrèrent dans la ville et égorgèrent tout ce qui leur tombait
entre les mains, environ 4.000 hommes. Près de 5.000 autres se donnèrent
eux-mêmes la mort ; et de toute la population de Gamala, il ne survécut
que deux jeunes filles.
Dans cet intervalle, la forteresse du mont Thabor (l’Itabyrion)
avait été également prise, grâce à un stratagème de Placidus. Cette
forteresse était située sur une hauteur abrupte, isolée de toutes parts, et
qui s’élève sur la plaine de Jezréel, à près de 1.600 pieds du sol.
Cette position la rendait inexpugnable. Mais Placidus, par une fuite simulée,
attira au dehors les défenseurs de la forteresse ; puis il fit faire
volte-face à sa cavalerie, qui massacra les poursuivants. Ceux qui étaient
restés dans la place, jugeant la résistance impossible, s’enfuirent par
l’autre côté de la montagne, vers Jérusalem. Les habitants, affaiblis et
souffrant du manque d’eau, durent se rendre.
La petite ville de Gischala, oit commandait Jean et qui
comptait peu de défenseurs, ne pouvait tenir contre les Romains. Lorsque
Titus s’en approcha avec des forces considérables et somma la garnison de se
rendre, Jean lui demanda un armistice d’un jour, ce jour était précisément
celui du sabbat, et il profita de cette trêve pour quitter la ville avec
plusieurs milliers d’habitants. Le lendemain, Gischala ouvrit ses portes, et
ses murailles furent rasées. Titus envoya un corps à la poursuite de Jean,
mais celui-ci, qui avait de l’avance, put gagner Jérusalem. Quant à ceux des
fugitifs qu’on put atteindre, ils furent massacrés, sans distinction d’âge ni
de sexe. Ce fut l’agonie de la
Galilée vaincue. Cependant, les Romains étaient tellement
épuisés par ces luttes sanglantes, et leurs rangs s’étaient tellement
éclaircis, que Vespasien dut accorder un peu de repos à son armée et remplir
les nombreux vides qu’y avait faits la mort.
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