Malgré les malheurs qui désolèrent le règne d’Hérode,
cette époque peut s’appeler heureuse, en comparaison du règne suivant. Sous
Hérode, l’État judaïque avait une certaine apparence de grandeur extérieure
et brillait d’un certain éclat. Les frontières de la Judée étaient plus
étendues qu’au meilleur temps du règne de Hasmonéens. Les territoires pour la
possession desquels les Hasmonéens Aristobule Ier et Alexandre Ier avaient
guerroyé de longues années, sans pouvoir les conquérir entièrement, Hérode
les avaient obtenus par un trait de plume. Les villes de la Judée s’élevaient superbes
et rajeunies, ornées de tout ce que l’art grec pouvait produire de plus beau
; il est vrai que l’honneur en revenait pli aux gouvernants romains et à la
famille d’Hérode qu’à la nation même. Les ports, en particulier celui de
Césarée, regorgeaient de vaisseaux ; le commerce se développait, sans
toutefois que à revenus qu’il produisait ajoutassent quelque chose à la
fortune publique. Le temple, restauré et renouvelé, resplendissait de beauté
on pouvait croire, en le voyant, qu’on était revenu au temps de Salomon ;
seulement, les prêtres étaient obligés d’y offrir des sacrifices pour le
salut de tyrans qu’ils détestaient. Le pays jouissait même d’une certaine
indépendance : le joug romain était invisible au premier regard. Mais ce
n’étaient là que des apparences qui s’évanouirent aussitôt après la mort
d’Hérode, l’auteur de cet prospérité factice. Lorsque les rênes du pouvoir
échappèrent ses mains expirantes, il se produisit dans la vie nationale un
désarroi profond, avant-coureur de nouvelles et longues calamités. L’édifice
péniblement construit se disloqua, écrasant sous ses ruines tout ce qui
restait de liberté et de nationalité en Judée.
Des enfants qu’il avait eus de ses dix femmes, Hérode
avait laissé vivre six fils et plusieurs filles. Les uns furent favorisés
dans son testament, les autres déshérités. Ce testament, qu’il confia aux
mains de Ptolémée, frère de l’historien Nicolas de Damas, montre bien le peu
de cas que faisait Hérode de la grandeur de la Judée et l’égoïsme qui lui
dictait tous ses actes. Au lieu de maintenir l’unité de l’État, il le morcela
et distribua les territoires à trois de ses fils. A Hérode, qu’il
avait eu de la seconde Mariamne, à un autre fils du même nom né d’une
Jérusalémite, Cléopâtre, ainsi qu’à Phasaël, issu de Pallas, il ne laissa
rien. A son fils Archélaüs, qu’il avait eu d’une Samaritaine,
Malthaké, il laissa la Judée
et la Samarie,
avec le titre de roi. Un second fils de la Samaritaine, Hérode
Antipas, reçut la tétrarchie de la Galilée et de la Pérée. Philippe,
un fils de la
Jérusalémite, reçut une autre tétrarchie comprenant la Gaulanitide, la Batanée, la Trachonitide et le
territoire des sources du Jourdain, appelé Panias. A sa sœur Salomé, pour la
récompenser de sa fidélité, Hérode donna les revenus des villes de Jamnia, Azoth
et Phasaélis (au nord
de Jéricho). Toutefois, Hérode n’avait exprimé ses dernières volontés
que sous forme de vœu, dont il laissait la réalisation à l’empereur Auguste,
qui pouvait soit les confirmer, soit disposer autrement de la succession. —
Les fils d’Hérode n’étaient guère unis par des sentiments fraternels. Chacun
enviait la part de l’autre ; Antipas notamment, qui dans le premier
testament de son père, avait été désigné comme héritier du trône, ne pouvait
pardonner à Archélaüs d’avoir obtenu le territoire le plus étendu et le titre
de roi. Salomé haïssait également Archélaüs et songeait à lui disputer son
héritage. La discorde de la famille d’Hérode se transmettait ainsi de
génération en génération. Comme les dispositions testamentaires du feu roi
étaient soumises à la décision souveraine d’Auguste, chacune des parties
intéressées s’efforça de gagner la faveur populaire pour s’en faire un appui
auprès de l’empereur. Salomé et son époux, Alexas, cherchèrent à empêcher
l’exécution des notables judéens emprisonnés par Hérode, en persuadant au
capitaine des gardes que le roi, en mourant, avait révoqué l’arrêt de
condamnation.
Plus désireux encore de la faveur populaire, Archélaüs,
les jours de deuil écoulés, se rendit dans l’avant-cour du temple et, monté
sur une tribune en forme de trône, promit de réparer les injustices commises
par son père et de tout régler à la satisfaction générale. Mais le peuple,
encouragé par cette déférence, ne se contenta pas de promesses aussi
vagues : il formula d’une manière précise ses griefs, insistant sur une
prompte réparation. Cinq points déterminés formaient l’objet des
revendications du peuple diminution des impôts ; abolition des droits sur les
achats et les rentes ; élargissement des prisonniers politiques ;
punition des membres du conseil qui avaient voté la mort des jeunes gens dans
l’affaire de l’aigle ; enfin, la déposition du grand prêtre Joézer et
son remplacement par un autre plus digne. Ce qu’on réclamait, à vrai dire,
c’était un nouveau système de gouvernement et la condamnation formelle de la
tyrannie d’Hérode.
Quoique la mémoire de son père ne lui tint guère à cœur,
Archélaüs ne pouvait pourtant pas accéder à de pareilles exigences. Ne
voulant pas irriter le peuple, il consentit à tout, renvoyant toutefois
l’accomplissement de ce programme à l’époque de la ratification, par Auguste,
du testament d’Hérode. Mais les milliers de Judéens qui avaient afflué à
Jérusalem, la veille de Pâque, de tous les coins du pays, guidés par les
pharisiens qui enflammaient les esprits en rappelant le martyre de Juda, de
Matthia et de leurs disciples, ne se laissèrent pas éconduire et persistèrent
dans leurs exigences. Archélaüs, craignant une sédition et voulant la
prévenir, envoya une cohorte pour dissiper le rassemblement. Mais les soldats
furent accueillis à coups de pierres et forcés de fuir. Cependant la journée
s’avançait, et le peuple, occupé du sacrifice pascal, oublia momentanément sa
colère. Alors Archélaüs, rassemblant tous ses fantassins, les tança contre le
peuple avec ordre de tout massacrer ; il avait posté des cavaliers dans
la plaine pour saisir les fuyards. Trois mille Judéens périrent sur la
colline du Temple et dans les rues avoisinantes de la ville ; le reste
se dispersa. Des hérauts publièrent dans Jérusalem que la fête de Pâque était
interdite cette année là (l’an 4) par ordre d’Archélaüs, et que l’approche de la
colline du Temple était sévèrement défendue. C’est ainsi qu’Archélaüs
inaugura son règne.
Sans doute, à la place d’Archélaüs, ses parents n’auraient
guère montré plus de douceur envers la foule ; ils n’en blâmèrent pas moins
sa cruauté, dont ils se firent une arme pour l’accuser auprès d’Auguste et
pour lui disputer la couronne. Toute la famille entreprit le voyage de Rome
pour mettre la Judée
aux pieds d’Auguste et lui demander ou la ratification, ou l’annulation du
testament. Pendant leur absence, survinrent des événements qui faillirent
faire passer à d’autres le fruit de leurs intrigues. La Judée se changea en un
champ de bataille où des adversaires acharnés se combattaient avec fureur sur
plusieurs points du territoire ; des chefs de bandes surgirent qui se
proclamaient rois ou qui s’érigeaient en chefs populaires, combattant pour ou
contre la liberté de la nation. Le sang des guerriers tombés dans les
combats, les gémissements des victimes, la fumée des villes incendiées
remplissaient tous les esprits d’horreur ; la ruine de la Judée semblait imminente.
Ces tragiques événements de la première année qui suivit la mort d’Hérode, la
chronique les désigne sous le nom de guerre de Varus. Cependant le mal
causé par l’intervention du procurateur de la Syrie n’était pas
proportionné à la durée de la lutte qui l’avait provoquée. Après le départ de
la famille d’Hérode et à la prière d’Archélaüs, Quintilius Varus était resté
en Judée, afin de pouvoir étouffer dans l’œuf la moindre tentative de
soulèvement. Son rôle n’était pas difficile, car les patriotes ennemis des
Hérodiens, agissant sans plan et n’ayant pas d’armes, ne savaient que se
livrer à d’aveugles démonstrations. Aussi Varus jugea-t-il son séjour à
Jérusalem désormais inutile ; il se rendit à son poste d’Antioche,
laissant toutefois une armée suffisante pour résister à toute nouvelle
tentative. Aussitôt après le départ du procurateur, un nouvel exacteur romain
apparut en Judée, Sabinus, le trésorier d’Auguste, que son maître
avait envoyé pour confisquer les trésors d’Hérode et, probablement aussi, le
trésor du temple, comme si l’empereur eût été l’héritier légitime du roi
judéen. Sans doute, Sabinus avait quelque mauvais dessein, car, au lieu de
rester à Césarée jusqu’à la ratification du testament d’Hérode, comme il
l’avait promis à Varus, il se hâta d’accourir à Jérusalem. Les gardiens du
trésor, installés par Archélaüs, ayant refusé de lui obéir, Sabinus essaya de
soulever le peuple, afin d’avoir un prétexte d’intervenir.
Cependant la fête des Semaines approchait. A cette
occasion, une multitude de Judéens accoururent à Jérusalem des pays d’en deçà
et d’au delà du Jourdain. La plupart étaient venus avec la pensée d’attaquer
les Romains et les Hérodiens. Sous la conduite de chefs improvisés, les
Judéens s’emparèrent de la colline du Temple et de l’hippodrome et pressèrent
les Romains cantonnés dans le palais d’Hérode, dans la ville haute. Sabinus
se crut perdu. Cependant il excita ses soldats à attaquer le temple, après
avoir envoyé dire à Varus de lui amener du renfort. Les Judéens qui, du haut
des murailles du temple, faisaient pleuvoir sur les Romains une grêle de
pierres et de flèches, allaient rester vainqueurs. Mais les Romains jetèrent
des matières inflammables sur le toit des colonnades et y mirent le feu.
L’incendie se propagea si rapidement que les défenseurs du temple n’eurent
plus le temps de se sauver : ils périrent dans les flammes ou sous les coups
des Romains, ou se tuèrent volontairement. Aussitôt que le temple fut
abandonné de ses défenseurs, les Romains se précipitèrent dans les parvis
pour piller le trésor. Sabinus, à lui seul, s’empara, dit-on, de quatre cents
talents. Le reste des déprédations commises par les Romains n’est indiqué que
fort sommairement par les sources. Le pillage du trésor, la profanation du
sanctuaire, l’incendie des galeries du temple, achevées depuis dix ans à
peine, allumèrent la fureur du peuple et suscitèrent de nouvelles attaques
contre Sabinus. Les troupes hérodiennes elles-mêmes passèrent en grande
partie du côté des Judéens, pour les aider à combattre les Romains. Les
révoltés assiégèrent le palais d’Hérode, et creusèrent des mines destinées à
faire crouler les tours. Sabinus, ballotté entre la crainte d’être vaincu par
les Judéens et l’espoir de triompher de la révolte avec le renfort attendu,
se retira dans la citadelle du palais.
A la suite de ces événements, toutes les horreurs de
l’anarchie se déchaînèrent sur la
Judée entière. Si la révolte avait été dirigée par des
chefs intelligents, qui lui eussent donné un but capable d’électriser la
nation, la querelle des Hérodiens au sujet de la possession de la couronne
aurait eu sans doute une issue différente de celle qu’ils attendaient. Mais
l’irritation qui régnait dans le pays, n’ayant point de centre de ralliement,
et ne servant qu’à satisfaire des ambitions personnelles, fit plus de tort à
la nation elle-même qu’à ses ennemis. Deux mille soldats, probablement
iduméens, qu’Hérode avait licenciés peu de temps avant sa mort, troublaient
la région du Midi. Un
certain Siméon, esclave d’Hérode, remarquable par sa taille et sa
belle prestance, rassembla une bande de mécontents qui le proclamèrent roi,
et incendia le palais de Jéricho et d’autres citadelles royales. Un autre
aventurier, originaire de la
Pérée, et dont on ne connaît point le nom, mit le feu avec
sa horde au palais de Bethramta (Livias), près du Jourdain, où l’on cultivait le
baumier. Un troisième aventurier, un berger du nom d’Athrongès, d’une
taille colossale et d’une force herculéenne, secondé par ses quatre frères,
quatre géants comme lui, ceignit aussi le diadème et osa s’attaquer aux
Romains, intercepta leurs approvisionnements, et, plus courageux que tous les
autres, fut le dernier à tenir la campagne et à poursuivre ses déprédations.
Un seul de ces chefs de bande avait un but bien arrêté,
et, s’il eût été soutenu par de fidèles partisans et favorisé par la fortune,
il aurait causé assurément plus de mal que tous les autres aux Hérodiens et
aux Romains. Cet homme, c’était Juda le Galiléen, de Gamala en
Gaulanitide, fils de cet Ézékia dont le meurtre avait été le premier exploit
d’Hérode. Juda le Galiléen, qui avait sucé avec le lait la haine des Hérodiens
et de Rome, forma un parti qui, plus tard, devait dominer la nation tout
entière et causer aux Romains plus d’embarras que les Gaulois et les
Germains : le parti des Zélateurs.
Juda était alors dans toute la maturité de l’âge. Il sut communiquer à tous
les cœurs sa fièvre patriotique et sa haine des Romains, et recruta de
nombreux adhérents dans l’énergique population de la Galilée. A la tête de
ce parti, il s’empara des dépôts d’armes de Sepphoris, la capitale de la Galilée put ainsi armer
ses gens, leur donner une solde, et devint la terreur de tous ceux qui
tenaient pour Rome.
Plus encore que les événements de la Judée, ceux qui se
passèrent dans le voisinage même de la Syrie appelèrent l’intervention du procurateur
Varus, et le forcèrent de venir au secours des troupes romaines, menacées par
les Judéens, comme l’avait demandé Sabinus. Quelle ne dut pas être l’anxiété
de Varus en présence de la révolte judaïque, lui qui, non content de ses deux
légions et de ses quatre corps de cavalerie, formant une armée de plus de
vingt mille hommes, appela encore à son aide des mercenaires des pays
voisins ! Le roi des Nabatéens, Arétas, mit spontanément ses troupes à
la disposition du général romain. Ayant été mis à l’avant-garde de l’armée
romaine, il dévasta par le feu et le pillage les villes, bourgs et villages
que traversaient ses troupes. Varus avait détaché de son armée une division
chargée d’opérer en Galilée contre Juda. Une lutte acharnée s’engagea pour la
possession de Sepphoris ; Varus fit livrer cette ville aux flammes et vendre
les habitants comme esclaves. Toutefois, Juda le Galiléen put s’échapper.
Emmaüs, où Athrongès avait résidé, subit le même sort que Sepphoris ;
mais ses habitants trouvèrent leur salut dans la fuite. Arrivé à Jérusalem,
la besogne de Varus ne fut pas difficile, car les bandes qui assiégeaient
Sabinus, effrayées par l’approche des troupes romaines, avaient renoncé à la
lutte. Varus n’en poursuivit pas moins les auteurs de la rébellion, et deux
mille prisonniers furent mis en croix par ses ordres. Telle fut la fin d’une
révolte irréfléchie, qui n’aboutit qu’à rendre plus lourde la servitude de la Judée : une légion romaine
resta désormais à Jérusalem pour la surveiller.
Pendant ce temps, les Hérodiens mendiaient aux pieds
d’Auguste la couronne de Judée ; mais leur bassesse et leurs
objurgations mutuelles prouvèrent à l’empereur qu’ils en étaient tous
également indignes. D’ailleurs, avant même qu’Auguste eût statué, une
députation de cinquante Judéens notables vint se présenter devant lui, pour
se plaindre des Hérodiens et pour le prier de faire de la Judée, réunie à la Syrie, une province
romaine, tout en laissant à la nation judaïque son autonomie intérieure.
Comme leur demande était appuyée par huit mille Judéens romains, Auguste dut
les écouter. Les députés judaïtes se répandirent en plaintes contre Hérode et
sa famille. Cependant Auguste confirma, le testament, sauf qu’il n’accorda
pas à Archélaüs le titre de roi, mais celui plus modeste d’ethnarque.
C’était, pour Auguste, un devoir de convenance de déférer aux dernières
volontés d’un prince qui, après tout, avait servi les Romains avec zèle et
dévouement, et que lui-même avait traité en ami. Du reste, que la Judée fût soumise à Rome
comme ethnarchie ou comme province, le trésor impérial n’y perdait rien.
Le règne d’Archélaüs fut court et obscur (de l’an 4 avant J.-C. à
l’an 6 de l’ère chrétienne). De toutes ses qualités, Hérode ne
transmit à sa descendance que son goût pour les constructions et sa servilité
à l’égard de Rome. Au fond, c’étaient des esprits faibles, et leur tyrannie
même avait quelque chose de petit et de mesquin. Au début, Archélaüs (qui, sur les monnaies,
porte aussi le nom d’Hérode) parut vouloir apaiser le
ressentiment causé par le massacre dont le parvis du temple avait été le
théâtre. Cédant au vœu de l’opinion publique, il déposa le grand prêtre Joézer,
de la famille de Boéthos, et mit à sa place son frère Éléazar, qui ne
put, lui non plus, se maintenir et fut bientôt remplacé par un certain Josué,
de la famille de Sié. Celui-ci, à son tour, dut faire place à l’ancien grand
prêtre Joézer ; ainsi, trois pontifes dans l’espace de neuf ans.
La seule expédition entreprise par Archélaüs fut dirigée
contre le chef de bande Athrongès, qui avait su se maintenir, même après la
mort de ses quatre frères. Mais à ne put le vaincre, tout affaibli qu’il fût,
et, pour obtenir la soumission de cet aventurier, il dut souscrire à ses
conditions. Son mariage avec sa belle-sœur Glaphyra, la veuve d’Alexandre,
blessa les sentiments des Judéens pieux. La belle Cappadocienne avait eu deux
fils de son premier mariage ; Tigrane, le cadet, et le fils de l’aîné,
qui portait le même nom, devinrent plus tard rois de la grande et de la
petite Arménie. Après la mort tragique d’Alexandre, Glaphyra avait épousé
Juba, le roi lettré des Numides ; puis, divorcée d’avec celui-ci, devint
la femme d’Archélaüs, frère de son premier mari, union interdite par la loi
judaïque. — C’est à peu près tout ce qu’on connaît de la vie de ce prince.
Sur la plainte des Judéens et des Samaritains, qui l’accusaient de tyrannie,
il fut détrôné par Auguste, envoyé en exil, et s’en alla mourir à Vienne,
dans les Gaules, au milieu des Allobroges. La Judée et la Samarie furent
incorporées à l’empire romain. Les tétrarchies d’Hérode Antipas et de
Philippe continuèrent de subsister ; mais les villes qui avaient appartenu à
Salomé revinrent à Auguste, la sœur d’Hérode, à sa mort, les ayant léguées à
l’impératrice Livie (vers
l’an 10).
Ainsi, après avoir vécu un siècle et demi sous des princes
à elle, et joui d’une certaine autonomie réelle ou apparente, la Judée tomba complètement
sous la domination de Rome et fut annexée au gouvernement de Syrie. Cette
situation dura, à quelques années près, jusqu’à la dernière révolte. Le représentant
de l’empereur en Judée, portant le titre de procurateur, avait sa résidence à
Césarée, qui devint désormais la haineuse rivale de Jérusalem. De là, il
devait veiller à la tranquillité et au bon ordre du pays, et assurer le
recouvrement des impôts de toute nature. Il avait même le droit exclusif de
prononcer la peine de mort, et celui de contrôler la juridiction criminelle
du tribunal judéen. L’autorité du Sanhédrin était ainsi bien diminuée, et son
importance politique, déjà fort affaiblie sous le règne d’Hérode, se trouvait
complètement annulée. Les Romains, qui avaient ravi au Sanhédrin une partie
de ses attributions, mirent aussi la main sur le sacerdoce. C’était désormais
le procurateur qui nommait le grand prêtre, le déposant ou le maintenant en
fonctions, selon que sa présence était nuisible ou avantageuse aux intérêts
de l’empire. Il allait jusqu’à détenir les insignes du grand prêtre, pour ne
les rendre que lors des trois fêtes principales et du jour d’Expiation. Les
ornements sacerdotaux étaient enfermés sous clef dans une chambre de la tour
Antonia ; la veille des fêtes, les employés du temple venaient les
chercher et, quand ils les rapportaient, les verrous étaient remis en
présence d’un surveillant romain. Une lumière perpétuelle brûlait devant
cette garde-robe.
Le premier procurateur qu’Auguste envoya en Judée fut le
chef de cavalerie Coposius. Quirinius, le gouverneur de la Syrie (6-7), l’y
accompagna pour saisir les biens d’Archélaüs, confisqués au profit du Trésor,
et pour introduire en Judée le cens romain, c’est-à-dire procéder au
dénombrement de la population et au cadastre, afin d’établir les facultés
imposables du pays. Chaque personne fut soumise à la capitation (tributum capitis), même les femmes et les
esclaves ; les filles au-dessous de douze ans et les garçons au-dessous
de quatorze, ainsi que les vieillards, en étaient seuls exempts. En outre, il
y avait des impôts sur les revenus ; les éleveurs de bétail durent
fournir une partie de leurs troupeaux. L’impôt foncier (tributum agri) était payé en nature au moyen d’une
redevance sur les récoltes (annona). Ces exigences
exaspéraient toutes les classes de la population, qui voyait dans de
pareilles mesures une sorte de mainmise et sur les affaires de la nation et
sur les biens des particuliers. La tête, le champ, la fortune de chaque
citoyen, devenaient ils donc la propriété du maître romain, qui en pouvait
disposer à son gré ? — On ne peut assurément en vouloir aux Judéens, qui
ignoraient la constitution romaine, d’avoir considéré le cens comme une
servitude et de s’être attendus, le cœur plein d’angoisse, à un nouvel exil
dans une autre Babylonie. La répulsion des Judéens pour le cens, répulsion
exagérée, mais justifiée au fond, causait dans tout le pays une agitation
violente : de nouvelles divisions de parti éclatèrent, qui laissèrent loin
derrière elles les dissentiments antérieurs des pharisiens et des sadducéens.
La question de l’autorité des lois traditionnelles céda le pas à cette
question autrement brûlante : savoir, s’il fallait se laisser asservir
par les Romains, ou leur résister de toutes ses forces. Cette question
engendra une division profonde parmi les pharisiens eux-mêmes. C’est dans le
Sanhédrin même que naquit la scission au sujet de l’attitude à prendre à
l’égard du cens. Les nouveaux partis qui se formèrent se rattachent aux noms
de Hillel, de Schammaï et de Juda le Galiléen.
Hillel et Schammaï ne semblent guère avoir vécu assez pour
être témoins de la catastrophe qui fit de la Judée une province romaine. La mort de Hillel
jeta le deuil dans tous les cœurs judéens. L’oraison funèbre prononcée sur sa
tombe débutait par ces mots : Ô pieux, doux et
digne disciple d’Ezra ! La vénération du peuple pour ce
docteur se reporta sur ses descendants : la présidence du Sanhédrin devint
héréditaire dans sa famille et s’y conserva plus de quatre siècles. De son
fils et successeur, Siméon Ier, nous ne savons autre chose que son nom
; mais l’école fondée par Hillel, qui avait hérité de son esprit et qui
continua fidèlement ses traditions, acquit une grande importance. Les
docteurs de cette école se distinguaient, comme avait fait leur maître, par
un caractère paisible et doux, par une condescendance extrême, et ils ne
démentirent jamais ces qualités au milieu de tous les orages qui se
déchaînèrent sur la Judée.
Comme l’école de Hillel marchait sur les traces de son
maître et prenait la douceur pour règle de conduite, ainsi l’école de
Schammaï imita son fondateur et s’assimila, en l’exagérant encore, la
sévérité de ses principes. Persuadés que les prescriptions religieuses ne
sont jamais assez suivies et que les limites des prohibitions légales ne
sauraient être trop étendues, les schammaïtes interprétaient la Loi avec une telle rigueur
que celles de leurs décisions qui n’ont pas ce caractère sent citées comme de
curieuses exceptions. D’après eux, on ne pouvait, avant le sabbat, ni
commencer, ni confier à d’autres un travail qui devait s’achever le jour du
sabbat, fût-ce sans le concours d’un Israélite. Il était défendu, ce jour-là,
de consacrer de l’argent à des oeuvres de bienfaisance, de négocier des
mariages ou renseignement de la jeunesse, de visiter les malades et de
consoler les affligés. Dans les dispositions relatives à la pureté lévitique
des personnes et des choses, les schammaïtes mettaient une exagération qui
les rapprochait des esséniens. Même rigueur en ce qui concerne les lois
matrimoniales. Ils n’accordaient le divorce qu’en cas d’inconduite grave de
la part de la femme. — Si, à la suite de ces querelles d’école, la paix intérieure
ne fut pas troublée et si les disciples des deux docteurs restèrent en bons
rapports, il faut en attribuer uniquement le mérite au caractère conciliant
de l’école de Hillel. La sévérité avec laquelle les schammaïtes
interprétaient la Loi,
ils la portaient aussi dans les relations de la vie, spécialement dans leur
façon d’accueillir ceux qui venaient à eux pour se convertir au judaïsme.
L’école de Schammaï n’aimait pas les prosélytes : l’exemple de la
famille d’Hérode était là pour montrer le mal terrible que des demi-Judéens
peuvent causer au judaïsme. Néanmoins, malgré leur sévérité dans
l’interprétation de la Loi,
les schammaïtes y firent de grandes concessions à l’armée judaïque qui
s’était formée pour combattre les ennemis de la nation. Quelque scrupule
qu’on eût eu jusqu’alors à permettre la violation du sabbat en temps de
guerre, les schammaïtes déclarèrent formellement que, si l’on avait commencé
le siège d’une place avant le jour du sabbat, on pouvait continuer les
opérations sans aucun égard pour la sainteté de ce jour. Cette interprétation
avait pour auteur Schammaï lui-même, chez qui la haine du païen était plus
forte encore que le rigorisme religieux.
Les schammaïtes comptaient de nombreux partisans et dans
le Sanhédrin et dans le peuple ; leur absolutisme religieux et leur
haine du paganisme trouvaient plus d’écho que la modération et la douceur des
hillélites. Aussi les premiers eurent-ils toujours la majorité et purent-ils
faire prévaloir leurs décisions. Cette école donna naissance à un parti qui,
s’il avait triomphé, attrait excité l’admiration universelle, mais que sa
défaite couvrit de honte. Ce même Juda le Galiléen, qui, après la mort
d’Hérode, avait provoqué un soulèvement, s’associa avec un pharisien nommé Saddoc,
pour fonder un parti religieux et républicain, qui prit le nom de parti des Zélateurs
(Kannaïm) ou
des Galiléens. Le mot d’ordre donné par Juda au nouveau parti, et
accepté avec empressement par Saddoc, était celui-ci : Obéir aux Romains, c’est violer la loi divine ; Dieu seul
est maître, et seul doit être obéi. Chacun doit donc consacrer
toutes ses forces, sacrifier tous ses biens pour combattre ceux qui,
prétendant se substituer à Dieu, exigent des Judéens l’obéissance. On
proclama, comme type du vrai zélateur, ce Phinéas, qui seul jadis, en face
d’une nation oublieuse de son devoir, avait armé son zèle pour Dieu en
poignardant le chef de tribu Zimri. L’État judaïque doit être une
république, avec Dieu pour chef et la
Loi pour constitution. — Ces principes, clairs pour tous,
devaient rencontrer d’autant plus d’adhésion que le joug romain pesait plus
lourdement sur le peuple. Hommes faits et jeunes gens s’enthousiasmèrent pour
ce noble but, la conquête de la liberté. Le parti des zélateurs, d’abord
exclusivement composé de schammaïtes, grossit de plus en plus avec la
tyrannie croissante des Romains.
Dès que parut l’édit de Quirinius, ordonnant à tout Judéen
de déclarer le nombre des gens de sa famille, la quotité de ses terres et de
ses biens, les chefs des zélateurs donnèrent le signal d’une résistance
énergique. Sur quelques points éclatèrent des soulèvements partiels. En vain
les modérés et le grand prêtre Joézer cherchèrent à calmer les esprits en
expliquant au peuple que le cens n’entraînait ni asservissement, ni confiscation,
et n’avait d’autre but que de contrôler la prestation de l’impôt. Le cens
n’en resta pas moins odieux, au point que le nom même prit une signification
déplaisante et servit à désigner toute amende pécuniaire (census, KENAS). Du reste, tout en cherchant à empêcher la révolte, les
modérés eux-mêmes voyaient avec indignation les empiétements des Romains. Les
hillélites, eux aussi, irrités de ces vexations, firent violence à leurs
scrupules habituels en permettant de s’y soustraire par tous les moyens possibles.
Telle était la haine inspirée par ce système oppressif, que tous ceux qui
prenaient part à la perception des impôts, soit comme fermiers (mokhès), ou
comme receveurs (gabbaï),
furent déclarés infâmes, exclus de la bonne société, et que leur témoignage
n’était pas reçu en justice. De fait, ceux-là seulement qui menaient une vie
indévote, — soit par intérêt, soit par indifférence religieuse, —
consentaient à accepter de pareilles fonctions ; si bien que les noms
injurieux de publicain et de violateur de la
Loi devinrent synonymes.
Un autre changement, dû au régime nouveau, eut lieu dans
la rédaction des actes publics. Ces actes, même les lettres de divorce, datés
jusqu’alors du règne des gouvernants judaïques, devaient l’être désormais du
règne de l’empereur. Cette innovation déplut aussi aux zélateurs, qui
blâmaient la modération pharisienne de se montrer, sur ce point, si tiède et
si complaisante : Comment,
écriaient-ils, souffrir qu’à cette formule :
selon la loi de Moïse et d’Israël, on accole le nom de César, et que
le nom révéré du grand prophète soit mis sur la même ligne que celui d’un
prince païen !
Quirinius, toutefois, dut faire une concession au
mécontentement populaire : il déposa le grand prêtre Joézer et le remplaça
par Anan (de
la famille de Seth), dont les cinq fils furent successivement grands
prêtres.
Peu de temps après le départ de Quirinius, Coponius,
le procurateur de la Judée,
fut rappelé et remplacé par Marcus Ambivius, et celui-ci par Annius
Rufus. En sept années (7-14), il y eut trois procurateurs ; et, comme chacun d’eux
cherchait à s’enrichir, la
Judée, pressurée à l’excès, soufrait beaucoup de ces
changements.
La mort d’Auguste (14) ne modifia eu rien la situation de ce pays, qui fit
simplement partie de l’immense héritage de Tibère, le nouveau césar. En
apparence, les provinces ne souffrirent pas du gouvernement de ce prince,
ennemi juré de l’aristocratie romains, partant favorable au peuple. Sur les
plaintes des Judéens, il diminua même les impôts qui les écrasaient. Au fond,
cependant, Tibère était plus hostile encore au judaïsme que ne l’avait été
son père adoptif Auguste : on eût dit que les césars avaient le pressentiment
du coup mortel que l’empire romain et son culte devaient recevoir du
judaïsme. Cette antipathie s’accrut encore lorsque des Romains, et surtout
des femmes romaines, inclinèrent à embrasser le judaïsme. En effet,
l’enthousiasme des Judéens pour leur religion et leur temple offrait un
contraste frappant avec la froideur des Romains, prêtres comme laïques, pour
leur culte national. La ruine de la liberté avait supprimé l’idéal auquel
aspiraient les meilleurs esprits, et ôté toute poésie à l’existence : les
âmes désenchantées demandaient un nouvel aliment. Aussi vit-on, sous Tibère,
de nombreux prosélytes qui, pour satisfaire leur besoin de religiosité,
envoyaient des présents au temple de Jérusalem. Toutefois, la superstition
avait sans doute autant de part que la conviction aux sympathies qui se
manifestaient pour le judaïsme. Ce qui fascinait surtout les esprits, c’était
l’attrait de l’inconnu, le côté mystérieux de certaines religions étrangères,
comme la religion des Judéens et celle des prêtres d’Isis, qui recrutait
également des prosélytes à Rome. A la suite d’un abus commis par ces prêtres,
Tibère prit généralement en haine le prosélytisme, et cette haine s’accrut
par un fait nouveau. Une prosélyte judéenne, Fulvie, femme d’un
certain Saturninus, sénateur fort estimé de Tibère, avait envoyé des présents
au temple de Jérusalem par l’intermédiaire des Judéens qui l’avaient
convertie, et qui se permirent de les garder pour eux. Tibère, informé de
cette fraude, fit voter par le sénat une loi en vertu de laquelle tous les
Judéens, ainsi que leurs prosélytes, devaient quitter la ville, sous peine de
servitude perpétuelle, s’ils n’avaient abjuré leur religion dans un délai
donné. Conformément à cette loi, — inspirée, dit-on, à Tibère par son
tout-puissant ministre Séjan, — des milliers de jeunes Judéens furent exilés
en Sardaigne, où ils durent lutter contre les bandits qui infestaient cette
île (19). Il
était aisé de prévoir que cet âpre climat serait meurtrier pour les exilés ;
mais les sénateurs et Tibère s’en inquiétaient fort peu. Les Judéens de
l’Italie entière furent menacés d’expulsion, s’ils ne renonçaient à leur
culte. Les jeunes gens et les hommes valides étaient astreints au maniement
des armes, le sabbat comme les autres jours ; et, quand ils s’y refusaient,
on les châtiait sévèrement. Ce fut là la première persécution religieuse des
Judéens à Rome et leur premier martyre en Occident, prélude de bien d’autres
que leur réservait l’avenir.
Gratus, le nouveau procurateur envoyé en Judée par
Tibère, s’immisça dans les affaires intérieures du pays, comme avaient fait
ses prédécesseurs. Pendant les onze années de son administration, il déposa
jusqu’à cinq grands prêtres, dont quelques-uns fonctionnèrent à peine un an.
Ces changements avaient parfois pour cause la faveur ou la défaveur dont le
grand prêtre était l’objet ; plus souvent encore, ils étaient dus à la
corruption, ou au simple caprice du procurateur.
Tandis que la
Judée et ses annexes, la Samarie et l’Idumée, étaient gouvernées par des
procurateurs romains, la tétrarchie de la Galilée et de la Pérée, et celle de la Batanée et de la Trachonitide, qui
en avaient été détachées et confiées respectivement à Hérode Antipas et à
Philippe, gardaient un semblant d’autonomie. Ces deux princes ne se
distinguèrent que par leur goût pour la bâtisse et leur zèle à complaire aux
Romains. Hérode Antipas avait d’abord fait de Sepphoris la capitale de sa
tétrarchie ; mais, lors de l’avènement de Tibère, il bâtit, dans la
délicieuse contrée du lac de Génésareth, une ville qu’il appela Tibériade,
et où il établit sa résidence (de 24 à 26). Les Judéens pieux répugnaient à habiter la ville
nouvelle, parce qu’on y avait découvert des ossements humains, provenant sans
doute de quelque bataille. Il fallut attirer des habitants par des promesses
ou par la force ; et cependant, plus d’un siècle s’écoula avant que les
consciences scrupuleuses acceptassent le séjour de Tibériade. La ville de Beth-Ramtha
(Bet-Haram)
qui, située dans les mêmes conditions que Jéricho, fournissait également du
baume, reçut d’Antipas le nom de Livia, en l’honneur de l’épouse d’Auguste.
De son côté, Philippe bâtit aussi deux villes : l’une dans la riante contrée
où naît le Jourdain, et qu’il appela Césarée (Cæsarea Philippi, pour la distinguer
de la ville du même nom) ; l’autre, au nord-est du lac de Génésareth,
nommée d’abord Beth-Saïda (Tsaïdan), puis, pour honorer la fille d’Auguste, Julias.
La famille de l’empereur ne comptait pas moins de monuments dans la Judée que dans Rome
elle-même. D’un caractère pacifique et peu passionné, Philippe garda sa
principauté pendant trente-sept ans (de l’an 4 avant J.-C. à l’an 33). Antipas, au contraire,
avait quelque chose des goûts voluptueux et sanguinaires de son père Hérode.
Le successeur de Gratus fut Ponce Pilate, qui fut
dix ans procurateur (26-36),
et qui a dû, à un événement survenu pendant son administration, une notoriété
historique universelle. Dès son entrée en fonctions, il fit voir à la nation
judaïque qu’elle n’était pas encore au bout de ses humiliations, et qu’elle
devait se préparer à boire jusqu’à la lie le calice d’amertume. Pour
caractériser Pilate, il suffira de dire qu’il prit le pouvoir au moment où
l’astucieux Séjan faisait trembler l’empereur et le sénat ; créature de
ce ministre, c’est à lui qu’il devait le gouvernement de la Judée. Pilate fut
digne de son maître. Il osa ce que n’avait encore osé aucun gouverneur avant
lui : blesser la nation judaïque à l’endroit le plus sensible, en l’attaquant
dans ses sentiments religieux. Il voulut habituer les Judéens à rendre un
culte divin aux images de l’empereur. Jusqu’alors, les commandants des troupes
romaines avaient respecté les scrupules des Judéens, à ce poing que,
généralement, lorsqu’ils entraient dans Jérusalem, ils faisaient retirer les
images des drapeaux. Hérode et ses fils durent eux-mêmes tenir compte de ce
sentiment. Pilate ne l’ignorait pas, et cependant il résolut de passer outre.
Obéissait-il à quelque ordre de Séjan, désireux de vexer et d’irriter les
Judéens, on agissait-il ainsi de son propre mouvement, dans l’espoir de
vendre cher la faveur qu’on solliciterait ? Quoi qu’il en soit, il fit
transporter secrètement à Jérusalem, pour les y exposer publiquement, les
images de César, qui surmontaient les étendards des légions. Une violente
agitation s’ensuivit à Jérusalem et se propagea bientôt dans tout le pays.
Une députation du peuple se rendit à Césarée auprès du procurateur, pour le
supplier de faire disparaître les images. Les membres survivants de la
famille d’Hérode s’étaient joints à cette députation. Pendant cinq jours, les
Judéens se tinrent devant le palais du procurateur, l’assaillant de leurs
supplications. Le sixième jour, Pilate chercha à les effrayer en les faisant
entourer par ses légions, et menaçant de les faire massacrer s’ils ne
faisaient trêve à leurs plaintes. Mais, lorsqu’il vit les Judéens résolus à
sacrifier leur vie au respect de leurs croyances, et peut-être aussi par
crainte d’encourir la colère de l’empereur, à l’insu duquel il avait agi,
Pilate ordonna de retirer les images.
Mais bientôt il souleva une nouvelle irritation — sous
prétexte de construire un aqueduc devant amener à Jérusalem les eaux d’une
source éloignée de deux cents stades (près de 38
kilomètres), il mit la main sur le trésor du
temple (korban).
Comme il était venu en personne à Jérusalem, la foule l’assiégea en lançant
contre lui des imprécations. Pilate n’osa pas faire marcher ses légions
contre le peuple, mais il envoya des soldats déguisés en Judéens, qui se
mêlèrent à la foule et en tuèrent ou blessèrent une grande partie ; le reste
se dispersa.
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