SAINT-GEORGES ET NIEUPORT

NIEUPORT

 

— III — LA PRISE DU FORTIN DU BOTERDYCK.

 

 

Les choses n’en sont pas encore là. On vient seulement de s’installer ; on n’est pas encore bien familiarisé avec les aîtres. Ce sera l’affaire de quinze jours, d’un mois au plus. Visiblement, la guerre s'est stabilisée. On fait comme elle, et il est impossible désormais de suivre la vie de la brigade jour par jour.

Cette vie, du reste, ressemble, à quelques variantes près, à celle que mènent tous nos soldats sur l’immense front qui court de Nieuport aux avancées d’Altkirch. C’est la vie de tranchée qui ne manque pas au début d’un certain pittoresque (Boissat-Mazerat), mais dont la monotonie finit par lasser assez vite. Il pleut, il pleut à perpétuité, écrit le 4 mars Maurice Faivre. Il pleut surtout de l'ennui. C’est qu’on semble accroché pour longtemps et qu’on se demande si le prochain hiver ne nous retrouvera pas montant la garde à la même place. On en sort à peine pourtant, de l’hiver. Faute de mieux on a vécu dans l’attente du printemps ; on s’est dit que la guerre serait charmante au prix de ce qu’elle était jusque-là, quand les violettes fleuriront au bord des tranchées. Puis il n’est ciel si maussade qu’il ne daigne parfois se dérider. Et, enfin, on s’est aperçu que la monotonie même de cette vie n’allait pas sans certaines compensations. A l’arrière comme en première ligne ; on connaît à peu près maintenant les heures du Boche, méthodique et régulier comme un chronomètre, et l’on met à profit les répits qu’il nous laisse. On connaît aussi ses objectifs qui varient peu. Il est rare par exemple qu’il bombarde Coxyde. Mais il s’en prend assez souvent à Oost-Dunkerque, où l’amiral, le colonel du 1er régiment, le chef du 8e bataillon, les 10e et 12e compagnies[1], les ambulances et les services sont encore installés. Dans l’après-midi du 18 février surtout, le marmitage, sans doute par pièce de marine, est intensif. Pour la deuxième ou la troisième fois, mais non sans esprit de retour, ce qui reste de la population prend la fuite. Le Boche tape indifféremment sur l’ambulance du 3e bataillon qu’une marmite atteint de plein fouet, n'y faisant qu'un blessé, et sur de vastes serres qui servent d’écurie aux artilleurs, mais dont les chevaux ont été retirés à temps. Au total, casse assez faible.

C’est bien autre chose à Nieuport. Là pas un jour, pas une nuit ne se passe sans que la ville reçoive sa ration de projectiles lourds. Si jolie naguère, dorée et comme saurie par le temps, Nieuport-la-Noble ne mentait pas à son nom ; mais sa noblesse n’était ni d’épée ni de robe. Elle lui venait de la mer qui avait fait sa fortune et qui lui avait ensuite préféré d’autres rivales. Quelques vieilles maisons à redans, le long d’un quai somnolent où flottaient des arômes de goudron  et de bois de Norvège, évoquaient encore jusqu’au 15 octobre 1914, avec leurs ancres en fer forgé et les filets enroulés à leurs perches, l’époque de cette prospérité. Nieuport, avant Ostende et Dunkerque, avait été la métropole de la pêche maritime et le grand entrepôt de laines de la Flandre. Il lui plaisait de s’en souvenir. Réduite de ce haut rang à la condition de garde-watteringhe, de portière des écluses flamandes, elle se réfugiait dans son passé et mettait tous ses soins à en préserver les moindres vestiges. Henri Malo nous a rapporté les touchants efforts de M. de Roo, qui fut le dernier bourgmestre de Nieuport, et de M. Dobbelaër, secrétaire communal, pour constituer un musée de souvenirs locaux, identifier les fastueuses pierres tombales des magistrats et des seigneurs de la période espagnole, dégager les anciens remparts de Philippe le Bon et retrouver, sous le badigeon des façades, les chiffres de fer qui formaient comme un registre à ciel ouvert des naissances immobilières de la cité. L’édilité nieuportaise n’avait-elle point poussé le raffinement jusqu’à exiger qu’aucune maison ne fût reconstruite sans qu’on lui en eût soumis les plans et n’obligeait-elle point les entrepreneurs à n’employer que des briques de la plaine maritime taillées d’après les anciens procédés ? Tant de piété pour ses origines, un culte si fervent et si minutieux du passé n’eussent pas manqué d’attendrir un ennemi moins barbare. Mais il semblait qu'ils eussent accru la rage de celui- ci : l’église Notre-Dame, qui avait quelques parties du douzième siècle, époque où elle fut consacrée par l’évêque de Térouanne, mourait pierre à pierre et son beau chœur ogival était la caverne des vents ; les Halles, décapitées de leur beffroi, le gracieux refuge de l’Abbaye des Dunes, qu’élurent pour résidence les archiducs Albert et Isabelle et dont les fenêtres à meneaux sertissaient des vitraux aussi vifs que l’émeraude, ne se distinguaient plus des autres pâtés de décombres qui jonchaient les chaussées. Seule la grosse tour carrée des Templiers restait debout dans cet écroulement universel, simple construction de briques comme tous les monuments de Nieuport, mais si épaisse, si massive, si solidement liée, que, bien que l’artillerie allemande s’acharnât sur elle, on se flattait qu’elle résisterait à tous les chambardements. C’était trop sous-estimer la puissance du 420 qui la prenait à partie et dont tous les témoins s’accordent pour reconnaître les formidables effets. Le docteur L. G... s’avise un jour de mesurer le cratère ouvert par un de ces 420 dans le pavé de la place de l’Église : il a 6 mètres de profondeur et 12 de diamètre, — 14, dira même l’enseigne Poisson ; la largeur du boulevard Saint-Martin, renforcera Luc Platt qui conclut : C’est superbe et terrifiant tout à la fois.

Terrifiant surtout, car que faire contre le monstre ? Dès son départ le sol tremble à 4 kilomètres de distance. Quand il approche, traversant cette énorme caisse de résonnance qu’est la ville morte, c’est comme un bruit de chemin de fer lancé à toute vitesse, un grincement de rames de métro entrant en gare[2]. Nos hommes appellent d'ailleurs ce 420 le chemin de fer. Le 24 avril, comme la 11e compagnie quittait ses caves pour prendre la relève, le coup de départ du bolide fit soudain tanguer le sol. C’était dans la Schipstraat. Les hommes n’ont que le temps de se coller à terre. Le bolide enfile la rue, passe sur leurs têtes et va faire explosion 400 mètres plus loin, au milieu d’une lueur fulgurante, que suivent mille sifflements bizarres produits par les éclats qui retombent. Je vous assure qu’il n’y a pas de braves à ce moment-là : le silence !... Une lourde colonne de fumée rousse et noire s’avance dans la rue, engloutissant tout ; la fumée se dissipe lentement : personne n’est blessé, mais la chaussée est couverte de débris de toutes sortes. Deux maisons sont éventrées à 400 mètres de nous : c’est là qu’est tombé le monstre[3]... Et la compagnie n'a pas tourné le coin de la rue qu’un nouveau mugissement la rejette contre terre, le cœur suspendu. Ainsi trois fois de suite. Dans une circonstance analogue, le commandant Delage et l’officier des équipages Dévissé, revenant des Cinq-Ponts et surpris par un 420, furent soufflés tous les deux comme des fétus de paille et projetés dans la boue de l’autre côté de la rue. C’est une question d’ailleurs de savoir si, quand le 420 se démuselle, il ne vaut pas mieux être à l’air libre que dans une cave. La cave protège contre les éclats, mais on y risque l’ensevelissement. Danger pire que tous les autres et dont la seule pensée cause une sensation d’étouffement prématuré ! L’immobilité qu'il faut observer ajoute à l’angoisse, car quel mouvement se donner dans un espace de quelques pieds carrés ? Les Boches tirent toutes les vingt minutes (2)[4] et, après chaque coup, on regarde le réveil on suit, la marche tout à la fois trop lente et trop rapide des aiguilles. Sera-t-elle pour nous, la nouvelle marmite ? La voici qui s’annonce. D’abord c’est comme le bruit du vent sous la porte ; le bruit devient tempête ; la tempête devient foudre. Braoum ! Tout saute dans la cave ; les lampes manquent de s’éteindre. Et les vingt nouvelles minutes d’angoisse recommencent. L’effet est vraiment démoralisant. Dès que le bombardement commence, chacun se tait. On entendrait voler une mouche, les plus braves se collent dans un coin d’où ils ne bougent plus. Un mois de cette vie et l’on deviendrait fou[5].

Cette vie-là pourtant devait durer plus d'un mois et la pièce qui vomissait sur Nieuport ces monstrueux projectiles n’était \pas encore à bout de souffle. Un moment, le 12 mars, on crut que les monitors britanniques qui bombardaient Westende l’avaient démontée[6]. Mais le lendemain elle se remettait à rugir. Généralement elle tirait six coups le matin, les six coups habituels de 420 sur Nieuport (Poisson), l'après-midi étant réservé au 210. Mais quelquefois, comme le 26 mars, elle mettait les bouchées doubles et y allait de sa douzaine pour rattraper les jours où elle s’était tue...

On s’accoutume à tout, même aux 420 et aux 210. La première impression surmontée, le naturel de nos gens reprit le dessus et Nieuport, la ville morte, la nécropole des sables, vit passer à certaines heures dans ses rues d’étranges cortèges de pèlerins : fusiliers caracolant sur des chevaux de carton, d’autres berçant des poupées et d’autres promenant des lapins à roulette ou pressant l’abdomen d’un clown cymbalier. Un magasin de jouets démoli avait fourni ces accessoires. Ils divertirent tout un temps la brigade, qui s’était prise d’une belle passion pour les fouilles, mais qui orientait d’habitude ses recherches vers des épaves moins innocentes, dont ces caves de bourgeois nieuportais n’étaient que trop abondamment pourvues. Le hasard voulait parfois qu’en cherchant une bouteille de gin on tombât sur un coffret ou sur une basse de valeurs. Rendons du moins cette justice à nos marins que, pour les trouvailles de cette sorte, leur probité ne fut jamais en défaut et qu’aussi souvent qu’un trésor était découvert, il était apporté par ses inventeurs à leurs chefs de compagnie ou aux aumôniers. Du bric-à-brac restant, — et dès lors qu'il n’était point article de bouche, — vases, chandeliers, pendules, tableautins, statuettes, bénitiers, crucifix, on décorait les caves des officiers ou les tombes de marins qui commençaient à s’aligner autour de l’église Notre-Dame et dont les obus de l’ennemi ne respectaient pas toujours l’ordonnance. Il fallait sans cesse recommencer leur mise en état, et nos hommes s'y employaient avec la plus touchante persévérance. Chaque jour elles recevaient quelque nouvel ornement : bouquets de fleurs en papier, minuscules palmiers stérilisés, branches de buis consacré et jusqu’à des tableaux sous verre et des couronnes de mariées. Comme elles n’avaient point de grillage, quelqu’un imagina d’entourer leurs petits tertres avec les montants bleus ou jaunes des lits d’enfants découverts dans les logis abandonnés. Les croix, simplement rabotées, portant des inscriptions au coaltar ou à l’encre, étaient pavoisées de petits drapeaux, de cocardes, de rubans tricolores[7]... On retrouvait là ce culte de la mort qui est un des traits du caractère breton et qui se concilie fort bien avec des pratiques d’un ordre plus profane. Comment, par exemple, laisser passer le Mardi gras ou la Mi-carême et leur seigneur Malargé[8] sans les fêter de quelques rasades ? Et si, dans les garde-robes des anciens habitants de Nieuport, ces grands fous ont mis la main sur quelque haut de forme pelucheux ou sur quelque antique casaquin à ramage du temps des Orange-Nassau, comment leur défendre de sien affubler ? Mais ne vit-on pas une section d’infirmiers et les deux jeunes carabins qui la commandaient installer au bout de la rue Longue une guillotine en carton trouvée dans les ruines du théâtre et y simuler une exécution ? Délassement un peu macabre. Il y en avait d’autres, plus relevés. Luc Platt, dans une de ses lettres, nous montre, en une villa dont le salon est resté intact, une escouade de Jean L’Gouin se prélassant dans des fauteuils rembourrés et prenant béatement le café pendant qu’un collègue joue sur le piano les airs à la mode d’avant la guerre. La musique, c’est en effet la grande distraction et, pour certains, la suprême et un peu perverse volupté de ce Nieuport en proie à toutes les démences de l’artillerie boche, sans que les plus effroyables explosions interrompent la rêveuse sonate de Mozart dont se grise quelque jeune enseigne mélomane ou les tapageurs accords de cette diane maritime que plaque sur le piano d’un immeuble voisin le facétieux quartier-maître Luc Platt :

Tous les marins de la Basse-Bretagne

Sont dégourdis comm’ des manch’s à balai...

On danse même quelquefois. Maurice Faivre, le 26 avril, nous donne le programme d’une de ces soirées nieuportaises : Polkas et valses, avec intermèdes de chansons et de gigues américaines... Puis, continue-t-il, la nuit a entraîné les invités chez eux et je suis resté seul à adapter du Grieg. Il y a des fleurs dans le salon et le piano a le son un peu grêle du piano de Verlaine. La fenêtre fermée laissait venir à moi le parfum des arbres mouillés, car il n'y a plus une vitre. Le vent fleurait une bonne odeur de varech, et la lune, voilée par des nuages alternatifscomme dirait Mme Delarue-Mardrus, se réflétait, puis mourait en coupant ses rayons à la brisure de la glace... Le bombardement est intense au nord[9].

Finale inattendue ! Ces bombardements de Nieuport par 420 et 210, ceux des tranchées de première et deuxième ligne par torpilles, shrapnells, grenades et autres projectiles de modèle perfectionné, où il faut faire une place à part au saucisson couplé de 90 centimètres, d’un effet foudroyant ; les répliques de notre propre artillerie et de l’artillerie anglaise de haute mer et sur chalands, renforcées en avril par une batterie neuve de quatre pièces françaises de 100 et trois nouveaux long Tom de 240 et de 120 ; les passages de zeppelins en route pour l’Angleterre, avec retour par Dunkerque, Calais et quelquefois Boulogne ; les incursions d’aéros à la recherche de nos pièces et de nos cantonnements et qui les arrosent de bombes, comme celle qui, le 13 février, blessa le commissaire en chef Duvigeant, ou de proclamations, de tracts, de nouvelles démoralisantes, comme celle de la capture de Garros le 20 avril ; des prises d’armes ou des revues à grand orchestre, comme celle du général Joffre le 3 février et celle du président de la République le 11 avril, qui, accompagné du général d’Urbal, commandant l’armée de Belgique, parcourut à pied les nouveaux cantonnements ; des modifications dans l’équipement des fusiliers, dont les capotes seront d’un gris bleu qui n’est pas le bleu horizon — concession à l’amour-propre des marins — et dont les bérets seront remplacés aux tranchées par des calottes protège-tête métalliques (28 mars), premier nom officiel des casques Adrian ; l’arrivée de contingents nouveaux, comme celui qui débarqua le 6 mars de Lorient et qui permit de donner une cinquième section à une compagnie sur deux — celles qui occupaient le segment de Nieuwendamme, le plus étendu de tout le secteur —, et surtout le détachement de 450 hommes qui permit si opportunément, le 5 mai, à la veille d’une terrible offensive ennemie, de reconstituer, sous les ordres provisoires du lieutenant de vaisseau Lefebvre, le 1er bataillon du 1er régiment supprimé le 23 décembre précédent[10] ; la relève des troupes belges du canal de Plaschendaele et de la Briqueterie, qui n’ont pu reprendre la tranchée perdue par elles le 24 février et qui demandent instamment qu’on les retire du front des fusiliers, occasion toute trouvée d’unifier ce front ; enfin la dislocation, à la date du 7 avril, de la VIIIe armée (d'Urbal) et la reconstitution du détachement d’armée de Belgique, dans lequel est compris le groupement de Nieuport, sous les ordres du général Putz, appelé d’Alsace à cet effet, — tels seront, en dehors des actions militaires proprement dites et avec les obsèques des braves tombés au champ d’honneur,  les grands événements qui rempliront pour la brigade cette période quelque peu insipide qui va du 2 février au 9 mai 1915.

Si calme malgré tout que soit le front, si peu marquées que soient notre action et celle des Boches, chaque jour des hommes tombent Soit au cantonnement de réserve à Nieuport, soit au cours des relèves, soit dans les tranchées, les obus, les bombes, les balles font des victimes. Il y a quinze jours, à la revue du commandant, note à la date du 7 mars le fusilier Maurice Oury, ma section comptait 62 hommes. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 38. L’ennemi, par moment, semble pris d’une rage subite et se met, sans cause apparente[11], à déchaîner toute son artillerie diabolique. Ainsi, le 16 février ; La pluie, les balles, les marmites, tout tombe à la fois (Oury) ; le 16 avril : 94 obus boches contre 12 des nôtres tombant dans le seul temps que Luc Platt met à écrire une lettre ; le 20 avril, où, tant sur Nieuport que sur nos tranchées, l’ennemi fait pleuvoir 2.400 obus ; le 25, où il établit à Nieuport, au Bois-Triangulaire, aux Cinq-Ponts, un terrible barrage de feu qui nous fait croire à une attaque imminente. Et rien ne bouge. Passe encore quand c’est nous ou nos alliés qui l'avons provoquée : la bête sort ses griffes et il n’y a rien à dire qu’à encaisser. Le 26 février, par exemple, à la Briqueterie, qu’ils occupaient encore, les Belges cherchaient à reprendre la tranchée perdue le 24[12] ; nous les soutenions de notre feu. L’ennemi se fâche, riposte, et de quel ton ! Nous avions tous mal à la tête, écrit Maurice Oury, c’était un véritable branle-bas. De même le 18 avril, où l’on se perd en conjectures sur la raison de la sarabande de projectiles à laquelle se livre l’ennemi. Un transfuge nous la donna la nuit suivante : c’était un tir de représaille et l’ennemi voulait venger les 60 hommes, dont un commandant, que notre tir de la veille, d’une heure à deux heures, lui avait mis hors de combat. Nous-mêmes, on l’a vu, nous n’étions pas sans souffrir cruellement du tir ennemi, et ce n’était pas seulement les hommes et les gradés qui étaient éprouvés. Jusqu’au 14 mars pourtant, les pertes en officiers avaient été faibles : un seul grièvement blessé le 26 janvier, l’enseigne mitrailleur Bellay. Mais, brusquement, une série rouge s’ouvrait : l’enseigne de Villeneuve, le lieutenant de vaisseau Langlois, les enseignes Albert, Buret, Bernard, le lieutenant de vaisseau Huon de Kermadec, blessés à la file les 14, 26, 30 mars, le 5 avril, les 5 et 6 mai. Entre temps, le 17 avril, comme il prenait sa garde à l’avancée de Saint-Georges, l’enseigne mitrailleur Tarrade recevait un fusant de 77 qui lui arrachait le bras droit et frappait mortellement un quartier-maître à ses côtés. On presse Tarrade de se laisser emporter au poste de secours sur l’unique brancard disponible.

— Mettez mon quartier-maître dessus, répond-il. Il est plus grièvement touché que moi.

Et lui-même gagne à pied le poste de secours, distant de trois kilomètres, où l’on n’a que le temps de l’opérer, parce qu’il a voulu s’arrêter en route auprès du capitaine le plus proche pour rendre compte[13] ; — premier devoir et souci constant de ces grands disciplinés.

Le 1er avril, à l’Yser sud, était tombé un autre officier mitrailleur, le lieutenant de vaisseau Perroquin, tué d'une balle à la tête tandis qu’il réglait un tir d’artillerie ; le 3, tombait le lieutenant de vaisseau Dupouey, un saint dans le genre de Cornulier (docteur Taburet) et dont la perte fut particulièrement ressentie de la brigade, tué lui aussi d’une balle à la tête, au poste 9, dans la nuit, tandis qu’il examinait un bouclier arraché par une marmite et qu’on venait de réparer[14] ; le 4 mai enfin, toujours d’une balle à la tête, dans ce même Yser sud où était déjà tombé Perroquin et que les Allemands, sans rime ni raison, s’étaient mis à cribler brusquement de shrapnells, l’enseigne mitrailleur Illiou tombait à son tour, mortellement frappé, tandis qu’il sortait de son gourbi, en roulant une cigarette, pour voir ce qui leur prenait[15]. Ces pertes stériles sont déplorables, observait avec raison le commandant Mauros. Et la fatigue, la maladie s’ajoutant aux balles et aux obus, la brigade voyait peu à peu disparaître les derniers survivants de Melle et de Dixmude. Le commandant Pugliesi-Conti, qui avait pris la direction des services[16], les quittait le 5 mars, remplacé par le commandant Mauros, promu lui-même capitaine de vaisseau et remplacé à la tête de son bataillon par le capitaine de frégate d’Ablèges de Maupeou ; le commandant de Kerros s’en allait le 5 mai, remplacé par le capitaine de frégate Lefebvre ; le commandant Fauque de Jonquières s’en allait vers le même temps, remplacé par le capitaine de frégate Biffaut ; les lieutenants de vaisseau Lemarchand, Daniel, Pitous, Bonnelli, Ravel, Dordet, l’enseigne de vaisseau Poisson, d’autres, devaient être évacués. A la date du 5 avril il ne restait au 1er régiment que huit officiers de la première formation. Je crois bien que le 2e en a moins encore, notait mélancoliquement l’ancien commandant du 3e bataillon.

Mais les nouveaux valaient les anciens. Une émulation d'héroïsme les emportait à faire aussi bien que leurs aînés et, s’il se pouvait même, à faire mieux. Ils y parvenaient quelquefois. Pendant trois longs mois, jusqu’au 9 mai, l’histoire de la brigade ne contiendra aucune grande action militaire. On se bornera à l’organisation du front ; on perfectionnera les tranchées ; on créera une troisième ligne ; on multipliera les avant-postes ; on travaillera surtout, du 15 mars au 30 avril, à la construction de petits fortins et d'abris de mitrailleuses qu’il faudra relier ensuite et qu'on n’occupera d’ailleurs que la nuit. Travail délicat, contrarié perpétuellement, dans le secteur de Saint-Georges, par les batteries de 77 qui nous prennent de face et de profil, de Mannekenswere et de Nieuwendamme. Que la relève tarde un peu, comme il faut traverser une zone découverte, tout est à craindre[17]. L'ennemi, du reste, ne se montre pas moins actif que nous. Il travaille d’arrache-pied sur tout son front ; il le fouit, le blinde, le bétonne ; il rapproche ses avant-postes et ce sera entre lui et nous, pendant trois mois, une guerre de chicane aussi coûteuse d’un côté que de l’autre, pleine de beaux actes, de traits dignes de Plutarque, mais qui obtiendra rarement les honneurs du communiqué. Tantôt, comme aux Rood-Poort, après nous avoir laissés prendre possession des fermes, qu’il a évacuées et dont il a préalablement asséché le polder par une coupure pratiquée dans la digue de l’Yser entre les bornes 15 et 16, l'ennemi les couvrira d’un tel déluge de feu que nous serons finalement contraints de les abandonner[18] ; tantôt au contraire, comme à la Ferme-aux-Canards, c’est nous qui le délogerons, — sans trop de peine, — d’un ouvrage de notre ligne où il s’est subrepticement introduit et qui l’obligerons à se replier sur ses anciennes positions[19].

La conquête d’un de ces ouvrages, très fortement organisé celui-là et qui nous gênait extrêmement, mérite cependant une mention particulière. On la dut à l’enseigne Jacques Bonnet, de la 12e compagnie (3e bataillon du 2e régiment), qui, depuis plusieurs semaines, en ruminait le plan et n’attendait qu’un moment favorable pour passer à l'exécution. Il s’agissait de s’emparer par surprise d’une redoute allemande qui faisait saillant dans nos lignes à l’endroit où elles quittaient le Boterdyck pour obliquer vers la route de Nieuport à Lombaertzyde. Bonnet avait entretenu l’amiral de son projet dès le 18 février et lui en avait exposé l’économie. Mais tantôt l’atmosphère, tantôt la nervosité de l’ennemi en avaient fait différer l’exécution qui fut enfin fixée au soir du 11 mars. Proposé deux fois pour la Légion d’honneur, cité une première fois à l’ordre de l'armée le 25 février et, une seconde fois, le 9 mars[20], pour avoir placé deux canons de 37 millimètres dans une maison démolie à dix mètres de la tranchée allemande, l’un au rez-de-chaussée, l’autre à l’étage en plein jour, avoir tiré 99 coups dans la tranchée et avoir ensuite ramené les deux canons dans nos lignes[21]. Bonnet réalisait dans toute sa perfection le type du splendid officer, tel que l’entendent nos alliés anglais, d’une audace incroyable en même temps que d’une circonspection, d’une habileté et d’une souplesse de mouvement à rendre jaloux les Indiens de Gustave Aymard. Diverses reconnaissances à vue qu’il avait menées sur le fortin du Boterdyck lui en avaient révélé la solide organisation : cinq sentinelles étaient postées à ses abords et vingt hommes y tenaient garnison avec des mitrailleuses. Bonnet poussa une dernière reconnaissance sur le fortin la veille du soir fixé pour l’attaque. Les quinze fusiliers qui l’avaient accompagné dans cette reconnaissance étaient les mêmes qui devaient l’accompagner dans son coup de main, pour lequel, expliquait-il plus tard dans une lettre à son père[22], ils s’étaient offerts spontanément. L’amiral, qui s’intéressait tout spécialement à la tentative du jeune enseigne, avait fait donner par le colonel Delage, commandant de la défense, les ordres les plus précis : Bonnet était autorisé à demeurer aux tranchées, après la relève de la 12e compagnie, avec le personnel choisi par lui ; il aurait la direction de l’opération, qui serait appuyée par deux sections de la compagnie Gamas (7e du 2e bataillon). Une de ces sections, ajoutait la note de service, sera chargée de l’exécution de l’action elle-même, suivant les instructions que M. Bonnet donnera à son chef ; la 2e section sera destinée à servir de renfort. L’action ne devra être exécutée qu’autant que M. Bonnet jugera les circonstances favorables, non seulement à la réussite de l'occupation, mais à son maintien définitif. Il faudra être prêt à organiser la position sans délai. A cet effet le personnel prévu pour cette occupation sera complété par douze pionniers sous la direction du premier maître Jussiaume... L’artillerie cependant, pour détourner l'attention de l’ennemi, devait taper un point de la tranchée allemande voisin de celui contre lequel aurait lieu le coup de main de Bonnet[23]. Tout étant ainsi disposé- et la nuit paraissant suffisamment opaque, l’enseigne donna le signal à ses hommes. Eux et lui ont de longue date l’habitude du rampement. Mais il faut compter avec les fusées éclairantes et ce je ne sais quel instinct mystérieux qui, à certaines heures de danger, fait sur l’esprit l’office d’avertisseur et le met en garde contre toutes les possibilités de l’ombre. Par bonheur la distance à couvrir était faible : une centaine de mètres. Et l’ennemi, qui nous attendait sur un autre point de sa ligne, fut démonté par l’impétuosité de notre attaque ; ses sentinelles n'eurent pas le temps de donner l’alarme. Il avait là pourtant une troupe d’élite, des Allemands de la garde prussienne, dira lui-même Bonnet à son père et qui se défendirent courageusement. Les assaillants s’étaient partagés en deux groupes. Le second maître fusilier Thomas (Carentan-Félix) avait sauté le premier dans le fortin avec l’un des groupes ; le quartier-maître Luneau, le même qui, le 14 février précédent, avec l'enseigne Bonnet, avait installé une pièce à dix mètres des tranchées allemandes, sous le feu de l’ennemi, coopéré à la destruction de ces tranchées et ramené sa pièce, y sautait par un autre côté. Quinze contre vingt : la lutte est dure, et l’ennemi s’est ressaisi. Mais Bonnet, par sa seule présence, rétablit l’équilibre. Et, comme l’enseigne de Béarn accourt avec la section de renfort, il a la chance d’abattre d’un coup de crosse de son revolver un Boche qui dardait sa baïonnette dans la figure de l’arrivant. A 2 heures du matin, après un combat court, mais violent[24], qui nous avait coûté deux tués et un blessé[25], le fortin était à nous, toute sa garnison exterminée, moins deux hommes qui se rendirent et qu’on ramena prisonniers vers l’arrière[26].

A la suite de ce beau fait d’armes qui, par exception, obtint les honneurs du communiqué[27] et valut les félicitations écrites de l'amiral à l’enseigne Bonnet[28], celui-ci fut décoré de la Légion d’honneur, le second maître Thomas et le quartier-maître Luneau de la médaille militaire. La prise du fortin du Boterdyck était en effet d’importance. Elle enlevait aux ennemis le meilleur point d’appui de leur ligne vers Lombaertzyde et sa possession nous rendra les plus précieux services lors de l’attaque du 9 mai. Aussi l’ennemi ne négligea- t-il rien pour le reprendre et, à peine le fortin équipé par les pionniers du maître Jussiaume, nous eûmes à le défendre contre trois assauts forcenés. Dans la nuit du 14 au 15, l’ennemi réussit même, par une attaque à la grenade, dont une tomba sur la tête du marin Guichaoua et le tua net, à pénétrer dans ses éléments avancés ; mais le lieutenant de vaisseau Lartigue, qui avait replié ses hommes à dix mètres en arrière, fit ouvrir sur les assaillants un feu de salve qui en tua quatre et tint les autres en respect jusqu’au moment où le second maître Rosmorduc, qui s'était offert pour conduire la contre-attaque, où il déploya une vigueur et un brio dignes des plus grands éloges[29], reprit à la baïonnette l’élément perdu[30]. Ne pouvant emporter de vive force la position, l’ennemi tenta de la réduire par le canon. Continuellement le fortin, que l’amiral était venu visiter en plein jour pour se rendre compte des travaux qu’on y pouvait exécuter et dont la difficulté était extrême — on dut se contenter finalement de le relier par un boyau avec la ligne principale de résistance —, était pris sous un feu violent d’artillerie qui ne laissait pas de nous causer des pertes assez lourdes. Les Allemands, écrira le fusilier Oury, le 29 mars, ont tellement à cœur que nous leur ayons pris le fortin que, depuis, ils nous envoient des projectiles de toutes sortes : obus de 57, 77, 105 et 120, bombes, torpilles, etc. Ah ! les s... ! Dans ma compagnie, l'effectif est réduit à 125 hommes[31].

 

 

 



[1] C’est seulement vers le 10 mars que ces compagnies quitteront les villas où elles cantonnent à Oost-Dunkerque pour s’installer dans les baraquements de Ribaillet.

[2] Lettre de Maurice Faivre.

[3] Lettre de Luc Platt.

[4] A intervalles de vingt-cinq à trente-cinq minutes, dit l'enseigne Poisson.

[5] Carnet du docteur L. G...

[6] La pièce de 420 millimètres qui bombarde Nieuport depuis plusieurs jours n’a pas tiré aujourd'hui. Le tir de l’escadre l’a peut-être obligée à se déplacer ou l’a avariée. Ce serait désirable, car elle Unirait par rendre les caves de Nieuport inhabitables : elle fait des excavations de 10 mètres de diamètre. (Commandant Mauros à la date du 12 mars.)

[7] Roland de MARÈS, Nieuport, et Jean LIMOSIN, Deux villes belles.

[8] Personnification bretonne du carnaval.

[9] Nous ne parlons ici que de Nieuport. Au cantonnement les distractions étaient plus variées et organisées en général par les officiers. C'est ainsi qu’à l’hôtel Terlinck (Coxyde) se donnaient des concerts hebdomadaires. Le 8 avril on y entendait entre autres le barde Botrel. Des matinées sportives avaient également lieu à Coxyde entre les marins et les zouaves cantonnés au camp de Mitry et dont l'un des officiers, déjà grisonnant, était ce lieutenant Robert d’Humières, le traducteur de Kipling, poète lui-même et auteur dramatique apprécié, qui devait tomber quelques jours plus tard sur le front d’Ypres. il faudrait mentionner enfin les offices dominicaux, célébrés ordinairement dans un petit oratoire de la dune sous le vocable de Notre-Dame de Pitié et que tapissaient de bizarres ex-voto, en cire blanche, prouvant que les fermières des environs avaient recours à Notre-Dame pour la prospérité de leur élevage de lapins, de moutons et de vaches et aussi pour les blessures et les rages de dents (Poisson), ou quelquefois, les jours de grande solennité, comme Pâques, en plein air, sur un autel provisoire ombragé par des drapeaux. Sur toute cette vie excentrique et pittoresque de Nieuport et de sa région pendant la guerre, consulter Louis GILLET, l'Assaut repoussé et spécialement le délicieux chapitre : Une étoile passa.

[10] Par la même occasion, les compagnies des deux bataillons restants du 1er régiment qui avaient été portées à quatre, puis certaines à cinq sections, furent ramenées à trois sections.

[11] Au bout de trois quarts d’heure, la pétarade cesse, comme elle a commencé, sans motif apparent... (Enseigne Poisson à la date du 4 mai.)

[12] Cette tranchée avait été enlevée aux Belges par sur prise dans la soirée du 24 (21 h. 30), et ce qui restait de sa garnison (tuée ou faite prisonnière en partie) s’était enfin vers la Briqueterie, à l'exception de trois marins de l’armement du 37, qui, finalement, s’étaient eux-mêmes décidés à se replier, en emportant la culasse du canon et après avoir caché les munitions. Les deux compagnies de Nieuport-Ville sont alertées. Deux sections vont aux Cinq-Ponts à la disposition du commandant de Jonquières. Une compagnie belge (Briqueterie) part pour reprendre la tranchée ; une compagnie belge de Nieuport-Ville [vient à sa place] à la Briqueterie. Artillerie, batterie sur Bamburg, la tranchée allemande du S. G. et le canal de Plaschendaele ; le commandant de Kerros alerte le secteur de Saint-Georges. Renforcé le poste de l’éclusette. 23 heures : les Belges sont à la tranchée du bout (1.500) ; ils attendent pour contre-attaquer que l'artillerie ait préparé les voies. Tir trop à gauche. 2 heures (25), les Belges renoncent à attaquer. Ils attaqueront la nuit prochaine avec l’appui de l'artillerie, qui aura eu le temps de préparer son tir pendant la journée. Formation d’un groupe pour soutenir la contre-attaque belge, artillerie règle. Les Belges renoncent à contre-attaquer. (Carnet du commandant Louis.)

[13] Claude PRIEUR, De Dixmude à Nieuport. (Nous rappelons que Claude Prieur est le pseudonyme de l’enseigne Poisson.)

[14] Récit de l’enseigne Vielhomme dans le Témoignage d'un converti d’Henri GHÉON. Consulter sur Dupouey (Dominique-Pierre) et son action mystique ce beau livre dédié à sa mémoire ; lire aussi la préface écrite par André Gide pour sa correspondance et — quand ils paraîtront — le Journal et les méditations du Cahier noir dont M. Ghéon a donné dans son livre quelques fragments d’un intérêt supérieur. Il semble que la brigade ait eu en Dupouey son Pascal.

[15] Consulter encore Henri GHÉON, Témoignage d'un converti. Il était d'Illiou le mot délicat et splendide que m’avait cité Dupouey... Après les combats de Dixmude, [Illiou] vient trouver [l’abbé Pouchard] pour se mettre en règle. L’aumônier le croyait parfaitement athée. Comment venez-vous si tard ? lui dit-il. Mais vous pouviez mourir vingt fois dans ce massacre !Oh ! je le savais bien, répond l’officier, et, dès le premier jour, j’étais décidé à me rendre ; mais je me refusais à faire un marché avec Dieu.

[16] Il avait été remplacé à la tête du 2e bataillon du 2e régiment par le capitaine de frégate de Belloy de Saint-Liénard, auquel succéda le 13 février le capitaine de frégate Petit, qui fut remplacé lui-même par le capitaine de frégate Martel.

[17] C’est justement ce qui arriva un matin à la section de Kersauzon, surprise au petit jour entre le fortin 16 et l'arroyo voisin du 17. Les hommes, qui n'avaient pu trouver à temps un refuge dans le fortin 17 ou dans l’abri des mitrailleurs ou qui ne s'étaient pas repliés en arrière vers le Noord, Vaart, durent se coucher dans la vase et faire les morts jusqu’à la nuit.

[18] Le commandant Delage, esprit ingénieux et toujours à la recherche d’inédit, avait projeté d’attaquer les fermes par radeaux blindés. L'assèchement partiel du polder rendit les radeaux inutiles. Le commandant Bertrand, chargé de l’opération, la mena de la plus heureuse façon du monde. Les hommes avaient mis baïonnette au canon. Ils étaient pleins d’entrain. Les Allemands sont dans les fermes : on est heureux, dit l’officier des équipages Dévissé, on va enfin pouvoir faire le coup de feu ! Mais on craignait que les oies de Rood-Poort, fidèles imitatrices des oies du Capitole et qui nous avaient déjà fait éventer deux ou trois fois par l'ennemi dans nos précédentes tentatives nocturnes, ne lui donnassent à nouveau l’éveil. Les deux sections d'attaque, l’une partie de Groot-Noord, l’autre, de la route de Nieuwendamme, s’étaient engagées dans le polder. Nous recevons quelques coups de feu, continue l’officier des équipages Dévisse, puis plus rien. C’est amusant de voir les hommes s’avancer avec précaution dans l’eau phosphorescente. Chaque homme pousse devant lui une petite vague de feu. On arrive aux fermes prêts à donner l’assaut. Les Allemands se sont envolés. Mais les oies restent ; on leur tord le cou. En voilà qui n’avertiront plus les Allemands de notre présence ! Les fermes sont immédiatement organisées. On y travaille encore les jours suivants. Mais, les Allemands bombardaient avec tous les calibres. Nos pertes étaient telles qu'au bout de quelque temps il fallut lâcher les fermes après les avoir fait sauter.

[19] L'histoire de la Ferme-aux-Canards est l’exact pendant de celle des fermes Rood-Poort, mais les Roches s’entêtèrent moins que nous. Les caprices de l’inondation nous avaient forcés à l’abandonner au moment même où, en prévision d'une offensive prochaine, nous travaillions à fortifier notre couverture dans la direction de l'Union. Les Roches en profitèrent. L'amiral apprit le 28 février qu’ils s’y étaient installés. Il donna l’ordre aussitôt de la reprendre. Une patrouille conduite par le maître Carbel, chef de la 1re escouade de la compagnie Béra, se rendit à travers l'inondation jusqu’à la Ferme-aux-Canards et constata qu'elle était libre de Boches. Une remontée subite de l’eau les en avait chassés.

[20] Avec le quartier-maître mécanicien Luneau (Alcide), le matelot Grimard (Abel), le matelot Dubois (André) ; le fusilier breveté Brisset (Édouard), le quartier-maître fourrier Roy (Edmond), le matelot Caudan (Yves), le fusilier breveté Jacques (Gustave). Cette affaire remontait au 14 février.

[21] Termes de sa citation par le général Hély d'Oissel.

[22] M. Henry Bonnet, l'avocat bien connu.

[23] Carnet du commandant Louis.

[24] La plupart de ces détails sont extraits d’une lettre de Bonnet à son père.

[25] Le blessé était l’enseigne de vaisseau de Galard de Brassac de Béarn cité à Tordre du groupement pour l’entrain et l’énergie avec lesquels il a mené l’attaque du fortin allemand du Boterdyck. Sa citation ajoute qu’il fut blessé dans cette affaire. Les deux tués, cités avec lui à l’ordre du groupement, étaient le quartier-maître mécanicien Henry (Louis), toujours au premier rang dans les missions difficiles ; a pris part comme volontaire à l’attaque du fortin, y a trouvé une mort glorieuse et le matelot Lèbre (Michel) : A pris part comme volontaire à l’attaque du fortin, grièvement blessé, mort des suites de ses blessures. Fut également cité le matelot Emmenault (Ernest) : Volontaire dans toutes les reconnaissances périlleuses, a pris une part brillante à l’attaque du fortin.

[26] Mon journal, du fusilier marin Maurice Oury. Cependant le commandant Louis dit qu’une partie de la garnison put s’échapper, emportant ses blessés par le boyau.

[27] A l’est de Lombaertzyde, nous avons enlevé un fortin allemand à une centaine de mètres en avant de notre ligne de tranchées. (Communiqué officiel du 12 mars.)

[28] Mon cher Bonnet, le général [Hély d’Oissel], à qui j’ai rendu compte de ce que vous avez fait cette nuit, désire vous faire décorer le plus tôt possible. Pour cela il demande votre rapport (avec un croquis) pour aujourd'hui même. Venez faire votre rapport au P. C. dès que vous le pourrez. Bien à vous. — Signé : RONARC’H.

[29] Motif de sa citation.

[30] Le lieutenant de vaisseau Lartigue fut à cette occasion l’objet d’une proposition du commandant de Jonquières et décoré peu après de la Légion d'honneur pour les hautes qualités militaires qu’il a déployées dans le commandement de la section qui défendait le fortin contre une attaque allemande. Le second maître Rosmorduc reçut la médaille militaire ainsi que le deuxième maître Carreau, de la section des pionniers, qui se trouvait au fortin au moment de l’attaque et qui vint rejoindre sans armes, demandant un fusil. Furent également cités le deuxième maître Lorant, en deuxième ligne et qui vint se joindre volontairement aux défenseurs de la première ligne ; le deuxième maître de mousqueterie Cabon ; les matelots Clerc (Henri), Clerc’h (Joseph), Demangeon (Henri) et Crayol (Paul), celui-ci blessé à la main et qui continua cependant de tirer.

[31] Sur 250.