Troisième époque — La décadence
Les premiers Hasmonéens, grâce à leur habileté plutôt qu’à
leurs talents militaires, avaient assuré la grandeur et l’indépendance de Il ne sut pas même s’attacher les personnages influents de
la nation judaïque et les décider à faire cause commune avec lui. Quoique
blessés par l’impudence d’Hérode, les chefs du Sanhédrin, Schemaya et
Abtalion, étaient contre Antigone. D’où provenait L’antipathie qu’inspirait
aux docteurs le dernier, des Hasmonéens ? Antigone s’était-il prononcé en
faveur des Sadducéens, ou était-ce jalousie des dépositaires de Un jour de Kippour, après le service divin, le peuple avait accompagné le roi, grand prêtre du temple, jusqu’à sa demeure. Mais, chemin faisant, on rencontra les synhédristes Schemaya et Abtalion, et le peuple quitta le grand prêtre pour leur faire une escorta d’honneur. Irrité, le roi témoigna ses sentiments aux deux docteurs, en leur adressant une salutation ironique que, de leur côté, ils rendirent à Antigone. Cette division entre le prince et les autorités les plus influentes de la nation, l’inexpérience d’Antigone dans les choses de la guerre et de la politique, causèrent les plus grands malheurs. Hérode ne ressemblait en rien à son rival et avait toutes
les qualités qui lui manquaient. Il sut toujours contraindre la fortune à lui
sourire de nouveau, quand elle l’avait abandonné un instant. Après sa fuite
nocturne de Jérusalem, se voyant poursuivi par les habitants judaïtes, il eut
un moment la pensée du suicide. Son projet de gagner à sa cause Malick, le
roi des Nabatéens, échoua. Après avoir traversé le désert judéo-iduméen,
presque seul, dénué de tout, mais conservant son indomptable énergie et
nourrissant toujours de vastes projets, il se rendit en Égypte. Cléopâtre lui
proposa le commandement de ses armées. Hérode refusa. C’est la couronne de
Judée que visaient ses rêves. Il s’embarqua pour Rome. Surpris en route par
une tempête, il arriva, à Rome au moment où Octave et Antoine venaient de se
réconcilier. Il n’eut pas de peine à persuader Antoine de l’importance des
services qu’il pourrait lui rendre, en le servant contre les Parthes, en lui
représentant Antigone comme l’ennemi juré de Rome, parce qu’il devait son
trône aux Parthes. Antoine parla en sa faveur à Octave, qui n’avait rien à
lui refuser. Un décret du sénat le proclama roi de Judée et déclara Antigone
ennemi de Rome (hiver
de l’an 40). En sept jours, il avait su obtenir ce résultat. C’était
la seconde fois que Rome portait un coup mortel à la nation judaïque en lui imposant
un étranger, un demi juif d’Idumée, qui avait des offenses personnelles à
venger. Bien entendu, Hérode, voyant son ambition satisfaite, se déroba aux égards dont l’entourait Antoine pour aller prendre possession de sa nouvelle royauté. Débarqué à Acco (39), ses amis et notamment Saramalla, le plus riche Judéen d’Antioche, lui fournirent l’argent nécessaire pour soutenir une guerre de prétendant. Comme les Romains refusèrent de prendre une part active à cette campagne, la guerre traîna en longueur. Hérode se vit obligé de se rendre au camp d Antoine, qui assiégeait alors Samosate. Grâce aux services qu’il rendit au Romain en cette occasion, et surtout à son éloquence, Antoine chargea un de ses généraux, Sosius, d’aller combattre Antigone avec deux légions et d’installer le roi choisi par Rome. Hérode mena cette guerre avec une cruauté implacable. Ivre de vengeance, il fit périr dans les flammes cinq villes des environs de Jéricho avec leurs habitants, au nombre de deux mille, qui avaient pris parti pour Antigone. A l’approche du printemps (37), il marcha sur Jérusalem et en fit le siège. Il venait de célébrer à Samarie son mariage avec sa fiancée Mariamne. Aussitôt que Sosius fut arrivé en Judée avec une nombreuse armée romaine et une armée de secours, composée de troupes syriennes, le siège de Jérusalem fut poussé avec vigueur. L’armée des assiégeants comptait environ cent mille hommes. Ils élevèrent des retranchements, comblèrent les fossés de la ville et, avec leurs machines de guerre, commencèrent à en battre les murailles. Les assiégés, quoique dénués de tout, se défendirent héroïquement. Ils faisaient de fréquentes sorties, chassaient ceux qui travaillaient aux tranchées, détruisaient les ouvrages de siège, bâtissaient une muraille nouvelle derrière celle qui tombait, si bien qu’au bout de deux mois les assiégeants n’étaient encore guère avancés. Schemaya et Abtalion, les deux chefs du Sanhédrin, prêchèrent contre la résistance, conseillant d’ouvrir les portes de la ville à Hérode, et Antigone n’était pas assez fort ou assez courageux pour réprimer leurs menées. Grâce à ces dissensions intestines et à des assauts redoublés, les Romains parvinrent à faire crouler le mur extérieur du nord-est de la ville. Ils pénétrèrent aussitôt dans la ville basse et dans les ouvrages extérieurs du temple. Les Judéens, avec le roi Antigone, se réfugièrent dans la ville haute et sur la colline du temple. Pendant quinze jours, les Romains donnèrent l’assaut à la deuxième enceinte de murs. Malgré leur défense héroïque, les Jérusalémites durent succomber. Un jour de sabbat, où les Judéens ne s’attendaient pas à une attaque, croula un pan de la deuxième muraille, qui livra passage aux Romains. Ceux-ci se précipitèrent comme des furieux dans la ville haute et le temple, massacrant tout, sans distinction d’âge ni de sexe, égorgeant les prêtres à côté de leurs victimes. Par une fatale coïncidence, Jérusalem tomba le même jour où, vingt-sept ans auparavant, elle avait été prise par Pompée (sivan, juin 37). Hérode réussit à peine, à force de présents distribués à
chaque soldat romain, à empêcher le pillage du temple et la ruine totale de
la ville. Antigone fut pris et envoyé auprès d’Antoine qui, à la prière
d’Hérode, le fit battre de verges et le livra ensuite à la hache du bourreau,
supplice infamant qui excita l’horreur des Romains eux-mêmes. Antigone était
le dernier des huit princes et grands prêtres de la famille des Hasmonéens,
qui avait régné plus d’un siècle et qui causa la ruine et l’abaissement de Hérode, l’esclave iduméen, comme le qualifiait la voix
populaire, était arrivé au but de ses visées ambitieuses. Son trône avait
pour base des cadavres et des ruines, mais il se sentait de force à le
maintenir, fallait-il l’entourer d’un fleuve de sang. Que lui importait la
haine de la nation judaïque, à laquelle il s’était imposé sans le moindre
mérite, sans titre aucun ? N’avait-il pas la faveur de Rome et l’amitié
d’Antoine ? Il embrassa d’un regard sûr et clair la politique qu’il
avait à suivre ; elle lui était en quelque sorte commandée par les
circonstances : s’attacher entièrement à Rome, afin d’avoir en elle un ferme
appui contre la défaveur populaire; chercher à apaiser les ressentiments de
la nation par des concessions apparentes et sans grande portée, ou les
réprimer par une sévérité implacable, telle fui la politique qu’il suivit
froidement, inexorable comme le destin, pendant un règne de trente-quatre
ans. Même dans le premier moment de trouble qui suivit la prise du temple,
Hérode conserva tout son sang-froid et ordonna à son serviteur Costobar de
faire garder les issues de Jérusalem et arrêter tous les fuyards. Les
partisans d’Antigone furent égorgés en masse; parmi eux se trouvaient
quarante-cinq hommes appartenant aux meilleures familles. Cependant la haine
d’Hérode n’était pas encore assouvie. Pour se venger des synhédristes qui,
douze ans auparavant, avaient été sur le point de le condamner pour le
meurtre d’Ézékias, il les fit massacrer tous, à l’exception de Schemaya et
d’Abtalion, qui s’étaient montrés hostiles à Antigone. Imitant les procédés
des Romains, qui confisquaient les biens des proscrits, il s’empara de la
fortune de ses victimes. Un certain Ananel, qui était, il est vrai, un
descendant d’Aaron, mais qui n’était ni de la famille des Hasmonéens ni d’une
autre lignée de grands prêtres, fut élevé par Hérode aux fonctions
pontificales. A partir de ce moment, celles-ci ne furent plus héréditaires.
Hérode prétendait être issu lui-même d’une famille judaïque très ancienne,
qui avait émigré de Deux personnages étaient seuls désormais capables de
troubler la quiétude d’Hérode, un vieillard et un adolescent : Hyrcan, qui
avait été roi et grand prêtre, et son petit-fils, Aristobule, qui visait à
être l’un et l’autre. Tant que ceux-ci n’auraient pas été réduits à
l’impuissance, Hérode ne pouvait s’abandonner à la jouissance paisible de ses
conquêtes. Hyrcan avait été, il est vrai, prisonnier des Parthes ; en outre,
il était mutilé, ce qui le rendait impropre au pontificat. Les Parthes
avaient eu la générosité de lui rendre la liberté, et les Judéens de Babylone
l’entouraient d’honneurs pour lui faire oublier ses tristesses. Malgré cela,
Hyrcan avait la nostalgie de Hyrcan était désarmé et réduit à l’impuissance : il était enfermé dans une cage dorée. Aristobule, son petit-fils, à qui son origine, sa jeunesse, sa noble prestance avaient gagné tous les cœurs, était un ennemi plus redoutable pour Hérode. Celui-ci avait cru lui enlever toute influence, en lui refusant le souverain pontificat, mais ce but fut manqué. Du reste, Alexandra, sa mère, dont l’habileté en intrigue valait bien celle d’Hérode, avait su capter la bienveillance d’Antoine en faveur d’Aristobule. Persuadée que ce Romain efféminé serait plutôt touché par des excitations sensuelles, elle lui envoya le portrait de ses deux enfants, Mariamne et Aristobule, les deux plus ravissantes têtes d’Israël. Antoine, séduit par la vue de ces images, demanda à voir le jeune homme. Pour le tenir éloigné du Romain, Hérode se vit forcé de le nommer grand prêtre (35). Bien entendu, Ananel fut destitué. Peu satisfaite encore de ce résultat, l’ambitieuse Alexandra essaya de faire donner le trône à son fils. Elle commanda secrètement deux cercueils dans lesquels elle voulait se faire transporter, elle et son fils, afin de quitter la ville sans exciter de soupçons et de gagner l’Égypte. Son projet fut dénoncé à Hérode, qui le déjoua, et qui dès lors songea de plus en plus à se débarrasser de ce dangereux jeune homme. Il ne pouvait guère user de violence, à cause de Cléopâtre, sa protectrice. Il eut donc recours à la ruse. Il l’invita à venir à Jéricho et donna l’ordre à ses serviteurs de l’égorger pendant qu’il serait au bain. Ses ordres furent ponctuellement exécutés (automne de l’an 35). Dans la personne d’Aristobule III périt le dernier rejeton de la race des Hasmonéens. Ananel devint pour la seconde fois grand prêtre. En vain Hérode simula la plus profonde douleur au sujet de la mort de son beau-frère ; en vain il prodigua les aromates au cadavre : la famille et les amis des Hasmonéens l’accusaient du meurtre, sans toutefois oser manifester leurs soupçons. Or, ce crime eut pour Hérode les plus tristes conséquences et en fit le plus malheureux des hommes. Rarement le châtiment d’une mauvaise action éclata d’une façon aussi saisissante et avec une logique aussi terrible que le châtiment du forfait d’Hérode. Mais ce qui, dans une âme moins endurcie, aurait provoqué le repentir, fut pour Hérode un aiguillon qui le poussa à commettre de nouveaux crimes. — Alexandra, qui avait placé son ambition sur la tête de son fils, se voyant déçue dans ses espérances, ne manqua pas d’accuser Hérode auprès de Cléopâtre comme son meurtrier. Cette reine, qui convoitait ardemment le royaume d’Hérode, profita de son méfait pour le rendre odieux aux yeux de son adorateur. Antoine manda l’Iduméen à Laodicée, pour qu’il se justifiât de l’accusation portée contre lui. Tremblant pour sa vie, Hérode se rendit à Laodicée ; mais, à force de présents et d’éloquence, il gagna si bien les faveurs d’Antoine que celui-ci lui pardonna son meurtre et même le combla d’honneurs (34). Hérode revint à sa résidence, le cœur joyeux. Cependant il avait perdu une des plus belles perles de sa couronne. Antoine lui avait enlevé la contrée de Jéricho, célèbre par son baume et par ses palmiers, pour la donner à Cléopâtre, qu’il gratifia également de tout le district de la côte méditerranéenne. Hérode dut lui payer annuellement 200 talents pour les revenus de ce territoire. Mais qu’était cette rançon, en comparaison du malheur qui l’avait menacé ? Il pouvait s’estimer heureux. Cependant, dans son palais même, de nouvelles calamités l’attendaient. Avant de partir, il avait confié Mariamne et sa mère, Alexandra, au mari de sa sœur Salomé, Joseph, avec ordre, s’il devait encourir la disgrâce d’Antoine et perdre la vie, de tuer les deux femmes. Son amour pour sa belle compagne, qu’il ne voulait pas laisser tomber entre les mains d’un autre ; sa haine aussi pour Alexandra et la crainte de lui causer de la joie par sa mort, lui avaient inspiré ce projet. Mais Joseph révéla à Mariamne l’ordre qu’il avait reçu, ce qui augmenta encore l’angoisse de la malheureuse reine. Le bruit de la mort d’Hérode s’étant répandu à Jérusalem. Mariamne songea à se mettre, elle et sa mère, sous la protection des aigles romaines. Salomé la sœur d’Hérode, qui haïssait également son mari et sa belle-sœur, profita, de cette circonstance pour les calomnier auprès de son frère et les accuser même d’un commerce adultère. Hérode resta d’abord incrédule, mais Mariamne se trahit en laissant voir qu’elle était instruite de ses desseins. Sa colère ne connut pas de bornes ; il fit décapiter Joseph, jeter Alexandra en prison, et Mariamne aurait subi le même sort, si son amour pour elle n’avait été plus violent que sa haine. A partir de ce moment (34), la méfiance et l’inimitié étaient entrées dans sa famille et bientôt tous les siens allaient en être les victimes. Au dehors, la fortune resta fidèle à Hérode et le tira des
pas les plus difficiles. Six ans ne s’étaient pas écoulés depuis son
avènement que de grands dangers vinrent le menacer. Une sœur du dernier roi
des Hasmonéens s’était érigée en vengeresse de son frère et de sa race. Elle
rassembla des troupes et s’empara de la forteresse d’Hyrcanion (vers l’an 32). A
peine Hérode eut-il vaincu cette femme qu’un nouveau danger bien plus grave
vint l’assaillir. Cléopâtre, qui était l’ennemie des Judéens en général au
point que, pendant une famine, elle refusa de fournir du blé aux pauvres de
cette nation, comme elle le fit pour les autres habitants d’Alexandrie, et
qui haïssait Hérode tout particulièrement, se donna beaucoup de peine pour le
perdre auprès d’Antoine. Dans son voyage à travers A peine était-il tranquille de ce côté, qu’une tempête s’éleva qui ébranla le monde romain jusque dans ses fondements et menaça d’entraîner dans son tourbillon le favori des gouvernants de Rome. Depuis que Rome et les peuples soumis à son pouvoir étaient aux pieds des triumvirs, Octave César, Marc-Antoine et Æmilius Lépide, et que ceux-ci cherchaient à se détruire mutuellement afin de régner sans partage, l’atmosphère politique était pleine d’éléments incendiaires qui pouvaient à chaque instant faire explosion. A cela s’ajoutait encore le fait que l’un des trois rivaux était dominé par Cléopâtre et que celle-ci cherchait à profiter de ses charmes pour devenir maîtresse de Rome, dût-on mettre toute la terre en feu. À cette époque troublée, un poète judéen chanta en beaux vers grecs, sous forme de prophétie sibylline, la chute de Rome et du monde grec et l’avènement de l’ère messianique. Le voyant judéo-grec annonçait des temps terribles, l’apparition de Bélial, l’Anti-Messie qui séduira et perdra l’humanité. On était, il est vrai, à une époque malheureuse ; une
sorte de Bélial était apparu, le demi Judéen Hérode, mais on n’apercevait
guère l’aurore du règne messianique. La rivalité d’Octave et d’Antoine alluma
la guerre entre les deux parties de l’empire romain, l’Orient et l’Occident,
l’Asie et l’Europe. Ce fut une guerre de peuples, mais elle prit bientôt fin
par la chute d’Antoine, à la bataille d’Actium ( Hillel (né vers l’an 75, mort vers l’an 5 après J.-C.) se rattachait par
sa mère à la race de David. Nonobstant cette noble origine, il vécut dans la
pauvreté. Son frère Schebna, riche négociant, subvenait à son
entretien. Il émigra de Babylonie et Jérusalem, sans doute en même temps que
Hyrcan (36).
Il devint un des auditeurs les plus assidus des synhédristes Schemaïa et
Abtalion, dont il transmettait les traditions avec une scrupuleuse
exactitude. Les traits dominants du caractère de Hillel, c’était cette
douceur inaltérable et sympathique, qui ne permet pas à la colère de dominer
un seul instant le cœur ; c’était ce profond amour de l’humanité, qui
prend sa source dans l’humble opinion qu’on a de soi-même et dans le jugement
favorable qu’on porte sur autrui ; c’était enfin cette égalité d’humeur que
fait naître la confiance en Dieu et qui ne se dément pas en face du malheur.
Hillel est resté l’idéal de la bonté et de la modestie. A lui appartient la
belle parole qui résume tout l’esprit du judaïsme : Ne fais pas à autrui ce qui te serait désagréable à
toi-même : c’est là toute De même que, par ses hautes vertus, Hillel est devenu, aux
yeux de la postérité, un idéal de perfection, ainsi le développement qu’il a
sa donner au judaïsme légal l’a placé au premier rang et lui a valu l’honneur
d’être appelé le restaurateur de Grâce à ces sept règles, la tradition orale apparaissait sous un jour tout nouveau : elle n’avait plus rien d’arbitraire, et elle revêtait un caractère à la fois absolu et rationnel. Les nouvelles règles ne servaient pas seulement à légitimer les lois orales déjà existantes ; elles permettaient aussi de les élargir et de les appliquer à des cas nouveaux. Au début, la méthode d’interprétation de Hillel ne trouva
guère de succès. Nous savons de science certaine que, lors d’une discussion
devant le Sanhédrin, alors présidé par les Bené-Bathyra, Hillel affirma ces
règles, mais que le Sanhédrin ne les goûta pas, Du en contesta l’application.
Hillel eut l’occasion d’en faire publiquement usage pour la solution d’une
question qui intéressait vivement la nation entière. La veille de Pour gagner les faveurs d’Octave César, que la victoire d’Actium avait rendu seul maître de tout l’empire romain, Hérode alla le trouver à Rhodes. Orgueilleux et insolent dans son propre pays, il comparut devant le Romain l’âme remplie de crainte, humble et dépouillé de tout ornement, sans toutefois avoir rien perdu de sa mâle énergie. Dans son entretien avec Octave, il avoua hautement son amitié et ses relations avec Antoine. Octave n’avait pas le caractère assez haut pour mépriser la vénalité, et ne se sentait pas assez fort pour se passer du concours des traîtres. Il reçut donc Hérode en grâce, lui ordonna de reprendre son diadème, le combla d’honneurs et le renvoya dans son pays (30). Hérode fut pour Octave un partisan fidèle, comme il l’avait été pendant douze ans pour Antoine. Quand César se rendit en Égypte, Hérode alla à sa rencontre jusqu’à la ville d’Acco ; il eut soin que, dans leur marche à travers un pays aride, les troupes fussent pourvues d’eau et de vin. Ainsi, avant de mourir, Antoine put apprendre que la fidélité d’Hérode n’était pas précisément inébranlable. Hérode eut la joie de voir son ennemie Cléopâtre échouer dans ses tentatives de séduction sur César et se donner la mort. Les Judéens d’Alexandrie se réjouirent aussi de la fin de cette reine, dont ils avaient eu beaucoup à souffrir. Peu de temps avant sa mort, ce monstre couronné avait exprimé le vœu de pouvoir égorger, de sa main, tous les habitants judaïtes de sa capitale qui tenaient pour Octave. Pour récompenser leur attachement, Octave accorda aux Judéens d’Égypte la confirmation de leurs droits politiques et de leurs privilèges. Telle était sa confiance en leur fidélité, qu’il laissa à leurs arabarques la surveillance des douanes fluviales et maritimes dont ils avaient été investis par les rois d’Égypte. C’était là un témoignage de confiance d’autant plus remarquable que César attachait une importance extrême à la possession de l’Égypte, grenier de Rome, et surtout à celle d’Alexandrie, à cause de son port. Il avait en effet défendu aux sénateurs de s’y rendre sans une autorisation spéciale. A la mort de l’arabarque qui commandait alors, Octave permit que son successeur fut choisi parmi les Judéens d’Alexandrie, et lui conserva tous les privilèges de ses devanciers. Tandis qu’il restreignait les droits des habitants grecs d’Alexandrie, à cause de leur perversité, de leur mobilité d’esprit et de leur insubordination, ne leur laissant aucune part d’autorité et les plaçant sous la juridiction d’un juge institué par lui-même, il nomma un conseil exclusivement judaïque et fonctionnant à côté de l’arabarque ou ethnarque. Ce conseil dirigeait la communauté judéenne, décidait les questions litigieuses et veillait à l’exécution des ordonnances royales et des traités. Aux libertini de Rome, l’empereur permit l’exercice de leur culte, et cet exemple de tolérance servit de règle pour l’avenir. Les Judéens romains purent avoir leurs maisons de prière et tenir leurs assemblées religieuses ; ils eurent le droit d’envoyer tous les ans leurs dons au temple de Jérusalem, bien qu’il fût généralement défendu d’exporter de grosses sommes de Rome à l’étranger. Les Judéens romains recevaient aussi leur part des distributions de blé faites au peuple. Si ces distributions devaient avoir lieu le jour du sabbat, les Judéens recevaient leur part le lendemain. Ainsi l’avait réglé l’empereur. Octave donna à Hérode les quatre cents Gaulois qui
formaient la garde de Cléopâtre et lui restitua les villes maritimes et le territoire
de Jéricho, qu’Antoine avait enlevés à Hérode était parvenu désormais au faite de la puissance
loin de s’acharner après lui, le malheur l’avait grandi. Mais il ne devait
pas jouir longtemps de ses succès ; le châtiment de ses forfaits l’attendait,
s’attachant à ses pas, transformant ses joies en amertume. Dans sa maison
même, un drame se déroula, tel que l’imagination d’un poète ne peut en
concevoir de plus tragique. Mariamne, qui, pendant l’absence d’Hérode, avait
été traitée, ainsi que sa mère, comme une prisonnière, avait appris de son
geôlier, Soëm, l’ordre secret donné par Hérode d’égorger les deux femmes si
la nouvelle de sa mort lui parvenait. Au retour d’Hérode, Mariamne ne lui
cacha pas la haine qu’il lui inspirait. Le cœur de ce prince était torturé à
la fois par l’amour qu’il ressentait pour la femme et par la haine qu’il
éprouvait pour l’ennemie de sa personne et de son pouvoir. Affolé par ce
double sentiment, il n’était que trop disposé à prêter l’oreille aux
délations de sa sœur Salomé, qui vint accuser Mariamne d’avoir corrompu un
des échansons du roi pour l’empoisonner. Dans l’interrogatoire qui
s’ensuivit, il fut prouvé que Mariamne connaissait les ordres secrets donnés
à Soëm. Cette trahison d’un de ses serviteurs les plus chers excita au plus
haut point la jalousie du prince et déchaîna toute la furie de ses passions.
Soëm fut aussitôt mis à mort. Mariamne fut amenée devant un tribunal convoqué
par Hérode et accusée par lui d’adultère et de tentative d’empoisonnement.
Les juges crurent être agréables au prince en prononçant la peine capitale.
La plus ravissante fille de Juda, la belle Hasmonéenne, l’orgueil de la
nation, marcha donc du tribunal à l’échafaud. Elle y monta calme et résolue,
sans faiblesse et sans crainte, et resta digne de ses aïeux (29). Mariamne était
l’image de La mort de Mariamne, loin d’éteindre la soif de vengeance dans le cœur d’Hérode, exalta au contraire son ressentiment jusqu’à la fureur. Il ne put se résigner à la perte de cette femme, et son désespoir ne connut pas de limites. Le trouble de son âme altéra sa santé ; il tomba malade à Samarie, et la gravité de son mal fit craindre pour sa vie. Alexandra voulut profiter de l’occasion pour s’emparer de Jérusalem et détrôner son mortel ennemi. L’imminence du danger ranima l’énergie d’Hérode : Alexandra fut condamnée à mort et promptement exécutée (vers l’an 29). Avec elle s’éteignit le dernier rejeton de la souche des Hasmonéens. Elle avait vu périr successivement son beau-père Aristobule II, son époux Alexandre, Antigone son beau-frère, Aristobule III son fils, Hyrcan II son père et sa fille Mariamne. Le reste du règne d’Hérode n’offre rien de saillant.
Toujours occupé à flatter Auguste et Rome, se livrant à son goût pour les
constructions et pour les spectacles, ce prince termina ses jours au milieu
des complots sans cesse renaissants, des intrigues de cour suivies de
nouveaux crimes et de nouvelles exécutions. Pour conserver les bonnes grâces
d’Auguste, il institua à Jérusalem des fêtes quinquennales en mémoire de la
bataille d’Actium ; il bâtit un théâtre et un hippodrome, organisa des luttes
d’athlètes et des combats d’animaux. Les Judéens virent avec raison dans ces
mesures des tentatives faites pour transformer le culte national en religion
païenne ; les trophées et les aigles romaines qui décoraient le théâtre,
c’étaient, à leurs yeux, les idoles de Rome envahissant Mais ces constructions, qui satisfaisaient son amour du faste, ne suffisaient pas à son ambition. Renonçant à l’attachement de ses sujets, il voulait forcer l’admiration des nations voisines et rendre son nom populaire parmi elles. Il accabla le peuple d’impôts, multiplia les exactions, fit ouvrir les tombeaux des rois pour y trouver des trésors ; ceux qui étaient accusés de quelque vol, il les vendait comme esclaves à l’étranger. Toutes ces recettes passèrent en prodigalités et furent employées à embellir des villes de Syrie, d’Asie Mineure et de Grèce. Toutefois, si Hérode jouissait de l’admiration et de la
sympathie des Grecs, des Romains et des Judéens de la dispersion, le peuple
de Malgré toutes les précautions prises, Hérode ne se fiait pas au peuple. Il prit à sa solde une nuée d’espions qui allaient se mêler aux groupes populaires, attentifs aux conversations. Souvent lui-même, sous un déguisement, pénétrait dans ces réunions, et malheur alors à qui laissait échapper une parole de mécontentement ! Il était arrêté sur-le-champ et enfermé dans une forteresse, ou supprimé par des mains inconnues. Mais la faveur populaire est douce, même au cœur des tyrans. Hérode y tenait d’autant plus qu’il voulait passer, aux yeux des Romains, pour un prince aimé du peuple. Ce sentiment, joint à son amour pour les constructions, lui inspira la pensée de transformer le temple, vieux de cinq siècles, petit, mesquin et de style démodé, en un sanctuaire neuf et magnifique. Il fit part de son projet aux chefs de la nation, qui en furent effrayés. Ils craignaient qu’Hérode ne voulût seulement démolir l’ancien sanctuaire, ou que la reconstruction ne traînât en longueur. Hérode les rassura en leur promettant de ne pas toucher au vieux temple que les matériaux et les ouvriers ne tussent tous rassemblés. Des milliers de chariots amenèrent sur le chantier d’énormes pierres de taille, des blocs de marbre. Dix mille hommes, experts dans l’art de la construction, se mirent à l’œuvre. Ce travail commença dans la 18e année du règne d’Hérode (janvier 19). L’intérieur du temple fut achevé en un an et demi. La construction des murs, des portiques et colonnades demanda huit ans, et longtemps après, on travaillait encore aux parties extérieures. Le temple d’Hérode était un chef-d’œuvre que les contemporains ne pouvaient assez admirer. Il se distinguait du sanctuaire de Zorobabel par des proportions plus vastes et une splendeur plus grande. Il était bâti en amphithéâtre, ce qui permettait de le voir de loin. En deçà du mur extérieur et dans toute sa longueur, couraient des portiques et des colonnades, recouverts d’une charpente de cèdre et dallés de pierres de couleur. Le premier parvis, entouré par les colonnades, servait de lieu de réunion pour le peuple. Les païens et les personnes impures ne pouvaient pénétrer au delà de ce parvis. Hérode fit faire des inscriptions en grec et en latin, gravées sur des colonnes, pour avertir les païens de ne pas avancer plus loin. Ces inscriptions, gravées en gros caractères, se composaient de sept lignes et étaient ainsi conçues : Aucun étranger ne peut circuler à l’intérieur de la balustrade et de l’enceinte qui entourent le sanctuaire : quiconque s’y risquerait s’exposerait à perdre la vie ! — Le deuxième parvis (hel), primitivement entouré d’une balustrade en bois (soreq), reçut, sous Hérode, une enceinte de pierre d’une médiocre hauteur.
La distribution du temple même ne fut guère modifiée et resta ce qu’elle était dans l’ancien : le temple se composait toujours de trois cours à ciel ouvert (azarah) et du sanctuaire, couvert d’une toiture. Les murs du sanctuaire étaient de marbre blanc et poli ; bâtis sur le sommet de la colline du Temple et dominant le portique, ils offraient de tous côtés un aspect imposant. L’espace situé devant le sanctuaire était divisé en plusieurs parties réservées aux femmes, au peuple, aux prêtres et au service des sacrifices. Pour l’ornementation des battants, poteaux et linteaux des portes du sanctuaire, Hérode déploya le plus grand luxe. La porte conduisant à la cour des femmes avait des battants en airain de Corinthe ; ce merveilleux monument était le don d’un riche habitant d’Alexandrie, nommé Nicanor, qui était sans doute, à cette époque, l’arabarque des Judéens d’Égypte. Cette porte était désignée sous le nom de porte de Nicanor. De la porte de Nicanor, un escalier de quinze marches conduisait à la cour d’Israël, dans laquelle on pénétrait par une porte appelée la porte haute, à cause de sa position élevée. Le toit du temple était muni de pointes dorées, destinées à empêcher les corbeaux et les autres oiseaux d’y venir nicher. Ces pointes servaient en même temps de paratonnerres, mais les constructeurs n’avaient guère songé à cet emploi. La dédicace du nouveau temple bâti par Hérode effaça, par sa pompe, les magnificences déployées lors de la dédicace du temple de Salomon. On immola hécatombes sur hécatombes et l’on offrit des festins au peuple. Le jour de l’inauguration tomba précisément vingt ans après qu’Hérode se fut, de ses mains sanglantes, emparé de Jérusalem (juin 18). — Mais celui-là même qui avait construit le temple avait en même temps allumé la torche qui devait le consumer. C’est en effet sous la sauvegarde de Rome qu’Hérode plaça le saint monument. Au-dessus de l’entrée principale, il avait, au grand scandale des pieux Israélites, fixé un aigle d’or, symbole de la puissance romaine. La tour Antonia, destinée à surveiller le temple, fut reliée au sanctuaire par un passage souterrain, pour faciliter la répression des moindres soulèvements qui pouvaient éclater. La défiance vis-à-vis de ce peuple qu’il avait asservi étreignait le cœur d’Hérode. Dans la dernière période de son règne, un malheur terrible vint frapper Hérode, alors âgé d’environ soixante ans, et le mit dans cet état de sombre désespoir où l’homme finit et où la bête commence. Les cadavres de ses innocentes victimes se dressaient devant lui comme des fantômes, le poursuivant endormi ou éveillé, faisant de son existence un supplice infernal et sans fin. Vainement il chercha un cœur ami pour lui demander conseil ou consolation. Salomé, sa sœur, Phéroras, son frère, ses propres enfants, tous étaient devenus ses ennemis et conspiraient contre son repos et sa vie. Cette existence tourmentée le rendit encore plus implacable et plus féroce pour tout son entourage. La cause première de son malheur, ce fut la mort de Mariamne. Elle lui avait laissé, en même temps que deux filles, deux fils, Alexandre et Aristobule, qui, instruits de la mort de leur mère, refusèrent au meurtrier toute affection. C’étaient eux pourtant qu’en qualité de descendants des Hasmonéens, Hérode avait destinés à lui succéder. Il les avait envoyés à Rome pour qu’ils apprissent de bonne heure à gagner les bonnes grâces d’Auguste et pour les initier à la vie romaine. II unit Alexandre à Glaphyra, fille d’Archélaüs, roi de Cappadoce, et Aristobule à Bérénice, fille de Salomé. Dans ce dernier mariage, Hérode semble avoir eu pour objet d’amener le bon accord parmi les membres de la famille royale. Mais la haine de Salomé et de Phéroras contre Mariamne l’Hasmonéenne contrecarra ses projets de conciliation. Ils surent engager Hérode à rappeler auprès de lui le fils de Doris, sa première femme, qu’il avait chassé avec sa mère lors de son mariage avec Mariamne, et à le traiter en prince. Le fils de Doris, Antipater, avait dans le sang toute la perfidie, l’hypocrisie et la dureté de cœur de la famille iduméenne, et il tourna sa perversité contre les siens, contre son père et ses frères. Salomé, Phéroras et Antipater, quoique ennemis mortels, s’unirent dans une haine commune contre les fils de Mariamne. Plus Hérode montrait de prédilection pour Alexandre et Aristobule, plus la sympathie du peuple s’attachait à ces jeunes descendants de la famille des Hasmonéens, plus aussi la haine grandissait dans le cœur des conjurés. Antipater accusa Alexandre et Aristobule de vouloir venger la mort de leur mère sur son meurtrier. Des propos imprudents, échappés aux deux princes dans un moment d’humeur, donnèrent un prétexte à l’accusation. L’âme soupçonneuse d’Hérode accueillit avidement cette calomnie. Il prit ses fils en haine et, pour les punir, accorda à Antipater les mêmes droits à sa succession. Les fils de l’Hasmonéenne, exaspérés, éclatèrent en paroles imprudentes qui furent rapportées à leur père, grossies et dénaturées : on les accusa d’avoir formé une véritable conspiration contre la vie d’Hérode. Antipater eut soin de fournir les preuves de leur prétendu crime. Mis à la torture, les serviteurs et les amis des jeunes princes déclarèrent tout ce qu’on voulut. Un tribunal de cent cinquante membres, tous dévoués à Hérode, réuni à Béryte, condamna ses deux fils, sur ces allégations extorquées. Hérode se hâta dei les faire exécuter : transportés à Samarie, dans la même ville où leur père dénaturé avait, trente ans auparavant, célébré ses noces avec Mariamne, ils firent décapités, et leurs cadavres inhumés à Alexandrie (vers l’an 7). La mort de ses fils n’avait pas mis fin aux intrigues contre Hérode : au contraire, elles reprirent de plus belle. Hérode avait promis la couronne à Antipater, mais celui-ci ne se croyait pas assuré de la succession au pouvoir, tant que son père serait en vie. Il s’unit secrètement avec Phéroras, pour attenter aux jours de son père et de son bienfaiteur. Mais ses infâmes projets furent découverts. Diverses circonstances, jointes aux déclarations de plusieurs témoins, révélèrent à Hérode la tentative faite par Antipater pour l’empoisonner. Ce fut un coup terrible pour le vieux roi, et sa fureur ne connut pas de bornes. Cependant il dut dissimuler et feindre l’amitié la plus vive pour Antipater, afin de le décider à revenir de Rome à Jérusalem. Lorsqu’il fut de retour, son père l’accabla de reproches ; devant un tribunal présidé par le proconsul romain Quintilius Varus, il l’accusa d’avoir causé la perte de ses deux frères et d’avoir cherché à le faire périr lui-même. Le monstre osa protester de son innocence ; mais Nicolas de Damas, l’ami d’Hérode, reprit le réquisitoire du roi, et Antipater fut condamné à mort. Hérode demanda à Auguste la confirmation de ce jugement. Accablé sous le poids de tant de douleurs, le vieux roi tomba malade. Toutes ses espérances étaient anéanties. Auquel de ses fils survivants devait-il se fier désormais ? Pour la troisième fois, il changea l’ordre de la succession. — Cependant, loin de le calmer et de lui inspirer la douceur et la pitié, le malheur ne faisait que l’aigrir et aiguiser sa cruauté. Un léger méfait commis par des jeunes gens fut puni par ce vieillard, fatigué de la vie et déjà au seuil de la tombe, avec la dureté implacable qui le distinguait, lorsque d’audacieux rêves d’ambition gonflaient encore son cœur. Les pharisiens, qui ne l’aimaient pas, furent accusés d’avoir pris part à la conspiration dirigée contre sa vie. Aussi en fit-il exécuter un certain nombre, convaincus d’avoir été mêlés au complot, et soumit-il les autres à une surveillance étroite. De leur côté, les Pharisiens ne cessèrent d’exciter la jeunesse des écoles contre l’Iduméen, le courtisan de Rome. Ils surent le faire sans danger, en appliquant, par des artifices de rhétorique, les menaces des prophètes contre le peuple iduméen à Hérode et à sa famille. Sous prétexte d’interprétation de l’Écriture sainte, les docteurs pouvaient exprimer impunément leurs secrètes pensées. Parmi les pharisiens les plus hostiles à Hérode et aux
Romains, se distinguaient surtout Juda ben Tsippori et Matthia
ben Margaloth. Lorsque le bruit de l’agonie du roi arriva à leurs oreilles,
ces docteurs, aimés de la jeunesse, la poussèrent à jeter bas l’aigle d’or
dont il avait surmonté le portail du temple et qu’ils considéraient comme une
profanation du sanctuaire. La nouvelle de la mort d’Hérode, qui s’était
répandue dans Jérusalem, favorisait l’entreprise. Aussitôt les jeunes
disciples accoururent au temple armés de haches, se hissèrent au-dessus de la
porte à l’aide de cordages et abattirent l’aigle d’or. A la nouvelle de cette
émeute, les soldats d’Hérode marchèrent contre les jeunes gens ;
quarante d’entre eux et les deux chefs furent pris. A la vue des victimes
offertes à sa colère, l’énergie du vieux roi se réveilla. Pendant
l’interrogatoire des coupables, il dut pourtant entendre des paroles qui lui
prouvèrent son impuissance à briser la volonté du peuple. Les accusés
avouèrent sans crainte ce qu’ils avaient fait et ils s’en vantèrent. On leur
demanda qui les avait poussés à cet acte : Mais la justice divine n’allait pas tarder à s’appesantir sur Hérode et à le flageller plus durement que la voix vengeresse des docteurs (le livre de Kohéleth ou l’Ecclésiaste, qui parut à cette époque, n’est autre chose qu’un virulent et ingénieux pamphlet contre Hérode). La dernière joie qu’il éprouva, avant de succomber à son horrible mal, fut en même temps pour lui un véritable supplice. Auguste lui fit savoir qu’il lui permettait de châtier à son gré le misérable Antipater. Le plaisir de la vengeance calma pour un moment les souffrances d’Hérode ; mais aussitôt ses douleurs devinrent si vives qu’il faillit en finir avec la vie en se donnant la mort à coups de couteau. Son parent Achiab lui arracha l’arme des mains. Les gémissements qui éclatèrent dans le palais parvinrent aux oreilles d’Antipater, dans la prison où il était retenu. Antipater se remit à espérer d’avoir la vie sauve ; il supplia son geôlier de le mettre en liberté. Le geôlier, ne voulant pas risquer légèrement sa tête, courut dans les appartements du palais pour s’assurer si le roi vivait encore. Quand Hérode apprit de sa bouche qu’Antipater espérait lui survivre, il ordonna à ses gardes de le mettre à mort sur-le-champ, ce qui fut fait. Bien qu’Antipater eût mérité dix fois ce châtiment, sa mort indigna cependant tous les cœurs : c’était le troisième de ses fils qu’Hérode condamnait au supplice. A la nouvelle de l’exécution d’Antipater, Auguste, dont les sentiments n’étaient guère plus tendres pour sa propre fille Julie, ne put s’empêcher de s’écrier : J’aimerais mieux être le pourceau d’Hérode que son fils. Plus tard, la légende attribua à Hérode le massacre de tous les enfants de Bethléem et des environs, âgés de moins de deux ans, parce qu’il avait appris que le Messie, fils de David, était né dans ce bourg. Mais ce crime-là, du moins, n’est pas imputable à ce grand criminel. La dernière pensée d’Hérode fut encore une pensée odieuse il manda à Jéricho les plus notables Judéens, les fit enfermer dans l’hippodrome et ordonna à sa sœur Salomé et au mari de celle-ci, Alexas, de les faire tuer par ses gardes, dès qu’il aurait rendu le dernier soupir : il voulait que la nation pleurât, à ses funérailles, au lieu de manifester de la joie. Il mourut cinq jours après l’exécution d’Antipater (au printemps de l’an 4), à l’âge de soixante-neuf ans, la trente-septième année de son règne. Ses flatteurs l’appelèrent Hérode le Grand, mais le peuple ne vit en lui que l’esclave hasmonéen. Tandis que ses dépouilles étaient transportées en grande pompe à Hérodium, accompagnées de mercenaires thraces, germains et gaulois, et des troupes qu’on nommait les soldats d’Auguste, le peuple célébra sa mort comme un jour de fête. |