STEENSTRAËTE

UN DEUXIÈME CHAPITRE DE L'HISTOIRE DES FUSILIERS MARINS (10 NOVEMBRE 1914-20 JANVIER 1915)

 

— III — SUR LA ROUTE DE FRANCE.

 

 

Et maintenant, croit-on, ça va être la vie en cantonnement, la vie d'arrière, sans imprévu, sans alerte, sans bombardement, presque aussi insipide que la vie (le caserne, mais abondante, régulière et facile ; on va pouvoir se déséquiper, se laver, quitter la carapace de boue et de crasse qu'on habite depuis un mois et dont l'odeur est si forte, au dire d'un témoin, qu'elle précède la brigade de cinquante pas. Ainsi, quand les morutiers reviennent du Banc, tout chargés d'odeurs de saumure et de massacre, le vent porte jusqu'au fond des ruelles de Saint-Malo, à plusieurs milles, les lourds relents qui annoncent leur arrivée sur rade...

Et puis les âmes elles-mêmes ont besoin de relâche. Elles ne pourraient supporter longtemps, sans de graves désordres, cet état d'exaltation où elles sont tendues depuis un mois. Tous les carnets de la brigade signalent vers cette date, en l'attribuant d'abord à l'alcool, à des saouleries clandestines, l'éclat extraordinaire des yeux des hommes. C'est la fièvre du combat qui les fait si brillants. Les verbes sont précipités, hachés, comme dans la colère. Plusieurs cas de folie ont été observés. Il en est de trop explicables. Le 15 novembre, le docteur Taburet voit une marmite tomber à deux mètres d'un fusilier marin. Il le croyait écrasé : l'homme sort de sa fosse et pique une course folle à travers champs, droit devant lui. On ne sait ce qu'il est devenu, quand, quelques jours plus tard, à Dunkerque, on arrête un marin qui, à toutes les questions qu'on lui pose, répond par une face de bois. C'était notre marmité. Le 24 octobre, en présence du premier maitre Robic et du matelot Le Vally, le même fait s'était produit : une marmite éclate près d'un homme ; celui-ci est projeté à cinq mètres de haut, retombe, demeure quelque temps immobile, puis, comme sous l'action d'un déclic, se relève et file à une allure telle que, malgré les préoccupations du combat, on reste à le regarder.

Hystéro-traumatisme avec manifestation ambulatoire, diagnostiquent les médecins. Mais, sans prendre cette forme aiguë, on constaterait dans toute la brigade un état de nervosité qui, à la longue, pourrait devenir inquiétant. Le commandant Geynet en est frappé. Nouveau venu à la brigade, il a encore tout son calme, bien que lui-même soit essentiellement un nerveux. Au fur et à mesure que les journées de cantonnement avancent, il note : Les marins se refont, les yeux sont moins brillants, les traits se reposent. Et le 1er décembre : Cet exercice dans la campagne, de une heure à quatre heures, est bon ; cela reforme les hommes. Les figures se remplissent, les yeux sont moins fiévreux, moins cernés... Mais il faudra bien des jours pour que l'âme et le corps, chez ces hommes, reprennent leur niveau. Nous n'en pouvions plus après le 10 novembre, confesse un de leurs officiers[1]. Et, au dernier moment, si on eût écouté certains d'entre eux, peut-être ne les eût-on pas relevés encore. A quel sentiment complexe obéissaient-ils ? Le même officier nous l'apprend : sur les routes où ils s'enfonçaient tout à l'heure, ce n'était pas la tristesse seulement, un regret nostalgique, qui alourdissait leur marche, c'était aussi le doute, la crainte de n'avoir pas fait assez, puisqu'ils n'avaient pas su garder Dixmude.

L'étrange scrupule ! Pourtant on les a cités, dès le 26 octobre, à l'ordre du jour de l'armée ; un ancien ministre de la Guerre britannique, le colonel Seely, qui les a vus à l'œuvre sur l'Yser, leur a dit le 27 : Vous avez sauvé la situation[2]. Et un officier français du même grade, le colonel de cavalerie Le Gouvello, en termes plus pittoresques leur a exprimé la même opinion le 4 novembre : Vous avez une fameuse presse dans les tranchées. A vous, jusqu'ici, le maximum de bombardement ![3] Mais c'était avant la prise de Dixmude. Et leur tiendrait-on ce langage, maintenant que la ville est tombée ? Quel accueil leur réserve le général d'Urbal, qui doit les passer en revue dès demain, sans même leur laisser le temps de se débarbouiller et quand, tombés dans un cantonnement archicomble, ils ont encore dans les jambes les 27 kilomètres de leur marche nocturne sur Hoogstaede et Gyverinchove ? Maisons, fermes, tout est bondé, au point que des officiers durent coucher dans les autos. Mais le commandant de la VIIIe armée[4] n'a pas voulu attendre une heure de plus. Et peut-être, pour une âme de soldat, est-ce bien le plus beau spectacle qu'elle se puisse donner que celui de ces débris d'une troupe de héros saisie à l'état brut, si l'on peut dire, et dans sa croûte de gloire mal séchée.

Le matin du 18 novembre, sous un ciel brumeux et triste, que perçaient les premières flèches de l'hiver, le général d'Urbal, suivi d'un peloton de trente dragons portant son guidon tricolore, passait au galop sur le front de la brigade, descendait de cheval et décorait au son du canon le contre-amiral Ronarc'h et deux des plus jeunes fusiliers des 1er et 2e régiments, la vieille marine et la nouvelle, symbolisées par ces trois hommes, dont l'un recevait la cravate de commandeur, et les deux autres, âgés de dix-sept ans et demi, la médaille militaire. Les assistants remarquèrent que, par dérogation au règlement qui ne prescrit l'accolade que pour les légionnaires, le général, au lieu de serrer la main des deux matelots, les embrassa. Il expliqua brièvement que, sur leurs joues imberbes, il embrassait la brigade tout entière, quatre semaines d'héroïsme, le front de l'Yser consolidé, Dixmude rendue inutilisable pour l'ennemi, notre victoire affirmée par son désistement. C'était superbe, écrit le commandant Geynet. Les têtes se redressaient, les poitrines respiraient mieux, comme si le geste du général les avait libérées de leur secrète oppression...

La prise d'armes fut courte, — une prise d'armes de front de bandière. A. quelques kilomètres de là, tonnait l'artillerie lourde de l'ennemi. Les coups font trembler les maisons, observe l'enseigne Boissat-Mazerat, qui rejoignait la brigade à Hoogstaede ce jour même : C'est bien ma veine. J'arrive quand la fête s'arrête. Nous sommes présentement dans un village de 300 habitants, avec des Sénégalais et des hussards. C'est plutôt encombré.

Et c'était l'encombrement dans la boue. De guerre lasse, après avoir casé leurs hommes, vaille que vaille, dans tous les réduits susceptibles de leur offrir un abri provisoire, les officiers s'étaient partagé les dernières soupentes inoccupées. Le carré du 1er bataillon du 1er régiment, plus favorisé, avait trouvé une arrière-salle d'estaminet, un jeu de cartes encrassé, une table et des bancs. Et un bridge s'était organisé.

Les nouveaux venus, qui s'attendaient à entrer tout de suite en campagne, se montraient un peu désappointés : J'enrage, écrivait l'un d'eux, d'avoir encore à poser à l'arrière, bien qu'il faille reconnaitre que cela est nécessaire. Et sa déception s'avivait d'entendre les camarades, ceux qui revenaient de Dixmude, a les Viaud, les Bastard, les Pitons, les Lartigue, les Pin-guet n, vanter les surprises, le charme incomparable de l'existence au front. C'est, disent-ils, la plus belle vie, la plus intense que l'on puisse imaginer, et je les crois sans peine. En même temps que l'enseigne Boissat, la brigade vient de recevoir une nouvelle fournée d'officiers : le capitaine de vaisseau Paillet, qui remplace le colonel Varney, blessé le 10 novembre, le capitaine de frégate Bertrand, historiographe des marins de la Garde, dont les fusiliers continuent la glorieuse tradition, les lieutenants de vaisseau Ferrat, Roux, Huon de Kermadec, l'enseigne Goudot, le médecin principal Brugère, les docteurs Cristau, Le Goffic, etc. D'autres sont attendus.

C'est le troisième jeu d'officiers que nous expédient les bureaux de la rue Royale. Vaudra-t-il les précédents, le premier surtout, si magnifique d'abnégation ? Les bureaux, quoi qu'il en soit, n'ont que l'embarras du choix parmi les offres qui leur arrivent de tous côtés, de l'active et de la réserve : on sollicite de partout, comme une faveur, l'honneur de servir à la brigade ; les officiers de l'active sont prêts à sacrifier toutes leurs chances d'avancement à la mer pour sortir de l'attente où ils se rongent, prendre leur part de danger et de gloire sur l'immense ligne de feu qui court de Nieuport aux avancées d'Altkirch. Vraiment, écrit l'un d'eux, le lieutenant de vaisseau Nicolas Benoît, fondateur des Éclaireurs de France et l'une des plus originales figures de la brigade, sorte de bonze chrétien croisé de paladin, ma place n'était pas sur le Châteaurenault, dans cette passivité de notre flotte, utile sans doute, mais pénible à supporter, quand on songe aux souffrances de tous. Je suis heureux d'être ici, d'apporter ma part de force et de soutien moral à ceux qui luttent pour le salut du pays. — Il ne faut pas croire que je sois exceptionnel en ayant demandé la grande faveur d'aller au front, écrit un autre, le commandant Geynet. Nos deux adjudants-majors sont deux vieux retraités ayant dépassé l'âge et ayant demandé à servir, à condition d'aller sur le front. Tous les officiers de marine y sont sur leur demande. Et, quand ils y sont d'aventure, rien ne les en ferait démarrer. Les officiers du premier a jeu a, qui ont été évacués pour blessures légères ou épuisement, à peine rétablis, sollicitent, réclament, font les cent coups pour retourner à la brigade. On se languit d'elle aussitôt qu'on l'a quittée, écrit le lieutenant de vaisseau Ferry, qui, grièvement blessé à la main, restera quatre jours avant d'accepter de se faire soigner dans une ambulance de l'arrière et reviendra, encore mal guéri, reprendre sa place d'adjudant-major à côté du commandant de Maupeou[5]. Dixmude, sans doute, les a rendus difficiles. Tous les risques paraissent fades, même ceux de la vie maritime, près des émotions d'une telle vie. Mais, plus que de leur inaction momentanée, ils souffrent du mal de l'absence et d'avoir perdu celle qui a pris tout leur cœur ; ils l'appellent, ils l'invoquent : Ô ma chère brigade ! du ton dont Harpagon s'adressait à sa cassette envolée. L'armée, a-t-on dit, est une grande famille : la brigade, c'est mieux encore, et ces hommes en parlent avec des tendresses d'amoureux.

Les lettres de l'enseigne Boissat-Mazerat constatent, à cette même date du 18 novembre, l'excellent esprit de camaraderie qui règne chez les officiers : on fait aux nouveaux venus un aussi bon accueil que le permettent et le lieu et les circonstances. Vers le soir, la neige recommence à tomber. Il gèle. Froid intense. Rien pour le combattre qu'un peu de paille. Les Sénégalais sont particulièrement éprouvés. Mais Jean Gouin ne se plaint pas trop. Il ne connaissait plus le goût du tabac, et deux marchands belges ont eu l'à-propos de débarquer à Hoogstaede dans l'après-midi avec un plein chargement de scaferlati : en un clin d'œil, leurs sacs sont délestés. Bourrer une pipe, rouler une chique, quelle joie ! Et puis tous les estaminets d'Hoogstaede et de Gyverinchove ne sont pas encore complètement à sec. Entre temps, on arrête quelques espions qui rôdent autour de nos lignes : deux le 18 novembre, deux autres, habillés en soldats belges, le 19. Le froid semble maintenant se fixer. Il gèle chaque nuit. La campagne est toute blanche : c'est une harmonie nouvelle dans un cadre ancien, écrit joliment l'enseigne Humbert. La grande plaine flamande, avec son moutonnement de petites fermes basses, de bourgades en rond sous la houlette de leurs clochers obliques, continue de s'étendre à l'infini ; la neige égalise peu à peu le paysage bouleversé ; elle panse de sa ouate les plaies de la glèbe, comble les entonnoirs des marmites, nivelle les longues routes droites où ne cessent de défiler les convois et les caissons d'artillerie. Des coloniaux passent, venant de Dixmude et faisant un crochet pour tourner vers Ypres. La canonnade, dans le lointain, n'arrête pas ; des taubes sillonnent le ciel. Inévitablement, après leur visite, les gros obus vont pleuvoir : nous sommes ici les uns sur les autres et ces grouillements de troupes sont une cible trop tentante pour l'ennemi.

Quant à espérer de reformer la brigade en pareil lieu, c'est impossible. L'amiral s'est plaint au quartier général : il insiste pour qu'on lui assigne un autre cantonnement, plus loin du front, moins encombré surtout, où les régiments puissent poursuivre la remise en état de leurs unités. Mais toutes les villes belges de l'arrière sont aussi encombrées. Il faut pourtant se déhaler de là coûte que coûte, fût-ce ait prix d'une marche forcée, et gagner la frontière française. Enfin on apprend que l'amiral brusque les choses et qu'on va partir pour Dunkerque. Mais les ordres ont-ils été mal donnés ou mal interprétés ? Toujours est-il que ce départ à six heures du matin, en pleine nuit noire et en pagaille, le 22 novembre, ne ressemble guère à notre retraite méthodique de Gand : les troupes sont coupées à chaque instant par des convois ; des voitures s'embourbent ; Jean Gouin, attelé à ses mitrailleuses, souque dur[6]. Mais on a trop compté sur ses forces en lui imposant une traite de 35 kilomètres à exécuter en une seule journée, avec une simple halte de trois quarts d'heure pour déjeuner et une autre petite halte d'un quart d'heure après Bergues. Et les médecins ici ne peuvent recourir au stratagème qu'ils avaient employé avec tant de succès au lendemain de Melle, sur les routes du pays de Waës ; quand un marin lâchait la rampe, un de nos docteurs s'approchait du lendore, le carnet à la main, et lui demandait d'un ton détaché l'adresse de sa famille.

— Pour quoi faire ?

— Mais pour la prévenir que tu es prisonnier, mon pauvre garçon. Les Boches sont à un quart d'heure de marche, et tu ne supposes pas qu'ils vont te renvoyer goûter le cidre de tes parents...

Besoin n'était d'autre spécifique, et Jean Gouin retrouvait instantanément des jambes[7]. Cette fois, il sait trop bien que l'ennemi ne galope pas à ses trousses. Vaille que vaille, Fort-Mardyck, Saint-Pol et Petite-Synthe sont atteints par le gros de la troupe vers cinq heures et demie. En temps normal et pour des fantassins un peu entrainés, cette traite de neuf lieues n'aurait rien eu d'excessif. Mais Jean Gouin est fini, claqué par trente-cinq jours de tranchée, suivant le mot de l'enseigne Boissat-Mazerat : les hommes sont arrivés dans un état lamentable d'épuisement[8]. La brigade devait donc se reposer ; mais, ce soir [23 novembre], on a réclamé du renfort quelque part, sur le front. Alors, nous avons pris ceux qui tiennent encore debout, et, demain, un train d'autobus va conduire nos deux régiments squelettes là où on les trouve utiles, — je ne sais pas où. Il faudra y voiturer Jean Gouin, parce que, si Jean Gouin est encore capable de se battre, il n'est plus en état de fournir une étape un peu longue. Les officiers ne sont pas moins fourbus que les hommes. Nous sommes arrivés hier à Saint-Pol, écrit le commandant Geynet. Nous avons fait 40 kilomètres à pied. J'ai eu la malchance d'avoir, dès le début de la marche, une ampoule, et je suis arrivé dans un bien triste état. Je me promène dans la rue en chaussons. Mais demain, pour aller voir les Boches, mon pied sera guéri, ou il dira pourquoi. D'ailleurs, nous serons conduits comme des princes, tous en autos !

Tous ? Non. Et il a fallu créer à Saint-Pol une formation sanitaire nouvelle, un dépôt d'éclopés. Toute la nuit et la journée suivante, des traînards ralliaient ce dépôt, les pieds en sang. Piteux défilé ! La brigade trouvait une compensation dans la bonne grâce des habitants. Partout ils nous accueillent d'une façon touchante, écrit un officier[9]. Les femmes nous comblent de prévenances : elles passent de groupe en groupe avec de grandes cafetières, des paquets de tabac. Les propriétaires nous offrent des chambres. C'est grâce aux marins que Dunkerque n'est pas tombée aux mains des Boches, et on sait les en récompenser. Seul, à Saint-Pol, le commandant Geynet, qui vit en popote avec ses officiers, n'a pas à se louer d'un fermier flamand dont l'attitude contraste singulièrement avec celle des autres habitants : Hier, pour le déjeuner, écrit-il, nous étions en pays français. Un paysan n'a même pas voulu nous laisser manger dans sa cuisine ; nous avons dû déjeuner sur la neige. Une belle nappe bien blanche, mais il faisait si froid que la bière gelait dans la timbale !

De ces cœurs plus glacés que la température, combien étaient acquis à l'ennemi bien avant la guerre et lui servaient chez nous de fourriers ! Une hirondelle ne fait pas le printemps, ni un mauvais Flamand toute la Flandre : partout ailleurs la brigade, choyée, fêtée, était reçue à bras ouverts et déjà les hommes prenaient leurs dispositions pour passer sur place la quinzaine de repos dont ils avaient tant besoin ; cent trente sacs de lettres en souffrance à Dunkerque[10] allaient calmer enfin leur fringale de nouvelles, quand brusquement, vers midi, le 23 novembre, arriva l'ordre de se tenir prêts au départ. Choisir les hommes les plus solides, compléter les cartouches à 200, donner un repas froid et deux jours de réserve, telles étaient les instructions passées aux officiers : le lendemain, à six heures du matin, les autobus devaient venir prendre la brigade et la transporter dans un lieu que les instructions ne précisaient pas.

 

 

 



[1] Lieutenant de vaisseau F..., Correspondance particulière.

[2] Le colonel Seely, ancien ministre de la Guerre, est venu ces jours derniers visiter notre front. Il nous a dit que nous avions sauvé la situation par notre résistance. (Carnet du lieutenant de vaisseau de Perrinelle.)

[3] Je venais de faire retraiter mon groupe, à 300 mètres plus loin, dans une grange, et j'étais assis dans mon auto, quand je vois passer sur la route mon beau-frère, le brillant colonel de cavalerie Le Gouvello, que je n'avais pas revu depuis un an. Beau comme un dieu, il revenait d'une mission auprès de notre état-major : Eh bien ! mon pauvre vieux, tu as donc touché une prune ?Comme tu vois. — Ça ne sera rien ?Presque rien. — Mes compliments. Il est chic, ton amiral, et vous avez une fameuse presse dans les tranchées. A vous jusqu'ici, le maximum de bombardement ! (Journal du docteur Petit-Dutaillis.)

[4] La VIIIe armée, d'abord détachement d'armée de Belgique, avait été formée le 20 octobre pour coopérer avec l'armée belge qui se repliait sur l'Yser. Mais elle n'avait pu assumer ce rôle que grâce à l'action vigoureuse et peu connue jusqu'ici du corps de cavalerie de Mitry dans les journées précédentes, où les 4e (général de Buyer) et 7e (général Hély d'Oissel) divisions débusquaient l'ennemi d'Houthulst et de Clerckem (journée du 17), puis de Merckem, de Cortemark et de Staden (journée du 18), tandis que les 5e (général Allenou) et 6e (général Requichot) divisions occupaient le même jour Roulers, brillamment enlevé par le 13e chasseurs (brigade Morel) et la brigade de dragons Laperrine. Refoulé le 19 par l'entrée en ligne de forces allemandes très supérieures, le corps de Mitry ne cédait le terrain que pied à pied, notamment à Staden, que le commandant Chapin, du 22e dragons (brigade Robillot), attaquait par surprise avec une cinquantaine de cavaliers, jetant la panique dans les rangs des fantassins allemands, trop absorbés par le pillage des maisons pour avoir songé à se garder, et à Stadenberg, où la brigade commençait à être débordée, vers l'ouest, quand arrivèrent trois compagnies de chasseurs envoyées en renfort qui se déployèrent immédiatement et contre-attaquèrent à la baïonnette. On eut alors ce magnifique spectacle, dit le général Z... : les dragons, encadrant les chasseurs, chargèrent à pied, la lance en arrêt. L'ennemi fut repoussé et le repli de notre cavalerie put s'opérer stratégiquement jusqu'au front Langemarck-Cabaret-Korteker-Bixschoote où elle trouvait une ligne préalablement organisée. Le rôle de la cavalerie dans cette période fut considérable, conclut justement le général Z..., et, sans elle, l'ennemi eût atteint, avant l'arrivée de nos renforts, le front de défense d'Ypres.

[5] Le capitaine de frégate de Maupeou, dont l'action sera connue par la suite, devait remplacer à la brigade le commandant Mauros.

[6] Carnet du docteur L. G...

[7] Journal de l'enseigne C. P...

[8] Cf. Luc Platt : Voilà bien longtemps que nous marchons et j'ai mal à mon pied droit. Toto au pied gauche. D'autres aussi (signes précurseurs !). Il commence à se faire tard quand nous atteignons Bergues... A partir de cette ville, je ne suis plus qu'un automate, sans volonté, sans idée. Oh ! marcher ainsi, malgré soi, sur une route interminable !... Nous voilà à 4, kilomètres de Dunkerque. Les bornes kilométriques le disent, mais il faut faire un détour. Comment [faire] entrer dans Dunkerque ce régiment de marins exténués, dont la moitié sont restés en route ? Et c'est le grand détour par Capelle, Pont de Petite-Synthe, Petite-Synthe. Nous nous arrêtons. Tout le monde se couche par terre : c'est désolant. Longtemps nous attendons, puis, au moment où nous croyons loger chez l'habitant, il faut repartir. Encore ! Nous irons ainsi jusqu'à Saint-Pol-sur-Mer, à un kilomètre de Dunkerque, après avoir fait 14 kilomètres de détour. Sur la place Carnot nous sommes formés en colonne de compagnie et nous attendons. Une sorte de crise de nerfs me prend : je fonds en larmes. Cela me soulage. Je ne peux plus marcher. Nous entrons dans une salle de classe d'une grande école : les tables sont mises en tas, la paille arrive. Je me couche assommé de fatigue, pendant que d'autres trouvent le courage d'aller à terre.

[9] Carnet du docteur L. G... De même Luc Platt : Les braves femmes des alentours viennent nous apporter leur café, leur lait ; les maîtresses de l'école [qui sert d'infirmerie] apportent leurs consolations... [Dans les rues], les habitants nous arrêtent, nous interrogent ; les gosses veulent presque se battre pour savoir celui qui portera un paquet, un sac, un fusil.

[10] D'après Luc Platt, il y avait eu en route, à Hondschoote, un commencement de distribution.