HISTOIRE DES JUIFS

PREMIÈRE PÉRIODE — LES TEMPS BIBLIQUES AVANT L’EXIL

Troisième époque — La marche en arrière

Chapitre XII — L’approche de la délivrance — 555-538.

 

 

Vers le même temps surgirent en Asie Mineure et en Babylonie des événements qui devaient décider du sort des exilés. Un des grands de Babylone, Nabonad, s’était emparé du pouvoir (555). Déjà, quelques années auparavant, un vaillant héros, le roi de Perse Cyrus (Koresch) avait conquis la Médie avec sa capitale Ecbatane (Achmata) et toutes les provinces qui en dépendaient. Les Judéens patriotes virent dans ces faits comme l’annonce d’un revirement prochain de leur propre destinée. Les prophètes Jérémie et Ézéchiel n’avaient-ils pas, en effet, de la façon la plus positive, assigné un terme la captivité et prédit le retour dans la patrie ? Des démarches furent donc faites auprès de Nabonad pour qu’il permit aux Judéens de rentrer dans leur pays. Les espérances de ces derniers durent être d’autant plus vives que le nouveau souverain, à peine monté sur le trône, avait répondu aux vœux des Phéniciens en leur rendant un roi de leur dynastie nationale et, plus tard, avait autorisé le frère de ce prince à régner à son tour. Pourquoi les exilés de Judée n’obtiendraient-ils pas la même faveur que leurs anciens voisins ? La demande en fut présentée probablement par le fils de Jéchonias, Schaltiel, avec l’appui des favoris judéens. Mais Nabonad refusa de l’accueillir et se montra aussi inflexible que jadis Pharaon pour les enfants d’Israël.

Cette déception, qui se doublait d’une avanie, alluma au cœur des patriotes judéens une haine brûlante pour la Babylonie et son roi. Babylone fut, de ce moment, l’objet de leur exécration, au même degré qu’Édom ; ils suivirent avec anxiété le progrès des armes de Cyrus. Un choc des deux puissances paraissait inévitable. Le roi de Perse faisait alors la guerre à Crésus, roi de Lydie, dont la ligue avec Nabonad et le roi d’Égypte Amasis lui créait une nouvelle raison de soumettre Babylone, limitrophe de ses États. Peut-être avait-il des affidés parmi les favoris de la cour ou les païens convertis : on a lieu de le croire, à en juger par les mesures dirigées contre eux par Nabonad et la bienveillance que leur montra plus tard le conquérant ; en tout cas, l’animosité du roi de Babylone à leur égard donne à supposer qu’il soupçonna leur fidélité.

La persécution frappa d’abord ceux qui se distinguaient le plus par leur patriotisme et leur piété : des peines rigoureuses furent édictées contre eux et appliquées avec la dernière barbarie. Il semblait que ce reste de la nation dût, à l’exemple de Job, subir l’épreuve de l’affliction et se purifier dans les souffrances. Les uns furent assujettis à de durs travaux, dont les vieillards mêmes ne furent pas exempts ; les autres jetés dans de noirs cachots, chargés de coups, traînés par les cheveux et la barbe et livrés à toutes les insultes. Les plus zélés bravèrent la mort, en annonçant à haute voix la prochaine délivrance par Cyrus. Comme tous ces persécutés appartenaient à la classe des Humbles, ils supportèrent les tortures avec fermeté et endurèrent le martyre victorieusement. Un prophète contemporain, témoin de la persécution, s’il n’en fut victime, en a fait une peinture sommaire, mais émouvante. Considérant les Humbles comme le cœur de la nation, il parle de leurs supplices comme si le peuple tout entier les eût endurés :

Méprisé et abandonné parmi les hommes,

Homme de douleur et familiarisé avec la souffrance,

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Il a été maltraité, bien qu’il fût humble,

Et il n’a pas ouvert la bouche.

Comme un agneau mené à la boucherie,

Et comme une brebis muette devant ses tondeurs,

Il n’a pas ouvert la bouche.

Il est enlevé par la prison et le jugement,

Et son amertume, qui peut la raconter ?

Une ère de douleurs venait de s’ouvrir pour les Judéens à Babylone, comme jadis pour leurs ancêtres en Égypte, avec cette différence toutefois qu’au lieu de corvées aux champs et aux constructions, c’étaient la prison et la mort qui les attendaient, et que ceux qui reniaient leur nationalité demeuraient saufs. Sur cette terre d’exil aussi, les plaintes des Judéens montèrent vers le ciel. Les psaumes composés à cette époque reflètent, avec la tristesse de ces martyrs, les espérances qui s’y mêlaient. Plusieurs prophètes, avec une précision qui tient du prodige, annoncèrent la chute prochaine de Babylone et la délivrance des captifs. Deux d’entre eux ont laissé des discours qui ne le cèdent en rien aux meilleurs monuments des générations prophétiques antérieures. L’un surtout a déployé une telle vigueur, une telle richesse de poésie, que ses œuvres comptent parmi les plus belles, et non pas de la littérature hébraïque seulement.

C’est au moment où Cyrus entreprenait enfin son expédition, depuis longtemps projetée, contre Babylone et où le cœur des exilés palpitait dans les fièvres de l’attente, que cet homme de Dieu fit entendre sa mâle parole, dont la chaude énergie n’a point d’égale en ce genre d’éloquence. Si la perfection d’une œuvre d’art consiste dans cet accord absolu de la pensée et de l’expression qui permet d’en embrasser toute la profondeur et la rend saisissable à toutes les intelligences, la longue suite des discours de celui que, faute de connaître son nom, l’on appelle le Second Isaïe ou l’Isaïe de Babylone, est un chef-d’œuvre sans rival. Il unit la fécondité de la pensée à l’élégance de la forme, la puissance qui entraîne à la douceur qui attendrit, l’unité à la diversité, l’élan poétique à la simplicité, et le tout en un style si noble, avec une telle chaleur d’accent, que son œuvre, composée pour ses contemporains, s’applique à tous les âges et à toute époque saisit les cœurs. L’Isaïe de Babylone a voulu consoler ses compagnons de douleur, les soutenir en leur montrant dans un haut idéal le but de leur existence ; il a ainsi, pour tout homme intelligent et sensible, à quelque race et à quelque langue qu’il appartienne, conféré à la race souffrante d’Israël le douloureux privilège d’enseigner, à travers les siècles, comment un peuple peut-être à la fois grand et petit, persécuté à mort et pourtant immortel, être un esclave chargé de mépris et néanmoins un modèle sublime.

Qui fut ce prophète, à la fois grand poète et profond penseur ? On l’ignore ; ni lui-même ni d’autres ne nous font rien connaître de sa vie. Les compilateurs ont trouvé de l’analogie entre l’ampleur et l’élévation de son style et les qualités de celui d’Isaïe l’ancien ; ils ont, pour cette raison, ajouté ses discours à ceux du fils d’Amoz et réuni les uns et les autres en un seul livre. Aucun ne sut mieux que lui réconforter la dolente communauté de Juda ; aucun ne mit plus d’âme à relever les courages défaillants. Sa parole agit comme le baume sur la plaie ou comme un vent léger sur un front brûlant. Consolez, consolez mon peuple, fait-il en commençant,

Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu,

Parlez au cœur de Jérusalem, et annoncez-lui

Que le temps de ses infortunes est accompli,

Que son iniquité est pardonnée.

Et qu’elle a reçu de Jéhovah le double pour tous ses châtiments.

Cette communauté, dont la souffrance va jusqu’à l’épuisement et qui a soif de consolation, le prophète la représente comme une mère qui, pour ses fautes, s’est vu repousser et priver de ses enfants, mais que son époux n’a pas cessé de chérir comme la bien-aimée de sa jeunesse. Cette délaissée, il l’appelle Jérusalem, du nom qui résume pour lui toute émotion et toute tendresse : Courage, crie-t-il à cette mère abandonnée,

Réveille-toi, debout, Jérusalem,

Qui as reçu de la main de Dieu et vidé le calice du vertige.

Elle n’a personne pour la diriger, de tous les enfants

Qu’elle a enfantés ;

Nul ne la prend par la main, de tous les fils

Qu’elle a élevés !

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Ô pauvre, battue par la tempête, dont personne n’a pitié,

Je garnirai de rubis les pierres de ton seuil,

Et je te donnerai une fondation de saphirs.

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Tous tes fils seront disciples de Jéhovah.

Grand sera le bonheur de tes enfants...

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Comme un homme que sa mère console,

Ainsi je vous consolerai,

Et vous serez consolés à Jérusalem.

Mais cette consolation, est-ce l’attente d’une vaine pompe terrestre, de la puissance et de la domination ? Non, c’est l’espérance d’une rédemption qui embrassera le monde entier. Ce prophète de l’exil a, le premier, conçu la bénédiction promise à Abraham comme l’annonce du salut pour toutes les races de la terre et, le premier, en a fait comprendre, dans toute son ampleur, la lumineuse notion. Un ordre entièrement nouveau descendra sur le monde ; ce sera comme la création de cieux nouveaux et d’une terre nouvelle, et les choses anciennes seront oubliées et pardonnées. Tous les peuples, toutes les extrémités de la terre auront part à cette délivrance, tous les genoux fléchiront devant le Dieu qu’adore et qu’annonce Israël, et toutes les bouches jureront par son nom. C’est pour accomplir ce salut qu’Abraham est appelé des zones éloignées de la terre et ses descendants choisis dès le ventre maternel. Israël, le peuple de Dieu, a été élu par Dieu pour être son serviteur et son messager vers les peuples, pour servir d’alliance et de lumière aux nations, pour ouvrir les yeux des aveugles. C’est là le but de Dieu, celui que sa Providence a eu en vue dès l’origine des temps. Lorsqu’il a tendu les cieux et fondé la terre, il a aussi jeté les yeux sur Israël, sur Yeschouroun, pour en faire son peuple, son serviteur et son apôtre. Ce peuple-apôtre, élu de Dieu, porteur du salut de toutes les nations et de toutes les langues, la poétique éloquence de ce prophète le glorifie avec une telle exubérance, qu’il apparaît comme un peuple idéal. Et est-il, en effet, rien de plus haut que d’être le guide des peuples sur le chemin de la vérité, de la justice et du salut ? L’Isaïe de Babylone indique en même temps comment ce peuple idéal doit remplir son apostolat :

Voici mon serviteur, sur lequel je m’appuie,

Mon élu, en qui mon âme se comptait,

J’ai mis sur lui mon esprit,

Afin qu’il révèle la justice aux nations.

Il ne criera, ni ne grondera,

Ni ne fera entendre sa voir dehors,

Il ne brisera pas le roseau déjà rompu,

Ni n’éteindra la mèche près de s’éteindre :

Il révèlera la justice comme vérité.

Puisque ce n’est point par la violence que le messager de Dieu fera triompher la vérité et propagera la doctrine, que doit-il donc faire pour en amener la reconnaissance universelle ? Donner l’exemple, se dévouer volontairement et se sacrifier pour sa loi, demeurer ferme devant toutes les persécutions, supporter enfin avec patience l’ignominie et l’outrage. Cette mission reconnue d’Israël, le prophète de l’exil l’expose d’une manière admirable en peu de mots, qu’il met dans la bouche du peuple lui-même. Ce martyre conscient, cette constance d’un côté, cette douceur et cette résignation de l’autre, voilà, dit l’Isaïe de Babylone, ce qui doit procurer la victoire à la loi de justice que représente l’Israël idéal et valoir à celui-ci sa juste récompense. Les nations elles-mêmes arriveront à voir que c’est précisément par ses douleurs, par sa persévérance et son esprit de sacrifice que ce peuple, sous ses dehors d’esclave, a rempli une grande tâche, leur a apporté la rédemption et la paix. La pensée fondamentale du prophète, après avoir revêtu d’abord la forme d’un monologue prophétique des nations, se résume dans une autre formule, brève et forte : Le temple du Dieu d’Israël sera un jour une maison de prière pour tous les peuples.

Voila comment est résolue par Isaïe l’obscure énigme du rôle d’Israël. Ce peuple a reçu le lourd fardeau de l’apostolat parmi les nations, et ce ministère, il doit le remplir par ses souffrances et sa fermeté. Comme peuple-martyr il est peuple-apôtre et ne mourra point. C’est pour son propre bien que Dieu lui a infligé l’exil, afin de le purifier au creuset de la douleur.

La rédemption des peuples au moyen du serviteur choisi de Dieu dès l’origine des temps est, aux yeux du prophète, un événement prochain ; la chute de l’empire de Babylone avec son idolâtrie frivole et licencieuse, et la délivrance de la communauté exilée hâteront l’avènement de ce salut. Cette ruine de Babylone apparaît au prophète avec un tel caractère de certitude, qu’il n’en parle plus comme d’une vision, mais comme d’un fait accompli. Un de ses discours fait la satire de cette ville pécheresse, un autre, celle de l’astrologie, à l’aide de laquelle les mages babyloniens se targuaient de lever le voile de l’avenir. Il raille la grossière idolâtrie des Chaldéens avec une ironie mordante, que n’a eue aucun de ses prédécesseurs. La victoire de Cyrus est de même, dans sa bouche, un fait acquis plutôt qu’une prédiction. Ce qu’il entend prophétiser, c’est que Cyrus donnera aux exilés de Juda et d’Israël la liberté de retourner dans leur patrie et de relever Jérusalem avec le temple. Il déclare expressément, à ce propos, qu’il prophétise à l’avance, afin que, la réalité venue, la parole prophétique et la Providence de Dieu en apparaissent confirmées. Cet événement d’une haute portée arrivera aussi infailliblement que se sont vérifiées les prédictions antérieures. Le vainqueur de la Médie et de la Bactriane, de la Lydie, de l’Asie Mineure et de tant d’autres peuples, n’est qu’un instrument choisi pour amener la délivrance et avancer le salut. Ses victoires signifient l’aurore de la rédemption, et la délivrance des exilés en sera la fin. Cette délivrance et ce retour, le poétique génie du prophète les dépeint d’avance sous les plus vives couleurs : ceux qui reviendront dans leur patrie verront se renouveler les miracles de la sortie d’Égypte : les chemins s’aplaniront devant eux, des sources jailliront dans le désert pour les désaltérer, et la solitude se chantera en un jardin de fleurs. Rentrés dans leur pays, ils rebâtiront les ruines, relèveront les villes dévastées, feront des solitudes un Éden et pourront vivre à leur vocation dans le repos et dans la joie. L’esprit que Dieu a mis sur son peuple et la doctrine qu’il a mise dans sa bouche ne s’éloigneront plus jamais de lui.

L’Isaïe de l’exil prête son éloquente parole à une grande pensée, d’où sortira un jour la transformation de l’idée religieuse : Dieu, dit-il, est trop haut pour habiter un temple, si vaste qu’il puisse être ; c’est le cœur de l’homme qui doit être le temple de Dieu :

Le ciel est mon trône et la terre un tabouret pour mes pieds.

Quel est le temple que vous voulez me bâtir,

Et quel endroit peut être mon lieu de repos ?

Tout cela, c’est ma main qui l’a fait,

J’ai parlé, et tout cela a été.

C’est vers celui-là seulement que je porte le regard.

Vers l’humble et le contrit.

Qui est zélé pour ma parole.

C’est en ces traits lumineux que le prophète de l’exil indique le rôle de son peuple dans l’avenir.

Mais les ombres du présent n’en apparaissaient que plus noires ; elles étaient partout, dans tout ce qu’embrassait le regard. Celui que Dieu avait appelé comme son serviteur refusait d’obéir ; l’apôtre qui devait enseigner la vérité était aveugle et sourd. Au lieu de glorifier la loi déposée entre ses mains, il ne faisait que l’avilir et lui-même se rendait ainsi méprisable. Mais précisément parce que l’état moral de son peuple répondait si peu à la grandeur de sa mission, le prophète avait la tâche d’exhorter et de prêcher, de censurer et de tonner. La communauté de l’exil se composait, comme il a été dit plus haut, de deux classes ou partis ennemis : d’un côté, les pieux et les patriotes, les affligés de Sion, et de l’autre ceux qui, livrés à la vie mondaine, ne voulaient entendre parler ni de Sion, ni de retour, ni de salut. Les premiers, que la souffrance avait rendus craintifs, osaient à peine se présenter et encore moins agir ; les seconds n’avaient que dédain pour ceux qui soupiraient après la délivrance, et allaient même jusqu’à les persécuter. Tandis que les uns s’abandonnaient avec désespoir à cette idée poignante, que Dieu avait délaissé son peuple et l’avait oublié, les autres leur disaient avec ironie : Que Dieu se montre donc dans sa puissance, pour que nous assistions à votre joie. L’objet principal du discours de ce grand prophète inconnu fut de rendre aux uns le courage et de ramener les autres, par la douceur et la réprimande, à de meilleurs sentiments : Reconnaissez, criait-il à ces derniers, reconnaissez donc aux signes du temps que la grâce de Dieu est proche, et il les pressait d’en profiter pour abandonner leurs voies et leurs pensées impies. A mesure qu’il approchait de sa péroraison, son langage devenait plus acerbe pour les mondains, les indifférents, les égoïstes, impuissants à secouer le joug de l’idolâtrie et des vices de l’idolâtrie. Il termina en dépeignant la délivrance et le retour, et prophétisa que tous les dispersés de Juda et d’Israël seraient rassemblés autour de la montagne sainte de Jérusalem. Et alors, de mois en mois, de sabbat en sabbat, toute créature viendra se prosterner à Jérusalem pour invoquer le Dieu d’Israël ; mais les méchants dont elle verra la punition seront pour elle un objet d’horreur.

L’issue de la guerre était attendue avec moins d’anxiété peut-être par le roi Nabonad et son peuple que par la communauté judéenne. Celle-ci sentait se succéder dans son cœur tantôt de vastes espérances, tantôt des angoisses auxquelles se liait, dans sa pensée, l’existence ou la fin de la race de Juda. Les Babyloniens au contraire, envisageaient avec une certaine indifférence les préparatifs de Cyrus. Au moment où ils s’y attendaient le moins, l’armée perse parut sous leurs murs, une nuit elle détourna les eaux de l’Euphrate qui traversait la ville, et pénétra dans Babylone par le lit du fleuve desséché, pendant que les habitants, plongés dans l’ivresse d’une fête, se livraient aux débauches et aux danses. Quand le jour parut, la capitale était remplie d’ennemis et toute résistance inutile. La pécheresse Babylone succomba de la sorte (538), après deux années de guerre, exactement comme l’avaient prédit les prophètes judéens, à cette différence toutefois que les châtiments également annoncés à son peuple et à son roi leur furent épargnés par la clémence de Cyrus. La hideuse idolâtrie chaldéenne tomba le même jour et fit place à la religion relativement pure des vainqueurs, car les Perses et les Mèdes ne comptaient que deux ou trois dieux, avaient en horreur le culte babylonien et vraisemblablement en détruisirent les objets.

La chute de Babylone guérit à tout jamais les Judéens de l’erreur idolâtre. N’avaient-ils pas de leurs propres yeux vu des divinités, la veille encore hautement vénérées, choir dans la poussière, Bel tomber à genoux, Nébo se prosterner et Mérodach s’affaisser ? Cette révolution acheva de les changer ; leur cœur de pierre fut amolli ; tous, sans exception aucune, même les mondains et les pécheurs, s’attachèrent depuis lors à leur Dieu. Ils abjurèrent leur malveillance envers les humbles, les affligés de Sion, ne les traitèrent plus qu’avec respect et les mirent à la tète de la communauté.

Cependant les pieux et les patriotes s’employaient sans perdre de temps à réaliser la délivrance et le retour promis par les prophètes. Parmi les dignitaires de Nabonad qui rendirent hommage au conquérant, désormais roi de Babylone — il data de la prise de cette ville la première année de son règne (538), — se trouvaient des eunuques issus de la race royale de Juda et dévoués à la loi d’Israël. Ces officiers du palais, ou bien les Chaldéens notables qui avaient embrassé la religion judéenne, firent aussitôt, — probablement de concert avec Zorobabel (Zerubabel), petit-fils de Jéchonias, — des démarches auprès de Cyrus, pour obtenir l’affranchissement de leurs coreligionnaires et, en premier lieu, la liberté des Judéens enfermés pour l’excès de leur piété. Cyrus leur accorda plus encore[1] : il permit aux exilés de retourner dans leur patrie, de rebâtir Jérusalem et de restaurer le temple. Maître de Babylone, il l’était naturellement de toutes les conquêtes de Nabuchodonosor et, par suite, du royaume de Juda. Quels purent être les motifs invoqués par les solliciteurs à l’appui d’une demande en apparence aussi téméraire que celle d’octroyer une sorte d’indépendance politique aux Judéens ? Et quels furent les mobiles qui amenèrent Cyrus à y consentir ? Un des eunuques Judéens a-t-il vraiment, comme on le raconta plus tard, informé le vainqueur perse qu’un prophète de la captivité avait prédit ses victoires et annoncé qu’il permettrait au peuple exilé de rentrer dans sa patrie ! Quoi qu’il en soit, on vit Cyrus, dès le lendemain de la prise de Babylone, faire publier par hérauts et par lettres royales, dans toute l’étendue de son empire, un édit prescrivant que tous les Judéens fussent libres de retourner à Jérusalem et d’y élever un sanctuaire ; ceux qui resteraient étaient autorisés à les munir d’or et d’argent, ainsi que de bêtes de somme ; enfin son trésorier Mithradate reçut l’ordre de remettre aux partants les vases sacrés que Nabuchodonosor avait emportés de Jérusalem et déposés comme trophées dans le temple de élus.

Incontinent des mesures furent prises pour organiser le départ. Douze hommes, en représentation des douze tribus, se chargèrent d’aviser aux difficultés et de lever les obstacles. A leur tête se trouvaient deux chefs, également appelés par leur naissance à les commander, l’un, Zorobabel, fils de Schaltiel, fils lui-même de Jébonias, rejeton par conséquent de la race de David, l’autre, Yeschoua, fils de Yehozadak et petit-fils du dernier grand prêtre Séraya. Le premier reçut de Cyrus le titre de satrape (Pechah) des territoires qu’allaient réoccuper les Judéens. C’était une dignité presque royale. A ces douze hommes se présentèrent tous ceux qui éprouvaient le désir de retourner dans leur patrie. Assurément leur nombre, comparé à celui de leurs ancêtres sortant d’Égypte, était fort modeste ; il fut cependant plus élevé qu’on ne s’y fût attendu : 42.360 personnes, hommes, femmes et enfants, ceux-ci comptés de l’âge de douze ans, se disposèrent au départ. C’étaient, en majeure partie, des Judaïtes et des Benjamites, puis des Aaronides partagés en quatre groupes, enfin une petite phalange de Lévites, auxquels s’adjoignit un contingent, d’ailleurs peu considérable, des autres tribus et des peuplades converties au Dieu d’Israël.

La joie de tous ces exilés près de rentrer dans leur pays était inexprimable. Eh quoi ! ils avaient cité jugés dignes de fouler de nouveau le sol de la patrie, de le cultiver de nouveau et d’y relever le sanctuaire ! Il leur semblait faire un beau rêve. L’événement retentit aussi parmi les nations ; on en parla et l’on y vit un prodige que le Dieu d’Israël faisait en faveur de son peuple. Un psaume nous a conservé l’écho des sentiments qui animaient les partants :

Quand Dieu ramena les captifs de Sion,

Nous étions comme ceux qui rêvent ;

Alors notre bouche s’est remplie de joie

Et notre langue d’allégresse.

Alors on disait parmi les nations :

Dieu a fait de grandes choses pour ceux-ci.

Oui, Dieu a fait de grandes choses pour nous,

Et nous en avons été transportés de joie.

Au moment où ils se mirent en route pour Jérusalem et pour la liberté, un psalmiste les exhorta à descendre en eux-mêmes et à s’assurer qu’ils méritaient vraiment ce bonheur : ceux-là seuls qui en étaient dignes et qui cherchaient Dieu devaient se réunir au lieu saint. Mais qui eût choisi parmi eux ?

 

 

 



[1] C'est certainement avec le concours des eunuques judéens de la cour de Babylone que les exilés ont obtenu la permission de retourner dans leur patrie. Sur l'attachement des eunuques (Sarisim) au judaïsme, voir Isaïe, 56, 3-4 et suiv., et Rois II, 20, 18.