HISTOIRE DES PERSES

LIVRE SIXIÈME. — LES ARSACIDES. SIXIÈME FORMATION DE L'IRAN.

CHAPITRE II. — DYNASTIES SECONDAIRES DE L'IRAN SOUS LES ARSACIDES.

 

 

Il s'en faut de beaucoup que les renseignements soient complets sur ce qui touche à l'histoire des feudataires. Les auteurs asiatiques assurent, comme on l'a vu plus haut, qu'il y en avait quatre-vingt-dix, et même davantage ; mais la plus grande partie de ces maisons régnantes est inconnue aujourd'hui et probablement restera telle. On ne saurait recueillir sur ce sujet que quelques faits épars et très-succincts. Les médailles donnent un petit nombre de dynasties.

Le Kerman avait une maison régnante dont on ne connaît que le représentant vivant au temps du dernier Arsacide. Les Asiatiques nomment ce feudataire Heftwad. Il avait sept fils, dont l'un s'appelait Cabous ou Cambyse.

A Yezd, des monnaies locales fort grossières ont seulement pour exergue le nom du pays : Isoutou, que Ptolémée a reproduit dans la forme Istychæ. Il n'y a pas de nom de prince ; mais comme ces pièces sont communes en Perse, se trouvent aussi bien à Bouschyr, sur le littoral du golfe Persique, qu'à Shyraz et à Kerman, et que de plus le métal en est très-pur, on peut admettre que la prospérité de Yezd était grande sous les Parthes et le commerce de ce pays très-étendu. En outre il n'est pas sans vraisemblance que les monnaies de Yezd aient été frappées antérieurement au règne de Gotarzès, c'est-à-dire vers 45 ou 50 de notre ère, car après ce prince toute la monnaie parthe est altérée.

Abeste, localité située dans la partie méridionale du Seystan, a laissé des monnaies très-analogues à celles de Yezd. J'en possède deux drachmes d'argent d'un joli travail qui portent à l'avers : Varan Abest ve... baty, Varan, seigneur d'Abest et de... (?). — Abeste est une ville connue des géographes latins et arabes ; elle était sur l'Helmend, près du lac Hamoun. Ses ruines, appelées aujourd'hui Bost, couvrent une étendue de terrain considérable. L'autre fief du seigneur d'Abeste m'est inconnu.

L'Aragh, probablement le nord de la province, a laissé des drachmes d'un mauvais travail, portant à l'avers une tête ornée d'une couronne à trois créneaux avec la légende : Artaban, Arag malekou, Artaban, chef de l'Aragh.

Le Seystan proprement dit possède des monnaies sur lesquelles on trouve la légende Sak (Sakastena). Mais, et ceci est assez curieux, plusieurs de ces pièces ne sont autres que des copies mal façonnées de tétradrachmes athéniens, présentant une série de déviations intéressantes à noter : 1° le tétradrachme d'Athènes à l'état pur ; 2° une copie aussi approchante que possible, mais barbare ; 3° une copie où la chouette de l'avers est devenue un lion au moyen de la branche d'olivier changée en queue ; 4° une copie où la chouette et le lion sont remplacés par le bœuf bossu ; 5° une dernière variété où la légende ΑΘΕ, conservée jusque-là, est remplacée par -la légende iranienne Sak (Sakastena).

Du reste les médailles du Seystan sont nombreuses et variées ; d'où l'on doit induire que le pays était riche et le commerce en grande activité. Sur plusieurs espèces on retrouve des noms de dynastes. J'en ai recueilli quatre, que je donne ici sans prétendre fixer les relations chronologiques de ces princes :

Varat

Anan

Achémenès

Taarat

J'ai examiné quinze exemplaires de certaines monnaies attribuées d'ordinaire à la ville de Sinope. Il faut les restituer à la Parætakène, district montagneux au nord d'Ispahan. Une partie de ce pays s'appelle encore aujourd'hui Perhawer. On lit sur les exergues des pièces que j'ai examinées : Varoudaka et Paroudaka. Il n'y a pas de nom de princes.

Une autre variété de pièces, attribuées à Nisibe par M. O. Blau, porte à l'avers le nom d'Hormisdan ou Hormuzd, et au revers le nom de Fasa. C'est celui d'une cité du Fars ou de la Perside qui, au temps des Sassanides, ainsi que l'a établi solidement M. Mordhmann, d'après Kazwyny et Abou-Ishak, possédait un atelier monétaire, et avait encore au dixième siècle de notre ère une importance et une richesse au moins égales à celles de Shyraz.

A Hérat, on trouve des monnaies qui donnent le nom de Frada ou Phraate et le titre de Artekana-Saha ou roi de l'Artakène, l'Arie des Grecs.

A Ecbatane, on a des drachmes avec la légende : Oroud Meday ve Dahyou radja, Orode, roi des Mèdés des Dahæ.

Dans le nord de la Mésopotamie, on trouve d'autres pièces avec cette légende : Ouroud baga Atour ve Aram, Orode, roi d'Assyrie et d'Aram.

Une monnaie dont la légende est à demi fruste présente l'inscription : Artav... Samoud, Artaban, prince de Samoud.

Deux pièces appartenant visiblement au même prince ont la même légende : (Ar)taban bash Hemed, Artaban, chef de Hemed.

D'autres monnaies, différentes entre elles et n'appartenant pas aux mêmes régions, présentent des légendes si difficiles que je n'ose en tenter la lecture ; jusqu'à présent je n'ai examiné que des drachmes ou des tétradrachmes d'argent ; mais les bronzes sont en beaucoup plus grand nombre et présentent les effigies les plus diverses sans légende, ce qui rend impossible de reconnaître à quels pays doivent être attribués ces monuments : tantôt la pièce est oblongue et porte une gerboise, tantôt elle est presque carrée avec deux poissons, etc.

Outre ces divers types, la plupart encore imparfaitement étudiés, mal connus, et auxquels viennent s'ajouter chaque jour des découvertes nouvelles qui ne manqueront pas d'enrichir l'histoire des rois secondaires, il faut citer les médailles de la Characène, pays compris dans la confédération parthe après les conquêtes de Mithridate Ier, et ceux de la Mésène, mais principalement ceux de l'Arménie et du Pont. Ici l'histoire des rois secondaires nous conduit à l'appréciation d'un des traits les plus importants de l'histoire et de la politique des Grands Rois arsacides.

Nous avons vu qu'il n'était pas possible à ceux-ci de concentrer dans leurs mains une autorité solide et durable, et la cause de leur faiblesse se trouvait dans la puissance des vassaux, dont ils étaient contraints de n'être que les chefs et les représentants vis-à-vis des pouvoirs étrangers, mais rien de plus. N'osant et ne pouvant attaquer une constitution si fortement gardée, les Grands Rois cherchèrent à en combattre les effets par les moyens qu'elle pouvait fournir contre elle-même, et à former autour d'eux, dans le sein de la confédération féodale qui les resserrait, une confédération royale, en état de lutter, et ayant la perspective de vaincre.

L'Arménie avait conservé sous les Achéménides et avait sous les premiers, successeurs d'Alexandre ses rois particuliers ; mais Mithridate Ier l'Arsacide avec l'aide des princes confédérés fit la conquête du pays, et l'ayant détaché de la monarchie séleucide pour le réunir aux provinces iraniennes, chassa la dynastie nationale et mit en place son frère Vagharshash ou Valarsace, d'où sortit une lignée de feudataires soumis à la couronne arsacide, du moins théoriquement.

Les rois arméniens, dans la personne d'Ardashès, père de Tigrane, constituèrent à leur tour sur le Pont-Euxin et dans les montagnes avoisinant le Caucase un autre grand fief en faveur du gendre de ce prince, mari de sa fille Arshama, et ce fut le royaume de Pont.

Puis dans la haute Mésopotamie, les mêmes dynastes fondèrent pour une autre de leurs branches un nouveau domaine, possédé au temps de Lucullus par un nommé Gouras, frère de Tigrane. Nisibe dépendait de cet État, mais fut prise plus tard par un Artaban de Perse pour être donnée à Izate, roi de l'Adiabène, également d'origine arsacide. Ce dernier royaume appartenait donc aussi à une branche de la famille suzeraine.

L'Osrhoène ou royaume d'Édesse était dans le même cas et rattachait sa maison régnante à la branche arménienne de la famille, ce qui indique clairement qu'il y avait eu sur ce point, comme sur bien d'autres, dépossession des anciens seigneurs en faveur de la lignée royale.

En somme, la ligne arménienne des Arsacides était extrêmement puissante, et avait par sa fécondité et en appliquant le système qui l'avait faite ce qu'elle était devenue, semé autour d'elle un groupe d'États gouvernés par des parents. Mais la branche aînée avait encore eu deux autres grandes applications de son système. Avec le temps, elle avait fait souche dans une partie de la Bactriane vers les frontières de l'Inde, soumettant à son obéissance une foule de tribus saces, gètes, arianes et alaines, et elle s'était étendue sur les ruines des souverainetés supprimées jusqu'à l'embouchure du grand fleuve dans l'océan Indien. Ces Arsacides furent connus des historiens d'Arménie comme de ceux de la Chine sous le nom de rois du Khousan, et les derniers de ces auteurs rapportent que la puissance de ces princes s'étendait extrêmement loin dans le nord-est de l'Asie[1].

Enfin une quatrième branche de cette immense famille avait passé, par le Caucase sans doute, dans les contrées situées au nord de l'Euxin, qui constituent aujourd'hui la Russie méridionale. Là ces conquérants régnaient sur toutes les peuplades arianes. Ils portaient le plus ordinairement ou on leur donnait de préférence le titre de rois des Alains ou des Massagètes. Il est difficile de tracer les limites géographiques de cette souveraineté. Il semblerait que du côté de l'est elle devait s'arrêter au Volga ; mais Ammien Marcellin et les auteurs chinois l'étendent jusque vers le Gange, ce qui parait au moins fort douteux. Il se peut que des tribus de Massagètes aient pénétré jusque dans ces contrées lointaines, mais ce fait ne prouverait en aucune façon que les Arsacides aient exercé la moindre autorité sur ces tribus ni même que leur nom ait été connu d'elles.

De tout ceci il résulte que la famille régnante de l'Iran fut extrêmement active et réussit à se placer sur beaucoup de trônes. Pourtant elle manqua son but principal. Elle avait voulu neutraliser les inconvénients du système féodal en se mettant elle-même à la tête des plus puissants fiefs ; mais il arriva précisément ce qu'on vit en France quand les Capétiens et surtout les Valois, concevant la même pensée, voulurent faire tourner le système des grandes tenures à leur profit sans le détruire, et installèrent dans les mouvances de la couronne des princes de leur sang. Tous ces princes devinrent des ennemis infiniment plus dangereux du possesseur du trône que les dynastes qu'ils avaient remplacés. Ceux-ci n'avaient été que médiocrement soumis et assez volontiers résistants ; mais jamais ils ne s'étaient élevés jusqu'à la compétition. Les princes de la Fleur de lys aspirèrent à toutes les nations, et ils ne trouvèrent rien de trop haut pour leurs prétentions et leurs espérances.

Il en était arrivé de même dans l'empire arsacide. Les feudataires de sang royal furent des usurpateurs soit de fait, soit d'intention, mais toujours très-actifs. Ils passèrent le temps à se chercher des appuis et des partisans parmi les vassaux, et chez les étrangers, et à ourdir des conspirations. Le meurtre entre parents, déjà assez usité chez les derniers Achéménides, devint une mode constante, et le parricide ne fit pas plus reculer que l'assassinat des frères. Par conséquent, cette grave erreur d'avoir si fort agrandi les différentes individualités de la maison régnante contribua plus que tout le reste à la faiblesse de la maison des Arsaces et fut le principal obstacle au développement de l'autorité royale. Jamais les feudataires laissés à eux-mêmes n'auraient pu se montrer si jaloux de leur autorité, disposés à en abuser, si querelleurs vis-à-vis des souverains, si déterminés a chercher constamment la perte de celui-ci, que le firent les agnats.

Outre la division des quatre branches principales, celle qui possédait la dignité suprême, la seconde qui régnait sur l'Arménie, la troisième qui alla en Bactriane, la quatrième qui passa dans la région du nord au-dessus du Caucase, on connaissait encore dans l'Iran une autre classification généalogique des Arsacides qui s'appliquait exclusivement aux branches demeurées dans le pays. C'est Moïse de Khoren qui fait connaître le fait.

Le roi Arshavir, dit cet historien, avait eu trois fils : Ardashès, Garen, Souren, et une fille, Goshm, mariée au général en chef des années, ou Sipehbed. De ces quatre personnes étaient issues autant de lignées qui avaient chacune à leur tour à exercer un droit sur la couronne en cas d'extinction de la branche supérieure. On appelait les trois souches non royales du nom de Balhav, c'est-à-dire iraniennes, et l'on avait ainsi les Garen-è-Balhav, les Souren-è-Balhav et les Sipehhed-è-Balhav. Tous les membres de ces familles apparentées au sang royal étaient considérés comme dominant par la naissance le reste des maisons parthes. Cependant elles n'étaient nullement dévouées à la branche régnante, trouvant probablement que les droits de celle-ci contrariaient leurs prétentions et limitaient leurs espérances. Quand les Sassanides se révoltèrent contre les derniers Arsaces, ces nouveaux venus furent chaudement appuyés par les Souren-è-Balhav et les Sipeh-bed-è-Balhav. Les Garen-è-Balhav restèrent seuls fidèles, et enfin un Souren-è-Balhav nommé Anag consentit à servir Ardeshyr-Babegan avec tant de zèle, que, pour le débarrasser d'un concurrent redoutable, il assassina son parent, Khosrou d'Arménie, qui faisait la guerre à l'ennemi de leur famille.

La faute suprême de la dynastie arsacide consista donc en ce que cette maison régnante ne sut pas accepter franchement le régime sous lequel elle devait vivre, et en troubla le fonctionnement par des moyens qui tournèrent contre elle-même. Ce Fut la cause première des désordres de l'empire parthe et la source la plus malheureusement féconde de l'instabilité du pouvoir et de l'irrégularité avec laquelle la couronne se transmit.

Mais il reste encore à noter un point important de l'organisation politique. Tous avons considéré le Grand Roi, sa famille personnelle, ses parents établis, à mesure que la conquête s'étendit, sur des trônes enlevés à d'autres dynastes non arsacides ; il nous reste à parler des républiques ou municipes jouissant de droits régaliens et s'administrant par eux-mêmes au même titre que les fiefs, mais avec des formes différentes.

Il semble que Séleucie était dans ce cas, que Babylone eut aussi cette fortune, et que Ctésiphon en jouit également, au moins momentanément. On a vu partout ce qui précède que sous le gouvernement arsacide les suzerains étaient surveillés de si près et par tant de gens puissants et redoutables, qu'ils ne pouvaient rien s'adjuger, et qu'ils suivaient le système, d'ailleurs déplorable pour eux en fin de compte, de multiplier les foyers d'indépendance autant qu'ils le pouvaient. Les tétradrachmes arsacides ont été reconnus avec raison pour appartenir à des municipes placés sous la protection mais non sous le gouvernement immédiat du Grand Roi. Malheureusement nous ne possédons de preuves directes de l'existence de villes indépendantes dans le nord et le nord-est de l'Iran. Il est cependant à croire que plusieurs au moins des fondations alexandrines jouirent de droits régaliens, et peut-être Apamée et Hécatompylos se trouvèrent-elles dans cas aussi bien que Séleucie.

J'ai tracé un ensemble fort imparfait sans doute, mais aussi complet que possible, des États relevant de la dynastie arsacide ou se rattachant à elle pendant tout le temps de sa durée. On a pu juger ainsi que le fractionnement du pouvoir était la règle de cet établissement, et qu'un principe si peu favorable à l'action de l'autorité suprême avait toujours été en s'exagérant par les efforts mêmes des souverains pour le combattre. Maintenant, afin de faire mieux saisir le fait général, je vais revenir sur les détails.

Et d'abord il est nécessaire de faire une remarque : dans cette nouvelle formation de l'Iran, la sixième, résultant de la destruction graduelle de l'empire séleucide, œuvre de circonstance, mais cependant forte, et qu'il fallut des siècles pour détruire complètement, le Pays pur et ses annexes, tout en gardant pour milieu, pour centre et pour pivot la montagne de l'Elbourz, étendit le cercle de ses frontières d'une manière très-différente de ce qui avait eu lieu depuis Cyrus. Le mouvement d'expansion, très-gêné, très-contenu du côté de l'ouest, s'arrêta en général au cours de l'Euphrate, bien que Mithridate le Grand, roi de Pont, l'ait momentanément étendu jusqu'aux pays grecs ; ce ne fut d'ailleurs qu'un accident très-court, et encore, si l'histoire des Arsacides y est intéressée, la nationalité iranienne n'y eut part que d'une manière indirecte.

Du côté du sud, l'océan Indien forma la limite du pays comme toujours ; mais au nord, l'élément scythique, marié fortement à la nouvelle dynastie, lui permit de gagner vers la Crimée, au-dessus du Palus-Méotide, vers le Volga, de traverser ce fleuve, de régner au-dessus du cours de l'Oxus, ce qui n'avait jamais eu lieu jusqu'alors, de s'enfoncer dans le Turkestan jusqu'aux régions voisines de la Chine, de dépasser l'Indus aussi loin probablement que l'avait fait Alexandre, et de venir se borner à l'est de Pattala. Ainsi une partie fort étendue de la péninsule indienne se trouva englobée dans les domaines arsacides.

Pour qu'il en fût ainsi, il fallut supprimer graduellement certaines familles qui ne représentaient pas d'une manière suffisante l'esprit local. Je veux parler de ces familles royales d'origine grecque formées dans la Bactriane et au delà de l'Indus. Celles-ci s'étaient montrées tout d'abord très-attachées aux idées indigènes, et avaient même devancé les Arsacides dans l'œuvre de révolte contre l'empire des Séleucides. Pendant quelque temps elles manifestèrent avec éclat le sentiment de la réaction indigène ; pourtant elles tombèrent devant : ce fait qu'elles n'étaient pas indigènes, et elles firent place aux Arsacides, qui, ayant commencé par trembler devant elles, finirent par les supplanter. Néanmoins l'élément grec fut toujours respecté dans ces révolutions. Soit que le souvenir d'Alexandre le couvrit, soit qu'il ait eu assez de force pour se faire considérer et estimer, il continua longtemps, même sous des rois de race étrangère, à jouer un rôle dans le pays, et c'est ce dont nous allons voir des marques assez curieuses en considérant l'histoire particulière de la Bactriane et de l'Inde iranienne.

Diodote ou Théodote, gouverneur vers 240 à 250 avant Jésus-Christ, avait pris les armes contre Antiochus Théos et s'était déclaré indépendant. Il avait battu Arsace, le premier des rois parthes, et probablement conquis la Sogdiane, ajoutée dès lors à ses terres bactriennes. Justin lui attribue la possession de mille cités ; étaient-elles grandes ou petites ? il ne s'explique pas. En tout cas le nouveau royaume devait être d'une certaine étendue.

A Théodote ou Diodote Ier succéda un Théodote II, son fils. Ensuite vint un certain Euthydane (médiatement ou immédiatement, on ne sait) qui fit des conquêtes dans l'Arie et la Margiane et battit les populations scythiques. Il semble qu'à l'exemple des Grands Rois il partagea son empire en satrapies. L'État arsacide n'embrassait encore à cette époque que l'Hyrcanie et la Parthyène. Dans une guerre malheureuse contre Antiochus le-Grand, Euthydème fut forcé de faire la paix et de céder ses éléphants de guerre, ce qui a fait penser avec raison à M. Lassen que ce roi devait être possessionné dans l'Inde.

Démétrius, fils d'Euthydème, épousa la fille d'Antiochus, débuta par un règne assez brillant, puis enfin fut dépouillé de la Bactriane par Eukratide et dut aussi lui céder l'Inde.

On n'est pas tout à fait assure que cet Eukratide ait été le premier de sa race qui ait possédé une souveraineté. Certains auteurs placent avant lui Ménandre comme roi de la Bactriane ; d'autres encore Apollodote, et en quelques-uns mettent aussi Hélioklès, connu seulement par les médailles. Toute cette question ne parait pas soluble, faute de documents suffisants, et des noms qui viennent d'être cités, celui de Ménandre seul est entouré de quelque notoriété due à l'affection que ce prince inspira à ses sujets par son esprit de justice, la sagesse de son administration et ses talents militaires. Il semble qu'il ait fait d'assez grandes conquêtes dans l'Inde, et Lassen conseille de voir en lui ainsi qu'en Apollodote des souverains indiens plutôt que bactriens. Ce qui est positif, c'est que les monnaies d'Apollodote comme celles de Ménandre ont des légendes en caractères indigènes, et que les symboles dont elles sont ornées sont souvent indiens.

Démétrius et Ménandre avaient fort étendu leurs États. Strabon leur donne l'Arie, le pays des Paropamisades, l'Arachosie, la Gédrosie. Il leur fait passer l'Oxus, prendre le pays des Sères-Issedons et s'avancer jusqu'à Yarkend et Kashgar ; enfin dans la direction méridionale passer l'Hyphase, s'emparer du delta de l'Indus, c'est-à-dire de la Pattalène, et conquérir le Guzerate.

Mais Eukratide avait succédé désormais a une famille signalée par tant de triomphes. Ses monnaies ont aussi des légendes en caractères indigènes. Il fut renversé par l'Arsacide Mithridate Ier. En même temps que lui régnaient deux princes grecs qui possédaient l'un le Kaboul occidental, l'autre la Drangiane : c'étaient Antalcide et Antimaque ; ils ont, comme leurs prédécesseurs, des monnaies pourvues de légendes bilingues, l'une grecque, l'autre indigène, et bien qu'ils soient qualifiés Rois victorieux, il n'est pas probable qu'ils aient résisté a l'invasion arsacide, qui triomphant d'Eukratide portait les enseignes parthes jusque dans l'Inde, où tous les États des princes vaincus furent occupés par les Iraniens. Cette conquête dut être opérée l'an 139 avant notre ère.

Vers 126, les Scythes apparurent en masse au delà de l'Oxus, traversèrent le fleuve et commencèrent à se répandre dans la Sogdiane, d'où Cyrus les avait jadis expulsés. Ils appartenaient à quatre nations : les Ases, les Pasianes, les Tochares et les Sarakaules. Pour bien comprendre ce qui se passait dans ces, régions, il faut se rappeler qu'en ce même temps commençaient sur la ligne du Danube et sur celle du Rhin ces mouvements germaniques qui devaient aboutir, dans une période de six siècles, a bouleverser absolument la face du monde antique et à créer cette grande nouveauté de la supériorité de l'Europe moderne, événement qui fait notre vie et pour ainsi dire toute l'histoire de la planète à son point culminant. Il n'est pas assurément sans intérêt de trouver le nom scandinave des Ases parmi ceux des peuples qui, descendant de la région étendue entre le Volga et les plaines sibériennes, venaient transformer la face de l'Asie orientale au moment où tant d'autres peuples, qui eux aussi se réclamaient des Ases, descendaient de l'extrême nord vers les frontières de la Gaule et de l'Helvétie. Ces Ases parurent avoir tenu la tête des tribus conquérantes de la Sogdiane. Trope-Pompée assure qu'ils avaient fourni des rois aux Tochares.

Cependant la conquête scythique ne se fit pas plus rapidement dans les pays de l'Indus que sur les fleuves de l'Europe occidentale. Les princes Gréco-indiens soumis aux Arsacides ou rattachés a eux par le lien féodal ne succombèrent que graduellement et même momentanément. L'invasion n'était pas de ce côté comparable en force et en puissance à ce qu'elle était et devait surtout devenir dans nos régions.

Agathoklès avait fondé un État florissant dans le Kaboul oriental vers 190 avant notre ère. Pantaléon lui avait succédé vers 170 ; il était tombé devant Eukratide. Antimaque, dont nous avons parlé également, et qui possédait la Drangiane, avait eu pour successeur Philoxène ; Lysias, de son côté, avait séparé l'Arachosie des autres États gréco-bactiens, et en avait fait un fief libre vers 160.

Archélios et Amyntas avaient régné dans les parties occidentales du pays, puis tout s'était humilié sous la main de l'Arsacide Mithridate Ier.

Dans les anciennes satrapies indiennes, Diomède, Agathoklès et Hermée s'étaient maintenus comme vassaux. Ils furent remplacés par le Scythe Kadaphès vers l'an 120 avant notre ère.

Azès, également Scythe et vassal des Arsacides, eut pour successeur son fils Azilises ; ici la dynastie cessa, et une réaction indienne, conduite par Vikramaditya, roi de Malwa, força les Scythes-Salas à reculer. Les Tochares, sous un chef qui n'est connu que par les renseignements chinois sous le nom de Khieou-tsieou-hi, se substituèrent à la dynastie saka, et le fils du conquérant, Yen-kao-tjeng, repoussa les Indiens dans leur ancienne sujétion et fit sur eux de nouvelles conquêtes vers l'an 20 après Jésus-Christ. Mais le Grand Roi arsacide Vologèse Ier revendiqua sur le Tochares l'ancienne suzeraineté de l'empire, et la rétablit par une campagne heureuse et une série d'expéditions renouvelées.

Après lui on trouve le roi scythe Kadphisès établi dans toute l'Inde occidentale et maître du pays jusqu'au Gange. La dynastie des Kanerkes le suit, mais toujours sous le vasselage arsacide, jusqu'au moment où les Parthes ayant perdu l'empire d'Iran, les Sassanides les remplacent pour quelque temps. Enfin, vers 226 de notre ère, les Indiens réussissent à se dégager complètement des populations étrangères, et la dynastie indigène de Kanodj règne librement sur l'Inde supérieure.

Voilà à peu près ce que nous connaissons de cette histoire obscure, et ce peu ne nous est guère fourni que par les médailles. Les noms grecs ne représentent certainement pas des personnages de naissance pure. Ce sont des métis qui les portent, mais des métis parlant plus ou moins imparfaitement la langue de leurs pères, très-acclimatés à coup sûr, mais conservant aussi beaucoup d'idées et quelque chose des arts de la lointaine Hellade. Il est assurément curieux de voir la puissance iranienne défendue, étendue, conservée longtemps par ces Grecs dans des régions si lointaines, et la fraternité de ceux-ci avec les Arsacides s'élever aussi bien contre les populations d'au delà de l'Indus que contre les Séleucides eux-mêmes. Maintenant il faut revenir aux feudataires d'Arménie, è l'autre extrémité de l'empire.

Vagharshash, le père des Arsacides de cette région, était frère de Mithridate Ier, et fut investi du domaine conquis par les armes de ce prince, en vertu de la politique suivie par la famille régnante et qui a été examinée plus haut dans ses causes et dans ses effets. Il divisa ou laissa diviser son État en un grand nombre de fiefs confiés à des merzebans, suivant l'usage iranien. Jean Catholicos dit qu'il honora beaucoup les familles nobles et les éleva au niveau de la dignité royale. Le roi indigène qu'il remplaçait s'appelait Artavasde et était probablement le représentant d'une ancienne maison Iranienne. Ces choses se passaient vers l'an 150 avant Jésus-Christ.

Après avoir dominé pendant vine-deux ans, Vagarshash ou Vologèse eut pour successeur son fils Arsace, qui en régna treize, et fut remplacé par Ardashès ou Artaxès, dont le pouvoir dura vingt-cinq ans, et qui exerça une autorité si grande qu'il parait s'être élevé même au-dessus de l'Arsacide de Perse et l'avoir soumis à une sorte de vasselage. En mariant sa fille Arshama au gouverneur militaire de la côte du Caucase, nommé Mithridate, issu d'un autre Mithridate, en son temps un des satrapes des Achéménides, il fonda en faveur de son gendre le royaume secondaire du Pont. Selon les auteurs grecs, tout ce que nous venons de rapporter ici sur la foi des historiens nationaux de l'Arménie s'appliquerait à Tigrane, successeur d'Ardashès et son fils, qui eut en effet un règne fort brillant, posséda une grande influence jusque dans l'Hellade, et joua un rôle considérable dans l'histoire de son beau-père, Mithridate le Grand, roi de Pont. Probablement une partie de la gloire de ce dernier est reversée sur Tigrane par la vanité nationale de Moïse de Khoren et de ses confrères, et dans les conquêtes de Mithridate et les maux qu'il infligea aux Romains, ces auteurs aiment à retrouver le prince qui dirigeait d'en haut comme suzerain la monarchie du Pont. Quoi qu'il en soit, Mithridate, Tigrane, le Grand Roi arsacide, les autres princes parthes, unis un moment contre les Romains, ne conservèrent pas toujours la concorde si difficile à maintenir entre eux ; Mithridate, d'abord soutenu, fut abandonné ; il périt ; et Lucullus d'abord, Pompée ensuite, en confirmant le triomphe des armes romaines, ne firent pas moins les affaires des Arsacides de Perse, fatigués et inquiets des combinaisons et des entreprises de leur parent du Caucase. Ces rois virent avec plaisir Mithridate détruit et Tigrane humilié. On laissa ce dernier, sans le secourir, tomber au rang d'ami et allié du peuple romain en perdant toutes ses provinces à l'ouest de l'Euphrate, moins la Sophène, qui encore fut détachée de l'Arménie et donnée en fief à son fils, appelé Tigrane comme lui.

Tigrane aurait été facilement anéanti entre la puissance de Pompée et celle des Parthes ; mais le Romain comprit qu'il était de son intérêt de ne pas pousser les choses à bout. Il eut peur de son allié, l'Arsacide Phraate, qui avait donné ses deux filles aux fils de Tigrane et excitait ces derniers contre leur père. Il se montra donc très-généreux envers le beau-frère de son ennemi Mithridate, et chercha à s'en faire un rempart à opposer aux retours probables de la politique arsacide.

C'était bien penser. L'astuce romaine domina la jalousie parthe et multiplia les difficultés. Pompée, à son retour du Caucase, reçut avec faveur les ambassades des rois secondaires de la Médie et de l'Élymaïde, qui lui offraient de s'unir à lui contre le suzerain de Ctésiphon. Il affecta de ne pas considérer Phraate comme le Grand Roi légitime et lui en refusa le titre au profit de Tigrane, qui, fatigué fit la paix avec son parent, se tourna avec lui contre les Romains, occupés à leur guerre civile, redevint pourtant leur allié à l'époque de la fameuse défaite de Crassus par les Parthes et mourut vers l'an 39 avant Jésus-Christ ; il fut remplacé par son fils Tigrane, qui, prisonnier à Rome, avait cependant réussi à s'échapper par la protection de P. Clodius Pulcher, et était allé retrouver le Grand Roi arsacide, qu'il excitait à rompre avec son père.

Mais Tigrane Ier, brouillé avec ce fils remuant, avait fait couronner de son vivant un autre de ses enfants, Artavasde, qui régna peu, et après avoir mené une existence agitée au milieu des intrigues de toute espèce, fut attiré dans un piège par Marc-Antoine, sous prétexte d'un mariage à conclure entre une de ses filles et Alexandre, fils du triumvir et de Cléopâtre. Il eut la tête tranchée. Aussitôt Marc-Antoine essaya la conquête de l'Arménie. Il trouva en face de lui Artaxès, fils d'Artavasde, qui fut défait et obligé de s'enfuir auprès de l'Arsacide de Perse. Marc-Antoine fit couronner Alexandre, marié à la hâte à Iotape, fille d'Artavasde, roi des Mèdes. Mais la bataille d'Actium eut lieu bientôt après ; Alexandre fut chassé et Artaxès revint. Cependant le Mède Artavasde, qui avait perdu du même coup son fief de Médie, fut installé par les Romains dans la Petite Arménie avec le titre de roi.

Artaxès se maintint peu de temps sur le trône. Auguste le renversa et lui substitua ce Tigrane de Rome, enfui chez les Parthes, mendiant partout des appuis, et qui, à peine roi, disparut. La souveraineté de l'Arménie devint dès lors l'enjeu perpétuel d'une partie engagée entre les Parthes et les Romains. La chance tournait à chaque instant. Les étrangers venus du Caucase usurpèrent le pouvoir. Ils furent chassés. Vologèse Ier, Grand Roi arsacide, installa Tiridate et mit fin en quelque sorte à un interrègne qui avait vu passer, dans un intervalle de soixante-dix ans, onze souverains éphémères Tigrane III, Artavasde II, Tigrane IV, Ariobarzane, d'origine mède, Érato, une femme ; Vononès, Orode, un des fils de l'Arsacide persan Artaban ; Zénon, fils de Polémon, roi du Pont ; Arsace II, fils d'un autre Artaban de Perse ; Mithridate frère de Pharasmane d'Ibérie, et Rhadamiste, son fils. Tous ces aventuriers arrivèrent, tombèrent, sans jamais avoir été reconnus de la majorité des merzebans, et à peine peut-on les considérer comme des rois, car le peuple parait avoir tenu beaucoup à la véritable maison régnante, et pendant l'usurpation, les merzebans, retirés dans leurs châteaux, résistaient et prenaient eux-mêmes le titre royal, si petit que fût leur domaine. Ils étaient en fort grand nombre. Mesrob, écrivain du dixième siècle, a conservé les noms de plus de soixante-dix familles souveraines dont beaucoup frappaient monnaie.

Ainsi l'Arménie avait des rois constamment attaqués, des prétendants toujours en grand nombre, des seigneurs indépendants ou cherchant à le devenir, et par-dessus les Arsacides de Perse et les Romains qui se faisaient la guerre dans le pays, et des bandes innombrables de Kurdes, de Caduses, d'Ibères, d'Albaniens et de Scythes, le traversant dans tous les sens, tantôt au service d'un parti, tantôt d'un autre. C'était, comme dans le reste de l'Iran, l'idéal du fractionnement de l'autorité et du désordre.

Tiridate, installé par les Parthes, fut encore troublé par Rhadamiste, son prédécesseur, qui revint lui disputer le sceptre. Il le fut également par Tigrane V, arrière-petit-fils d'Archélaüs, roi de Cappadoce, et d'Hérode, roi des Juifs. A la fin cependant il se mit d'accord avec les Romains, comme il l'était déjà avec son frère Vologèse Ier, le Grand Roi, et étant allé à Borne traiter lui-même ses affaires, il fut reconnu et mis en possession par Néron dans ce qui était libre du royaume primitif, car l'ouest tout entier restait aux mains des Arsacides de la Scythie, et il n'était pas possible de le leur arracher. Il fallut encore lutter contre une invasion d'Alains qui après avoir renversé Pacore, roi des Mèdes, retournèrent dans leur pays. Tiridate mourut vers l'an 75 de notre ère. Après lui l'Arménie tomba dans une telle anarchie qu'on n'y distingue plus aucune forme de gouvernement ; c'était d'ailleurs le déclin des Arsacides. Ce qu'il y a de curieux, c'est que la pacification amenée par Néron parait avoir acquis à cet empereur l'affection sérieuse de toute la famille. Ce sentiment se manifesta par une hostilité systématique à ses successeurs et par un appui constant donné aux imposteurs qui pendant assez longtemps se présentèrent sous son nom en Asie, et voulurent profiter de la singulière obstination des Orientaux à ne pas croire à sa mort. Les chrétiens ont conservé la trace de cette opinion dans l'Apocalypse de Saint Jean.

En terminant ce que nous avons à dire de l'histoire de l'Arménie arsacide, nous ne devons pas oublier l'un des fiefs de ce royaume qui ne laisse pas que d'avoir joué un rôle assez considérable. Je veux parler de la principauté de Nisibe et d'Édesse, réunie ordinairement dans les mêmes mains, et qui embrassait l'Osrhoène et l'Adiabène. Le premier prince de race arsacide qui régna dans cette contrée sous la suzeraineté arménienne semble avoir été Gouras, frère de Tigrane Ier. Son État, en proie à des agitations perpétuelles, changea souvent de forme et d'étendue ; mais en général Édesse et Nisibe en furent le centre, soit simultanément, soit alternativement. Le pays possédait encore une ville importante, Tigranocerte, l'Amid d'aujourd'hui.

Gouras eut pour successeur Arsham, que les Syriens appellent quelquefois Manovaz, et qui fonda Arsamosate entre le Tigre et l'Euphrate. Après lui vint Maanou, puis le frère de celui-ci, Abgar le Noir, mort en 36 de notre ère. Cet Abgar se trouva en relations fréquentes avec les princes juifs et soutint contre eux le chef arabe Hareth ou Arétas. On le regarde comme un prince sage et prudent qui exerça une sorte d'arbitrage entre ses turbulents parents, les Arsacides, et s'efforça plusieurs fois de les mettre d'accord. Mais il ne semble pas y avoir réussi. Il s'établit à Édesse de préférence à Nisibe, et orna sa nouvelle capitale de somptueux monuments. Sa réputation de justice et de raison a probablement contribué, non moins que ses relations avec Jérusalem, à faire admettre par les écrivains ecclésiastiques qu'après une longue maladie, ayant entendu parler des miracles de Notre-Seigneur, il avait envoyé auprès de lui un de ses officiers, nommé Ananias, avec une lettre où il engageait le Sauveur du monde à s'intéresser à lui. Il en obtint une réponse qui lui fut apportée par saint Thaddée, et l'apôtre lui imposa les mains et le guérit. A la suite de ce miracle, le roi se convertit ; la plupart des habitants d'Édesse se firent également chrétiens, et le premier évêque de la ville fut Barsouma ou Khoharare, qui prit le nom d'Ailé et fut martyrisé sous Ananoun, successeur d'Abgar.

Cette histoire est fort ancienne, et Eusèbe de Césarée la apporte. Elle a donné au nom d'Abgar un grand éclat dans les chrétientés orientales.

Après la mort d'Abgar, sa principauté fut partagée entre son fils Ananoun, qui resta à Édesse, et son neveu Sanadroug, devenu maitre de l'Adiabène et de la région circonvoisine. Après avoir fortement mécontenté la population par ses persécutions religieuses, Ananoun mourut écrasé sous la chute d'une colonne, et Sanadroug vint prendre sa place. Il avait promis de laisser les gens du pays libres dans leur foi. Cependant, pour s'assurer du trône, il fit périr les mâles de la famille de son cousin et ne conserva que les femmes, au nombre desquelles était sa tante Hélène.

Je reproduis ici le texte de Moïse de Khoren ; mais Procope assure au contraire que la descendance directe d'Abgar avait survécu et était restée fort puissante.

Cette histoire se rattache par des liens certains, mais difficiles à débrouiller, au récit de Josèphe sur la famille d'Édesse. L'auteur juif rapporte que dans cette ville avait régné un prince nommé Monobaze, auquel avait succédé son fils Izate, prince de Carrhes ou Harran. La veuve de Monobaze avait voulu détrôner Izate en faveur d'un autre fils, nommé Monobaze comme son père. Elle-même, appelée Hélène, était la sœur de son mari.

Elle prit le parti de quitter l'Adiabène et de se retirer à Jérusalem, pour y vaquer en paix à des exercices de piété. Établie dans cette capitale, la reine arsacide y fit construire pour son usage un palais magnifique, répandit des bienfaits nombreux autour d'elle, et dans la famine de 44 nourrit la population en faisant venir du blé d'Égypte et de Chypre. Toute cette famille était extrêmement dévoué aux Juifs, et le roi Monobaze envoyait de grandes sommes d'argent pour être distribuées en aumônes.

La reine Hélène retourna dans son pays probablement après la mort d'Izate et y mourut. Mais son fils renvoya son corps et celui d'Izate à Jérusalem, où les attendait un tombeau magnifique cité par Pausanias comme comparable à celui de Mausole et qui était à trois stades de la ville. Des recherches archéologiques récentes ont donné la preuve que le monument connu sous le nom de Tombeau des Rois, et que l'on supposait avoir été celui des rois de Juda, n'est autre que la sépulture des rois si populaires et si pieux de l'Adiabène.

Je reviens à Sanadroug. Ce prince parai avoir persécuté les chrétiens, malgré les engagements qu'il avait pris en montant sur le trône et bien que sa famille lui donnât d'autres exemples. Deux apôtres, saint Thaddée et saint Barthélemy, furent, dit-on, martyrisés d'après ses ordres.

Après Sanadroug, probablement identique avec l'Izate de Josèphe, vient Arbandès ou Érovant, Arsacide du côté de sa mère ; il ne fut pas reconnu par les seigneurs pagratides, auxquels appartenait le droit de couronner les souverains. Il voulut tuer tous les fils de son prédécesseur ; mais on sauva l'un d'entre eux Ardashès, qui, remis par sa nourrice entre les mains de Sempad, fils de Piourad, Pagratide, et chef de la province de Sber, dans l'Arménie du nord, se réfugia avec lui auprès de l'Arsacide de Perse, qui lui donna un fief.

Arbandès ou Érovant, allié aux Romains sous Trajan, régna vingt ans, et finit par être battu et tué par Ardashès, qui lui succéda, avec l'aide de ses parents de Perse, vers l'an 88 de notre ère. Après ce dernier s'élevèrent successivement Artavasde, Diran, Tigrane, détrôné en 161 par Lucius Verus en faveur de Sohem, autre Arsacide ; puis Vologèse, fils de Tigrane, et Khosroès, auquel succéda le Roi des rois sassanide Ardeshyr-Babegan, lors de la révolution qui mit fin au pouvoir de presque tous les Arsacides. J'ai déjà dit ailleurs comment Khosmès périt. Cependant après ce prince d'autres Arsacides réussirent à reprendre le pouvoir, tantôt mis en avant, tantôt trahis par les empereurs de Constantinople, et à travers les plus grandes difficultés, ils se soutinrent encore en Arménie jusqu'en 428 de notre ère avec Tiridate, Sanadroug, Khosrou, Diran, Arsace, Bab, Varaztad. Celui-ci, arrête par les ordres de son protecteur l'empereur Théodose, fut exilé dans les îles Shetland et y mourut dans les brumes de l'Océan du Nord, tombeau bien inattendu pour un homme de sa race. Après ce malheureux Varaztad parurent simultanément Arsace, vassal de l'empereur de Constantinople, et Khosrou III, vassal des Sassanides, qui reçurent chacun un lambeau de l'Arménie. Mais les Sassanides reprirent le tout. L'empereur d'Orient ayant investi Kazavon, de la succession d'Arsace, de la famille arsacide du Gamsaragan, le roi des Perses fit arrêter et conduire celui-ci dans le château de l'Oubli, en Susiane, d'où il ne sortit jamais. Bahram-Shahpour reçut l'investiture à sa place. Après lui l'Arménie fut donnée un instant à un fils du Sassanide Yezdedjerd Ier, Shahpour. Il y eut ensuite un interrègne de trois ou quatre ans après lequel parut, pour disparaître aussitôt, Artaxès, fils de Bahram-Shahpour, enfin toutes les convulsions se terminèrent par la destruction définitive du royaume.

Au nord-est de l'Arménie était une principauté assez petite et qui probablement se trouva quelquefois sous le vasselage des feudataires descendus de Vagharshash ; c'était l'Aran. Les princes de ce pays portaient héréditairement le nom de Sasan. On a vu ailleurs qu'un fils de Bahman ou Xerxès, fugitif dans le Khoraçan, y avait fondé cette famille, qui devait un jour parvenir au trône suprême de l'Iran dans la personne d'Ardeshyr-Babegan. Quoi qu'il en soit de la descendance achéménide, dont on ne s'aperçut peut-être qu'après l'événement qui renversa les Arsaces au profit des vassaux de l'Aran, le Tjehar-è-Tjemen ou les Quatre Prairies donne la liste suivante ;

Bahman

Sasan IV

Sasan Ier

Sasan V

Sasan II

Ardeshyr-Babegan

Sasan III

 

Il est inutile de faire remarquer qu'une telle liste, destinée à remplir, au moyen de cinq noms, la période écoulée entre Xerxès et l'avènement des Sassanides, ne saurait prétendre à aucune réalité. Cependant, à défaut de la valeur chronologique, elle a un mérite réel. Elle montre comment on peut et doit concilier les témoignages des auteurs qui appellent Ardeshyr tantôt fils de Babek, tantôt fils de Sasan. Sasan était le nom de la famille comme Arsace était celui de la maison régnante, et Babek était le nom particulier de Sasan V. Ainsi Ardeshyr fils de Babek-Sasan ou seulement fils de Sasan, est absolument le même individu, et il n'est pas besoin de recourir aux fables diverses inventées par les Orientaux pour sortir de cette difficulté apparente.

On a prétendu aussi que les Sassanides n'étaient pas originaires du nord de l'Iran, mais bien de la province de Perside. Les deux opinions se concilient par le récit suivant. Dans le Fars régnait un prince vassal nommé Mehrek. Il était extrêmement dévoué aux Arsacides, et quand Ardeshyr fit la révolution, Mehrek fut exterminé avec ses enfants, attendu que les astrologues avaient prédit que de l'un d'entre eux descendrait une lignée de Grands Rois, ce qui arriva en effet, car une fille ayant échappé au massacre général, et étant devenue plus tard la femme de Shahpour, fils d'Ardeshyr, fut l'aïeule de toute la dynastie sassanide, qui put ainsi par elle réclamer une origine méridionale.

Dans une autre partie de la Perside ou Fars, en tirant vers la mer, un autre fief appartenait à une race qui parait avoir été étrangère au sang iranien. Ferdousy a conservé le nom de Tébak, un des dynastes de cette famille. La capitale de la principauté était Djehrem, et c'est le nom ancien de Shyraz.

A l'est, dans le Kerman, se trouvait Heftwad, dont j'ai déjà parlé. A l'ouest au contraire, dans le sud de la Susiane appelé la Characène, était établie une dynastie vraisemblablement indigène, c'est-à-dire de sang élyméen, qui a laissé sur une série de médailles les noms des rois Tiraios, Artabaze, Attambyl, Adinniga, Monnesès et Attambyl II.

Il semblerait que dans la Babylonie il y ait eu, au moins momentanément, un état de choses analogue. On connaît dans ce pays Timasque, qui joua le rôle d'un prince indépendant et dont on possède des tétradrachmes, et Hymériès. Le premier avait reconnu la suzeraineté de l'Arsacide ; le second appartenait peut-être lui-même à la famille régnante, du moins les Orientaux le prétendent, et ils le font cousin de Balash ou Vologèse, fils d'Hormouz.

La Médie fut moins un fief qu'un apanage. Elle passa sans cesse d'un prince à un autre sans se continuer dans une lignée. Elle appartint à Mithridate III et fut ensuite donnée à Vononès II. Lorsque j'ai parlé de l'Arménie, on a vu d'autres princes encore la posséder et la perdre. En réalité elle était sous la main des Grands Rois qui lui eussent sans doute rendu sa place parmi les domaines royaux, si de pareilles annexions, pratiquées sur la plus large échelle par Cyrus et Cambyse, avaient été permises aux Arsacides.

Nous n'en savons pas davantage sur les différentes contées de l'empire arsacide et sur leurs maisons régnantes. Il est bien probable du reste que les opinions qu'on doit se faire du régime établi pendant la durée de la dynastie ne feraient que se confirmer devant une plus grande abondance de détails. La force était disséminée partout, et les précautions étaient prises pour qu'elle ne pût se concentrer nulle part. Récapitulons et complétons les principaux articles de la constitution en vigueur dans l'empire ; ce que nous venons de voir nous en fournit tous les moyens.

Le Grand Roi ne pouvait rien faire sans la réunion et l'assentiment des grands vassaux ; c'était ce que les Romains appelaient le sénat des Parthes. Mais d'un autre côté les grands vassaux étaient contenus de la même façon par les merzebans et ceux-ci à leur tour trouvaient dans leurs nobles une semblable répression de sorte que je n'ai pas été trop loin en comparant l'empire arsacide à la république polonaise, où le moindre des gentilshommes pouvait exercer une action décisive sur les résolutions les plus graves de la diète.

J'ajouterai encore un trait qui rend la similitude plus frappante. Le Grand Roi, le feudataire, le vassal, avaient chacun à leur côté un officier héréditaire qui commandait l'armée et sans lequel rien n'était possible. Nous avons vu que dans l'arrière-fief d'Édesse cette dignité appartenait aux Pagratides que l'on prétendait Juifs d'origine et même descendus de David par Salomon. L'autorité de ces seigneurs allait à ce point que le prince qu'ils n'avaient pas couronné et avoué n'était pas tenu pour légitime. Dans l'empire, la seconde place que j'indique était occupée par le souréna ou général en chef de la cavalerie. Ce n'était pas autre chose que le grand maréchal des diètes en Pologne. Ce dignitaire commandait à toute la noblesse parthe et par conséquent aux armées. Quand le Grand Roi l'avait contre lui, il devait être encore plus embarrassé que nos souverains dans leurs différends avec les connétables. Le mot souréna n'est que l'arabe souren, qui veut dire et chef.

Les Arsacides n'avaient pas une loi d'hérédité régulière. Après la mort du monarque, la noblesse décidait entre les prétendants au trône. Elle n'avait pas le droit de choisir en dehors de la famille arsacide ; mais, sauf ce point, celui-là était le Roi des rois qu'elle désignait et reconnaissait. Tous les autres devaient se soumettre. Mais comme elle possédait aussi le droit de déposer le prince, il lui était constamment loisible de revenir sur son premier avis.

Le Grand Roi ne pouvait exiger des feudataires aucun impôt. Il ne pouvait non plus leur imposer aucune loi. Dans ses propres domaines, il comptait de même avec ses parents, ses merzebans et les hommes de ceux-ci. De sorte qu'en réalité la volonté de la petite noblesse était ce qu'il y avait de plus puissant.

Telle fut l'organisation arsacide.

 

 

 



[1] SAINT-MARTIN, Fragments d'une histoire des Arsacides, t. II, p. 273.