Première époque — La restauration
A cette époque, en effet, parut un homme, un fils de roi,
qu semblait avoir reçu mission de compliquer la situation déjà inextricable
de Il manœuvra si bien, qu’il obtint de quitter Rome et d’y faire envoyer à sa place et agréer comme otage son neveu Démétrius, fils du roi Séleucus Philopator. Antiochus retourna donc en Syrie, vraisemblablement avec l’intention d’enlever la couronne à son frère. Mais un autre l’avait prévenu. Héliodore, un des grands de la cour, avait tué Séleucus (175) et s’était emparé du trône. Antiochus était-il tout à fait innocent de ce meurtre ?... Il se trouvait alors à Athènes, en route pour son pays. Eumène, roi de Pergame, et son frère Attale, lui rendirent l’insigne service de le défaire d’Héliodore et de le nommer lui-même roi de Syrie et d’Asie. C’est ainsi qu’Antiochus Épiphane inaugura son règne par la ruse et par l’usurpation ; car le trône revenait de droit à son neveu Démétrius, retenu à Rome en qualité d’otage. Les Romains firent bonne mine à l’usurpateur : ces dissensions dans les familles régnantes ne pouvaient qu’affaiblir les royaumes dont la possession espérée ne leur était pas encore dévolue. Et Antiochus prétendait jouer au plus fin avec cette tactique romaine ! — Un voyant judaïte a tracé de son avènement une peinture frappante : A sa place apparaîtra un homme vil, sur qui on n’aura pas jeté la pourpre royale ; il viendra inopinément et s’emparera de la royauté par des voies doucereuses. Et en vue d’une alliance avec lui, il emploiera la ruse, et il montera, et il triomphera avec peu d’auxiliaires. Il arrivera à l’improviste avec les notables du pays, et il fera ce que n’ont fait ni ses pères ni les pères de ses pères. Il leur prodiguera (à ces notables) butin et dépouilles [Daniel, XI, 21-24]. Et de fait, sa prodigalité est devenue proverbiale. Il s’était d’ailleurs affranchi de tout scrupule religieux : nul égard pour les dieux de ses pères, nul égard pour un dieu quelconque, car il se croyait au-dessus de tout [Ibid., 37]. Ce monstre sans cœur, sans foi ni loi, méprisant et les
hommes et les choses les plus saintes, tenait les Judéens à sa
discrétion ; car, par le fait de sa royauté usurpée, ils lui
appartenaient et étaient à la merci de ses caprices. Unie par la concorde,
peut-être C’est alors que les Hellénistes mirent à exécution le projet, longtemps caressé, de dépouiller de sa dignité leur autre ennemi, le grand prêtre Onias. Son propre frère, Jésua ou Jason, promit à Antiochus une somme d’argent considérable pour qu’il consentit à lui conférer la grande prêtrise, et le roi besogneux n’y fit nulle difficulté (174). On l’avait probablement fait passer auprès du nouveau roi pour un partisan des Ptolémées. Le second acte des Hellénistes ou du grand prêtre Jésua,
dit Jason, fut de demander à Antiochus que tous les Judéens exercés aux jeux
helléniques fussent considérés comme Antiochiens ou Macédoniens, en d’autres
termes, comme jouissant de tous les droits des citoyens, et admis, par
conséquent, à prendre part aux assemblées et aux jeux publics des Grecs. Les
jeux, pour ces derniers, étaient chose sérieuse, et même la plus sérieuse de
toutes. Les Grecs établis dans Mais on ne tarda pas à reconnaître combien ces jeux, de création exotique, étaient peu compatibles avec l’esprit du judaïsme. Pour ces différents exercices, on se dépouillait de tout vêtement ; ainsi le voulait la coutume grecque. Les jeunes Judaïses qui s’y soumettaient devaient donc braver la pudeur à la face même du temple, de ce temple où il était interdit même d’accéder par des degrés à l’autel, pour ne pas découvrir sa nudité. Mais une autre honte encore les tenait. En découvrant leur corps, ils laissaient voir le signe de l’alliance, ce signe qui les faisait aussitôt reconnaître entre tous. Devaient-ils figurer, dans ces conditions, aux jeux Olympiques et s’exposer ainsi à la risée des Grecs ? Mais cette honte aussi ils s’en affranchirent, et cela au moyen de prépuces artificiels, se soumettant ainsi à une opération douloureuse pour ne pas trahir leur origine judaïque. Bientôt les jeunes gens se pressèrent en foule au gymnase ; les jeunes prêtres négligeaient le service du temple pour prendre part aux jeux de la palestre et du stade. Les hommes pieux virent avec effroi cet abandon du caractère national, mais ils se turent. Du reste, ceux-là mêmes qui partageaient les idées de Jason désapprouvaient sa faiblesse pour l’élément étranger, du moment qu’elle mettait en péril l’essence même du judaïsme. Lorsqu’on célébra à Tyr, en juin 12, les jeux Olympiques[1], à l’occasion desquels ou offrait des sacrifices à Héraclès (l’Hercule des Grecs), qui avait, disait-on, institué ces jeux, Jason y envoya des messagers déjà rompus aux jeux publics et autorisés, par conséquent, à y prendre part. Il leur remit en même temps une somme (300 ou 3.300 drachmes) destinée à l’achat de sacrifices en l’honneur d’Héraclès. Mais ces hommes, bien que déjà stylés aux idées et aux mœurs grecques, éprouvèrent des scrupules ; agir ainsi leur parut se rendre complices de l’idolâtrie et reconnaître pour Dieu une statue de marbre. Ils stipulèrent donc qu’ils resteraient maîtres d’appliquer la somme à un autre usage. On voit combien la croyance au Dieu du judaïsme était fortement ancrée, même dans le cœur des plus fervents amis de l’hellénisme. La somme emportée par les messagers de Jason fut employée au profit d’une flotte qu’Antiochus faisait équiper à Tyr. Cependant la discorde grandissait à Jérusalem à un tel point qu’il n’en pouvait sortir que des conséquences désastreuses. Les Hellénistes, mécontents, intriguaient pour renverser Jason lui-même et mettre la main sur la grande prêtrise, soit qu’ils y fussent poussés par l’ambition, soit que le frère d’Onias leur parût encore trop bon Judéen ou trop faible pour aider à la ruine des mœurs antiques. Ils rêvaient cette dignité pour l’un d’entre eux, homme sans scrupules ai préjugés, Onias, dit Ménélaüs, frère de ce Simon qui avait dénoncé le trésor du temple et son détenteur Onias. Envoyé par Jason pour remettre à Antiochus les prestations annuelles, Ménélaüs promit au roi de lui payer trois cents talents de plus par an, s’il était nommé grand prêtre, et se vanta de jouir d’une haute considération, qui lui permettrait de servir plus efficacement que Jason les intérêts du roi. Celui-ci, sans balancer, conféra au plus offrant la dignité pontificale (172-171). En même temps, il envoya à Jérusalem un de ses officiers, Sostrate, à la tête d’une troupe de soldats cypriotes, avec mission de réprimer toute résistance à ses ordres et de tenir la main à l’exécution de l’engagement contracté. Sostrate logea sa troupe dans la citadelle de l’Acra, pour tenir en respect les habitants de Jérusalem, et prononça au nom du roi la déchéance de Jason. Ce dernier s’enfuit ou fut exilé de Jérusalem, et se retira dans l’Ammonitide, au delà du Jourdain, chez un certain Arétas, prince nabatéen, qui l’accueillit amicalement. Ce nouvel état de choses ne fit qu’augmenter le désordre qui régnait à Jérusalem. La majeure partie du peuple voyait avec indignation les saintes fonctions de grand prêtre aux mains d’un Ménélaüs, qui n’était même pas de famille sacerdotale, mais probablement un simple Benjamite, et dont on connaissait l’aversion pour les mœurs antiques. Même des gens épris de grécomanie et de nouveautés étaient mécontents du choix d’un tel grand prêtre. Les uns et les autres étaient forcés de se contenir en présence du commandant syrien et de ses soldats cypriotes. Mais les esprits étaient en proie à une surexcitation violente, qui ne demandait qu’une occasion pour éclater. Cette occasion, c’est Ménélaüs qui la fit naître. Il avait promis au roi, en échange de la tiare, plus qu’il ne pouvait tenir. Antiochus se fâcha et l’invita à venir se justifier. Obligé de se rendre à Antioche, Ménélaüs laissa à Jérusalem, pour le suppléer, son digne frère Lysimaque, et détourna du temple des offrandes votives, dont il comptait employer le produit à parfaire le payement en souffrance. Le digne Onias III, l’ancien grand prêtre, qui vivait toujours à Antioche, fut instruit de cet attentat ; il sut aussi que le misérable, à Tyr et dans d’autres villes de Phénicie, avait fait argent de plusieurs vases sacrés du temple. Outré de colère, il accusa Ménélaüs de sacrilège, crime qui passait alors, chez les Grecs aussi, pour exceptionnellement grave et condamnable. Mais cette accusation hâta sa propre mort ; car Ménélaüs se concerta avec Andronique, lieutenant du roi, pour se débarrasser de lui avant qu’Antiochus, alors absent, eût connaissance du vol sacrilège et de l’usage auquel il devait servir. Andronique, intéressé lui-même à l’affaire, se prêta facilement à ce qu’on lui demandait. Onias, menacé, s’était réfugié dans le temple d’Apollon, à Daphné, près d’Antioche ; au moyen de promesses et des serments les plus solennels, Andronique sut l’attirer hors de cet asile et le tua sur place (171). Ce nouveau crime mit le comble aux infamies de Ménélaüs. Le meurtre du vénérable Pontife produisit une telle sensation, même parmi les Grecs de Syrie, qu’Antiochus, après son retour, ne put laisser Andronique impuni. Mais ce n’était pas assez, pour Ménélaüs, d’avoir fermé la bouche à son accusateur ; il fallait aussi contenter le roi et se conserver ses bonnes dispositions. Pour réaliser des ressources suffisantes, il chargea son frère Lysimaque d’enlever encore du temple un certain nombre d’offrandes précieuses et de les lui faire parvenir. Ces rapines ne pouvaient rester ignorées ; lorsqu’on eut connaissance et du fait et de l’auteur, celui-ci devint l’objet d’une animadversion violente, bientôt suivie d’effet. Ceux mêmes qui habitaient hors de la ville, lorsqu’ils apprirent le forfait des deux autres, accoururent à Jérusalem, et, de concert avec les habitants, menacèrent de mort le profanateur. Mais Lysimaque arma ses partisans et mit à leur tête un certain Avran, vieux pécheur, son pareil. Le peuple, bien que sans armes, ne craignit pas de tenir tête à cette bande armée ; il se rua sur elle à coups de pierre, à coups de bâton, l’aveugla en lui jetant des tas de cendres, tua les uns, terrassa ou mit en fuite les autres. Lysimaque lui-même périt à deux pas du temple. Ménélaüs déféra les séditieux de Jérusalem à la justice du roi, qui tint des assises à Tyr pour écouter les deux parties. Trois membres du Conseil, délégués à cet effet par le peuple, établirent d’une manière si convaincante la culpabilité de Lysimaque et de son frère, que Ménélaüs aurait dû nécessairement perdre sa cause. Mais cet homme, toujours fertile en expédients, sut mettre dans ses intérêts un misérable de son espèce, qui avait l’oreille du roi, et qui fit pencher la balance en faveur du coupable. Du haut de son siège de juge, Antiochus déclara Ménélaüs innocent, et condamna à mort les trois délégués qui l’avaient confondu sans réplique. Les Tyriens témoins de cet acte d’iniquité manifestèrent leur indignation en suivant, avec un intérêt sympathique, le convoi funèbre des trois nobles victimes. Le crime triomphait. Ménélaüs restait maître d’un peuple qui l’exécrait. Pour conjurer les effets de cette haine, il imagina de nouvelles ruses, de nouvelles infamies. Il glissa le poison de la calomnie dans l’oreille du roi contre ses ennemis, c’est-à-dire contre le peuple entier. Il prétendit d’abord que ses ennemis étaient du parti de la cour d’Égypte, et ne le persécutaient lui-même que parce qu’il contrecarrait leurs efforts. Ensuite, il ne craignit pas, lui, le grand prêtre d’Israël, de calomnier tout le judaïsme. A l’entendre, la loi donnée par Moïse au peuple israélite enseignait la haine du genre humain, défendait de s’asseoir à la table des étrangers, de leur donner aucune marque de bienveillance. Cette loi de haine, il fallait l’abolir ! Antiochus, préoccupé alors de l’unique pensée de conquérir l’Égypte, prêta facilement l’oreille aux impostures de Ménélaüs, et prit en suspicion le peuple juif. Il ne pouvait lui être indifférent, au moment où il méditait une expédition périlleuse contre l’Égypte, de laisser derrière lui un ennemi. Toutefois, il différa longtemps l’attaque, retenu qu’il était par la crainte des Romains. Mais, les voyant s’engager de plus en plus dans une guerre avec Persée, roi de Macédoine, il se risqua enfin à franchir la frontière égyptienne (automne de 170). Il battit l’armée ennemie près de Péluse, et pénétra de plus en plus dans l’intérieur du pays. En Judée, on suivait la marche de cette guerre avec la plus grande anxiété. Si l’Égypte avait le dessus, on pouvait espérer de voir cesser la triste situation créée par ce grand prêtre imposé et odieux à tous. La cour d’Égypte était favorable au parti national judaïque, et accueillait les patriotes qui y cherchaient un refuge contre la tyrannie d’Antiochus et de Ménélaüs. Or, le bruit courut tout à coup qu’Antiochus avait succombé, et une vive émotion s’empara aussitôt des esprits. Le pontife révoqué Jason (Jésus) quitta l’Ammonitide, où il avait trouvé asile, et accourut à Jérusalem, à la tête d’un corps d’armée, dans le dessein de s’emparer de la ville. Comme de raison, Ménélaüs fit barricader les portes et repousser, du haut des remparts, les assauts de l’ennemi. Ainsi éclata une véritable guerre civile, née de l’ambition de deux hommes qui se disputaient le sacerdoce comme moyen de domination. Mais, comme l’exécré Ménélaüs, n’avait pour lui que la minime partie des habitants, Jason réussit à pénétrer avec sa troupe dans Jérusalem. Cependant Antiochus, chargé d’un riche butin, revenait d’Égypte (169), peut-être pour lever de nouvelles troupes et renforcer son armée. En apprenant ce qui se passait à Jérusalem, il entra en fureur contre les Judéens et le judaïsme. Sa nature perverse et féroce se donna carrière contre ce malheureux peuple. Il tombe comme la foudre sur Jérusalem, massacre les habitants, n’épargne ni le sexe ni l’âge, frappe l’ami comme l’ennemi ; puis, affichant son mépris pour le Dieu qu’on y adore, il pénètre dans le temple, jusque dans le sanctuaire, et en fait enlever tous les objets de valeur, l’autel d’or, le chandelier, la table, tous les vases précieux et ce qui restait du trésor sacré. Pour cette spoliation sacrilège, Ménélaüs lui servait de guide. Contre le Dieu d’Israël, — ce Dieu dont on exaltait la puissance et qui semblait impuissant devant son contempteur, — il exhale insolemment d’ironiques blasphèmes. Du reste, pour pallier ces sacrilèges et le massacre d’une population innocente, il fit courir une fable mi-partie d’hallucination et de mensonge, fable inspirée par son complice Ménélaüs, et qui devait longtemps ridiculiser le judaïsme aux yeux des peuples civilisés. Antiochus prétendit avoir vu dans le Saint des saints une image de pierre, l’image d’un homme avec une longue barbe ; cette statue était debout sur un âne et tenait en main un livre. Il l’avait considérée comme le simulacre du législateur Moïse, qui avait enseigné aux Israélites une doctrine abominable, ennemie de l’humanité, leur avait enjoint de se tenir à l’écart des autres peuples et de ne leur témoigner aucune bienveillance. Le bruit s’accrédita depuis lors, chez les Grecs et les Romains, qu’Antiochus avait trouvé dans le temple une tête d’âne en or, à qui les Juifs rendaient de grands honneurs, partant qu’ils adoraient un âne. C’est encore Antiochus, probablement, qui a donné cours ou prétexte à une calomnie infâme contre les Judéens : il aurait trouvé dans le temple un Grec couché sur un lit et qui l’aurait supplié de le délivrer. Les Judéens, disait-on, avaient coutume, chaque année, d’engraisser un Grec, de l’égorger, de goûter de ses entrailles, et, à cette occasion, de jurer haine à mort à tous les Grecs. Que cette calomnie émane réellement d’Antiochus ou lui ait été prêtée par des artisans de mensonge, elle a fait, en tout cas, au judaïsme une réputation aussi triste qu’imméritée, celle de manquer de charité envers les autres peuples. Voilà où devait aboutir la maladie de l’hellénisme, cette assimilation poursuivie depuis un demi-siècle aux dépens des bonnes mœurs et des saines traditions du judaïsme ! Un voile de deuil s’étendait sur Jérusalem, humiliation et
la honte pesaient sur la maison de Jacob. Princes
et Anciens gémissaient, jeunes gens et jeunes filles s’enveloppaient de
tristesse, la beauté des femmes avait disparu ; le marié se lamentait au lieu
de chanter ses amours, et la fiancée pleurait dans la chambre nuptiale...
Mais on n’était pas au bout, et des jours plus tristes encore étaient
réservés à Cette fois encore à ne trouva rien de mieux, pour
décharger sa colère, que d’exercer les plus atroces cruautés sur les Judéens.
S’étaient-ils réjouis de son échec et l’avaient-ils trop fait voir ?
Avaient-ils dit trop haut que leur Dieu, qui se plait à abaisser les
superbes, lui avait infligé cette honte ?... Un de ses lieutenants, Apollonius,
ci-devant gouverneur de Cependant cette désolation affligeait Ménélaüs lui-même,
cause première de tant de maux. Pour qui donc était-il grand prêtre, si le
temple restait vide ? pour qui prince du peuple, si le peuple lui tournait
le dos ? Il était mal à l’aise dans cette solitude, où il n’entendait
que l’écho de sa propre voix. Pour échapper à cet ennui, il imagina un
nouveau, mais abominable moyen. Il fallait anéantir le judaïsme, loi,
doctrine, pratiques, et contraindre ses sectateurs d’adopter le culte
hellénique. Antiochus, aigri et ulcéré, et contre les Judéens et contre leur
religion, accueillit l’idée avec empressement et la poursuivit avec sa
ténacité habituelle. Oui, il fallait que le peuple juif se laissât gréciser
pour lui rester fidèle, ou que la mort fait le prix de sa désobéissance. Mais
Antiochus, en agissant ainsi, n’avait pas seulement pour but de mater ce
peuple, il voulait aussi démontrer l’impuissance du Dieu d’Israël. Lui, à qui
les dieux de ses pères étaient fort indifférents, se sentait humilié comme
d’un outrage personnel, à la pensée que ce peuple, si cruellement persécuté,
était toujours plein de confiance en son propre Dieu, qu’il comptait le voir
foudroyer un jour l’orgueilleux blasphémateur. Ce Dieu d’Israël, il voulait
le défier, il prétendait le vaincre. C’est ainsi que, par un édit publié dans
Trois signes caractéristiques de la vie religieuse, distinction visible et tranchée entre les Judéens et les Gentils, furent particulièrement défendus sous des peines sévères : la circoncision, l’observance du sabbat et des fêtes, enfin l’abstinence des viandes immondes. Des surveillants eurent ordre de tenir la main à l’exécution de ces édits. C’étaient des bourreaux sans pitié, qui invariablement punissaient de mort toute infraction à la volonté royale. C’est par le temple de Jérusalem que commença cette
odieuse campagne. Le roi y envoya un des principaux habitants d’Antioche avec
mission expresse de vouer le sanctuaire à Zeus Olympien. Puis, sur l’autel du
parvis, on sacrifia un pourceau, dont on répandit le sang et sur l’autel et
dans le sanctuaire, sur la pierre qu’Antiochus avait prise pour l’image de
Moïse ; on fit cuire la chair de l’animal et l’on souilla de son jus les
feuillets de la sainte Écriture. Le soi-disant grand prêtre Ménélaüs et
d’autres Judéens hellénistes durent manger de cette chair impure. Il est
probable que le rouleau de Ainsi le temple de Jérusalem, l’unique asile de la sainteté sur la terre, était profané de fond en comble. Le Dieu d’Israël en était chassé, en apparence, par le Zeus des Grecs. Quelle fut l’attitude du peuple en présence de cet effroyable sacrilège, en présence des rigoureux décrets d’un roi sans cœur et de ses féroces agents ? Jamais plus grave épreuve ne lui avait été imposée. Quiconque professait ouvertement le judaïsme était menacé de mourir par la main du bourreau. Il n’était pas même permis de s’avouer Judéen. Cette première épreuve, le judaïsme en a triomphé ; son
alliance avec Dieu et sa doctrine, il l’a scellée du sang de ses martyrs. Les
Judéens répandus dans les villes de Syrie et de Phénicie, vivant dans le
voisinage immédiat des Grecs, et acculés à la conversion forcée, ceux-là, il
est vrai, durent baisser la tête, sacrifier ostensiblement aux dieux de Ces héroïques témoins de la foi se multipliaient de jour
en jour dans Mais toutes ces atrocités, loin d’intimider le peuple, ne faisaient qu’exalter son courage. Pour beaucoup d’Israélites, la mort avait perdu son épouvante. Plutôt même que de manger des aliments impurs, beaucoup préféraient mourir. Ces sentiments héroïques étaient provoqués et entretenus par la société rigoriste des Hassidéens. Des retraites où ils se cachaient, certains de ces derniers s’échappaient soudain, surgissaient au milieu des villes et des villages, rassemblaient les habitants et, par le feu de leurs discours, enthousiasmaient les forts, stimulaient les faibles. Leur prédication était d’autant plus puissante, qu’ils prêchaient d’exemple en affrontant la mort. Les commandants syriens de Jérusalem ne tardèrent pas à apprendre quels étaient les instigateurs de l’intrépide résistance du peuple ; les refuges des Hassidéens leur furent sans doute révélés par quelques misérables Hellénistes. Aussitôt le chef de la garnison, le Phrygien Philippe, se mit en campagne avec ses soldats. Un jour de sabbat, il fit cerner les cavernes où ils se tenaient cachés, hommes, femmes et enfants, un millier de personnes environ ; il les somma de sortir et d’obéir aux ordres d’Antiochus, leur promettant à ce prix la vie sauve. Non ! répondirent-ils tout d’une voix, nous n’obéirons pas à l’ordre de violer le sabbat ! Alors, sur le commandement de Philippe, on se dispose à l’attaque. Les Hassidéens, spectateurs impassibles, ne font aucun mouvement pour se défendre, ne remuent pas une pierre pour boucher l’entrée des cavernes, de peur d’enfreindre la loi du sabbat ; ils se bornent à attester le ciel et la terre qu’ils meurent innocents. Philippe et ses assassins lancent des brandons enflammés, et tous ces infortunés périssent dévorés par le feu ou asphyxiés par la fumée. Grande fut, la douleur des Judéens restés fidèles, quand ils apprirent la fin tragique de ces hommes, flambeaux et modèles de leur vie religieuse. Les plus hardis sentirent leur cœur défaillir. Comment finirait cette accablante épreuve ? Ce qui les atterrait surtout, c’était de ne voir paraître, en une si effroyable calamité, ni un prodige céleste qui leur rendit le courage et l’espérance, ni un prophète qui leur fit entrevoir le terme de cette sanguinaire oppression. Or, au moment même où l’écrasement des Judéens avait atteint son dernier période, alors qu’il ne leur restait plus d’autre perspective que d’être tous anéantis ou de céder à une inéluctable fatalité, — en ce moment même brilla le salut. L’instrument du salut, ce fut une famille dont les membres avaient au cœur une piété profonde, prête à tous les sacrifices, et savaient allier la prudence à un indomptable courage : c’était la famille des Hasmonéens ou Maccabées. C’est un vieillard et ses cinq fils qui ont révolutionné, relevé et sauvé le judaïsme. Le vieux père, — Mattathias, fils de Johanan et petit-fils de Siméon Hasmonaï, — était un Aaronide domicilié à Jérusalem, mais qui, à la suite des profanations commises, s’était retiré dans la petite ville de Modin, à trois milles au nord de Jérusalem. Chacun de ses cinq fils, futurs vengeurs de la patrie, avait un surnom particulier et d’apparence aramaïque : c’étaient Johanan (Jean) Gadi, Siméon Tharsi, Juda Makkabi, Éléazar Chawran et Jonathan Chaphous (Apphus). Cette famille hasmonéenne, très considérée et très influente, voyait avec une âcre douleur la situation désespérée du pays. Nos sanctuaires souillés, la libre fille de Juda devenue une vile esclave... A quoi bon vivre encore ? Ainsi parlait aux siens le vieux Mattathias, et alors il résolut de ne plus se borner à gémir dans une retraite obscure et dans une stérile attente, mais de se montrer et d’agir, en vengeant la sainte cause ou en mourant pour elle. Un des surveillants syriens, nommé Apellès, était arrivé à Modin pour sommer les habitants d’abandonner leur croyance et de pratiquer l’idolâtrie ; Mattathias s’y trouva avec intention, accompagné de ses fils et de ses adhérents. L’officier l’ayant invité à donner, en raison de sa haute, situation, l’exemple de l’obéissance à la volonté royale : Non, répondit-il, quand tous les peuples du royaume consentiraient à trahir la foi de leurs pères, moi, mes fils et mes frères, nous resterons fidèles à l’antique alliance ! En ce moment, un Judéen s’approchait de l’autel pour sacrifier en l’honneur de Jupiter... A cet aspect, le vieillard ne se contient plus, il s’élance indigné sur l’apostat et l’étend mort au pied de l’autel. Ses fils, armés de grands couteaux, tombent sur Apellès et ses hommes, les mettent à mort et démolissent l’autel. — Ce fut le signal du revirement. Cette action invitait les Israélites, par un éclatant exemple, à sortir de leur désespoir inerte, à accepter résolument la lutte, à ne plus se laisser immoler comme des victimes résignées. Après s’être fait le justicier des bourreaux d’Antiochus,
Mattathias s’écria aussitôt : Qui aime Aussi Mattathias n’eut-il garde, avec une si faible troupe, d’entamer une campagne en règle contre les Syriens. Connaissant tous les coins et recoins du pays, il se bornait à pénétrer à l’improviste dans les villes de province, à y renverser les temples et les autels de l’idolâtrie, à châtier les complices de l’ennemi, à courir sus aux Hellénistes qu’il rencontrait, et à marquer du sceau de l’alliance les enfants restés incirconcis. Peut-être encore, çà et là, si quelque détachement de Syriens se trouvait sur son passage, il les mettait en déroute. Si le commandant de la garnison de Jérusalem envoyait un corps important à la poursuite des Judéens rebelles, ils disparaissaient comme par enchantement et devenaient introuvables. Bref, c’est la petite guerre que faisait Mattathias, guerre qui n’est possible que dans les pays de montagnes et qui parfois y triomphe des plus puissants ennemis. Quand approcha la dernière heure du vieux Mattathias (167), ses fidèles combattants n’avaient pas à se mettre en peine de son successeur ; ils n’avaient que l’embarras du choix entre les cinq héros qui étaient ses fils. Le vieillard mourant désigna l’un des aînés, Siméon, pour le conseil, et Juda, le plus jeune, pour l’exécution et le commandement ; puis, dans un discours qui empruntait à la situation et à l’heure présente une grande puissance d’impression, il les exhorta à sacrifier leur vie pour l’alliance antique et à combattre les combats du Seigneur. La remise du commandement aux mains de Juda Maccabée accrut encore le succès de la résistance. Juda était un héros comme la maison d’Israël n’en avait pas encore vu depuis David et Joab, qu’il surpassait d’ailleurs en vertus et en sentiments élevés. Il s’échappait de son âme comme d’invisibles effluves qui électrisaient tous ses compagnons et les remplissaient d’un indomptable courage. Il avait, de plus, cette sûreté de coup d’œil par laquelle les grands capitaines savent juger l’heure opportune du combat, découvrir le côté vulnérable de l’ennemi et en profiter, ou lui donner le change par de feintes attaques. Si, d’un côté, il était semblable à un lion irrité, il avait, de l’autre, la douceur et la simplicité de la colombe. Humble et pieux comme pas un des meilleurs en Israël, il ne se confiait pas en son épée, mais dans l’assistance divine, qu’il invoquait avant toute bataille décisive. Juda Maccabée était le type du héros israélite, ne se résignant à verser le sang qu’en cas de nécessité, lorsqu’il s’agissait de relever son peuple opprimé et de reconquérir la liberté perdue. Aussi a-t-il attaché son nom à cette période tout entière. Il procéda d’abord comme avait fait son père, en ne sortant que furtivement ou la nuit pour châtier les apostats, donner du cœur aux hésitants et malmener de petits détachements syriens. Mais quand son parti fut devenu plus considérable, grossi de tous ceux qui jusqu’alors s’étaient résignés à l’oppression par indolence, de ceux encore que le spectacle des violences, des cruautés et des horreurs commises avait guéris de la folie de l’hellénisme, Juda osa alors se mesurer avec un corps d’armée considérable, commandé par le général en chef Apollonius. Ce dernier, ayant résolu de combattre les Judéens rebelles, mais n’osant affaiblir la garnison de Jérusalem ou plutôt de l’Acra, avait mis en mouvement les troupes de Samarie, renforcées d’autres corps qu’il avait recrutés un peu partout. Ce fut la première bataille rangée que risqua Juda, et elle se termina à son avantage (166). Apollonius y périt, et ses soldats tombèrent sur le champ de bataille ou durent chercher leur salut dans la fuite. Quelque peu nombreuse qu’ait pu être l’armée syrienne, sa défaite inspira une grande confiance aux guerriers judéens. Ils s’étaient trouvés, pour la première fois, en face de leurs terribles ennemis, ils avaient tenu bon, et ils voyaient dans leur victoire la preuve que Dieu, loin d’abandonner son peuple, le couvrait de son invisible égide. L’épée tombée de la main d’Apollonius passa dans celle de Juda, ce fut son arme de combat jusqu’au dernier jour de sa vie. Bientôt un autre général syrien, Héron, à la tête d’une grande armée, alla relancer dans les montagnes Juda et sa troupe de héros, qu’il espérait écraser par la supériorité du nombre. Des Hellénistes félons l’accompagnaient pour lui indiquer les meilleurs chemins à prendre dans cette région accidentée. En voyant cette puissante armée s’avancer par la montée de Béthoron, les guerriers judéens s’écrièrent : Comment pourrions-nous lutter contre eux ? Mais Juda sut les rassurer et leur rappela les trésors qu’ils avaient à défendre : leur existence, leurs enfants, leur Loi. Animés par ses paroles, ils fondirent avec impétuosité sur les Syriens et les taillèrent en pièces. Huit cents d’entre eux restèrent sur le champ de bataille, les autres s’enfuirent vers l’occident jusqu’au pays des Philistins. Cette première victoire décisive de Juda sur une armée supérieure en nombre (166) donna confiance aux Judéens dans le succès final de leur cause, en même temps qu’elle apprit aux étrangers à redouter la valeur du Maccabéen, son habileté stratégique et la force de résistance de son peuple. Que faisait cependant Antiochus, cause première de tous ces troubles ? Au début, il s’était peu inquiété des Judéens, persuadé que ses édits suffiraient pour les mater et les amener à ses vues de conversion religieuse. Mais il reconnut bientôt qu’il avait mal jugé leur caractère, lorsqu’il eut appris Ies échecs successifs de ses troupes et que le nom glorieux de Juda vint frapper son oreille. Tout d’abord, dans la première explosion de sa colère, il résolut d’en finir une bonne fois avec ces rétifs Judéens. Mais ce n’était pas chose facile à exécuter. Ses garnisons n’étaient pas fortes, et il faudrait les compléter par des troupes mercenaires. Pour s’en procurer, il fallait de l’argent, et l’argent tombait de plus en plus rare dans ses caisses, ses folles dépenses surpassant de beaucoup ses revenus. Les contributions du pays de Juda, il n’y fallait point compter : la guerre les avait supprimées. D’autres préoccupations encore venaient l’assaillir. Arsace, son satrape au pays des Parthes, s’était affranchi de la domination syro-babylonienne et déclaré libre, lui et son peuple. Artaxias, roi d’Arménie, peu soucieux de la suzeraineté d’Antiochus, agissait désormais en prince indépendant. Les habitants d’Aradus et d’autres villes phéniciennes lui refusaient, eux aussi, l’obéissance. Autant de pertes nouvelles pour le trésor royal. Pour combler le déficit, il fallait guerroyer avec les peuples réfractaires, et, pour faire la guerre, il lui fallait de l’argent. Il tombait ainsi d’un embarras dans un autre. Le roi maniaque réussit toutefois à réaliser une somme qui
lui permit d’engager des troupes mercenaires pour une durée d’un an. De ces
troupes, il comptait employer la moitié à une campagne qu’il dirigerait
lui-même contre les peuples insoumis de delà l’Euphrate ; il confia le
commandement de l’autre moitié à un dignitaire de sang royal, nommé Lysias,
qu’il institua son lieutenant et chargea de l’éducation militaire de son
jeune fils. Du reste, ses vues à l’égard du peuple judéen étaient tout autres
à présent. Il ne tenait plus à le gréciser. A ses charitables efforts pour le
relever par l’assimilation hellénique, ce peuple avait répondu par
d’insolents dédains ; il avait poussé l’audace jusqu’à attaquer les armées de
son bienfaiteur ; il s’était montré indigne du bienfait, il était
décidément incorrigible ! Il n’y avait qu’une chose à faire : l’exterminer
sans merci, l’anéantir ! — Lysias reçut donc l’ordre de marcher contre Lorsqu’ils eurent connaissance de ces projets, dont on ne
faisait d’ailleurs nul mystère, les Judéens furent saisis de terreur et de
désespoir, ceux-là surtout qui vivaient hors de Pour le moment, la situation n’était pas réjouissante.
D’heure en heure on attendait une nombreuse armée syrienne, dont la masse
énorme allait écraser les combattants Judéens. Il importait donc d’exciter le
peuple entier à lutter avec courage et persévérance. Un ouvrage d’un
caractère particulier, le livre de Daniel[2], fut composé à
cet effet et répandu parmi les Judéens qui savaient lire. Sans aucun doute,
il avait pour auteur un Hassidéen, qui l’avait destiné à ceux qui pensaient
comme lui. Ce livre apocalyptique, mi-parti de chaldéen et d’hébreu et
savamment ordonné, a pour but de glorifier, par de saisissants modèles, la
constance dans la foi religieuse, puis d’inculquer et de faire bien
comprendre au peuple que cette atroce persécution, qu’il subissait pour
l’amour de sa Loi, n’était qu’une épreuve passagère. De fait, les plus pieux
et les plus fidèles ne pouvaient se défendre d’en douter, aucun prophète
n’ayant assigné un terme à cette cruelle situation. Le livre de Daniel visait
à rassurer les esprits sur ce point. L’intuition prophétique n’a pas tout à
fait disparu en Israël ; oui, il y existe encore une sorte de vision de
l’avenir, qui révèle la fin et le but des souffrances ; il y a encore une prophétie pour ce temps !
Le livre montre d’abord des justes persévérant dans leur foi au milieu des
plus grands dangers et sauvés de la mort par leur persévérance ; il mêle
à cette leçon des peintures de l’avenir, peintures qui, dans la suite et vers
la fin du récit, en deviennent l’objet principal. Il fait voir en même temps
comment les rois qui ont osé, dans leur orgueil, attenter au sanctuaire ou
tyranniser les consciences, sont humiliés par Les empires fondés sur l’idolâtrie et sur la violence ne sauraient durer : telle est la conviction énergique qui s’affirme sous maintes formes dans le livre de Daniel, — formes tour à tour mystérieuses et transparentes, — et pareillement la chute certaine de l’exécrable empire syrien. Héritier de trois empires successifs (babylonien, médo-persan et macédonien), le quatrième exhalera des paroles blasphématoires contre le Très-Haut, cherchera à exterminer les saints, à abolir les fêtes et les plus saintes lois... Les saints lui seront livrés un temps, deux Temps et un demi-temps (trois ans et demi) ; après quoi la puissance sera dévolue au peuple des saints, elle lui appartiendra à jamais, et tous les maîtres de la terre lui rendront hommage. Le livre de Daniel, qui exprimait à mots couverts de pareilles pensées, fut sans aucun doute accueilli et lu par les Hassidéens avec une attention passionnée. Cette forme apocalyptique où chaque trait appelait une explication, où l’explication était fournie par l’actualité, ne le rendait que plus attrayant. N’avait-il pas résolu, d’ailleurs, la sombre énigme de la situation et dévoilé la cause finale des persécutions d’Israël ? Elles avaient pour but, d’une part, de lui faire expier ses péchés ; de l’autre, d’éprouver les vrais croyants. Le terme des tribulations avait été fixé dès l’origine, et ce terme avait sa signification mystique. Les empires du monde devaient naître et périr tour à tour. La fin des temps marquerait l’avènement de l’empire de Dieu, du royaume des saints. Ceux qui dorment dans la poussière, c’est-à-dire les victimes de la persécution, se réveilleront pour la vie éternelle. — Il y avait donc, à tout prendre, une prophétie de l’avenir, bien qu’il n’y eût point de prophète... Cependant le péril grandissait de jour en jour. Lorsque
Antiochus, à la tête d’une partie de son armée, s’était mis en marche pour
l’Orient, son lieutenant Lysias avait désigné pour général en chef Ptolémée,
fils de Dorymène, commandant de Cœlé-Syrie et de Phénicie, ayant sous ses
ordres, comme généraux en second, Nicanor, fils de Patrocle, et Gorgias.
Celui-ci reçut l’ordre d’ouvrir la campagne contre les Judéens, et ordonna à
ses troupes — qu’on évaluait, non sans exagération, à quarante mille hommes,
non compris la cavalerie — de pénétrer, en longeant le littoral, jusqu’au
cœur de Tandis qu’on traitait ainsi de leurs personnes, les
guerriers Judéens, déjà au nombre de six mille, se serraient autour de Juda
Maccabée, leur glorieux chef. Ce dernier, avant de les conduire à l’ennemi,
voulut exalter en eux cet esprit de sacrifice qui fait les héros. Il les
réunit en assemblée solennelle sur la hauteur de Mispah... Curieuse
coïncidence ! Neuf siècles auparavant, à la même place, dans un même
péril public, le prophète Samuel avait pareillement convoqué les Hébreux pour
l’élection d’un chef, qui devait les conduire, lui aussi, contre un ennemi
acharné à leur perte. Si d’ailleurs Mispah fut choisi par Juda Maccabée comme
lieu de prière, c’est que cette même ville, après la destruction de
Jérusalem, avait servi de centre aux débris du peuple israélite gouvernés par
Godolias et qu’elle avait aussi, à cette époque, un petit temple. — Une
grande multitude y accourut des villes voisines pour prendre part à la pieuse
solennité. Vêtue de deuil, en proie à une profonde émotion, l’assemblée
observa tout le jour un jeûne rigoureux, et, avec toute la ferveur de cœurs
oppressés, implora la miséricorde et la protection de son Dieu. On déploya un
rouleau de Cette part faite à l’émotion, il fallait aviser aux
résolutions viriles, donner du cœur au peuple et se préparer énergiquement à
la lutte, qu’on prévoyait âpre et difficile. Juda divisa sa troupe en quatre
corps, dont il confia trois au commandement de trois de ses frères. Il fit
proclamer, selon la prescription de La troupe victorieuse rentra à Modin, son lieu de ralliement, avec des actions de grâces et des cantiques de louange où revenait sans cesse ce refrain : Louez le Seigneur, car il est bon, car sa grâce est éternelle ! Mais ils ne purent de longtemps poser les armes. il était
trop certain que Lysias, qui avait l’ordre formel d’exterminer les Judéens,
n’accepterait pas tranquillement la défaite d’un de ses généraux, et qu’à
tout prix il chercherait à prendre sa revanche. Ils restèrent donc armés, et
ils eurent bientôt la joie de constater que leur nombre avait grossi jusqu’à
dix mille. Si jamais il y eut une guerre sainte, celle que firent les
Maccabées mérita incontestablement cette épithète. Lorsque, l’année suivante (automne de 165),
Lysias lui-même, à la tête d’une armée nombreuse et choisie, gens de pied et
de cheval, revint porter la guerre dans Or, les deux victoires décisives d’Emmaüs et de Bethsour avaient complètement changé la face des choses. L’éventualité menaçante était écartée. Depuis le début des persécutions religieuses et la profanation du temple, trois ans et demi environ — la moitié d’une semaine d’années — s’étaient écoulés, selon la prédiction du livre de Daniel (de tammouz 168 à marheschwan 165). A la fièvre meurtrière de cette période avait succédé le calme. Maccabée et son parti profitèrent de ce moment favorable pour se porter vers Jérusalem et mettre un terme aux abominations qu’on lui avait imposées. L’aspect de la sainte cité était accablant pour le cœur de ses fils, qui avaient versé pour son honneur le plus pur de leur sang. Elle était devenue une solitude où, seuls, se prélassaient audacieusement ses insulteurs. Le sanctuaire surtout offrait l’image de la désolation : les portes brûlées, les portiques saccagés, partout des autels païens, et la statue de Jupiter, et l’effigie de l’impie Antiochus. Mais les pieux guerriers n’avaient pas le loisir de
s’abandonner au deuil et à la douleur : il fallait agir sans retard, car on
pouvait être interrompu inopinément dans l’œuvre réparatrice. Leur premier
soin fut de mettre en pièces la statue de Jupiter et d’éloigner des saints
parvis ces pierres impures et les autres abominations (3 kislew - novembre 165). Ce n’est
pas tout : l’autel même, cet autel souillé par tant de profanations, ne
semblait plus digne de servir aux sacrifices ; un autel nouveau le remplaça. On
posa de nouvelles portes, aux vases sacrés on en substitua d’autres. Trois
semaines suffirent à tous ces travaux préalables, et le 25e jour
du mois de kislew, au matin, eut lieu la dédicace du temple, consacré par des
sacrifices et des actions de grâces. Les deux consécrations antérieures de la
maison de Dieu ne s’étaient probablement pas faites avec plus de
recueillement et de bonheur que celle-ci. La joie la plus pure inondait tous
les cœurs. L’angoisse mortelle qui, depuis trois ans et demi, n’avait cessé
de peser sur eux, avait disparu pour faire place à une satisfaction intime et
aux plus riantes espérances. Ce que signifiait Il s’entend que l’ancien ordre de choses fut rétabli dans le temple, et que prêtres et lévites furent réintégrés dans leurs fonctions. Seuls, les Aaronides qui avaient trempé dans l’idolâtrie furent exclus du sanctuaire et privés des prérogatives qui s’y rattachaient. Mais cette rigueur, d’ailleurs justifiée, eut de fâcheuses conséquences et ne put qu’aggraver la situation. Les prêtres hellénistes du parti de Ménélaüs, jugeant impossible tout rapprochement avec les chefs du parti national, persistèrent de plus en plus dans leur haine contre lui et redoublèrent d’hostilité. Pendant la durée des travaux de purification, Juda Maccabée avait fait monter la garde à ses soldats pour n’être pas inquiété par les Hellénistes, et, l’inauguration terminée, il fit entourer la montagne du temple d’une haute muraille, y fit élever de puissantes tours et y mit une bonne garnison pour la protéger contre toute surprise, notamment contre un coup de main de l’Acra. Dans la prévision des nombreuses luttes qu’aurait encore à soutenir le peuple, il s’occupa de fortifier également le pays sur d’autres points ; entre autres Bethsour, par où Lysias, en dernier lieu, avait voulu pénétrer avec son armée, et qui devait, dans sa pensée, servir de défense contre les Iduméens. Effectivement, les victoires des combattants judaïtes sur
les fortes armées de Syrie n’avaient fait qu’attiser contre eux la haine des
peuplades voisines ; les Judéens vivant près d’elles ou réfugiés dans
leurs pays étaient plus que jamais l’objet de leur fureur, et il semblait
qu’elles fussent jalouses de leurs succès ou alarmées de leur supériorité. Au
sud-ouest les Philistins, au nord-ouest les Phéniciens, par delà le Jourdain
les Ammonites, les Syriens et les Macédoniens dans tout le voisinage, tous
étaient animés contre eux d’une égale hostilité ; mais nul, parait-il,
au même degré que les Iduméens, habitant au Cependant, la troupe judaïte était à peine rentrée dans
Jérusalem qu’elle y recevait de fâcheuses nouvelles de ses frères molestés
par les païens du voisinage. Comme autrefois vers Saül, les Israélites, dans
leur détresse, se tournèrent vers Maccabée. Ceux qui habitaient le Galaad et
le Basan l’informèrent, par une lettre, que leurs ennemis se massaient contre
eux, avaient résolu d’en finir et avaient mis à leur tête Timothée. Ils lui parlaient
aussi de leurs frères habitant la province de Tobiène, où l’ennemi avait tué
mille Judéens, capturé femmes et enfants, pillé tous leurs biens. Au même
instant survinrent des messagers, ayant leurs vêtements déchirés en signe de
deuil et lui apportant des lettres de leurs frères de Galilée, menacés
d’extermination par les habitants d’Acco (Ptolémaïs), de Tyr et de Sidon. Tous
suppliaient Juda de voler à leur secours avant qu’il fût trop tard. Il
n’avait pas besoin, lui, comme Saül, de dépêcher des courriers aux tribus, de
faire entendre des paroles menaçantes, pour appeler tous les rangs de l’armée
au secours de Jabès-Galaad : son armée, il l’avait là près de lui ;
c’étaient tous les Israélites sachant se battre, et, ils le suivaient joyeux,
obéissants, dévoués. Maccabée fractionna cette armée, remit une division au
commandement de son frère Siméon, chargé de délivrer les Judéens de Galilée,
et lui-même, à la tête d’une autre division, se disposa à marcher, avec son
frère Jonathan, au secours des coreligionnaires opprimés sur l’autre rive du
Jourdain, en Pérée. Pour le surplus de ses hommes, il l’envoya à la frontière
occidentale, sous la conduite de deux chefs, pour parer aux attaques
possibles du côté de Siméon accomplit sa tâche bien et vite. Il marcha d’abord
sur Acco, dont les habitants judaïtes avaient le plus souffert de la
persécution des Grecs ou des Macédoniens. Là il eut affaire à des masses
considérables d’ennemis, que sa troupe vaillante et déjà aguerrie mit en
déroute et poursuivit jusque sous les murs de la ville maritime. Ce fait
d’armes abrégea pour lui la lutte, car les Macédoniens des autres villes
n’osèrent dès lors lui tenir tête. Siméon put donc s’avancer sans coup férir
à travers toute De son côté, Juda Maccabée avait une lutte plus difficile
à soutenir dans la région de Aussitôt après la clôture de cette solennité, Juda partit avec ses hommes en vue de réparer un échec. Pendant son absence, les deux lieutenants qu’il avait laissés dans l’ouest pour surveiller le pays, — Joseph, fils de Zacharie, et Azarias, — avaient, contrairement à ses ordres, attaqué Gorgias, qui était resté à Jamnia avec une troupe ; mais ils avaient été battus et refoulés jusqu’aux montagnes de Judée. Il résolut donc de marcher contre Gorgias, comptant que la terreur de son nom et sa poignée de braves suffiraient à l’écarter. Cette fois encore, en effet, ses armes furent heureuses ; il détruisit plusieurs villes du littoral, en renversa les temples et en brisa les idoles. Or, tandis que Juda avait ainsi relevé son peuple, avait
transformé ces timides fuyards blottis dans des cavernes en une troupe de héros
pleins de confiance en eux-mêmes et dans l’avenir, avait partout humilié et
partout châtié les ennemis des Judéens, la retour de Syrie demeurait aussi
tranquille que si ces graves événements ne n’eussent en rien intéressée.
Comment Lysias, qui tenait les rênes de l’État, restait-il impassible en
présence de cet audacieux défit ? Manquait-il de ressources pécuniaires
pour soudoyer de nouvelles troupes ? Tenait-il réellement les Judéens
pour invincibles ?... Un homme haut placé à la cour de Syrie, Ptolémée
Macron, avait, dit-on, pris leur défense et blâmé, comme inique, la
contrainte religieuse exercée à leur égard. — Du côté de l’Asie, de graves
nouvelles écrivaient à Antiochus Épiphane. Après avoir mis à la raison, dans
l’Arménie, le rebelle Artaxias, il avait fait une expédition contre La mort d’Antiochus n’amena aucun changement dans la situation des Judéens. Tuteur du jeune Antiochus V (décembre 164 à novembre 162), Lysias restait maître, après comme avant, et continuait à ne pas agir contre les Judéens. Juda Maccabée profita de cette inaction pour porter remède aux difficultés intérieures. La situation, en effet, n’était pas commode à Jérusalem.
Cette ville renfermait deux forteresses voisines l’une de l’autre, d’où
chaque jour les partis rivaux se lançaient mutuellement la destruction et la
mort. Lysias, en compagnie du jeune Eupator, marcha de nouveau
sur Ce même Philippe, qu’Antiochus Épiphane avait, à son lit de mort, nommé régent du royaume et tuteur de son fils, venait d’entrer dans Antioche pour enlever le pouvoir à Lysias. Dès que celui-ci fut informé, dans son camp, de l’entreprise dirigée contre lui, il songea à faire marcher contre son ennemi les troupes campées à Jérusalem. Un traité de paix fut conclu, dont la principale clause garantissait aux Judéens une liberté religieuse absolue. L’enceinte fortifiée du temple devait, en outre, rester intacte. Le roi et son tuteur ratifièrent la convention par un serment, sur quoi on leur ouvrit les portes du parvis extérieur pour qu’ils fissent leur entrée dans le temple. Mais ils n’y eurent pas plus tôt pénétré que, au mépris de la foi jurée, ils commandèrent à leurs soldats de jeter bas tours et murailles. Ils ne firent pas, du reste, d’autres dégâts dans ce sanctuaire et n’y commirent aucune profanation. Lysias avait hâte de marcher contre son ennemi Philippe, qui, entre temps, s’était emparé de la capitale, Antioche. — Ainsi, la longue lutte des Hasmonéens n’avait pas été sans fruit. Tout d’abord, la liberté religieuse était assurée aux Judéens, qui n’étaient plus contraints, désormais, de sacrifier à Jupiter. Mais ce n’est pas tout : la cour de Syrie retira sa protection aux Hellénistes, qui durent évacuer la citadelle d’Acra. Ménélaüs, ce fléau de son peuple, fut sacrifié par Lysias : condamné comme perturbateur de la paix publique, il fut exécuté à Berœa (Alep), après avoir, dix ans durant, déshonoré la tiare par une série de crimes. Jason, moins coupable que Ménélaüs, mais qui avait contribué, lui aussi, aux malheurs du pays, était mort, antérieurement déjà, en terre étrangère. Persécuté par Antiochus Épiphane et repoussé par son hôte Arétas, prince nabatéen, il s’était réfugié en Égypte, n’y avait pas trouvé plus de sécurité, et, après avoir erré de ville en ville, avait enfin, dit-on, terminé à Sparte son existence agitée. La conclusion de la paix ayant amené de meilleurs rapports entre la cour de Syrie et les Judéens, et donné toute facilité pour le rétablissement de l’ancien ordre de choses, il y avait lieu nécessairement d’instituer un grand prêtre. Qui était plus digne de cette sainte fonction et plus digne de gouverner que Juda Maccabée ? C’est à lui qu’Antiochus Eupator, ou son tuteur Lysias, paraît avoir conféré la dignité pontificale. Dans cette période de calme où l’on venait d’entrer, le guerrier pouvait déposer ses armes, le laboureur cultiver son champ, le savant méditer la loi divine et son interprétation ; les plaies saignantes de la patrie commençaient à se fermer. Nais ce calme n’était qu’une courte accalmie. Trop de fièvre agitait encore les esprits, après la lutte des factions et les guerres intestines, pour qu’on pût si aisément jeter un voile sur le passé. Il y avait encore des Hellénistes, — avouant ou dissimulant leurs principes, — qui ne pardonnaient pas à Juda et à ses amis, surtout aux Hassidéens, d’avoir vaincu leur ligue et paralysé leurs efforts, et qui nourrissaient contre eux une haine amère. Or, le prince Démétrius, qu’Antiochus Épiphane avait si adroitement supplanté dans la succession au trône, était toujours à Rome, où on le retenait comme otage. Mais lorsqu’un beau jour, jugeant l’occasion favorable, il quitta Rome et sut écarter à la fois le fils de l’usurpateur et le tuteur de ce prince, les choses changèrent de face, les troubles recommencèrent. Les mécontents de Judée profitèrent de cette péripétie
politique pour donner carrière à leurs plaintes et à leurs accusations contre
les frères hasmonéens et leurs partisans. Cette fois encore ils avaient à
leur tête un prêtre, un certain Yakim, — en grec Alkimos (Alcime), —
Helléniste déclaré ou hésitant, on ne le sait pas au juste. Neveu, parait-il,
d’un docteur respecté, José, fils de Joézer, il flattait néanmoins le
parti des novateurs. Il était exaspéré de se voir, à cause de son passé, mis
à l’écart, exclu de l’autel et du temple. Accompagné de ses amis, et se
faisant — ajoutait-on — précéder d’un pont d’or, il se rendit chez Démétrius,
lui dépeignit, sous les plus sombres couleurs, la situation de Bien certains qu’on méditait leur mort et l’asservissement
du pays, ils abandonnèrent la capitale et se réfugièrent, comme autrefois,
dans la montagne. Les Hassidéens, plus candides, se laissèrent prendre aux
apparences. Alcime était de la race d’Aaron, il n’en fallait pas davantage
pour mériter leur confiance. Une réunion de docteurs de Mais une fois maître du temple et de la ville, il ordonna — ou il conseilla à Bacchidès — de faire massacrer, en un seul jour, soixante des Hassidéens ralliés à lui, parmi lesquels vraisemblablement son oncle José, fils de Joézer. Cette atrocité doublée d’un parjure plongea le pays entier dans l’horreur et le deuil. De nouveau tous les yeux et tous les cœurs se tournèrent vers Maccabée ; beaucoup même de ceux qui avaient embrassé le parti d’Alcime lui tournèrent le dos et allèrent chercher, dans leur retraite de Modin, les frères hasmonéens. Peu après, non loin de Jérusalem, un certain nombre
d’hommes qui s’étaient séparés d’Alcime furent, sur l’ordre de Bacchidès,
enveloppés, mis à mort et jetés dans une citerne ; ce fut le signal d’une
nouvelle guerre civile (161).
Tous ceux, hommes faits ou jeunes gens, qui avaient au cœur l’amour du pays
et de la liberté, se groupèrent encore une fois autour des héros
hasmonéens ; Alcime, au contraire, avait pour lui les ambitieux, les
affamés de jouissances, les contempteurs de Quoi qu’il en soit, ce dernier, dont un avis secret avait éveillé la défiance, s’était prudemment mis à l’abri dans la montagne. Nicanor l’y suivit avec ses troupes ; une rencontre s’engagea prés de Kapharsalama, dans le voisinage de Samarie. L’armée de Nicanor fut défaite et contrainte de se retirer dans l’Acra. Nicanor, furieux de cet échec, recommença la guerre avec un effort désespéré. Son grand souci était de s’emparer de la personne de Juda Maccabée, qui pour lui valait une armée. Il se rendit donc sur la montagne du temple, pour ordonner qu’on lui livrât le héros. Les prêtres et les membres du grand Conseil, avec force prévenances et démonstrations d’amitié, représentèrent qu’ils prouvaient assez leur fidélité au roi en offrant journellement des sacrifices à son intention. Lui, hautain et railleur, leva la main, avec un geste de menace, dans la direction du temple et jura qu’il y mettrait le feu, si on ne lui livrait Juda. Pour y mieux déterminer les Judéens, il fit saisir et garda comme otage un des hommes les plus considérés de Jérusalem, le pieux Raghés ou Razis, si universellement aimé qu’on l’appelait le Père des Judéens. Mais, à l’approche des licteurs, Raghès, dit-on, se tua lui-même. Nicanor, suivi d’une nombreuse armée, s’acharna de plus belle à chercher Juda dans la montagne. Il établit son camp prés de Béthoron. Juda, de son côté, avait rassemblé trois mille de ses partisans les plus courageux. On livra bataille, et, cette fois encore, la bravoure judaïque triompha du nombre. Dès le premier engagement, Nicanor perdit la vie, et son armée éperdue se débanda. Partout où passaient les fuyards syriens, les habitants des villes et des villages leur couraient sus, les maltraitaient, et pas un seul, assure-t-on, ne put atteindre Gazara, où se dirigeait leur course. Telle fut l’importance de cette bataille d’Adarsa (13 adar 160), que se date, à l’instar de celle de la dédicace du temple, fut consacrée à jamais comme un jour de fête et de réjouissances, et on la célébra longtemps sous le nom de Yom Nikanor, le Jour de Nicanor. — La tête et le bras du Syrien, séparés du tronc, furent attachés comme un trophée sur la muraille de Jérusalem. Juda et son parti étaient donc de nouveau maîtres de cette
ville, d’où Alcime s’était éloigné dès avant la bataille. Néanmoins, le
Maccabéen ne se méprenait nullement sur la difficulté de la situation, et il
s’attendait à voir Démétrius venger, plus vigoureusement que ne l’avaient
fait ses prédécesseurs, la défaite de son armée. Il prit donc un parti d’une
utilité contestable : il noua des rapports avec Rome, alors déjà
toute-puissante. A cet effet, il choisit deux Judéens familiers avec la
langue grecque, Eupolémus et Jason, et les envoya à Rome ou
peut-être aux délégués romains qui parcouraient fréquemment l’Égypte, Démétrius, à la nouvelle de l’échec de Nicanor, avait
aussitôt dirigé sur Toutefois, elle n’avait pas été stérile, cette longue lutte des Maccabées. Elle avait réveillé le peuple de sa torpeur, elle l’avait rajeuni. Le sang des martyrs, dit-on, guérit les blessures. De fait, le sang de ces généreux héros a guéri les plaies dont souffrait leur peuple. Au dehors, l’opprobre infligé au nom judaïque était effacé. Les Grecs railleurs, une fois qu’ils eurent fait connaissance avec le bras de Juda, ne furent plus tentés de rire à l’aspect d’une troupe judéenne, et les Judéens n’eurent plus besoin, pour démontrer leurs droits, de recourir à la puérile imitation des jeux olympiques. A l’intérieur, le peuple avait acquis la conscience de lui-même et de sa destinée; il s’était montré le vrai peuple de Dieu, appelé à affirmer sa doctrine propre et sa propre loi morale, digne et capable de sauvegarder ce double patrimoine. Cet esprit d’abnégation et de sacrifice, que le prophète Élie avait enseigné d’abord sur un humble théâtre, que plus tard le second Isaïe avait prêché avec une entraînante éloquence, devint pour le peuple entier, grâces aux luttes et aux souffrances maccabéennes, une vertu familière et le plus évident des devoirs. |
[1] Il est dit dans le IIe livre des Maccabées (IV, 19-20) que Jason envoya des messagers à Tyr avec des présents, à l'occasion des jeux quinquennaux célébrés dans cette ville. Il ne peut être question que des jeux olympiques, comme le remarque Hugo Grotius, et ceux-ci eurent lieu sous le pontificat de Jason, l'an 172, qui coïncidait avec une olympiade.
[2] Tout le monde reconnaît aujourd'hui que le livre de Daniel a été composé à l'époque des persécutions d'Antiochus Épiphane. Josèphe aussi et même le Talmud rapportent à cet Antiochus les allusions apocalyptiques de ce livre.