DIXMUDE

LES FUSILIERS MARINS

 

X. — DANS LES TRANCHÉES.

 

 

Ainsi se termina ce dramatique épisode dont les origines ni les suites n’ont pas encore été bien élucidées. La troupe allemande, qui avait couru la ville pendant la nuit et dont une partie seulement avait pu gagner les prairies avec les prisonniers, comprenait-elle un bataillon ou un demi-bataillon ? Le feu ouvert par le capitaine de frégate Marcotte de Sainte-Marie avait couché pas mal d’ennemis à terre. On marchait sur leurs cadavres dans la ville, écrit le fusilier H. G... Et, le lendemain, nous débusquâmes des caves où ils se terraient un assez joli lot d’assaillants. Mais le plus grand nombre, servis par des complicités mystérieuses, parvinrent certainement à nous échapper.

En tout cas, l’alerte avait été chaude, et elle nous avait montré combien était nécessaire le renforcement immédiat de nos positions. L’amiral en rendit compte au quartier général, qui lui envoya de Loo deux bataillons de Sénégalais. Le bombardement avait repris dans l’intervalle. Il devint particulièrement intense entre onze heures et trois heures, visant de préférence les ponts de Dixmude et les tranchées du cimetière. Nous fîmes là d’assez grosses pertes, dont le lieutenant de vaisseau Eno[1] et une partie de la 7e compagnie du 2e bataillon. Mais le moral des hommes ne pliait pas. Témoin ce quartier-maître Leborgne, blessé à la tête, évacué sur l’ambulance pendant une accalmie, qui s’en échappait en entendant la reprise de la canonnade et revenait se faire tuer à son poste ; ou ce clairon Chaupin qui, voyant des recrues faire le gros des sous la rafale, leur criait : Regardez-moi, les p’tiots ! et, magnifiquement brave, dressé de toute sa taille pour traverser la zone dangereuse, les entraînait dans son sillage d’héroïsme. Le feu de l’ennemi, grâce au repérage de ses avions et aux intelligences qu’il comptait dans la place, témoignait d’une justesse surprenante. Dans l’espace de deux heures, de dix heures et demie à midi et demi, écrit un des officiers qui commandait une des sections les plus exposées, l’enseigne de vaisseau T. S..., il est tombé une cinquantaine de shrapnells autour de nous. A une heure, j’avais le quart de mon effectif hors de combat. Je fais demander du renfort et des vivres, — nous étions sur la ligne de feu depuis soixante heures. Le commandant me donne l’ordre verbal de me replier. Je consulte mes gradés et mes hommes : Faut-il partir sans avoir été remplacés ?Nous ne pouvons le faire, lieutenant ! Une heure après, l’ordre écrit m’arrivait de quitter la tranchée. Force me fut  d’obéir, non sans avoir enterré nos morts et emporté nos blessés. Voilà, chers parents, de quoi sont capables nos marins : ils tiennent jusqu’à la gauche. Le soir même, la tranchée était occupée par une autre section de marins.

Et, ce même soir du 26 octobre, cette tranchée, — ou une autre, — était de nouveau attaquée et ne restait dans nos mains que par un prodige d’héroïsme. L’ennemi avait pu s’approcher à quelques mètres et chargeait en poussant des hurrahs ; nos mitrailleuses, encrassées, ne jouaient plus[2]. Mais c’était le lieutenant de vaisseau Martin des Pallières qui commandait la section. Elle barrait la route de Woumen, entre le mur du cimetière et une tranchée creusée de l’autre côté, dans un champ de betteraves. Des Pallières bondit sur le parapet.

— Mes enfants, dit-il à ses hommes, c’est avec du fer qu’il faut recevoir ces gens-là. Baïonnette au canon !

Et comme un des fusiliers, un Parigot qui charge avec trop d’entrain, se plaint d’avoir perdu son épingle à chapeau — sa baïonnette —, restée dans la couenne d’un Boche :

— Fais comme moi, lui répond des Pallières, cogne avec ta tête[3].

Le lendemain, un obus l’anéantissait. Entre temps, la brigade avait passé sous les ordres du général Grossetti, chargé de la défense de la ligne de l’Yser jusqu’à Dixmude inclus — détachement de l’armée de Belgique du général d’Urbal —. La journée du 27 ne fut marquée par aucune attaque en force : l’ennemi se contentait de nous bombarder. Il nous laissa respirer un peu la nuit suivante et le matin jusqu’à neuf heures. Puis, le charivari recommença. Un officier de la marine de réserve qui recevait ce jour-là le baptême du feu, le lieutenant de vaisseau Alfred de la Barre de Nanteuil, petit-fils du général Le Flô, pouvait écrire à sa famille qu’on l’avait gâté : Un beau baptême, avec des dragées, toute la lyre, balles, shrapnells et surtout les fameuses marmites. Le hasard avait bien fait les choses. Pour sa seule section, il comptait 4 hommes tués, 12 blessés et 11 disparus. Ce sabbat était le prélude d’une attaque brusquée : elle se produisit contre les tranchées du cimetière, particulièrement recherchées de l’ennemi. Mais nous le savions et nous avions là nos troupes les plus solides. L’attaque fut repoussée une fois de plus, en partie grâce à la fermeté du premier maître de mousqueterie Le Breton, déjà blessé le 24 octobre et qui avait pris le commandement de la compagnie, quand tous les officiers furent hors de combat[4].

Nos alliés n’étaient pas si heureux sur la ligne de Dixmude à Nieuport, où la 4e division belge, écrasée sous des forces supérieures, marquait un sensible recul jusqu’à Ramscappelle et Pervyse. L’importance stratégique de ces deux villages exigeait qu’on les reprît immédiatement. Tous les éléments disponibles de la brigade y furent envoyés dans la soirée du 29. Cela n’empêchait pas l’ennemi de continuer son bombardement de Dixmude, auquel répondirent avec efficacité cette fois les grosses basses de notre artillerie lourde. Nous y gagnâmes d’avoir une nuit à peu près tranquille. On les comptait, ces nuits-là, dans la brigade. Nous ne savons plus ce que c’est que dormir, écrit un marin. Voilà dix jours qu’on n’a pas fermé l’œil. L’ennemi, peut-être, était aussi las que nos hommes : quelques poignées de shrapnells sur Caeskerke et le carrefour où l’amiral avait installé son poste de commandement furent la seule manifestation de son activité nocturne. Peut-être aussi, dans cette phase des opérations, Dixmude l’intéressait-elle beaucoup moins que Ramscappelle et Pervyse. Il se jetait au petit jour dans Ramscappelle mais il échouait sur Pervyse, défendue avec leur énergie habituelle par les deux compagnies du bataillon Rabot. Ramscappelle était d’ailleurs reprise le lendemain. Mais, la veille, une marmite avait démoli, à Dixmude même, le pont du chemin de fer.

Aux brefs relâches de cette lutte épuisante, les yeux des défenseurs interrogeaient le schoore de l’Yser. Qu’elle était lente à se tendre, cette inondation annoncée par le quartier général belge dans la soirée du 25 octobre et qui, depuis cinq jours, ne faisait que des progrès insensibles ! Pourtant, là-bas, sur la grande plaine unie, il semblait qu’on la vît avancer : les watergands débordaient ; l’eau rapprochait ses mailles ; sa résille se resserrait autour des villages et des fermes. A la hauteur de Ramscappelle et de Pervyse, elle formait déjà une grande nappe d’un seul tenant.

Ce fut ce jour-là, au nord à nous, qu’on put constater les premiers effets tactiques de l’inondation. Ramscappelle avait été splendidement enlevée à la baïonnette par la 42e division, l’ennemi rejeté derrière le talus de la voie Dixmude-Nieuport, d’où il se repliait presque aussitôt sur l’Yser : autant que devant nos troupes, il reculait devant l’insidieuse montée des eaux. Le plan du grand état-major allemand était déjoué : il n’avait compté, pour atteindre Dunkerque, ni sur l’intervention de la flotte anglo-française, qui l’empêchait de longer par les dunes le rivage de la mer, ni sur les facilités qu’offrait à la défense l’inondation du bassin de l’Yser. La clef de la position n’était ni à Dixmude, ni à Pervyse, ni à Ramscappelle, ni à Ypres, comme il l’avait cru, mais dans la poche du chef-wateringue qui garde les écluses de Nieuport.

On croit sentir à cette minute de la crise comme un flottement chez l’ennemi ; sans renoncer à Dixmude, l’état-major allemand semble vouloir regarder ailleurs. A peine si, le 30 et le 31, il daigne envoyer à nos tranchées du cimetière et aux maisons des abords du pont leur ration habituelle de shrapnells et de marmites. Il pleuvait sans discontinuer depuis trois jours : nos hommes avaient de l’eau jusqu’à mi-jambes dans les tranchées. Où étaient les fringantes demoiselles au pompon rouge de naguère ? Il faudrait nous voir marcher, écrit le marin L..., d’Audierne, on est comme des hommes de soixante-dix ans. Mes pauvres genoux et coudes, je ne les sens plus. Mais la grande souffrance tenait au manque de chaussettes : les pieds nus dans les souliers se violaçaient, refusaient tout service. C’est la campagne des pieds gelés, goguenarde un de ces malheureux. Disciplinés, fatalistes par tempérament, ils ne récriminent pas, et c’est à leurs parents qu’ils s’adressent pour parer au mal. Envoyez- moi des chaussettes. Je suis nu-pieds et il fait froid, écrit le 1er novembre le marin J. F..., du Passage-Lanriec. Et, dans la lettre suivante, il réitère : Je vous dirai, chers parents, qu’il fait mauvais temps ici : pluie et vent tous les jours, et du froid ! Il ne fait pas beau dormir dans les tranchées : il y a quinze jours que je n’ai pas fermé les yeux par le froid, les obus et les balles. Malgré tout cela, j’ai encore du courage. Je suis nu-pieds dans mes souliers ; j’ai toujours les pieds glacés. Si vous m’envoyez des chaussettes, envoyez- moi quelques paquets de tabac avec... Et cet autre bout de lettre, toujours sur le même sujet : Chère mère, vous me dites que mon frère continue à boire et il a bien tort ; mais qu’il a tiré ses bas de ses pieds pour me les envoyer. Je le remercie, car j’en avais grand besoin. Magnanimité des ivrognes bretons !

Il y a des privilégiés ici d’ailleurs, comme partout : tel cet H. L..., qui s’est confectionné des mitaines avec une paire de vieilles chaussettes trouvée dans une tranchée boche. Évidemment on ne fait pas le délicat quand on est à la guerre et qu’on porte depuis un mois, sous la pluie, dans la boue, les mêmes effets loqueteux et gluants. Tu n’oserais pas prendre mon tricot avec une pince, tellement il est infect, écrit à sa sœur le même H. L... Les officiers ne sont pas mieux partagés, — bien qu’ils aient des chaussettes. On ne se change jamais, on ne se lave jamais, on ne se brosse jamais, écrit Alfred de Nanteuil. Je suis dans la même crasse depuis mon départ de Brest. Je n’ai changé que de chaussettes. Toutes mes idées sur l’hygiène sont renversées, car, en somme, je ne me suis jamais mieux porté. Quelques-uns se plaignent bien çà et là de la nourriture. Je suis été (sic) trois jours dans les tranchées sans bouffer, gémit incidemment le marin J.-L. R... Mais d’autres, en plus grand nombre, constatent que la confiture de singe, n’est pas mauvaise, surtout chauffée, et qu’en somme on a son content. Sur la boisson, par exemple, le jus excepté, — fameux, le jus ! — l’opinion est unanime et tous la déclarent exécrable. Ni vin, ni bière, rien que de l’eau croupie : encore on dit que les casques à pointe l’ont empoisonnée. Aussi est-il recommandé de ne la boire que dans le jus et fortement bouillie. J’ai passé des journées avec du pain, du sucre et une tasse de café les grands jours, écrit Alfred de Nanteuil. Il n’y a plus dans le pays que de l’eau infecte. Alors je reste très bien huit jours sans boire, sauf le café. François Alain, lui, est resté quatre sans boire ni manger, dans la paille d’une grange où vingt- sept de ses camarades, coupés de leur compagnie, venaient d’être éventrés à coups de baïonnette. Comment ce conscrit de dix-neuf ans échappa-t-il aux Boches demeurés à proximité ? Par un petit trou qu’il avait percé à l’aide de son couteau dans une des tuiles du toit, il observait tous leurs manèges, repérait leurs tranchées, les emplacements de leurs canons et de leurs mitrailleuses. Et un beau soir, où la lune n’était pas trop claire, il s’évadait en rampant, abattait un officier allemand qui lorgnait les positions françaises, et rentrait dans nos lignes sous une pluie de balles, avec une cargaison de renseignements précieux, un fourreau de boue et des dents aiguisées par quatre-vingt-seize heures de jeûne[5]. Et l’admirable, c’est que dans cet état, ruisselants, le ventre vide, les pieds gelés et le crâne en feu, aucun de ces hommes ne perd le sourire. Dans toutes leurs lettres revient la même note : Quoique ça, tout va bien, et l’on ne se fait pas de bile, surtout quand on peut f... une tournée aux Boches. Ceci console de cela. Les risques de la tranchée, ils les connaissent et ils les préfèrent à l’inaction de la vie en réserve. Et voilà douze jours de bataille, écrit le 28 octobre le fusilier C..., d’Audierne, et, ce soir, nous devons aller en première ligne, car on est mieux au feu qu’au repos. Paradoxe ? Forfanterie ? Non. Ils parlent comme ils pensent. Ce sont des embusqués à rebours.

 

 

 



[1] De l’émouvante allocution prononcée aux obsèques de ce brave, à Lannion, par l'enseigne de Cuverville, représentant l’amiral Berryer, détachons ce trop court passage : La mobilisation avait trouvé Ernest Eno à Brest, au centre des formations de ces mêmes bataillons qu’il devait plus tard conduire à l’ennemi. Et nul plus que lui n’avait qualité pour donner à nos jeunes recrues, en outre de l’instruction professionnelle, ces leçons de virilité et de patriotisme qui vont au cœur et font les hommes vaillants et forts. C’est que lui aussi était un vaillant. Fils de ses œuvres, il avait gravi pas à pas les rudes échelons de la carrière. C’était un vrai marin... Dès le 13 août, il partait avec le 1er régiment de fusiliers... Sous une pluie de mitraille, autour du cimetière de Dixmude, il tombait bientôt à la tête des siens, la cuisse fracassée par un éclat d’obus. Il ne devait pas survivre à son horrible blessure. Il est mort, unissant dans sa dernière prière à Dieu les siens et sa chère Bretagne qu’il ne devait plus revoir. Ernest Eno avait été opéré sur le champ de bataille par son concitoyen et ami le docteur Taburet, un des médecins de la brigade qui montrèrent sous le feu, au chevet de nos blessés, le plus absolu mépris du danger.

[2] Dans une circonstance moins critique, mésaventure semblable advint à l’enseigne Gautier et fut le prétexte d’une petite scène amusante qu’on dirait empruntée aux mathurinades de Léonec et de Gervèze. Hier, je mitraillais des Allemands à 1.200 mètres sur une route que j’ai fini par leur interdire. A un moment, enrayage. De mon blockhaus, je hurle : Qu’est-ce qu’il y a ?Enrayage. — Dites au chargeur de ma part que c’est une andouille ! Et l’homme de communication, un bravo pécheur breton, de répéter : Le chargeur est une andouille, de la part du lieutenant. Le chargeur, c’était Primat ! Quelques jours plus tard, le 10 novembre, dans Dixmude submergée, ce même Primat, qui avait survécu à son officier, pointait avec tant d’adresse et de sang-froid ses mitrailleuses sur une colonne allemande qu’il l’arrêtait net en lui fauchant trois sections.

[3] Conté par le fusilier Georges Delaballe. Telle était l’ardeur que des Pallières avait communiquée à ses hommes qu’on trouva le lendemain, sur la route, un fusilier marin et un Boche morts l’un sur l’autre, les doigts du fusilier entrés et encore crispés dans les joues du Boche. Une balle perdue les avait tués tous deux. Ce qui avait exaspéré les marins, c’est que le major qui conduisait l'attaque portait un large brassard de la Croix-Rouge. Leur honnêteté native se révoltait de ce recours constant à des ruses ignobles, par lesquelles nos ennemis ont trouvé le moyen de déshonorer jusqu’à leur propre héroïsme. — Martin des Pallières était le neveu de l'amiral commandant la brigade des fusiliers en 1870. Homme d’une bravoure très simple et très gaie, anéanti par un gros obus au milieu de son groupe de mitrailleuses qu’il maintenait sous un feu d’enfer, m’écrit un correspondant. — Le docteur Caradec fait remarquer que cette nuit du 26 octobre fut particulièrement tragique. Et il rapporte à l’appui cet épisode emprunté au récit du matelot mécanicien Le L... et qui est d’une assez belle horreur, en effet :

Les Allemands ayant pris des tranchées françaises, les obus pleuvaient dans nos rangs. Tout à coup, quelques-uns des nôtres furent engloutis sous les décombres. L’un de mes amis se trouvant à moitié enfoui dans la terre, nous partîmes à deux pour lui porter secours. Mais un obus le frappa, et moi, à mon tour, je fus enfoui jusqu’au cou. La nuit venait à grands pas. J’ai passé dans cette position quatorze heures d’angoisse. La bataille faisait rage. Près de moi se trouvaient deux amis qui poussaient des soupirs. Le plus proche me suppliait de le délivrer, mais, hélas ! j’étais serré comme dans un étau. J’assistai à sa dernière agonie... Mes forces s'épuisaient. Je perdis connaissance, quelques heures après mon ensevelissement. Ce qui me faisait le plus souffrir, c’était de distinguer les Allemands à quelques mètres de moi. J'assistais à tous leurs actes, à leurs préparatifs de mort. Dans la nuit, les tirailleurs sénégalais, ayant repris nos tranchées perdues, se mirent à débarrasser les décombres et découvrirent mes deux amis morts près de moi. Un des Sénégalais marcha sur ma tête. Sentant quelque chose d’irrégulier, il se pencha et m’aperçut. On me retira des décombres et on me transporta à la première ambulance. Au bout de quelques heures, je revins à moi. Quelle joie de me trouver près de mes amis ! Je me faisais l'effet d’un ressuscité.

[4] Parmi eux se trouvait l’enseigne de vaisseau Gautier. On a trouvé dans ses papiers l’ordre ci-après que nous communique sa famille. M. Gautier — par ordre supérieur, j’envoie une section vous remplacer, avec mission de vous transmettre l’ordre de vous porter avec votre section dans le voisinage du cimetière, derrière le mur ou le talus du chemin de fer, dans la position qui vous paraîtra la plus favorable, d'accord avec l’officier qui sera dans les tranchées voisines. La section de des Pallières, qui était au cimetière, a été démolie, des Pallières tué et enseveli sous les décombres de la tranchée. C’est à neuf heures du soir que l’enseigne Gautier fut tué. Nous dînions dans la tranchée, écrivait quelques jours plus tard à sa famille le lieutenant de vaisseau Gamas, quand on vint lui apporter l’ordre de se rendre à un poste dangereux pour y remplacer des Pallières qui venait d’y trouver la mort. Le dernier mot que me dit votre gendre fut le suivant : Capitaine, c’est mon tour. Puis, après un énergique échange de poignée de main et de regards profonds et affectueux, nous nous séparâmes. Le lendemain j’appris que mon pauvre ami était mort, tué par une balle allemande qui l’avait frappé au front au moment où, attaqué par des forces très supérieures, dont trois sections de mitrailleuses, il levait la tête hors de la tranchée pour mieux régler son tir et faire tout son devoir. C’est donc noblement qu'il est tombé, laissant à sa femme et à ses enfants un nom glorieux chargé d'estime et d'admiration.

[5] Journal de Paimpol du 24 janvier 1915. François Alain, un enfant de Bréhat de dix-neuf ans, engagé de février 1914, a été décoré de la médaille militaire par les mains mêmes du général Foch.