NAPOLÉON III ET SA POLITIQUE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LES JOURS SOMBRES.

 

 

I

 

Dans la vie humaine, il y a des moments où les fautes s'accumulent par paquets comme les neiges poussées par le vent s'amoncellent dans les creux des montagnes. L'année 1866 fut pour Napoléon III l'une de ces périodes funestes.

Il aimait l'Italie, ce qui était bien, mais il l'aima à tel point que l'histoire de France ne parut plus qu'une annexe de l'histoire d'Italie.

A l'intégrité du nouvel Etat deux territoires manquaient : Rome, Venise. Rome était sacrée aux yeux des catholiques ; et M. Drouyn de Lhuys, ce ministre pondéré que Napoléon appelait à ses côtés dans ses jours de sagesse, quitte à se cacher de lui, M. Drouyn de Lhuys s'était flatté d'obtenir de Victor-Emmanuel qu'en établissant son gouvernement à Florence, il renonçât, ou parût renoncer à la vieille capitale du monde chrétien. Tel avait été l'objet de la Convention du 15 septembre 1864. Refuser Rome, c'était s'obliger doublement à libérer la Vénétie. Chez l'Empereur, le désir était devenu obsession. Comme on donne un bijou à une femme très aimée, il donnerait au jeune royaume le joyau de Venise.

A Biarritz, la pensée de l'Empereur s'était trahie. Faisant allusion à la Convention de Gastein qui a rapproché pour un instant les gouvernements de Vienne et de Berlin, il demande à Bismarck avec une certaine solennité si, par cette convention même, la Prusse n'a pas garanti à l'Autriche la possession de la Vénétie. Bismarck a compris l'émotion inquiète qui se cache sous ces paroles. Il a compris tout ce que l'Empereur concéderait et qui faciliterait la libération de Venise ; et il ne manque pas de souligner le propos dans son rapport à son roi. Et c'est alors que le chef du cabinet prussien, déjà depuis quelque temps très en éveil, s'affermit dans l'idée d'une alliance avec l'Italie, longtemps dédaignée à Berlin.

Le plus grand péril pour nous, ce serait l'union des deux grands Etats qui tendent à se former sur nos frontières. Or voici ce qui stupéfie : c'est Napoléon III qui a conseillé l'alliance ; c'est lui qui maintenant travaille à forger la chaîne où notre pays sera enserré.

De cette conduite quelle explication donner ? L'Empereur compte qu'en cas de conflit austro-prussien, les chances longtemps balancées lui permettront d'exercer un souverain arbitrage : surtout, par-dessus tout, il subit l'obsession de la Vénétie délivrée. Et aux Tuileries, à la manière d'un directeur de conscience diplomatique, il se fait consulteur pour Berlin, consulteur pour Florence.

Justement, il se trouve que le comte de Goltz et M. Nigra, représentant, l'un la Prusse, l'autre l'Italie, se sont depuis longtemps insinués dans l'esprit de l'Empereur et par surcroît de l'Impératrice. Rien ne leur a coûté, ni de célébrer le génie du souverain, ni de marquer, par un trouble discret et flatteur, leur admiration pour la beauté de la souveraine. Le manège a d'autant mieux réussi qu'à la cour impériale rien n'attire mieux la confiance que la qualité d'étranger. Comme il ferait à un confessionnal, — car il a toujours aimé les choses secrètes, — Napoléon accueille les deux diplomates, reçoit leurs confidences, leur montre les écueils à éviter, leur donne même des avis d'une habileté assez rouée ; car si cet homme est un rêveur, c'est un rêveur qui a lu Machiavel et s'en souvient, quoique mal à propos. — Cependant vers le confessionnal un autre personnage s'achemine, quoique plus rarement : c'est le prince de Metternich, ambassadeur d'Autriche, de crédit moindre, mais plus décoratif par sa haute naissance et le vieux prestige des Habsbourg. Lui aussi est accueilli avec faveur, car le souci de la libération de Venise domine ; et le mieux est de l'assurer de toutes mains, quelle que soit l'issue de la lutte,. — Tandis qu'aux Tuileries les portes s'ouvrent toutes grandes et à toute heure pour les diplomates qui ne parlent français qu'avec un accent étranger, celui qui est censé diriger notre politique extérieure, M. Drouyn de Lhuys, est réduit à marcher à la remorque de desseins qu'il connaît, mais auxquels il demeure étranger et qu'il a la faiblesse de ne pas réprouver. Pour accroître l'incohérence, il se trouve que ce ministre attaché à la politique conservatrice et traditionnelle a pour agent à Berlin, M. Benedetti, animé de pensées contraires, en sorte qu'à l'intimité confiante qu'exigeraient les circonstances se substitue le ton cérémonieux des communications officielles. De Berlin, M. Benedetti ne laisse pas que de transmettre des bribes d'informations qu'il juge fort intéressantes. Mais, — et c'est ici qu'un peu de comédie se mêle à la tragédie prochaine, — ces nouvelles qu'il mande précieusement ne sont souvent que des suggestions venues de Paris, de telle manière qu'il renvoie à leur point d'origine les propres pensées de son souverain. Pendant ce temps, Bismarck et le général Govone, venu de Florence, poursuivent leurs pourparlers. Est-ce diplomatie ? N'est-ce pas plutôt maquignonnage ? tant les Prussiens craignent que, l'Autriche se dessaisissant volontairement de la Vénétie, l'Italie satisfaite ne les abandonne ; tant les Italiens, à leur tour, redoutent qu'une nouvelle réconciliation entre Berlin et Vienne, qu'une nouvelle convention de Gastein, les laisse en suspens et mystifiés. Enfin, le 8 avril 1866, le traité est signé. Deux mois plus tard, c'est la guerre ; trois mois plus tard, c'est Sadowa.

 

II

 

Alors commence le déclin. Tel a été l'éclat du règne que cette décadence garde un aspect triomphal et que nous marchons à l'abîme avec des attitudes de victorieux.

De ces temps, deux histoires pourraient s'écrire : l'une déjà tout enveloppée de deuil et qui mériterait Tacite ou Comynes ; l'autre très voyante et où Froissart trouverait à profusion des cortèges à décrire, des fêtes à raconter.

Voici le premier acte de l'histoire angoissée. On vient d'apprendre Sadowa. Autour de l'Empereur se rassemblent ses principaux conseillers. Quel parti prendre ? Abstention, médiation simple, médiation armée pouvant conduire à la guerre ? Drouyn de Lhuys, ce ministre prudent dans les conjonctures ordinaires mais cette fois résolu jusqu'à l'audace, propose, — se croyant soutenu par le souverain, — des mesures énergiques. Et cette fermeté n'eût point manqué d'à-propos, à la double condition que, sans perdre une heure, on ne laissât pas le victorieux s'installer dans sa victoire et que l'Empereur, proclamant son désintéressement, ralliât de la sorte à lui tous les États de la Confédération germanique. Contre cette conduite s'élèvent M. de La Valette, arrivé à l'improviste, et M. Rouher. Une note a été préparée pour le Moniteur qui annonce la convocation des Chambres et la formation d'une armée d'observation. Cependant le Moniteur paraît, et rien n'est publié. Voilà l'histoire intime toute pénétrée d'anxiété.

Voici maintenant l'histoire extérieure qui s'étale joyeuse comme le succès. Les vieillards, — il en reste encore quelques-uns, — peuvent se la rappeler. Le 5 juillet, tandis qu'aux Tuileries règne la confusion, au quai d'Orsay l'angoisse, le Moniteur, muet sur le reste, annonce des nouvelles triomphantes à souhait : l'empereur d'Autriche a cédé la Vénétie à la France, et accepté notre médiation. Ainsi Napoléon recevait de l'Autriche en hommage une province, et en un autre hommage la remettait à l'Italie. A ce double geste fastueux et magnanime qui n'eût reconnu l'arbitre de l'Europe ? La Bourse monta de quatre francs. Aux fenêtres des mairies les drapeaux flottèrent ; à la nuit tombante, les édifices publics allumèrent leurs cordons de gaz. Dans la chaleur étouffante d'une soirée de juillet les passants circulaient, les uns, naïvement admiratifs, les autres, silencieux et étonnés ; quelques-uns d'autant plus soucieux qu'ils sentaient plus de péril sous cette courte joie. Et cela dura jusqu'à ce qu'un violent orage, éclatant sur la ville, dissipât ces trompeuses splendeurs.

Dans les jours qui suivent, même contraste de soucis angoissés et de surprenant optimisme. Les nouvelles se précipitent : Bismarck poussant l'Autriche hors de la Confédération germanique, détruisant cette confédération elle-même ; s'annexant le Hanovre, la Hesse électorale, Francfort ; enfin, en asservissant l'Allemagne du Nord, préparant les traités secrets qui lui livreront l'Allemagne du Sud. En ces conjonctures, l'attitude la plus digne pour nous eût été le recueillement, le silence et une réserve habile, qui n'eût laissé à la Prusse aucun prétexte pour achever d'usurper. Cependant l'Empereur, qui n'a rien demandé quand il pouvait tout obtenir, ne se résigne pas à demeurer les mains vides tandis que la Prusse accumule les conquêtes. De là des pourparlers plus ou moins voilés et des demandes de compensation. On jeta d'abord les yeux sur Mayence. On imagina ensuite — chose fort raisonnable, mais bonne à proposer avant la guerre, et non au lendemain de la victoire — la création d'un Etat germanique, mais neutre, entre la France et la Prusse agrandie. Puis, comme on ne pouvait créer une seconde Belgique, on rêva en un mauvais rêve, — fut-ce tout à fait un rêve ? on en laissa la trace écrite, — on rêva d'absorber l'autre Belgique, celle qui existait déjà. Entre temps, on parla des frontières de 1814. Mais le vainqueur de Sadowa est décidément hors de page. A la déférence succède la simple courtoisie, à la courtoisie la froideur, à la froideur enfin ces accès intermittents de mauvaise humeur qui conviennent vis-à-vis de ceux dont on a exprimé tout ce qu'on en peut tirer. Malgré tout, nous ne nous résignons pas à dépouiller notre manteau d'infatuation, et nous voici essayant de recomposer à notre usage une histoire triomphale. Le 16 septembre, une circulaire officiellement adressée aux chancelleries, mais en réalité au grand public, car tous les journaux la publient, entreprend d'énumérer tous nos bonheurs. Elle explique que la Sain te-Alliance n'existe plus ; que l'union des trois cours du Nord est brisée ; que l'Autriche, débarrassée de ses soucis italiens ou allemands, sera désormais entraînée vers l'Europe orientale où elle ne rencontrera ni compétiteurs ni ennemis ; que la Confédération germanique comprenait autrefois quatre-vingts millions, mais que par l'exclusion de l'Autriche, la masse de la population allemande est maintenant réduite à trente-sept millions. De l'Italie, devenue grand Etat, que peut-on craindre ? Créée par notre sang, ne sera-t-elle pas toujours pour nous une amie ? Au rédacteur de la circulaire, tout semblait matière à se réjouir, même la création dans la Baltique et la Méditerranée de marines, qu'avec une bienveillance dégagée on appelait des marines secondaires, et qui, disait-on, protégeraient la liberté des mers.

Qu'on se figure une église où, au fond de l'abside, des fidèles angoissés récitent à voix basse le Miserere, tandis que dans la nef se prolongent à grands renforts d'orgue les derniers versets du Te Deum, et l'on aura l'image de deux Frances : celle qui réfléchit, se recueille et tremble, puis celle qui, crédule, ignorante ou frivole, se refuse à interrompre cette fête joyeuse que fut l'empire, et se prépare pour 1867 à une autre fête plus prestigieuse que les autres, celle de l'Exposition universelle.

 

III

 

Jamais mieux qu'alors ne se montrèrent les deux visages de la France. Ce fut une prodigieuse opposition de lumière et d'ombre, et à désespérer le génie de Rembrandt aussi bien que l'habileté de Gérard Dow.

Comme les préparatifs s'achèvent, le conflit luxembourgeois, dernier épisode de l'affaire des compensations, entre dans sa phase aiguë, et voilà l'image de la guerre. — Le gros nuage s'éloigne, et l'on se rue dans le plaisir. Vers Paris, les souverains s'acheminent : parmi nos hôtes, l'empereur Alexandre et le roi Guillaume. Qui ne se rassurerait quand les seuls qui pourraient troubler le repos du monde sont parmi nous ?

C'est une succession de fêtes. Mais, à la revue du 6 juin, voici l'attentat de Berezowski, et une seconde fois l'horizon s'assombrit. Le tsar quitte la France, calme, amical en apparence, mais la mémoire chargée d'un souvenir qu'il n'oubliera pas. Les réjouissances reprennent. Paris plus que jamais se remplit de lumière et de bruit, et au théâtre, la Belle Hélène, la Famille Benoîton, la Grande-Duchesse de Gerolstein provoquent une gaieté poussée jusqu'à la pâmoison. — A travers les images bouffonnes, voici de nouveau le drame. Une dépêche arrive par la voie de New-York : Maximilien a été fusillé.

Malgré tout, on essaie de renouer le fil des réjouissances ; mais on ne réussit à être joyeux qu'à la condition de s'étourdir. C'est que de la Prusse arrivent des nouvelles troublantes. C'est à cette époque que la création d'un Parlement douanier marque une nouvelle étape dans la politique qui absorbera toute l'Allemagne, celle du Sud, celle du Nord. Dans le même temps on consomme l'annexion du Slesvig du nord et sans qu'à Berlin on écoute les vœux de la France qui eût souhaité qu'un plébiscite régularisât la conquête.

Apparence magnifique, réalité précaire, tout se résumait en ces mots. Déjà, parmi les pavillons de l'Exposition, plusieurs se fermaient et l'on touchait au terme de la féerie éblouissante qui n'aurait point de lendemain.

 

IV

 

L'Empereur, qui aimait le mystère, aimait aussi les confessions publiques. Ce fut lui qui jeta à son peuple le solennel avertissement d'une fortune amoindrie. En septembre 1867, en un discours prononcé à Lille, il parla des points noirs qui étaient venus assombrir notre horizon. Ce qui soulignait l'aveu, c'était la mise à l'ordre du jour d'un projet de loi déjà ancien, qui portait à neuf ans, dont quatre ans dans la réserve, la durée du service militaire et qui instituait en outre, sous le nom de garde mobile, une armée auxiliaire pour la défense du territoire.

La grande Kermesse finissait en veillée d'armes. Tandis que les équipes d'ouvriers abattaient les fragiles constructions du Champ-de-Mars, les députés se rassemblaient au Palais-Bourbon, chargés de fixer ce que la nouvelle condition de la France exigeait de sacrifices.

Rien ne résiste moins à l'épreuve du temps que les discussions parlementaires. Qu'on les ressaisisse au bout de quelques années, et tout paraît décoloré, le sujet, le public, les acteurs. Bien autre est l'impression quand, dans le Moniteur de 1868, nous lisons les débats de la loi militaire. Sur les harangues plus d'un demi-siècle a passé, mais sans les effacer. Il semble même que, fixées sur le papier déjà jauni, elles prennent un relief plus saisissant, tant se dresse devant nous l'image toute vivante des périls que les contemporains ne pouvaient à cette heure que craindre ou pressentir.

Ce n'est plus le Corps législatif paisible des premières années du règne ; ce n'est même plus celui de 1861, fort discipliné en temps ordinaire et ne s'éveillant tout à fait qu'une fois l'année pour cette fête d'éloquence qui est la discussion de l'Adresse. C'est une assemblée très réservée, très respectueuse encore, mais qui, peu à peu et comme à son propre insu, s'introduit dans le gouvernement. Un parti s'est formé, désigné sous le nom tantôt de tiers parti, tantôt de centre gauche, et qui, au mois de mars 1866, par un amendement demeuré fameux sous le nom d'amendement des 42, a invité l'Empereur à s'affirmer dans la voie libérale. Les institutions se sont transformées, comme les dispositions des hommes. Plus d'adresse, mais le droit d'interpellation, bien plus actif, qui permet à point nommé des interventions dans la politique ; puis au banc officiel, à côté des ministres sans portefeuille institués en 1861 pour la défense de la politique gouvernementale, d'autres ministres sont assis qui, en vertu d'une délégation spéciale, sont appelés à débattre les affaires de leurs départements respectifs[1]. De session en session, d'autres symptômes, de plus en plus visibles, se sont révélés : une confiance un peu diminuée et des appréhensions qui se manifestent moins par critique que par tiédeur d'approbation ; le sentiment confus mais inquiet d'un passé chargé de fautes, d'un présent précaire, d'un avenir incertain.

Voici à leur banc les membres de la commission, presque tous gens de travail et d'expérience, les ministrables de demain, dit-on, mais plus graves que de coutume et accablés sous leur responsabilité. Dans le pays nul n'est indifférent, ni les paysans attentifs à ce que, dans la loterie de la conscription, il subsiste de bons numéros, ni les bourgeois qui, sans le dire très haut, voudraient bien conserver quelque chose de l'exonération.

En ces conjonctures, beaucoup, soit persistance de docilité, soit recherche de lumière, portent leurs regards vers l'Empereur. Entre tous, il est le plus anxieux.

Italie, Allemagne, Pologne, principautés danubiennes, Mexique, il a touché à tout. Prince fastueusement et candidement international, n'a-t-il pas laissé démanteler la patrie ? Ce que nul n'ose lui dire encore, il se l'est dit à lui-même, et il se rejette vers une politique aussi réaliste que l'autre a été embrumée de rêves. En une lettre au maréchal Randon, il a hasardé l'idée d'un service militaire universel et obligatoire de sept ans. A quelque temps de là, le Moniteur a proclamé qu'il fallait à la France une armée de huit cent mille hommes sans compter les forces auxiliaires, et en 1867, dans le discours du trône, s'est glissée cette phrase : L'influence d'une nation dépend du nombre d'hommes qu'elle peut mettre sous les armes.

Le renversement est complet. Seulement, voici la grande confusion : quand Napoléon, instruit par une expérience cruelle, commença de se repentir, il se trouva en présence d'un peuple en pleine éruption des erreurs dont lui-même se guérissait.

On a beaucoup trop vanté la prospérité matérielle du Second Empire. Les mauvaises récoltes, les inondations, le choléra ont, sans parler des guerres, jeté leur note sombre sur un passé trop embelli. Toute exagération mise à part, ce fut une époque de gains fort accrus, d'existence fort aisée, de divertissements ménagés avec un art infini. Jusqu'ici Napoléon avait paru le protecteur à la fois bienveillant et génial sous l'abri de qui se prolongerait cette vie heureuse. Quelle ne fut pas la déception quand, se transformant en maître à l'humeur chagrine, il jeta, en une société encore endormie dans la douceur de vivre, le cri presque angoissé de ses désillusions !

L'appel à la vigilance détonna d'autant plus qu'on sortait des fêtes de l'Exposition. Les étrangers, rassemblés dans Paris, nous avaient beaucoup observés ; c'est de quoi nous ne nous étions nullement méfiés ; un peu de fatuité aidant, nous nous étions persuadés que nos hôtes ne nous étudiaient que pour nous imiter et qu'ils ne nous imitaient qu'à force de nous admirer. Le roi Guillaume, avec son bienveillant sourire de vieillard courtois, avait paru tout à fait pacifique, et Bismarck lui-même, vu de près, avait semblé plus amusant que redoutable.

Depuis dix ans, les doctrines du libre-échange, le développement des chemins de fer et des relations internationales avaient fortifié les espérances pacifiques, et les économistes s'étaient hasardés à promettre pour l'avenir les plus abondantes félicités. L'Empereur lui-même, dans ses harangues d'autrefois, ne s'était-il pas approprié ce programme ? et ne suffi - sait-il pas de parcourir les œuvres du souverain pour opposer à son nationalisme récent son internationalisme d'autrefois ?

Quel que fût le désir de ne point déplaire à l'Empereur, toutes les répugnances du pays se retrouvèrent à des degrés divers dans la discussion du Palais-Bourbon.

Elle s'ouvrit le 19 décembre 1867. L'Empereur a son avocat, Rouher au sommet de sa faveur, avocat excellent, mais surtout avocat, et ce fut le malheur du règne d'avoir des avocats où il eût fallu des hommes d'Etat. Cependant en ce débat Rouher n'aura pas le principal rôle. Un autre, le ministre de la Guerre, assumera la plus lourde charge, et avec un tel mélange de souplesse et d'autorité qu'on l'eût dit fait pour la tribune aussi bien que pour les armes.

C'est le maréchal Niel. Il a grandi dans Toulouse et garde en lui tout intacte l'éloquence primesautière et la verve avantageuse de sa province natale. Ceux qui le connaissent le mieux le disent supérieur impérieux, collègue incommode, subordonné murmurant ; entre lui et le maréchal Canrobert ont surgi jadis de mémorables démêlés. En revanche, il est instruit, d'esprit étendu autant que vif et prompt, est capable de contrôler ses propres pensées aussi bien que de critiquer celles des autres, sait, quoique loquace, se recueillir autant que les plus taciturnes, et passe, même au témoignage de ses adversaires, pour l'un des premiers militaires de son temps.

Ce qui pour Rouher n'est que grand procès à plaider est pour lui partie décisive, et à tel point que, pour la gagner, il est résolu à dépenser ses forces jusqu'à l'entière usure. L'effort est rude, — tant les adversaires sont nombreux ! Il y a d'abord l'extrême gauche, peu redoutable, bien qu'elle ait pour orateur Jules Simon. Il y a, — soutenus par M. Thiers, — les militaires de la vieille école, très écoutés, très insistants, pour qui la loi de 1832 est la charte de l'armée et qui redoutent qu'en touchant à cette loi fondamentale, on ne perde les avantages du système français sans s'assimiler les méthodes prussiennes. Un autre groupe d'adversaires est celui des économistes : justement on procède à une enquête agricole, et partout on recueille le vœu que les charges militaires soient allégées.

Niel n'a jamais abordé la tribune ; mais il s'impose par passion, force de volonté, éloquence naturelle, puissance de conviction. Avec un rare instinct d'opportunité, il concède, reprend doucement, concède encore. Impérieux par nature, il réussit à s'assouplir, même avec toutes les apparences de la bonne humeur, et attend, pour redevenir cassant, qu'il n'y ait point trop de risques à l'être. En Méridional avisé, il demeure maître de lui, même en ses colères, et ne s'irrite qu'en sachant se calmer à temps, comme ces femmes qui ne pleurent qu'avec la faculté d'arrêter à volonté leurs larmes. Cependant le grand souci est de discerner ce qu'on peut livrer, ce qu'à tout prix il faut taire. Dans les débats publics, l'opposition a des privautés que le pouvoir n'a pas. Elle n'engage qu'elle-même, tandis que le gouvernement, comme un pasteur ayant charge d'âmes, est responsable devant le pays, responsable devant l'étranger. Jamais la circonspection ne fut plus nécessaire qu'en ces débats où l'avenir de la nation était en jeu. Il ne faut ni affoler l'opinion publique, ni au dehors fournir des armes à qui nous observe et nous guette. Il faut pourtant graver assez l'inquiétude pour que le projet trouve dans ces inquiétudes même sa justification. De là, la nécessité de doser les alarmes, de créer à Paris et dans les départements un courant, mais point trop intense, de provoquer un frisson qui ne soit point fièvre, d'exciter une vigilance qui ne soit point affolement. Tel fut, pendant la discussion qui dura près d'un mois, — du 19 décembre 1867 au 14 janvier 1868, — l'effort épuisant du maréchal. A ses côtés se tient M. Vuitry, président du Conseil d'État, l'homme à la parole lucide et à l'autorité incontestée. Pendant ce temps, les solennités du jour de l'an se déroulaient dans Paris avec des réjouissances banales qui ne faisaient que mieux ressortir le trouble profond de certaines âmes.

Au scrutin final, soixante députés déposèrent un suffrage négatif. J'attribuerais volontiers à une cause tout à fait générale cette opposition qui, dans le recul des temps, paraît malavisée jusqu'à être coupable. Pendant de longues années, Napoléon avait éparpillé de tous côtés ses forces, touché à tout, tout entamé, et le plus souvent sans profit pour la France. Les députés avaient tout accordé. Cependant la foi dans l'infaillibilité impériale s'était ébranlée. C'était en ces heures de désillusion qu'avait été déposée la loi militaire. De là un retour d'indépendance méfiante, mais à une heure si inopportune que la méfiance serait plus fatale que ne l'avait été jamais la soumission. Ainsi arriverait-il que ce que le gouvernement avait obtenu sans murmures pour des entreprises superflues ou funestes, il ne l'obtiendrait qu'avec parcimonie et répugnance quand, tardivement revenu à la sagesse, il ne stipulerait plus que pour le salut[2].

 

V

 

Dans le train ordinaire de la Cour, rien n'est changé : même éclat, même étiquette, mêmes déplacements accoutumés, même frivolité, quoique moindre qu'on ne l'a cru ; une grande profusion de plaisirs et une continuelle dépense d'imagination pour en inventer de nouveaux ; une hospitalité magnifique, surtout vis-à-vis des étrangers ; de la légèreté, mais point jusqu'à la corruption ; de temps en temps, des entretiens sérieux, bien vite interrompus, tant l'habitude est de se laisser vivre ! Par intervalles aussi, des visions de péril, mais qu'on ne tarde pas à chasser, moitié par crainte de paraître importun ou morose, moitié par confiance inaltérée dans les ressources de la France.

De ce cercle brillant l'Empereur est le centre. Mais jamais prince plus entouré ne fut, en réalité, plus solitaire. Il ne peut même pas se reposer en cette intimité conjugale qui, dans les rangs obscurs de la vie, remplace tout le reste. Aux premiers jours du mariage, l'Impératrice, soit affection, soit reconnaissance, s'est attachée à celui qui avait déposé à ses pieds la couronne. Plus tard, tout à la fin, elle se prendra de respect, presque d'admiration pour le souverain qui, au milieu des douleurs de l'exil, demeurera impassible devant la calomnie, indulgent pour les reniements de ses amis, patient dans la souffrance, courageux devant la mort. A l'heure où nous sommes, une certaine répugnance presque physique l'éloigné de l'époux, malade, précocement usé, bon, mais de sens moral un peu oblitéré et que l'impuissance seule peut empêcher d'être infidèle.

Au dehors, même isolement. Du prince Napoléon, tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'il ne soit pas un embarras, tant il s'est approprié, en un jour, tous les défauts des branches cadettes : la jalousie, l'esprit de critique, le goût des nouveautés, l'ardeur à jouir avec l'impatience de n'être rien. Intelligent, il l'est ; éloquent aussi, et même très capable de sagesse ; mais il porte en lui un défaut grave toujours, mortel chez un prince, celui de ne savoir rien retenir et quand la passion l'étreint ou quand une simple contrariété le trouble, il clame à tout venant ses plus inopportunes pensées.

Que dire des autres serviteurs du souverain ? De deux amis de la première heure, Morny est mort, Persigny s'est réfugié dans une attitude murmurante et chagrine. Parmi ceux qui ont été ministre des Affaires étrangères, Drouyn de Lhuys, — quoique très constitué en dignité, car il est membre du conseil privé, — vit dans la retraite, Thouvenel est mort, Walewski touche à ses derniers jours. Malgré certaines avances discrètes, les nommes des anciens partis ne se donnent pas. La méfiance du souverain accroît encore sa solitude. Entouré de flatteurs, une obsession le hante : celle d'échapper à. l'adulation. Les gens de cour sont perspicaces autant que persévérants. Ayant pénétré cette tendance, ils s'avisèrent que le meilleur moyen d'avancer leur fortune serait, non d'abonder dans les pensées du maître, mais de le contredire. Napoléon pourrait-il deviner cette nouvelle forme de fausseté qui consisterait à affecter la brusquerie pour mieux capter la faveur ? Ainsi arriva-t-il qu'une franchise presque bourrue devint façon de parvenir ; et ce manège réussit plus d'une fois.

Ramené par les événements dans l'étroit sentier des réalités, Napoléon se retourne volontiers vers le Corps législatif. Il n'a ni les qualités ni les défauts qui font les princes absolus, et de son grand ancêtre il ne perpétue que le nom. De façon très méritoire et de sa propre initiative, sans attendre les injonctions ni même les prières, il s'est appliqué, en 1860, en 1867, à assouplir les institutions rigides de 1852. S'achemina-t-il vers le régime parlementaire ? Tout en s'en approchant, il le répudie. Il entrevoit, — et en cela il fait preuve de sagesse, — un régime qui, en donnant droit de représentation à tous les intérêts légitimes, ne transférera pas aux Chambres la souveraineté. Mais en attendant que se réalise cet idéal qui, depuis un siècle, semble fuir devant nous, il se trouve, lui, dans une condition singulière, qu'aucun docteur en science politique ne saurait définir. Il a, comme les rois constitutionnels, un premier ministre, et pourtant, comme les princes absolus, garde sur ses épaules devenues débiles toute la responsabilité. A travers toutes les fluctuations de la politique, un homme, M. Rouher, s'est poussé. Beaucoup d'application au travail, un esprit lucide, beaucoup de probité en ont fait un excellent ministre d'affaires. Comme il parlait bien et même avec chaleur, on s'est avisé qu'il pourrait prendre rang parmi ceux qu'en 1861, on a institués sous le nom de ministres sans portefeuille. Billault qui lui eût fait ombre est mort ; Baroche qui avait sur lui le droit d'ancienneté s'est trouvé vieilli. Ainsi est-il monté au premier rang, et même avec le titre de ministre d'Etat qui semble marquer une sorte de primauté. Bonnes causes, causes mauvaises, Rouher a plaidé les unes et les autres avec une chaleur poussée parfois jusqu'à l'émotion, mais une de ces émotions d'avocat qui se ménagent elles-mêmes, se dépensent sans se consumer et s'apaisent dès que le plaidoyer est fini. Rien en lui de l'élégance de Billault, l'homme à la précision savante et à l'imprécision plus savante encore ; nulle haute culture générale et plus de finesse dans la conduite que dans l'esprit ; en revanche, une vigueur puissante quoique un peu lourde et quelque chose de l'Auvergnat souple bien que pesant, sans grâce mais non sans force, subtil avec des apparences massives. Tel est l'homme qui, unissant en lui les bénéfices de la faveur et de l'irresponsabilité, fait ombre à son souverain et pourtant ne le couvre pas. Avocat, il l'est et le sera jusqu'au bout, avocat consciencieux, fidèle aussi, qui ne néglige rien de la cause, mais, si le procès est perdu, laisse le client, — dans l'espèce l'Empereur, — acquitter l'enjeu et par surcroît les dépens. L'Empereur a pénétré la précarité de sa condition. Il a l'aspect d'être défendu, mais l'aspect seulement et sent bien qu'en cas de péril tout viendra s'abriter derrière lui. Rouher le subjugue et le lasse à la fois. Il lui prodigue les marques de sa faveur, mais si le cours des événements l'éloignait, il ne porterait de sa perte que le petit deuil. En même temps qu'il s'applique à transformer les institutions, le souverain cherche des hommes nouveaux. Son ambition serait de les découvrir lui-même, tant la crainte d'être victime de la flatterie ou de l'intrigue le rend méfiant de tout ce qui ne vient pas de lui ! Il y a quelques années, à la grande surprise des gens de cour, il a été chercher pour lui confier le ministère de l'Instruction publique un professeur, M. Duruy, jusque-là étranger au monde politique et qui, au cours d'une inspection universitaire, a appris non sans stupéfaction qu'il était ministre. Un peu plus tard, a émergé un conseiller d'Etat, M. Thuillier qui, appelé comme commissaire du gouvernement à prendre la parole devant la Chambre, y a remporté de tels succès de tribune qu'avec un enthousiasme fort excessif on a cru M. Rouher dépassé. Mais bientôt, dans tout l'éclat de sa renommée naissante, M. Thuillier est mort. A l'heure où nous sommes, un autre personnage apparaît sur la scène ; c'est un procureur général, M. Pinard, petit de taille, rageur par tempérament, de belle éloquence judiciaire, d'intégrité sans tache. Mais ce qui semble brillante fortune finit en disgrâce, en sorte que derechef les amis de M. Rouher peuvent se rassurer. Appelé au ministère de l'Intérieur, M. Pinard se montra inhabile à la tâche, moins par médiocrité d'esprit que par manque de sang-froid ou raideur, et il ne faut pas trop s'étonner de l'échec, la rigidité étant le propre des magistrats comme la souplesse est le propre des politiques.

L'Empereur, qui cherche loin de lui des hommes nouveaux, en cherche aussi dans son propre entourage. Ainsi arrive-t-il qu'il prend en grande faveur l'un de ses aides de camp, le général Fleury. C'est un cavalier de la plus brillante bravoure qui jadis a figuré aux côtés du duc d'Aumale le jour de l'enlèvement de la Smala. Il est homme d'esprit, homme du monde aussi, outre cela excellent connaisseur en chevaux, et marqué par surcroît de cette humeur avantageuse propre à beaucoup des serviteurs du second Empire. L'Empereur se dispose à le pousser. Le voilà transformé en diplomate et chargé de mission à Florence. Tout à la fin du règne, il sera ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Là-bas, le tsar l'emmènera dans ses courses en voiture ou le consultera sur ses attelages ; et, un peu de fatuité aidant, ces privautés paraîtront l'indice d'un retour d'amitié pour la France.

Outre ceux que le souverain discerne, il y a ceux qui, opposants jadis ou tout à fait inconnus, sont attirés par l'abondance des faveurs que l'Empire, même au déclin, peut promettre encore. Ce sont, en général, des hommes jeunes, aux robustes appétits d'ambition, affectant de ne rien solliciter, mais brûlant qu'on les distingue, et jaloux, si le régime se transforme, de saisir la place de ceux qui vieillissent ou qui meurent. Le plus brillant de ces aventuriers de la politique est Clément Duvernois. Cependant un personnage de bien autre importance, Emile Ollivier, se rapproche par degrés du pouvoir, et semble vraiment l'héritier présomptif, si jamais la retraite de Rouher laisse vacante la première place. La conquête d'un tel homme est-elle bénéfice ou danger ? Les plus prévoyants gardent le silence. Ce n'est pas qu'ils mettent en doute l'éloquence, l'intégrité, la droiture d'Emile Ollivier ; seulement, la combinaison leur inspire défiance ; car elle associera, si elle se réalise, à un homme revenu de ses illusions, mais encore en danger de rechute, un autre homme en pleine floraison des siennes.

 

VI

 

A travers les entretiens politiques et les intrigues de Cour perce par intervalles le cri angoissé de ceux que travaille le salut de la patrie.

Déjà le colonel Stoffel, attaché militaire, et le consul général Rothan ont, l'un de Berlin, l'autre de Francfort, dénoncé les prochains dangers. Notre ambassadeur, M. Benedetti, quelles qu'aient été ses imprudences, laisse échapper par intervalles l'expression clairvoyante de ses inquiétudes. Dès 1867, le général Trochu, avec la vigueur de critique qui lui est propre, a signalé les lacunes de notre organisation militaire et dénoncé la béate inertie où nous entretiennent à la fois notre infatuation et le souvenir de faciles succès. Le général Ducrot, qui commande à Strasbourg, observe avec une vigilance à la fois inquiète et ardente ce qui se passe au delà de la frontière. Avec un frémissement de soldat qui risque de devenir compromettant faute de se contenir, il entrevoit la guerre, et la veut guerre offensive. Le meilleur moyen de défendre le Rhin, écrit-il un jour, c'est de le franchir.

Cependant, entre tous les avertissements, le plus angoissé n'est pas celui d'un militaire. Durant l'été de 1868, un livre paraît sous ce titre la France nouvelle. L'auteur est Prévost-Paradol. Qu'on lise, non l'ensemble de l'ouvrage qui a vieilli, mais les trois derniers chapitres. Jamais inquiétude plus poignante n'a dicté plus patriotiques accents. Ce n'est plus le polémiste aux traits railleurs qui, naguère encore, dans le Courrier du dimanche, criblait le pouvoir de ses flèches, à la pointe légère et acérée. Nulle ironie désormais, la gravité des conjonctures ne les comportant plus ; un langage qui est celui d'un politique, mais d'un politique qui est aussi un lettré, et des réminiscences de Démosthène annonçant d'avance aux Athéniens frivoles et inattentifs, l'approche des armées de Philippe ; l'image endeuillée, quoique grandiose encore, d'une France, respectée peut-être dans son territoire, mais mortellement atteinte dans son influence et vivant, comme l'Espagne, de ses grandeurs passées ; des prévisions poussées jusqu'à la prédiction, et des prédictions grossies à dessein comme pour mieux secouer la torpeur des âmes ; avec cela quelque chose d'un peu fiévreux, d'un peu maladif dans l'inquiétude, comme si la vision des périls futurs était tellement intense que, si jamais cet avenir se réalisait, la raison de celui qui traçait ces lignes y succomberait.

C'est en cette atmosphère que travaille Niel, ministre de la Guerre et suprême responsable de la sécurité nationale. Son grand effort est de conquérir le droit d'être prévoyant. La Chambre a voté, mais non sans marchandages, la loi militaire. Toutes les suggestions qui ont suivi ont été accueillies avec le même souci de retouche ou de retranchement. Ce n'est pas manque de patriotisme, mais souvenir des entreprises inutiles où le règne s'est consumé. Que si le maréchal réussit à ramener à lui la Chambre, il n'a accompli que la moitié de sa tâche ; car, pour réformer l'armée existante, pour la doubler d'une armée auxiliaire qui sera mieux et autre chose que l'ancienne garde nationale, il lui faut vaincre les résistances passives de ses subordonnés eux-mêmes et en particulier des Comités. Là, des généraux vieillis dans le métier, très instruits quoique d'après des méthodes non renouvelées, défendent avec une ardente opiniâtreté la loi de 1832. — Cependant le principal péril est celui de l'infatuation. Comme toutes les entreprises du règne se sont achevées en victoires, beaucoup vont répétant que les soldats qui ont emporté Malakoff, escaladé la roche de Solférino, conquis les quadres de la Puebla n'ont aucun besoin de se réformer et qu'ils ne sauraient être ni surpassés ni mêmes égalés.

Le conflit, qui était proche, Niel ne le verrait pas. En août 1869, la mort le surprit. Cette fin prématurée fut-elle cruelle ou clémente pour sa renommée ? Qui pourrait le dire aujourd'hui ? Sur l'heure, les plus prévoyants eurent le sentiment d'une grande force disparue. C'est, dirent-ils, une de nos dernières sécurités qui s'en va.

 

VII

 

En ces conjonctures, une prévoyance même médiocre commandait de chercher des alliances. La Russie, depuis les affaires de Pologne, depuis l'attentat de Berezowski, était plus réservée qu'amicale. L'Angleterre se désintéressait des affaires du continent et entretenait d'ailleurs avec la Prusse, par l'intermédiaire de lord Loftus, ministre de la reine à Berlin, les plus étroites relations. Quant à l'Italie, elle avait, pour se constituer en nation, demandé à la France le secours de ses armes, à l'Angleterre l'appui de ses journaux, à la Prusse son concours pour l'acquisition de la Vénétie et, comme elle avait été l'obligée de tout le monde, on pouvait craindre qu'elle se jugeât dispensée de remercier personne.

Ces retranchements opérés, une puissance, une seule, restait, l'Autriche.

L'Empereur ne l'aimait pas. On a dit sur quoi se fondaient ses répugnances. En 1859, entre Autrichiens et Français, la guerre avait éclaté.

Elle avait été courte et conduite par nous sans passion. Les Autrichiens, de leur côté, étaient, entre tous les peuples, celui qui oublie le plus vite. Drouyn de Lhuys, pendant son second ministère, favorisa le rapprochement, et plus encore l'Impératrice, très liée d'amitié avec le prince et la princesse de Metternich. En dépit de ses vieilles préventions, l'Empereur, surtout dans les jours où les Italiens l'excédaient de leurs revendications, ne laissait pas que d'écouter avec faveur ceux qui tentaient de l'incliner vers Vienne : de là des relations non seulement correctes, mais cordiales, de là les premiers linéaments d'une entente qui pourrait devenir amitié.

Sur ces entrefaites, l'obsession de la Vénétie à libérer distendit les liens prêts à se former. Tout entier à ce dessein, Napoléon mit lui-même la main de l'Italie dans la main de la Prusse ; et l'Autriche vaincue put, non sans raison, nous imputer une partie de ses malheurs.

L'année 1867 vit un nouveau revirement. La France avait besoin d'alliés, l'Autriche pareillement ; la France redoutait les ambitions prussiennes, l'Autriche aussi. Communauté d'intérêts, communauté de répulsions, tout rapprochait l'une et l'autre puissance. Au mois d'août 1867, voyage de Napoléon et de l'impératrice Eugénie en Autriche ; l'objet officiel est une visite de condoléances à l'occasion de la mort de Maximilien. Dans le cadre pastoral de Salzbourg, les souverains passent cinq journées, — en demi-deuil, dit-on, mais un de ces demi-deuils autrichiens fort éclaircis qui s'appellent divertissement ailleurs. Deux mois plus tard, François-Joseph vient à Paris et, dans un discours à l'hôtel de ville, célèbre en un magnifique langage les bienfaits de l'union. On dirait des rencontres avant fiançailles, et des rencontres si fécondes en paroles engageantes qu'on ne peut douter que les fiançailles ne suivent et le mariage bientôt après.

Il n'en va point de la sorte. Les négociations ou plutôt les conversations se continuent mais avec des timidités, des réserves, des méfiances, de telle manière qu'on évite la précision autant qu'il conviendrait de la rechercher. Où il faudrait écrire le mot d'alliance, on se borne à invoquer l'opportunité de resserrer les liens en vue d'une action commune. Des lettres très suggestives s'échangent : Si par impossible, écrit Napoléon à François-Joseph en septembre 1869, l'empire de Votre Majesté se trouvait menacé par quelque agression impossible à prévoir, je n'hésiterais pas un instant à mettre de son côté toutes les forces de la France. Ainsi l'on se rapproche, l'on se sourit, l'on se frôle, mais sans aller au delà de ces quasi-engagements qui, à l'heure des grandes responsabilités, peuvent se répudier. Une combinaison surgit qui tend à transformer, par l'accession de l'Italie, l'alliance à deux en une alliance à trois. C'est accroître les difficultés de l'entente : car il faudra ajouter aux cauteleuses circonspections de l'Autriche, attentive à ne pas consommer sa ruine sous prétexte de réparer ses échecs, les convoitises de l'Italie, ardente à obtenir de la France l'abandon de Rome.

En février 1870, l'archiduc Albert, le vainqueur de Custozza, vient à Paris ; en juin, le général Lebrun se rend à Vienne, et longuement on parle de coopération militaire, mais en des termes tout académiques, comme ne manque pas de le faire observer l'archiduc. Sur ces entrefaites, éclata le grand conflit. Et l'on ne peut se défendre de souligner le mélange d'impéritie et de malheur qui pesa sur notre destinée. En 1866, nous avions, avec une remarquable étourderie, authentiqué par notre écriture nos visées sur la Belgique. Dans les longues tractations avec l'Autriche, notre lenteur à dresser un écrit, même imparfait, fut égale à la précipitation qui nous avait égarés jadis. Ainsi arriva-t-il qu'à l'heure fatale, nulle signature ne figurait au bas de l'acte simplement élaboré qui eût pu nous sauver.

 

VIII

 

On dirait qu'en cette fin de règne, le peuple de Paris et des grandes villes veuille, à force d'attaques contre le souverain, s'amnistier d'avoir cru en lui.

Une loi venait d'affranchir la presse. Tout ce qui s'était accumulé de rancunes contre le dur régime de l'Empire se déversa comme un torrent débordé. Vis-à-vis du prince, nulle justice, et plus d'injures que jamais il n'avait rencontré d'adulations. Il y eut, — mais seulement en 1869, — le Rappel qui, fondé sous les auspices de Victor Hugo, enveloppa de métaphores chacune de ses insultes. Il y eut, dès 1868, le Réveil, rédigé par Delescluze, un vétéran des Sociétés secrètes, attentif à copier les Conventionnels, comme les Conventionnels avaient copié l'antiquité ; imitant tout de la Révolution, ses maximes tranchantes, ses formes de langage et jusqu'à son calendrier, tragédien en attente de tragédie et se désespérant qu'elle n'arrive pas, personnage sombre, dogmatique et pauvre n'ayant qu'une idole, Robespierre, devant qui tout doit s'effacer. — Cependant la popularité ne se fixa ni sur les déclamateurs, ni sur les fanatiques. Le 30 mai 1868, parut la Lanterne d'Henri Rochefort. Aujourd'hui on ne lira pas sans fatigue, sans dégoût même, ces petites feuilles où l'on ne découvre aucun souci non seulement d'être juste, mais de le paraître, où se rassemblent moins de traits que de calembours et où, sous la gaieté qui est dans les mots, se cache une gaminerie perverse. Sur l'heure, la vogue alla jusqu'à l'engouement, l'amusement jusqu'à la pâmoison, et l'impitoyable raillerie, jugée alors très spirituelle, porta un nouveau coup à ce qui restait de respect.

Comme pour achever le déséquilibre, une autre loi fut votée qui autorisait non les associations, — ce qui eût comporté de sérieux avantages, — mais les réunions publiques. De là un dévergondage de paroles à la fois vides et factieuses qui jamais n'avait été surpassé. L'Empereur, qui voulut cette loi, espéra-t-il que la démagogie se discréditerait par l'excès de ses clameurs ou la folie de ses revendications ? Vers la fin de l'année 1868 s'ouvrirent, dans les faubourgs, les salles de réunions. Les survivants, devenus assez rares, peuvent se rappeler le spectacle. C'est alors que se révélèrent les hommes que deux ans plus tard, la Commune rendrait fameux.

Dans les masses urbaines, certaines maximes se répétaient, acceptées comme autant d'axiomes : fraternité des peuples, abolition des armées permanentes. En ce très généreux langage, on eût pu discerner plus d'illusions que d'opportunité. Ce pacifisme était d'ailleurs lui-même à base de chauvinisme, car il supposait une France si puissante, si prestigieuse qu'il lui suffirait de vouloir la paix pour que la guerre n'éclatât jamais.

La gravité des conjonctures exigeait un train de vie silencieux, de telle sorte qu'en fuyant les incidents on évitât les conflits. Elle exigeait surtout l'appel au sacrifice, c'est-à-dire aux forces morales, par-dessus tout aux forces religieuses, ces vraies génératrices d'abnégation et d'obéissance. Or, à Paris et dans les grandes agglomérations, s'était développé un libertinage d'esprit qui, d'abord négligé ou inaperçu, débordait maintenant avec violence. On dédaigne fort cette impiété tranquille, aux clichés non renouvelés, qui a charmé pendant cinquante années les lecteurs du Siècle ; et une émulation, à la fois ingénieuse et grossière, se déploie pour inventer des blasphèmes inédits. Nulle autorité intangible, nul respect inviolé ; des cris de révolte poussés jusqu'à l'imprécation ; tout rite religieux banni, non seulement dans la vie, mais à l'heure de la mort. Tout est suspect, non seulement le christianisme, mais toute doctrine qui n'efface pas le nom de Dieu.

Petits griefs ou grandes accusations, reproches fondés ou inventions calomnieuses, tout se ramasse contre l'Empereur.

L'origine du régime, c'est le coup d'Etat du Deux-Décembre. Jusqu'ici la compression des lois et une certaine indifférence des masses ont voilé les souvenirs que cette date rappelait. Maintenant un livre paraît[3], d'autant plus habile qu'il se revêt de modération et qui remet en mémoire tout ce que les contemporains n'ont pas connu ou se sont appliqués à oublier. En se continuant, l'enquête vengeresse découvre un martyr, Baudin, mort le 3 décembre, pour la défense de la légalité. Pour lui ériger un monument, une souscription s'ouvre que le gouvernement, mal inspiré, juge factieuse : de là un procès qui grave dans le public deux noms : Baudin qu'on canonise, Gambetta que son plaidoyer rend fameux.

Bien plus que du coup d'État, l'Empereur se réclame de Napoléon Ier, son grand ancêtre. Or, un soin minutieux et persévérant se dépense pour la démolition du surhomme. L'histoire s'y emploie avec Lanfrey qui, sous la gloire, exhume les erreurs, les fautes, les crimes. La philosophie, venant à la rescousse, met en lumière les lois morales violées. Le roman apporte sa contribution avec Erckmann-Chatrian, qui montre les jeunes recrues de 1813 partant mélancoliques et résignées pour une campagne dont elles ne reviendront pas. L'année 1869 est celle du centenaire du grand Empereur. Des cérémonies officielles, mais dans le public nulle vibration. Et les vieillards ne se lassent pas de comparer cette indifférence avec le concours des Parisiens venant, en 1840, sous le ciel glacial de l'hiver, saluer le retour des Cendres.

Nul souvenir de la sollicitude du prince pour les classes populaires. Et pourtant quels n'ont pas été ses efforts ! Sous son règne, se sont développées les sociétés de secours mutuels, les salles d'asile, les œuvres de charité maternelle, les institutions en faveur des ouvriers malades, convalescents ou invalides. La prospérité générale a amené une hausse sensible des salaires. L'Empereur a porté ses vues plus haut et plus loin. Il a caressé le plan de groupements internationaux où les ouvriers des divers pays se formeraient à la fois à mieux remplir leur tâche professionnelle, à exercer pacifiquement leurs revendications. Dans cette pensée, il a non seulement toléré mais favorisé, dès le milieu de son règne, l'association internationale des travailleurs. La même inspiration l'a guidé quand, trois ans plus tard, en 1864, malgré le Conseil d'Etat plus froid qu'empressé, malgré la Chambre plus docile qu'approbatrice, il a fait voter la loi qui supprimait le délit de coalition et autorisait les ouvriers à se liguer pour la défense de leurs intérêts.

Maintenant toute cette vigilante sollicitude est oubliée. Dans les réunions publiques, le peu qu'on sait de l'histoire romaine se monnaie en insultes contre l'Empereur qui est à la fois Tibère, Néron, Caligula. Un jour, un cordonnier, plus lettré que les autres, parle même d'Héliogabale. Cependant l'Association internationale des travailleurs, société d'études dans l'esprit de l'Empereur, s'est transformée en société de combat et en ses congrès tenus hors de nos frontières, à Bruxelles en 1868, à Bâle en 1869, ne tend qu'à tout bouleverser. Quant à la loi des coalitions, elle manifeste surtout ses effets par des grèves multiples où fréquemment la politique se mêle aux intérêts professionnels et même les domine. Loin qu'elles se déroulent dans le calme, elles ne sont souvent qu'occasion de désordre. Et il arrive qu'entre les grévistes et la force publique surgissent des conflits sanglants : ainsi en sera-t-il en juin 1869 à La Ricamarie, dans le bassin houiller de Saint-Etienne.

 

IX

 

Napoléon III devait réserver à l'avenir toutes les surprises. Il lui fut donné de séduire par la générosité de ses intentions autant que de stupéfier par l'énormité de ses fautes.

Sous le tumulte des manifestations hostiles, il conserva son sang-froid et se préserva de toute colère. Il eût pu retirer ce qu'il avait concédé et rétrograder jusqu'au régime de 1852. Il se garda de cette tentation. En restreignant les franchises publiques, il n'a pas entendu les détruire. Il les a plutôt mises sous le séquestre, un séquestre qu'il s'est réservé de lever quand l'heure propice serait venue. Et le voici qui, impassible au milieu du tapage grossissant autour de lui, travaille à organiser la liberté.

Il le peut ; car, grâce aux masses rurales, les élections de 1869 ont été, à tout prendre, un succès. Quelques élections sensationnelles : Gambetta, Ferry, Bancel, qui figurent la politique radicale, et Raspail qui incarne l'appel au désordre. Mais dans la droite modérée, au centre droit, au centre gauche, combien d'hommes, aujourd'hui un peu oubliés, mais bien dignes par leur sagesse et leurs lumières d'inspirer ou de manier le pouvoir : Buffet, type accompli du bon député et du bon citoyen ; Segris, éloquent autant que personne quand il avait vaincu les hésitations de sa nature timide ; Louvet, d'admirable valeur morale autant que de savoir lumineux ; M. Mège, d'esprit clair et méthodique ; M. Gressier, un peu rude mais de remarquable vigueur ; M. Chesnelong à l'éloquence trop apprêtée mais chaude et entraînante ; M. de Talhouët, l'honneur même ; M. Plichon, rude de manières, saccadé de langage, mais incapable de déguiser ou même d'atténuer une vérité utile ; M. Larrabure, indépendant autant que fidèle, et l'un des hommes rares dont la courageuse clairvoyance prévoit et ose signaler les prochains périls.

Tous ces hommes sont hommes d'ordre, hommes de liberté aussi. Au nombre de cent seize, ils sollicitent respectueusement le souverain d'achever l'œuvre de liberté, commencée en 1860, continuée en 1867. Un message du 12 juillet 1869 fut la réponse. La Chambre, définitivement émancipée, échappait en matière d'amendement à la tutelle du Conseil d'Etat. Elle recouvrait le droit d'initiative. Le budget lui serait soumis, non par grandes divisions, mais par chapitres. Elle aurait le droit d'élire son bureau ; enfin une incompatibilité que nos contemporains trouveraient tout à fait extraordinaire cessait, et il était stipulé que les députés pourraient être ministres.

L'Empereur, qui surprenait par ses promptitudes, étonnait aussi par ses lenteurs. Quand la réforme eut été sanctionnée par le Sénat, plus de quatre mois s'écoulèrent dans l'incertitude ; un seul acte significatif : la retraite de M. Rouher pompeusement relégué dans la présidence du Sénat. Ce long interrègne signifiait-il hésitation ou repentir ? Parmi les gens de cour, parmi les hauts dignitaires, plusieurs le crurent ou affectèrent de le croire. Cependant un nom circulait de plus en plus, celui d'Emile Ollivier, un homme nouveau, trop nouveau même, car aucun passage aux affaires ne lui avait appris le maniement de la politique. A la fin d'octobre, sous un déguisement qui le rendait méconnaissable, — et ici se retrouve ce goût de mystère qui, jusqu'au bout, hanta Napoléon, — il se rendit à Compiègne. Dans les régions officielles, beaucoup doutaient encore que l'évolution s'achevât. Enfin le 2 janvier 1870 parut le ministère dont Emile Ollivier était le chef, bien qu'aucune désignation officielle ne marquât sa primauté.

 

X

 

Une idylle avant la tragédie, tel apparaît le ministère Ollivier ; et ce contraste fut le dernier de ce règne, le plus fécond en contrastes qui fût jamais.

Nul homme ne saisit le pouvoir avec un plus grand désir du bien. Chez lui nulle aspiration à jouir, mais au contraire un appareil de simplicité qui, à force d'être austère, prenait un air de leçon. Il y a eu des partis en France : Emile Ollivier souhaite l'universelle union. Il attire à lui les vieillards tels que Guizot et Odilon Barrot ; il fait plus encore appel aux jeunes gens et, sans aucune inquisition sur le passé, ne demande à tous que travail, instruction, loyauté. Il est éloquent autant que personne, d'une éloquence à la fois brillante et nourrie d'idées, car dans la longue obscurité où s'est écoulée sa jeunesse, il a étudié les plus grands maîtres de la philosophie et de l'histoire, en sorte qu'il porte en lui cette haute culture générale qui est le complément de l'homme d'Etat et en est aussi la parure.

A l'appel confiant d'Ollivier, le pays, — et c'est ce que les survivants peuvent attester, — répondit par une confiance égale. Ce fut une impression presque universelle, sinon de jeunesse, au moins de rajeunissement : un souverain animé des intentions les plus droites ; autour d'Ollivier, des ministres comme Buffet et le comte Daru, capables, intègres, sagement patriotes, très honnêtes gens et le proclamant même trop ; car on eût dit qu'ils avaient retrouvé, comme on ferait d'un bijou égaré, l'honnêteté perdue. Avec cela, un demi-ralliement des anciens partis ; au Palais-Bourbon, des députés, en majorité sages, éclairés, animés du plus sincère loyalisme et disposés à se prêter, les uns avec ardeur, les autres avec la plus correcte docilité, à l'œuvre entreprise par le souverain. Enfin, à l'extérieur, un horizon qui semble éclairci, en sorte qu'après avoir beaucoup tremblé, on se reprend à l'espoir d'une longue paix.

J'ose à peine prolonger ce tableau à la fois radieux et cruel, tant se projette aujourd'hui, à nos yeux, l'image de ce qui suivit. Même sur l'heure, à travers les beaux rêves que se forgèrent les contemporains, ne distinguerait-on pas, sous l'éclat, la fragilité ?

Dans l'ombre se cachent les vieux bonapartistes très discrets encore, mais guettant l'heure de devenir pressants, presque impérieux. Ils se gardent de contredire le maître ; seulement, avec une douceur non exempte de perfidie, ils observent que la Constitution de 1852 a valu à la France dix-sept années de paix. Ils ne sont ni sans appui ni sans espoir. Rouher a conservé des amis. On sait l'Impératrice peu favorable à la récente évolution. Pour guider la réaction que déjà l'on prévoit, un nom se prononce, celui de M. Haussmann, un homme de ressources qui saurait sans doute restaurer l'ordre comme il a reconstruit Paris. C'est parmi les sénateurs qu'on recueillerait surtout les signes de mauvaise humeur. Ayant été pendant dix-sept ans les gardiens de la Constitution de 1852, ils manifestent quelque surprise d'avoir à garder maintenant une constitution toute contraire. Trop dociles pour l'opposition ouverte, ils se prêtent à imprimer force de loi aux projets impériaux ; mais leurs omissions étudiées et leurs discrètes réserves laissent clairement entendre avec quel empressement joyeux ils proposeraient le rejet de ces mêmes réformes qu'ils ne ratifient qu'avec une morne obéissance.

Un amalgame fâcheux de doctrines contradictoires devient pour ceux qui gouvernent une autre cause d'affaiblissement. Quand eurent été publiés les sénatus-consultes du 9 septembre 1869[4] et du 20 avril 1870[5], il ne manqua pas d'impérialistes autoritaires pour répéter, non sans ironie, qu'à ce compte-là il eût autant valu rétablir la monarchie, car ni Louis XVIII, ni Louis-Philippe n'eussent fait mieux ni autrement. C'était atteindre au plus sensible endroit l'amour-propre de l'Empereur. Autant il se piquait d'être libéral, autant il répudiait le gouvernement parlementaire. Il voulait une Chambre associée au pouvoir, non souveraine, des ministres responsables, non devant les députés, mais devant lui. A la pensée qu'il pourrait paraître un simple copiste, il se révolta et incontinent résolut de marquer de sa griffe les institutions dues à son initiative ; de là, — se jetant à la traverse des théories constitutionnelles classiques, — un brusque retour offensif des doctrines napoléoniennes sur la souveraineté du peuple. Au début de l'Empire, la Constitution de 1852 avait été soumise à la ratification populaire ; il était juste que les institutions nouvelles ou du moins renouvelées subissent la même épreuve. Ainsi parlèrent les officieux.

Au seul mot de plébiscite, ce fut parmi les parlementaires une vraie débandade : deux des ministres, Buffet et après lui Daru, donnèrent leur démission ; ce fut, au contraire, parmi les bonapartistes réactionnaires un vif retour d'espoir, tant ils jugeaient que le maître, un instant égaré, se replaçait dans les traditions de sa race. Régime parlementaire, régime plébiscitaire, était-il possible de les concilier, et, s'il fallait opter, qui des deux l'emporterait ? Dans les temps qui suivirent, ce fut un tel tumulte de discussions que tout ce qui avait paru clair jusque-là s'obscurcit. Ce que le public cultivé ne comprenait qu'avec peine, les masses populaires ne le comprirent pas du tout. A travers les questions compliquées qui leur furent soumises, elles ne découvrirent qu'une seule chose, ce fut qu'on leur demandait d'affirmer ou de répudier l'Empire : 7 millions de suffrages favorables, 1.500.000 suffrages hostiles, tel fut le plébiscite. Vis-à-vis de l'Empereur, l'hommage était complet, mais un hommage qui passait par-dessus les ministres, perdus dans la manifestation comme l'était le gouvernement parlementaire lui-même, et diminués plutôt qu'affermis.

Emile Ollivier réussirait-il par prestige ou sagesse à dominer toute cette confusion ? Ou passer ait-il sans imprimer profondément sa trace, à la manière de ces héritiers présomptifs, brillants, populaires et de courte vie, qui meurent avant la vacance du trône et de toute façon ne sont pas faits pour régner ? Je touche ici à l'histoire conjecturale, la plus malaisée, la plus décevante de toutes. Mais n'est-il point permis de hasarder un pronostic ? Souvent il arrive qu'au milieu des dons les plus rares, un seul défaut, à force de déborder, gâte tout. Trop de contentement de soi-même eût été sans doute, à l'user, la perte de cet homme si distingué par le talent, si pur par les intentions, si exemplaire par l'intégrité. Son grand malheur n'eût pas été de commettre des fautes, mais de vivre dans la persuasion sereine qu'il n'en commettait aucune. Son infatuation était d'ailleurs aussi peu déplaisante que possible, tant elle s étalait sans artifice ! Son élévation, si inattendue qu'elle fût, ne le grisa nullement, tant il trouvait naturel d'être le premier. Il se montra de relations faciles avec ses collègues du ministère, les jugeant braves gens et tout à fait à leur place. On remarqua bien vite qu'il était plus loquace qu'il ne convient à un homme d'Etat, non de cette loquacité calculée d'un Bismarck appliqué à déconcerter par ses paroles comme par ses silences, mais d'une loquacité abondante et sonore, mal habituée à se surveiller elle-même, comme il arrive quand on a grandi entre Marseille et Saint-Tropez. Vis-à-vis de l'Empereur ce personnage inaugura une manière toute nouvelle, ne se montrant ni complaisant, ni contradicteur, mais s'insinuant doucement dans l'âme du souverain dont il avait pénétré la nature rêveuse, compliquée, un peu maladive, et pour qui il s'était épris du plus sincère attachement : Cher Sire ! disait-il en parlant au prince. Napoléon souriait, un peu amusé, un peu ému aussi de ce vocable inaccoutumé. Et le ministre, pareillement ému, souriait à son tour, en homme à qui une place à part permet un langage à part aussi.

Pendant les premiers temps, les projets généreux et les intermèdes éloquents défrayèrent l'attention. Comme les jours s'écoulaient, les meilleurs amis d'Ollivier eux-mêmes s'inquiétèrent un peu d'une activité qui se portait sur tout sans rien pousser à fond. Quant à lui, la même confiance le soutenait.

Cependant, les opposants, un instant déconcertés, reprenaient courage et cherchaient quel obstacle de grosseur raisonnable, placé à propos sous le char ministériel, réussirait à le faire tomber. Sur ces entrefaites, l'obstacle se dressa, mais si formidable, que rien n'y résisterait, pas plus le trône que le ministère. Vis-à-vis d'Emile Ollivier la destinée se montra tout ensemble sévère et généreuse : sévère, en ne lui laissant que six mois pour exercer le pouvoir ; généreuse, en lui accordant quarante ans de survie où, écrivain remarquable quoique trop prolixe, il pourrait, tout à son aise, se raconter.

 

XI

 

On observe souvent que les hommes, au déclin de l'âge, retournent d'instinct en arrière et, refaisant le chemin qu'ils ont parcouru, reproduisent en eux, au moment de disparaître, l'image remarquablement fidèle de tout ce qu'en bien ou en mal ils ont été jadis. Même répétition de gestes, même obstination dans la sagesse et dans l'illusion. Où l'on eût imaginé un renouvellement, on ne trouve qu'un décalque.

Ce qui est vrai pour les hommes l'est souvent aussi pour les Etats, et le Second Empire en est un exemple. Dans la catastrophe où il s'abîma, on retrouve, comme en une copie étonnamment ressemblante, la persistance des mêmes pratiques qui ont été celles du début du règne. En des conjonctures tragiques et en un cadre agrandi, ce sont les mêmes erreurs, les mêmes à-coups. Seulement jusqu'ici la chance propice a voilé les fautes. Maintenant l'adversaire est d'autre taille, et la fortune nous a quittés.

J'essaie de fermer les yeux, comme pour mieux ressaisir les similitudes entre le règne qui commence et le règne qui finit. Le grand mal de l'Empire a été l'infatuation, une infatuation accrue par un long bonheur. N'est-ce pas cette infatuation mêlée de témérité et de hâte étourdie, qui, dès la nouvelle de la candidature Hohenzollern au trône d'Espagne, amène le 6 juillet, à la tribune, le duc de Gramont et lui inspire des paroles si tranchantes que l'on n'aperçoit plus que deux solutions : ou un recul un peu humilié pour la Prusse, ou pour demain la guerre.

Que si l'on creuse davantage, un autre trait du régime se découvre qui précipite la catastrophe. Ce qui fut infatuation a été aussi, dans les années heureuses, incohérence. Or la même incohérence, les mêmes entrecroisements de pensées se retrouvent en cette heure décisive où un ennemi terrible guette notre premier faux pas. On a d'abord menacé, comme si l'on voulait s'interdire à soi-même et fermer aux autres toute retraite. Puis, en une disposition un peu amollie, on commence à discuter. Seulement la suite des pourparlers se ressent des formes comminatoires qui en ont été le prélude, et tandis que les voix s'efforcent de redevenir calmes, les mains se portent convulsivement sur l'épée. Malgré tout, on semble toucher à un arrangement. La funeste candidature est abandonnée et, pendant douze heures, on croit le conflit apaisé. Mais on veut ajouter à un succès aussi notable que légitime un engagement pour l'avenir, bien propre à piquer au jeu l'amour-propre prussien. L'Empereur est faible et sujet à ces brusqueries subites par lesquelles les irrésolus échappent à la torture d'être indécis. Sous les objurgations, il fléchit, moitié en malade excédé, moitié en fataliste qui jette les dés. Cette incohérence suprême résume, comme en une image presque symbolique, toutes les inconséquences du règne. Et c'est ainsi que se rejoignent, à la dernière heure, les violents qui ne redoutent point la guerre et l'Empereur qui ne voudrait que la paix.

La guerre est déclarée. Depuis Metz jusqu'à Belfort, notre armée s'échelonne sur une ligne de plus de soixante lieues, trop longue, trop amincie pour ne pas offrir de points vulnérables. C'est déjà une chance mauvaise, mais que peut conjurer une offensive rapide ; car l'ennemi, si supérieur en nombre, est en pleine mobilisation. Mais, dès l'abord, les imprévoyances se révèlent : pour une immédiate entrée en campagne, tout manque, les attelages, les harnais, les couvertures, le matériel d'ambulance, les effets de campement. Ce qui arrive, arrive souvent à l'état dépareillé. Et nous voici accrochés à nos positions, et nous consumant en demandes affolées, en retards mortels. Y a-t-il lieu de s'étonner comme d'une nouveauté ? L'Empire a été l'infatuation, il a été l'incohérence, il a été aussi, — et c'est là un de ses traits distincts, — l'imprévoyance. Ces dépêches, tour à tour irritées ou suppliantes, qui de Saint-Avold, de Metz, de Strasbourg, arrivent au ministère de la Guerre, ne sont point documents originaux, mais plutôt simples copies. Au début du règne, en 1854, des dépêches pareilles, formulant les mêmes doléances, sont parties de Gallipoli et de Varna ; en 1859, à l'époque de la lutte contre l'Autriche, mêmes plaintes datées de Suze, de Turin. Seulement ces époques ont été celles des imprévoyances non mortelles. Aujourd'hui nous nous répétons, mais au risque de la vie.

La fortune nous a trahis. Wissembourg, Forbach, Frœschwiller, voilà la trilogie de la défaite. Sur la plaine de Châlons, comme sur une grève après la tempête, viennent échouer, misérables épaves, les vaincus des fatales journées. Mac-Mahon conduit cette foule. Deux conduites possibles : tenter de rejoindre Bazaine qui se débat dans Metz contre l'encerclement ; regagner Paris pour y organiser la défense. Le péril est partout : si l'on marche vers l'Est, celui de ne pouvoir rompre le cercle et d'être soi-même écrasé ; si l'on rétrograde vers Paris, celui, — très réel quoique bien moindre, — d'étaler la défaite au point qu'elle paraisse irrémédiable. L'heure presse et le pire est d'hésiter. Mais tout se rassemble contre nous. A Paris, deux volontés tenaces, celle de l'Impératrice, celle de Palikao, mais trop téméraires, trop violentes, pour être l'énergie vraie. Ces deux voix, également impérieuses, s'unissent pour éloigner de la capitale les vaincus de Frœschwiller, et à tout risque les pousser vers Metz. Cependant Mac-Mahon, harcelé, torturé de ces appels, est à la fois trop sensé pour une entière obéissance, trop obéissant pour dépouiller sa vocation de chef discipliné et tout risquer pour tout sauver. Et pendant plus de huit jours, l'oreille tendue vers les dépêches de plus en plus rares, de plus en plus confuses qui lui arrivent de la région de Metz, il poursuit à travers les Champagnes une marche en zigzag, marche d'homme ivre ou de bête traquée.

J'abrège ces misères décrites tant de fois. Mais cette incertitude de plan, n'est-ce pas, en des proportions prodigieusement agrandies, avec des conséquences bien autrement tragiques, l'Empire lui-même qui, avant de finir, reflète sa propre image ? On aurait pu observer jadis les mêmes flottements, les mêmes résolutions contradictoires si les distances, l'indifférence ou l'ignorance publique, le silence plus ou moins obligé des journaux n'avaient presque toujours prévenu les révélations trop sensationnelles. Ces tâtonnements, on aurait pu les noter au Mexique, en Italie, et bien plus encore en 1854, au début de l'expédition d'Orient, quand Saint-Arnaud, en une extraordinaire imprécision de desseins, songe d'abord à une expédition contre Anapa, une forteresse sur la côte orientale de la mer Noire, puis s'engage avec une témérité folle dans la Dobroutscha et enfin vogue vers la Crimée, en véritable aventurier, sans bien savoir où il abordera, ni quels obstacles il rencontrera, ni quelles sont les défenses de Sébastopol. Ce sont les années de gouvernement facile, celles où les erreurs, même les moins pardonnables, passent sans éveiller le blâme ou sont à peine connues. Et l'on peut après coup regretter cette silencieuse indulgence ; car la critique, en signalant les fautes, eût peut-être appris à ne pas les recommencer.

Maintenant voici le dernier acte. Le 1er septembre, après une journée de combat, l'armée dévale en flots confus dans Sedan. Ici nul rapprochement possible, tant l'horreur des choses déconcerte tout ce que jadis les yeux ont vu ! Cependant, si nulle image du passé ne peut plus être évoquée, un homme, l'Empereur, reflète sa nature tout entière en ce jour qui est le dernier avant la captivité et l'exil. Tout ce qu'on peut souffrir, il l'a, depuis un mois, souffert. Il a été rejeté de Paris, et par la volonté de l'Impératrice. A l'armée il ne peut, ni rien ordonner puisqu'il a abdiqué le commandement, ni s'anéantir tout à fait puisque, malgré tout, il est l'Empereur. La profusion de ses serviteurs, la somptueuse escorte de ses cent gardes, l'éclat subsistant de sa maison militaire ne font que mieux ressortir par contraste sa profondeur de misère. Son pauvre corps, tout secoué par de lancinantes douleurs néphrétiques, est torturé autant que son âme. Tout d'abord, son fils lui est resté. A l'une des étapes, on l'a éloigné comme on éloigne les enfants du lit des malades quand commence l'agonie. C'est en cet excès inouï d'infortune que l'Empereur a échoué dans Sedan. Mais, tout courbé sous le poids de ses incroyables fautes, une vertu lui reste, je veux dire une bonté compatissante, assez rare dans les Cours, plus rare encore chez les princes. Et de cette humaine bonté qui a été sa marque, l'Empereur, à l'heure où tout se retire de lui, va fournir le témoignage. Dans cette forteresse de Sedan, au soir du 1er septembre, point d'autre alternative qu'une capitulation que l'avenir sans doute jugera honteuse, ou une trouée désespérée où presque tout le monde périra. Dans l'extrémité où il est réduit, la mort sera plus clémente pour le souverain que ne peut être la vie ; et un dernier effort sans espoir ni peur absorbera les fautes politiques et militaires dans l'héroïque beauté d'un suprême sacrifice. Il y a dans la langue latine un mot qui manque à notre langue, ce mot de facinus, mot mystérieux, farouche et sombre, qui veut dire à la fois noble action et crime. Napoléon se garde de ce facinus — je répète à dessein ce mot intraduisible —, qui, sur l'heure, eût précipité dans le trépas quatre-vingt mille braves gens, mais qui, dans le recul des temps, quand on eût oublié les morts, eût peut-être sauvé la légende impériale.

Dès que la défaite eut été certaine, il n'eut plus qu'une pensée : arrêter le combat. Il n'y a eu que trop de sang répandu, disait-il tout éperdu à ses officiers. Ainsi parlait cet homme descendu à un tel degré d'infortune que l'antiquité l'eût jugé sacré. Humain, et plus humanitaire encore qu'humain, il l'avait été toute sa vie : il le fut à cette heure suprême, et c'est même la seule unité qui se retrouve en cette existence toute ballottée entre le vide et le chaos. Le courage de s'humilier devant l'ennemi serait plus grand que celui de mourir. Le souverain avait abdiqué à Paris le pouvoir politique, à Metz le commandement militaire. Il redevint le premier pour boire à la coupe amère ; et, le 2 septembre, à 6 heures du matin, sortant de Sedan par la porte de Torcy, il se rendit à Donchery, puis au château de Bellevue, pour livrer au victorieux sa personne et son armée.

 

Je n'ai pas résisté, dans ma vieillesse, à ressaisir l'image de cet homme compliqué dont j'ai jadis raconté le règne. Funeste, il l'a été ; à peine ai-je tracé ce mot que je voudrais en adoucir la dureté, tant il fut bon et même pourvu de lumières, quoique de lumières qui ne se montraient que pour se voiler presque aussitôt. Emile de Girardin a dit de lui : Si l'on était encore au temps où l'on donnait des surnoms aux princes, on appellerait Napoléon III Napoléon le bien intentionné. En ce mot, se peint le pauvre Empereur, chimérique et bienveillant, débile et fastueux. Quand on songe à son intense désir du bien, on est tenté de le ranger, en dépit de ses fautes, parmi les hommes de bonne volonté à qui les saints livres ont promis la paix en ce monde et en l'autre la récompense. Seulement je me figure que les esprits célestes qui, au jour de la naissance du Christ, annoncèrent la parole divine, se seraient épouvantés que tant de bonne volonté ne produisît que tant de confusion ; tout effarés de ce chaos, ils auraient à peine touché la terre, et déployant leurs blanches ailes, ils seraient bien vite, pour y trouver la vraie paix, remontés vers le Ciel d'où ils étaient descendus.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Lettre du 19 janvier 1867.

[2] On trouvera le texte de la loi militaire, ainsi que le résumé de plusieurs discussions, dans DUVERGIER, Collection des lois, année 1868, p. 21-61.

[3] Paris en décembre 1851, la province en 1851, par TÉNOT.

[4] Voir DUVERGIER, Collection des lois, 1869, p. 269 et suiv.

[5] Voir DUVERGIER, Collection des lois, 1870, p. 93 et suiv.