HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE

 

PRÉFACE.

 

 

Les auteurs de ce livre ont eu la fortune de peindre en pied une MARIE-ANTOINETTE que les récentes publications des Archives de Vienne n'ont pas sensiblement modifiée.

En effet, ils ne donnent pas pour le portrait de la Reine la figure de convention, l'espèce de fausse duchesse d'Angoulême, fabriquée par la Restauration. Ils montrent une femme, une femme du dix-huitième siècle aimant la vie, l'amusement, la distraction, ainsi que l'aime, ainsi que l'a toujours aimée la jeunesse de la beauté, une femme un peu vive, un peu folâtre, un peu moqueuse, un peu étourdie, mais une femme honnête, mais une femme pure, qui n'a jamais eu, selon l'expression du prince de Ligne, qu'une coquetterie de Reine pour plaire à tout le monde.

Il ne faut pas oublier que Marie-Antoinette avait quinze ans et demi, lorsqu'elle arrive en France, lorsqu'elle tombe dans ce royaume du papillotage et du Plaisir, parmi cette génération de françaises qui semblent représenter la Déraison dans l'agitation fiévreuse de leurs existences futiles et vides, Demander à cette jeune tille d'échapper entièrement aux milieux dans lesquels sa vie se passe, de n'appartenir en rien à l'humanité de sa nouvelle patrie : c'est exiger de la Nature qu'elle ait fait un miracle, — et elle n'en fait pas.

Mais cependant allons au fond des rapports de Mercy-Argenteau et des lettres de Marie-Thérèse, lettres devenues des armes aux mains des ennemis de la mémoire de la Reine, etc. Qu'y trouvons-nous ? Ici la sévère mère reproche à sa fille de monter à cheval, là d'aller au bal, plus loin de porter des plumes extravagantes, plus loin encore d'acheter des diamants. Elle la gronde d'avoir de la curiosité, de ne s'entretenir qu'avec de jeunes dames, de se laisser aller à des propos inconséquents, de manquer de goût pour les occupations solides..... Je le demande en conscience aux lecteurs sans passion politique, s'il existait pour la jolie femme la plus humainement parfaite du monde, de seize à vingt-cinq ans, un procès-verbal, jour par jour, de toutes les grogneries des vieux parents à propos de sa toilette, de son amour de la danse, de sa naturelle envie de s'amuser et de plaire, le dossier accusateur de celle jolie femme ne serait-il point aussi volumineux que celui de Marie-Antoinette ?

 

EDMOND DE GONCOURT